Fixation

= D. : Fixierung. – En. : fixation. – Es. : fljación. – I. : fissazione. – P. : fixação.

● Fait que la libido s’attache fortement à des personnes ou à des imagos, reproduit tel mode de satisfaction, reste organisée selon la structure caractéristique d’un de ses stades évolutifs. La fixation peut être manifeste et actuelle ou constituer une virtualité prévalente qui ouvre au sujet la voie d’une régression*.

La notion de fixation est généralement comprise dans le cadre d’une conception génétique impliquant une progression ordonnée de la libido (fixation à un stade). On peut la considérer, en dehors de toute référence génétique, dans le cadre de la théorie freudienne de l’inconscient, comme désignant le mode d’inscription de certains contenus représentatifs (expériences, imagos, fantasmes) qui persistent dans l’inconscient de façon inaltérée et auxquels la pulsion reste liée.

◼ La notion de fixation se retrouve constamment dans la doctrine psychanalytique pour rendre compte de cette donnée manifeste de l’expérience : le névrosé, ou plus généralement tout sujet humain, est marqué par des expériences infantiles, reste attaché de façon plus ou moins déguisée à des modes de satisfaction, à des types d’objet ou de relation archaïques ; la cure psychanalytique atteste de l’emprise et de la répétition des expériences passées comme de la résistance du sujet à s’en dégager.

Le concept de fixation ne contient pas en lui-même un principe d’explication ; en revanche sa valeur descriptive est incontestable. C’est pourquoi il a pu être utilisé par Freud aux différents moments d’évolution de sa pensée concernant ce qui dans l’histoire du sujet a été à l’origine de la névrose. C’est ainsi que Freud a pu caractériser ses premières conceptions étiologiques comme faisant intervenir essentiellement l’idée d’une « fixation au trauma* » (1 a, 2) ; avec les Trois essais sur la théorie de la sexualité (Drei Abhandlungen zur Sexualtheorie, 1905) la fixation est rattachée à la théorie de la libido et se définit par la persistance, particulièrement manifeste dans les perversions, de caractères anachroniques de la sexualité : le sujet poursuit certains types d’activité, ou bien reste attaché à certains caractères de « l’objet » dont on peut retrouver l’origine dans tel moment particulier de la vie sexuelle infantile. Si le rôle du trauma n’est pas nié, il intervient ici sur le fond d’une succession des expériences sexuelles, venant favoriser la fixation en un point déterminé.

Avec le développement de la théorie des stades* de la libido, en particulier des stades prégénitaux*, la notion de fixation prend une nouvelle extension : elle peut ne pas porter seulement sur un but* ou un objet* libidinal partiel, mais sur toute une structure de l’activité caractéristique d’un stade donné (voir : Relation d’objet). Ainsi, la fixation au stade anal serait à l’origine de la névrose obsessionnelle et d’un certain type de caractère.

Dans Au-delà du principe de plaisir (Jenseits des Lustprinzips, 1920) (3), Freud sera amené à nouveau à se référer à la notion de fixation au trauma comme à un des faits qui ne s’expliquent pas complètement par la persistance d’un mode de satisfaction libidinale et qui l’obligent à postuler l’existence d’une compulsion de répétition*.

La fixation libidinale joue un rôle prévalent dans l’étiologie des divers troubles psychiques, et l’on a été amené à préciser sa fonction dans les mécanismes névrotiques :

La fixation est à l’origine du refoulement* et peut même être considérée comme le premier temps du refoulement pris au sens large : « … le courant libidinal [qui a subi une fixation] se comporte envers les formations psychiques ultérieures comme un courant appartenant au système de l’inconscient, comme un courant refoulé » (4 a). Ce « refoulement originaire »* conditionne le refoulement au sens étroit, qui n’est possible que par l’action conjointe, sur les éléments à refouler, d’une répulsion de la part d’une instance supérieure et d’une attraction de la part de ce qui avait été préalablement fixé (5 a).

D’autre part, la fixation prépare les positions sur lesquelles va s’opérer la régression* qu’on retrouve, sous des aspects divers, dans les névroses, les perversions et les psychoses.

Les conditions de la fixation sont, pour Freud, de deux sortes : d’une part elle est provoquée par différents facteurs historiques (influence de la constellation familiale, trauma, etc.). D’autre part elle est favorisée par des facteurs constitutionnels : telle composante pulsionnelle partielle peut avoir une force plus grande que telle autre ; mais aussi il peut exister chez certains individus une « viscosité* » générale de la libido (1 b) qui les prédispose à défendre « … chaque position libidinale, une fois qu’elle est atteinte, par angoisse d’y perdre en l’abandonnant, et par crainte de ne pas trouver dans la position suivante un substitut pleinement satisfaisant » (6).

