Difficultés techniques d’une analyse d’hystérie
(Avec des remarques sur l’onanisme larvé et les « équivalents masturbatoires ».)
Une patiente, qui mettait autant d’intelligence que de zèle à suivre les règles de la cure psychanalytique et qui ne manquait pas non plus de compréhension théorique, ne faisait aucun progrès depuis quelque temps, après une certaine amélioration de son hystérie à mettre sans doute au compte du premier transfert.
Comme le travail n’avançait toujours pas, je fis appel à un moyen extrême et je fixai un terme au traitement, espérant fournir ainsi à la patiente un motif de travail suffisant. Mais même ceci n’apporta qu’une aide provisoire ; la patiente retomba rapidement dans son inactivité habituelle qu’elle dissimulait sous l’amour de transfert. Les séances passaient en déclarations et en serments d’amour passionnés de sa part et, de la mienne, en vains efforts pour lui faire comprendre la nature transférentielle de ses sentiments et la ramener aux objets réels mais inconscients de ses affects. Au terme fixé je la congédiai sans qu’elle fût guérie. Quant à elle, elle était très satisfaite de l’amélioration obtenue.
Quelques mois plus tard, elle revint dans un état de découragement complet ; ses troubles avaient récidivé avec l’intensité d’autrefois. Je cédai à sa prière et je repris la cure. Mais peu après, dès qu’elle fut parvenue au degré d’amélioration déjà atteint précédemment, elle recommença l’ancien manège. Cette fois ce furent des circonstances extérieures qui provoquèrent l’interruption de la cure, laquelle resta donc, pour la seconde fois, inachevée.
Une nouvelle aggravation ainsi que la suppression des obstacles en question me la ramenèrent une troisième fois. Là encore, les progrès ne furent pas de très longue durée.
Au cours des fantasmes amoureux qu’elle répétait inlassablement et dont l’objet était toujours le médecin, elle fit à plusieurs reprises, comme en passant, la remarque qu’elle éprouvait des « sensations par en bas », c’est-à-dire des sensations érotiques génitales. C’est alors seulement qu’un regard fortuit sur la manière dont elle était allongée sur le divan m’obligea à constater qu’elle tenait les jambes croisées pendant toute la séance. Ceci nous amena — ce n’était pas la première fois — au thème de l’onanisme que les jeunes filles et les femmes pratiquent de préférence en pressant les cuisses l’une contre l’autre. Elle nia de la façon la plus catégorique, comme elle l’avait déjà fait auparavant, avoir jamais eu des pratiques de cet ordre.
Je dois avouer qu’il me fallut longtemps — et c’est significatif de la lenteur avec laquelle une intuition nouvelle déjà opérante émerge de la conscience — pour penser à interdire cette posture à la patiente. Je lui expliquai que c’était une forme larvée de masturbation, qui permettait de décharger subrepticement des motions inconscientes et de ne laisser passer que des fragments inutilisables dans le matériel associatif.
Je ne puis qualifier que de foudroyant l’effet produit par cette mesure. La patiente, à qui ce mode habituel de décharge sur le plan génital demeura interdit, se mit à souffrir pendant les séances d’une agitation physique et psychique presque intolérable ; elle ne pouvait plus rester tranquillement allongée et devait constamment changer de position. Ses fantasmes ressemblaient à des délires fébriles d’où émergèrent finalement des fragments de souvenirs depuis longtemps ensevelis, qui se groupèrent peu à peu autour de certains événements de l’enfance et livrèrent les circonstances traumatiques les plus importantes de la maladie.
L’amélioration qui s’ensuivit marqua certes un progrès décisif, mais la patiente — tout en observant pourtant scrupuleusement l’interdit — semblait s’accommoder de cette forme d’abstinence et s’installer confortablement à ce stade de la connaissance. En d’autres termes, elle cessa à nouveau de travailler et se réfugia dans le bastion de l’amour de transfert.
Instruit par les expériences précédentes, j’étais à même de la débusquer des cachettes où elle abritait sa satisfaction auto-érotique. Il apparut qu’elle suivait bien la prescription pendant la séance d'analyse mais l’enfreignait constamment le reste de la journée. Nous apprîmes qu’elle s’arrangeait pour érotiser la plupart de ses activités de maîtresse de maison et de mère en pressant imperceptiblement, et sans en avoir elle-même aucunement conscience, les jambes l’une contre l’autre. Naturellement, elle se plongeait alors dans des fantasmes inconscients dont elle empêchait ainsi la mise au jour. L’interdiction ayant été étendue à la journée entière, il se produisit une nouvelle amélioration, mais elle aussi passagère.
