L’éjaculation précoce

Dans la pratique quotidienne du neurologue, nul trouble n’est aussi fréquent que l’éjaculation précoce. Ce trouble est connu non seulement des médecins mais aussi des non-médecins: l’éjaculation aussitôt la pénétration ou même la précède et simultanément l’érection disparaît. Cette description ne rend cependant que grossièrement compte de cette affection. Il est vrai que des travaux plus approfondis ont traité de l’éjaculation précoce, mais ils ne saisissent pas non plus son essence; la constitution du trouble n’est pas élucidée.

L’éjaculation précoce n’a pas fait l’objet d’une investigation dans la littérature psychanalytique. Il n’en a été question jusqu’ici que dans le cadre général des impuissances. Il en est ainsi des écrits de Steiner (1907) et de Ferenczi (1908). Le premier de ces auteurs donne une vue ramassée des faits recueillis par la psychanalyse dans ce domaine. Ferenczi s’occupe plus précisément de l’origine des troubles. Dans son écrit les causes inconscientes de l’impuissance prennent leur pleine valeur. Mais la prise en considération particulière de l’éjaculatio praecox ne s’y trouve pas non plus.

Et pourtant la littérature psychanalytique offre les bases qui peuvent permettre d’établir une investigation plus précise. A côté des œuvres de Freud, il faut rappeler certaines communications importantes de Sadger; je serai amené à m’y référer à maintes reprises.

J’ai eu l’occasion de traiter l’éjaculation précoce chez un certain nombre de névrosés. Il n’est pas dans mon intention d’exposer ici l’un ou l’autre de ces cas. Bien plutôt, je rapporterai les résultats de mes analyses précises sous une forme condensée, et dans la mesure ou je leur accorde une valeur générale.

