IX. Récapitulation et problèmes divers

Je ne sais pas si le lecteur de l’analyse que je viens de rapporter est parvenu à se représenter clairement la genèse et l’évolution de l’état de mon patient. Je crains au contraire que tel n’ait pas été le cas. Mais, bien que d’ordinaire j’aie très peu pris parti en faveur de mon art d’exposer les faits, je voudrais cette fois-ci plaider les circonstances atténuantes. La description de phases aussi précoces et de stratifications aussi profondes de la vie psychique est un problème auquel personne encore ne s’était auparavant attaqué, et il vaut mieux mal le résoudre que prendre timidement devant lui la fuite, ce qui de plus, dit-on, comporte certains dangers. Mieux vaut donc proclamer hardiment qu’on ne s’est pas laissé arrêter par le sentiment de son infériorité.

Le cas en lui-même n’était pas particulièrement favorable. L’avantage de posséder une abondance de renseignements sur l’enfance du patient, avantage dû au fait qu’on pouvait étudier l’enfant par l’intermédiaire de l’adulte, dut être acheté par les pires morcellements de l’analyse et les imperfections correspondantes dans l’exposé de celle-ci. Des particularités individuelles, un caractère national étranger au nôtre, rendaient difficile le contact affectif avec le patient. Le contraste entre la personnalité aimable et affable du malade, son intelligence aiguë, sa distinction de pensée, d’une part, et, d’autre part, sa vie instinctuelle à laquelle aucun frein n’était mis, rendirent nécessaire un fort long travail d’éducation préparatoire, ce qui accrut la difficulté de voir le cas dans son ensemble. Cependant la description de ce cas est rendue extrêmement difficile par le caractère même de ce dernier, caractère dont le patient lui-même n’est nullement responsable. Dans la psychologie de l’adulte, nous avons heureusement réussi à diviser les processus psychiques en conscients et inconscients et à décrire ces deux sortes de processus en termes clairs. Chez l’enfant, cette distinction nous fait à peu près défaut. On est souvent embarrassé pour savoir ce que l’on voudrait qualifier de conscient ou bien d’inconscient. Des processus devenus dominants et qui, d’après leur comportement ultérieur, doivent être tenus pour l’équivalent des processus conscients, n’ont cependant pas été conscients chez l’enfant. On peut aisément comprendre pourquoi : le conscient n’a pas encore acquis chez l’enfant tous ses caractères., il est encore en cours d’évolution et ne possède pas vraiment chez l’enfant la faculté de se convertir en représentations verbales. Nous nous rendons constamment coupables d’une confusion entre le fait qu’une perception émerge phénoménalement dans la conscience et cet autre fait qu’elle appartient à un système psychique hypothétique, auquel nous devrions donner un nom conventionnel quelconque, mais que nous appelons du même nom de conscient (le système Cs). Cette confusion est sans inconvénient lorsque nous faisons une description psychologique de l’adulte, mais elle nous induit en erreur lorsqu’il s’agit du petit enfant. La notion du « préconscient » ne sert pas ici non plus à grand-chose, car le préconscient de l’enfant ne coïncide pas nécessairement davantage avec celui de l’adulte. Il faut donc se contenter d’avoir perçu clairement l’obscurité qui règne ici.

Il va de soi qu’un cas tel que celui présentement décrit pourrait fournir l’occasion de mêler à la discussion tous les résultats et tous les problèmes de la psychanalyse. Ce serait là un travail sans fin et superflu. Il faut se dire qu’on ne saurait tout apprendre ni tout résoudre par un seul cas, et il convient, en conséquence, de se contenter d’exploiter ce qu’il nous fait le plus clairement voir. Ce qu’une psychanalyse est appelée à expliquer est d’ailleurs étroitement délimité. Ce qu’il faut expliquer, par la découverte de leur genèse, ce sont les formations symptomatiques évidentes ; les mécanismes et processus pulsionnels auxquels on est ainsi conduit ne sont pas à expliquer, mais à décrire. Afin d’acquérir de nouveaux points de vue généraux grâce à ce qui a déjà été acquis relativement à ces deux derniers points, il serait essentiel d’avoir à sa disposition de nombreux cas aussi complètement et aussi profondément analysés que le cas présent. Ils ne sont pas faciles à avoir, chacun nécessite un travail de plusieurs années. Le progrès en ces domaines ne peut ainsi se réaliser que lentement. On serait aisément tenté de se contenter de « gratter » la surface psychique d’un certain nombre de personnes et de remplacer ce qu’on aurait omis par des spéculations, spéculations qu’on mettrait sous le patronage d’une quelconque orientation philosophique. On peut aussi en appeler, en faveur de cette manière de procéder, à des besoins pratiques, mais les besoins de la science ne se laissent satisfaire par aucun succédané.

