I. — Conduite et observation des réunions-discussions

1. Les fonctions de l’animateur de réunion par J.-Y. Martin

Dans le déroulement d’une réunion, le rôle de l’animateur est capital, surtout s’il en est le président désigné.

En fait, il doit remplir alors tout un ensemble de fonctions qui se répartissent suivant trois axes :

—    par rapport au contenu de la réunion ;

—    par rapport aux participants, considérés individuellement ;

—    par rapport au groupe envisagé comme une entité particulière.

1. Par rapport au contenu

1 . 1. Dès le début

L’animateur intervient pour :

—    exposer le sujet ;

—    proposer le plan de travail ;

—    fixer (ou rappeler) l’objectif de la réunion.

Ce dernier point, quoique capital, est trop souvent négligé dans la pratique et confondu avec le sujet traité. Les objectifs sont généralement : échanger des informations ; recueillir des opinions ; étudier un problème et préparer une décision ; prendre une décision ; former ou perfectionner ; poursuivre des fins psychosociologiques. Il est souhaitable de ne poursuivre qu’un seul objectif à la fois au cours de la séance, ou à défaut, de changer explicitement d’objectif et de s’y tenir.

I. I. I. À ce stade, on rencontre souvent Y obstacle de l'improvisation : bien des réunions, qui sont théoriquement préparées à l’avance, restent en fait improvisées, tout au moins sous certains aspects. Le manque de préparation se manifeste bien plus souvent chez les participants que chez le rapporteur ou le président de séance.

1.1.2.    L’instrument indispensable de l’animateur est le tableau (noir ou de papier). Un président de séance doit pouvoir, soit s’en servir lui-même, soit confier ce soin à un secrétaire, soit (en cours de réunion) officialiser une fonction de secrétariat lorsque celle-ci s’est spontanément constituée.

D’autres utilisations du tableau sont possibles en cours de réunion. Notamment, après l’inscription du plan, on peut y faire figurer ce qui a été décidé ou énoncé avec l'accord du groupe. De ce fait, il est possible d’éviter que des points acquis se trouvent remis en cause, de souligner l’importance de tel ou tel point acquis, de simplifier la transition par rapport à la suite.

Dans le but de faciliter la réflexion des participants, on peut encore inscrire leurs idées au tableau avant de les discuter, mais il convient de laisser d’abord se développer quelques minutes de discussion spontanée pour « échauffer l’atmosphère ».

L’écueil, pour l’animateur, serait de verser dans un formalisme abusif, par exemple celui de la « manie » du tableau ou même des tableaux multiples...

Le risque du formalisme abusif peut, d’ailleurs, être étendu à l’ensemble des procédés (quels qu’ils soient) de conduite de réunion.

1.2.    Au cours de la réunion

L’animateur aura pour fonctions essentielles :

1.2.1.    — Faire respecter le sujet, l’ordre du jour, le plan de travail, les objectifs (ceci, bien entendu, sans la moindre trace d’autoritarisme ou de tyrannie, mais imperturbablement d’un bout à l’autre de la séance).

1.2.2.    — Faire le point par rapport au plan : le fait de signaler au groupe la progression qu’il a effectuée est d’une extrême importance, à la fois logique et psychologique j sous ce dernier aspect, il est nécessaire que le groupe puisse se rendre compte de ce qui a été fait et en tirer satisfaction et encouragement à poursuivre.

1.2.3.    — Formuler les conclusions intermédiaires, en résumant les opinions émises, les positions acquises, les décisions prises, si possible de façon synthétique.

Il importe de remarquer ce qui différencie totalement cette fonction de la précédente : elle a pour but d’intégrer dans la mémoire active du groupe les résultats acquis par lui lors de la discussion ; elle lui permet de s’en servir pour aller au-delà et d’éviter ainsi le phénomène de « discussion réitérative ».

