Analyse d'enfants avec des adultes1
Mesdames, Messieurs,
Que dans une Association dont tant de membres seraient dignes, et même plus dignes que moi, de remplir cet office, on m’ait choisi, justement moi, un étranger, comme orateur pour notre fête d’aujourd’hui, cela demande à être expliqué, ou excusé. L’ancienneté seule, les vingt-cinq ans qu’il me fut donné de vivre aux côtés du maître et sous sa direction n’y suffisent pas ; il y a là, parmi vous, des collègues qui l’accompagnent fidèlement depuis plus longtemps que moi. Alors permettez-moi d’imaginer une autre raison. Peut-être vouliez-vous utiliser cette occasion pour débarrasser le terrain d’un mensonge très largement répandu, et volontiers repris par les profanes et les réticents. Maintes et maintes fois, on entend tenir des propos en l’air sur l’intolérance, l’« orthodoxie » de notre maître. Il ne permettrait aucune critique de ses théories dans son entourage ; il en expulserait tous les talents indépendants pour imposer avec tyrannie sa volonté scientifique. Certains parlent de sa rigueur digne de l’Ancien Testament, et prétendent même l’étayer d’une théorie raciale. Certes, c’est une triste vérité que quelques talents éminents et beaucoup d’autres de moindre valeur lui ont tourné le dos au fil des temps, après l’avoir suivi plus ou moins longtemps. Ont-ils vraiment obéi à des mobiles purement scientifiques ? Je pense que la stérilité scientifique dont ils font preuve depuis leur départ ne parle pas en leur faveur. Je voudrais, à présent, jeter dans la balance l’aimable invitation que vous m’avez faite, à titre d’argument contre l’orthodoxie de l’Association Internationale et de son chef spirituel, le Professeur Freud. Sans vouloir mesurer mon importance à celle des collègues auxquels j’ai fait allusion, le fait est que je suis assez généralement connu comme un esprit inquiet ou, comme il m’a été récemment dit à Oxford, comme l'enfant terrible2 de la psychanalyse.
Les propositions que je vous ai soumises, du point de vue technique et théorique, sont sévèrement critiquées par une majorité respectable, pour leur caractère fantaisiste, par trop original. Je ne peux pas non plus prétendre que Freud lui-même soit d’accord avec tout ce que je publie. Il n’a pas mâché ses mots quand je lui ai demandé son avis. Mais il a aussitôt ajouté que l’avenir pourrait à certains égards me donner raison, et ni lui ni moi n’avons songé à interrompre notre collaboration à cause de ces différences relatives à la méthode et à la théorie ; mais, en ce qui concerne les principes de base les plus importants de la psychanalyse, nous sommes parfaitement d’accord.
D’un certain point de vue, Freud est effectivement orthodoxe. Il a créé des œuvres qui, depuis plusieurs décennies, demeurent inchangées, intactes, comme cristallisées. « L’Interprétation des rêves » par exemple est un joyau si finement ciselé, si parfaitement cohérent quant au fond comme à la forme, qu’il résiste à toutes les vicissitudes du temps et de la libido, de sorte que la critique ose à peine l’aborder. Remercions le destin d’avoir la chance de pouvoir travailler avec cet esprit supérieur et, disons-le bien haut, avec cet esprit libéral. Espérons que sa soixante-quinzième année lui apportera, avec l’intégrité de sa fraîcheur d’esprit, le rétablissement de ses forces physiques.
Et maintenant, venons-en au sujet de mon exposé d’aujourd’hui. Il se trouve qu’au cours des dernières années certains faits d’expérience de la psychanalyse sont venus se grouper autour d’idées qui m’ont poussé à atténuer considérablement l’opposition si vive jusqu’à présent entre l’analyse des enfants et l’analyse des adultes.
Les premiers pas de l’analyse d’enfants sont le fait de membres de votre groupe. Mis à part l’unique essai précurseur de Freud, l’analyste viennoise, Mme von Hugh Hellmuth, a été la première à s’occuper méthodiquement de l’analyse d’enfants. C’est à elle que nous devons l’idée de commencer l’analyse des enfants comme une sorte de jeu d’enfant. Elle, et plus tard Mélanie Klein, se sont vues obligées, si elles voulaient traiter les enfants par la psychanalyse, d’apporter des modifications substantielles à la technique de l’analyse d’adultes, le plus souvent dans le sens d’une atténuation de la rigueur technique habituelle. Tout le monde connaît et apprécie les travaux systématiques de votre collègue Anna Freud sur ce sujet, ainsi que les procédés magistralement habiles inventés par Aichhorn pour apprivoiser les enfants les plus difficiles. En ce qui me concerne, je n’ai pas souvent eu affaire aux enfants, en psychanalyse, et je suis moi-même surpris de me heurter maintenant par un tout autre biais au problème de l’analyse d’enfants. En fait, comment y suis-je arrivé ? Avant de répondre à cette question, il n’est pas inutile que je vous fasse part, fût-ce en quelques mots, d’une particularité propre à l’orientation de mon travail. Une sorte de foi fanatique dans les possibilités de succès de la psychologie des profondeurs m’a fait considérer les échecs éventuels moins comme la conséquence d’une « incurabilité », que de notre propre maladresse, hypothèse qui m’a nécessairement conduit à modifier la technique dans les cas difficiles dont il était impossible de venir à bout avec la technique habituelle.
