3. Réflexions phénoménologiques sur les implications structurelles et génétiques de la psychanalyse

Mon exposé ne fera que prolonger la discussion précédente en y apportant des éléments plus concrets. Dans son inspiration, il se situe au carrefour de la phénoménologie et de la psychanalyse. Il tentera d’expliciter quelques indications du dernier Husserl, pour autant qu’elles permettent d’aborder la problématique empirique de la psychanalyse sur le plan transcendantal.

1. Un concept phénoménologique de la structure

Pour éviter les malentendus, je tiens à écarter d’entrée de jeu toute définition réiciste de la structure, toute définition qui en ferait le résultat de quelque construction mentale, en établissant des rapports, même « internes », dans un ensemble d’éléments, de manière à former un "« tout intelligible ». Comme toute structure, en dernière analyse, une « structure psychique » est formée, non pas d’un ensemble de choses, mais d’un ensemble de sens. Si

I on tenait encore à conserver un modèle physicaliste de la structure psychique, on devrait dire que la psyché est un appareil qui a, pour carburant, la motivation ; pour mécanique, le Moi constitué ; pour fonctionnement, l’in-tentionnalité en acte ; et enfin, pour produit, le sens. On comprend que, pour penser pareille machine, il faut envisager l’homme intégral, considéré aussi bien dans son présent que dans son histoire. Dire structure psychique, c'est dire téléologie concrète, singulière et enracinée. Reconstituer des structures génétiques à l’aide d’instruments d’intuition conceptuels, voilà l’une des tâches dernières de la phénoménologie, voilà aussi la tâche immédiate de la théorisation psychanalytique.

2. Fonctionnement intentionnel ou genèse transcendantale ?

Après ce préambule, je vais aborder le problème phénoménologique de la genèse, en reprenant la réflexion au point où elle en était restée après Yépochè du problème ontologique, lorsque Husserl eut décrit la structure essentielle et universelle d’un ego pur. Je vais tenter d’envisager cet ego, non dans ses caractères descriptifs mais dans son horizon génétique. La genèse relève, en effet, de l’essence même de l’ego transcendantal, comme l’indiquent, par exemple, des textes assez remarquables de la IV* Méditation CartésienneEn effet, l’ego transcendantal a une

1 « Je ne peux, manifestement, même pas supposer que l'activité théorique que j’exerce ou que je peux exercer maintenant soit, dans l'unité de ma vie, reportée à n’importe ouel moment en arrière ; et cette impossibilité se transpose également en l’impossibilité eidétique. L’idée de ma vie enfantine et de ses possibilités constitutives nous offre un type qui 11e peut contenir « l’activité théorique scientifique » que dans son développement ultérieur, mais non dans son contenu actuel. Cette restriction a son fondement dans une structure apriorique universelle, dans les lois essentielles et universelles de la coexistence et de la succession écologiques Car toutes les expériences, tous les habitus, toutes les essence à la fois temporelle et temporalisante : ne se consti-tue-t-il pas à l’aide de constitués antérieurs et en vue de constitués ultérieurs ? Et ce faisant ne fait-il pas précisément le temps lui-même ?

Or, pour parler le langage du premier Husserl, il appartient à l’essence même de Yego transcendantal de se constituer vers la transcendance et, par conséquent, l’étude de sa genèse pourrait se ramener purement et simplement à une reconstitution historique de ses constitués transcendants. Or, la question est précisément de savoir si cette histoire doit être conçue comme le déploiement d’une « aptitude » intentionnelle préexistante, ou bien comme une genèse progressive de cette « aptitude » elle-même. La réponse à cette question sera une pierre de touche de la possibilité d’une génétique transcendantale. Au cours de cet exposé je vais m’efforcer de montrer l’articulation selon laquelle l’idée de genèse est impliquée dans celle même d’intentionnalité et, corrélativement, le caractère pseudo-génétique des produits résultant du pur fonctionnement d’une « aptitude » génétique.

3. L'affect comme fondement de la transcendance

Je vais prendre pour point de départ à ces réflexions l’existence d’actes intentionnels qui n’aboutissent pas nécessairement à la constitution d’un sens transcendant.

unitcs constituées cjui appartiennent à mon ego et, au point de vue eidé-tique à un (go en général, ont leur caractère temporel, et participent au système des formes temporelles universelles, avec lequel tout ego imaginable se constitue pour lui-même. » (Husserl, Me'd. Cart., tracf Lévinas et Peiffer, p. 63).