1.2.4.    — Faire le point par rapport à l'objectif général, par exemple : « Sommes-nous encore en train d’essayer de dégager une méthode générale de résolution du problème soumis à notre sagacité, ou de critiquer les décisions de l’entreprise que nous étudions ? »

Ceci entraîne quelques remarques sur les rapports entre l’objectif de la réunion et l’ordre du jour. Il arrive fréquemment qu’en fonction d’un objectif donné, l’ordre du jour soit trop abondant et qu’on se trouve à court de temps pour l’épuiser. Très souvent, en effet, le groupe se laisse fasciner par les aspects mineurs du sujet : il faut tenir compte de ce phénomène lors de l’élaboration de l’ordre du jour. Contrairement à la méthode de progression la plus commune d’un individu isolé, le travail d’un groupe présente habituellement des digressions, des retours en arrière, des méandres auxquels il convient de réserver une certaine marge.

On peut rencontrer aussi le problème de la limite des compétences du groupe : là encore, un groupe a tendance à discuter de points qui ne relèvent pas de sa compétence ou qui sortent de ses possibilités d’action, notamment en ce qui concerne les limites de temps qui lui sont imparties.

2. Par rapport aux participants

2.1. Ordre et discipline de la parole

Il arrive que, dans une réunion, se dessine une véritable lutte pour la parole, en fait reflet de la lutte pour le pouvoir.

Au total, le rôle de l’animateur est d’endiguer les bavards et de stimuler les silencieux, afin d’obtenir une sorte d'équilibre. Il ne s’agit pas, bien entendu, « d’une moyenne arithmétique » j ce qui importe, c’est de découvrir à chaque moment quel est le participant qui sera le plus à même de faire progresser le groupe.

L’équilibre à rechercher est donc fonction des objectifs de la réunion et des ressources de chaque participant : il s’agit ici, non seulement des ressources intellectuelles et de l’expérience acquise antérieurement par chacun, mais aussi du caractère.

2.2.    Tenir compte des particularités des uns et des autres

À cet égard, évoquons quelques types de participants :

—    ceux qui pensent tout haut en parlant et expriment au fur et à mesure leur pensée à l’état brut ;

—    ceux que le silence angoisse et qui auront tendance à parler de n’importe quoi pour échapper au silence, déclenchant ainsi des digressions ;

—    ceux qui, au contraire, ont besoin de silence pour réfléchir. Ces types se rencontrent pratiquement dans toutes les réunions : ne pas en tenir compte, risque de provoquer un certain nombre d’insatisfactions.

2.3.    Équilibrer les moments de discussion et les moments de réflexion

On retrouve ici une des utilités du tableau : pendant que l’animateur (ou le secrétaire) inscrit, il y a en général un silence qui ménage à tous une possibilité de réflexion.

La pause, en cours de réunion, trouve aussi, de ce point de vue, une de scs fonctions les plus importantes : pendant qu’elle a lieu, les bavards peuvent se laisser aller à leur penchant, les silencieux peuvent réfléchir ou recevoir des encouragements à s’exprimer.

C’est un pouvoir et un devoir de l’animateur de décider éventuellement semblable pause. Ici aussi, il convient d’éviter les excès de formalisme.

2.4.    Faire l’inventaire des ressources de chacun

À vrai dire, l’idéal serait de pouvoir faire, dès avant la réunion

— au stade préparatoire —, un choix des participants en fonction des objectifs de la réunion.

D’une façon plus générale, les critères de tels choix sont les suivants :

—    intérêt propre pour la réunion et compétence vis-à-vis d’au moins un des aspects du thème de réflexion choisi ;

—    expérience du sujet traité (ce qui n’implique pas forcément la compétence) ;

—    efficacité dans la réunion (par exemple, avoir un minimum d’aptitude au travail en groupe, sauf dans le cas où l’objectif principal du groupe est précisément d’apprendre à travailler en groupe) ; de fait, certains sont plus aptes que d’autres à exercer des rôles tels que « conciliateur », « opposant constructif », etc.

2.5. Conséquence

Des considérations qui précèdent, il résulte que la fonction d’animateur est rendue difficile ; en effet, il doit porter son attention non seulement à ce qui se dit, mais encore et sans cesse à qui parle.

3. Par rapport au groupe en tant que tel

3.1.    Conscience du groupe

L’animateur fonctionne un peu comme la conscience du groupe, bonne ou mauvaise selon le cas. Outre les fonctions consistant à « faire le point » et à « formuler les conclusions intermédiaires », qui facilitent la production du groupe, il exerce aussi une fonction de maintien du groupe dans les conditions psychologiques optimales quant à sa production et à son fonctionnement : c’est la fonction de régulation.

