De l'histoire du mouvement psychanalytique1

La psychanalyse est une science jeune encore, certes, mais dès à présent suffisamment riche d’expériences pour justifier un moment d’arrêt afin d’examiner les résultats, évaluer les succès et insuccès de la méthode telle qu’elle est appliquée jusqu’à présent, et en tirer des conclusions. Cette revue critique peut rendre notre travail plus rentable par l’abandon de moyens inefficaces, plus fécond par l’adoption de moyens nouveaux riches d’espoirs. Ce bilan est aussi nécessaire pour une activité scientifique que pour une entreprise industrielle ou commerciale ; les congrès, au lieu d’être une foire aux vanités, une présentation spectaculaire des nouveautés scientifiques, devraient plutôt être consacrés au filtrage objectif des résultats.

J’ai parlé de critique de la méthode analytique, mais j’aurais pu parler de critique des moyens de lutte ; car, comme tous les novateurs et pionniers, nous avons dû non seulement travailler, mais aussi lutter pour notre cause. Considérée dans son ensemble et sans préjugés, la psychanalyse apparaît comme une science théorique, qui tente de combler les lacunes de nos connaissances sur le déterminisme des processus mentaux. Cependant, ce problème purement scientifique touche de si près les bases mêmes de la vie quotidienne, certains dogmes d’apparence intangibles de la famille, de l’école, de l’église, jette tant de trouble dans le cercle des neurologues, ceux-là mêmes qui seraient les plus aptes à critiquer objectivement notre activité, que nous ne pouvons guère nous étonner si, en guise de faits et de preuves, ce sont des coups de matraque que l’on nous assène.

C’est ainsi que nous avons été entraînés, bien malgré nous, dans un combat où — c’est bien connu — les muses se taisent, tandis que les passions humaines se déchaînent, et où sont admises des armes qui ne proviennent pas toutes de l’arsenal de la science. Nous avons donc subi le sort des apôtres de la paix éternelle, obligés, pour leur idéal — de faire la guerre.

La première époque, l’époque héroïque pour ainsi dire de la psychanalyse, est représentée par ces dix années où Freud était seul à soutenir le combat mené contre lui de toutes parts et par tous les moyens. La plupart, certes, adoptèrent la méthode solidement éprouvée du silence ; mais d’autres usaient du sarcasme, du mépris ou de la calomnie. Les amis d’antan, et même un ancien collaborateur, l’ont abandonné, et le plus grand compliment qu’on lui consentît fut de voir un tel talent être la victime d’une telle erreur.

À ce point de notre bilan nous ne pouvons — sans fausse indifférence — nous retenir d’exprimer notre admiration pour Freud qui, sans souci de l’atteinte faite à sa dignité, inébranlé par les attaques haineuses, et malgré la déception sensible que lui causèrent ses amis, continua à progresser sur la voie qu’il considérait comme juste. Il pouvait se dire avec l’humour amer d’un Léonidas : du moins puis-je travailler en paix, à l’ombre de la méconnaissance. Ainsi donc ces années lui servirent à la maturation de pensées impérissables et à la rédaction d’œuvres immortelles. Il eût été réellement dommage de gaspiller son temps précieux en polémiques.

Il serait bon que nous-mêmes suivions l’exemple de Freud en évitant dans la mesure du possible la polémique.

En effet, parmi nos adversaires, nombreux sont ceux (honneur aux exceptions) qui, sans expérience personnelle ni connaissance des problèmes qui nous préoccupent, accommodent des conférences ou des articles contre la psychanalyse à partir de sarcasmes et d’injures.

Il serait dommage de prêter attention à ces attaques dépourvues de sérieux ; souvent elles ne visent qu’à gagner la sympathie de certains de nos adversaires influents.

Mais ces puissants eux-mêmes qui tonnent leur réprobation du haut de leur Olympe, avec un orgueil dérisoire (et une connaissance des plus vagues de ce dont il s’agit), sont troublés par l’absence d’effet de leurs sentences : malgré « l’anéantissement », nous continuons gaiement de vivre et, insoucieux de leur mépris, de travailler. Avec le temps, le monde scientifique se lassera de leurs sempiternelles récriminations qui, à la fin, subiront le sort de tout bruit monotone ; elles échapperont à l’attention des esprits actifs. Éviter la polémique inutile est un mot d’ordre jamais assez répété dans la lutte pour la psychanalyse.