C’est donc à contrecœur que je me résous à abandonner les cas les plus coriaces, et je suis peu à peu devenu un spécialiste des cas particulièrement difficiles dont je m’occupe maintenant depuis un très, très grand nombre d’années. Des formules telles que « la résistance du patient est insurmontable » ou « le narcissisme ne permet pas d’approfondir plus avant ce cas » ou même la résignation fataliste face au soi-disant enlisement d’un cas, sont restées pour moi inadmissibles. J’ai pensé que, tant que le patient continue à venir, le fil de l’espoir n’est pas rompu. Je devais donc sans cesse me poser la même question : est-ce que la cause de l’échec est toujours la résistance du patient, n’est-ce pas plutôt notre propre confort qui dédaigne de s’adapter aux particularités de la personne elle-même, sur le plan de la méthode ? Dans ces cas apparemment enlisés où l’analyse n’a apporté, depuis fort longtemps, ni perspectives nouvelles ni progrès thérapeutiques, j’ai eu le sentiment que ce que nous appelons association libre reste toujours encore une sélection très consciente des pensées, j’ai donc poussé les patients à une « relaxation »3 plus profonde, à un abandon plus total aux impressions, tendances et émotions intérieures qui surgissaient tout à fait spontanément. Donc, plus l’association devenait vraiment libre, plus les paroles et autres manifestations du patient devenaient naïves — enfantines, pourrait-on dire ; de plus en plus souvent, aux pensées et représentations imagées venaient se mêler de légers mouvements d’expression, quelquefois même des « symptômes passagers », qui étaient alors soumis, comme tout le reste, à l’analyse. L’attente froide et muette, ainsi que l’absence de réaction de l’analyste, paraissaient alors souvent jouer dans le sens d’une perturbation de la liberté d’association. Dès que le patient se trouve disposé à tout livrer en s’abandonnant réellement, à dire tout ce qui se passe en lui, il émerge soudain de son état, en sursaut, et se plaint qu’il lui est vraiment impossible de prendre au sérieux ses mouvements intérieurs quand il me sait tranquillement assis derrière lui, fumant ma cigarette et réagissant, tout au plus indifférent et froid, par la question stéréotypée : « Qu’est-ce qui vous vient à ce propos ? » Alors j’ai pensé qu’il devait y avoir des moyens d’éliminer cette perturbation des associations pour fournir au patient l’occasion de déployer plus largement sa tendance à la répétition, tendance qui lutte pour arriver à percer. Mais il m’a fallu pas mal de temps pour recevoir, une fois de plus des patients eux-mêmes, les premiers encouragements quant à la manière d’y parvenir. Voici un exemple : un patient dans la force de l’âge se décide, après avoir surmonté de fortes résistances, notamment une méfiance intense, à faire revivre des événements de sa prime enfance. Je sais déjà, grâce à l’élucidation analytique de son passé, que dans les scènes revécues il m’identifie à son grand-père. Tout à coup, en plein milieu de son récit, il me passe le bras autour du cou et me chuchote à l’oreille : « Dis, grand-père, je crains que je vais avoir un petit enfant »... J’ai alors eu l’idée heureuse, me semble-t-il, de ne rien dire tout d’abord du transfert ou d’une chose de ce genre, mais de lui retourner la question, sur le même ton de chuchotement : « Oui, pourquoi donc penses-tu cela ? » Comme vous voyez, je me suis laissé entraîner là dans un jeu qu’on pourrait appeler jeu de questions et réponses, tout à fait analogue aux processus que nous rapportent les analystes d’enfants, et cela fait un moment que ce petit tour de main marche fort bien. Mais ne croyez pas que, dans ce jeu, il me soit possible de poser n’importe quelle question. Si ma question n’est pas assez simple, si elle n’est pas vraiment adaptée à l’intelligence d’un enfant, alors le dialogue est rapidement rompu, et plus d’un patient m’a jeté à la figure que j’avais été maladroit, que j’avais pour ainsi dire gâché le jeu. Il m’est arrivé parfois, dans ces cas, d’introduire dans mes questions et réponses des choses dont l’enfant à l’époque ne pouvait pas avoir connaissance. Un refus encore plus énergique m’était opposé quand je tentais de donner des interprétations par trop savantes ou scientifiques. — Inutile de vous dire que ma première réaction à ces incidents fut un accès d’indignation autoritaire. Sur le moment, je me sentis blessé par la prétention du patient, ou de l’élève, de savoir les choses mieux que moi-même, mais heureusement me vint aussitôt la pensée qu’il devait, en fin de compte, effectivement savoir les choses sur lui-même mieux que moi je ne pouvais les deviner. J’ai donc reconnu que je pouvais faire erreur, et la conséquence n’en a pas été la perte de mon autorité, mais l’accroissement de la confiance en moi du patient. Soit dit en passant, certains patients étaient indignés de m’entendre qualifier ce procédé de jeu. C’était un signe, disaient-ils, que je ne prenais pas la chose au sérieux. Là encore, il y avait quelque chose de vrai ; bientôt je dus avouer, à moi-même et au patient, que ces jeux recelaient mainte réalité grave de l’enfance. J’en obtins la preuve lorsqu’à partir de ces façons plus ou moins ludiques, certains patients commencèrent à plonger dans une sorte de transe hallucinatoire, où ils mettaient en scène devant moi des événements traumatiques dont le souvenir inconscient était également dissimulé derrière les paroles ludiques. Fait remarquable, dès le début de ma carrière analytique, j’avais fait une observation semblable. Un patient commença soudain, au milieu du dialogue, à agir une scène dans une sorte d’état crépusculaire hystérique. À l’époque, j’avais secoué l’homme avec beaucoup d’énergie, l’invitant avec force à finir de dire ce qu’il était justement en train de me dire. Cet encouragement aidant, le patient retrouva, dans une certaine mesure à travers ma personne, le contact avec le monde extérieur, et put me communiquer un certain nombre de choses concernant ses conflits latents, en phrases intelligibles, au lieu du langage gestuel de son hystérie.