À cet égard, il pourra notamment tenter de surmonter les oppositions de clans ou de sous-groupes : sous cet angle aussi, la pause peut s’avérer une technique utile.

Il pourra aussi opportunément « prendre la température du groupe » : en cas de changement sensible du climat du groupe, il convient que l’animateur procède à une sorte de « test » ; un des meilleurs moyens d’y parvenir est le « tour de table », à l’occasion duquel chacun est amené à exprimer son opinion sur la discussion elle-même (ne pas confondre avec l’expression systématique d’un vote qui aurait l’inconvénient de cristalliser des positions inconciliables chez certains des participants).

3.2.    Remarque sur la procédure de « test du groupe »

Il n’est pas indispensable et il est même souvent nuisible (sauf en cas de groupe anarchique où cela peut rétablir un certain ordre) de procéder de façon formaliste à un tour de table dans l’ordre.

D’ailleurs, même dans ce cas, il serait encore nécessaire de permettre au participant qui le désirerait de « passer » son tour, quitte à parler plus tard.

Par contre, il est très souhaitable de ne pas se contenter de demander l’avis de chaque participant, mais de lui demander aussi de dire pourquoi il est d’accord ou en désaccord, pourquoi il est satisfait ou insatisfait, etc. L’expérience prouve que, de cette manière, une décision prise a de bien meilleures chances de ne pas demeurer lettre morte.

L’accord des participants doit d’ailleurs être sollicité d’une manière explicite, pour éviter les risques de « projection » : ce terme désigne le fait que l’animateur, tout comme chacun des participants, a naturellement tendance à supposer que tout le monde pense comme lui-même.

3.3.    Débloquer le groupe quand il est bloqué

Là encore, des moyens simples tels que le recours au tableau, l’instauration d’une pause, l’appel au silence de la réflexion, pourront se montrer très efficaces.

Mais d’autres causes de blocage peuvent survenir, notamment des rivalités de prestige, des questions de personnes. Il est parfois nécessaire alors de suspendre le travail du groupe pour analyser la situation ; et ce n’est souvent qu’après cette analyse faite par le groupe que celui-ci pourra reprendre sa progression.

Le cas échéant, il pourra être utile de trouver un rôle précis pour tel ou tel participant : par exemple, faire écrire au tableau le bavard ou celui qui est le moins intéressé par le sujet.

3.4.    Conséquence

Nous voyons apparaître là pour l’animateur une nouvelle difficulté. Non seulement il doit être attentif à ce qui se dit et à qui parle, mais il faut encore qu’il soit attentif aux phénomènes du groupe.

4. Conclusion

De cette triple constatation, on pourrait tirer un véritable programme de formation d’animateurs de réunion, avec un entraînement — d’abord séparé, puis simultané —, à porter l’attention dans chacune des trois directions correspondantes.

2. Classification des réunions par J.-Y. Martin

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3. Fonctions et rôles dans un groupe (d’après Kenneth Benne et P. Sheats, 1948)

Un groupe s’organise en différenciant des fonctions en son sein. Pour que ces fonctions soient assurées, il faut que des membres du groupe remplissent les rôles correspondants. Les rôles sont donc d’abord associés à des processus. Mais ils sont également influencés par la personnalité de celui qui les tient. Analyser le rôle d’un membre du groupe, c’est d’abord examiner la fonction qu’il a (ou n’a pas) en fait remplie.

Les rôles peuvent être classés en trois catégories :

—    ceux qui favorisent l’activité du groupe par rapport à ses buts ;

—    ceux qui forment, maintiennent ou renforcent la cohésion du groupe ;

—    ceux qui font obstacle aux fonctions précédentes.

I. — Rôles centrés sur la tâche (progression du groupe)

1.    Stimuler le groupe : apporter des idées, des suggestions concernant le but, le problème actuel, la procédure, les obstacles à surmonter.

2.    Rechercher des informations : clarifier les suggestions en fonction de leur pertinence, rechercher des faits en relation directe avec le problème discuté.

3.    Rechercher des opinions : que pensent les autres ? de quoi s’agit-il en fait ?

4.    Apporter des informations : d’après sa compétence ou son expérience personnelle.

5.    Donner son opinion personnelle.

6.    Reformuler les opinions, les propositions en améliorant leur formulation.

7.    Clarifier et coordonner les idées, les propositions, les activités.

8.    Orienter le groupe ou lui faire prendre conscience de son orientation, en résumant, en posant des questions sur ce qu’il fait, sur la direction qu’il prend.

