La psychanalyse des états organiques (Groddeck)1

Quiconque a étudié des ouvrages de psychanalyse a certainement remarqué que nous avons toujours conçu l’inconscient comme une couche psychique plus proche de la sphère physique, disposant des forces pulsionnelles qui ne sont pas, ou très peu, influencées par le psychisme conscient. Dans les observations psychanalytiques nous voyons mentionner des troubles intestinaux, des laryngites, des troubles de la menstruation, qui sont des formations réactionnelles à des désirs réprimés ou bien qui représentent ces désirs sur un mode déformé et incompréhensible pour la conscience. Certes nous avons toujours maintenu ouvertes les voies qui mènent de ces phénomènes à la physiologie normale et pathologique (je me borne à renvoyer à l’identité établie entre les mécanismes hystériques et les mécanismes d’expression des affects) ; cependant sur ce point, la psychanalyse a surtout concentré son intérêt sur certaines altérations physiques, conditionnées psychiquement, que l’on rencontre dans l’hystérie.

Dans cette brochure, le Dr Groddeck est le premier à s’être lancé dans la courageuse tentative d’appliquer à la médecine organique les résultats des théories de Freud. Et dès ce premier pas, il a abouti à des succès si surprenants, à des points de vue si nouveaux et à de si vastes perspectives que la valeur, au moins heuristique, de ses recherches paraît indiscutable. Nous n’avons pas de raisons de rejeter a priori même ce qui de prime abord paraît surprenant dans les affirmations de Groddeck. Ce qu’il affirme, ce sont le plus souvent des faits et non des hypothèses. Il prétend avoir réussi à démontrer dans un grand nombre de maladies organiques — inflammations, tumeurs, anomalies constitutionnelles — que la maladie se constitue comme mesure de défense contre des « sensibilités » inconscientes, autrement dit, qu’elle est au service d’une tendance. Il aurait même réussi à obtenir des améliorations sensibles, voire des guérisons, dans des cas d’altérations organiques très graves (par exemple : goitre, sclérodermie, goutte, affections pulmonaires, etc.) par le travail psychanalytique, par le fait de rendre ces tendances conscientes. Cependant Groddeck ne désire en aucun cas se poser en magicien, et il se contente de soutenir modestement qu’il crée seulement par la psychanalyse des conditions plus favorables « für das Es von dem man gelebt wird »2. Il identifie ce « Es » avec l'inconscient selon Freud.

Aucune espèce de considération ne nous autorise à rejeter d’emblée ces faits, ni d’ailleurs aucun fait en général, car pour déterminer la valeur des faits il suffit de savoir si — après vérification dans des conditions identiques — ils s’avèrent exacts ou non. Au demeurant il n’y a aucune raison théorique de tenir les processus de cette sorte pour impossibles.

Le Dr Groddeck, un médecin praticien, n’est pas parti de la psychanalyse, mais il l’a découverte en s’efforçant de soigner et de guérir les troubles organiques. C’est ce qui explique les profondes différences qui existent entre nous dans la conception et plus particulièrement dans la terminologie employée pour définir les phénomènes et les mécanismes en question. Mais il y a entre nous trop de points communs pour renoncer à l’espoir de franchir bientôt le gouffre qui sépare ces deux séries d’observations complémentaires. Actuellement déjà il se publie des observations et des conceptions d’ordre purement psychanalytique qui se rapprochent singulièrement des constatations de Groddeck.

Il faut souligner l’absence totale de toute trace de philosophie « finaliste » dans la manière dont Groddeck emploie la téléologie qui peut également être démontrée dans la sphère organique (fût-ce déterminé causalement). Il échappe ainsi fort heureusement aux écueils qui ont fait chavirer les recherches d’Adler, après des débuts si prometteurs.

L’amour de la vérité qui induit l’auteur à dévoiler, dans l’intérêt de la science, les points faibles de sa propre organisation physique et psychique, nous inspire également le respect. Nous attendons avec grand intérêt les publications ultérieures de Groddeck et en particulier des observations approfondies de maladies et de guérisons.

Enfin, nous ne pouvons dissimuler notre crainte de voir de nombreux lecteurs rebutés par la démarche extrêmement originale mais souvent fantaisiste de l’auteur, ce qui pourrait les amener à rejeter par la même occasion le noyau de réflexion sérieuse que contient cette brochure.


1 Dr Georg Groddeck (Baden-Baden) : « Die psychische Bedingtheit und psychoanalytische Behandlung organischer Leiden ». Édité par S. Hirzel, Berlin, 1917.

2 Pour le Ça par lequel on est vécu (N.d.T.).