7. Psychopathologie de la sphère oro-alimentaire

I. – Généralités

Autour de l’alimentation se noue l’axe d’interaction le plus précoce entre mère et enfant, axe qui constituera le noyau de référence des divers stades ultérieurs du développement. L’importance des échanges entre l’enfant et son environnement en ce qui concerne l’alimentation n’est plus à démontrer, mais la multiplicité des facteurs intervenant rend difficile l’étude de ces échanges. Nous évoquerons brièvement les facteurs qui tiennent à l’enfant lui-même, puis à la relation maternelle, enfin à la dimension socio-culturelle de l’alimentation.

Le nouveau-né possède un équipement neurophysiologique particulièrement bien développé dès la naissance au niveau du comportement de succion : le réflexe des points cardinaux accompagné de la rotation de la tête, le réflexe de fouissement, le réflexe de succion et de déglutition (accompagnés des tentatives de préhension des doigts) représentent une unité motrice immédiatement fonctionnelle. Il ne faudrait pas en conclure pour autant que tous les bébés présentent le même comportement face à la nourriture.

Les infirmières de maternité savent rapidement distinguer, dès les premiers repas, les « petits mangeurs » et les « gloutons ». Lorsqu’on étudie le rythme de succion de la tétine et la fréquence des arrêts, on peut aussi distinguer des nourrissons qui tètent à un rythme rapide, presque sans pause, et d’autres, dont le rythme de succion est plus lent et entrecoupé de nombreux arrêts. Il semble d’ailleurs que les garçons fassent plus souvent partie de ce second groupe (I. Lézine et coll.). Mais ce comportement de succion, déjà différent d’un nouveau-né à l’autre, s’accompagne d’un ensemble de manifestations elles aussi variables. Certains bébés pleurent, s’agitent bruyamment devant ce qu’ils doivent ressentir comme une intolérable tension, d’autres paraissent attendre plus paisiblement l’arrivée de la nourriture. Certains tètent les yeux ouverts, d’autres les yeux fermés.

Quoi qu’il en soit de ces variations individuelles, il semble que d’une part la succion constitue pour le bébé un besoin en soi : lorsque le repas est pris trop vite, le bébé à tendance à prolonger le temps de succion avec ses doigts ou un autre objet ; d’autre part, l’alimentation d’un bébé ne se réduit pas au seul apaisement de la faim physiologique, mais représente le prototype des interactions humaines. Très tôt, Freud a ainsi distingué la satisfaction du besoin alimentaire lui-même (la faim) et la prime de plaisir (succion) que le nourrisson en retire, dont on pourrait schématiquement dire que la trace ontogénique en restera l’appétit. Autour de cette « prime de plaisir » s’organisent chez le bébé les premières intériorisations de relations humaines sur lesquelles s’étaleront ultérieurement les divers choix d’objets de l’enfant. Toutefois, la tendance actuelle est de considérer qu’à cette « prime de plaisir » ne participent pas uniquement la succion et la satisfaction de la faim, mais aussi l’ensemble du maniement de l’enfant (Winnicott) : contacts corporels, paroles, regards, caresses ou bercements maternels…, et son besoin d’attachement (Bowlby).

La succion est néanmoins le « temps fort » de cet échange et représentera le mode privilégié grâce auquel le nourrisson commence à explorer le monde qui l’environne ; en témoigne cette phase où il porte systématiquement tout à la bouche (4-5 mois à 10-12 mois).

De cet échange dont nous avons relevé jusque-là la dimension libidinale, il ne faut pas croire que l’agressivité soit exclue. Engloutir, faire disparaître, supprimer, est déjà un mouvement agressif, et même si nous devons accueillir avec prudence l’hypothèse de fantasme agressif précocissime dirigé contre le sein maternel (Klein), il n’en reste pas moins que nourrir un bébé, c’est aussi faire disparaître l’état de tension, l’appétence antérieurs. Si l’échange alimentaire n’a pas été fructueux, la disparition de ce besoin risque d’être ressentie par le bébé comme une perte, une menace, voire un danger d’anéantissement : tous les auteurs décrivent les bébés qui ont des coliques du troisième mois (v. p. 340 ou une anorexie précoce (v. p. 124) comme des bébés vifs, actifs, toniques… On peut se demander si, précisément, l’état de réplétion postprandial ne constitue pas pour ceux-ci une menace potentielle. L’agressivité liée à l’incorporation devient claire à la phase sadique orale (v. p. 16) comme en témoigne le plaisir des petits enfants à mordiller et même à mordre franchement (12-18 mois).