Comme vous le voyez, Mesdames et Messieurs, j’ai lié, dans mon procédé, le tour de main technique de l’« analyse par le jeu » au présupposé — fondé certes sur toute une série d’observations — selon lequel il ne faut se dire satisfait d’aucune analyse qui n’a pas amené la reproduction réelle des processus traumatiques du refoulement originaire, sur lequel repose, en fin de compte, la formation du caractère et des symptômes. Si vous considérez que, selon nos expériences et hypothèses actuelles, la plupart des chocs pathogènes remontent à l’enfance, vous ne serez pas surpris de voir le patient qui tente de livrer la genèse de son mal tomber soudain dans l’enfantin ou l’infantile. Mais quelques questions importantes surgissent, à ce moment, que j’ai dû aussi me poser à moi-même. Est-ce qu’on gagne quelque chose à faire plonger le patient dans un état primitif d’enfance, et à le laisser agir librement dans cet état ? A-t-on vraiment accompli ainsi une tâche analytique ? N’est-ce pas renforcer le reproche qui nous est souvent fait que l’analyse entraîne les gens à laisser se déchaîner, sans contrôle, leurs pulsions, ou qu’elle provoque simplement des crises hystériques qui peuvent aussi apparaître brusquement, sans aide analytique, sous l’effet de causes extérieures, et sans apporter aux gens plus qu’un soulagement passager ? Et, en général, jusqu’où un tel jeu d’enfant a-t-il, en analyse, le droit d’aller ? Y a-t-il des critères qui nous permettent de fixer une limite pour savoir jusqu’où on peut laisser aller la relaxation enfantine, et où doit commencer la frustration éducative ?
Naturellement, la tâche analytique n’est pas remplie avec la réactivation de l’état d’enfant, et la reproduction agie des traumatismes. Le matériel ludique mis en acte, ou répété de toute autre façon, doit être soumis à une investigation analytique approfondie. Certes, Freud a raison de nous enseigner que l’analyse remporte une victoire lorsqu’elle réussit à remplacer l’agir par la remémoration ; mais je pense qu’il y a également avantage à susciter un matériel agi important, qui peut ensuite être transformé en remémoration. En principe, je suis, moi aussi, contre les explosions incontrôlées, mais je pense qu’il est utile de découvrir, aussi largement que possible, les tendances à l’action, cachées, avant de passer au travail de la pensée, ainsi qu’à l’éducation qui va de pair avec elle. Personne ne peut pendre un voleur avant de l’avoir attrapé. Alors ne croyez pas que mes analyses, que je transforme parfois en jeu d’enfant, soient au fond si différentes de celles pratiquées jusqu’ici. Les séances commencent, comme d’habitude, par des pensées provenant des couches psychiques superficielles, très préoccupées — comme toujours — par les événements de la veille, puis vient éventuellement une analyse de rêve, « normale », pouvant, toutefois, devenir facilement infantile ou agie. Mais je ne laisse jamais passer une séance sans analyser à fond le matériel agi : naturellement en utilisant pleinement tout ce que nous savons du transfert, de la résistance et de la métapsychologie de la formation du symptôme, ni sans rendre conscient pour le patient ce matériel.