La deuxième époque de la psychanalyse est marquée par l’apparition de Jung, dont le grand mérite est d’avoir mis, par l’emploi des méthodes de la psychologie expérimentale, les idées de Freud à la portée de ceux qui, en dépit d’une sincère recherche de la vérité, rejetaient jusqu’alors, au nom du respect dévot de ce qu’on appelle l’exactitude, les travaux psychologiques de Freud. Je connais d’autant mieux cette conception que, malheureusement, je l’ai professée moi-même, et qu’il m’a fallu longtemps pour admettre que l’exactitude en psychologie expérimentale n’est qu’un leurre, une formation substitutive (Ersatzbildung), pour masquer l’absence de contenu de cette science. La psychologie expérimentale est exacte, mais ne nous apprend rien ; la psychanalyse est inexacte, mais révèle des relations insoupçonnées et dévoile des couches du psychisme inaccessibles jusqu’alors.

Les nouveaux chercheurs affluèrent à la suite de Jung vers le territoire scientifique découvert par Freud, comme les colons sur les traces d’Amerigo vers le continent découvert par Colomb ; comme ces premiers immigrants du nouveau continent, nous avons dû, jusqu’à ce jour, mener une guerre de guérilla. Sans direction spirituelle, sans unité tactique, nous avons lutté, chacun sur le lopin de terre qu’il avait conquis. Chacun a occupé une parcelle de l’immense territoire comme il l’entendait, choisissant les modes d’attaque, de défense et de travail qui lui convenaient. L’avantage de la guerre de guérilla était incommensurable tant qu’il s’agissait de gagner du temps face à un adversaire trop fort et d’empêcher que les idées nouvellement surgies ne fussent étouffées dans l’œuf. La liberté de mouvements, non limitée par les égards dus aux autres, nous a permis de nous adapter aux conditions locales, au niveau de connaissance et de compréhension rencontré, à la force de la résistance. L’absence de toute autorité, de toute discipline protectrice a favorisé le développement de l’amour-propre, indispensable à tout travail d’avant-garde. Ajoutons que dans certaines couches de la société c’est précisément ce combat inorganisé, quasi révolutionnaire, qui nous a gagné les sympathies ; ainsi les tempéraments artistes que leur compréhension intuitive des problèmes qui nous occupent jointe à leur aversion pour tout ce qui est scolastique, a rangés à nos côtés, ont grandement contribué à la propagation des idées de Freud.

Cependant, en même temps que des avantages, la guerre de guérilla — du fait même de son caractère mal limité — entraînait aussi des inconvénients considérables. L’absence de toute direction a favorisé la prolifération excessive des tendances individuelles, des positions scientifiques personnelles isolées chez certains « combattants », aux dépens de l’intérêt commun, je pourrais dire des « thèses centrales ». Le libéralisme doctrinal n’en fera pas grief à la guerre de guérilla, bien au contraire : il insistera sur la nécessité de la « liberté » de la science. Et c’est juste ! Mais l’analyse, et en particulier l’autocritique analytique, nous a montré que ceux qui, sans aide extérieure, savent reconnaître leurs instincts et tendances inadaptés et les refréner au profit des idées d’intérêt commun, font exception. Pour cette raison, une certaine considération mutuelle a son utilité dans la science, et la reconnaissance de telles limites ne menace en aucun cas sa liberté, c’est-à-dire sa possibilité d’évolution rationnelle et régulière. Notons encore que si une partie très valable et douée de la société sympathise avec nous justement à cause de notre caractère inorganisé, la majorité, habituée à l’ordre et à la discipline, y trouve un aliment nouveau à sa résistance. Enfin, il ne faut pas oublier ces personnes timorées qui nous approuvent tout en hésitant de rallier l’un d’entre nous, mais qui seraient toutes disposées à rentrer dans une organisation ; elles pourraient représenter un apport non négligeable de partisans et de collaborateurs.

