8. Troubles sphinctériens

I. – Généralités

Dans l’acquisition de la propreté et du contrôle sphinctérien, urinaire ou anal, trois axes interviennent : un axe neurophysiologique, un axe culturel et un axe relationnel.

La neurophysiologie sphinctérienne est marquée par le passage d’un comportement réflexe automatique à un comportement volontaire contrôlé. Chez le nouveau-né la miction et la défécation succèdent d’abord à la réplétion. Le contrôle des sphinctères striés est acquis progressivement, le contrôle du sphincter anal précède en général celui du sphincter vésical.

Ce contrôle fait intervenir de multiples composantes : maturation locale, capacité précoce de conditionnement… Si bien qu’il est vite difficile de distinguer la part de ces facteurs.

Les études portant sur la motricité vésicale par l’enregistrement des courbes de pression intravésicale ont permis de distinger plusieurs stades (Lauret) : automatisme infantile (courbe Al jusqu’à 1 an) ; début d’inhibition (A2 jusqu’à 2 ans) ; possibilité d’inhibition complète (B1 jusqu’à 3 ans) ; courbe de type adulte (B2 après 3 ans) : l’acquisition d’un véritable contrôle sphinctérien n’est pas possible avant que la motricité vésicale soit parvenue à ce dernier palier, même si un conditionnement précoce peut faire croire à une apparente propreté.

Le contexte culturel ne peut être dissocié de l’apprentissage de la propreté. Selon les cultures, cet apprentissage se déroule dans un contexte plus ou moins rigide, réalisant sur l’enfant des pressions sévères, modérées ou légères (Anthony). L’évolution récente des mœurs, la diffusion des connaissances sur la petite enfance, un climat de plus grand libéralisme ont beaucoup atténué la pression à l’apprentissage de la propreté chez les enfants des pays occidentaux, ce qui influencera peut-être la fréquence des perturbations liées à cette fonction.

Toutefois certaines mères continuent d’exercer de vives pressions sur l’apprentissage : un conditionnement précoce dès la première année est alors possible mais il y a tous les risques pour que ce conditionnement cède au moment précis où l’enfant commence à établir un contrôle personnel.

Le dernier axe est t’axe relationnel : par-delà la maturation neurophysiologique et la pression culturelle dans notre société où la relation mère-enfant est privilégiée et protégée, l’acquisition de la propreté est, au cours des deuxième et troisième années, un des éléments de transaction dans la dyade mère-enfant.

Les matières fécales, et à un moindre degré l’urine, véhiculent une forte charge affective qui peut être positive ou négative, mais reste liée au contenu du corps donc au corps lui-même. L’acquisition du contrôle sphinctérien se fait à la suite du plaisir pris d’abord à l’expulsion puis à la rétention, puis au couple rétention-expulsion : la maîtrise nouvelle sur son corps procure à l’enfant une jubilation renforcée encore par la satisfaction maternelle. La nature de l’investissement de cette fonction de rétention-expulsion, investissement pulsionnel à prédominance libidinale ou à prédominance agressive, dépend en grande partie du style de relation entre mère et enfant qui se noue autour du contrôle sphinctérien : exigence impérieuse de la mère qui dépossède l’enfant d’une partie de son corps et reçoit son urine ou ses selles avec un masque de dégoût ; satisfaction d’une mère à voir son enfant progresser et s’autonomiser dans ces conduites quotidiennes et reçoit son urine ou ses selles avec plaisir.

C’est ainsi que s’opère le passage du couple rétention-expulsion au couple offrande-refus ou au couple bon cadeau-mauvais détritus.

Les études épidémiologiques confirment l’importance de cette dimension relationnelle en révélant la fréquence des troubles sphinctériens et autres dans les conditions d’apprentissage inadéquat (Nourrissier).

II. – Énurésie

L’énurésie se définit comme l’émission active complète et non contrôlée d’urine une fois passé l’âge de la maturité physiologique habituellement acquise entre 3 et 4 ans. L’énurésie secondaire se caractérise par l’existence d’une période antérieure de propreté transitoire. L’énurésie primaire succède directement à la période de non-contrôle physiologique, cette dernière forme est de loin la plus fréquente.