Nous ne reprendrons pas ici l’étude de l’évolution de l’oralité (v. p. 16) ; mais il importe d’en souligner les diverses significations avec l’âge et les stades libidinaux et agressifs.

L’attitude de la mère est fonction à la fois du comportement de son nouveau-né, de ses propres affects face à l’oralité, mais aussi de sa capacité d’apprentissage ou d’adaptation aux situations nouvelles. Ainsi I. Lézine et coll. ont montré qu’au cours des premiers biberons, « peu de mères primipares trouvent d’emblée de façon souple et adroite, les gestes qu’il faut faire pour tenir le bébé, le manipuler, le calmer et satisfaire ses besoins de façon immédiatement gratifiante ». Au début leur rythme d’alimentation, les arrêts et reprises qu’elles imposent ne correspondent pas au rythme propre du bébé. Le plus souvent, vers le quatrième jour environ, se produit une sorte d’adaptation réciproque, la mère primipare prenant conscience de son nourrisson comme tel, et exprimant le sentiment d’être mieux capable de s’occuper de l’enfant. Cette adaptation réciproque se produit beaucoup plus rapidement chez les secondipares.

Outre ce processus d’harmonisation réciproque, les mères réagissent différemment en fonction des manifestations de l’enfant : les unes semblent effrayées de l’avidité de celui-ci, les autres en sont fières. Inversement, certaines mères peuvent exprimer la crainte qu’une succion lente et interrompue ne soit l’indice de difficultés alimentaires futures. Ces diverses attitudes que l’enfant éveille proviennent à l’évidence des propres fantasmes inconscients ou préconscients de la mère, fantasmes dont la réactivation risque d’entraîner le couple mère-enfant dans une situation pathogène pour l’un comme pour l’autre.

La société enfin intervient elle aussi de façon tout à fait privilégiée dans l’échange alimentaire mère-enfant. Notre propos n’est pas de nous étendre ici sur l’ensemble du symbolisme culturel lié à l’alimentation, ni sur le rôle social toujours fondamental du repas (après la scène primitive, vient la Cène familiale). Rappelons ainsi qu’à l’adolescence de nombreux conflits tournent autour du repas familial, et qu’une fréquente remarque des jeunes filles anorectiques mentales est le dégoût qu’elles déclarent éprouver à voir leurs parents manger. Il convient aussi d’envisager la place de la puériculture dans la relation entre le bébé et sa mère. À la variabilité des conduites citées ci-dessus, la puériculture a longtemps répondu par une pression monomorphe où le pôle diététique (qualité et quantité des aliments) était outrageusement privilégié par rapport au pôle relationnel).

De nos jours, la tendance serait plutôt inverse, et avec l’alimentation à la demande le risque est plus de laisser la jeune mère complètement désarmée face à ses craintes et fantasmes concernant l’alimentation sans le guide rassurant que constituaient les conseils et recommandations diététiques.

Nous étudierons maintenant l’anorexie du nourrisson, les obésités et certaines conduites alimentaires aberrantes. La colique idiopathique du troisième mois, les vomissements psychogènes, le mérycisme seront envisagés dans le chapitre consacré aux troubles psychosomatiques (v. p. 340).