« La phénoménologie élaborée en premier lieu est statique, ses descriptions sont analogues à celles de 1 histoire naturelle qui étudie les types particuliers et, tout au plus, les ordonne d'une façon systématique. On est encore loin des problèmes de la genèse universelle et de la structure génétique de Yego dépassant la simple forme du temps ; en effet, ce sont là des questions d’un ordre supérieur. Mais, même lorsque nous les posons nous ne le faisons pas en toute liberté. En effet, l’analyse essentielle s’en tiendra tout d’abord à Vego mais ne trouve c^u'un ego pour lequel un monde constitué existe d'ores et déjà. C’est la une etape nécessaire à partir de laquelle seulement, — en dégageant les formes de lois génétiques qui lui sont inhérentes, — on peut apercevoir les possibilités d'une phénoménologie eidétique absolument universelle. » (Ibid., p. 64).

Que se passe-t-il en effet, lorsque le sens transcendant ne parvient pas à se constituer, comme c’est le cas dans l’expérience de l’absurde ? Le « cercle carré » est impossible à intuitionner en tant qu’objet transcendant. Or, il n’en comporte pas moins pour autant un vécu. Il s’agit là précisément d’un vécu qui n’est pas encore transcendant et ne le sera jamais.

Nous venons de toucher du doigt la possibilité de principe de vécus non constitués en transcendance. Cette expérience de l’absurde, qui se solde par l’échec du transcender, se révèle cependant comme le fondement même de tout acte de transcender : un vécu, déjà acte, mais non encore acte de transcendance, — Yaffect. En effet, une forme d’affect est présente dans tout acte intentionnel, quel qu’il soit, en tant que cette tension anticipatrice qui réunit une donnée actuelle à des données inactuelles. Tension de l’actuel et de l’inactuel dans la visée de l’objet, voilà la définition même que le dernier Husserl donne de l’intention-nalité. En ce sens l’affect prétranscendant présente, lui aussi, une structure intentionnelle. Il est un mode de se tourner vers, de se détourner de, sans qu’aucun objet doive être précisé.

4. La constitution de l’affect

Ce qui est actuel, tout d’abord, dans l’anticipation affective, c’est l’appréhension particulière (passive) d’une donnée sensorielle, esthésique, ou, selon la terminologie husserlienne, hylétique. La constitution affective procède par une confrontation d’une actualité avec des contenus inactuels, confrontation qui révèle, le cas échéant, non seulement le fait de la non-identité actuelle, mais encore, le mode de cette non-identité. En d’autres termes, l’affect nouveau est une manière d’être nouvelle (non encore anticipée) d’une esthésie. Il réunit en lui tout ce que, en comparaison avec les autres affects, il n’est précisément pas. L’affect résulte donc de discriminations réunies dans une synthèse autour d’un noyau esthésique.

D’un autre côté les affects esthésiques déjà constitués, même s’ils sont inactuels, conservent une certaine vie propre à leur inactualité. C’est ce caractère vivant de l’ayant été qui rend possible sa réactualisation et sa participation à une synthèse discriminatoire telle que je viens de la décrire. Le son que j’entends n’est pas comme ceux que j’ai déjà entendus, et il ne l’est pas de telle ou telle manière. Nous assistons là précisément à la constitution d’un son nouveau. Par ailleurs, la nouveauté ainsi constituée ne sera pas sans modifier, à titre rétrospectif, l’ensemble des constitués sonores antérieurs. D’une façon générale, chaque acte de constitution met enjeu, plus ou moins directement, l’ensemble des constitués de même style et le modifie par l’institution d’une référence au nouveau.

5. L'intérêt comme fondement de l'anticipation affective et sa structure égoïque

Nous avons dit que la synthèse affective était antici-patrice. Cela signifie d’abord qu’elle est itérable, ce qui implique une modification permanente du sujet. L’affect que ce dernier vient d’instituer fera partie désormais de son patrimoine permanent.

