Critique de "l'Essai d'une présentation de la thérorie psychanalytique" de C.G. Jung

Le titre de ce travail récent de Jung et le préambule du volume éveillent chez le lecteur l’attente d’une présentation des théories de Freud et de son école. Comme il le dit, l’auteur veut prendre position vis-à-vis des conceptions actuelles sur la base de sa propre expérience. Par une  critique " modeste et mesurée ", il veut prendre position vis-à-vis des conceptions actuelles sur la base de sa propre expérience. Par une critique " modeste et mesurée ", il veut solliciter le mouvement psychanalytique et opposer ses propres formulations à celles de Freud, dans la mesure ou elles lui semblent rendre mieux compte des faits observés.

Si ce travail correspondait à un tel programme, il serait à saluer comme un enrichissement de notre littérature. Une introduction brève et claire au domaine étudié par la psychanalyse nous paraît souhaitable ; nous ne sommes pas moins reconnaissants de toute critique objective. Il est inutile de cacher que les avis sont partagés dans l’école psychanalytique ; aussi bien les " Discussions de la société viennoise de psychanalyse " ont-elles porté le débat d’opinions sur le forum du grand public.

Mais il en est autrement. Le critique ne peut pas en l’occurrence se contenter de rapporter les avis de l’auteur et de les juger ; une tâche inhabituelle et peu agréable s’impose à lui, celle de montrer que Jung a fait des théories de Freud une description en vérité absolument fausse.

Avant d’entrer dans le détail de ces deux tâches, je dois souligner quelques aspects du travail de Jung qui contrastent fort avec les qualités de ses écrits précédents. De même que dans " Wandlungen und symbole der libido ", il contient toute une série de contradictions internes, de sorte que le lecteur, d’un endroit à l’autre du texte, est renseigné de façon inverse sur le même thème. Par moment, le texte est si peu clair qu’il est difficile à suivre. Certaines formules théoriques sont décrétées purement et simplement, sans que l’auteur se préoccupe de les justifier. Il est consternant de voir Jung proclamer à plusieurs reprises les règles de la recherche et de la critique scientifiques, pour les bafouer de la façon la plus grossière au cours du même travail. Ces failles générales de son écrit doivent rendre le lecteur sceptique quant à ses déductions plus spécifiques.

J’envisagerai d’abord ce que dit Jung concernant la théorie de la sexualité et la sexualité infantile.

C’est d’une façon discutable que Jung défend l’extension du concept de sexualité auquel Freud se vit contraint. Il dit que pour l’école psychanalytique la sexualité est l’instinct de conservation de l’espèce. en passant, je signale que l’instinct n’est à la conservation de l’espèce qu’une fiction téléologique. Les instincts de l’individu en dehors de l’instinct sexuel servent également indirectement la conservation de l’espèce ; rien ne nous permet d’en dire plus. Par ailleurs, il est évident que certaines manifestations de l’instinct sexuel ne comportent absolument aucune tendance à la conservation de l’espèce ; qu’on pense seulement à l’homosexualité. de fait, c’est dans le sens opposé que Freud a élargi le concept de sexualité : à son sens, la sexualité infantile aspire exclusivement à la jouissance ; les sublimations de l’instinct sexuel et les symptômes névrotiques sont pour Freud des dérivés des pulsions sexuelles qui n’ont rien ou indirectement seulement quelque chose en commun avec la conservation de l’espèce.

Sur quoi Jung accorde à Freud le droit de qualifier de sexuels " les phénomènes allusifs et préliminaires " de l’enfance ; simplement il ne veut pas adhérer à " certaines conclusions ". " Freud est tenté de voir un acte sexuel jusque dans le fait de téter sa mère. Cette conception a valu à Freud de graves reproches, mais il faut bien reconnaître qu’elle est pleine de sens, si avec Freud nous admettons que l’instinct de conservation, c’est-à-dire de la fonction nutritive, et qu’il a un développement propre ab ovo. Mais cette façon de penser me semble biologiquement inadmissible ".