II. – Étude psychopathologique

A. – Anorexie du second trimestre

Cette anorexie survient le plus souvent entre 5 et 8 mois. Elle apparaît soit progressivement, soit brutalement, parfois à l’occasion d’un changement de régime alimentaire : sevrage ou ablactation (d’où le terme « anorexie du sevrage »), introduction de morceaux… Classiquement, il s’agit d’un nourrison vif, tonique, éveillé, manifestant de la curiosité pour l’entourage, en avance dans son développement. Très vite ce refus de nourriture, plus ou moins total, suscite une réaction anxieuse de la mère ; apparaît alors tout un manège dont le but est de faire manger l’enfant : on tente de le distraire, de jouer, de le séduire, on attend qu’il soit somnolent, ou au contraire on l’attache, lui fixe les mains, tente d’ouvrir sa bouche de force. Inéluctablement l’enfant sort victorieux du combat, la mère épuisée et vaincue. Famille ou amis sont réquisitionnés pour donner conseils et avis dont la divergence ne fait qu’accroître l’anxiété maternelle.

Cette anorexie est isolée, le nourrisson continue à grandir et souvent à grossir. Il est rare que l’anorexie soit si profonde qu’elle entraîne une cassure de la courbe de poids, puis de la courbe staturale. Une constipation peut l’accompagner. Une appétence vive pour les liquides compense souvent l’anorexie envers les solides. Il n’est pas rare enfin que cette anorexie soit centrée sur la relation à la mère, et que le nourrisson mange parfaitement avec tout autre personne (nourrice, puéricultrice de la crèche, grand-mère…). La mère ressent cette conduite comme un refus directement centré sur elle, est angoissée, contrariée dès l’approche du repas, n’a plus la disponibilité nécessaire. Dans ces conditions le repas ne signifie plus pour l’enfant prendre de la nourriture, mais plutôt absorber l’angoisse de sa mère (Dolto).

L’évolution permet de distinguer deux formes (Kreisler) :

anorexie simple : elle apparaît comme un trouble essentiellement réactionnel (au sevrage, à une maladie intercurrente, à un changement de cadre de vie…), passager, conduite de refus liée souvent à une attitude de forçage de la mère. Le problème se résout rapidement avec un changement d’attitude de la part de la mère, après qu’elle ait été rassurée, ou avec quelques aménagements pratiques (repas donné par le père ou une tierce personne, aide temporaire d’une puéricultrice…) ;

anorexie mentale grave : elle ne diffère en rien, au début, de la précédente. Mais soit parce que la réaction anorectique de l’enfant est profondément inscrite dans son corps, soit que l’attitude maternelle ne soit pas susceptible de changement, le comportement anorectique persiste. D’autres troubles peuvent apparaître : difficultés de sommeil, colères intenses, spasme du sanglot… Face à la nourriture l’enfant marque soit un total désintérêt, soit une opposition vive. Dans ce dernier cas les repas constituent de véritables assauts entre une mère qui tente d’utiliser toutes les ruses pour introduire un peu de nourriture dans la bouche de l’enfant (séduction, chantage, menace, coercition…) et un enfant qui se débat, crache, en projette dans tous les sens, renverse son assiette…

Ce comportement anorectique peut être entrecoupé de périodes pendant lesquelles l’enfant mange mieux, tout en se montrant capricieux : uniquement des aliments sucrés, ou des laitages, ou des légumes… Les vomissements sont fréquents, ponctuant les quelques repas qu’il a daigné prendre. Dans ces conditions un retentissement somatique est possible. L’enfant devient pâle, d’allure chétive sans toutefois développer de véritable maladie.

Longtemps les parents sont à la recherche d’une origine organique qui est rare (cardiopathie, malabsorption digestive, infection, encéphalopathie ou tumeur cérébrale) et qui ne s’accompagne pas du même contexte psychologique.

