Le pronostic du traitement psychanalytique chez les sujets d’un certain âge

Les conditions qui permettent de prévoir le succès thérapeutique d’un traitement psychanalytique n’ont jusqu’alors pas été considérée une à une. Freud a répondu à cette question sous une forme générale dans un petit écrits de 1898, figurant dans les Kleine Schriften zur Neurosenlehre. Entre temps, l’expérience psychanalytique s’est multipliée, la technique thérapeutique a continué à se développer. De ce fait, une question d’une telle importance pratique nous semble mériter d’être considérée plus précisément. Les pages suivantes constitueront une première contribution à une réponse.

Dans le travail cité, Freud considère qu’un âge trop avancé du patient limite l’efficacité de la psychanalyse. D’une façon générale, c’est indubitablement exact. Il était d’emblée vraisemblable qu’avec le début de l’involution physique et psychique, l’individu ne renoncerait pas à une névrose qui l’avait accompagné sa vie durant. Mais l’expérience psychanalytique quotidienne nous apprend à ne pas appliquer des normes rigides. Elle nous prévient d’aborder l’élucidation ou le traitement des états nerveux avec des idées préconçues. Aussi bien avons-nous pu nous convaincre de l’accessibilité de certaines maladies mentales à la méthode psychanalytique, maladies dont l’incurabilité était un dogme de la psychiatrie ! C’est pourquoi il semble injuste de dénier toute possibilité thérapeutique concernant les névroses de l’involution. La psychanalyse en tant que science a bien plutôt à chercher si sa méthode curative peut donner des résultats à un âge tardif et dans quelles conditions.

Dans le cercle de nos collègues, la conception de Freud déjà citée est interprétée dans ce sens que les traitements au cours de la quatrième décade de la vie n’offrent plus que des perspectives douteuses ; que la cinquième décade et l’âge climatérique particulièrement sont défavorables au pronostic des traitements psychanalytiques. Au-delà de la cinquantaine, toute efficacité est contestée.

Dans ma pratique psychanalytique, j’ai traité toute une série de névroses à évolution chronique chez des personnes ayant dépassé l’âge de quarante ans, en partie même de cinquante ans. Ce n’est qu’en hésitant que je m’occupai des premiers cas. Mais à plusieurs reprises, je fus poussé par des patients qui avaient été traités par ailleurs sans résultat. J’avais également la conviction de leur apporter, faute d’une guérison, une compréhension plus profonde de leur affection qu’un médecin non psychanalyste. À ma surprise, une bonne partie des patients réagit très favorablement à la psychanalyse. Je peux dire que certains m’apportèrent des guérisons des meilleures de celles que j’ai pu obtenir. Je fais suivre quelques illustrations.

Le premier patient de ce groupe permettait peu d’espoir : c’était un cas de dépression mélancolique au cours de l’involution, réfractaire au traitement en clinique ouverte et fermée. Chez ce patient inhibé, de cinquante ans, la psychanalyse avait à réaliser un travail difficile, mais elle parvint, en l’espace de cinq mois, à le délivrer de ses auto-accusations, de sa négation de la vie et à le rendre apte à une activité professionnelle. Cette affection durait depuis quinze mois sous une forme marquée. Le début de la cure avait été précédé d’un état névrotique de plusieurs années. S’il ne s’agissait pas d’une affection évoluant depuis de longues années, la tendance à un déroulement chronique ne pouvait cependant pas être méconnue. À cela s’ajoutait la gravité de la forme. Désormais je ne pouvais plus considérer comme sensiblement sans issue le traitement des névroses proprement dites au cours de l'involution.

J’entrepris par la suite la psychanalyse d’un obsédé de près de cinquante ans. La « reduplication des cas » m’amena un deuxième patient de la même catégorie, âgé de cinquante-trois ans. Les deux patients aboutirent à un résultat thérapeutique excellent.

Le premier, présentant depuis l’enfance tous les traits du caractère dit obsessionnel, n’avait eu de symptômes proprement dits que sous une forme mineure et n’en avait pas souffert gravement. Dans sa vie conjugale, il se mit sous la dépendance complète de sa femme qui épargnait à ce douteur toutes les décisions à prendre. Un jour, il remarqua qu’elle permettait une privauté à un membre de la famille. Cet incident, qui éveilla la jalousie du patient, déclencha la forme grave de sa névrose. Depuis que la femme en qui il avait placé une confiance absolue s’était montrée faillible, il n’existait plus rien à quoi il pût s’en remettre. Il tomba dans un doute obsédant des plus graves. Il se demandait en particulier s’il n’avait pas accompli un délit. Lorsqu’une personne disparaissait à ses yeux dans la rue, le malade se tourmentait de savoir s’il l’avait assassinée et dissimulé le cadavre. Le facteur lui avait-il remis un envoi et quitté la maison, le patient parcourait son appartement, très angoissé, pour vérifier qu’il ne l’avait point assassiné et caché les morceaux du cadavre. Il souffrait des doutes les plus pénibles, celui d’avoir écrit son nom sur un bout de papier jeté et d’être exposé ainsi à ce qu’on en mésusât. Je n’évoque que ces aspects parmi beaucoup d’autres pour donner une idée de la gravité du cas. Cet homme anxieux, en désarroi, dépendant, obtint une amélioration considérable. Depuis, six ans se sont écoulés sans rechute véritable. Une certaine oscillation de son état semble sans grande portée.