Quant à la deuxième question, à savoir jusqu’où peut aller l’action dans un tel jeu d’enfant, on peut répondre comme suit : l’adulte aussi devrait avoir le droit de se conduire en analyse comme un enfant difficile, c’est-à-dire déchaîné, mais quand lui-même tombe dans l’erreur qu’il nous reproche parfois, quand il sort de son rôle au cours du jeu et cherche à vivre la réalité infantile dans le cadre des actions d’un adulte, alors il faut lui montrer que c’est lui maintenant qui gâche le jeu ; et il faut ainsi arriver, non sans peine souvent, à faire en sorte qu’il limite à l’enfantin le mode et la portée de son attitude. À ce propos, je voudrais émettre l’hypothèse que les mouvements d’expression émotionnelle de l’enfant, notamment libidinaux, remontent au fond à la relation tendre mère-enfant, et que les éléments de méchanceté, d’emportement passionnel et de perversion déchaînée sont, le plus souvent, les conséquences d’un traitement dépourvu de tact de la part de l’entourage. — C’est un avantage pour l’analyse quand l’analyste réussit, grâce à une patience, une compréhension, une bienveillance et une amabilité presque illimitées, à aller autant que possible à la rencontre du patient. On se crée ainsi un fonds grâce auquel on peut lutter jusqu’au bout dans l’élaboration des conflits, inévitables à plus ou moins longue échéance, et ce, dans la perspective d’une réconciliation. Le patient ressentira notre comportement, alors, en contraste avec les événements vécus dans sa vraie famille, et comme il se sait maintenant protégé de la répétition, il osera plonger dans la reproduction du passé déplaisant. Ce qui se passe alors nous rappelle vivement ce que nous rapportent les analystes d’enfants. Il arrive par exemple que le patient, en avouant une faute, nous saisisse brusquement la main et nous supplie de ne pas le battre. Très souvent, les malades cherchent à provoquer notre malignité supposée, et cachée, par leur méchanceté, leurs sarcasmes, leur cynisme, diverses impolitesses, et même des grimaces. Il n’y a aucun avantage à jouer dans ces conditions l’homme toujours bon et indulgent, il est plus avisé d’avouer honnêtement que le comportement du patient nous touche désagréablement, mais que nous devons nous dominer, sachant que, s’il se donne le mal d’être méchant, ce n’est pas sans raison. On apprend ainsi bien des choses sur l’insincérité et l’hypocrisie que le patient a souvent dû observer dans son entourage, sous la forme d’étalage ou de prétention d’amour, tandis qu’il dissimulait ses critiques à tous, et plus tard aussi à lui-même.
Il n’est pas rare que les patients nous apportent, souvent au milieu de leurs associations, de petites histoires de leur composition, voire des poèmes ou des bouts rimés ; parfois ils réclament un crayon pour nous faire cadeau d’une image, en général très naïve. Naturellement, je les laisse faire et je prends ces petits dons pour servir de point de départ à d’autres formations fantasmatiques qui seront plus tard soumises à l’analyse. Est-ce que cela seul n’évoque pas déjà un fragment d’analyse d’enfant ?
Permettez-moi, au demeurant, de reconnaître à cette occasion une erreur tactique dont la réparation m’a aidé à mieux comprendre une question d’importance fondamentale. Je pense ici au problème : dans quelle mesure ce que je fais avec mes patients est de la suggestion ou de l’hypnose ? Notre collègue Elisabeth Sevem, qui est en analyse didactique avec moi, m’a fait remarquer un jour, au cours d’une discussion, que mes questions et réponses venaient parfois perturber la spontanéité de la production fantasmatique. Je devrais limiter mon aide, en ce qui concerne cette production fantasmatique, à inciter les forces faiblissantes du patient à poursuivre le travail, à surmonter les inhibitions dues à l’angoisse, et d’autres choses de ce genre. C’est encore mieux quand mes incitations prennent la forme de questions très simples plutôt que d’affirmations, ce qui oblige l’analysant4 à poursuivre le travail par ses propres moyens. La formulation théorique qui en découle, et à laquelle je dois tant de compréhensions nouvelles, est que la suggestion, qu’on peut se permettre même en analyse, doit être un encouragement général plutôt qu’une orientation particulière. Je crois qu’il y a là une différence essentielle avec les suggestions habituelles pratiquées par les psychothérapeutes ; en réalité il s’agit simplement d’un renforcement des consignes inévitables de l’analyse : maintenant allongez-vous, laissez vos pensées jouer librement, et dites tout ce qui vous vient à l’esprit. Même le jeu des fantasmes n’est qu’un encouragement de ce genre, mais plus marqué. En ce qui concerne la question de l’hypnose, on peut y répondre de la même façon. Au cours de toute association libre, des éléments d’extase et d’oubli de soi sont inévitables ; cependant l’invitation à aller plus loin et plus profond conduit parfois — avec moi très souvent, avouons-le honnêtement — à l’apparition d’une extase plus profonde ; quand elle prend une allure pour ainsi dire hallucinatoire, on peut, si on veut, l’appeler autohypnose ; mes patients l’appellent volontiers un état de transe. Il est important de ne pas abuser de ce stade de plus grande détresse pour imprégner le psychisme sans résistance du patient, des théories et formations fantasmatiques propres à l’analyste ; il convient d’utiliser plutôt cette influence, indéniablement grande, pour accroître chez le patient l’aptitude à élaborer ses propres productions. En usant d’une tournure, certes inélégante, on pourrait donc dire que l’analyse ne doit pas « intro-suggérer » ou « intro-hypnotiser » des choses dans le patient ; par contre « exo-suggérer » ou « exo-hypnotiser » est non seulement permis, mais utile. Ici s’ouvre une perspective, importante du point de vue pédagogique, sur le chemin à suivre en matière d’éducation rationnelle des enfants. Que les enfants soient influençables, qu’ils aient tendance à s’appuyer sans résistance sur un « grand » dans les moments de détresse, qu’il y ait donc un élément d’hypnose dans la relation entre enfants et adultes, c’est un fait indéniable, dont il faut s’accommoder. Donc, cette grande puissance que les adultes ont face aux enfants, au lieu de l’utiliser toujours, comme cela se fait généralement, pour imprimer nos propres règles rigides dans le psychisme malléable de l’enfant, comme quelque chose d’octroyé de l’extérieur, pourrait être aménagée en moyen de les éduquer à plus d’indépendance et de courage.