Les phrases que nous venons de citer ne nous étonneraient pas si elles émanaient d’un adversaire peu familiarisé avec les écrits de Freud. Elles contiennent en effet une présentation faussée doublement, à laquelle on ne se serait pas attendu de la part de Jung. Premièrement : bien entendu, Freud voit dans la tétée un acte de nutrition mais comportant simultanément l’excitation agréable de la bouche (zone érogène). Jung cite la conception de Freud de la signification du suçotement. Deuxièmement : Freud admet une intrication originelle des pulsions et considère que la séparation est secondaire.

Après avoir, à l’aide d’arguments douteux, assené le premier coup à la sexualité infantile, Jung continue. On lit en caractère gras : cette période, c’est-à-dire la petite enfance, se distingue par l’absence de toute fonction sexuelle. Voilà ce qui apparaît brusquement, peu de lignes après la reconnaissance que la terminologie sexuelle de Freud était irréprochable " en ce qu’elle désigne conséquemment et à juste titre comme sexuelles toutes les étapes préliminaires de la sexualité ". Jung se contente de quelques exemples de biologie générale ; il ne s’efforce pas à une démonstration à proprement parler.

L’étonnement se renouvelle lorsqu’on apprend que le suçotement du nourrisson peut " être bien plus " considéré comme ayant une qualité sexuelle que la succion. Freud n’avait rien dit d’autre ! le mode d’expression incertain de Jung est en rapport étroit avec la faiblesse de son argumentation ; nous la rencontrerons souvent encore. C’est à l’aide d’arguments très faibles qu’il se tire de la situation difficile te décide (" prouver " serait trop dire) que " la succion n’est pas jouissance sexuelle mais jouissance alimentaire ".

Mais il y a mieux ! Brusquement, rebroussant chemin de la masturbation aux développements des petites manies précoces (onychophagie, etc.), et enfin au suçotement, Jung reconnaît toutes ces manifestations comme les préliminaires de la masturbation et donc sexuelles ; mais dans une phrase suivante il se réserve à nouveau en ce qui concerne le suçotement.

De quoi s’agit-il d’autre que de l’introduction d’une confusion irrémédiable dans les constructions prudentes de Freud ? il n’est possible à personne de saisir l’opinion de l’auteur à travers ces formulations contradictoires. Cependant Jung, qui tient pour injuste " de prêter à un esprit tel que celui de Freud les fautes grossières d’un apprenti " aveugle aux failles de sa démonstration, reproche au " maître vénéré " la faute logique grossière de la petitio principii. Ou bien, il argumente comme suit : la jouissance ne se confond en rien avec la sexualité. Jusque-là de telles objections ne nous parvenaient que de nos opposants qui pensaient réfuter ainsi ce que Freud était censé avoir prétendu.

Je passe sur quelques autres abus de Jung concernant les expressions précoces de la sexualité et j’en arrive à sa critique de la disposition " perverse polymorphe " de l’enfant.

Les conceptions de Freud se rapportant aux zones érogènes, aux pulsions partielles, sont rendues d’une façon lacunaire qui ne permet pas de s’orienter. Jung se résume comme suit :

" D’après cette façon de voir, la sexualité normale, monomorphe est faite de différentes composantes. elle se scinde d’abord en composantes homo et hétérosexuelles, puis il s’y joint une composante auto-érotique, puis les différentes zones érogènes, etc. "

autant de mots, autant d’inexactitudes ! Jung néglige complètement qu’il s’agit là des stades d’un développement. Freud a appelé auto-érotiques (anobjectales) les premières expressions de la libido. Puis il a montré comment la libido se libère peu à peu mais jamais absolument des zones érogènes auxquelles elle fut liée. Puis il montre comment les zones érogènes, d’abord autonomes, se subordonnent au primat de la zone génitale et que se constitue ainsi la sexualité " normale " de l’adulte ; Freud a valorisé expressément le déroulement de la découverte de l’objet. négligeant l’essentiel, Jung ne fournit qu’une fausse représentation selon laquelle, d’après Freud, la sexualité se " scinderait " d’abord (sic !) en composante homosexuelle et hétérosexuelle. Freud n’évoque pas du tout une composante auto-érotique ; il dit encore moins qu’elle " s’associe " à des formes plus précoces de la sexualité. Jung " fait marcher Freud sur les mains ".