Suivant le rythme nycthéméral on distingue l’énurésie nocturne, la plus fréquente, diurne souvent associée à des mictions impérieuses, ou mixte. De même, en fonction de la fréquence, on décrit une énurésie quotidienne, irrégulière, ou intermittente (énurésie transitoire avec de longs intervalles secs).

Il s’agit d’un symptôme fréquent, qui concerne 10 à 15 % des enfants, avec une nette prédominance des garçons (2/1). Il s’associe parfois à d’autres manifestations : encoprésie le plus souvent, potomanie, immaturité motrice. Signalons une fréquence élevée et inexpliquée de sténose du pylore dans les antécédents d’enfants énurétiques.

A. – Diagnostic différentiel

Il est habituellement aisé :

— les affections urologiques, infectieuses, irritatives (calculs vésicaux), ou malformatives (abouchement anormal ou ectopique des uretères, atrésie du méat.) s’accompagnent souvent d’autres signes mictionnels : mictions très fréquentes, difficiles (retard d’évacuation, faiblesse du jet) ou douloureuses. Au moindre signe suspect, des explorations complémentaires se justifient ;

— les affections neurologiques (vessie neurologique avec miction réflexe ou par regorgement) sont évidentes par les troubles associés, qu’elles soient d’origines infectieuses (myélites), ou malformatives (spina-bifida) ;

— l’épilepsie nocturne peut être plus difficile à reconnaître si l’émission d’urine en constitue le seul témoin. En cas de doute, un enregistrement électroencéphalographique nocturne peut être nécessaire.

B. – Facteurs étiologiques

Il faut les envisager en fonction des divers axes qui concourent à l’acquisition de la propreté :

— axe des inter-relations familiales ;

— axe du développement psycho-affectif de l’enfant.

Comme tous les symptômes qui concernent le corps chez l’enfant, on note une interaction étroite entre ces différents axes : les vissicitudes de l’un se trouveront estompées ou renforcées selon le déroulement des autres axes. Ainsi, un retard de maturation physiologique peut-il servir de point d’ancrage à un conflit affectif de type rétention-expulsion dont le développement trouve son origine soit dans l’intensité de la vie pulsionnelle de l’enfant, soit dans le surinvestissement familial des fonctions excrémentielles.

À partir de là, privilégier un facteur étiologique par rapport à un autre dépend souvent de la position théorique des auteurs. Nous exposerons ici les différents facteurs le plus souvent retenus :

■ un facteur héréditaire trouve son explication dans la relative fréquence d’énurésie familiale, sans qu’une transmission génétique précise ait été également mise en évidence. Signalons que l’énurésie a pu être considérée dans une perspective éthologique comme la résurgence pathologique d’un comportement inné normalement réprimé ; la levée de cette répression présenterait, dans cette perspective, une analogie avec le marquage du territoire chez l’animal ;

■ la mécanique vésicale de l’énurétique a été très étudiée. La capacité vésicale, la pression intravésicale ne semblent pas différentes de celles de l’enfant normal. Toutefois, chez ces enfants énurétiques des enregistrements cytomanométriques ont montré l’existence de courbes de pressions dont la dynamique est identique à celle qu’on retrouve chez des enfants plus jeunes (1 à 3 ans). Ces constatations justifient l’évocation d’une « immaturité neuromotrice de la vessie », dont l’importance et la fréquence varient selon les auteurs.

■ le sommeil de l’énurétique a été l’objet des études les plus récentes. D’une part l’enfant énurétique fait souvent des rêves « mouillés » : jeux dans ou avec l’eau, inondation, ou simplement rêve de miction.

Au niveau de la qualité du sommeil, sa profondeur a parfois été incriminée, mais les enregistrements polygraphiques systématiques du sommeil n’ont montré aucune différence significative par rapport aux enfants non énurétiques. En ce qui concerne les diverses phases du sommeil, l’énurésie survient le plus souvent juste avant l’apparition d’une phase de rêve. Le maintien de l’enfant dans l’urine semble exercer un effet de blocage sur l’apparition des phases III et IV du sommeil profond qui surviennent normalement si celui-ci est changé après sa miction.