Si, dans la situation analytique, le patient se sent blessé, déçu, lâché, il se met parfois, comme un enfant abandonné, à jouer avec lui-même. On a très nettement l’impression que l’abandon entraîne un clivage de la personnalité. Une partie de sa propre personne commence à jouer le rôle de la mère ou du père, avec l’autre partie, et rend ainsi l’abandon nul et non avenu pour ainsi dire. Ce qui est curieux, dans ce jeu, c’est non seulement que certaines parties du corps comme la main, les doigts, les pieds, les organes génitaux, la tête, le nez, l’œil, deviennent des représentants de toute la personne, et la scène sur laquelle toutes les péripéties de sa propre tragédie sont représentées et amenées à conciliation, mais aussi qu’on y gagne un aperçu sur les processus de ce que j’ai appelé autoclivage narcissique, dans la sphère psychique elle-même. On est surpris par le nombre important de perceptions autosymboliques de soi, ou de psychologie inconsciente, qui émergent dans les productions fantasmatiques des analysants comme, manifestement, dans celles des enfants. On me racontait de petits contes, où quelque animal méchant essaie de détruire, à coups de dents et de griffes, une méduse, mais ne peut avoir aucune prise sur elle, car la méduse esquive tous les coups et toutes les morsures, grâce à sa malléabilité, pour reprendre ensuite sa forme en boule. Cette histoire peut être interprétée de deux manières : d’une part elle exprime la résistance passive que le patient oppose aux agressions du monde extérieur, d’autre part elle représente le clivage de la personne en une partie sensible, brutalement détruite, et une autre qui sait tout, mais ne sent rien, en quelque sorte. Ce processus primaire de refoulement est encore plus clairement exprimé dans les fantasmes et rêves où la tête, c’est-à-dire l’organe de la pensée, séparée du reste du corps, marche sur ses propres pieds, ou n’est reliée au reste du corps que par un fil, toutes choses qui demandent une explication, non seulement historique, mais aussi autosymbolique.
Quant à la signification métapsychologique de tous ces processus de clivage et de resoudure, je ne veux pas m’y étendre plus longuement, cette fois. Si j’ai pu vous communiquer mon sentiment que nous avons, en fait, beaucoup à apprendre de nos malades, de nos élèves, et bien évidemment aussi des enfants, je serais satisfait.
Il y a bien des années, j’ai fait une courte communication sur la relative fréquence d’un rêve typique que j’ai appelé le « rêve du nourrisson savant »5. Ce sont des rêves où un enfant nouveau-né, ou un nourrisson au berceau, se met soudain à parler pour donner de sages conseils aux parents ou autres adultes. Dans un de mes cas, l’intelligence de l’enfant malheureux se comportait donc, dans les fantasmes en cours d’analyse, comme une personne à part, qui avait pour tâche de porter rapidement secours à un enfant presque mortellement blessé. « Vite, vite, que dois-je faire ? On a blessé mon enfant ! Il n’y a personne ici qui puisse l’aider ? Mais voyons, il perd tout son sang ! Il ne respire presque plus ! Je dois panser la blessure moi-même. Allons, mon enfant, respire profondément, sinon tu vas mourir. Voilà que le cœur s’arrête ! Il meurt ! Il meurt !... » Les associations qui se rattachaient à l’analyse d’un rêve cessèrent, le patient, pris d’opisthotonos, fit des mouvements comme pour protéger son bas-ventre. Par le moyen d’encouragements et de questions, décrits plus haut, je réussis cependant à rétablir le contact avec le malade qui était dans un état quasi comateux et à le contraindre à parler d’un traumatisme sexuel subi dans la prime enfance. Je voudrais surtout souligner ici la lumière jetée par cette observation, et d’autres semblables, sur la genèse de l’auto-clivage narcissique. Tout se passe vraiment comme si, sous la pression d’un danger imminent, un fragment de nous-mêmes se clivait sous forme d’instance autoperceptrice voulant se venir en aide, et ceci peut-être dès la première, voire la toute première enfance. Car nous savons tous que les enfants qui ont beaucoup souffert, moralement et physiquement, acquièrent les traits de visage de l’âge et de la sagesse. Ils ont aussi tendance à entourer maternellement les autres ; manifestement, ils étendent ainsi à d’autres les connaissances, péniblement acquises par le traitement, de leur propre souffrance, ils deviennent bons et secourables. Tous ne poussent pas aussi loin la maîtrise de leur propre douleur, certains restant fixés à l’auto-observation et à l’hypocondrie.
