Sublimation

= D. : Sublimierung. – En. : sublimation. – Es. : sublimación. – I. : subli-mazione. – P. : sublimação.

● Processus postulé par Freud pour rendre compte d’activités humaines apparemment sans rapport avec la sexualité, mais qui trouveraient leur ressort dans la force de la pulsion sexuelle. Freud a décrit comme activités de sublimation principalement l’activité artistique et l’investigation intellectuelle.

La pulsion est dite sublimée dans la mesure où elle est dérivée vers un nouveau but non sexuel et où elle vise des objets socialement valorisés.

◼ Le terme sublimation, introduit par Freud en psychanalyse, évoque à la fois le terme de sublime, employé notamment dans le domaine des beaux-arts pour désigner une production suggérant la grandeur, l’élévation, et le terme de sublimation utilisé en chimie pour désigner le procédé qui fait passer un corps directement de l’état solide à l’état gazeux.

Freud, tout au long de son œuvre, recourt à la notion de sublimation pour tenter de rendre compte, d’un point de vue économique et dynamique, de certains types d’activités soutenues par un désir qui ne vise pas, de façon manifeste, un but sexuel : par exemple, création artistique, investigation intellectuelle, et en général, activités auxquelles une société donnée accorde une grande valeur. C’est dans une transformation des pulsions sexuelles que Freud cherche le ressort dernier de ces comportements : « La pulsion sexuelle met à la disposition du travail culturel des quantités de force extraordinairement grandes et ceci par suite de cette particularité, spécialement marquée chez elle, de pouvoir déplacer son but sans perdre, pour l’essentiel, de son intensité. On nomme cette capacité d’échanger le but sexuel originaire contre un autre but, qui n’est plus sexuel mais qui lui est psychiquement apparenté, capacité de sublimation » (1 a).

Déjà du point de vue descriptif, les formulations freudiennes concernant la sublimation n’ont jamais été poussées très loin. Le champ des activités sublimées est mal délimité : faut-il par exemple y inclure l’ensemble du travail de pensée ou seulement certaines formes de création intellectuelle ? Le fait que les activités dites sublimées sont, dans une culture donnée, l’objet d’une valorisation sociale particulière doit-il être retenu comme un trait majeur de la sublimation ? Ou celle-ci englobe-t-elle aussi l’ensemble des activités dites adaptatives (travail, loisir, etc.) ? Le changement qui est supposé intervenir dans le processus pulsionnel concerne-t-il seulement le but, comme Freud l’a longtemps soutenu, ou à la fois le but et l’objet de la pulsion, comme il le dit dans la Suite aux Leçons d’introduction à la psychanalyse (Neue Folge der Vorlesungen zur Einführung in die Psychoanalyse, 1932) : « Nous désignons comme sublimation une certaine sorte de modification de but et de changement d’objet dans laquelle entre en considération notre évaluation sociale » (2).

Du point de vue métapsychologique, cette incertitude se retrouve, comme Freud l’a lui-même noté (3). C’est le cas, même dans un texte centré sur le thème de l’activité intellectuelle et artistique tel que Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci (Eine Kindheitserinnerung des Leonardo da Vinci, 1910).

Nous n’entendons pas proposer ici une théorie d’ensemble de la sublimation, qui ne ressort pas des éléments assez peu élaborés fournis par les textes de Freud. Nous nous bornons à indiquer, sans en faire la synthèse, un certain nombre de directions de la pensée freudienne.

1) La sublimation porte électivement sur les pulsions partielles*, notamment sur celles qui ne réussissent pas à s’intégrer dans la forme définitive de la génitalité : « Les forces utilisables pour le travail culturel proviennent ainsi en grande partie de la répression de ce qu’on appelle les éléments pervers de l’excitation sexuelle » (1 b).