Abord psychopathologique

L’attention s’est d’abord centrée sur les mères d’anorectiques. Bien qu’elles soient souvent décrites comme autoritaires, manipulatrices et envahissantes, elles sont loin de présenter un profil psychophathologique précis. En revanche, pour toutes, la relation alimentaire semble être l’axe d’interaction privilégié masquant sous le besoin de nourrissage une vive angoisse de ne pas être une bonne mère, ou une angoisse d’abandon, ou de mort…

Chez le nourrisson, le refus alimentaire a reçu diverses interprétations en fonction des stades génétiques du développement. L’anorexie peut être comprise comme une tentative faite pour éviter la phase de réplétion et de détente postprandiale, vécue comme potentiellement dangereuse à cause de la disparition de toute tension. De son côté Spitz a considéré que le détournement de la tête du biberon ou du sein pour marquer la satiété représentait le prototype du geste sémantique « non », et qu’en ce sens l’anorexie était une conduite massive de refus dans la relation mère-enfant qui risquait ensuite d’entraver l’accession à une symbolisation plus mentalisée. Dans le même esprit on a remarqué la fréquente et excessive familiarité des nourrissons anorectiques envers les étrangers, à une époque où se constitue normalement l’angoisse de l’étranger. Cette familiarité serait le témoin d’une incapacité à individualiser le visage maternel et à focaliser l’angoisse sur le visage étranger. Le refus alimentaire témoigne de la « contamination anxieuse » que subit la relation à la mère, avec la tentative de maîtrise qui en résulte. Cette difficulté de mentalisation pourrait constituer le lit d’une future organisation psychosomatique.

L’attitude thérapeutique doit se centrer sur la relation mère-enfant, tenter d’apaiser l’angoisse maternelle et de réduire les attitudes nocives les plus marquées. La seule décision de consulter un pédopsychiatre suffit parfois à calmer ces craintes : ainsi il n’est pas rare que le bébé mange bien la veille de la consultation. Toutefois, comme ces attitudes ont pour origine des fantasmes préconscients ou inconscients de la mère portant sur la relation de nourrissage, une psychothérapie soit de la mère seule, soit du couple mère-enfant est parfois nécessaire.

Formes particulières d’anorexie du nourrisson

En fonction de l’âge, on rencontre plus rarement :

— l’anorexie essentielle précoce qui apparaît dès la naissance, sans intervalle libre, chez un nourrisson passif au début, semblant ne marquer aucun intérêt pour les biberons. L’attitude d’opposition apparaît secondairement ;

Au plan diagnostique, signalons que l’anorexie précoce grave peut être un des premiers signes d’autisme ou de psychose infantile précoce dont les autres manifestations doivent toujours être recherchées : elles peuvent apparaître peu à peu dans la seconde année ;

— l’anorexie de la seconde enfance succède le plus souvent à la forme typique. Toutefois elle peut apparaître à cet âge, marquée par une vive attitude d’opposition et l’existence fréquente de caprices alimentaires plus ou moins changeants.

— l’anorexie mentale des jeunes filles (v. Abrégé de Psychopathologie de l’adolescent p. 131).

B. – Obésité

Longtemps maintenus au second plan derrière l’anorexie mentale, les problèmes soulevés par l’obésité commencent à occuper le devant de la scène, en particulier à la suite des nombreux travaux portant sur l’obésité de l’adulte et son évolution, d’où il ressort que la précocité d’apparition de l’obésité est un facteur important de pronostic.

Au plan clinique l’obésité se définit par un excédent d’au moins 20 % du poids par rapport à la moyenne normale pour la taille. Un excédent de plus de 60 % représente un facteur de risque certain. La fréquence de l’obésité est d’environ 5 % dans la population scolaire.

Bien que la demande de consultation soit souvent tardive, aux environs de la puberté, le début de l’obésité peut être précoce, dès la première année de la vie, c’est dire qu’il existe un grand écart entre l’âge de constitution et l’âge de consultation pour obésité. Il existe deux périodes de prédilection pour la constitution d’une obésité : dès la première année de la vie, puis lors de la période prépubertaire entre 10-13 ans. On distingue ainsi les obésités primaires et les obésités secondaires.

En fonction de l’aspect et du nombre des adipocytes, les pédiatres décrivent :

— les obésités hyperplasiques où le pool d’adipocytes est trop élevé, obésités qui se constitueraient dès la première année de vie ;

— les obésités hypertrophiques lorsque le nombre de cellules graisseuses est normal, mais leur taille excessive ;

— les obésités mixtes enfin.