Dans le temps, la miction soit unique, soit répétée (une à deux fois), survient une heure à une heure et demie après l’endormissement.

■ Les facteurs psychologiques restent les plus évidents. Il n’est que de se rappeler la fréquente correspondance entre la survenue ou la disparition de l’énurésie et celle d’un épisode marquant de la vie de l’enfant : séparation familiale, naissance d’un cadet, entrée à l’école, émotions de toutes natures…

Ces facteurs psychologiques peuvent jouer soit au niveau de l’enfant lui-même, soit au niveau de l’environnement familial.

L’enfant et sa personnalité

En ce qui concerne une certaine typologie psychologique il est classique d’opposer les énurétiques passifs, mous, dociles, et ceux qui sont agressifs, revandicants, opposants. On a aussi évoqué l’immaturité et l’émotivité chez des enfants souffrant « d’éréthisme vésical ». En réalité la grande variété des profils décrits en montre le peu d’intérêt relatif.

Quant à la signification que prend l’énurésie dans l’imagination de l’enfant, celle-ci est fonction à la fois du point de fixation du développement psycho-affectif auquel correspond ce symptôme (phase anale de rétention-expulsion) et des remaniements ultérieurs du fait de la poursuite de ce développement. Ainsi la miction s’enrichit rapidement d’une symbolique sexuelle : utilisation auto-érotique de l’excitation urétrale, équivalent masturbatoire, agressivité urétrale, affirmation virile chez le garçon… Le symptôme prend alors place dans un ensemble névrotique plus vaste.

Signalons que certains auteurs assimilent l’énurésie à un symptôme de « dépression masquée », en raison principalement de l’activité de l’imipramine (v. p. 329).

L’environnement de l’enfant

Il intervient selon deux versants, soit par carence ou déficit, soit par surinvestissement. Dans le premier cadre, signalons la fréquence des conflits familiaux, (dissociation familiale, carences socio-économiques au sens large) dans les familles d’enfants énurétiques. Il existe aussi une fréquence élevée d’énurétiques parmi les enfants vivant dans des internats. D’un autre côté, le surinvestissement de la fonction sphinctérienne par les parents est fréquent : mise sur le pot intempestive et précoce, ritualisation plus ou moins coercitive (sur le pot toutes les heures…). Ceci se voit surtout chez des mères obsessionnelles ou phobiques, qui ont besoin d’un cadre éducatif bien délimité, sans respect pour le rythme propre de l’enfant. Ainsi se trouve conflictualisée cette fonction sphinctérienne : angoisse, peur, sentiment de culpabilité ou de honte, opposition vont progressivement accompagner la miction.

L’existence de l’énurésie peut en elle-même modifier l’attitude familiale, et de ce fait pérenniser, en la fixant, la conduite pathologique. Ainsi, la réponse familiale peut se faire sur le registre de l’agressivité : punition, menace, moquerie, voire violence physique, ou à l’opposé par une complaisance protectrice : plaisir à manipuler des couches, à laver l’enfant, impossibilité d’éloignement (pas de classe de neige, pas de séjour chez des amis…) en raison des complications occasionnées.

Le symptôme se trouve de ce fait fixé, soit par l’existence de bénéfices secondaires, soit parce qu’il vient s’inscrire dans un conflit névrotique qui s’organise peu à peu.

Associations psychopathologiques

■ Arriération mentale : Pénurésie y est d’autant plus fréquente que la débilité est profonde. Cette association souligne a contrario l’importance de la maturation neurophysiologique.

■ Psychose : symptôme fréquent au sein d’un ensemble de perturbation beaucoup plus vaste.

■ Névrose : la dimension symbolique de Pénurésie y est particulièrement repérable et a aidé à sa compréhension.