le tableau offert au lecteur est totalement inexact, lorsque Jung prétend que Freud a scindé artificiellement la sexualité, a unifié un grand nombre de phénomènes encore incompris. Son investigation de la sexualité infantile a établi une continuité jusque-là absente entre la vie pulsionnelle de l’enfant et l’adulte. il a prouvé que bien des mouvements pulsionnels qui semblaient contraster entre eux se complètent en réalité et forment une unité. Bref, il a introduit des points de vue généraux unificateurs dans la théorie de la sexualité et des névroses.

De plus, nul mieux que Freud n’a estimé les capacités de transformation de la libido. Qu’on songe seulement à sa théorie de la constitution des symptômes névrotiques, de la sublimation, de la formation réactionnelle, à sa terminologie : investissement objectal, retrait libidinal de l’objet, etc. Et Jung lui reproche d’avoir décomposé la libido en composantes fixes et figées ! Les prétentions de Jung dépassent ici à tel point la mesure qu’une protestation énergique est de mise : nom seulement il s’attribue l’introduction de certains points de vue unificateurs en psychologie, mais il compare même son œuvre avec l’introduction du conception énergétique avait été jusque-là inconnue à la psychanalyse. De neuf, il n’y a en réalité qu’une faute regrettable : le mélange des points de vue psychologique, biologique et physique.

Mais Jung prétend qu’il en sera des " composantes sexuelles fixes " comme de la physique ou l’optique, la mécanique ont perdu leur indépendance. Les " pulsions partielles " de Freud seraient l’équivalent des catégories de l’esprit (Seelenvermôgen) de l’ancienne philosophie.

Et comment Jung remplace-t-il ce qu’il écarte ? il prône son concept flou de libido chez Jung, mais m’en réfère à l’exposé percutant de Ferenczi que je me contenterai de compléter.

En ce qui concerne les " applications possibles " de la libido qui constituent de longue date le patrimoine de la psychanalyse, la constatation n’épargne pas la tâche d’expliquer ces " possibilités ". Freud s’est fondé ici sur des observations de faits biologiques, je ne mentionnerai que la bisexualité comme exemple. Puis le refoulement explique la suprématie d’une espèce de mouvements pulsionnels dans la conscience, tandis que les pulsions opposées sont refoulées dans l’inconscient. Jung, par contre, se satisfait de mots qui ne peuvent rien signifier. Je cite un cas qu’il a rapporté brièvement :

" La déception chassa sa libido (celle du patient) de son mode d’application hétérosexuel, en sorte qu’elle retomba à la forme homosexuelle. " L’expression de Jung est extrêmement imprécise. Que peut-on se représenter par "  forme homosexuelle " ? avant tout, un auteur qui utilise de tels mots devrait nous expliquer d’ou la libido tire sa capacité de choisir d’autres " formes ". il est à souligner que dans ses Trois Essais sur la théorie sexuelle, Freud pose le fondement biologique sur lequel il construira sa théorie de la sexualité. Jung, par contre, introduit le concept de libido, c’est-à-dire une construction philosophique, et élabore les faits dans le sens de cette théorie.

Un passage de cet écrit illustre combien le concept de libido et des " applications possibles " reste vague. Présentant un exemple, Jung dit : que cet homme qui tenta vainement l’ascension utile ". La façon dont cet alpiniste le fait, il ne nous le dit malheureusement pas. Si toutefois il le sait, on souhaiterais qu’à l’avenir il utilise abondamment cette possibilité d’application de la libido.

Jung ne peut nier la disposition " perverse polymorphe " de l’enfant. mais il s’exprime là-dessus de façon très alambiquée et hésitante. Tantôt ces manifestations de l’enfance sont très visibles et plus riches que chez l’adulte, tantôt il ne s’agit que d’ " indices ". de ces indices, Jung dit qu’ils sont marqués du caractère d’innocence infantile et de naïveté candide.

Cette " candeur " de l’enfant, il y revient sans arrêt. plus loin, il ajoute que l’enfant est incapable d’intentions cohérentes !