Sur le plan alimentaire l’obésité se constitue parfois à la suite de crises boulimiques de l’enfant, mais le plus souvent elle est consécutive à une hyperphagie entretenue par le climat familial. L’excès d’apport peut être global ou se faire en faveur des glucides (féculents ou sucreries) absorbés surtout l’après-midi après le retour de l’école.

Les obésités comportant une cause endocrinienne sont exceptionnelles (moins de 1 %) et s’accompagnent d’un retard de croissance.

Au plan psychologique il est parfois difficile, une fois l’obésité installée, de distinguer la dimension réactionnelle ou causale des troubles observés.

Personnalité de l’enfant obèse

Une typologie caractéristique de l’obésité fut recherchée, en particulier dans l’opposition anorexie-maigreur-hyperactivité et polyphagie-obésité-passivité (H. Bruch). Les enfants obèses sont souvent décrits comme mous, apathiques, timides, tout en étant capables de réactions de prestance sous forme de colère subite. Toutefois l’apathie et la passivité ne sont pas constantes, une certaine activité physique pouvant au contraire les caractériser. D’autres symptômes témoins de la souffrance psychologique s’associent souvent à l’obésité : échec scolaire, énurésie, qu’on rencontrerait plus souvent dans les obésités secondaires. Lorsque l’efficience intellectuelle est normale ou supérieure, l’inhibition ou la passivité entrave souvent la réussite.

Le plus souvent l’obésité ne s’inscrit pas dans un tableau syndromique net, bien qu’elle s’intégre parfois dans un tableau psychopathologique précis tel qu’une psychose. Au sein de cette psychose l’obésité peut alors se caractériser par son aspect monstrueux (60 % et plus de surcharge), et par sa variabilité réalisant ce qu’on a appelé « l’obésité baudruche ».

L’obésité se rencontre aussi fréquemment dans les tableaux de débilité mentale : la recherche par l’enfant de satisfactions immédiates, non symbolisées, la réduction de la fonction parentale à son rôle nourricier, plus qu’éducatif, sont les explications proposées. On retrouve souvent l’existence d’une carence affective qui peut d’ailleurs être associée à un tableau de débilité ou pseudo-débilité. La problématique du plein et du vide y occupe une place privilégiée, l’enfant tentant de combler le manque si cruellement ressenti.

Evolution de l’obésité

Nous avons déjà signalé le grand écart existant entre la constitution de l’obésité elle-même et l’âge de l’enfant lors de la première consultation. Sauf cas exceptionnel, c’est à la puberté, entre 11 et 13 ans, que les parents s’inquiètent, plus souvent pour leur fille que pour leur garçon. Tous les auteurs s’accordent à reconnaître la relative persistance du symptôme malgré les divers traitements entrepris. Seuls 15 à 25 % des obésités régressent (Job), les autres persistent à l’âge adulte.

Éléments de réflexion psychopathologique

L’enfant obèse et sa famille : le déterminisme familial et culturel de l’obésité est important. Ainsi, il existe des familles d’obèses où s’intriquent des facteurs génétiques et des habitudes alimentaires. De même l’obésité est fréquente chez les enfants de classes défavorisées qui viennent d’accéder à la « société de consommation ». Dans ces familles l’obésité est encore investie du symbolisme de « bonne santé ».

Dans la constellation familiale on a décrit le comportement excessivement nourricier des mères (H. Bruch) qui répondent à toute manifestation de leur bébé par un apport alimentaire : cela pertuberait la sensation de faim de l’enfant, toute tension ultérieure déclenchant un besoin d’absorber quelque chose.

L’enfant obèse et son corps : le schéma corporel de l’enfant obèse est souvent perturbé, d’autant plus que l’obésité s’est constituée précocement. La représentation d’un corps filiforme, aérien, n’est pas rare. Nous abordons ici la problématique de l’identité, y compris celle de l’identité sexuée, où l’obésité joue un rôle different selon le sexe. Très schématiquement on pourrait dire que l’obésité de la fillette est un moyen actif d’affirmation virile de son corps déniant sa castration, tandis que chez le garçon, l’obésité qui noie le sexe dans la graisse prépubienne apparaît comme une protection passive contre les angoisses de castration, en masquant l’existence même de ce sexe, ce que révèlent bien parfois les tests projectifs.