Je vais maintenant essayer de tracer un tableau synthétique de l’évolution sexuelle de mon patient ; je commencerai par les tout premiers renseignements que nous avons sur lui. La première chose que nous apprenons est relative à une inappétence, trouble dans lequel, d’après d’autres observations, je tendrai à voir, mais sous toutes réserves, le résultat d’un processus survenu au domaine sexuel. J’ai été amené à considérer comme la première organisation sexuelle décelable ce qu’on appelle la phase cannibale ou orale, phase où l’étayage originel que l’excitation sexuelle trouve dans la pulsion de nutrition domine encore la scène. On ne peut s’attendre à rencontrer des manifestations directes de cette phase, mais on en trouve des indices quand des troubles se sont établis. Un préjudice porté à la pulsion de nutrition — préjudice qui peut naturellement avoir d’autres causes encore — attire alors notre attention sur le fait que l’organisme n’a pas réussi à maîtriser l’excitation sexuelle. À cette phase, l’objectif sexuel ne pouvait être que le cannibalisme, le fait de manger ; le cannibalisme apparaît, chez notre patient, par régression à partir d’un niveau plus élevé, dans la peur d’être mangé par le loup. Nous fûmes obligé de traduire cette peur de la façon suivante : la peur de servir au coït du père. On sait qu’à un âge plus avancé, chez des fillettes, au moment de la puberté ou bientôt après, existe une névrose qui exprime par l’anorexie le refus de la sexualité. Cette névrose doit être mise en rapport avec la phase orale de la vie sexuelle. Le même objectif érotique de l’organisation orale reparaît au comble du paroxysme amoureux (dans des phrases comme celle-ci : « Je pourrais te manger ») et dans certaines relations affectueuses avec de petits enfants, quand l’adulte se comporte lui-même en enfant. J’ai d’ailleurs émis le soupçon que le père de notre patient aurait lui-même été coutumier de la « gronderie tendre », aurait joué avec l’enfant au loup ou au chien et l’aurait en plaisantant menacé de le manger. Le patient ne fit que confirmer ce soupçon par son curieux comportement dans le transfert. Chaque fois qu’il se dérobait, reculant devant les difficultés du traitement, dans le transfert, il me menaçait de me manger et, plus tard, de toutes sortes d’autres mauvais traitements, ce qui n’était que l’expression de sa tendresse.

Certains vestiges de cette phase orale sexuelle sont restés dans le langage usuel : on parle d’un objet d’amour « appétissant », on dit que la bien-aimée est « douce ». Rappelons-nous que notre petit patient ne voulait manger que des douceurs. Les douceurs, les bonbons, représentent régulièrement dans le rêve des caresses, des satisfactions sexuelles.

Il semble qu’à cette phase (en cas de trouble, bien entendu) appartienne encore une angoisse qui se manifeste sous forme d’angoisse pour la vie et qui s’attache à tout ce qui est indiqué à l’enfant comme pouvant la justifier. Chez notre patient, on s’en servit pour l’inciter à surmonter son dégoût de manger ; on l’amena même par là à surcompenser celui-ci. Nous serons conduits à la source possible de son trouble de l’appétit si nous nous rappelons — en restant sur le terrain de l’hypothèse déjà longuement discutée — que l’observation du coït, dont tant d’effets différés dérivèrent, eut lieu à l’âge de 1 an 1/2, certainement avant l’époque des difficultés relatives à la nourriture. Peut-être avons-nous le droit de supposer qu’elle hâta le processus de la maturation sexuelle et eut par là des effets directs, bien que peu apparents.

Je sais, bien entendu, que l'on peut expliquer la symptomatologie de cette période : la phobie des loups, l’inappétence, autrement et plus simplement, sans tenir compte de la sexualité ni du stade d’organisation prégénitale de celle-ci. Les gens qui négligent volontiers les indications que fournit la névrose et les rapports des phénomènes entre eux préféreront cette autre explication et je ne pourrai les en empêcher. Il est difficile d’établir quelque chose de probant relativement à ces débuts de la vie sexuelle par d’autres chemins que les voies détournées que j’ai indiquées.