L’urètre comme zone érogène privilégiée

Comme nous l’avons mentionné, à bien des égards la description habituelle de l’éjaculation précoce et incomplète. Si l’on a des patients qui s’observent bien et que l’on suive attentivement leur description et leurs associations libres, on relève un fait qui n’a pas été suffisamment pris en considération jusqu’ici. On apprend en effet que leur éjaculation ne résulte pas d’une activité expulsive rythmique mais qu’il se produit un écoulement sans force. Lorsqu’il n’y a pas de mouvements corporels actifs et d’érection maximale, ni de contractions rythmiques de la musculature, lorsque l’écoulement du sperme se fait " ante portas ", ce n’est guère qu’en tant que substance que le sperme évoque l’excrétion normale des produits sexuels. La ressemblance de l’éjaculation précoce avec un autre processus physiologique, la miction, devient frappante. Celle-ci s’accommode du repos corporel, d’un membre non érigé et d’une contraction musculaire étale (non rythmique).Aussi peut-on concevoir l’éjaculation précoce comme l’amalgame de deux processus: eu égard à la substance émise, c’est une éjaculation, eu égard au mode de production, c’est une miction. Il est surprenant de constater la régularité des associations des patients qui tôt ou tard aboutissent à cette donnée. Avant d’y parvenir, on apprend de nombreux faits qui permettent de conclure au plaisir pris à uriner et à l’érogénéité marquée de l’urètre chez ce groupe de névrosés. Mais il ne faut pas méconnaître une différence considérable entre l’éjaculation précoce et la miction, que les associations des patients nous apprennent également. La miction s’effectue sous la pression d’une excitation qui ne peut être longtemps surmontée au cours de la petite enfance, cependant le moment même est soumis, pour une bonne part, à la volonté. Jusqu’à un certain point, il en est de même de l’éjaculation normale. L’éjaculation précoce, par contre, est essentiellement indépendante de la volonté du patient. Consciemment il souhaite l’accomplissement normal de l’acte sexuel. Il est à chaque fois surpris, comme d’un événement extérieur, par son éjaculation qui se fait de façon précipitée. Bien des patients nous disent éprouver au moment prématuré ou s’accomplit l’éjaculation un sentiment de honte lié à de la peur ou à une accélération de leur cœur. L’éjaculation précoce se produit donc à l’insu de la volonté consciente de l’individu. si initialement elle pouvait évoquer la miction normale, nous allons dorénavant être obligés de modifier cette conception. Dans le dessein d’établir une comparaison nous traiterons de la miction telle qu’elle a lieu dans la petite enfance. L’écoulement passif du sperme tel qu’il se produit au cours de l’éjaculation précoce concorde parfaitement avec la miction involontaire de la première enfance, incontinence qui, on le sait, peut se prolonger chez les névrosés jusqu’à un âge avancé, sous une forme plus ou moins marquée. Les associations libres des patients nous livrent un matériel qui nous conduit très précisément vers cette solution. Si nous les suivons sans préjugés, nous obtenons des données anamnestiques très semblables d’un cas à l’autre. en dehors des réminiscences concernant la miction volontaire et le plaisir qu’elle procurait dans l’enfance, nous apprenons qu’il fut difficile d’habituer ces patients à la propreté, qu’à l’âge adulte il leur arrivait de perdre involontairement de l’urine en plus ou moins grande quantité, que tard dans l’enfance, ils mouillaient leur lit, que les excitations de toutes sortes suscitaient une invincible envie d’uriner. ces mêmes sujets qui n’ont acquis que tardivement et éventuellement imparfaitement la maîtrise de leur fonction vésicale ont tendance à perdre leur sperme prématurément et de façon précipitée. Ils font valoir l’identité de l’impression corporelle que leur donnent et l’éjaculation précoce et l’incontinence urinaire. D’autres souvenirs infantiles importants seront mentionnés par la suite: ils concernent le plaisir exhibitionniste d’uriner sous les yeux d’autrui et de bénéficier de son aide. Les névrosés dont il est question ici sont restés fixés à un certain point du développement de leur libido. De façon infantile, ils tirent plaisir de l’écoulement de leurs produits corporels. Cependant, l’éjaculation précoce a simultanément une signification de plaisir et de déplaisir. Ne pouvant aboutir au plaisir maximal sur le mode fort, viril de l’activité, ils en sont réduits au plaisir le plus grand pour eux, celui de l’écoulement passif. D’autre part, l’éjaculation précoce leur est une source de déplaisir. Ils souffrent de sentiments pénibles d’insuffisance; ils éprouvent une peur nerveuse lorsque apparaît l’éjaculation prématurée. Fréquemment, ils se la reprochent. Cet état d’ambivalence doit être souligné. En règle générale le caractère déplaisant de l’éjaculation précoce n’est pas pris en considération. Chez un patient l’aspect plaisant est accentué; chez un