Ce faisant, non seulement Jung déforme ses conceptions antérieures (c’est la liberté de chacun), mais il néglige des faits qu’il avait lui-même publiés. Ou veut-il donc en venir en insistant constamment sur la " candeur " enfantine ?

C’est un des grand mérites de Freud d’avoir débarrassé la psychologie de la surestimation éthique des pulsions de l’enfant. Pour le psychanalyste, il s’agit là de phénomènes naturels qu’il observe et tente de comprendre. Ils sont aussi peu candides que malins. Par voie de conséquence, Freud a également admis l’amoralité de l’inconscient. car d’après nos conceptions, le fonds inconscient est fait des mouvements pulsionnels (primitifs) refoulés de l’enfant. en assurant de façon répétée au lecteur la candeur des pulsions infantiles, Jung amorce une régression scientifique discutable. Il fait pire, bien sûr, lorsqu’il prête des tendances morales à l’inconscient.

Ferenczi a déjà critiqué les trois stades du développement libidinal que Jung décrit. Compte tenu des remarques de Ferenczi, je traiterai des autres affirmations de Jung qui ne figuraient pas de la même façon dans les " wandlungen und Symbole der Libido " et qui pourtant caractérisent l’opposition de Jung contre la théorie freudienne.

Il est absolument inexact de dire, comme Jung le prétend, que Freud déclare que la différence entre la sexualité infantile et adulte est due au " diminutif de l ‘infantile. "

Jung tente d’expliquer le polymorphisme originel de la sexualité en considérant que la libido nutritionnelle va de la bouche à d’autres voies. Il pense qu’une bonne part de la libido liée à la faim se transforme en libido sexuelle.

La tentative de faire de la bouche le point de départ de cet itinéraire libidinal – complètement hypothétique –montre l’unilatéralité des idées de Jung. Il néglige les autres zones érogènes (à l’exception de la bouche) et c’est là un retour en arrière du point de vue scientifique. S’agit-il vraiment seulement de manifestations corporelles de la libido ? Comment Jung expliquera-t-il par exemple la curiosité sexuelle te la plaisir exhibitionniste de l’enfant ?

L’une des parties les plus discutables du travail de Jung est celle qui traite du " complexe d’œdipe ". cette partie manque de clarté. On essaie vainement de tirer quelques précisions à partir de ces formulations vagues. La raison en est facile à comprendre. C’est la négligence du refoulement et de l’inconscient. Si le mot " refoulement " apparaît de temps à autre dans le texte de Jung, il est toujours utilisé de façon imprécise ; c’est qu’il a perdu son contenu. L’inconscient n’a également dans cette " présentation " qu’un rôle d’hôte occasionnel. Nulle part nous ne trouvons une prise de position claire à l’égard des problèmes fondamentaux de l’inconscient. Par exemple, Jung affirme péremptoirement : "  Dans l’inconscient de l’enfant les fantasmes se simplifient beaucoup ", ou : " Dans l’inconscient ces souhaits et ces intentions revêtent une forme plus concrète et plus crue. " Mais il n’aboutit à aucune explication de l’inconscient et des phénomènes inconscients.

Nous savions déjà à partir de la deuxième partie des " wandlungen und Symbole der Libido " que Jung ne conçoit l’œdipe que comme un symbole et qu’il dénie toute valeur réelle aux émotions incestueuses ; je m’en réfère à nouveau à la critique de Ferenczi. A nul autre endroit du livre, nous ne voyons aussi clairement que Jung va à rebours de la psychanalyse à la psychologie superficielle. Par exemple, nous apprenons que précocement la mère n’a " bien entendu pas pour l’enfant une signification sexuelle digne d’être mentionnée ". il n’y a pas si longtemps (je fais allusion à la première par si longtemps ( je fais allusion à la première partie des " Wandlungen "), c’est l’inverse que Jung jugeait non moins naturel. Pour preuve le preuve le psychanalyste Jung s’en réfère à une collègue américaine qui par une question détournée apprit que la mère était volontiers définie comme celle qui donne à manger ! Ainsi après avoir pratiqué pendant dix ans la psychanalyse –Jung le dit dans son introduction –il se contente brusquement de réflexions enfantines qui ne peuvent rien contenir sinon que de conscient et conventionnel ! A quoi bon alors des psychanalyses laborieuses ? Jung ne remarque pas le moins du monde qu’il se reproche ainsi du collectionnisme psychologique (comme W. Stern et d’ autres).