9.    Procéder à l’examen critique (évaluation) de ce que le groupe fait par rapport à des normes.

10. Rôle d’activiste : pousser le groupe à décider, à faire quelque chose ou telle chose précise,

11. Régler les questions matérielles pour le groupe : arrangement des chaises, aération, éclairage, enregistrement, repas, distribution de papiers, etc.

12. Rôle de secrétaire du groupe : prendre des notes pour assurer la mémoire collective du groupe.

II.    — Rôles de maintien de la cohésion

(entretien du groupe)

1.    Celui qui encourage les autres, les complimente, les approuve, adhère à leurs déclarations, leur témoigne de la cordialité : dans de nombreux cas, il montre qu’il comprend et accepte les points de vue d’autrui.

2.    Celui qui cherche à établir l'harmonie entre les membres du groupe, qui tente de réduire les divergences et les désaccords, de calmer les esprits, qui met de l’huile dans les rouages.

3.    Celui qui favorise les compromis, qui cherche un terrain d’entente à l’occasion d’un conflit où ses idées ou sa position sont en cause ; il transige en admettant ses erreurs, en abandonnant un argument, en tempérant sa position, en faisant le premier pas pour rétablir la cohésion du groupe.

4.    Celui qui sert de relais, qui maintient les canaux de communication ouverts, en facilitant la participation des silencieux (« Nous n’avons pas eu l’opinion de X... »), en canalisant les bavards, en proposant de régler la durée des communications, d’instaurer un tour de parole.

5.    Celui qui formule les normes du groupe, qui indique les standards que le groupe doit tenter d’atteindre ou doit appliquer pour sa propre évaluation.

6.    Celui qui observe et commente la marche du groupe, qui regarde comment le groupe fonctionne et qui en fait part.

7.    Celui qui opine du bonnet, qui, volontairement ou passivement, accepte toujours les décisions du groupe.

III.    — Besoins individuels et rôles « parasites »

Certains besoins ou rôles individuels constituent un obstacle (qu’il faut surmonter) à la cohésion ou à la progression du groupe.

1.    L'agressif : il déprécie les autres, exprime son désaccord quant à leur valeur, à leurs actes ou à leurs sentiments, attaque le groupe ou ce que le groupe cherche à faire, est jaloux des propositions des autres et cherche à se les attribuer.

2.    Le freineur : il est systématiquement « contre », s’oppose ou résiste sans raison, tente de revenir sur les décisions acquises ou sur les problèmes dépassés.

3.    L'intéressant : cherche à attirer l’attention sur lui en se vantant, en parlant de ses exploits personnels, en agissant de façon inhabituelle, en luttant pour ne pas être placé dans une position qu’il estime « inférieure ».

4.    Celui qui prend le groupe pour un tribunal : il profite de l’occasion d’avoir un public pour exprimer ses » sentiments », ses « idées », ses opinions personnelles, sans rapport avec le groupe.

5.    Le négateur :-il plaisante sans cesse et fait étalage de son manque d’intérêt pour le groupe. Cette absence d’implication peut prendre la forme du cynisme, de la nonchalance, du jeu et autres « comportements hors du champ » ; il ne manque aucune occasion de mettre en évidence qu’ « on ne joue pas le jeu ».

6.    Le dominateur : il cherche à prendre le pouvoir ou à exercer une certaine ascendance en « manipulant » le groupe ou certains de ses membres. Cette manipulation peut prendre la forme de la flatterie, d’une tentative d’obtenir un statut supérieur, ou de retenir l’attention en donnant des ordres d’une façon autoritaire, en interrompant les autres.

7.    Le battu d'avance : il tente d’acquérir l’aide et la « sympathie • d’autres participants ou de l’ensemble du groupe en confessant son insécurité, son état intérieur de confusion, en se dépréciant de façon irraisonnée.

8.    L'avocat d'intérêts particuliers, étrangers au groupe, le défenseur de la « petite propriété », de la « mère de famille », des « travailleurs », etc. ; il s’embourbe généralement dans ses préjugés et il déforme à travers eux les opinions des autres.