Contribution à l'étude de l'onanisme

L’origine psychologique de certains troubles névrotiques provoqués par l’onanisme ne fait aucun doute ; on peut la rapporter au lien indissoluble qui se crée chez l’enfant lorsqu’il se masturbe, entre l’angoisse et le plaisir ressenti (peur de la castration chez le garçon et, chez la fille, peur d’avoir les mains coupées). Il se révèle au cours de l’analyse qu’un grand nombre d’hystéries et de névroses obsessionnelles sont la conséquence psychique de cette angoisse infantile, associée, au moment de l’éveil de l’amour objectal, aux fantasmes masturbatoires incestueux. Chez l’adulte, l’angoisse provoquée par la masturbation est ainsi composée par la synergie de l’angoisse infantile (liée à la castration) et de l’angoisse juvénile (liée à l’inceste) ; l’analyse permettra d’éliminer les symptômes de conversion ou de substitution de cette angoisse.

Pour moi, il n’est cependant pas douteux que l’onanisme peut aussi provoquer directement certains troubles psychiques et nerveux : il faut toutefois souligner qu’ils sont moins importants que les symptômes psycho-névrotiques liés à l’intimidation brutale et au refoulement.

Dans une série de cas l’analyse a rendu consciente l’origine de l’angoisse liée aux idées de castration et d’inceste, supprimant ainsi les symptômes psycho-névrotiques ; mais, pendant et après le traitement, l’abstinence de masturbation n’a pas été totale : le jour suivant l’acte masturbatoire, ces malades présentaient une série de troubles psychiques et somatiques, que je propose de grouper sous le nom de « neurasthénie d’un jour ». Ils se plaignaient surtout d’une très grande lassitude, d’une pesanteur de plomb dans les jambes, particulièrement intenses le matin au lever ; d’insomnie ou d’un sommeil haché ; d’une hypersensibilité aux excitations lumineuses et sonores (parfois d’authentiques sensations douloureuses au niveau des yeux ou des oreilles) ; de troubles gastriques, de paresthésies lombaires, de douleurs à la pression des trajets nerveux. Dans le domaine psychique : grande irritabilité affective, découragement, critique incessante, incapacité ou diminution de capacité de concentration (aprosexie). Ces différents symptômes persistaient toute la matinée, puis s’estompaient progressivement dans l’après-midi, pour ne disparaître que le soir ; on assistait alors au retour de l’intégrité des sensations corporelles, du rendement intellectuel et de la quiétude affective.

J’attire l’attention sur le fait que ces symptômes ne s’accompagnaient d’aucune aggravation ni récidive des troubles psychonévrotiques et qu’en aucun cas l’analyse n’eut de prise sur eux, ne parvint à les influencer d’aucune façon. On doit donc, en toute honnêteté — en évitant toute spéculation intellectuelle —, reconnaître que les symptômes décrits sont la conséquence physiologique de l’onanisme.

Cette constatation renforce d’ailleurs, je crois, l’hypothèse de Freud concernant la genèse de la neurasthénie. On peut même concevoir que la névrose masturbatoire actuelle est la répétition, le passage à la chronicité des symptômes constituant la « neurasthénie d’un jour », liée à l’onanisme.

Que l’activité masturbatoire puisse provoquer des symptômes physiologiques qu’on ne rencontre pas après le coït normal, voilà ce que prouvent plus d’une observation et qui n’est pas pour contredire la réflexion théorique.

Certains hommes ont, malgré une libido défaillante, des relations sexuelles fréquentes avec leur femme, mais ce faisant, ils substituent à la réalité de leur femme le fantasme d’une autre femme, et, pour ainsi dire, ils se masturbent dans un vagin. Si ces hommes ont, épisodiquement, des relations avec une autre personne, elle est tout à fait satisfaisante, ils remarquent une grande différence entre ce qu’ils ont éprouvé après un coït soutenu par un fantasme et un coït se suffisant en soi. La personne satisfaisait-elle les besoins de leur libido, ils se sentaient revigorés après le coït, s’endormaient brièvement et le jour même et le lendemain ils pouvaient assurer un rendement accru. Un coït masturbatoire était, à coup sûr, suivi d’une « neurasthénie d’un jour », présentant tous les symptômes décrits plus haut ; la survenue, immédiatement après la relation, de certains de ces troubles, semblait particulièrement typique : douleurs oculaires provoquées par la lumière, lourdeur dans les jambes et, outre l’excitabilité psychique, une hyperesthésie cutanée prononcée, plus particulièrement au chatouillement. L’insomnie peut s’expliquer, ce me semble, eu égard aux sensations concomitantes de chaleur et de battements, comme étant une conséquence de l’excitation vasomotrice.

On ne peut valablement opposer aucun argument théorique à l’hypothèse selon laquelle les processus du coït normal et de la masturbation comportent des différences non seulement psychologiques mais également physiologiques. On peut mettre en évidence la différence essentielle entre les mécanismes d’une relation sexuelle normale et de l’onanisme, qu’il soit pratiqué par excitation manuelle ou par frottement du pénis dans le vagin d’un objet sexuel insatisfaisant ; les prémices amoureuses sont exclues de l’onanisme, tandis que la participation du fantasme y est exacerbée ; cela étant, je ne pense pas que les prémices soient un processus purement psychologique. Quand un objet sexuel satisfaisant est contemplé, caressé, embrassé et étreint, les zones érogènes visuelles, tactiles, buccales et musculaires sont fortement excitées, et une part de cette excitation est automatiquement transmise à la zone génitale. Le processus se déroule d’abord dans les organes des sens ou centres sensoriels : le fantasme ne participe que secondairement à la souffrance — à la jouissance — de l’ensemble. Dans l’onanisme par contre, les organes des sens ne sont pas mis en jeu, toute l’excitation doit être apportée par le fantasme conscient et la stimulation génitale.