La scène avec Grouscha (à 2 ans 1/2) nous fait voir le petit garçon au début d’une évolution qui mérite le nom de normale, à l’exception peut-être de sa précocité. Identification au père, érotisme urétral représentant la masculinité. Cette scène est aussi tout entière sans l’influence de la scène primitive. Nous avons jusqu’ici conçu l’identification au père comme étant narcissique ; mais nous ne pouvons, si nous avons égard au contenu de la scène primitive, nier qu’elle ne corresponde déjà au stade de l’organisation génitale. L’organe mâle a commencé à jouer son rôle et continue à le jouer sous l’influence de la séduction de l’enfant par sa sœur.

On a cependant l’impression que la séduction ne se borne pas à favoriser le développement sexuel, mais le trouble et le dévie aussi à un haut degré. Elle fournit à l’enfant un objectif sexuel passif, incompatible au fond avec l’activité de l’organe viril. Au premier obstacle externe, lors de la menace de castration faite par Nania, l’organisation génitale encore incertaine s’effondre (à 3 ans 1/2) et régresse au stade qui l’avait précédée de l’organisation sadique-anale, organisation qui sans cela eût peut-être été parcourue avec autant de facilité que chez d’autres enfants.

On peut aisément considérer que l’organisation sadique-anale est la continuation et le développement de l’organisation orale. La violente activité musculaire qui la caractérise dirigée vers l’objet a pour rôle d’être un acte préparatoire à celui de manger ; l’acte de manger cesse alors d’être un objectif sexuel. L’acte préparatoire acquiert la valeur d’un objectif indépendant. La nouveauté essentielle qui caractérise ce stade par rapport au précédent est que l’organe réceptif passif se détache de la zone orale et se constitue dans la zone anale. On ne peut s’empêcher de faire ici des parallèles biologiques et d’édifier l’hypothèse d’après laquelle les organisations prégénitales de l’homme seraient les vestiges de conditions qui, dans certaines classes d’animaux, ont été conservées de façon permanente. La constitution de l’instinct d’investigation avec les composantes de ce stade est également caractéristique de ce dernier.

L’érotisme anal, chez notre petit garçon, n’est pas notablement apparent. Les fèces ont, sous l’influence du sadisme, échangé leur signification tendre contre leur signification agressive. Un sentiment de culpabilité, dont la présence fait penser à des processus évolutifs se passant dans d’autres sphères encore que la sexuelle, joue son rôle dans la transformation du sadisme en masochisme.

La séduction continue à exercer son influence en maintenant un objectif sexuel passif. Elle transforme à présent le sadisme, pour la plus grande part, en son opposé, le masochisme. On peut se demander si l’on est en droit de porter tout entière à son compte la passivité, car la réaction de l’enfant de 1 an 1/2 à l’observation du coït avait déjà été de façon prépondérante une réaction passive. L’excitation sexuelle « par induction » s’était manifestée chez lui sous forme d’une selle, comportement dans lequel, à la vérité, il faut reconnaître aussi un élément actif. Auprès du masochisme qui domine ses aspirations sexuelles et s’exprime en fantasmes, le sadisme subsiste aussi côte à côte et se manifeste contre de petits animaux. L’investigation sexuelle a commencé à partir de la séduction et s’est essentiellement attaquée à deux problèmes : D’où viennent les enfants ? Est-il possible qu’on perde ses organes génitaux ? Cette investigation s’entremêle aux manifestations des pulsions sexuelles de l’enfant. Elle oriente ses tendances sadiques vers les petits animaux en tant que représentants des petits enfants.

Nous avons poursuivi notre exposé jusqu’aux environs du 4ème anniversaire de l’enfant, époque à laquelle, par l’entremise du rêve, l’observation du coït faite à 1 an 1/2 produit après coup ses effets. Nous ne pouvons ni tout à fait comprendre ni décrire de façon adéquate les processus qui se déroulent alors. La réactivation de l’image, de cette image qui peut maintenant être comprise grâce au développement intellectuel plus avancé, agit à la façon d’un événement récent, mais aussi à la manière d’un traumatisme nouveau, d’une intervention étrangère analogue à une séduction. L’organisation génitale qui avait été interrompue est rétablie d’un seul coup, mais le progrès réalisé dans le rêve ne peut être maintenu. Tout au contraire, un processus, que l’on ne peut rapprocher que d’un refoulement, amène une répudiation de cet élément nouveau et son remplacement par une phobie.

