Pollution sans rêve orgastique et orgasme en rêve sans pollution

Souvent les patients racontent qu’ils ont eu une pollution dans leur sommeil sans que le contenu onirique qui l’accompagnait eût un caractère sensuel, ou trahît un lien quelconque avec le domaine sexuel. L’analyse peut parfois retrouver le fil qui mène du contenu onirique conscient inoffensif au fantasme sexuel inconscient qui explique la pollution. En tout cas, lorsque le déplacement de la chose proprement dite peut être maintenu jusqu’au moment ultime du processus de satisfaction organique cela prouve une grande aptitude au refoulement. Il est naturellement beaucoup plus fréquent que le rêve — comme d’habitude — commence par déguiser et par déformer le fantasme pour ne dévoiler ouvertement le processus sexuel ou génital à la conscience du rêveur qu’au moment de l’orgasme.

Il existe cependant une forme typique des rêves de pollution sans orgasme que j’ai pu étudier presque quotidiennement chez un jeune homme, et sur une longue période. Chaque nuit il avait une pollution mais elle n’était jamais liée à un contenu onirique sensuel.

Il s’agissait de rêves d'occupation qui se terminaient par une pollution ; ceux-ci confirment donc la thèse de Tausk qui affirme que la compulsion pathologique à s’occuper représente une activité sexuelle déguisée.

Ce jeune homme rêvait par exemple d’une découverte mécanique compliquée (il voulait devenir mécanicien) ; une automobile volante qui réunirait tous les avantages de l’avion et de l’automobile. Le travail commençait dans les difficultés, il y avait toutes sortes d’obstacles, et lorsque enfin la machine achevée il la mettait en marche — il s’éveillait avec une pollution. D’autres fois, il rêvait d’un problème de mathématiques difficile dont la solution coïncidait avec une pollution, etc...

Comme je savais par Freud que les pollutions correspondent en général à des activités masturbatoires nocturnes, ou du moins à des fantasmes de masturbation, je recherchai soigneusement toutes les informations concernant l’onanisme dans l’histoire du patient et j’appris qu’il avait dû mener un combat particulièrement dur pour s’en défendre. Sa mère appartenait à cette catégorie de personnes insouciantes en apparence (mais très sensuelles dans leur inconscient) qui refusent de voir les signes de maturité chez leur fils pour préserver plus longtemps leur intimité physique avec eux. Pour combattre des fantasmes qui dans son cas étaient ouvertement incestueux, il ne restait au jeune homme qu’à transposer toute sa sexualité dans un autre langage, aussi anodin que possible. Ce qu’il fit consciemment à l’époque où il recommença à se masturber. Il « se masturbait sans fantasmes ». Depuis qu’il a entièrement réprimé l’onanisme à l’état de veille, celui-ci reparaît la nuit sous forme de pollution d’occupation.

Il semble donc que le problème de la pollution sans orgasme soit en rapport particulièrement étroit avec l’onanisme sans fantasme sexuel, dont on nous parle si souvent. Cependant nous devons accueillir avec la plus grande réserve ce que les adultes nous déclarent à ce sujet ; c’est seulement chez le très jeune enfant, à l’âge de l’« onanisme primaire », que la possibilité d’une excitation génitale purement locale sans participation du reste du psychisme peut être admise. Chez les adultes on apprendra toujours tôt ou tard qu’ils avaient certaines pensées pendant la masturbation, même s’il ne s’agit pas de fantasmes sensuels. Ces pensées sont souvent très particulières : problèmes de mathématiques ou de mécanique (comme chez notre jeune homme), énumération de nombres et même — dans un cas — la récitation de l’alphabet hébraïque.

L’analogie avec les idées obsessionnelles et les actes compulsifs ne peut échapper ici à l’attention du psychanalyste. L’onanisme aussi est une sorte d’acte compulsif dont la véritable signification sera masquée par des pensées absurdes ou insensées dans la situation donnée.