2) Du point de vue du mécanisme, Freud a indiqué successivement deux hypothèses. La première se fonde sur la théorie de l’étayage* des pulsions sexuelles sur les pulsions d’auto-conservation. De même que les fonctions non sexuelles peuvent être contaminées par la sexualité (par exemple dans les troubles psychogènes de l’alimentation, de la vision, etc.), de même « … les mêmes voies par lesquelles des troubles sexuels retentissent sur les autres fonctions somatiques devraient servir, chez le sujet normal, à un autre processus important. C’est par ces voies que devrait s’accomplir l’attraction des forces de pulsion sexuelles vers des buts non sexuels, c’est-à-dire la sublimation de la sexualité » (4). Une telle hypothèse est sous-jacente à l’étude de Freud sur Léonard de Vinci.

Avec l’introduction de la notion de narcissisme*, et avec la dernière théorie de l’appareil psychique, une autre idée est avancée. La transformation d’une activité sexuelle en une activité sublimée (ces deux activités étant dirigées vers des objets extérieurs, indépendants), nécessiterait un temps intermédiaire, le retrait de la libido sur le moi, qui rende possible la désexualisation. En ce sens, Freud, dans Le moi et le ça (Das Ich und das Es, 1923), parle de l’énergie du moi comme d’une énergie « désexualisée et sublimée », susceptible d’être déplacée sur des activités non sexuelles. « Si cette énergie de déplacement est de la libido désexualisée, on est en droit de la nommer aussi sublimée, puisqu’en servant à instituer cet ensemble unifié qui caractérise le moi ou la tendance de celui-ci, elle s’en tiendrait toujours à l’intention majeure de l’Éros, qui est d’unir et de lier » (5).

On pourrait trouver ici indiquée l’idée que la sublimation est étroitement dépendante de la dimension narcissique du moi, de sorte qu’on retrouverait, au niveau de l’objet visé par les activités sublimées, le même caractère de belle totalité que Freud assigne ici au moi. On pourrait, semble-t-il, situer dans la même ligne de pensée les vues de Melanie Klein, qui voit dans la sublimation une tendance à réparer et à restaurer le « bon » objet* mis en pièces par les pulsions destructrices (6).

3) Dans la mesure où la théorie de la sublimation est restée, chez Freud, peu élaborée, la délimitation d’avec les processus limitrophes (formation réactionnelle*, inhibition quant au but*, idéalisation*, refoulement*) est, elle aussi, restée à l’état de simple indication. De même, si Freud a tenu pour essentielle la capacité de sublimer dans l’issue du traitement, il ne l’a pas montrée concrètement à l’œuvre.

4) L’hypothèse de la sublimation a été énoncée à propos des pulsions sexuelles, mais la possibilité d’une sublimation des pulsions agressives a été évoquée par Freud (7) ; la question a été reprise après lui.

Dans la littérature psychanalytique, on recourt fréquemment au concept de sublimation ; il est en effet l’index d’une exigence de la doctrine, dont on voit mal comment on pourrait se passer. L’absence d’une théorie cohérente de la sublimation reste une des lacunes de la pensée psychanalytique.

(1) Freud (S.). Die « kulturelle » Sexualmoral and die moderne Nervosität, 1908. – a) G.W., VII, 150 ; S.E., IX, 187. – b) G.W., VII, 151 ; S.E., IX, 189.

(2) Freud (S.). G.W., XV, 103 ; S.E., XXII, 97 ; Fr., 133.

(3) Cf. Freud (S.). Das Unbehagen in der Kultur, 1930. G.W., XIV, 438 ; S.E., XXI, T9 ; Fr., 18., (4) Freud (S.). Drei Abhandlungen zur Sexualtheorie, 1905. G.W., V, 107 ; S.E., VII, 206 ; Fr., 107.

(5) Freud (S.). G.W., XIII, 274 ; S.E., XIX, 45 ; Fr., 201-2.

(6) Cf. par exemple : Klein (M.). Infantile anxiety-situations reflected in a work of art and in the Creative impulse, 1929, in Contributions to Psycho-Analysis, 227-35.

(7) Cf. Jones (E.). Sigmund Freud : Life and Work, 1957, vol. III. Angl., Hogarth Press, Londres, 493-4 ; Fr. (à paraître).