L’attachement violent à une image, qui se présente souvent avec une force hallucinatoire pendant l’acte sexuel et qui normalement est presque complètement inconsciente, représente un effort considérable, dans une mesure suffisante pour expliquer la fatigabilité de l’attention après l’acte.

Il n’est pas facile d’expliquer l’excitabilité des organes des sens qui persiste après l’onanisme (et pendant la neurasthénie). On en sait trop peu encore des processus nerveux du coït normal. L’excitation des zones érogènes pendant le coït provoque le réveil et la disponibilité des organes génitaux ; puis, au cours des frottements qui suivent, c’est le réflexe génito-spinal qui joue le rôle principal ; l’excitation génitale atteint son acmé et, finalement, au moment de l’éjaculation, diffuse de façon explosive dans tout le corps. Je pense que la jouissance — comme les sensations plus communes — n’est pas localisable, ce qui peut s’expliquer ainsi : lorsque la stimulation génitale a accumulé ou atteint une certaine intensité, elle diffuse de façon explosive, en débordant le centre spinal, dans toute la sphère sensitive — et aussi dans les centres cutanés et sensoriels. Il n’est donc pas indifférent que la vague voluptueuse diffuse dans une sphère sensible préparée par les prémisses amoureuses, ou bien endormie, inexcitée et pour ainsi dire froide. Il n’est donc, pour le moins, pas évident que les processus nerveux soient physiologiquement identiques au cours du coït et de la masturbation. Bien plus, ces dernières réflexions fournissent une indication pour comprendre la cause de la surexcitation vasomotrice, sensible, sensorielle et psychique qui suit l’onanisme. Il est probable que, lorsque tout se passe normalement, la vague de plaisir s’épuise entièrement ; mais la masturbation, par contre, ne lui permet pas de s’équilibrer totalement ; cette fraction résiduelle de l’excitation peut être l’explication du tableau de la neurasthénie d’un jour — et peut être de la neurasthénie en général1.

On ne doit pas non plus oublier les découvertes de Fliess sur les rapports qui existent entre le nez et l’appareil génital. L’hyper-excitation vasomotrice qui suit la masturbation peut provoquer des troubles chroniques du tissu érectile de la muqueuse nasale, qui peuvent être la cause de névralgies ou de troubles fonctionnels divers. On a vu, après cautérisation des points génitaux du nez, certaines neurasthénies masturbatoires s’améliorer à vue d’œil. Il faudrait à ce sujet faire des recherches sur une grande échelle.

Tandis que dans mes remarques précédentes je voulais mettre en garde contre une façon trop exclusivement psychologique de considérer les conséquences de la masturbation, je crains plutôt l’erreur inverse en ce qui concerne le problème de l’éjaculation précoce. D’après mon expérience, celle-ci s’observe souvent chez ceux pour qui le coït est pénible pour une raison ou une autre, et qui ont toujours intérêt à l’expédier rapidement. Nous savons que les onanistes, englués dans leur fantasme, sont très vite insatisfaits de l’objet sexuel, et l’on peut admettre qu’inconsciemment, ils souhaitent raccourcir l’acte. Je ne veux pas dire cependant que dans l’éjaculation précoce les causes locales ne doivent pas être prises en considération (altération du canal éjaculateur).

Je voudrais encore attirer l’attention sur la genèse des liens symboliques qui existent entre l’extraction d’une dent et l’onanisme, que l’on peut observer dans les rêves et dans les névroses. Nous savons tous que dans les rêves l’extraction d’une dent est la représentation symbolique de l’onanisme. Freud et Rank l’ont prouvé par des exemples incontestables, et ont montré que ce même symbolisme se retrouve dans la langue allemande. Cependant, le même lien symbolique est très fréquent chez les Hongrois qui ignorent, certes, l’expression populaire allemande. Par ailleurs, en hongrois, il n’existe pas d’expression analogue pour la masturbation. Par contre, dans tous les cas, l’analyse a permis de faire apparaître la probabilité d’une identité symbolique entre l’extraction dentaire et la castration. Le rêve substitue symboliquement l’avulsion à la castration (c’est-à-dire le châtiment à l’onanisme).

On retrouve, dans l’histoire vécue, un moment qui peut expliquer ce symbole de l’onanisme ; ceci renforce l’analogie apparente de la dent et du pénis, de l’extraction de la dent et de la section du pénis. En effet, la castration et l’extraction (la chute, la perte de la dent) sont précisément les premières interventions où l’enfant peut se sentir sérieusement menacé. L’enfant n’a aucune peine ensuite à refouler hors de ses fantasmes la plus déplaisante de ces deux opérations (la castration), mettant l’accent sur l’extraction dentaire qui lui ressemble. C’est probablement de cette manière que le symbolisme sexuel s’est constitué.

Il existe d’ailleurs une névrose dentaire bien définie : peur démesurée de toute intervention au niveau des dents, c’est-à-dire toute intervention effectuée par un dentiste ; sondages et explorations perpétuelles dans les cavités des dents creuses ; obsessions au sujet des dents, etc... L’analyse révèle que cette névrose dérive de l’onanisme, ou de l’angoisse de castration.

 


1 On peut aussi observer le tableau clinique de la « neurasthénie d’un jour » après un coït tout à fait normal. Par exemple, lorsque par exception il a lieu le matin, au moment où la libido est habituellement peu intense ; la libido augmente dans les dernières heures de l’après-midi, ce qui, certainement, n’est pas sans rapport avec l’amélioration clinique constatée le soir chez les neurasthéniques.