L’organisation sadique-anale se poursuit ainsi dans la phase, qui alors s’instaure, celle de la phobie des animaux, mais des phénomènes d’angoisse s’y adjoignent. L’enfant poursuit ses activités sadiques et masochiques, cependant il réagit par l’angoisse à une partie d’entre elles ; le retournement du sadisme en son contraire fait sans doute de nouveaux progrès.

L’analyse du rêve d’angoisse nous a montré que le refoulement se relie à la reconnaissance de la castration. L’élément nouveau est rejeté, parce que l’accepter coûterait à l’enfant son pénis. À regarder les choses de plus près, on voit à peu près ce qui suit : l’attitude homosexuelle au sens génital est ce qui se trouve refoulé, attitude qui s’était édifiée sous l’influence de la reconnaissance de la castration. Mais elle est à présent conservée dans l’inconscient, constituée en une stratification plus profonde et isolée. Le promoteur de ce refoulement semble être la masculinité narcissique du membre viril, qui entre en un conflit, préparé depuis longtemps, avec la passivité de l’objectif homosexuel. Le refoulement est ainsi un succès de la virilité.

À partir de ce point on pourrait être tenté de modifier une partie de la théorie psychanalytique. On croit en effet ici toucher du doigt qu’il s’agit d’un conflit entre les aspirations mâles et les aspirations femelles, donc de la bisexualité qui engendre le refoulement et la névrose. Cette conception, cependant, est incomplète. De ces deux aspirations sexuelles contraires, l’une est acceptée par le moi, l’autre blesse les intérêts du narcissisme, c’est pourquoi celle-ci succombe au refoulement.

Ainsi, dans ce cas encore, c’est le moi qui met le refoulement en œuvre, et ceci en faveur de l’une des deux tendances sexuelles. Dans d’autres cas, un tel conflit entre virilité et féminité n’existe pas ; il y a une seule aspiration sexuelle qui cherche à se faire accepter, mais qui, se heurtant à certaines forces du moi, est en conséquence elle-même repoussée. Les conflits entre la sexualité et les tendances morales du moi sont bien plus fréquents que les conflits ayant lieu à l’intérieur de la sexualité elle-même. Un tel conflit moral fait défaut dans notre cas. Affirmer que la sexualité soit le mobile du refoulement serait une conception trop étroite ; dire qu’un conflit entre le moi et les tendances sexuelles (la libido) le conditionne, voilà qui englobe tous les cas.

À la doctrine de la « protestation mâle », telle qu’Adler l’a édifiée, on peut opposer que le refoulement est loin de prendre toujours le parti de la virilité contre la féminité ; dans un grand nombre de cas, c’est la virilité qui doit se soumettre au refoulement par le moi.

En outre, une estimation plus juste du processus du refoulement dans notre cas permettrait de contester que la virilité narcissique fut ici le seul mobile du refoulement. L’attitude homosexuelle qui s’établit au cours du rêve était d’une telle intensité que le moi du petit garçon se trouva incapable de la maîtriser et s’en défendit par un processus de refoulement. La masculinité narcissique du membre viril, s’opposant à cette tendance, fut appelée à l’aide pour réaliser ce dessein. Je redirai, pour éviter des malentendus, que toutes les pulsions narcissiques partent du moi et demeurent dans le moi et que les refoulements sont dirigés contre des investissements libidinaux de l’objet.

Laissons à présent le processus du refoulement de côté, nous n’avons peut-être pas réussi à nous en rendre complètement maîtres, et revenons-en à l’état où se trouvait le petit garçon lorsqu’il s’éveilla de son rêve. Si c’était vraiment la virilité qui, au cours du processus onirique, eût triomphé de l’homosexualité (de la féminité), alors une tendance sexuelle active, d’un caractère viril déjà accentué, devrait nous apparaître en tant que tendance dominante. Mais il n’en est rien, l’essentiel de l’organisation sexuelle ne s’est pas modifié, la phase sadique-anale persiste et reste dominante. Le triomphe de la virilité ne se manifeste qu’en ceci : l’enfant réagit désormais par de l’angoisse aux objectifs sexuels passifs de l’organisation dominante (objectifs masochiques et non pas féminins). Il n’y a pas de tendance sexuelle virile triomphante, mais simplement une tendance passive et une lutte contre celle-ci.