Mais il est indéniable que les forces réunies de l’analyse et de l’observation des enfants se trouvent, là encore, devant des tâches colossales, des interrogations, auxquelles nous amènent, essentiellement, les points communs aux analyses d’enfants et d’adultes.
On peut, à juste titre, affirmer que la méthode que j’emploie avec mes analysants consiste à les « gâter ». Sacrifiant toute considération quant à son propre confort, on cède autant que possible aux désirs et impulsions affectives. On prolonge la séance d’analyse le temps nécessaire pour pouvoir aplanir les émotions suscitées par le matériel ; on ne lâche pas le patient avant d’avoir résolu, dans le sens d’une conciliation, les conflits inévitables dans la situation analytique, en clarifiant les malentendus, et en remontant au vécu infantile. On procède donc un peu à la manière d’une mère tendre, qui n’ira pas se coucher le soir avant d’avoir discuté à fond, avec son enfant, et réglé, dans un sens d’apaisement, tous les soucis grands et petits, peurs, intentions hostiles et problèmes de conscience restés en suspens. Par ce moyen, nous arrivons à laisser le patient plonger dans tous les stades précoces de l’amour d’objet passif, où, dans des phrases murmurées, tout à fait comme un enfant sur le point de s’endormir, il nous permet d’entrevoir son univers onirique. Mais cette relation tendre ne peut pas durer éternellement, même dans l’analyse. L’appétit vient en mangeant6. Le patient devenu enfant se montre de plus en plus exigeant, retarde de plus en plus l’apparition de la situation de réconciliation, pour éviter de se retrouver seul, pour échapper au sentiment de n’être pas aimé ; ou bien il cherche par des menaces, de plus en plus dangereuses, à provoquer une action punitive de notre part. Naturellement, plus la situation de transfert était intense et féconde, plus l’effet traumatique du moment où l’on se voit, finalement, obligé de mettre un terme à ces débordements, sera grand. Le patient s’engage alors dans la situation de frustration que nous connaissons si bien, qui reproduit tout d’abord, à partir du passé, la rage impuissante et la paralysie qui s’ensuit, et il faut beaucoup d’efforts, et de compréhension pleine de tact, pour amener la réconciliation dans ces conditions, contrairement à l’aliénation qui persistait dans l’enfance. Ceci nous permet d’entrevoir ce qui constitue le mécanisme de la traumatogenèse : d’abord la paralysie complète de toute spontanéité, puis de tout travail de pensée, voire des états semblables aux états de choc, ou de coma même, dans le domaine physique, puis l’instauration d’une situation nouvelle — déplacée — d’équilibre. Si nous parvenons à établir le contact, même dans ces stades, nous apprenons que l’enfant, qui se sent abandonné, perd pour ainsi dire tout plaisir de vivre ou, comme il faudrait le dire avec Freud, retourne l’agression contre sa propre personne. Cela va parfois si loin que le patient commence à se sentir comme en train de s’en aller ou de mourir ; le visage se couvre d’une pâleur mortelle, et des états proches de l’évanouissement, ainsi qu’une augmentation générale du tonus musculaire, pouvant aller jusqu’à l’opisthotonos, font leur apparition. Ce qui se déroule là, devant nos yeux, c’est la reproduction de l’agonie psychique et physique qui entraîne une douleur incompréhensible et insupportable. Je note en passant que ces patients « mourants » fournissent aussi des informations intéressantes sur l’au-delà et la nature de l’être après la mort, mais l’évaluation psychologique de ces propos nous mènerait trop loin. M’étant entretenu avec mon collègue le Dr. Rickman, de Londres, au sujet de ces phénomènes menaçants, il fut amené à me demander si je gardais des médicaments à portée de la main pour intervenir le cas échéant et sauver la vie du patient. J’ai pu lui donner une réponse affirmative, cependant je n’ai jamais eu jusqu’à présent à les utiliser. Des paroles apaisantes et pleines de tact, éventuellement renforcées par une pression encourageante de la main, et, quand cela s’avère insuffisant, une caresse amicale sur la tête, réduisent la réaction à un niveau où le patient redevient accessible. Le patient nous relate alors les actions et réactions inadéquates des adultes, face à ses manifestations lors de chocs traumatiques infantiles, en opposition avec notre manière d’agir. Le pire, c’est vraiment le désaveu, l’affirmation qu’il ne s’est rien passé, qu’on n’a pas eu mal, ou même d’être battu et grondé lorsque se manifeste la paralysie traumatique de la pensée ou des mouvements ; c’est cela surtout qui rend le traumatisme pathogène. On a même l’impression que ces chocs graves sont surmontés, sans amnésie ni suites névrotiques, si la mère est bien présente, avec toute sa compréhension, sa tendresse, et, ce qui est plus rare, une totale sincérité.