Vie fantasmatique de l’enfant obèse : sous les attitudes de prestance, de force et de vigueur, se dévoile assez souvent un vécu dépressif plus ou moins important, contre lequel l’obèse cherche à se protéger : le vide, le manque, l’absence, sont ressentis avec acuité. Rapidement se trouve mobilisée une vie fantasmatique liée à l’oralité, sous-tendue par d’intenses angoisses de dévoration, le monde extérieur étant vécu comme dangereux. Face à ce danger, la régression narcissique dont témoigne le fréquent recours aux thèmes marins et océaniques dans les tests est le second versant, l’obésité servant d’affirmation de soi et prenant de manière concrète la place de l’image de soi idéale. Ainsi l’obésité aurait constamment ce double rôle : d’une part protecteur contre l’environnement et d’autre part garant de l’intégrité et de la valeur de l’image de soi, l’importance relative de l’un ou l’autre rôle expliquant la variété des tableaux cliniques.

Traitement

S’adresser uniquement au symptôme de l’obésité est généralement source de déconvenue et d’échec, d’autant plus que le régime est demandé par les parents et non par l’enfant. S’il est possible de faire maigrir l’enfant le temps du régime, il reprend aussi vite les kilos perdus dès l’arrêt de ce dernier.

La restriction calorique, certes utile, voire indispensable, doit s’accompagner d’une évaluation du rôle psychosomatique de l’obésité et d’une motivation de l’enfant à ce traitement. Quelques consultations thérapeutiques ou même une psychothérapie de soutien sont nécessaires.

Les traitements médicamenteux sont à déconseiller, les anorexigènes amphétaminiques doivent être maniés avec prudence.

C. – Comportements alimentaires déviants

Crises de boulimie

Elles peuvent se voir chez des adolescents anorectiques, ou des enfants obèses, mais aussi chez des enfants présentant divers types de structures mentales. Il s’agit d’impulsions irrésistibles à s’alimenter, survenant brutalement, accompagnées ou non de sensations de faim, concernant en temps normal des aliments appréciés ou non par le sujet, le plus souvent sans discrimination. Elles sont décrites comme un besoin impérieux de se remplir la bouche, en mâchant plus ou moins, véritables faims dévorantes qui peuvent durer un temps variable de quelques minutes à plusieurs heures. Elles cessent brutalement, souvent suivies d’une impression de dégoût à la vue du réfrigérateur dévasté, des pots de confiture vides et la constatation amère de l’absence totale de tout sens critique et de toute hygiène alimentaire pendant la durée du phénomène. Elles se terminent souvent dans un accès de torpeur, voire de somnolence dans lequel un sentiment de réplétion peut être vécu, soit avec dégoût, soit avec plaisir.

Signalons que de graves crises boulimiques s’intégrent parfois dans une conduite psychotique où la nourriture est le support d’un investissement délirant.

Maniérisme et dégoûts électifs

Il s’agit de comportements très fréquents dans la petite enfance, alternant parfois avec des périodes anorectiques. Ils concernent certains genres d’aliments, soit dans le sens du dégoût, soit dans le sens du désir. On peut citer par exemple le désir électif des aliments lactés de couleur blanche, les désirs électifs de sucreries, de chocolat. À l’inverse, on peut citer le dégoût électif des viandes, des aliments filandreux type haricots verts, asperges, poireaux.