Ce cas paraissait vérifier le dicton latin « Naturam expellas furca, tamen ista recurret ». Je remarquai chez elle au cours de l’analyse certains « actes symptomatiques », comme s'amuser à presser et à tirailler différentes parties de son corps. Quand je lui interdis toutes les formes d’onanisme larvé, les actes symptomatiques devinrent des équivalents de l'onanisme. J’entends par là des excitations apparemment anodines de parties du corps indifférentes qui remplacent pourtant, qualitativement et quantitativement, l’érogénéité des organes génitaux. Dans ce cas, la libido était si totalement coupée de toute autre possibilité de décharge qu’elle pouvait croître jusqu’à atteindre un véritable orgasme au niveau de ces parties du corps qui, de par leur nature, ne sont nullement des zones érogènes prévalentes.
Seule l’impression que fit sur elle cette expérience put amener la patiente à admettre avec moi qu’elle dissipait toute sa sexualité dans ces « mauvaises habitudes » mineures, puis à accepter de renoncer au profit de la cure à ce mode de satisfaction pratiqué depuis l’enfance. Elle s’était chargée là d’une lourde tâche, mais le jeu en valait la chandelle. Sa sexualité, à laquelle toutes les voies d’écoulement anormales étaient barrées, trouva d’elle-même, sans exiger la moindre indication à cet égard, le chemin de la zone génitale qui lui était normalement assignée et dont elle avait été refoulée à une certaine époque du développement, exilée pour ainsi dire de sa patrie, vers des contrées étrangères.
À ce rapatriement vint encore s’opposer la réapparition passagère d’une névrose obsessionnelle dont elle avait souffert dans son enfance, facile à interpréter et que la patiente comprit d’ailleurs sans difficultés.
La dernière étape fut marquée par l’apparition d’un besoin d'uriner intempestif et immotivé, auquel il lui fut aussitôt interdit de céder. Un jour elle me raconta, à mon grand étonnement, avoir ressenti une excitation des organes génitaux si intense qu’elle n’avait pu s’empêcher de se procurer quelque satisfaction en frottant vigoureusement sa muqueuse vaginale. Elle ne put accepter directement l’idée que son geste confirmait mon hypothèse d’une période de masturbation active dans son enfance, mais elle apporta bientôt des rêves et des associations propres à la convaincre. Cette récidive de la masturbation ne fut pas de longue durée. Parallèlement à sa lutte contre la masturbation infantile, elle arriva, après bien des peines, à trouver satisfaction dans les rapports sexuels normaux, ce qui jusqu’à ce jour — malgré la puissance exceptionnelle de son mari qui lui avait déjà fait beaucoup d’enfants
— lui était resté interdit. En même temps, plusieurs symptômes hystériques encore non résolus trouvèrent leur explication dans des fantasmes et des souvenirs génitaux devenus désormais manifestes.
Je me suis efforcé de relever dans cette analyse extrêmement complexe uniquement ce qui présentait un intérêt sur le plan technique et de décrire comment j’ai été amené à mettre en place une nouvelle règle analytique.
La voici : Il faut penser pendant le traitement à la possibilité d’un onanisme larvé ainsi qu’aux équivalents masturbatoires et, dès que l’on en remarque les signes, les supprimer. Ces activités qu’on pourrait supposer inoffensives sont en effet susceptibles de devenir le refuge de la libido débusquée par l’analyse de ses investissements et, dans les cas extrêmes, elles peuvent remplacer toute l’activité sexuelle du sujet. Et si jamais le patient remarque que ces modes de satisfaction échappent à l’analyste, il les charge de tous ses fantasmes pathogènes, leur permet à tout moment la décharge directe dans la motilité et s’épargne le travail pénible et déplaisant de les rendre conscients.
J’ai vu, depuis, cette règle technique faire ses preuves dans plusieurs cas. Sa prise en considération a permis de surmonter certaines résistances tenaces à la poursuite du travail analytique.
Ceux qui lisent attentivement la littérature psychanalytique verront peut-être une contradiction entre cette mesure technique et les opinions professées au sujet de l’onanisme par de nombreux psychanalystes.