C. – Traitement

Il dépend du contexte psychologique. La majorité des énurésies disparaît dans la seconde enfance : l’appréciation de l’efficacité thérapeutique doit tenir compte de cette donnée. Les diverses mesures thérapeutiques s’adressent à des enfants de plus de 4 ans et demi.

Mesures générales

Elles consistent en corrections des mesures éducatives néfastes : apprentissage trop précoce ou rigide, excès de précaution (couche, bambinette, lange, alèzes multiples, soins intimes répétés…).

Modération des boissons le soir, sans que cela prenne un aspect excessif, hygiène de vie avec pratique de sport (natation) pour les enfants inactifs.

Ces mesures demandent la participation de la famille, mais aussi l’abandon éventuel de positions qui reflétaient les conflits névrotiques maternels, c’est dire qu’elles ne sont pas toujours facile à obtenir !

Thérapies médicamenteuses :

Elles se résument actuellement à la prescription d’imipramine en deux prises (16 h et au coucher) :

— 10 à 30 mg de 6 à 9 ans ;

— 20 à 50 mg au-delà (comprimés à 10 et 25 mg).

Ces produits de la série des antidépresseurs ont à la fois une activité anticholinergique périphérique, relâchant la musculature lisse de la vessie (détrusor), et une action stimulante sur le système nerveux central. Il est préférable de ne pas prescrire ces produits avant 6 ans.

Réveil nocturne

Réveil à heure régulière par les parents. Après une miction complète au coucher, on réveille complètement l’enfant une heure à une heure et demie après l’endormissement, pendant des périodes de trois semaines à un mois.

Réveil par un avertisseur sonore dont le déclenchement résulte de la conductibilité des draps dès l’émission des premières gouttes d’urine. Il est préférable de ne pas utiliser cet appareil avant 7-8 ans. L’importance du bruit peut poser des problèmes (fratrie, voisinage) et en réduire l’utilisation. Néanmoins, lorsque l’enfant accepte cet appareil, on assiste rapidement à une diminution du nombre des sonneries, puis à des réveils spontanés.

Motivations de l’enfant

L’information de l’enfant sur le fonctionnement urinaire est fondamentale : démystifier le symptôme, permettre à l’enfant de ne plus se vivre comme une victime soumise et coupable. Des dessins, l’explication du trajet des urines depuis la bouche jusqu’au sphincter peuvent être utiles.

La participation de l’enfant aux résultats par la notation sur un cahier va dans le sens de cette motivation, sans que cela devienne un comportement obsessionnel.

Psychothérapies

Elles s’adressent aux cas où le contexte névrotique est au premier plan, ou tout au moins lorsque prévalent les déterminants psychologiques :

— soit psychothérapie courte, associant attitudes explicatives, suggestives, et interprétations éclaircissant la signification du symptôme ;

— soit psychothérapie classique ou psychodrame, lorsque le contexte névrotique la rend nécessaire.

III. – Encoprésie

L’encoprésie est une défécation dans la culotte chez un enfant qui a dépassé l’âge habituel d’acquisition de la propreté (entre 2 et 3 ans).

On distingue l’encoprésie primaire sans phase antérieure de propreté, et l’encoprésie secondaire, beaucoup plus fréquente, après une phase plus ou moins longue de propreté. Elle est presque exclusivement diurne. Ainsi, contrairement, à l’énurésie, la forme la plus fréquente est l’encoprésie secondaire diurne. On compte environ 3 garçons encoprétiques pour une fille. L’âge d’apparition du symptôme se situe habituellement entre 7 et 8 ans. Sa fréquence est estimée aux environs de 1,5 à 3 % selon l’âge. Elle s’associe très souvent à l’énurésie (25 % des cas) qui est parfois diurne elle aussi. Encoprésie et énurésie peuvent être concomitantes ou se succéder par périodes alternantes.

L’étude de séries suffisamment importantes n’a pas révélé d’autre association caractéristique, il n’y a pas en particulier d’antécédent somatique plus élevé chez les enfants encoprétiques. On ne retrouve pas non plus d’antécédents familiaux. Il faut distinguer l’encoprésie des incontinences anales qu’on observe dans certains syndromes neurologiques (syndrome de la queue de cheval) et chez les grands encéphalopathes.