Certains aliments suscitent des réactions souvent vives chez l’enfant, soit du fait de la couleur, de la consistance ou du caractère hautement symbolique de l’aliment : ainsi la « peau sur le lait » laisse rarement indifférent l’enfant qui y réagit le plus souvent par le dégoût, parfois par le désir. Le désir régressif du sein renversé en son contraire sous forme de dégoût en serait l’explication (A. Freud). Si ces goûts et dégoûts électifs sont le témoin évident de l’investissement fantasmatique particulier de certains aliments et de leur absorption (ainsi par exemple la tentative de contrôler ou de dénier l’agressivité orale et les fantasmes cannibaliques dans le refus de la viande), ils sont aussi pour l’enfant un moyen de pression et de manipulation de son entourage. Le jeune enfant anorectique obtient parfois que ses parents accomplissent des prouesses pour se procurer « le produit » désiré, confirmant ainsi sa toute-puissance sur eux.

À un âge plus avancé de telles conduites persistantes peuvent témoigner d’organisations plus franchement pathologiques, voire véhiculer des idées délirantes de type hypocondriaque.

Potomanie

Il s’agit d’un besoin impérieux de boire de grandes quantités d’eau, ou à défaut tout autre liquide. Lorsqu’on tente de limiter cette conduite, certains auteurs ont décrit des enfants capables de boire leur propre urine.

Le diagnostic différentiel doit soigneusement éliminer une cause organique (diabète glycosurique, diabète insipide, syndrome polyuro-polydipsique), avant d’affirmer la potomanie.

Au plan psychopathologique, si certains enfants présentent des troubles de personnalité s’inscrivant dans le cadre d’une psychose, chez d’autres cette potomanie apparaît comme une perturbation de la notion de soif qui trouve sa signification soit dans un comportement névrotique régressif (la première alimentation du nourrisson est liquide, et l’absorption des premiers « morceaux » posent souvent de nombreux problèmes tant aux mères angoissées par la crainte de l’étouffement qu’aux enfants eux-mêmes, non habitués à mastiquer), soit dans un comportement d’opposition à l’entourage, le plus souvent à la mère qui cherche à limiter la quantité de liquide ingéré.

Les épisodes spontanément régressifs de potomanie ne sont pas rares. Ils peuvent parfois précéder une conduite boulimique ou inversement anorectique, ou la suivre.

Pica

Du nom latin de la pie, l’oiseau à la voracité omnivore, on décrit sous le terme de pica l’ingestion de substances non comestibles au-delà de la période normale (entre 4 et 9-10 mois) au cours de laquelle l’enfant porte tout à sa bouche comme premier moyen d’appréhension du monde. Dans le pica, l’enfant absorbe les substances les plus diverses : clou, pièce de monnaie, bouton, petits jouets, crayon, cendre de cigarette, papier, plâtre, herbe, terre, sable, etc. Parfois l’enfant absorbe toujours le même objet, mais le plus souvent il absorbe n’importe quoi.

Ce comportement semble s’observer soit chez des enfants en situation de carence affective profonde ou d’abandon, soit chez des enfants psychotiques, s’associant alors à d’autres perturbations, en particulier des troubles de la fonction alimentaire et digestive (anorexie, diarrhée/constipation, incontinence…).

Certains auteurs, devant la constatation fréquente d’une anémie hypochrome chez ces enfants, ont interprété leur comportement comme une recherche de fer. Une thérapeutique martiale aurait permis quelques améliorations de la conduite de pica, mais ces résultats se sont avérés très inconstants.

Coprophagie

Elle n’est pas fréquente dans l’enfance. S’il n’est pas rare que le petit enfant entre 2 et 4 ans, au moment de l’acquisition de la propreté, étale au moins une fois ses matières dans son lit, sur ses draps ou sur son mur, cette conduite est généralement isolée, et se renverse rapidement en dégoût. En revanche, le goût pour les matières fécales est rare et traduit une profonde perturbation, tant de l’investissement corporel que de la relation à l’autre, et en particulier à la mère. Le comportement de coprophagie s’observe souvent quand l’enfant est seul, dans son lit, et on pourrait y voir une sorte de parallélisme avec le mérycisme.

Les mères des enfants coprophages seraient souvent froides, inaffectives et mêmes hostiles, allant jusqu’à maltraiter leur enfant (Spitz). La coprophagie s’intégre le plus souvent dans un tableau évocateur de psychose.

Bibliographie

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