Les patients qui m’obligeaient de recourir à cette technique ne manquaient pas d’ailleurs de m'en faire l’observation : « On affirme pourtant, disaient-ils, que l’onanisme est sans danger et vous me l’interdisez. » Cette contradiction est facile à résoudre. Sans rien changer à notre opinion quant au caractère relativement inoffensif de la masturbation en cas de privation par exemple, nous pouvons cependant maintenir l’exigence de ce type d’abstinence. En effet, il ne s’agit pas en l’occurrence d’une interdiction générale de l’auto-satisfaction, mais d’une mesure provisoire destinée à servir les buts et à favoriser la poursuite de la cure analytique. D’ailleurs quand l’issue du traitement est favorable, beaucoup de patients n’éprouvent plus le besoin de recourir à ce mode de satisfaction infantile ou juvénile.
Cependant, les choses ne se passent pas toujours ainsi. Il y a même des cas où les patients reconnaissent avoir, pendant la cure, cédé pour la première fois de leur vie au désir d’une satisfaction masturbatoire, marquant par cette « action d’éclat » la transformation favorable qui s’amorce dans leur position libidinale.
Mais cela ne peut s’appliquer qu’à l’onanisme manifeste accompagné d’un contenu fantasmatique érotique conscient, et non aux multiples formes d’onanisme « larvé » et à ses équivalents. Ces derniers peuvent d’emblée être considérés comme pathologiques et nécessitent une élucidation analytique. Toutefois celle-ci n’est possible, nous l’avons vu, qu’en faisant cesser, au moins provisoirement, la pratique elle-même, de sorte que l’excitation qu’elle mobilise soit orientée sur des voies purement psychiques et finalement se fraye un passage jusqu’au système conscient. C’est seulement lorsque le patient a appris à supporter la conscience de ses fantasmes masturbatoires que l’on doit lui rendre la liberté d’en disposer. Le plus souvent il n’y recourra qu’en cas de besoin.
Je profite de l’occasion pour rapporter encore quelques formes d’activités masturbatoires larvées ou vicariantes. Il y a beaucoup de personnes par ailleurs non névrosées, mais surtout beaucoup de neurasthéniques, qui se masturbent inconsciemment pour ainsi dire presque sans arrêt durant toute leur vie. Les hommes, par exemple, gardent toute la journée les mains dans leurs poches de pantalons et, aux mouvements de leurs doigts et de leurs mains, on remarque qu’ils pressent, frottent et tiraillent leur pénis. Ils ne pensent pas « à mal », au contraire, ils sont probablement plongés dans de profondes spéculations mathématiques, philosophiques ou commerciales. Pour ma part, je pense qu’en l’occurrence cette « profondeur » ne va pas très loin. Il se peut que ces problèmes requièrent toute leur attention, mais les profondeurs véritables de leur vie psychique (celles qui sont inconscientes) se préoccupent parallèlement de fantasmes érotiques primitifs et se procurent directement, en somnambules, la satisfaction désirée.
Certains, au lieu de farfouiller dans leurs poches, présentent un tremblement clonique des muscles du mollet, souvent fort désagréable pour leurs voisins. Quant aux femmes, à qui la forme de leurs vêtements, tout comme la bienséance, interdisent des mouvements aussi voyants, elles pressent les jambes l’une contre l’autre ou les croisent. C’est en particulier pendant les travaux d’aiguille, qui détournent leur attention, qu’elles se procurent volontiers de telles « primes de plaisir ».
Cependant, même les conséquences psychiques mises à part, on ne peut tenir pour totalement inoffensif cet onanisme inconscient. Dans ces cas, bien qu’il n’aboutisse jamais — ou justement pour cette raison — à un orgasme complet mais seulement à des excitations frustes, il peut contribuer à l’apparition d’états névrotiques d’angoisse. Et je connais aussi des cas où cette excitation continuelle par des orgasmes très fréquents bien que minimes (qui peuvent s’accompagner chez l’homme d’un écoulement de liquide prostatique) finit par rendre ces personnes neurasthéniques et porte préjudice à leur puissance. Seul dispose d’une puissance normale celui qui est capable de retenir et d’accumuler un certain temps ses motions libidinales et les laisser affluer pleinement jusqu’aux organes génitaux en la présence des objets et des buts sexuels appropriés. Le gaspillage permanent de petites quantités de libido porte atteinte à cette capacité. (Cela ne s’applique pas en général à la masturbation périodique consciemment désirée.)