La fixation est souvent invoquée en psychanalyse, mais sa nature et sa signification sont mal précisées. Freud utilise parfois le concept, comme il le fait pour la régression, de façon descriptive. Dans les textes les plus explicites, la fixation est généralement rapprochée de certains phénomènes biologiques où des vestiges de l’évolution ontophylogénétique subsistent dans l’organisme adulte. Il s’agirait donc, dans cette perspective génétique, d’une « inhibition de développement », d’une irrégularité génétique, d’un « attardement passif » (4 b).

Une telle conception trouve son origine et son domaine d’élection dans l’étude des perversions. Une première approche semble en effet confirmer que subsistent, tels quels, certains schèmes de comportement que le sujet peut réutiliser. Certaines perversions se développant de façon continue à partir de l’enfance donneraient même l’exemple d’une fixation aboutissant au symptôme sans qu’il soit besoin de faire appel à la régression.

Toutefois, à mesure que se développe la théorie des perversions, il devient douteux que l’on puisse reconnaître en celles-ci le modèle d’une fixation qui serait assimilable à la persistance pure et simple d’un vestige génétique. Le fait de retrouver à l’origine des perversions des conflits et des mécanismes proches de ceux de la névrose met en question l’apparente simplicité de la notion de fixation (voir : Perversion).

On ferait ressortir l’originalité de l’usage psychanalytique de la notion de fixation par rapport à des idées comme celle d’une persistance de schèmes de comportement devenus anachroniques en se référant aux modalités d’emploi du terme chez Freud. Schématiquement on peut dire que Freud parle tantôt de fixation de (fixation d’un souvenir, d’un symptôme par exemple), tantôt de fixation (de la libido) à (fixation à un stade, à un type d’objet, etc.). La première acception évoque un usage du terme tel que l’admet une théorie psychologique de la mémoire qui distingue différents temps : fixation, conservation, évocation, reconnaissance du souvenir. Mais on notera que, pour Freud, une telle fixation est comprise de façon très réaliste : il s’agit d’une véritable inscription (Niederschrift) de traces dans des séries de systèmes mnésiques, traces qui peuvent être « traduites » d’un système dans l’autre ; dans la lettre à Fliess du 6-12-96, toute une théorie de la fixation est déjà élaborée : « Lorsque manque la transcription suivante, l’excitation est liquidée selon les lois psychologiques qui étaient valables pour la période psychique précédente et selon les voies qui étaient alors disponibles. Il subsiste ainsi un anachronisme, dans une certaine province sont encore en vigueur des fueros [lois anciennes qui continuent à être valables dans certaines villes ou régions d’Espagne] ; c’est ainsi qu’on trouve des “survivances” ». D’autre part, cette notion d’une fixation des représentations* est corrélative de celle d’une fixation de l’excitation à celles-ci. Une telle idée, qui est au fondement de la conception freudienne, trouve sa meilleure expression dans la théorie la plus complète que Freud ait donnée du refoulement : « Nous sommes fondés à admettre un refoulement originaire, une première phase du refoulement qui consiste en ceci que le représentant psychique (représentant-représentation) de la pulsion se voit refuser la prise en charge dans le conscient. Avec lui se produit une fixation ; le représentant correspondant subsiste à partir de là de façon inaltérable et la pulsion demeure à lui liée » (5 b).

Le sens génétique de la fixation n’est certes pas abandonné dans une telle formulation mais il trouve son fondement dans la recherche de moments originaires où indissolublement s’inscrivent dans l’inconscient certaines représentations électives et où la pulsion elle-même se fixe à ses représentants psychiques, se constituant peut-être, par ce processus même, comme pulsion*.

(1) Freud (S.). Vorlesungen zur Einführung in die Psychoanalyse, 1916-17. – a) G.W., XI, 282 sqq. ; S.E., XVI, 273 sqq. ; Fr., 296 sqq. – b) Cf. G.W., XI, 360-1 ; S.E., XVI, 348 ; Fr., 374.

(2) Freud (S.). Über Psychoanalyse, 1909. G.W., VIII, 12 ; S.E., XI, 17 ; Fr., 126.

(3) Cf. Freud (S.). G.W., XIII, 10 ; S.E., XVIII, 13 ; Fr., 12.

(4) Freud (S.). Psychoanalytische Bemerkungen über einen autobiographisch beschrie-benen Fall von Paranoïa (Dementia paranoïdes), 1911. – a) G.W., VIII, 504 ; S.E., XII, 67 ; Fr., 311-2. – b) G.W., VIII, 304 ; S.E., XII, 67 ; Fr., 312.

(5) Freud (S.). Die Verdrängung, 1915. – a) Cf. G.W., X, 250-1 ; S.E., XIV, 148 ; Fr., 71. – b) G.W., X, 250 ; S.E., XIV, 148 ; Fr., 71.

(6) Freud (S.). Aus der Geschichte einer infantilen Neurose, 1918. G.W., XII, 151 ; S.E., XVII, 115 ; Fr., 415.