Avant-propos à la septième édition

Le petit groupe représente pour les êtres humains un lieu simultanément ou alternativement investi d’espoirs et de menaces. Entre la vie intime (celle du couple ou du recueillement solitaire) et la vie sociale (régie par des représentations et des institutions collectives), le petit groupe peut fournir un espace intermédiaire qui tantôt redonne vie aux liens, et tantôt aménage les écarts indispensables entre l’individu et la société.

Depuis un siècle, le petit groupe est progressivement devenu un objet de réflexions puis d’observations de la part de spécialistes de la philosophie politique, de la sociologie, de l’ethnologie, de l’éthologie, de la psychologie, de la psychanalyse. Une science expérimentale est née aux États-Unis, à laquelle Kurt Lewin, entre 1939 et 1945, a proposé une méthodologie, des hypothèses et une appellation : la dynamique des groupes. Celle-ci s’est développée de façon rapide et arborescente. Une branche s’en est tenue à des recherches fondées sur des principes behavioristes et/ou cognitivistes. Une autre a poussé le plus loin possible l’analogie lewinienne du groupe psychologique et du champ de forces en physique. Une troisième s’est élargie en intégrant les apports du psychodrame et de la sociométrie de Moreno, en reprenant l’objectif lewinien de faire du petit groupe conduit non directivement (c’est-à-dire « démocratiquement ») un « laboratoire de choc » qui favorise le changement social et qui rende possible une intervention psychosociologique dans les organisations économiques et les institutions éducatives ou soignantes. Une quatrième branche a introduit un travail de type systématiquement psychanalytique, non seulement dans les groupes psychothérapiques, mais aussi dans les groupes de formation visant la sensibilisation et le perfectionnement psychologique des adultes. Un essor aussi protéiforme n’a pas été sans susciter des enthousiasmes et des objections, des réussites et des désillusions, des questionnements et des discussions auxquels le présent ouvrage essaie de faire écho pour l’essentiel.

Par une ironie du sort, la première édition parut en mai 1968, à un moment où, sous une forme « sauvage », la dynamique des groupes se trouvait concrètement découverte par de nombreux Français. Cette coïncidence nous a confirmé combien il était temps que fût enfin présenté dans notre pays un état de cette science, alors que, aux États-Unis, depuis 1953, et à un moindre degré en Angleterre, avaient foisonné la publication des instruments de travail, des résultats de recherches ainsi que celle d’ouvrages de synthèse.

L’audience rencontrée par notre ouvrage nous a encouragés à le compléter et à le parfaire au fur et à mesure des rééditions successives. La bibliographie s’est gonflée démesurément. La perspective lewinienne apparaissait stagner. L’investigation psychanalytique ne cessait de se développer. Les approches linguistique et cognitiviste, un moment pleines d’espoirs, décevaient. Malgré leur manque de rigueur théorique et technique (et peut-être à cause de ce manque de rigueur), des méthodes de groupe non verbales (expression corporelle, cri primal, bio-énergie, méditation transcendantale, etc.) se répandaient en Europe occidentale à partir d’Esalen en Californie où la plupart d’entre elles avaient pris naissance. Des critiques sévères se faisaient jour, tantôt contre le laxisme des praticiens cliniciens, tantôt contre l’étroitesse de vue des expérimentalistes, et ceci que ce soit au nom de présupposés épistémologiques ou d’arrière-pensées politiques. Dans tous les cas, l’imprécision conceptuelle, le peu de validité de bien des hypothèses, le pervertissement des objectifs étaient à juste titre dénoncés ou méritaient de l’être.

Il devenait nécessaire de repenser le présent ouvrage en tenant compte d’une triple nécessité : une mise à jour plus précise, un élargissement dans un sens pluridisciplinaire des perspectives offertes, un remaniement de l’ensemble.

La mise à jour ici présentée ne prétend pas à l’exhaustivité : il faudrait pour cela un traité en plusieurs volumes. Au contraire, nous avons dû, afin d’économiser l’espace, abandonner à regret une bibliographie systématique dont la croissance devenait exponentielle. Par ailleurs, nous nous sommes efforcés à la plus grande rigueur sémantique possible dans le choix d’une terminologie et dans la définition des concepts, par exemple pour celui de pouvoir. À ce prix, nous avons pu dépasser les limites traditionnelles de la psychologie sociale et nous référer à d’autres disciplines telles que l’anthropologie sociale, la sociologie ou la théorie des organisations. Cela, sans négliger les recherches expérimentales et les critiques salutaires de S. Moscovici, rassemblées dans son livre, Psychologie des minorités actives (1979), dont nous avons jugé nécessaire de tenir compte en plusieurs passages. Nous avons aussi consacré deux longs développements aux aspects spécifiques de l’affectivité et de l’agressivité dans les groupes restreints. Nous avons ajouté des développements plus brefs sur les théories cognitivistes, sur la créativité du travail en groupe, sur la fenêtre Johari, sur la nature du dialogue, etc.

Cette conception élargie imposait un remaniement profond, qui subdivise ce nouvel ouvrage en trois parties. La première présente ce qui concerne le groupe restreint : concept, historique, théories, méthodes ; on y retrouvera notamment, exposés de façon plus complète et plus systématique, les résultats de l’approche psychanalytique de la dynamique des groupes. La seconde s’attache aux principaux phénomènes de groupe, dans la mesure où ils ont fait