Névrose actuelle
= D. : Aktualneurose. – En. : actual neurosis. – Es. : neurosis actual. – I. ; nevrosi attuale. – P. : neurose atual.
● Type de névrose que Freud distingue des psychonévroses :
a) L’origine des névroses actuelles n’est pas à chercher dans les conflits infantiles, mais dans le présent ;
b) Les symptômes n’y sont pas une expression symbolique et surdéterminée, mais résultent directement de l’absence ou de l’inadéquation de la satisfaction sexuelle.
Freud a inclus d’abord dans les névroses actuelles la névrose d’angoisse et la neurasthénie et a proposé ultérieurement d’y ranger l’hypocondrie.
◼ Le terme de « névrose actuelle » apparaît en 1898 dans l’œuvre de Freud pour désigner la névrose d’angoisse et la neurasthénie (1 a), mais la notion d’une spécificité de ces affections par rapport aux autres névroses s’est dégagée encore plus tôt de ses recherches sur l’étiologie des névroses, aussi bien dans la correspondance avec Fliess (2) que dans les publications des années 1894-1896 (3).
1. L’opposition des névroses actuelles aux psychonévroses est essentiellement étiologique et pathogénique : la cause est bien sexuelle dans les deux types de névrose mais ici elle doit être cherchée dans des « désordres de la vie sexuelle actuelle » et non dans des « événements importants de la vie passée » (4). Le terme d'« actuel » est donc à prendre d’abord au sens d’une « actualité » dans le temps (1 b). D’autre part, cette étiologie est somatique et non psychique : « La source d’excitation, le facteur déclenchant du trouble se trouve dans le domaine somatique, tandis que dans l’hystérie et la névrose obsessionnelle il est dans le domaine psychique » (5). Ce facteur serait dans la névrose d’angoisse l’absence de décharge de l’excitation sexuelle, dans la neurasthénie un soulagement inadéquat de celle-ci (masturbation par exemple).
Enfin le mécanisme de formation des symptômes serait somatique (par exemple transformation directe de l’excitation en angoisse) et non symbolique. Le terme d’actuel vient connoter ici l’absence de cette médiation qu’on trouve dans la formation des symptômes des psychonévroses (déplacement, condensation, etc.).
Du point de vue thérapeutique, ces vues aboutissent à l’idée que les névroses actuelles ne relèvent pas de la psychanalyse puisque ici les symptômes ne procèdent pas d’une signification qui pourrait être élucidée (6).
Freud n’a jamais abandonné ces vues sur la spécificité des névroses actuelles. Il les a à nouveau exprimées à différentes reprises, indiquant que le mécanisme de formation des symptômes serait à chercher dans le domaine de la chimie (intoxication par des produits du métabolisme des substances sexuelles) (7).
2. Entre psychonévroses et névroses actuelles, il n’existe pas seulement une opposition globale ; Freud a, à plusieurs reprises, tenté d’établir des correspondances terme à terme entre, d’une part, la neurasthénie et la névrose d’angoisse, et, d’autre part, les différentes névroses de transfert. Lorsqu’il introduit ultérieurement l’hypocondrie comme troisième névrose actuelle (8), il la fait correspondre aux paraphrénies ou psychonévroses narcissiques (schizophrénie et paranoïa). Ces correspondances se justifient non seulement par des analogies structurales, mais par le fait que « … le symptôme de la névrose actuelle est très souvent le noyau et le stade précurseur du symptôme psychonévrotique » (9). L’idée que la psychonévrose est déclenchée par une frustration aboutissant à une stase de la libido revient précisément à mettre en évidence cet élément actuel (10).
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Le concept de névrose actuelle tend de nos jours à s’effacer de la nosographie dans la mesure où, quelle que soit la valeur précipitante des facteurs actuels, on retrouve toujours dans les symptômes l’expression symbolique de conflits plus anciens. Cela dit, l’idée de conflit et de symptôme actuels conserve sa valeur et appelle les remarques suivantes :
1° La distinction entre des conflits d’origine infantile qui sont réactualisés et des conflits qui sont déterminés en majeure partie par la situation actuelle s’impose dans la pratique psychanalytique : c’est ainsi que l’existence d’un conflit actuel aigu est souvent un obstacle au cours de la cure psychanalytique ;
2° Dans toute psychonévrose, à côté des symptômes dont la signification peut être élucidée, il existe un cortège plus ou moins important de symptômes du type de ceux décrits par Freud dans le cadre des névroses actuelles : fatigues non justifiées, douleurs vagues, etc. Le conflit défensif empêchant la réalisation du désir inconscient, il est concevable que cette libido non satisfaite soit à l’origine d’un certain nombre de symptômes non spécifiques ;
3° Dans la même direction, on remarquera que, dans les conceptions de Freud, les symptômes « actuels » sont principalement de l’ordre somatique, et que l’ancienne notion de névrose actuelle conduit directement aux conceptions modernes sur les affections psychosomatiques ;
4° On notera enfin que Freud envisage dans sa théorie seulement la non-satisfaction des pulsions sexuelles. Il y aurait lieu de tenir compte également, dans la genèse de symptômes névrotiques actuels et psychosomatiques, de la répression de l’agressivité.
(1) Cf. Freud (S.). Die Sexualität in der Ätiologie der Neurosen, 1898. – a) G.W., I, 509 ; S.E., III, 279. – b) G.W., I, 496-7 ; S.E., III, 267-8.
(2) Cf. Freud (S.). Aus den Anfängen der Psychoanalyse, 1887-1902. AU., manuskript B, 8-2-93, 76-82 ; manuskript E, 98-103. Angl., manuscript B, 66-72 ; manuscript E, 88-94. Fr., manuscrit B, 61-6 ; manuscrit E, 80-5.
(3) Cf. par exemple : Freud (S.). Zur Psychotherapie der Hysterie, in Studien über Hysterie, 1895. Über die Berechtigung, von der Neurasthenie einen bestimmten Sympto-menkomplex als « Angstneurose » abzutrennen, 1894. L’hérédité et l’étiologie des névroses, 1896.
(4) Freud (S.). L’hérédité et l’étiologie des névroses, 1896. G.W., I, 414 ; S.E., III, 149 ; Fr., 165.
(5) Freud (S.). Über die Berechtigung, von der Neurasthenie einen bestimmten Sympto-menkomplex als « Angstneurose » abzutrennen, 1894. G AV., I, 341 ; S.E., III, 114.
(6) Cf. Freud (S.). Zur Psychotherapie der Hysterie, in Studien über Hysterie, 1895. G.W., I, 259 ; S.E., II, 261 ; Fr., 210.
(7) Cf. par exemple : Freud (S.). Zur Einleilung der Onaniediskussion. Schlusswort der Onaniediskussion, 1912. G.W., VIII, 337 ; S.E., XII, 248. Vorlesungen zur Einführung in die Psychoanalyse, 1916-17. G.W., XI, 400-4 ; S.E., XVI, 385-89 ; Fr., 413-17.
(8) Cf. Freud (S.). Zur Einführung des Narzissmus, 1914. G.W., X, 149-51 ; S.E., XIV, 82-5.
(9) Freud (S.). Vorlesungen zur Einführung in die Psychoanalyse, 1916-17. G.W., XI, 405 ; S.E., XVI, 390 ; Fr., 418.
(10) Cf. Freud (S.). Über neurolische Erkrankungslypen, 1912. G.W., VIII, 322-30 ; S.E., 231-8.