Acting out
● Terme employé en psychanalyse pour désigner les actions présentant le plus souvent un caractère impulsif relativement en rupture avec les systèmes de motivation habituels du sujet, relativement isolable dans le cours de ses activités, prenant souvent une forme auto – ou hétéro-agressive. Dans le surgissement de l’acting out le psychanalyste voit la marque de l’émergence du refoulé. Quand il survient au cours d’une analyse (que ce soit dans la séance ou en dehors d’elle), l’acting out est à comprendre dans sa connexion avec le transfert et souvent comme une tentative de méconnaître radicalement celui-ci.
◼ Le terme anglais acting out a été adopté par les psychanalystes de langue française, adoption qui soulève d’abord des problèmes terminologiques :
1° Dans la mesure où ce que Freud appelle agieren est traduit en anglais par to act out (forme substantive : acting out), ce terme recouvre toute l’ambiguïté de ce que Freud désigne ainsi (voir : Mise en acte*). Ainsi l’article acting out du Dictionnaire général des termes psychologiques et psychanalytiques de English et English comporte la définition suivante : « Manifestation dans une situation nouvelle d’un comportement intentionnel approprié à une situation plus ancienne, la première représentant symboliquement la seconde. Cf. Transfert, qui est une forme d’acting out ».
2° La définition précédente se trouve en contradiction avec l’acception la plus généralement admise de l’acting out, qui différencie, voire oppose, le terrain du transfert et le recours à l’acting out et voit dans ce dernier une tentative de rupture de la relation analytique.
3° A propos du verbe anglais to ad out nous ferons plusieurs remarques :
a) To ad, quand il s’emploie transitivement, est imprégné de significations appartenant au domaine du théâtre : to ad a play = jouer une pièce ; to ad a part = jouer un rôle, etc. Il en est de même pour le verbe transitif to ad out.
b) La postposition out apporte deux nuances : extérioriser, montrer au-dehors ce qu’on est supposé avoir en soi, et accomplir rapidement, jusqu’à achèvement de l’action (nuance retrouvée dans des expressions comme to carry out = mener à bien ; to sell out = vendre tout son stock, etc.).
c) Le sens originel, purement spatial, de la postposition out a pu conduire certains psychanalystes, de façon erronée, à entendre acting out comme acte accompli hors de la séance analytique et de l’opposer à un acting in qui surviendrait au cours de la séance. Si on veut rendre compte de cette opposition, il convient de parler d’acting out outside of psycho-analysis et à l’acting out inside of psychoanalysis ou in the analytic situation.
4° En français, il semble difficile de trouver une expression qui rende toutes les nuances précédentes (on a pu proposer agissement, actuation). Le terme « passage à l’acte », qui est l’équivalent le plus souvent retenu, a entre autres l’inconvénient d’être déjà reçu en clinique psychiatrique où on tend à le réserver de façon exclusive à des actes impulsifs violents, agressifs, délictueux (meurtre, suicide, attentat sexuel, etc.) ; le sujet passant d’une représentation, d’une tendance, à l’acte proprement dit. D’autre part, il ne comporte pas, dans son usage clinique, de référence à une situation transférentielle.
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Du point de vue descriptif, la gamme des actes qu’on range d’ordinaire sous la rubrique de l’acting out est très étendue, incluant ce que la clinique psychiatrique nomme « passage à l’acte » (voir supra), mais aussi des formés beaucoup plus discrètes à condition que s’y retrouve ce caractère impulsif, mal motivé aux yeux mêmes du sujet, en rupture avec son comportement habituel, même si l’action en question est secondairement rationalisée ; un tel caractère signe pour le psychanalyste le retour du refoulé ; on peut aussi considérer comme acting out certains accidents survenus au sujet alors qu’il se sent étranger à leurs productions. Une telle extension pose évidemment le problème de la délimitation du concept d’acting out, relativement vague et variable selon les auteurs, par rapport à d’autres concepts dégagés par Freud, notamment l’acte manqué et les phénomènes dits de répétition (α). L’acte manqué, lui aussi, est ponctuel, isolé, mais, au moins dans ses formes les plus exemplaires, sa nature de compromis est patente ; à l’inverse, dans les phénomènes de répétition vécue (« compulsion de destinée » par exemple), les contenus refoulés font retour souvent avec une grande fidélité dans un scénario dont le sujet ne se reconnaît pas l’auteur.
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Un des apports de la psychanalyse a été de mettre en relation le surgissement de tel acte impulsif avec la dynamique de la cure et le transfert. C’est là une voie nettement indiquée par Freud qui a souligné la tendance de certains patients à « mettre en acte » (agieren) hors de l’analyse les motions pulsionnelles réveillées par celle-ci. Mais dans la mesure où, comme l’on sait, il décrit même le transfert sur la personne de l’analyste comme un mode de « mise en acte », il n’a pas franchement différencié ni articulé les uns aux autres les phénomènes de répétition dans le transfert et ceux de l’acting out. La distinction qu’il introduit paraît répondre à des préoccupations surtout techniques, le sujet qui met en acte des conflits hors de la cure étant moins accessible à la prise de conscience de leur caractère répétitif et pouvant, hors de tout contrôle et de toute interprétation de l’analyste, satisfaire jusqu’au bout, jusqu’à l’acte achevé, ses pulsions refoulées : « Il n’est nullement souhaitable que le patient, en dehors du transfert, mette en acte [agiert] au lieu de se souvenir ; l’idéal, pour notre but, serait qu’il se comporte aussi normalement que possible en dehors du traitement et qu’il ne manifeste ses réactions anormales que dans le transfert » (1).
Une des tâches de la psychanalyse serait de chercher à fonder la distinction entre transfert et acting out sur d’autres critères que des critères purement techniques, voire purement spatiaux (ce qui se passe dans le cabinet de l’analyste ou hors de celui-ci) ; ceci supposerait notamment une réflexion renouvelée sur les concepts d’action, d’actualisation, et sur ce qui spécifie les différents modes de communication.
C’est seulement une fois clarifiés de façon théorique les rapports de l’acting out et du transfert analytique qu’on pourrait chercher si les structures ainsi dégagées peuvent être extrapolées hors de toute référence à la cure, c’est-à-dire se demander si les actes impulsifs de la vie quotidienne ne peuvent pas s’éclairer une fois rapportés à des relations de type transférentiel.
▲ (α) Une telle délimitation est nécessaire si l’on veut conserver une spécificité à la notion et ne pas la dissoudre dans une conception d’ensemble qui fait apparaître la relation plus ou moins étroite de toute entreprise humaine avec les fantasmes inconscients.
(1) Freud (S.). Abriss der Psychoanalyse, 1938. G.W., XVII, 103 ; S.E., XXIII, 177 ; Fr., 46.