Un autre facteur qui, dans notre manière de voir, paraît contredire des opinions précédemment exprimées, serait notre conception des actes symptomatiques. Freud nous a appris que ces manifestations de la psychopathologie de la vie quotidienne peuvent, au cours du traitement, indiquer l’existence de fantasmes refoulés, par conséquent posséder une signification tout en étant par ailleurs parfaitement anodines. Nous voyons pourtant qu’elles peuvent être fortement investies par la libido refoulée des autres positions et devenir des équivalents masturbatoires nullement inoffensifs. Nous trouvons ici des stades intermédiaires entre les actes symptomatiques et certaines formes de tic convulsif, pour lesquels nous ne disposons jusqu’à présent d’aucune explication psychanalytique. Je m’attends à voir bon nombre de ces tics s’avérer, à l’analyse, des équivalents stéréotypés de l’onanisme. Le lien remarquable qui existe entre les tics et la coprolalie (par exemple lorsqu’il y a répression des manifestations motrices) ne serait rien d’autre que l’irruption dans le Préconscient de fantasmes érotiques — généralement sadique-anaux — symbolisés par les tics avec, conjointement, un investissement spasmodique des traces mnésiques verbales correspondantes. La coprolalie devrait donc sa formation à un mécanisme semblable à celui sur lequel repose la technique que nous avons expérimentée, qui permet à certaines motions, déchargées jusque-là dans des équivalents masturbatoires, d’accéder à la conscience.
Après cette digression dans le domaine de l’hygiène et de la nosologie, revenons aux réflexions psychologiques et techniques beaucoup plus intéressantes que peut nous inspirer le cas rapporté au début.
Dans ce cas, j’ai été amené à abandonner le rôle passif que le psychanalyste joue habituellement dans la cure et qui se limite à écouter et à interpréter les associations du patient, et j’ai aidé la patiente à dépasser les points morts du travail analytique en intervenant activement dans ses mécanismes psychiques.
C’est à Freud lui-même que nous devons le prototype de cette « technique active ». Dans l’analyse des hystéries d’angoisse il a recouru — en cas de stagnation analogue — à l’expédient qui consiste à exiger des patients qu’ils affrontent précisément les situations critiques propres à susciter leur angoisse, non pour les « habituer » à ces choses angoissantes, mais pour détacher de leurs chaînes associatives des affects mal ancrés. On espère ainsi que les valences tout d’abord non saturées de ces affects devenus librement flottants attireront en priorité les représentations qui leur sont qualitativement adéquates et historiquement correspondantes. Donc il s’agit ici aussi, comme dans notre cas, d’endiguer les voies inconscientes et habituelles d’écoulement de l’excitation et d’obtenir par contrainte l’investissement préconscient ainsi que la version consciente du refoulé.
Depuis la découverte du transfert et de la « technique active » nous pouvons dire que la psychanalyse dispose, outre l’observation et la déduction logique (interprétation), de la méthode expérimentale. De même que dans l’expérimentation animale il est possible, en ligaturant les grands réseaux artériels, d’élever la pression sanguine dans des régions éloignées, nous pouvons et nous devons dans certains cas barrer les voies inconscientes d’écoulement à l’excitation psychique pour l’obliger, grâce à l’« accroissement de pression » de l’énergie ainsi obtenu, à vaincre la résistance opposée par la censure et à établir un « investissement stable » au moyen des systèmes psychiques supérieurs.
À la différence de la suggestion, nous n’exerçons aucune influence sur la direction nouvelle du flux d’énergie et nous nous laissons volontiers surprendre par les tournures inattendues que, de ce fait, l’analyse vient à prendre.
Ce type de « psychologie expérimentale » est, plus que tout autre moyen, apte à nous convaincre de l’exactitude de la théorie psychanalytique des névroses selon Freud, comme de la validité de la psychologie fondée sur elle (et sur l’interprétation des rêves). En particulier, nous apprenons ainsi à estimer à sa juste valeur l’hypothèse freudienne relative à l’existence d’instances psychiques subordonnées les unes aux autres et nous nous habituons à tenir compte des quantités psychiques comme des autres masses d’énergie.
Un exemple comme celui-ci nous montre encore une fois que, dans l’hystérie, ce ne sont pas de simples « énergies psychiques » qui sont à l’œuvre, mais des forces libidinales ou, plus exactement, des forces pulsionnelles génitales, et que la formation des symptômes cesse si l’on réussit à ramener aux organes génitaux la libido utilisée de façon anormale.