Une analyse plus approfondie du patient qui récitait l’alphabet hébreu en se masturbant (et qui, pendant un certain temps, accompagnait l’onanisme de prières hébraïques) a montré qu’il s’agissait ici encore d’un fantasme masturbatoire incestueux inconscient dont le contenu défendu était en quelque sorte exorcisé par la récitation des saintes prières ou de leur reliquat : l’alphabet hébreu.

Un autre garçon, âgé de onze ans, se représentait pendant la masturbation des scènes religieuses dépourvues de tout contenu sensuel. Le plus souvent il évoquait l’image de la vierge Marie, ce qui se comprend d’autant mieux que sa mère elle-même s’appelait Marie.

Le pont associatif qui facilite le déplacement du fantasme d’un mode d’activité génitale sur l’activité de prier, si éloignée en apparence, pourrait être l'automatisme qui est commun aux deux.

La récitation automatique des prières qui peut même s’accompagner de mouvements automatiques rythmés du corps (balancement du corps dans certaines sectes juives, mouvements rythmiques complexes des « derviches tourneurs », coups rythmés sur la poitrine, etc.) convient très bien, du fait de cet automatisme, à la représentation déguisée d’un autre automatisme rythmique, d’ordre génital. Il en est de même pour la récitation automatique de l’alphabet ou de séries numériques, dont le caractère totalement abstrait et dépourvu de tout contenu sensuel favorise aussi la fuite devant la sexualité consciente. [Voir l’essai de Freud : « Zwangshandlungen und Religionsübung »1.]

Les pollutions ou l’onanisme à l’état de veille, où l’éjaculation survient, comme dans le cas cité, au moment de la résolution d’un problème difficile, sont les symptômes en miniature d’une névrose d'angoisse. Freud a montré que la plupart des sentiments d’angoisse, tels les rêves angoissants, sont d’origine névrotique : la libido incapable d’accéder à la conscience (refoulée) resurgit dans les symptômes physiques et psychiques d'angoisse chez les sujets qui y sont prédisposés. Il s’agit donc ici de pollutions d’angoisse comme cela se produit parfois chez les garçons même à l’état de veille. Car la production d’angoisse par la libido est un processus réversible. Une grande angoisse peut également déclencher une excitation de caractère libidinal. (Freud signale à maintes reprises cette source de libido dans ses œuvres suivantes : « Trois essais sur la théorie de la sexualité », l’« Interprétation des rêves ».)

Un troisième groupe de rêves non orgastiques ne peut être expliqué, semble-t-il, qu’à l’aide de la notion de synesthésie. On nous parle de pollutions nocturnes avec orgasme où les phénomènes psychiques concomitants se limitent à la représentation de paysages merveilleux vus par exemple de la fenêtre d’un wagon de chemin de fer, ou à la vision de couleurs vives, de flammes, etc. Une dame m’a rapporté un exemple caractéristique de rêves de ce genre : après une longue série d’apparitions colorées d’une harmonieuse beauté, elle aperçut soudain un paysage japonais et au moment même où une éruption volcanique allait avoir lieu dans un déploiement de lumières et de couleurs, une éruption réelle se produisit dans sa propre sphère génitale, c’est-à-dire un orgasme. Tout se passe dans ces cas comme si la gamme complète des sensations génitales était transposée dans le domaine visuel esthétique. Des combinaisons analogues entre des stimulations simultanées d’aires sensorielles hétérogènes sont connues sous le nom de « synesthésies » (audition colorée, odorée, etc.)2.

Mais nous savons par la psychanalyse que les sensations optiques par elles-mêmes ne sont pas sans résonances érotiques et que la scoptophilie peut jouer un rôle important — exclusif même dans certains cas pathologiques — dans l’excitation sexuelle. Si on ajoute encore que les « paysages » en rêve représentent la plupart du temps une géographie sexuelle (Freud) on peut interpréter ce genre de rêves tout simplement comme des rêves déformés de voyeurisme, où les images sexuelles sont remplacées par des symboles visuels. Donc au lieu d’introduire la notion de « synesthésie » pour expliquer ces phénomènes, nous devrons au contraire faire usage de ces observations pour expliquer le phénomène particulier de la synesthésie.