Mais dire que la synthèse affective est anticipatrice signifie surtout qu’elle s’effectue en fonction d’intérêts préalablement donnés, c’est-à-dire de convergences d’affects autour de noyaux plus originels. Ces intérêts, déjà constitués eux-mêmes à partir de synthèses antérieures, organiseront le « comment » de la synthèse nouvelle. Il va de soi que toute synthèse suppose l’identité ou la permanence d’un ego corrélatif qui, précisément, unifie le divers esthésique actuel et inactuel dans l'unité d’un intérêt. Le « comment » de l’affect constitué est donc fondé essentiellement sur le « comment » de l’intérêt. D’un autre côté, malgré son unité provisoire, l’intérêt lui-même se trouve modifié par les modes de satisfaction qui s’offrent à lui : l’intérêt considéré provisoirement comme fondamental, à un niveau donné, est apte à se constituer en un intérêt dérivé différent de son point de départ. On comprend alors qu’un seul intérêt de base puisse donner lieu à une variété d’intérêts dérivés, se développant à partir d’un tronc commun d’une façon arborescente. Cette unité de l’arbre — que l’on verra tout à l’heure — est telle que l’étude de l’intérêt ne saurait être réduite au seul point de vue descriptif, et qu’elle requiert une élucidation génétique.

A la diversité des intérêts dérivés, correspond d’abord une diversité de points de convergence, autant d’ego latents et isolés, qui constituent comme des sortes de noyaux d’identité. Ces noyaux égoïques qui apparaissent successivement conservent leur permanence ; mais cette permanence isolée de chacun d’eux ne fait que préfigurer leur unité d’ensemble.

Pareille unité résultera d’une opération supérieure, faisant intervenir la réflexivité, voire la réflexivité au second degré. Mais les noyaux égoïques sont essentiellement permanents et cela dans l’exacte mesure et dans le même sens où les constitués complémentaires, les affects, sont itérables. Tel est le cas également des noyaux égoïques du niveau affectif prétranscendant. Cependant, outre qu’ils se réfèrent à une unité supérieure, ces ego affectifs ou pré-ego renvoient également à une unité originelle, celle d’un proto-ego esthésique.

6. La loi de compatibilité et les conflits de niveaux

Il s’agit là, bien entendu, d’une unité inférieure, non réflexive, mais fonctionnelle, organisée selon une loi, au moins, que l’on peut dégager avec une évidence eidétique : la loi de compatibilité. Ce qu’il importe de savoir, c’est que l’évolution des intérêts dépend, d’une façon irréversible, des constitués qu’ils ont déjà à leur disposition. L’unité dite « fonctionnelle » du proto-ego résulte du fait que ses constitués respectifs demeurent vivants, alors même que cet ego lui-même, en tant que centre unificateur, est passé à l’état latent, s’est « endormi » pour ainsi dire. La vie de ses constitués se révèle néanmoins dans l’exigence de compatibilité que ceux-ci imposent à toute nouvelle tentative de constitution qui les mettrait en question.

Or, si la loi de compatibilité s’avère valable à un niveau donné de la constitution, il n’en est pas nécessairement de même lorsque nous passons d’un niveau à l’autre.

Incompatibles nous apparaissent souvent les intérêts affectifs profonds avec ceux qui se font jour au niveau de la transcendance, d’origine inter-subjective ; incompatibles également les intérêts ayant présidé à la constitution des esthésies et parfois les intérêts ayant déterminé tel affect particulier.- ! 1 s’agit là de conflits de niveaux s’exprimant parfois dans des symptômes pathologiques (troubles « névrotiques », « psycho-somatiques »). Tout se passe comme si chaque niveau possédait une autonomie d’intérêts ; or, en fait et en droit, les intérêts supérieurs dérivent des intérêts inférieurs ; c’est l’étagement des constitués qui diversifie les intérêts, c’est grâce à cet étagement que l’on peut anticiper une satisfaction indirecte par des instruments eux aussi de plus en plus indirects. Nous nous trouvons devant cette situation au premier abord paradoxale : théoriquement il ne peut y avoir conflit entre intérêts d’un niveau donné ni entre intérêts de niveaux divers, alors que, pratiquement, les conflits d’intérêts sont inévitables. L’exigence d’insertion de Yego dans l’inter-subjecdf impose des conflits de niveaux. C’est là précisément qu’ap-parait la raison d’être de la psychanalyse en tant que thérapeutique. Les modes de satisfaction étant eux-mêmes fonction du degré de médiation des instruments mis en œuvre, nous ne saurions retrouver d’emblée, dans nos intérêts dérivés actuels, les intérêts inférieurs auxquels ils renvoient. Il y a une opacité de l’histoire de mes intérêts. Mes intérêts sont constitués on ne sait comment ; ils sont là tels quels ; il y a un effort de réactivation à faire pour remonter aux origines.

