Deux symboles typiques fécaux et infantiles

Chez deux femmes dont les angoisses obsessionnelles sont liées au manque d’enfants1 et qui, dans leur inconscient, ont régressé de l’érotisme génital et parental à l’érotisme anal, exactement comme cela s’est produit dans le fameux cas de la patiente obsessionnelle de Freud2, la vermine et les œufs jouent un rôle tout à fait particulier. Toutes deux (c’est incroyable à quel point les névroses se répètent souvent jusque dans les moindres détails) vivent depuis l’enfance dans l’angoisse d’avoir des poux dans les cheveux. Fait extraordinaire, il leur arrive effectivement de trouver quelquefois, à leur plus grand effroi, des spécimens de cette vermine sur leur cuir chevelu ; cela d’ailleurs n’a rien d’étonnant car, en apparente contradiction avec l’effroi que leur inspirent ces parasites, elles font preuve d’une inexplicable négligence dans leur toilette capillaire. En réalité, toutes deux s’efforcent inconsciemment d’attraper des parasites, car ceux-ci leur fournissent une excellente occasion de satisfaire symboliquement leur plus secret désir : le désir refoulé d’avoir beaucoup, beaucoup d’enfants [qui se développent en effet en parasites de la mère, comme la vermine3], en même temps que le sadisme et l’érotisme anal où elles ont dû régresser après la déception subie sur le plan génital (exterminer la vermine, se vautrer dans la saleté). Pour que l’analogie des deux cas soit plus frappante encore, les deux patientes ont également fourni un autre symbole fécal et infantile que je ne connaissais pas encore comme tel, à savoir un intérêt débordant pour les œufs de poule. L’une des patientes, lorsque son état lui permit de s’intéresser à nouveau à la tenue de sa maison, me parlait souvent du plaisir inexplicable qu’elle éprouvait à manipuler des œufs frais dans un panier, à les ranger, à les compter ; si elle n’en avait pas ressenti de la honte, elle y aurait passé des heures. L’autre (une femme de la campagne), ne peut pratiquement plus travailler ; le seul endroit où elle peut encore exercer une certaine activité c’est la basse-cour ; pendant des heures elle gave les oies, regarde pondre les poules — et leur porte elle-même assistance en enfonçant son doigt dans le cloaque de l’animal pour en retirer l’œuf. L’analogie symbolique de l’œuf avec les matières fécales et avec l’enfant est plus transparente encore que celle de la vermine. Mais il ne faut pas oublier non plus la valeur pécuniaire des œufs ; nous savons en effet que c’est avant tout le prix des œufs qui sert à évaluer le coût de la vie, plus particulièrement à la campagne où les œufs font pratiquement office d’unité monétaire. Il semble que dans certaines conditions de vie il se produise en cours de route un arrêt de la transformation ontogénétique de l’érotisme anal en traits de caractère anaux. Quoi qu’il en soit, cette prédilection pour les œufs est beaucoup plus proche de la coprophilie primitive que l’amour — plus abstrait — pour l’argent45.

 


1 Une de ces dames avait bien un enfant, mais cela était loin de satisfaire son inconscient.

2 Freud : « La prédisposition à la névrose obsessionnelle ». Int. Zeitschr. f. Psychoan., I, p. 525, Coll. Papers, II, p. 122.

3 Voir mon court article « La vermine : symbole de grossesse ».

4 Voir mon article :« Ontogenèse de l’intérêt pour l’argent ».

5 N.d.T. : La version allemande de ce texte se termine par la phrase suivante, absente dans la version hongroise dont nous avons tiré cette traduction : « Enfin, indiquons que les deux symboles coprophile et infantile (comme on pouvait s’y attendre) révèlent incidemment leur signification phallique. »