autre, c’est l’inverse. Ce que nous avons dit jusqu’ici permet de percevoir que la libido des névrosés souffrant d’éjaculation précoce présente un manque d’activité virile. Cela nous familiarise avec une autre particularité de la vie sexuelle de ces névrosés; mais nous ne nous y attarderons pas pour le moment pour étudier de nouveau le plaisir excrétoire de ces patients. Si le plaisir urétral est trop accusé, ce " trop " sera compensé par un " trop peu " par ailleurs. L’examen d’une série de cas clairs nous apprend –malgré les nuances individuelles -que chez tous ces patients la zone génitale (au sens strict) n’est pas devenue directrice. Il faut rappeler ici les données fondamentales de Freud déjà contenues dans les trois Essais sur la théorie sexuelle. A l’avènement de la puberté, le primat de la zone génitale s’instaure chez l’enfant masculin, tandis que les autres zones érogènes en deviennent tributaires. Elles fournissent le plaisir préliminaire tandis que l’excitation de la zone génitale (en particulier du gland du pénis) conduit à la satisfaction complète. Pour le sexe féminin, l’âge de la puberté est celui ou l’érogénéité la plus marquée à se déplacer au vagin; l’établissement de cette zone directrice est souvent gêné du fait de la persistance de l’excitabilité infantile prévalente du clitoris, c’est-à-dire de l’organe qui est l’homologue du pénis chez la femme. Le passage de l’accentuation érogène du clitoris à l’orifice de la vulve constitue, comme Freud l’a clairement dit, l’abandon d’un trait masculin de la sexualité féminin. Si le clitoris prévaut par contre, l’inexcitabilité de la femme pendant l’acte sexuel donne lieu à ce que l’on nomme la frigidité. De fait, dans de nombreux cas d’éjaculation précoce, il se révèle que la surface du gland pénien de ces patients est peu excitable. Ils ont souvent une intolérance à l’emploi de préservatifs: la couche protectrice enlève aux terminaisons nerveuses de la muqueuse le peu d’excitabilité dont elles disposent. Une partie des cas semble en contradiction complète avec cette constatation. Ce sont les névrosés pour lesquels le moindre contact sexuel avec le corps de la femme – particulièrement le plus léger contact manuel de sa part – suffit à provoquer l’éjaculation. Cette hyperexcitabilité de la zone génitale n’est cependant nullement le signe de sa primauté, mais au contraire l’expression de son impuissance. Les fonctions génitales masculines propres (érection, pénétration, friction du sexe féminin) en sont exclues. Dès avant le début même de l’érection, il y a écoulement séminal que nous avons reconnu comme l’équivalent de l’incontinence d’urine. Ce n’est que par la suite que ce mode nous deviendra entièrement compréhensible. Tandis que dans la frigidité le gland du clitoris a pour ainsi dire monopolisé toute l’excitabilité, il se passe l’inverse dans l’éjaculation précoce de l’homme. le gland pénien a perdu son excitabilité normale: la sexualité de ces hommes a de ce fait perdu son caractère proprement masculin. L’éjaculation précoce et la frigidité féminine comportent d’autres correspondances. A côté de la réduction de la sensibilité générale, il y a souvent chez ces patients une érogénéité particulière du périnée et de la partie postérieure du scrotum. Cette région, du point de vue de l’histoire du développement, correspond à l’entrée du vagin et à son pourtour. La relation entre l’éjaculation précoce et la frigidité féminine pourrait donc se formuler comme suit: la zone directrice correspondant à l’appartenance sexuelle a cédé la signification qui lui revient à la partie du corps qui représente l’équivalent de la zone directrice chez l’autre sexe. Les sensations de plaisir de l’éjaculation précoce sont d’ailleurs localisées dans la partie périnéale de l’urètre masculin. Cette musculature mérite une attention particulière car elle sert à l’élimination su sperme. Sa fonction s’accomplit normalement sous forme de contractions rythmées. Au cours d’une éjaculation précipitée, il y a un affaissement, comme au cours de la miction. Il est remarquable que chez certains de nos patients, la musculation périnéale exécute des contractions spontanées. Cela a la valeur d’un symptôme névrotique indépendant de la conscience. Je mentionnerai les crampes périnéales, souvent décrites par les patients. La conception de l’éjaculation précoce telle qu’elle apparaît sur la base des investigations psychanalytiques semble en contradiction avec un fait. Dans la grande majorité des cas, l’éjaculation prématurée ne survient que lors d’une tentative d’acte sexuel et non au cours de l’excitation masturbatoire. On peut se demander pourquoi dans ce cas le compromis entre éjaculation et miction n’a pas lieu. A cette objection nous pouvons pour le moment opposer l’hypothèse que c’est la rencontre avec la femme qui suscite le trouble névrotique; mais il nous reste alors à connaître plus précisément la position des névrosés, qui nous retiennent ici, par rapport au sexe féminin.