A. – Étude clinique

L’aspect des selles est variable : selles bien moulées, évacuées en totalité dans la culotte, selles glaireuses, molles et abondantes, emplissant le slip, et coulant dans le pantalon, simples « fuites » suintantes tachant le linge.

Le rythme est tout aussi variable : quotidien ou pluriquotidien, l’encoprésie est cependant souvent intermittente, nettement scandée par les épisodes de la vie de l’enfant : vacances, séparation du milieu familial, école. Une certaine régularité d’heure ou de lieu est parfois repérable (Marfan parlait de « défécation involontaire des écoliers »), mais ceci n’est pas constant.

Les conditions de la défécation ne sont pas indifférentes. Certains enfants s’isolent et s’absorbent dans une activité qui n’est pas très différente de la conduite habituelle des enfants qui vont aux W.C. D’autres évacuent leurs selles sans cesser leurs activités ; certains, enfin, laissent échapper celles-ci sur le chemin des toilettes tandis qu’ils y courent. Le caractère volontaire ou non de l’encoprésie reste un sujet de discussion. Lorsqu’on l’interroge, l’enfant met toujours en avant l’incapacité de se contrôler, mais certaines observations vont à l’encontre de ce caractère toujours involontaire. Il en est de même de la conscience ou non de la défécation elle-même. Certains enfants affirment « ne rien sentir », d’autres déclarent sentir normalement la selle, mais être incapables de se retenir.

Le rapport de l’enfant avec ses selles mérite d’être toujours soigneusement étudié :

— parfois l’enfant semble indifférent à son symptôme, seule l’odeur qui incommode l’entourage en révèle l’existence ;

— souvent, il développe des conduites de dissimulation, voire d’accumulation : les slips sont cachés ou rangés dans un tiroir, au-dessus d’une armoire. Le plus souvent l’enfant conserve à la fois la culotte et les matières fécales. Très rarement, il cherche à dissimuler l’encoprésie en lavant sa culotte. Le plus souvent ces conduites se déroulent avec un sentiment de honte, et sont cachées à l’entourage, sauf à la mère.

Il arrive enfin plus rarement que l’enfant ait un comportement provocateur, exhibant son linge souillé, indifférent aux remarques ou remontrances.

B. – Facteurs étiologiques

Plus encore que l’énurésie, la dimension relationnelle et psychologique est au premier plan dans la constitution d’une encoprésie. Néanmoins, d’autres facteurs peuvent intervenir.

1°) Perturbations physiologiques

Les études du transit intestinal, de la mécanique du sphincter anal, des pressions de l’ampoule rectale, de la sensibilité de la muqueuse anale, n’ont mis en évidence aucune anomalie organique ou fonctionnelle. Certains, toutefois, distinguent une encoprésie avec rectum vide, et une encoprésie avec rectum plein, plus fréquente, accompagnée ou non de fécalomes sigmoïdiens. Le toucher rectal, la radio de l’abdomen sans préparation permettent de retrouver ces fécalomes. La présence de ces derniers objective la rétention de matière fécale et pose le problème de l’association de l’encoprésie avec la constipation. On a avancé l’hypothèse que l’encoprésie serait une sorte de défécation par « regorgement » ou par « suintement » parce que la sensibilité et la motricité normales de l’ampoule rectale seraient perturbées par l’accumulation des matières ainsi retenues. Les épreuves d’explorations dynamiques n’ont pas confirmé cette hypothèse.

2°) Personnalité de l’enfant

Il n’y a pas un profil psychologique univoque, mais les traits de personnalité pathologique semblent plus tranchés que dans le cas de l’énurésie. On a ainsi décrit :

— des enfants passifs et anxieux exprimant leur agressivité de manière immature. C’est le type « clochard » de M. Fain ;

— des enfants opposants, avec des traits obsessionnels où l’encoprésie prend l’allure d’un refus de se soumettre à la norme sociale (c’est le type « délinquant » de M. Fain) ;

— enfin, Pencoprésie peut s’inscrire dans le cadre d’une conduite où la dimension perverse domine : régression ou fixation à un mode de satisfaction archaïque centrée à la fois sur la rétention puis l’érotisation secondaire de la conduite déviante.

