Narcissisme primaire, narcissisme secondaire
= D. : primàrer Narzissmus, sekundàrer Narzissmus. – En. : primary narcissism, secondary narcissism. – Es. : narcisismo primario, narcisismo secundario. – I. : narcisismo primario, narcisismo secondario. – P. : narcisismo primärio, narcisismo secundärio.
● Le narcissisme primaire désigne un état précoce où l’enfant investit toute sa libido sur lui-même. Le narcissisme secondaire désigne un retournement sur le moi de la libido, retirée de ses investissements objectaux.
◼ Ces termes ont dans la littérature psychanalytique et même dans la seule œuvre de Freud des acceptions très diverses qui empêchent d’en donner une définition univoque plus précise que celle que nous proposons.
1° L’expression de narcissisme secondaire fait moins difficulté que celle de narcissisme primaire. Freud l’emploie, dès Pour introduire le narcissisme (Zur Einführung des Narzissmus, 1914) pour désigner des états tels que le narcissisme schizophrénique : « … ce narcissisme qui est apparu en faisant rentrer les investissements d’objet, nous voilà donc amenés à le concevoir comme un état secondaire construit sur la base d’un narcissisme primaire que de multiples influences ont obscurci » (1). Pour Freud, le narcissisme secondaire ne désigne pas seulement certains états extrêmes de régression ; il est aussi une structure permanente du sujet : a) Sur le plan économique, les investissements d’objet ne suppriment pas les investissements du moi mais il existe une véritable balance énergétique entre ces deux sortes d’investissement ; b) Sur le plan topique, l’idéal du moi représente une formation narcissique qui n’est jamais abandonnée.
2° D’un auteur à l’autre, la notion de narcissisme primaire est sujette à des variations extrêmes. Il s’agit ici de définir un stade hypothétique de la libido infantile, et les divergences portent de façon complexe sur la description d’un tel état, sur sa situation chronologique et, pour certains auteurs, sur son existence même.
Chez Freud, le narcissisme primaire désigne d’une façon générale le premier narcissisme, celui de l’enfant qui se prend lui-même comme objet d’amour avant de choisir des objets extérieurs. Un tel état correspondrait à la croyance de l’enfant à la toute-puissance de ses pensées (2).
Si on cherche à préciser le moment de constitution d’un tel état, on rencontre, déjà chez Freud, des variations. Dans les textes de la période de 1910-15 (3), cette phase est localisée entre celle de l’auto-érotisme primitif et celle de l’amour d’objet, et semble contemporaine de l’apparition d’une première unification du sujet, d’un moi. Par la suite, avec l’élaboration de la seconde topique, Freud connote plutôt par le terme de narcissisme primaire un premier état de la vie, antérieur même à la constitution d’un moi, et dont la vie intra-utérine serait l’archétype (4). La distinction de l’auto-érotisme* et du narcissisme est alors supprimée. On voit mal, du point de vue topique, ce qui est investi dans le narcissisme primaire ainsi entendu.
Cette dernière acception du narcissisme primaire prévaut couramment de nos jours dans la pensée psychanalytique, ce qui aboutit à limiter la signification et la portée du débat : qu’on accepte ou qu’on refuse la notion, on désigne toujours par là un état rigoureusement « anobjectal » ou du moins « indifférencié », sans clivage entre un sujet et un monde extérieur.
Deux types d’objections peuvent être opposées à une telle conception du narcissisme :
— Sur le plan de la terminologie, cette acception perd de vue la référence à une image de soi, à une relation spéculaire, que suppose dans son étymologie le terme de narcissisme. Aussi pensons-nous que le terme de « narcissisme primaire » est inadéquat pour désigner un stade décrit comme anobjectal.
— Sur le plan des faits : l’existence d’un tel stade est très problématique et certains auteurs estiment qu’il existe d’emblée chez le nourrisson des relations d’objet, un « amour d’objet primaire » (5), de sorte que la notion d’un narcissisme primaire, entendu comme premier stade anobjectal de la vie extra-utérine, est rejetée par eux comme mythique. Pour Melanie Klein, on ne peut pas parler de stade narcissique, puisque des relations objectales s’instituent dès l’origine, mais seulement d' « états » narcissiques définis par un retour de la libido sur des objets intériorisés.
A partir de ces critiques, il nous semble possible de rendre son sens à ce qui fut l’intention de Freud lorsque, reprenant la notion de narcissisme introduite en pathologie par H. Ellis, il l’élargit jusqu’à en faire un stade nécessaire dans l’évolution qui mène du fonctionnement anarchique, auto-érotique, des pulsions partielles, jusqu’au choix d’objet. Rien ne semble s’opposer à ce qu’on désigne du terme de narcissisme primaire une phase précoce ou des moments fondateurs, qui se caractérisent par l’apparition simultanée d’une première ébauche de moi* et son investissement par la libido, ce qui n’implique ni que ce premier narcissisme soit l’état premier de l’être humain, ni que, du point de vue économique, cette prédominance de l’amour de soi exclue tout investissement objectal (voir : Narcissisme).
(1) Freud (S.). G.W., X, 140 ; S.E., XIV, 75.
(2) Cf. Freud (S.). Totem und Tabu, 1912. Passim.
(3) Cf. Freud (S.). Psychoanalytische Bemerkungen über einen autobiographisch beschriebenen Fall von Paranoia – Dementia paranoïdes, 1911. Totem und Tabu, 1912. Zur Einführung des Narzissmus, 1914.
(4) Cf. Freud (S.). Vorlesungen zur Einführung in die Psychoanalyse, 1916-17. G.W., XI, 431-2 ; S.E., XVI, 415-6 ; Fr., 444-5.
(5) Cf. Balint (M.). Early developmental states of the Ego. Primary object. love 937, in Primary love and Psychoanalylic lechniaue, Hogarth Press, Londres, 1952, 103-8.