Je m’attends ici à l’objection suivante : faut-il vraiment dorloter d’abord le patient, et le bercer dans l’illusion d’une sécurité illimitée, pour lui faire vivre ensuite un traumatisme d’autant plus douloureux ? J’invoquerai à ma décharge que je n’ai pas provoqué intentionnellement ce processus, il s’est développé par suite de ma tentative, à mon avis légitime, de renforcer la liberté d’association ; j’ai un certain respect pour ces réactions qui surgissent spontanément, je les laisse donc apparaître sans intervenir, car je suppose qu’elles manifestent des tendances à la reproduction qu’il ne faut pas empêcher, mais dont il faut favoriser le déploiement avant d’essayer de les maîtriser. Je laisse aux pédagogues le soin de décider dans quelle mesure ce genre d’expériences se rencontrent aussi dans l’éducation courante des enfants.
Je peux, sans crainte, dire que le comportement du patient, au réveil de cet état d’aliénation traumatique infantile, est extrêmement surprenant et hautement significatif. On voit, là, se dessiner formellement comment se créent les lieux de prédilection des symptômes qui surgissent lors de chocs ultérieurs. Une patiente, par exemple, présente, lors de la convulsion traumatique, un afflux de sang intense dans la tête, de sorte que son visage devient tout bleu ; elle se réveille comme d’un rêve, ne sait rien de ce qui s’est passé, ni de la cause de ces événements ; elle sent simplement la douleur dans sa tête, un symptôme qui lui est habituel, avec une force considérablement accrue. Serions-nous là sur la trace de processus physiologiques qui réalisent le déplacement hystérique d’un mouvement émotionnel purement psychique sur un organe du corps ? Je pourrais vous citer sans peine une demi-douzaine d’exemples analogues, mais quelques-uns suffiront. Un patient, abandonné dans son enfance par père et mère et par les dieux pourrais-je dire, exposé aux pires souffrances physiques et psychiques, s’éveille d’un coma traumatique, avec une main insensible et d’une pâleur cadavérique ; par ailleurs, mise à part l’amnésie, il est relativement calme, et presque aussitôt en mesure de reprendre le travail. Il n’a pas été difficile de prendre sur le fait, en flagrant délit pour ainsi dire, le déplacement de toute souffrance, même de la mort, sur une seule partie du corps : la main d’une pâleur cadavérique représentait la personne souffrante tout entière, et l’aboutissement de son combat dans l’insensibilité et la mort imminente. Un autre patient, après avoir reproduit le traumatisme, s’est mis à boiter : l’orteil du milieu d’un de ses pieds étaient devenu flasque, ce qui obligeait le patient à prêter une attention consciente à chacun de ses pas. Mise à part la signification sexuelle de l’orteil du milieu, il exprimait, par son comportement, l’avertissement qu’il se donnait à lui-même : Prends garde avant de faire un pas, pour qu’il ne t’arrive pas de nouveau la même chose. Le patient, qui parlait l’anglais, compléta mon interprétation par la remarque : « Vous voulez peut-être dire que j’illustre tout simplement l’expression anglaise : watch your step »7.
Si je fais là, brusquement, une pause, et que j’imagine les mots que mes auditeurs ont sur le bout de la langue, il me semble entendre de tous côtés la question étonnée : peut-on encore appeler psychanalyse ce qui se passe dans les analyses d’enfant avec des adultes ? En fait, vous parlez presque exclusivement d’explosions affectives, de reproductions vivantes, quasi hallucinatoires, de scènes traumatiques, de spasmes et de paresthésies, qu’on peut en toute confiance qualifier de crises hystériques. Où est passée alors la fine analyse économique, topique, dynamique, la reconstruction de la symptomatologie, la poursuite des investissements changeants de l’énergie du Moi et du Surmoi, qui caractérisent l’analyse moderne ? Dans cet exposé, je me suis effectivement borné à l’estimation, quasi exclusive, du facteur traumatique, ce qui, bien sûr, n’est nullement le cas dans mes analyses. Pendant des mois, souvent des années, mes analyses se déroulent elles aussi au niveau de conflits entre les énergies intrapsychiques. Avec les névrosés obsessionnels, par exemple, il faut souvent un an, ou même plus, pour que ce qui est émotionnel puisse seulement accéder à la parole ; tout ce que le patient et moi pouvons faire, sur la base du matériel surgi, est de rechercher au niveau intellectuel les causes ayant déterminé les mesures préventives, l’ambivalence de l’attitude affective et de la manière d’agir, les mobiles de l’autopunition masochiste, etc. Mais, d’après mon expérience, il se produit tôt ou tard, souvent très tard il est vrai, un effondrement de la superstructure intellectuelle et une percée brutale de l’infrastructure qui est toujours primitive et intensément émotionnelle, et c’est alors seulement que commencent la répétition et la nouvelle liquidation du conflit originaire, entre le Moi et le monde extérieur, tel qu’il s’est probablement déroulé au temps de l’enfance. N’oublions pas que les réactions du petit enfant au déplaisir sont toujours, d’abord, de nature corporelle ; c’est seulement plus tard que l’enfant apprend à dominer ses mouvements d’expression, modèles de tout symptôme hystérique. Il faut donc donner raison aux neurologues quand ils prétendent que l’homme moderne produit beaucoup plus rarement des hystéries manifestes, comme celles qui étaient décrites et considérées comme assez généralement répandues, il y a quelques dizaines d’années encore. Tout se passe comme si les progrès de la civilisation faisaient que les névroses aussi deviennent plus civilisées et plus adultes, mais je pense qu’avec la patience et la persévérance nécessaires on peut même démanteler des mécanismes purement intrapsychiques, solidement construits, et les ramener au stade du traumatisme infantile.