Au niveau de l’investigation psychanalytique on retrouve chez l’enfant encoprétique une importante fixation anale où tantôt le pôle expulsion-agression, tantôt le pôle rétention sont particulièrement investis. Du fait des particularités de la constellation familiale que nous verrons dans le paragraphe suivant, l’enfant semble établir un rapport privilégié à la mère sur un mode prégénital, l’objet d’échange étant le « pénis anal », car le « pénis paternel » paraît fantasmatiquement inaccessible.

3°) La famille

Elle présente des particularités centrées sur la relation mère-enfant. Les pères sont en effet souvent timides et réservés, voire franchement effacés ; ils interviennent peu dans la relation mère-enfant.

Au niveau des mères, il semble exister des traits distinctifs. Elles sont fréquemment anxieuses, émotives, surprotectrices et masquent cette anxiété soit derrière une conduite assez rigide en matière d’éducation sphinctérienne (mise sur le pot dès les premiers mois), soit derrière une préoccupation excessive au niveau des « évacuations » de leur enfant (survalorisation de la selle quotidienne, lavement et suppositoire dès qu’il n’y a pas eu la selle de la journée). Par rapport au symptôme, il n’est pas rare qu’une véritable complicité secondaire s’instaure entre l’enfant et sa mère qui a pour objet soit les soins du corps, soit l’échange des slips souillés.

Au niveau psychosocial, les dissociations familiales sont fréquentes ; les changements dans l’organisation familiale marquent souvent le début de l’encoprésie : début du travail de la mère, mise à l’école, naissance d’un cadet.

C. – Évolution

Elle dépend de la profondeur du conflit qui s’organise autour de ce symptôme, c’est-à-dire d’une part de la gravité de l’organisation névrotique maternelle, et d’autre part des remaniements ou déviations qu’il suscite dans le développement de l’enfant lui-même.

Un grand nombre d’encoprésies disparaissent spontanément après une période de quelques semaines ou mois. Celles qui persistent sur plusieurs années sont toujours des formes graves par leur fréquence, par la dimension psychopathologique nettement perceptible (nombreux traits de caractères anaux) et par la pathologie familiale (carence socio-éducative majeure, absence de père).

À distance le symptôme finit toujours par disparaître au moment de l’adolescence, mais souvent pour laisser la place à des traits franchement caractériels ou névrotiques : soucis excessifs de propreté, parcimonie ou avarice, méticulosité, indécision, tendance à accumuler…

D. – Traitement

Il faut éviter des traitements symptomatiques et les diverses manœuvres qui se centrent autour du sphincter anal. Pour certains auteurs, cependant, d’importants fécalomes présents dans le sigmoïde et dans l’ampoule rectale modifient profondément la sensibilité de la muqueuse, et doivent être évacués par des lavements prudents. Il faut toutefois réduire au maximum ces manipulations.

L’action thérapeutique doit inclure la famille. Si les parents deviennent capables de mettre en relation le symptôme de l’enfant et le fonctionnement de la famille et d’apporter les quelques correctifs comportementaux nécessaires, le symptôme disparaît souvent.

Lorsque l’encoprésie s’inscrit dans un conflit névrotique déjà organisé, une psychothérapie individuelle de type analytique doit alors être proposée. La séparation du milieu familial modifie souvent le symptôme, mais son effet est temporaire. Néanmoins, lorsque l’organisation familiale est franchement pathologique et inamovible, elle peut constituer un des temps de l’abord thérapeutique global.