L’autre obsédé traité simultanément souffrait d’états anxieux et dépressifs violents. Il présentait aussi les manifestations du caractère obsessionnel, due surtout à un excès de bonté et de conscience. Certains conflits liés à la fixation du patient à sa famille suscitèrent la névrose proprement dite entre l’âge de trente et trente-cinq ans. Le traitement parvint à réduire les symptômes névrotiques graves, les crises d’angoisse, les doutes morbides, etc., et à rendre cet homme, auparavant inapte au travail, capable de labeur et de plaisir.

J’en arrive à la guérison d’une patiente se trouvant dans sa quarante et unième année, atteinte de phobie des rues et des voyages. Si elle avait toutes sortes de symptômes névrotiques depuis l’enfance, des troubles sérieux étaient apparus depuis plus de six ans. Elle fut complètement rétablie et, depuis huit ans, elle est parfaitement libre de ses mouvements.

Je pourrais énumérer d’autres cas à résultats partiels, et aussi des cas graves et enracinés de névrose d’angoisse, des états dépressifs, etc...

À côté de ces résultats réjouissants, je situe les insuccès. Je ne mentionnerai que brièvement les cas défavorables qui nous obligent rapidement à suspendre l’effort thérapeutique. Ce sont des patients qui réagissent par une défense instinctive à toute donnée indésirable, à la nécessité même de parler de leur vie pulsionnelle. À cet égard, les cas où nous devons nous satisfaire de résultats imparfaits, palliatifs, malgré un traitement prolongé, sont d’un intérêt plus grand.

En survolant un certain nombre de cures réussies ou échouées chez notre groupe de patients, l’énigme d’un résultat aussi varié se résout simplement. Même à un âge avancé, les cas dans lesquels la névrose ne s’est installée gravement que quelques années après la puberté, ayant permis entre-temps une position sexuelle sensiblement normale et une adaptation sociale, sont d’un pronostic favorable. Sont défavorables, par contre, les maladies ayant produit dès l’enfance des névroses obsessionnelles marquées et n’ayant jamais pu atteindre un état proche de la normale. Mais c’est justement ce type de patients qui fait les échecs de la psychanalyse alors même qu’ils sont jeunes. En d’autres termes : l’âge d’apparition de la névrose a plus de poids pour l’issue de la psychanalyse que l’âge atteint au moment du traitement. On peut également dire que l’âge de la névrose est plus important que l’âge du névrosé.

La comparaison s’impose avec le pronostic du déroulement des troubles mentaux. Parmi les psychoses réunies dans la démence précoce (schizophrénie, paraphrénie) les cas datant de la prépuberté ou de l’enfance ont le pronostic le plus défavorable, tandis que ceux d’apparition plus tardive tendent davantage aux rémissions ; généralement celle-ci est plus longue. Les mêmes lois semblent présider au déroulement des psychonévroses.

En principe, la question se pose jusqu’à quel point la psychanalyse peut élucider la sexualité infantile chez des névrosés ayant atteint un certain âge. Mon expérience m’a montre qu’une progression vers les périodes les plus précoces n’est nullement exclue. Dans un de mes cas actuels, encore en cours, de névrose obsessionnelle, cette tâche réussit d’une façon qu’on n’oserait attendre que d’une personne jeune.

L’évolution extérieure du traitement psychanalytique au cours de l’involution présente des particularités. Alors que nous laissons généralement au patient la conduite de son analyse, que c’est lui qui choisit à chaque séance le point de départ de ses associations libres, certains névrosés plus âgés ont besoin d’une stimulation de la part du médecin. Ce comportement m’a frappé en particulier chez certains obsédés âgés. Il s’agit de patients souffrant en général d’une baisse de l’initiative, depuis toujours, à certains égards dépendants et peu autonomes et qui désirent être guidés par le médecin qui signifie le père tout-puissant pour leur inconscient. Avec de tels patients, un certain mode de début de la séance s’est souvent reproduit. Ils n’ont pas accès d’eux-mêmes au matériel psychique disponible. Cependant, à la moindre stimulation, sous la forme d’une indication de ce qui a pu précéder, ils produisent immédiatement des associations. Ce comportement est à considérer comme infantile. J’ai vu la même chose au cours de traitements d’enfants, récemment chez un garçon intelligent de onze ans, qui avait à mon égard une disposition positive très marquée à titre de substitut paternel. Ce comportement cesse de façon significative, lorsque l’opposition au père ou à son substitut apparaît au premier plan.

J’espère que les lignes qui précèdent faciliteront le choix des personnes qui peuvent entreprendre une psychanalyse même à un âge avancé. Pour terminer, je voudrais attirer l’attention sur l’utilité d’investigations approfondies qui permettraient de savoir pourquoi certains sujets jeunes sont réfractaires à l’analyse. Une connaissance précise des indications nous épargnerait des échecs et permettrait le plein épanouissement de l’efficacité de la thérapie psychanalytique.