7. Autonomie horizontale et compatibilité verticale

Le paradoxe qu’on vient de signaler devra se dissoudre de lui-même dans une génétique phénoménologique rigoureuse, inspirée de la psychanalyse, et qui saura, on le pressent, présenter les conflits de niveaux comme le moyen par excellence de l’évolution culturelle. En attendant, nous ne pouvons que constater que l’exigence d’autonomie horizontale des structures est précisément ce qui motive l’existence des incompatibilités verticales. En fait, l'autonomie horizontale apparaît comme une exigence supplémentaire par rapport à une exigence plus profonde, celle de la compatibilité verticale. Il s'agit, en quelque sorte, de concilier deux exigences, celle, génétique, de la compatibilité verticale, et celle, adaptative, de la compatibilité horizontale. Il ne saurait y avoir de constitution d’un niveau supérieur qui ne soit fondée sur des constitutions synergiques à tous les niveaux inférieurs ; les synthèses supérieures, fondées par des synthèses correspondantes des niveaux inférieurs, fonctionnent dans une unité organique, de manière à utiliser, en réactualisant, ou en créant de toutes pièces, les constitués inférieurs.

Il y a comme une réciprocité d’action verticale entre les divers niveaux de constitués. On conçoit ainsi que l’échec d’une synthèse supérieure puisse avoir des répercussions perturbatrices sur le fonctionnement déjà établi des constitués inférieurs synergiques. Un conflit, au niveau socioculturel par exemple, peut causer des maux de tête. Il y a donc, non pas simplement parallélisme des niveaux, mais comme un ajustement préalable du fonctionnement inférieur aux exigences du niveau supérieur de constitution et vue versa. Le fait que l’homme ne vit pas pour manger, par exemple, mais qu’au contraire il mange pour vivre une vie d’homme, modifie radicalement la signification et, par là, le fonctionnement même de ses processus digestifs, par rapport à ceux de l’animal.

8. La genèse de l’ego transcendantal comme impliquant une génétique de la hylè

Il convient de signaler à ce propos que la genèse individuelle concrète ne saurait correspondre, étape par étape, à la genèse de l'Ego transcendantal. En effet, la genèse individuelle n’est pas une constitution incessante de soi ; constitution qui s’effectuerait à partir d’un proto-ego germinal ; elle est une reconstitution réitérée de systèmes de constitués antérieurs. De plus, les phases de cette reconstitution se trouvent modifiées par rapport aux phases constitutives originelles, puisqu’elles impliquent déjà, à titre de virtualité, l’organisation des phases ultérieures. Cette préformation reconstituante correspond au concept empirique de l’instinct.

Quel est le niveau le plus bas de la constitution auquel la réflexion phénoménologique nous permet d’accéder ? Pour Husserl, la hylé était l’irréductible phénoménologique ; en fait, l’esthésie était déjà un concept-limite, puisqu’elle ne peut être vécue en elle-même mais seulement en tant que changement survenant au sein d’une permanence. Or, il nous est permis de poser les deux problèmes suivants : un vécu qui ne soit pas intentionnel, donc constitué, est-il possible, ou, simplement, concevoir pareil vécu a-t-il un sens ? Dans la négative, c’est-à-dire, en admettant que la hylè est un constitué intentionnel, comment se peut-il que des vécus hylétiques puissent ne pas correspondre à un intérêt actuel, du niveau hylétique ? Une seule réponse parait possible : la hylè telle qu’elle se manifeste dans le vécu concret n’est pas un constitué mais un reconstitué. Dès lors, toute esthésie pourrait être conçue comme palin-esthésie, renvoyant à des actes de constitution antérieurs à l’individu. De là, une conclusion capitale pour le phénoménologue : en ce qui concerne les caractères du flux pur du présent, un tel flux ne nous est pas donné, en réalité, dans sa pureté tout hypothétique ; quel que soit le degré de réduction effectué, notre présent demeure, après toutes les réductions que l’on voudra, non pas un flux d’actualités, mais un flux de synthèses d’anticipations, d’actualisations passives des reconstitués, donc un flux déjà intentionnel. Certes, le sens de cette intention-nalité échappe au pouvoir réflexif du sujet phénoménologique, dit « primordial ». Le sens intentionnel de la hylè devrait apparaître au contraire dans une expérience originale de i’intersubjectivité, telle qu’elle est instituée par la psychanalyse. Une phénoménologie génétique, appelée des voeux de Husserl, pourrait recevoir un contenu concret grâce à une réflexion appropriée sur les données psychanalytiques.