Comme le montre cette série d’exemples, les rêves de pollution sans contenu manifestement sexuel ne sont pas rares. Rank a avancé l’hypothèse que tous les rêves, donc même ceux qui en apparence ne sont absolument pas sensuels, approchent à un certain niveau d’élaboration la satisfaction de désir orgastique. Beaucoup plus rares sont les rêves de coït manifestes avec orgasme complet, sans le phénomène physiologique correspondant, la pollution.

Une seule fois j’ai eu l’occasion d’étudier de près un rêve de cette sorte, aussi vais-je le rapporter dans les termes mêmes où le malade me l’a raconté.

Premier tableau : « Un petit enfant a fait dans son lit ; un homme grand, aux épaules larges, regarde par la fenêtre, détournant délibérément son regard du lit et de l'enfant qui s'y trouve, comme s’il avait honte devant l'enfant. »

Deuxième tableau : « Je suis au lit avec ma bonne amie, j'ai avec elle un rapport pleinement satisfaisant ; je crois que j'ai eu deux rapports avec elle, l'un normal, l'autre per anum. » Comme un obscur accompagnement à ce fragment de rêve, je me rappelle encore confusément les choses suivantes : comme si « un ami, que j'estime beaucoup et auquel je suis associé dans une affaire, était dans la pièce voisine et envoyait son enfant porter un message dans la chambre où se déroule la scène du coït. Naturellement j'ai honte de me montrer ainsi mais l'enfant n'est nullement troublé. Le père de l'enfant ne semble rien savoir non plus de ces agissements sexuels. » Je me réveille sans aucune trace de pollution.

Voici les antécédents de ce rêve : le patient souffre entre autres d’une constipation tenace et il a l’habitude de favoriser l’évacuation naturelle par des lavements. Le soir précédant le rêve l’effet du lavement s’était manifesté si rapidement qu’il n’avait pas eu le temps d’aller jusqu’aux toilettes et l’évacuation avait eu lieu dans sa chambre. Ensuite il lui avait été fort désagréable d’appeler la femme de chambre et — après lui avoir expliqué ce qui s’était passé — de lui demander d’emporter le pot de chambre.

Sachant ceci, il n’est pas difficile d’expliquer la première partie du rêve. Le petit garçon qui s’est conduit de façon aussi inconvenante ne peut être, compte tenu des événements de la veille, que le rêveur lui-même. Le sentiment de honte représenté par l’attitude de l’homme est le sentiment éprouvé par le rêveur lui-même, qui se prolonge dans son sommeil. Il s’agit donc là d’une « dissociation » de la personne, sans doute au service de tendances visant à l’accomplissement de désirs. Ce n’est pas lui (l’adulte), mais le petit enfant qui s’est conduit de façon si inconvenante, dit le rêve. Tandis que la pensée latente du rêve serait : j’ai honte de m’être conduit comme un petit enfant.

