I.

À une époque que nous pouvons nommer préscientifique, l’humanité n’était pas en peine d’interpréter ses rêves. Ceux dont on se souvenait au réveil, on les considérait comme une manifestation bienveillante ou hostile des puissances supérieures, dieux ou démons. Avec l’éclosion de l’esprit scientifique, toute cette ingénieuse mythologie a cédé le pas à la psychologie, et de nos jours tous les savants, à l’exception d’un bien petit nombre, sont d’accord pour attribuer le rêve à l’activité psychique du dormeur lui-même.

Toutefois, l’hypothèse mythologique se trouvant rejetée, il est devenu nécessaire de chercher au rêve de nouvelles interprétations. Dans quelles conditions se produit le rêve ? Quelles sont ses relations avec la vie psychique à l’état de veille ? Comment les excitations venues du dehors sont-elles susceptibles d’influencer le dormeur ? Pourquoi ces détails qui trop souvent répugnent à la pensée de l’homme éveillé, et cette discordance entre les moyens d’expression du rêve et les états affectifs qu’il accompagne ? D’où vient enfin l’instabilité du rêve ? Pourquoi, dès le réveil, est-il rejeté par la pensée comme un élément étranger, et s’efface-t-il, en tout ou en partie, dans la mémoire ? Ces problèmes qui, depuis des siècles, réclament une solution, n’en ont pas trouvé de satisfaisante jusqu’à ce jour.

Le problème qui nous intéresse en premier lieu, celui de la signification du rêve, se présente sous deux aspects : On cherche ce que signifie le rêve au point de vue psychologique et quelle est sa place dans la série des phénomènes psychiques. On veut savoir en outre si le rêve est susceptible d’interprétation et si le contenu du rêve, comme tout autre produit psychique auquel nous serions tentés de l’assimiler, présente un « sens ».

Considérant l’état actuel de la question, nous nous trouvons en présence de trois tendances bien distinctes. La première, qui semble un écho attardé de l’époque où l’on attribuait au rêve une origine surnaturelle, trouve son expression chez un certain nombre de philosophes. Pour eux, la vie du rêve aurait son principe dans un état spécial d’activité psychique ; ce serait une sorte d’ascension de l’âme vers un état supérieur. Telle est, par exemple, l’opinion de Schubert : « Par le rêve, l’esprit se dégage des entraves de la nature extérieure, l’âme échappe aux chaînes de la sensualité. » Sans aller si loin, d’autres affirment pourtant que les rêves sont, par essence, des excitations psychiques ; qu’ils sont des manifestations de certaines forces psychiques1, que l’état de veille empêche de se développer librement. Il est de fait que dans certains domaines (par exemple celui de la mémoire) la plupart des observateurs attribuent aux manifestations de la vie de rêve une supériorité évidente.

Quant aux médecins qui écrivent sur le rêve, ils professent généralement une opinion diamétralement opposée à celle des philosophes. C’est à peine s’ils accordent au rêve la valeur d’un phénomène psychique. Il serait provoqué, d’après eux, par les excitations corporelles et sensorielles qui viennent au dormeur tant du monde extérieur que de ses propres organes internes. En ce cas, le contenu du rêve serait aussi dépourvu de sens et aussi impossible à interpréter que les notes frappées au hasard sur le clavier par une main inexperte en musique, et la définition du rêve serait simplement celle-ci : « Un processus matériel toujours inutile et très souvent morbide » (Bing). Tous les signes caractéristiques de la vie de rêve s’expliquent alors par l’activité incohérente de certains groupes de cellules qui restent à l’état de veille dans le cerveau, sous l’empire de ces excitations physiologiques, tandis que le reste de l’organisme est plongé dans le sommeil.

Le sentiment populaire, médiocrement influencé par ces jugements de la science et peu soucieux des origines profondes du rêve, s’obstine dans son antique croyance.

Pour lui, le rêve a un sens, et ce sens renferme une prédiction. Pour la dégager du contenu du rêve qui est trop souvent confus et énigmatique, il est nécessaire de mettre en œuvre certains procédés d’interprétation, et ces procédés consistent généralement à remplacer le contenu du rêve, tel qu’il est resté dans la mémoire, par un autre contenu. La transposition peut se faire en détail, au moyen d’une « clef » qui ne doit pas varier ; on peut aussi remplacer d’un coup l’objet essentiel du rêve par un autre objet dont le premier n’aura été que le symbole.

Les gens sérieux sourient de ces enfantillages, car nous savons tous que « songe est mensonge ».


1 Traumphantasie de Scherner, Volkelt.