Jung en profite pour reprendre la signification de l’alimentation. il en arrive aux phrases suivantes : " les grandes orgies de la Rome décadente étaient motivées par tout, sauf par une sexualité refoulée, car c’est le dernier reproche qu’on puisse faire aux anciens Romains. Indiscutablement, ces excès étaient bien un substitut, mais non point de la sexualité, mais des fonctions morales délaissés… "

Le lecteur non averti pourra tirer de là l’impression que Freud –auquel on ne voulait pas attribuer des fautes d’apprenti – avait avancé de pareilles sottises. Mais il suffit d’avoir lu un quelconque passage traitant de l’histoire de la culture pour se rappeler qu’il y souffle un autre esprit. Ainsi la remarque de Jung citée est à mettre au crédit de son auteur, dans toute sa platitude.

Jung attribue l’abstention de l’inceste chez l’homme au motif bien mince que le quotidien perdrait son charme pour les êtres. Les faits culturels historiques de même que la psychologie individuelle s’inscrivent en faux contre cette conception.

D’après Jung, le " fantasme œdipien " se forme au " cours de la maturation ", il entame un nouveau stade avec la " post-puberté " et la séparation d’avec les parents, dont le symbole est le " sacrifice ", dont il traite dans les " Wandlungen " (Métamorphoses). D’après Jung, à cette période apparaît le fantasme inconscient du sacrifice, c’est-à-dire du projet " d’abandon des désirs infantiles ".

Nous cherchons vainement une explication de ce phénomène. L’inconscient a acquis des tendances morales, il sacrifie. Toutes les expériences acquises non réfutées par Jung nous montrent l’amoralité de l’inconscient, la poussée sans égards, égoïste, des pulsions enfouies dans l’inconscient. la théorie freudienne propose à coté du refoulement le précieux concept de sublimation. Ce dernier processus permet aux mouvements pulsionnels refoulés, précédemment asociaux, d’émerger à la conscience sous une forme modifiée, c’est-à-dire socialement utilisable. La " présentation " de Jung n’en mentionne rien. Nous l’avons déjà dit dans les formulations de Jung, l’inconscient est quelques chose de totalement imprécis. Mais ce n’est pas tout . Cet inconscient, lorsqu’il à un certain âge un fantasme auquel Jung, sous le nom de " sacrifice ", donne une teinte religieuse, devient un arrière-plan mystique. Pratiquement Jung cesse là d’être psychanalyste pour devenir théologien.

Autre retour en arrière vers la psychologie superficielle, lorsque Jung trace une frontière entre les conflits psychiques de l’enfant et de l’adulte. je le cite : " les cas qui souffrent dès l’enfance d’une névrose chronique ne soufrent plus du même conflit que dans l’enfance. la névrose éclata peut-être lorsque l’enfant dut aller à l’école. c’était alors le conflit entre la tendresse et le devoir, c’est-à-dire entre l’amour pour les parents et la contrainte de l’école. aujourd’hui, ce sont les conflits entre les joies d’une existence bourgeoise confortable et les exigences rigoureuses de la vie professionnelle. Il peut sembler que ce soit le même conflit. " Malheureusement, Jung oublie de préciser la différence. il Est évident que le névrosé adulte, ayant dépassé l’âge de la scolarité, ne se soustrait pas à la scolarité du fait de sa névrose de l’école. au plus, le conflit a donc changé d’aspect. c’est précisément le mérite de Freud d’avoir reconnu le même conflit à travers ses métamorphoses. La conception de Jung est ici aussi réactionnaire que celle des critiques de " l’opposition ", dont il prétend dans l’introduction être très éloigné.