Toutefois, c’est au premier inconvénient qu’il convient de s’arrêter : aux yeux de la grande majorité nous sommes des exaltés sans organisation ni discipline, et nous ne pourrons pas nous imposer de la sorte. Le nom de Freud inscrit sur notre drapeau n’est après tout qu’un nom ; il ne permet pas de deviner le nombre de personnes qui professent dès à présent les idées liées à ce nom, ni combien de réalisations la psychanalyse compte déjà à son actif. Ainsi l’effet de masse, dans la mesure où nous pouvions y prétendre, est perdu, sans mentionner le poids spécifique des individus et de leurs idées pris isolément. Il n’est pas étonnant que cette nouvelle branche de la science reste pratiquement inconnue des laïcs, des médecins sans formation psychologique et même, dans certains pays, des psychologues, et que nous soyons obligés de faire un exposé sur la psychanalyse à la plupart des médecins qui nous appellent en consultation. Hillel, le rabbin juif de l’antiquité, avait poussé la patience jusqu’à accepter de répondre même à ce mécréant qui, par dérision, l’avait défié de lui expliquer les lois fondamentales de sa religion dans le temps qu’il était capable de passer debout sur un pied. Je ne sais plus si Hillel a converti ou non le mécréant, mais je puis affirmer par expérience que ce mode de propagation de la psychanalyse n’est pas rentable. Le fait d’être inconnus et non reconnus s’accompagne donc d’inconvénients non négligeables ; il s’ensuit que nous sommes considérés comme des sans-patrie, des pauvres miséreux, par les patrons des laboratoires de recherche et d’expérimentation, qui doutent fort que nous puissions détenir des connaissances ignorées de nos parents riches.

Nous pouvons dès lors nous interroger : les avantages de la guerre de guérilla compensent-ils tous ces inconvénients ? Pouvons-nous présumer la disparition spontanée de ces inconvénients sans agir en ce sens, c’est-à-dire sans organiser notre activité et notre lutte ? Par ailleurs, sommes-nous suffisamment nombreux et forts pour entreprendre cette organisation ? Et enfin, sur le plan pratique, quels principes seraient susceptibles de servir de base à une union solide et durable ?

Sans hésiter, je réponds affirmativement à la première question et j’ose dire que notre activité bénéficierait plus qu’elle ne souffrirait d’une organisation.

Je connais bien la pathologie des associations et je sais combien souvent dans les groupements politiques, sociaux et scientifiques règnent la mégalomanie puérile, la vanité, le respect des formules creuses, l’obéissance aveugle, l’intérêt personnel, au lieu d’un travail consciencieux consacré au bien commun.

Les associations, dans leur principe comme dans leur structure, conservent certaines caractéristiques de la famille. Il y a le président, le père, dont les déclarations sont indiscutables, l’autorité intangible ; les autres responsables : les frères aînés, qui traitent les cadets avec hauteur et sévérité, entourant le père de flatteries, mais sont tout prêts à l’évincer pour prendre sa place. Quant à la grande masse des membres, dans la mesure où elle ne suit pas aveuglément le chef, elle écoute tantôt tel agitateur, tantôt tel autre, considère le succès des aînés avec haine et jalousie, tente de les supplanter dans les faveurs du père. La vie de groupe fournit le terrain où se décharge l’homosexualité sublimée sous forme de haine et d’adulation. Il semble que l’homme ne peut guère échapper à ses caractéristiques familiales, qu’il est bien « Zoon Politikon », animal en troupeau, dont parlait le sage grec. Aussi loin qu’il s’écarte avec le temps de ses habitudes, de la famille dont il a reçu la vie et son éducation, il finit toujours par rétablir l’ordre ancien : en quelque supérieur, héros ou chef de parti respecté il retrouve un nouveau père ; en ses compagnons de travail, ses frères ; en la femme dont il a la confiance, la mère ; en ses enfants, ses jouets. Ce n’est pas une analogie forcée, c’est la stricte vérité. Une preuve parmi d’autres en est fournie par la régularité avec laquelle même nous, analystes sauvages et inorganisés, condensons dans nos rêves la figure paternelle avec celle de notre chef spirituel. Bien souvent en rêve j’ai, sous une forme plus ou moins déguisée, anéanti et enterré le père spirituel, hautement respecté mais au fond encombrant, du fait même de sa supériorité spirituelle, et qui de surcroît présentait toujours certaines caractéristiques de mon propre père. Nombre de mes collègues ont fait état de rêves semblables.

