Analyse discontinue
Freud a noté que le succès thérapeutique constitue souvent un obstacle à l’approfondissement de l’analyse ; je l’ai moi-même constaté dans de nombreux cas. Si au cours du traitement analytique les symptômes les plus pénibles de la névrose disparaissent, il se peut que les symptômes morbides non encore résolus paraissent moins pénibles au malade que la poursuite du travail analytique souvent laborieux et frustrant. Ainsi lorsque la médecine devient vraiment « pire que le mal », le patient s’empresse-t-il d’interrompre la cure (souvent aussi poussé par des considérations matérielles), et tourne son intérêt vers la vie réelle qui déjà le satisfait. En fait, ces malades partiellement guéris sont encore liés à leur médecin par le transfert ; nous apprenons qu’ils accablent d’éloges quelque peu excessifs la cure et la personne du médecin, se rappellent occasionnellement à celui-ci par des cartes postales illustrées et autres menues attentions, à l’opposé de ceux qui ont interrompu leur cure en pleine résistance et s’enveloppent d’un silence hostile. Ceux qui sont vraiment guéris, dont le transfert est résolu, n’ont aucune raison de se préoccuper de leur médecin et ne le font guère.
Toutefois il advient que ces « guéris partiels » fassent une rechute au bout de quelque temps et désirent reprendre leur analyse. Il apparaît alors que les facteurs déterminants de la récidive sont des événements, externes ou internes, qui ont en quelque sorte réactivé et fait surgir du refoulement le matériel inconscient qui n’avait pas été élaboré au cours de l’analyse. On peut s’attendre également à ce que viennent en discussion au cours de la seconde analyse des sujets qui n’ont joué qu’un rôle minime ou nul pendant la première.
J’ai été frappé de l’étonnante rapidité avec laquelle se rétablit le contact entre le médecin et le patient. Tel patient, au bout de quatre ans d’un état satisfaisant consécutif à une analyse (inachevée), se rappela tous les détails de son premier traitement lorsqu’il reprit la cure ; et, fait plus étrange encore, dans la mémoire du médecin lui-même, qui dans l’intervalle n’avait guère songé à ce patient mais s’était intensément occupé de bien d’autres choses, surgirent spontanément les plus petits détails concernant ce malade : toute l’histoire de son enfance, les noms de tous ses parents, des rêves et des idées avec les interprétations faites à l’époque, jusqu’à la couleur de cheveux des personnes évoquées autrefois. Au bout de deux séances nous avions retrouvé nos habitudes, comme s’il s’agissait non de quatre ans de séparation mais de l’habituelle « croûte du dimanche » que nous devons affronter dans les séances du lundi. En règle générale, les cas qui guérissaient facilement n’offraient qu’un bénéfice scientifique très mince ; la récidive apportait une compréhension plus profonde des rapports qui n’avaient été entrevus que superficiellement auparavant.
Le principe technique de Freud selon lequel il ne faut pas éviter au malade, même en cours de traitement, les heurts de la réalité, est suspendu dans certains cas par la force des choses, notamment lorsque le traitement se fait loin de la famille (dont les membres sont à l’origine des principales réactions névrotiques). Il peut arriver dans ces cas que le patient qui se croyait guéri fasse une rechute et reproduise tous ses symptômes dès son retour ou peu après, et revienne au plus vite auprès de son médecin (qui d’ailleurs l’a préparé à cette éventualité). Là encore le contact avec la réalité fait surgir des contenus psychiques jusqu’alors cachés.
Une troisième raison de l’analyse discontinue tient à des circonstances purement extérieures. Certains patients sont très occupés ou demeurent très loin, d’autres ne disposent annuellement que d’une somme limitée de temps et d’argent pour la cure ; ceux-là viennent chaque année subir un mois ou deux de traitement. Nous ne prétendrons pas que les intervalles entre les périodes de travail s’écoulent sans laisser de traces sur ces patients ; souvent ce qui a été reconnu au cours du traitement est ensuite élaboré et approfondi d’une façon évidente. Mais ce faible avantage s’efface à côté de l’énorme inconvénient d’une cure qui, déjà longue, s’étire ainsi de façon imprévisible. L’analyse continue est donc toujours préférable à l’analyse discontinue.
Les analyses qui durent toute l’année sont elles aussi interrompues par les vacances du médecin. Pour les patients qui ont un véritable désir de poursuivre le traitement une telle interruption ne représente pas une discontinuité à proprement parler, et la première séance après les vacances reprend souvent dans sa forme même la discussion analytique interrompue par la séparation.