Les objections de Jung contre la signification de complexe central des désirs incestueux dans la névrose ont trouvé, en partie, une réponse avant même qu’il les profère. Ferenczi a déjà pris position à cet égard. C’est pourquoi je ne m’attarderai pas au point de vue de Jung de la signification purement régressive de ce phénomène. D’après Jung, le fantasme œdipien ne saurait être pathogène parce que généralement humain ; il nécessiterait pour devenir pathogène une " activation spéciale ". la position réelle de la psychanalyse sur cette question est trop connue pour que je la reprenne ici. Je n’ai d’ailleurs pas cité cette propre à montrer l’incohérence interne de la démonstration de Jung explique que le complexe de l’inceste est " réanimé " par l’indolence des êtres qui reculent devant les efforts d’adaptation. De même il est amené à souligner que " l’indolence " est généralement humaine. Jung va de lui-même à l’absurde. il nous promettait à la place d’une cause générale une cause spécifique de la position incestueuse et il en arrive à " l’inertie ", qui est bien particulièrement contre le concept de " temps de latence ", mais nulle part ses attaques ne sont moins justifiées. Freud (dans ses Trois Essais sur la théorie sexuelle) a avoué "   la nature hypothétique et l’impression de nos vues sur le déroulement de la période infantile de latence ". Jung, qui expliquait que les théories ne sont que des façons de considérer les choses, perd cette notion à l’égard de cette théorie de Freud. S’appuyant sur Fliess, Freud se vit obligé d’admettre une période de latence et lui a conféré le rôle important de former les inhibitions des pulsions primitives, ce que Jung tait. Par ailleurs, Freud a souligné que les expressions libidinales existent au cours de la période de latence et les a considérées comme des " irruption ". de ce fait, la comparaison de Jung avec la fleur qui revient à l’état de bouton n’est pas valable. Du reste, les contradictions saisissantes.

Jung s’oppose à la conception freudienne de l’amnésie infantile et névrotique, cette dernière considérée par Freud comme fonctionnant selon le prototype de la première. Jung voit là un contraste absolu et considère l’expression d’ " amnésie " comme " absolument inexacte " pour le petit enfant. Mais la prétendue distinction de Jung ne correspond absolument pas à ce qu’on observe chez les enfants et les névrosés ; il s’agit une fois de plus d’une affirmation faite d’autorité. Pour réfuter Jung, il suffit d’évoquer les névroses ou l’absence de souvenirs ne s’étend pas comme habituellement jusqu’à cinq ou six ans, mais jusqu’à la onzième années et au-delà. Ici, les amnésies infantiles et névrotiques se succèdent presque immédiatement ; c’est pourquoi il est inconcevable d’y voir une opposition absolue.

Me voici parvenu aux problèmes de la théorie des névroses. Je peux être plus bref, puisque ce n’est que la répétition du même jeu. La théorie freudienne de l’hystérie est présentée de façon tout à fait insuffisante. Jung en reste expressément à la vieille " théorie du trauma " (qu’il nomme comment une " théorie des prédispositions " !). Aussitôt il montre comment Freud en arriva à attribuer une plus grande signification aux fantasmes névrotiques. Le directeur ne saura rien de la théorie d’une constitution psychosexuelle particulière des névrosés, de la force des désirs refoulés dans la névrose, de l’ambivalence des sentiments chez les névrosés, etc. décrivant un cas d’hystérie, Jung montre comment la " vieille théorie " l’envisageait. ici et à plusieurs autres reprises, il s’exprime comme si Freud en était toujours à la théorie traumatique et qu’il cherchait les causes de la névrose uniquement dans le passé. Cet argument est d’autant plus malvenu chez Jung qu’il l’a dès l’abord réfuté comme critique "  des opposants ".