Il semble donc que nous ferions violence à la nature humaine si, au nom de la liberté, nous voulions à tout prix éviter l’organisation familiale. Car même si nous sommes inorganisés dans la forme, nous n’en constituons pas moins dès à présent une communauté familiale, avec toutes ses passions : amour et haine pour le père, attachement et jalousie entre frères ; aussi serait-il plus juste à mon avis de traduire cet état de fait dans la forme même.

Ce serait plus franc, mais ce serait aussi plus pratique. Car j’ai remarqué que le contrôle de ces affects égoïstes est favorisé par la surveillance mutuelle. Des membres ayant reçu une formation psychanalytique seraient donc les plus à même de fonder une association réunissant les avantages de l’organisation familiale à un maximum de liberté individuelle. Cette association doit être une famille où le père ne détient pas une autorité dogmatique, mais seulement celle que lui confèrent ses capacités et ses actes ; où ses déclarations ne sont pas aveuglément respectées, tels des décrets divins, mais soumis — comme tout le reste — à une critique minutieuse ; où lui-même reçoit la critique sans ridicule susceptibilité et vanité, tel un pater familias, un président d’association de nos jours.

Les frères aînés et cadets groupés en association accepteront sans ombrage ni rancœur puériles d’entendre la vérité en face, aussi amère, aussi décevante soit-elle. Certes, la vérité doit être communiquée sans infliger d’inutiles souffrances : cela va sans dire au stade actuel de la civilisation et au deuxième siècle de l’anesthésie.

Cette association — qui naturellement ne pourrait atteindre ce niveau idéal qu’au bout d’un temps assez long — aurait de fortes chances de réaliser une répartition juste et efficace du travail. Dans cette atmosphère de franchise mutuelle, où les capacités de chacun sont reconnues et la jalousie est éliminée ou dominée, où la susceptibilité des rêveurs n’est pas prise en considération, il sera sans doute exclu que tel membre doué d’un sens aigu du détail mais d’une faculté d’abstraction moindre se lance dans une réforme théorique de la science ; un autre renoncera peut-être à poser ses propres expériences, éventuellement de grande valeur mais tout à fait personnelles, comme fondement de toute la science ; un troisième admettra qu’un ton inutilement passionné dans ses écrits augmentera la résistance sans servir la cause ; un quatrième sera amené par la libre discussion à ne plus rejeter d’emblée tout ce qui est nouveau au nom de son propre savoir, mais de s’accorder le temps de la réflexion avant de prendre position. Dans l’ensemble, ce sont là les différents types que l’on rencontre d’ordinaire dans les associations actuelles, ainsi que parmi nous ; mais dans une association psychanalytique, même si l’on ne peut les éliminer, il serait néanmoins possible de les contrôler efficacement. De même, la phase autoérotique actuelle de la vie d’association serait remplacée par la phase plus évoluée d'amour objectal, où la satisfaction ne serait plus recherchée par l’excitation des zones érogènes psychiques (vanité, ambition), mais dans les objets mêmes de notre étude.

J’ai la conviction qu’une société de psychanalyse travaillant de la sorte créerait des conditions internes favorables à son activité et serait respectée de l’extérieur. Car la résistance aux théories de Freud est encore forte à tous les niveaux, même si l’affaiblissement progressif de la dénégation paraît certaine. Si nous consentons au travail stérile et déplaisant d’examiner les différentes attaques dirigées contre la psychanalyse, nous constatons que les critiques qui, il y a cinq-six ans, faisaient appel au silence et à la médisance, commencent à considérer que la « catharsis » selon Breuer et Freud est une réalité et une méthode fort ingénieuse ; ils rejettent naturellement tout ce qui a été découvert et écrit depuis l’époque de l’« abréaction ». Certains poussent le courage jusqu’à admettre l’existence de l’inconscient, et son investigation par la méthode analytique, mais c’est évidemment la sexualité qui les arrête ; la bienséance de même qu’une sage prudence les empêchent de nous suivre sur cette voie. Il y en a même qui approuvent les déductions de Jung, mais que le nom de Freud épouvante comme s’il s’agissait du diable en personne ; ils négligent totalement l’absurdité logique du « filius ante patrem » que cette position implique. Certains critiques reconnaissent le rôle exemplaire de la sexualité dans les névroses, mais refusent cependant d’être classés dans l’école de Freud.

