Première partie. Fondements imaginaire, symbolique, réel

C’est à l’aide de cette trilogie que Lacan referme la main, en quelque sorte, sur la matière analytique. C’est ce qui tient lieu de « nasse », qu’il fabrique pour attraper le « poisson » (freudien) ou plus exactement pour le faire nager en son élément propre et le maintenir vif. Ce sera aussi bien sa boussole, qu’il aura pourtant à « régler » sans cesse à nouveau pour qu’elle confirme sa capacité d’orientation dans la « chose freudienne ». On peut en situer l’émergence précise dans la conférence du 8 juillet 1953 qui l’intronise : « Le symbolique, l’imaginaire et le réel » — au moment de la première césure (supra, p. 20, 22) (texte dont il faut rappeler qu’il n’a pas été publié en son temps). Il ne s’agit donc pas d’une « grille » à appliquer au matériel, mais d’un « vademecum » (SAC, E, 720) issu des coordonnées de l’expérience analytique. De plus, si nous sommes désormais familiarisés avec ce trio, il faut s’aviser que ce fut un acte somme toute violent que d’introduire cette trilogie dans le déchiffrement de l’inconscient freudien, alors qu’elle est étrangère au vocabulaire métapsychologique. Lacan y engage donc son nom propre : « J’ai énoncé le symbolique, l’imaginaire et le réel en 1954 en intitulant une conférence inaugurale de ces trois noms devenus en somme par moi ce que Frege appelle un nom propre. Fonder un nom propre est une chose qui fait monter un petit peu votre nom propre… C’est l’extension de Lacan au symbolique, à l’imaginaire et au réel qui permet à ces trois termes de coexister » (S XXIV, décembre 1977).

On peut dire que ses trois composantes ont été rencontrées et théorisées successivement selon la séquence : imaginaire — grâce à l’expérience du miroir–, symbolique — grâce au nom-du-père (quoiqu’on en verra le complexe chassé-croisé), le réel intervenant en dernier mais prenant toujours plus d’importance. Cette représentation n’est pas inexacte et dictera notre propre progression, sauf à préciser que cette « trinité » structurale n’est pas que l’addition et la synthèse de ces dimensions, mais une structure trine. C’est avec la relecture topologique (infra, p. 107 sq.) que le nœud RSI va révéler sa portée structurale.

Lacan, au terme de sa vie, le dira simplement en faisant allusion à la trilogie freudienne des instances de la seconde topique de Freud : « Voilà : mes trois ne sont pas les siens. Mes trois sont le réel, le symbolique et l’imaginaire. J’en viens à le situer d’une topologie, celle du nœud, dit borroméen » (Caracas, in L’Âne, n° 1).

Il nous faut pourtant comprendre une à une ces dimensions qui correspondent à autant d’apports fondamentaux, pour en voir surgir la synergie. Cela revient à appréhender ce ternaire comme approprié à penser le désir. Dans quel ordre ? En suivant la genèse, il nous faut partir de l’imaginaire, mis au jour au départ, pour passer au symbolique, puis au réel (ISR) — sauf à préciser qu’eu égard à son antécédence structurale, une fois la « logique trinitaire » établie sur sa vraie base, il serait plus fondé de poser la primauté du symbolique sur l’imaginaire (SIR) ; qu’enfin, la formalisation topologique établira le primat du réel, imposant l’écriture RSI qui, on le verra, rompt avec toute tentation de présentation phénoménologique. Cela est fondé sur la version qu’en donne Lacan : « J’ai commencé par l’imaginaire, j’ai dû mâcher ensuite l’histoire du symbolique… et j’ai fini par vous sortir ce fameux réel sous la forme même du nœud. » Tout cela devrait s’éclaircir par l’examen de chacune de ces « dit-mensions ».