Freud a insisté sur l’insuffisante adaptation du névrosé à la réalité, à laquelle Jung accorde à juste titre une si grande valeurs ; en particulier Freud a souligné la façon dont le névrosé se rétracte devant les exigences réelles concernant sa sexualité. Dans le travail de 1909 sur la névrose obsessionnelle, il traite surtout de la façon dont ses patient évitent toute décision. Enfin l’article " Neurotische Erkrankungstypen " montre que Freud tient le plus grand compte du conflit actuel du névrosé. Mais il reconnaissait que ce n’était là qu’une réédition de conflits anciens et c’est pourquoi il insista sur la signification de ces derniers. Lorsque Jung considère le conflit actuel comme seul pour la compréhension de la névrose, ce n’est pas de sa part un idée originale ; ce n’est que réemprunter la fausse route de la neurologie non analytique que Freud nous a appris à éviter.

Après avoir rejeté comme purement historique la méthode freudienne. Jung est obligé de constater que " Freud reconnaît jusqu’à un certain point la finalité des névroses ". c’est peut-être bien là le comble de ce que Jung se soit offert dans sa " présentation " de la psychanalyse. Est-il vraiment nécessaire de rappeler ce que Freud a dit des tendances de la névrose, des symptômes comme moyen d’expression des désirs inconscients ? Il est vrai que Freud ne s’est pas laissé aller à amalgamer les tendances de la névrose à une finalité de style métaphysique. Je répugne à en dire plus. Tout ce qui a été fait est la propreté exclusive de Freud, tandis que Jung n’a rien ajouté d’autre que le vocable superflu " d’orientation finale ".

D’après Jung, le névrosé a fui les " devoirs " à accomplir dans la vie. Mais cette conception ne répond pas aux faits. Je ne citerai qu’une objection. Parmi les névrosés nous en trouvons beaucoup qui sont de véritables " hommes de devoir " et qui s’épanouissent pleinement dans leur travail et d’autres tâches. Si l’on approfondit leur cas, il s’est régulièrement régulièrement avéré que certaines inhibitions de la libido (je l’entends bien entendu, au sens sexuel) empêchement leur satisfaction et que le travailleur sert de satisfaction substitutive. La conception de Jung n’est pas un produit original mais uniquement la vieille conception freudienne du retrait devant l’exigence sexuelle réelle. Jung l’a simplement " désexualisé ", pour utiliser un mot de lui.

Chez Jung la signification de l’inconscient dans la névrose aboutit presque à n’être rien. Ainsi nous lisons : " Eux (les fantasmes névrotiques) ne sont souvent là que comme des attentes, des espoirs, des préjugés, etc. On les appelle inconscients. " Il est à peine besoin de souligner combien il s’agit là d’un délayage de " l’inconscient ". Jung ne donne aucune raison de cette modification de la conception psychanalytique de " l’inconscient ".

Jung semble éviter couramment le mot de " refoulement ". A sa place nous trouvons, entre des formulations obscures. Ainsi : " La libido ne fut pas reconnue ".

Il est question du " transfert " sans que Jung y ajoute quoi que ce soit d’essentiel. par contre le phénomène de " résistance " n’est pas pris en considération.

La fixation du névrosé à l’infantile est un point de vue freudien que Jung sacrifie complètement à la régression.

En fin de son écrit, Jung rapporte la psychanalyse d’une fille de onze ans. La négligence de l’inconscient donne également lieu à une grande confusion. Il est d’ailleurs remarquable que cette enfant s’oppose à bien des égards aux conceptions de Jung. Je ne fais que mentionner qu’elle eut une grande curiosité sexuelle vers l’âge de cinq ans, et qu’à cette période, elle exécutait des mouvements qui, de l’aveu de Jung, " obligent à reconnaître un soubassement sexuel ". cette formulation est à nouveau des plus obscures ! Jung voit dans une " sensibilité congénitale " la cause dernière de la névrose. Comme il reconnaît lui-même qu’il ne s’agit que " d’un mot ", la discussion reste ouverte. Là aussi il me semble que Freud nous a apporté quelque chose de tangible.

Je serai bref sur l’apport de Jung concernant la démence précoce ; là encore, je ne puis que me rallier au jugement de Ferenczi. Sur la question de la " perte de la réalité ", Jung prend comme point de départ le même passage de l’analyse de la paranoïa par Freud que dans ses travaux précédents. Des deux possibilités que Freud envisagea pour éclairer " la fin du monde ", il a négligé celle qui retenait Freud. Il tente de la " fonction du réel " (en français dans le texte). A mon sens, il ne réussit pas à réfuter Freud.