Mais la manière la plus dangereuse et la plus méprisable d’approuver les théories de Freud c’est de les redécouvrir et de les répandre sous un autre nom. Car qu’est-ce donc que la « névrose d’attente », sinon la névrose d’angoisse de Freud naviguant sous pavillon d’emprunt ? Et comment pourrait-on méconnaître ces symptômes caractéristiques de l’hystérie d’angoisse selon Freud qu’un confrère astucieux a mis sur le marché sous le nom de « phrénocardie » comme étant sa propre découverte ? Et n’était-il pas évident qu’après le mot « analyse » quelqu’un dût créer, par opposition, la notion de « psychosynthèse » ? L’impossibilité d’une synthèse sans analyse préalable a naturellement échappé à cet auteur.

De tels amis sont une plus grande menace pour la psychanalyse que ses ennemis. Le danger qui nous guette en quelque sorte c’est que nous venions à la mode et que le nombre de ceux qui se disent analystes sans l’être s’accroisse rapidement.

Nous ne pouvons cependant prendre la responsabilité de toutes les inepties que l’on colporte sous le nom de psychanalyse ; en plus du « Jahrbuch »2, nous avons donc besoin d’une association qui puisse garantir dans une certaine mesure que ses membres appliquent effectivement la méthode psychanalytique selon Freud et non quelque méthode mijotée pour leur usage personnel. L’association aurait également pour tâche de surveiller la piraterie scientifique. Un choix rigoureux et prudent à l’admission des nouveaux membres permettra de séparer le bon grain de l’ivraie et d’éliminer tous ceux qui ne reconnaissent pas ouvertement et explicitement les thèses fondamentales de la psychanalyse.

Certes une telle prise de position demande actuellement du courage personnel, et le renoncement aux ambitions académiques. Nous nous en consolerons cependant, car nous n’avons pas besoin d’aide, notamment sur le plan financier, dans la même mesure qu’un service hospitalier. Nous n’avons pas besoin d’hôpitaux, de laboratoires ni de « matériel humain alité » ; notre matériel est la grande masse de névrosés qui, déçus dans leurs espoirs et leur foi en la science médicale, s’adressent à nous.

Et l’aide que nous sommes souvent à même d’apporter à ces infortunés nous procurera plus de satisfaction que le travail de danaïdes de la neuro- et psychothérapie non analytiques. Si nous comparons la stagnation scientifique de la psychologie et de la psychiatrie actuelles, la stérilité des recherches anatomiques de ces dernières décades, au dynamisme, à la vitalité de notre travail dont l’ampleur est près de dépasser nos forces, nous verrons rapidement que nous n’avons rien à envier à nos confrères cliniciens, la valeur intrinsèque de notre activité nous dédommageant amplement de la position et de la puissance qui nous sont refusées. Nous souffrons d’un véritable « embarras de richesse »3 tandis que d’autres rivalisent pour la primeur d’observations insignifiantes.

J’ai souligné précédemment l’importance de ne pas relever les attaques injustifiées. Cependant en faire la devise de notre future association équivaudrait à une tendance excessive à éviter la bataille. Il est parfois nécessaire de démontrer la fragilité des objections, tâche aisée si l’on considère le mal-fondé des attaques.

Ce sont toujours les mêmes objections de logique, de morale ou de thérapeutique qui reviennent, avec une monotonie lassante, de sorte que l’on pourrait les classer par catégories. Les tenants de la logique considèrent toutes nos assertions comme imagination et extravagance. Ils nous attribuent en propre l’incohérence et l’absurdité résultant de la névrose et révélées par les associations d’idées ; ils oublient que — si nous en sommes à distribuer des notes — ceux qui osent s’attaquer au déchiffrage de ces « absurdités » mériteraient plutôt la mention « très bien ».

Les défenseurs de la morale sont effarouchés par le matériel sexuel de nos recherches et nous jettent l’anathème, tout en passant soigneusement sous silence que Freud prône le contrôle et la sublimation des instincts dévoilés par l’analyse. Quiconque connaît le rôle joué par la sexualité inconsciente dans les psychothérapies non analytiques pourrait parler d’hypocrisie ; pourtant il s’agit simplement de réactions affectives pathologiques, excusables car inconscientes.