Destins des pulsions masculines actives

Sans les délimiter trop précisément l’un par rapport à l’autre, on peut diviser en deux groupes les névrosés qui souffrent d’éjaculation précoce. On trouve ce symptôme chez des hommes qui du fait de leur mollesse, de leur absence d’énergie, de leur passivité, paraissent peu virils. D’autre part, on le rencontre chez des hommes fébriles hyperactifs, toujours pressés. La contradiction apparente est facile à résoudre pour le psychanalyste. Toute activité qui ne parvient à son but que par la hâte et la précipitation se révèle menacée d’obstacles. Le névrosé hâtif est en fuite devant des résistances inconscientes personnelles; il est obligé de mettre ses projets à exécution avec une hâte fébrile avant que ses résistances ne surgissent et ne l’obligent à se résigner. Le névrosé apathique a abandonné ce combat; l’hyperactif s’en défend. Les hommes atteints d’éjaculation a abandonné ce combat; l’hyperactif s’en défend. Les hommes atteints d’éjaculation précoce sont dotés de résistances très marquées, en partie conscientes, en partie inconscientes, à l’encontre des performances spécifiquement masculines, actives. Les névrosés à prédominance apathique expriment généralement une répugnance consciente à l’égard de l’activité sexuelle. Ils ont même le désir sans fard d’assumer le rôle féminin. Un tel patient que je suivais préférait le rôle de succube et en donnait une justification rationnelle: s’il payait une fille, il ne voulait pas par-dessus le marché avoir un effort à fournir; bien plutôt, la fille pouvait bien " travailler " pour la peine. Il est clair qu’un névrosé qui présente un tel degré de répulsion à se mouvoir n’est pas précisément un sujet favorable pour un traitement médical, surtout s’il prend consciemment parti pour son anomalie. Son objectif mental est d’arriver à la satisfaction sexuelle sans aucun effort actif. Les hyperactifs, ceux qui vivent dans une hâte perpétuelle, voient souvent dans le coït un devoir pénible dont il faut se débarrasser au plus vite. Cette hâte ne cède pas au cours de leurs relations avec une femme. Des facteurs inconscients font alors que, pour ces névrosés, l’acte sexuel se termine précipitamment, avant même que d’avoir vraiment commencé. La répugnance aux activité motrices concerne d’autres domaines encore. Je mentionne simplement la conduite de ces patients vis-à-vis du sport. Fréquemment, il ont une aversion pour tout travail musculaire; d’autres pratiquent le sport. Fréquemment, il ont une aversion pour tout travail musculaire; d’autres pratiquent le sport avec un amour- propre exagéré, et d’une façon fébrile et précipitée, pour s’en détacher brusquement lors d’un échec. Mais le manque de ressort, la passivité de ces névrosés sont une manifestation réactionnelle, chaque psychanalyse nous l’apprend à nouveau. Il se révèle qu’elle apparaît en lieu et place de pulsions sadiques violentes trop prononcés. La tendance de ces névrosés aux paroles excessives, à la rage et aux actes de violence est très marquée si elle n’est pas inhibée par un autre trait de caractère également caractéristique: la lâcheté. La violence démesurée et la paralysie de la combativité masculine normale voisinent ici de prés. L’alternance fréquente d’amour- soulignée dans ce groupe de névrosés. Cette description touche à toute une série de manifestations qu’il est habituel de rencontrer à côté de l’éjaculation précoce chez les névrosés. Mais nous sommes restés en surface. Laissons-nous guider par les associations des patients et nous apprendrons qu’originellement leur libido avait bien une composante sadique. En effet, la psychanalyse nous enseigne que dans la plupart des cas il existe, à côté de la position non virile- passive, ou précipitée- active, une position offensive- cruelle vis-à-vis de la forme. Les rêves et les fantasmes nous apprennent souvent qu’ils s’imaginent tuer la femme par le coït. Dans ces imaginations, le pénis est l’arme du sadisme. Nous constatons assez souvent le résultat de la modification réactionnelle entraînée part de telles pulsions. Le sexe de l’homme ne doit alors plus être dangereux; il ne doit pas entrer vis-à-vis de la femme dans un état ou il pourrait être au service du sadisme. La flaccidité et l’éjaculation précoce écartent ce danger. De plus bien des patients craignent en exécutant l’acte sexuel de faire souffrire la femme. Il ne leur reste un peu de puissance que s’ils ont la certitude de son consentement total. Leurs pulsions agressives sont à ce point écrasées que toute initiative sexuelle proprement dite leur est impossible. Certains ne peuvent nouer aucune relation de leur propre initiative; d’autres sont capables d’ébaucher une relation mais ils abandonnent leur activité au moment ou ils doivent passer à l’acte corporel. L’un de mes patients était en général impuissant, au début de son mariage. Il se sentait hostile et agressif à l’égard de sa femme. La plus légère dispute le rendait totalement inopérant. Il avait cependant une puissance relativement bien meilleure lorsqu’il s’était réconcilié avec sa femme. Une activité sexuelle lui était donc accordée lorsque momentanément les raisons d’hostilité et de vengeance disparaissaient. Des associations plus précises nous prouvent que pour l’inconscient, l’éjaculation précoce est le contraire achevé de l’assassinat. il n’est pas rare que la représentation inconsciente et parfois consciente de sa propre mort soit liée par le sujet à son éjaculation précoce. C’est une mort par alanguissement; certains patients l’expriment en disant se sentir disparaître, fondre. Il est significatif que fréquemment l’éjaculateur précoce éprouve une impression d’évanouissement. La peur qui accompagne souvent l’éjaculation précoce objective également la perte de l’activité masculine. Ce sont plus particulièrement les patients vivant dans une hâte fébrile qui l’éprouvent. Cette hâte et cette peur nous rappellent à nouveau ce comportement des femmes frigides qui vivent dans une précipitation continuelle. La curieuse peur de ces femmes de " ne pas arriver à finir " et qui concerne tous les actes de la vie quotidienne, nous la trouvons chez nos névrosés masculins. Ils se débarrassent de leurs fonctions sexuelles comme s’ils allaient être dérangés à chaque instant. Cette peur d’être dérangé est étroitement reliée dans l’inconscient des patients à leur relation au père. Ils craignent l’œil omniscient du père et sa main qui punit. Nous nous trouvons ici en terrain connu; la peur de castration, dont Freud a reconnu la signification dans la vie psychique du jeune garçon et dans l’inconscient de l’homme adulte, est également à l’œuvre dans la psychogenèse de l’éjaculation précoce. Les patients en question éprouvent une crainte marquée du sexe de la femme. Il a pour eux un caractère insolite. La psychanalyse confirme régulièrement que le manque d’un pénis chez la femme a suscité initialement cette peur de castration. L’approche physique de la femme réveille toujours à nouveau cette crainte. Il est une autre peur proche parente de celle-ci, celle de perdre son pénis du fait de l’acte sexuel. Fréquemment les patients informent le médecin d’une peur qui ne les a pas quittés depuis la puberté. Il s’agit de la phobie de ne plus pouvoir retirer le pénis du corps de la femme, mais de devoir l’y abandonner. Cette peur qui prend appui sur une théorie sexuelle infantile, est ravivée au moment de la puberté. D’après cette théorie la femme dérobe le sexe de l’homme en l’arrachant ou le coinçant au cours du premier et unique accouplement. Une telle peur contribue à son tour à expliquer le fait d’un élan de la libido et d’une érection mais disparaissant dès la pénétration ou dès le moment de l’approche physique. De telles raisons inconscientes font qu’au dernier moment le patient se met en sécurité; consciemment, il réagit avec sentiment d’insuffisance très vif et pénible à cette retraite peu virile. Dans quelques cas, les associations des patients fournissent la preuve que leur éjaculation précoce était une façon de s’émasculer aux yeux de la femme. Nous éluciderons par la suite les fantasmes de ce type. Il est une forme d’expression de la réduction de l’activité sexuelle de nos patients. Nous savons avec quelle fréquence les résistances névrotiques à accomplir un acte se manifestent comme une maladresse au cours de son exécution. Les névrosés atteints d’éjaculation précoce ont souvent une maladresse de ce genre dans leur vie sexuelle. Leur incapacité à pénétrer la femme sans son aide est typique. C’est surtout pour cela qu’ils craignent de rencontrer une femme sexuellement inexpérimentée qui ou bien ne peut rien leur apprendre dans ce domaine, ou bien ne peut rendre de tels services. Une autre explication de ce comportement sera envisagée par la suite.