A bien des égards, les élucidations de Jung sur le rêve nous heurtent. Là aussi, Jung rend insuffisamment compte de la théorie freudienne lorsqu’il dit que la technique de l’interprétation consiste à " se rappeler d’ou viennent les fragment du rêve ".

Jung est dans l’erreur lorsqu’il définit l’interprétation freudienne des rêves comme une " méthode absolument historique ". Freud cherche justement les désirs que le rêve recèle sous divers travestissements. Ce travestissement n’est justement compréhensible que par une investigation historique. La tendance du rêve indique l’avenir ; mais il faut ajouter que dans son imagination inconsciente le rêveur voit l’avenir à l’image du passé le plus lointain.

Jung demande que la fonction " téléologique " du rêve soit appréciée à sa valeur, à côté de la simple détermination historique conçue par Freud. Cet élément " prospectif " du rêve nous est connu de longue date. Tout psychanalyste la rencontre quotidiennement. Dès l'Interprétation des rêves (1900), Freud a souligné que les projets et les aspect de ce genre ne sont que l’aspect superficiel du rêve ; la psychanalyse a justement pour tâche de dévoiler la couche plus profonde. Dans son Fragment d’une analyse d’hystérie, Freud a précisé son point de vue. La " tendance prospective " n’est donc pas non plus une découverte originale de Jung ou de Maeder, mais simplement une dénomination nouvelle d’une impasse que Freud a d’avance évité. Il en est de même pour la fonction similaire que Jung attribua à la névrose.

J’ai négligé ci-dessus toute un série de positions de Jung, puisque Ferenczi les a déjà abordées. Je souligne que c’est pour cette raison que j’ai résolu de ne pas aborder la technique psychothérapique de Jung.

Je crois cependant avoir prouvé que, contrairement à ce qu’il prétend, Jung n’a apporté un prolongement au développement organique des pensées freudiennes. Pour reprendre sa propre expression, il se place pratiquement " avec une nomenclature aussi modifiée que possible à un point de vue aussi opposé que possible ".

S’il déclare dans son préambule " qu’une critique modeste et mesurée est tout autre chose qu’un détachement ou un schisme ", je veux bien admettre qu’ainsi il se aller à se leurrer. Je ne vois quant à moi aucune raison d’éviter ces expressions. Je vais même plus loin, et je prétends que Jung n’a plus le droit de nommer " psychanalyse " les conceptions qu’il défend.

Je suis amené à cette opinion du fait que Jung a écarté les parties essentielles du tout de la théorie freudienne.

Ont en partie disparu, ou perdu leur signification, les composantes irremplaçables de la psychanalyse : la sexualité infantile, l’inconscient, le refoulement, le concept de la psychosexualité, la théorie du rôle des désirs dans le rêve et la névrose. Des autres aspects de la théorie frappés du même sort, je ne citerai que l’autoérotisme et le narcissisme, l’ambivalence les des sentiments, la sublimation et la formation réactionnelle. Je ne peux passer sous silence que certains aspects importants de la théorie psychanalytique ne sont même pas mentionnés dans le travail de Jung. A titre d’exemple, je cite la théorie de la névrose obsessionnelle, de l’angoisse et des états dépressifs.

Dans ces conditions, personne ne pourra voir dans mon refus radical des idées jungiennes une obstination dans une attitude partiale et renfrognée. Bien plutôt, je crois avoir prouvé que la présentation par Jung aboutit à une déformation de la théorie psychanalytique. Le travail de Jung m’apparaît comme infiltré surtout de tendances destructrices et régressives ; je ne parviens pas à y trouver une réalisation positive constructive.

Jung renie son intention première de ne prendre comme guide que la vérité et non le sentiment moral, en abordant la sexualité infantile et l’inconscient selon des valeurs éthico-théologiques. C’est contre cette dernière attitude que je veux m’élever en terminant. Il s’agit de préserver la psychanalyse contre des influences qui voudraient en faire ce que fut, dans le temps, la philosophie : ancilla theologiae.