Une autre question épineuse, que l’on ne tardera pas à me poser, porte sur les résultats thérapeutiques. Vous comprendrez fort bien que je me garde pour le moment de me prononcer, de façon décisive, à ce sujet. Mais il y a deux choses que je dois reconnaître : l’espoir que je nourrissais de raccourcir substantiellement l’analyse, au moyen de la relaxation et de la catharsis, ne s’est pas réalisé jusqu’ici, et la difficulté du travail pour l’analyste s’en est trouvée substantiellement augmentée. Mais je pense que ce qui a été ainsi considérablement favorisé, et j’espère le sera encore plus dans l’avenir, c’est la profondeur de notre compréhension du fonctionnement du psychisme humain, sain ou malade, et l’espoir justifié que le résultat thérapeutique, qui repose sur ces bases plus profondes, dans la mesure où il existe, aura plus de chances de se maintenir.
Et maintenant, pour finir, une question importante du point de vue pratique. Les analyses didactiques doivent-elles et peuvent-elles aussi atteindre cette couche infantile profonde ? Étant donné le caractère non limité dans le temps de mes analyses, cela mène à des difficultés pratiques considérables ; cependant, je crois que quiconque a l’ambition de comprendre et d’aider autrui ne devrait pas reculer devant ce grand sacrifice. Même ceux qui sont analysés pour des raisons purement professionnelles doivent donc, au cours de leur analyse, devenir un peu hystériques, donc un peu malades, et il apparaît alors que la formation du caractère elle-même est à considérer comme un effet lointain de traumatismes infantiles importants. Mais je crois que le résultat cathartique de cette plongée dans la névrose et l’enfance a finalement un effet revigorant ; si elle est menée jusqu’au bout, elle ne peut nuire en aucun cas. En tout cas, ce procédé est beaucoup moins dangereux que les tentatives héroïques de maints collègues, qui ont étudié les infections et les empoisonnements sur leur propre corps.
Mesdames et Messieurs ! Si les idées et les points de vue que je vous ai communiqués aujourd’hui devaient être un jour reconnus, il faudrait en partager honnêtement le mérite entre mes patients, mes collègues et moi. Et aussi, naturellement, avec les analystes d’enfants dont je viens de parler ; je serais heureux si j’avais réussi à jeter les bases d’une collaboration plus intime avec eux.
Je ne serais pas étonné si cet exposé, comme quelques autres que j’ai publiés ces dernières années, vous laissait l’impression d’une certaine naïveté de mes points de vue. Que quelqu’un, après vingt-cinq ans de travail analytique, commence soudain à s’étonner devant le fait du traumatisme psychique, cela peut vous paraître aussi surprenant que cet ingénieur de ma connaissance qui, ayant pris sa retraite après cinquante ans de service, se rendait tous les après-midi à la gare pour admirer le départ du train et s’exclamer de temps à autre : « Quelle merveilleuse invention que la locomotive ! » Il est possible que j’aie repris cette tendance, ou cette capacité à considérer naïvement ce qui est familier, à notre maître qui, lors d’un de nos séjours d’été, inoubliables pour moi, me surprit, un matin, par ce propos : « Voyez-vous, Ferenczi, le rêve est vraiment un accomplissement de désir ! », et me raconta son dernier rêve qui, effectivement, était une éclatante confirmation de sa géniale théorie des rêves.
J’espère, Mesdames et Messieurs, que vous ne rejetterez pas immédiatement tout ce que je viens de vous dire, mais que vous réserverez votre jugement jusqu’à ce que vous ayez acquis des expériences dans les mêmes conditions. En tout cas, je vous remercie de l’amicale patience avec laquelle vous avez écouté mes considérations.
1 Conférence extraordinaire prononcée à l’occasion du soixante-quinzième anniversaire du Professeur Freud à l’Association Psychanalytique de Vienne, le 6 mai 1931.
2 En français dans le texte. (N. d. T.)
3 Cf. article sur « Relaxation et néocatharsis » : il s’agit ici de relâchement plus que de technique de relaxation. (N. d. T.)
4 Voir Note 2 de l'article « Le traitement psychanalytique du caractère », Psychanalyse III.
5 « Le rêve du nourrisson savant », dans Psychanalyse III.
6 En français dans le texte. (N. d. T.)
7 « Surveillez votre marche », c’est-à-dire « prenez garde à ne pas tomber ». (N. d. T.)