Le narcissisme comme source de résistance à la sexualité

Notre investigation nous a indiscutablement montré que le développement de la libido a subi une inhibition chez nos patients. Ils n’ont pas accédé à la position normale de l’homme à l’égard de la femme; leur sexualité présente bien plutôt un grand nombre de traits infantiles; plus exactement: leurs émotions sont normales dans la mesure ou leur libido va consciemment – sinon exclusivement, du moins pour des patients, il est vrai, il est difficile d’ébaucher une relation avec la femme; mais ils ont cette particularité en commun avec d’autres névrosés. Ce n’est qu’au moment de l’activité sexuelle au sens strict qu’ils réagissent d’une façon anormale qui leur est spécifique. A l’encontre de leur volonté consciente ils ont alors un trouble qui provient d’un courant libidinal inconscient. Nous savons déjà que ce courant est de type infantile. Leur tendance est de ne pas laisser s’accomplir l’acte sexuel proprement dit. A sa place se produit un écoulement séminal sans force, comparable à l’incontinence de l’enfant. le comportement moteur actif de l’homme est remplacé par une passivité totale.

La question qui se pose alors est celle du type et de l’origine des résistances inconscientes empêchant l’individu de se situer normalement à l’égard de l’autre sexe. A cet égard, les psychanalyses incriminent toutes le narcissisme; non pas au sens d’une régression complète de la libido à ce stade infantile, comme Freud l’a montré pour les maladies paranoïdes. Il s’agit plutôt de l’influence perturbatrice de tendances narcissiques refoulées qui ne sont pas parvenues à une suprématie totale. Elles manifestent cependant leur puissance en contraignant le sujet à certains compromis au quels appartient également le trouble de la puissance sexuelle dont nous traitons.

Une observation même temporaire de certains des patients souffrant d’éjaculation précoce nous conduit à cette conception. On reconnaît dès l’abord dans leur habillement et leur présentation un degré inhabituel de coquetterie. La moindre remarque critique peut les mettre dans un état de rage démesuré. Ils exigent l’admiration de leur entourage et manifestent un amour – propre morbide.

La psychanalyse dévoile totalement ce narcissisme. Elle découvre régulièrement un amour objectal très déficient; c’est le patient lui- même qui est son propre objet d’amour. conformément à l’expérience que nous a communiquée Freud, nous trouvons chez ces malades une valorisation du pénis reliée à des expressions affectives anormales. Elle s’exprime en particulier dans la peur excessive de la perte ou de l’endommagement de l’organe dont nous avons déjà parlé.

Mais la psychanalyse de chaque cas d’éjaculation précoce nous apporte bien d’autres manifestations du narcissisme. Pour les estimer à leur juste valeur, il nous faut jeter un regard en arrière vers les phénomènes correspondants de l’enfance.

Les premières satisfactions libidinales de l’enfant lui sont données à l’occasion des fonctions corporelles comme l’alimentation et l’excrétion. La première sympathie de l’enfant s’adresse aux personnes qui lui procurent la nourriture, les soins, etc. par le fait même qu’elle s’occupent de son corps, elles suscitent des sensations de plaisir par excitation des zones érogènes; l’enfant les reçoit comme des cadeaux.