Seule la deuxième partie du rêve se rapporte à notre sujet ; là nous avons affaire à un rêve de coït sans pollution. Et si nous y regardons de plus près, nous en arrivons à la conclusion que cette partie du rêve exprime — comme c’est souvent le cas — la même pensée onirique que la première partie, mais à l’aide d’un autre matériel ; nous pourrions dire à la manière de Rank : avec un matériel provenant d’un niveau supérieur de la vie psychique. L’évacuation anale prohibée de la veille devient ici éjaculation génitale, — sans doute une déformation accomplissant un désir — puisqu’il n’y a pas à avoir honte de cette évacuation-là, au contraire, c’est signe qu’on n’est « plus un enfant », surtout si on est capable d’effectuer l’acte deux fois de suite. Cependant quelque chose d’anal s’est introduit dans cette partie du rêve à partir des pensées oniriques latentes et c’est sans doute pour cette raison qu’il accomplit l’acte une fois per anum. Rajouté après coup, avec un matériel entièrement différent, le sentiment de honte et le petit enfant mentionnés dans la première partie du rêve resurgissent cependant. La honte de n’avoir encore rien réalisé du projet élaboré en commun avec son associé ; un autre sentiment de gêne, également actuel, du fait de ses relations avec une femme qui n’est plus très jeune (alors qu’il aurait également pu épouser la fille de cet ami paternel tant estimé) ; toutes ces pensées, en elles-mêmes désagréables, semblent correspondre à des déformations destinées à l’accomplissement de désirs relevant de la pulsion la plus défendue : l’érotisme anal. Ce fragment du rêve promeut le malheur anal au niveau3 de la génitalité et de l’amour objectal en s’appuyant sur l’identité symbolique de toutes les excrétions organiques (fèces, liquide séminal).

Quelle aide offre l’analyse de ce rêve pour la compréhension des rêves de coït sans pollution ?

À mon avis la suivante : il ne s’agit pas dans ce rêve (ou fort peu) d’apaiser le désir pour la bien-aimée, mais plutôt de dissimuler la pensée désagréable, perturbant même le sommeil, que l’accident honteux de la veille ne vienne à être connu. Même si le matériel de cette déformation a été pris dans la sphère génitale, il ne disposait pas de cette force d’impulsion qui peut déclencher le mécanisme génital organique lorsque le désir pour la femme est très ardent.

L’interprétation du deuxième fragment du rêve possède un modèle bien connu. Chacun se souvient de ce rêve interprété par Freud, où une dame qui vient de perdre un jeune cousin rêve de la mort de l’autre cousin, désormais le seul, et qu’elle aime tendrement. La rêveuse avait à juste titre refusé d’admettre que ce rêve puisse exprimer un accomplissement de désir et c’est seulement au cours de l’analyse qu’elle s’est souvenue que c’est à l’enterrement du premier cousin qu’elle avait vu pour la dernière fois l’homme qu’elle aimait ; la mort de l’autre cousin ne signifie donc pas une satisfaction en soi, mais l’espoir d’une occasion d’obtenir une autre satisfaction (revoir cet homme).

Dans notre rêve non plus ce n’est pas le rapport sexuel lui-même qui est l’accomplissement d’un désir, mais la situation qui permet de considérer l’accident de la veille comme non avenu ; le rapport sexuel n’était donc pas le but en soi, mais seulement l’instrument pour en atteindre un autre.

En conclusion, nous pouvons donc dire que dans le cas de pollution sans rêve sensuel le désir inconscient est suffisamment intense pour déclencher le processus génital, mais trop faible pour briser la censure rigoureuse qui sépare l’inconscient du préconscient. Par contre dans le cas du rêve orgastique sans pollution, le désir sexuel inconscient est trop faible pour provoquer une pollution et son seul but est de remplacer une pensée intolérable pour le préconscient. Dans ces cas les portes de la censure sont grandes ouvertes au désir sexuel qui — malgré sa faiblesse — devient pour cette raison même pleinement conscient. En effet, seul un désir inconscient puissant peut accéder aux processus corporels, tandis que les désirs préconscients déclenchent seulement des processus psychiques.

Il n’y aurait pas d’exception à la règle si ces rêves d’orgasme sans pollution se produisaient dans les cas de faiblesse réelle de la pulsion sexuelle. Ici aussi nous devrions considérer la partie inconsciente de la libido comme étant faible et le rêve serait plutôt l’accomplissement du désir d’éprouver un désir sexuel.


1 « Actes compulsifs et pratique religieuse », Coll. Pap., Vol. II, Chap. II (N. d. T.).

2 En français dans le texte.

3 En français dans le texte.