IV. – Constipation psychogène et mégacôlon fonctionnel

En dehors de toute cause organique, la constipation représente un motif d’inquiétude assez fréquent d’un ou des parents : ceci d’autant plus que l’apprentissage de la propreté sphinctérienne s’est fait sur un mode conflictualisé. La selle de l’enfant ponctue ainsi chaque journée d’un cadeau libérateur pour l’angoisse parentale, de même que son absence et par conséquent sa rétention dans le ventre menace l’intégrité du corps de l’enfant.

Ce surinvestissement de la selle est à l’évidence rapidement perçu par l’enfant qui exerce son contrôle sur ses exonérations, pas toujours dans le sens désiré par les parents. Ainsi, après un apprentissage réflexe toujours possible, de la défécation à un âge trop précoce (dès le premier trimestre de la vie comme cela a pu se faire dans quelques crèches ou avec des mères trop rigides) survient inéluctablement un « retour à la saleté » qui pour l’enfant est un moyen de s’approprier son corps tandis que pour la mère c’est le signe d’une opposition. Très tôt, dans un tel contexte, une constipation opiniâtre risque de s’installer. La réponse parentale au moyen de manipulations anales : thermomètre, suppositoire, voire excitation de l’anus avec le doigt, ne peut que fixer un peu plus le surinvestissement de cette zone et de cette conduite.

De nombreuses constipations restent isolées, pouvant persister pendant une grande partie de l’enfance. Dans d’autres cas, la symptomatologie s’enrichit d’une encoprésie qui est le plus souvent transitoire. Au maximum est réalisé le tableau de mégacôlon fonctionnel.

Ce mégacôlon doit être distingué du mégacôlon secondaire à un obstacle (congénital par rétrécissement, ou acquis de type tumoral) et du mégacôlon congénital de la maladie de Hirschprung (absence de cellules ganglionnaires dans les plexus nerveux de la muqueuse de l’extrémité colique).

Dans le mégacôlon fonctionnel, la constipation survient au cours du second semestre et persiste. L’étude radiologique a montré que la défécation se produit en quelque sorte à l’envers (M. Soulé) : lorsque la selle arrive au sphincter anal la contraction aboutit non pas à l’exonération, mais à la rétropulsion de la selle dans le sigmoïde et le côlon gauche. L’accumulation des matières provoque la dilatation colique bien visible au lavement baryté.

Il est essentiel de reconnaître assez tôt ce mécanisme et de distinguer la constipation psychogène des autres types de constipation, car si ces diverses manœuvres exploratoires sont amplement justifiées au début des troubles, leurs répétitions abusives auront le même effet de fixation du symptôme que l’attitude parentale déjà décrite.

Au plan psychopathologique il semble que ce dysfonctionnement physiologique soit au début mis au service d’un investissement « quasi pervers » de la fonction : la maîtrise ainsi acquise sur l’objet interne permet dans un premier temps d’éviter l’angoisse de perte (niveau phobique). Dans un second temps se produit une érotisation secondaire de la contraction sphinctérienne et de l’excitation de la muqueuse lors de ce fonctionnement inverse qu’on a pu rapprocher de l’excitation masturbatoire. En même temps l’enfant expérimente sa toute-puissance sur son corps et sur l’environnement dont l’inquiétude est pour lui source de bénéfices secondaires.

Ce fonctionnement auto-érotique de la zone anale avec la forte pulsion d’emprise sur l’objet qui semble le caractériser est à rapprocher de ce qu’on observe chez les nourrissons mérycistes (M. Soulé) (v. p. 342).

Au plan familial Soulé note le rôle important du père particulièrement inquiet devant la constipation, alors qu’il semble se désintéresser de l’encoprésie fréquemment associée. Une véritable connivence père-enfant semble s’organiser autour de l’exonération.

Selon Soulé l’attitude thérapeutique consiste à bien montrer à l’enfant la connaissance que l’on a du mécanisme actif de sa constipation et des satisfactions « quasi masturbatoires » qu’il en retire, sans pour autant l’acccuser ou le culpabiliser. À partir de là il est possible d’obtenir de l’enfant une défécation régulière qui supprime la constipation, l’encoprésie et enfin le mégacôlon fonctionnel.

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