Nous appelons narcissisme ce stade du développement de la libido ou l’enfant est à ses yeux le centre d’un monde encore limité et ou il reçoit des preuves d’amour d’autres personnes sans offrir de contrepartie.

Les relations avec l’objet d’amour continuent à se développer. L’enfant commence à donner son bien à l’autre personne. Les produits de son corps sont, dans les représentations qu’il en a, des parties de son corps. Ils sont en premier lieu la monnaie avec laquelle l’enfant paie. Ces produits sont marqués d’une surestimation narcissique. C’est une expérience facile à faire que de constater qu’un enfant qui passe de main en main dans le cercle de la famille mouille toujours certaine personne selon un choix mystérieux. C’est là une preuve primitive d’amour, bien antérieure au baiser et à l’embrassade qu’il n’apprend que par imitation. Elle nous rappelle le mode de salutation de certains peuples primitifs. Si l’on donne à un autre un produit corporel, par exemple de la salive, cela signifie: je te donne du mien – qui m’est précieux – c’est donc que je te veux du bien!

L’anamnèse infantile de nos patients nous a permis de constater la valeur de plaisir particulière de la miction et par ailleurs aussi la valorisation démesurée du pénis, habituelle au narcissisme infantile. Manifestement le premier fait est dû à une particularité constitutionnelle. S’il est normal que le pénis soit hautement valorisé au stade du narcissisme infantile – qui se fonde aussi bien sur le plaisir du contact que sur celui de l’excrétion, alors les conséquences possibles d’un plaisir urétral constitutionnellement renforcé sont évidentes. En un temps ou le sujet s’est depuis longtemps tourné vers l’amour objectal normal, il portera en lui un penchant marqué à demeurer narcissique. De plus, la surestimation du pénis comme organe de la miction se fixera tout particulièrement dans les représentations de l’enfant. si par la suite une exigence sexuelle proprement dite s’impose à cet organe, il s’y dérobe. La conséquence en est le compromis que nous avons déjà reconnu dans l’éjaculation précoce.

Ce n’est que maintenant que nous comprenons le but sexuel inconscient de l’éjaculation précoce. Le but sexuel normal est l’accouplement avec la femme; le rôle de l’homme est d’y accomplir une action motrice qui devra lui apporter satisfaction de même qu’à la femme. La tendance à l’éjaculation précoce est toute différente.

La libido de nos patients stagne pour une bonne part au stade du narcissisme. De même que le petit garçon mouille sa mère de ses urines, de même le névrosé mouille la femme par une éjaculation anticipée. Nous pourrons désormais discerner la valeur de substitut maternel de cette femme.

La mère ou celle qui le soigne est amenée à toucher le sexe du petit garçon, aussi bien lorsqu’elle l’aide à uriner que lorsqu’elle le lave et le sèche. Les associations que le patient tire de son inconscient nous montrent le plaisir pris à ces contacts. L’un de ses désirs sexuels inconscients est d’avoir son sexe touché par la femme, puis d’éjaculer sous une forme proche de la miction.

Ici encore la signification maternelle de la femme est transparente. Une particularité, déjà mentionnée nommément, nous devient compréhensible: la tendance des patients à se faire aider manuellement par la femme au cours de la pénétration. Le contact plaisant du pénis était naguère l’une des preuves d’amour les plus remarquables de la part de la mère. L’éjaculateur précoce, comme nous le savons, voudrait non pas aimer mais seulement être aimé. Dans ce but, son inconscient tente de récupérer les chemins de la petite enfance.

Parmi ces chemins, il en est un que nous n’avons pas envisagé et que les associations des patients soulignent pourtant.

Le don des produits de son corps n’est pas la seule manifestation d’amour de l’enfant au stade du narcissisme. L’exhibition est une autre forme de preuve d’amour et de tentative de séduction.

C’est tout particulièrement au cours du deuxième semestre de la troisième année et du premier semestre de la quatrième année que les garçons aiment s’exhiber à leur mère, en particulier lorsqu’ils urinent et n’ont plus besoin de l’aide maternelle comme auparavant; un garçon de cet âge dont l’érotisme anal ne dépassait pas la norme demandait souvent à sa mère s’il devait lui montrer son pénis. Pour nommer cette partie de son corps, il avait une expression personnelle. S’il avait uriné il demandait fréquemment si c’était "  beaucoup ". Ici, le narcissisme, le besoin d’être admiré étaient particulièrement nets. Lorsque les parents se trouvèrent lorsqu’une vague arrivait. Questionné à ce sujet, il répondit: " pour qu’il y ait vraiment beaucoup d’eau. " manifestement, le narcissisme de l’enfant était satisfait à l’idée de se représenter que toute la mer était issue de lui.