Il est également intéressant de noter la complaisance de certains à insister sur les « mensonges » et l'« irresponsabilité » des hystériques dans nos analyses, mais qui s’empressent de faire foi à tout ce que ces mêmes malades, avec leur compréhension encore incomplète, racontent sur l’analyse.

Certains parmi ceux qui critiquent la valeur thérapeutique de l’analyse prétendent qu’elle n’agit que par suggestion. Supposons sans l’admettre qu’il en soit ainsi : il n’en serait pas moins injuste de rejeter d’emblée une variante peut-être active du procédé par suggestion. L’autre argument est l’inefficacité. Entendez par là que l’analyse n’agit pas toujours, et en général pas vite, et qu’il faut souvent plus de temps pour refaire l’éducation d’une personnalité dont l’évolution a été troublée dès l’enfance, que n’en peut supporter la patience du malade et de sa famille. D’autres objecteurs estiment que l’analyse est dangereuse, en visant ces réactions souvent violentes mais liées au principe même de la cure qui sont en général suivies d’une amélioration.

La dernière, je pourrais dire l’« ultime » objection, à savoir que l’analyste ne cherche que son intérêt matériel, relève visiblement de la médisance de ceux qui sont définitivement à court d’arguments. Certains patients reprennent ce raisonnement à leur compte lorsque, sous le coup de leurs découvertes, ils font une dernière tentative pour rester malades.

Ces objections de logique, d’éthique et de thérapeutique des milieux médicaux ont souvent une ressemblance frappante avec les réactions dialectiques que la résistance à la cure déclenche chez leurs malades.

Cependant, de même qu’il faut des connaissances et un savoir-faire psychotechnique pour vaincre la résistance d’un névrosé, de même la résistance collective (notamment celle des médecins aux thèses analytiques) mérite que l’on s’en préoccupe avec méthode et précision, et non sur le mode empirique appliqué jusqu’à présent.

Outre le développement de notre science, une tâche essentielle du regroupement psychanalytique serait justement de traiter la résistance médicale qui, à elle seule, en justifierait la constitution.

Honorable Assistance ! Si vous donnez votre accord de principe à la fondation de l’Association Psychanalytique Internationale, en vue d’un meilleur développement de notre tendance scientifique, il ne me reste plus qu’à formuler des propositions concrètes pour la réalisation de ce plan.

Je propose d’élire un comité directeur central, de promouvoir la constitution de groupes locaux dans les centres culturels, de régulariser la convocation annuelle d’un congrès international et de faire en sorte que les tendances de la psychanalyse soient dès que possible représentées, en plus du « Jahrbuch », par un organe paraissant plus souvent.

J’ai l’honneur de vous soumettre le projet du règlement de base détaillé de l’« Association », tenant compte dans la mesure du possible des arguments développés4.

 


1 C’est par cette analyse que l’auteur a introduit au IIème Congrès de Psychanalyse de Nüremberg, sa proposition de grouper en association internationale tous ceux qui pratiquent scientifiquement la psychanalyse.

2 Jahrbuch für Psychoanalyse. Rédaction : Pr Freud, Dr Abraham et Dr Hitchmann.

3 En français dans le texte (N. d. T.).

4 Le Congrès a accepté la proposition et le projet, et « l’Association Psychanalytique Internationale » fut constituée. L’Association a choisi pour premier président C. G. Jung, doyen de la Faculté de Zürich. Le président du groupe de Vienne est le Pr Freud, celui de Berlin : K. Abraham, de Münich : C. Seif, de Zürich : Maeder. Le Président de toute l’Association américaine est Putnam, professeur à l’Université Harvard à Boston ; celui du groupe de New York : A. Brill, celui de Toronto : le Pr Jones. L’auteur de cette conférence a reçu mission d’organiser le groupe hongrois. Depuis le congrès de Nüremberg a été fondée la revue mensuelle intitulée Zentralblatt für Psychoanalyse (éditée par Bergmann, Wiesbaden), l’organe central de la psychanalyse médicale, et bientôt paraîtra un troisième périodique (édité par H. Heller à Vienne) consacré aux applications littéraires, philosophiques, philologiques, mythologiques, historiques, sociologiques de la psychanalyse.