9 Genèse et palingénèse le déploiement des instincts

C’est ici qu’il convient de faire une distinction qui devrait permettre de réduire un certain nombre de points

névralgiques de la problématique de la genèse : c’est celle qui vise à séparer deux ordres de faits, semblables en apparence, mais irréductibles en réalité ; d’une part, la genèse véritable, c’est-à-dire la constitution créatrice à partir de constitués antérieurs, grâce à un acte imprévisible de constitution et qui n’est intelligible qu’a posteriori et, d’autre part, la palingénèse, la reconstitution instinctuelle d’actes immémoriaux, la réitération opaque d’une genèse jadis signifiante, c’est-à-dire l’instinct.

Cette nouvelle perspective permet les éclaircissements suivants : l’tmhncf, dans sa marche itérative, pose des exigences, appelées besoins ; lorsque ces besoins ne se trouvent pas satisfaits, naît le conflit ; tels sont précisément les conflits de maturation. La psychanalyse considère que tout conflit de maturation constitue un trauma, c’est-à-dire une mise en échec du processus palingénétique, avec toutes les conséquences que cela peut avoir pour le développement ultérieur. Les diverses phases du processus itératif du développement se trouvent reconstituées chez Freud lorsqu’il distingue les stades oral, anal et génital du développement. Phénoménologiquement, ces phases correspondent au niveau de reconstitution de l'ego, que l’on peut articuler, selon des étapes nécessaires, en proto-ego, ego préréflexif, ego réflexif, puis inte'gratif (ce dernier signifiant l’aptitude à intuitionner l’autre en tant qu’il est lui-même quelque chose pour un troisième). Ces phases de reconstitution sont le moule temporel, en quelque sorte préformé, de la palingénèse, reconstituant, au niveau individuelle processus de constitution phylogénétique dont l’exploration psychanalytique a encore à peine commencé *. On conçoit en tout cas, qu’une génétique de Y Ego transcendantal (c’est-à-dire l’étude des exigences a priori qui président à la genèse même des a priori palingénétiques) puisse apporter fondement et principes critériologiques à la conceptualisation empirique de la psychanalyse.

i Cf S Ferenczi, Versuch einer Gemtaltheone, Wien, 1924. En traduction française sous le titre de Thalassa . psychanalyse des origines de la vu sexuelle, établi, présenté et annoté par N. Abraham. Petite Bibliothèque Payot, n° 28, 1961.

10. Vers l’auto-transcendance du sujet

En phénoménologie, tout comme en psychanalyse, l’effort de réflexion vise le constitué. D’une façon générale on ne peut concevoir une étude génétique et structurale que postdictive, c’est-à-dire, portant sur une constitution ayant été. De même, une étude prédictive de l’acte véritablement constituant serait inconcevable et contradictoire par définition.

Par contre, l’étude du constitué est elle-même un mode constituant, une remise en question ou, tout au moins, une interrogation. Le questionneur s’efforce de dépasser son propre sens vers un sens nouveau. Un tel dépassement est impliqué dans tout acte de connaissance. Ainsi l’interrogation d’un constitué comporte une visée rétrospective et prospective à la fois. L’homme, lorsqu’il devient physicien, psychanalyste, phénoménologue ou militant syndicaliste, vise à résoudre des problèmes posés par ses intérêts constituants. Les solutions apportées ne peuvent qu’être marquées par les motivations correspondantes relevant de la double exigence : de l’unité horizontale et de la compatibilité verticale. Mais soutenir cette affirmation signifie déjà le dépassement du relativisme que d’abord elle implique, l’acheminement vers l’auto-transcendance (Selbstbesinnung) du sujet, vers cette instance égoïque hautement unifiante qui constitue pour l’homme son absolu provisoire.

Structure et palingénèse : voilà ses lots et ses motifs mais non pas ses limites. C’est en prenant conscience des significations immémoriales qui l’ont déterminé que l’homme devient apte à se recréer vers une humanité inachevable et toujours renouvelée.

N. A.

Exposé fait à Cerisy-la-Salle en 1959 ; paru in Entretien sur les notions de genèse et de structure, Paris, Mouton, 1968 (vol. collectif).