Cet orgueil narcissique de la quantité produite qui s’exprime sous des formes si variées est également apparent dans l’éjaculation précoce. Comme nous l’avons mentionné, certains patients sont fiers de l’éjaculation qu’ils ont pu réussir non pas dans le corps de la femme, mais en quelque sorte devant ses yeux.

L’éjaculation précoce comporte donc également une tendance exhibitionniste ou se perpétue la croyance liée au narcissisme infantile, selon laquelle les avantages personnels, en particulier le pénis et la miction, exercent un charme irrésistible sur la femme (la mère).

Nous avons déjà fait allusion à une croyance s’expliquant du fait du narcissisme. Certains patients se bercent de l’illusion que l’éjaculation précoce est le signe d’une passion toute particulière. A cette illusion s’en joint occasionnellement une seconde: celle que l’éjaculation précoce est le signe d’une virilité anoblie par contraste avec la grossièreté agressive d’autres hommes. le symptôme issu du narcissisme refoulé est dans un second temps justifié de façon narcissique. Le but d’un tel comportement est facile à comprendre.

Le patient, par sa délicatesse, voudrait triompher auprès de sa mère, de son père considéré comme violent et grossier. La représentation de la violence du père tire sa source de certains événements vécus par l’enfant; il a épié les relations de ses parents et les a conçues comme un acte violent du père. Sa maturation sexuelle acquise, cette théorie " sadique " du coït persiste dans l’inconscient du fils.

L’acte sexuel normal paraît alors un acte cru. L’éjaculation précoce s’adresse en quelque sorte à la délicatesse féminin de la mère; elle veut dire regarde, je m’approche de toi avec plus de douceur que mon père!

Mais il ne faut pas méconnaître qu’une telle exhibition devant la femme (la mère) a un caractère ambivalent. Ce n’est pas seulement une preuve d’amour avec désir d’être admiré et touché, c’est en même temps un signe de refus de la femme. D’après une expérience psychanalytique unanime, il s’agit là d’une hostilité très accentuée qui se fait surtout valoir sous la forme d’un dédain de la femme.

L’hostilité vient de sources infantiles, en particulier de la jalousie infantile. Le mépris de la femme s’explique aisément par la surestimation du pénis. La femme a moins de valeur, elle est méprisable car cette partie corporelle lui manque. Ceux qui souffrent d’éjaculation précoce sont souvent des détracteurs de la femme; ils ne peuvent assez se gausser de l’ " imperfection " des femmes. Dans certains cas, cette façon de voir s’exprime dans une hostilité très marquée à l’égard des mouvements féminins actuels.

Nous arrivons ainsi à cette conclusion étrange que l’éjaculation précoce est aussi une certaine forme d’hostilité et de mépris que le patient apporte dans ses relations avec les femmes en général ou une femme isolée. Plusieurs patients m’éclairèrent sur cette donnée sue j’avais méconnue auparavant. L’éjaculation précoce – et plus précisément celle qui se fait ante portas – est une façon de souiller la femme avec un produit représentant l’urine. il faut rappeler ici le caractère ambivalent qui marque le don des excréments à une autre personne. Nous les avons vus comme expression de la sympathie enfantine. Une comparaison avec la psychologie collective nous éclairera ici. Le crachat en direction d’une autre personne, de salutation amicale qu’il fut chez certaines peuplades, est devenu, au fur et à mesure du refoulement, c’est–à-dire du développement culturel, le signe le plus marqué du mépris. Tout enfant cependant traverse un stade qui correspond à la conception des primitifs: c’est le stade du narcissisme. Une petite fille de quatre ans dit un jour de sa salive que c’était une " eau de langue belle et pure " mettant au jour une valorisation narcissique non autorisée par l’éducation. Ce qui, par la suite, paraîtra répugnant et impur, apparaît à ce stade sous un jour inverse. A cet égard, soulignons que le petit enfant et le primitif n’ont aucun dégoût de l’urine. il n’est que d’évoquer le fait que certains peuples noirs lavent à l’urine leurs ustensiles culinaires. La valorisation narcissique des produits du corps est encore au premier plan chez eux.

Une autre tendance est étroitement liée à l’intention inconsciente de souiller la femme. D’un cas à l’autre, mes psychanalyses me confirment toujours que le fait de mouiller la femme est aussi un acte d’opposition. c’est le devoir de la mère d’éduquer l’enfant à la propreté, à la maîtrise de ses sphincters. Si la mère devient objet d’hostilité et de mépris, l’enfant s’oppose violemment à ses volontés par un entêtement que nous rencontrons assez souvent chez les névrosés adultes. Ainsi, l’éjaculation précoce est aussi un retour oppositionnel à la forme spontanée de miction de la première enfance.

Nous avons pu montrer précédemment que la souillure de l’objet d’amour par l’urine ou un autre produit corporel est l’expression narcissique infantile de la sympathie, mais une analyse plus approfondie nous offre l’exemple d’une ambivalence marquée et nous apprend à nouveau le caractère de compromis de l’éjaculation précoce.

Le névrosé ambivalent à l’égard de la femme lui donne, mais apparemment seulement, une part de ses biens corporels par voie d’éjaculation précoce. En réalité, son attitude hostile le porte à veiller jalousement sur ce qu’il possède. La femme n’obtient rien: il épargne sa force physique, il ne donne pas de plaisir à sa partenaire; il répond son sperme mais ne le donne pas, il ne lui donne pas d’enfants. au contraire, il suscite l’attente et la déçoit.

Comme nous l’avons montré, chacun de nos patients a une position passive à l’égard de la femme. Il est constamment dépendant de sa mère et il lutte contre dépendance d’origine inconsciente. La lutte défensive apparaît comme une lutte contre cette dépendance d’origine inconsciente. la lutte défensive apparaît comme une lutte contre la femme. Mais dans ce combat le patient ne dispose pas d’une activité virile complète. Il en est réduit à décevoir les femmes et avec chacune, il se venge déceptions amoureuses auxquelles, enfant, il fut exposé par sa mère, et qui se répètent à un âge plus avancé.

Mentionnons certaines manifestations, de même source, qui vont de pair avec l’éjaculation précoce et qui infiltrent le comportement social des patients. Conformément à leur narcissisme et à l’ambivalence de leurs sentiments, ils oscillent entre un transfert précipité et une retenue timorée. Plus d’un réagit à une opinion différente de la sienne, A une critique, etc., par un éclat de rage ou de colère ou bien par une attitude renfrognée de repli.

La convergence de certains traits de caractère est si typique de notre groupe de névrosés qu’on peut déduire de leur existence la vraisemblance psychanalytique de Berlin, il fut un jour question des troubles affectifs d’un névrosé. Dans la discussion, je fis – sur la base du comportement social décrit par l’orateur – la supposition qu’il s’agissait d’un éjaculateur précoce, ce qui me fut immédiatement confirmé.

Je voudrais faire allusion à un trouble névrotique moins connu dans les cercles médicaux. Par sa forme, il s’oppose à l’éjaculation anticipée, mais il lui est intimement apparenté. On peut l’appeler l’impuissance à éjaculer (impotentia ejaculandi). Chez certains névrosés, l’éjaculation ne se produits pas du tout au cours de l’acte sexuel. Ici aussi, il y a refus sexuel issu du narcissisme. Chez ces patients la rétention est la tendance prévalente. L’effet est le même que dans l’éjaculation précoce: c’est le narcissisme qui l’emporte et la femme est déçue. Il est à peine besoin de mentionner que toutes les transitions existent entre l’apparition normale de l’éjaculation, sa précocité ou son absence. L’éjaculation retardée n’est pas un symptôme névrotique rare.

La tâche du traitement psychanalytique, c’est de délivrer le patient de sa position narcissique et de lui montrer la direction d’un transfert sentimental normal ; si l’on parvient à lever son refus narcissique de la femme, la voie est libre pour des relations sexuelles normales; de façon toute semblable, on parvient bien à lever l’homologue féminin de l’éjaculation précoce, la frigidité.

Bien entendu, il y a variations d’un cas à l’autre ; des troubles légers apparaissent épisodiquement chez des hommes prédisposés et peuvent disparaître sans aucun traitement, évidemment avec un risque de rechute. Même dans les cas opiniâtres et récalcitrants, la psychanalyse apporte un résultat thérapeutique ou, pour le moins, une amélioration. Du point de vue du pronostic, il semble que les cas les moins favorables soient ceux ou l’éjaculation précoce apparaît avec la maturité sexuelle et se maintient au cours des années suivantes. Il s’agit ici de cas avec une prévalence marquée de l’érotisme urétrale sur l’érotisme génital, ou le plaisir de l’éjaculation précoce prime sur ses désagréments.

Le traitement de cette affection compte parmi les tâches les plus difficiles du psychanalyste, car il doit engager la lutte avec le pouvoir considérable du narcissisme de ces malades. Une application patiente et conséquente de la méthode lui permettra cependant de vaincre ces difficultés.