Je puis m’imaginer quelles difficultés présente pour le lecteur la distinction nette que je trace entre actif et viril d’une part, entre passif et féminin d’autre part, distinction inaccoutumée mais indispensable. C’est pourquoi je n’hésiterai pas à me répéter. On peut alors décrire de la façon suivante l’état ayant succédé au rêve : les tendances sexuelles ont été dissociées ; dans l’inconscient le stade de l’organisation génitale a été atteint et une homosexualité très intense s’est constituée ; par là-dessus (virtuellement dans le conscient) persiste le courant sexuel antérieur sadique et surtout masochique, le moi a dans l’ensemble modifié son attitude envers la sexualité, il répudie à présent la sexualité et repousse avec angoisse les objectifs masochiques dominants, de même qu’il avait réagi aux objectifs homosexuels plus profonds en édifiant une phobie. Le résultat de ce rêve ne fut ainsi pas autant le triomphe d’une tendance virile que la réaction contre une tendance féminine et une tendance passive. Ce serait donner une entorse aux faits que de vouloir attribuer à cette réaction le caractère de la virilité. Le moi n’a, en effet, pas de tendances sexuelles, mais ne s’intéresse qu’à sa propre conservation et au maintien de son narcissisme.

Envisageons à présent la phobie. Elle a pris naissance au niveau de l’organisation génitale, elle nous fait voir le mécanisme relativement simple d’une hystérie d’angoisse. Le moi, grâce au développement de l’angoisse, se préserve de ce qu’il estime être un danger très grand : la satisfaction homosexuelle. Cependant le processus du refoulement laisse après soi une trace qu’il est impossible de méconnaître. L’objet, auquel l’objectif sexuel redouté s’était attaché, doit être remplacé par un autre dans le conscient. Ce qui devient conscient n’est pas l’angoisse du père, mais du loup. Le processus n’est d’ailleurs pas épuisé par la formation d’une phobie à contenu unique. Après un laps de temps assez long, le loup est remplacé par le lion. Les pulsions sadiques contre de petits animaux vont de pair avec une phobie de ceux-ci en tant que représentants des rivaux possibles que seraient de petits enfants. La genèse de la phobie des papillons est tout particulièrement intéressante. C’est une sorte de répétition du mécanisme qui, au cours du rêve, avait engendré la phobie des loups. Par suite d’une stimulation fortuite un événement ancien est réactivé : la scène avec Grouscha ; la menace de castration proférée par celle-ci produit alors après coup ses effets, tandis qu’au moment où elle avait été proférée, elle n’avait fait aucune impression60.

On peut dire que l’angoisse qui prend part à la formation de ces phobies est l’angoisse de castration. Cette proposition n’est aucunement contraire à la conception suivant laquelle l’angoisse émanerait du refoulement de la libido homosexuelle. Ces deux manières de s’exprimer se rapportent au même processus : le moi soustrait de la libido à la motion de désir homosexuelle, libido qui, convertie en angoisse flottante, se trouve ensuite liée dans les phobies. La première manière de s’exprimer ne fait que mentionner de plus le mobile qui met le moi en action.

Si nous y regardons de plus près, nous voyons que cette première maladie de notre patient (l’inappétence mise à part) n’est pas épuisée quand on en a extrait la phobie. Au contraire, il faut l’envisager comme étant une véritable hystérie, comprenant non seulement les symptômes d’angoisse, mais encore des phénomènes de conversion. Une partie de la pulsion homosexuelle demeure fixée à l’organe qui y participe ; l’intestin se comporte dès lors et plus tard dans la vie adulte comme un organe affecté d’hystérie. L’homosexualité inconsciente, refoulée, s’est retirée dans l’intestin. C’est justement cette part d’hystérie qui nous rendit les plus grands services lorsqu’il s’agit de résoudre la maladie ultérieure.

Ayons maintenant le courage de nous attaquer à la structure plus compliquée encore de la névrose obsessionnelle. Rappelons-nous encore une fois quelle était la situation : un courant sexuel masochique dominant et un courant homosexuel refoulé, par contre un moi occupé, sur le mode hystérique, à répudier ces courants. Quels processus ont transformé cet état en celui d’une névrose obsessionnelle ?

La transformation n’a pas lieu spontanément, en vertu d’une évolution interne, mais sous une influence étrangère externe. Son résultat visible est que la relation au père, qui est au premier plan et qui s’est exprimée jusque-là par la phobie des loups, se manifeste à présent sur le mode de la piété obsessionnelle. Je ne puis m’empêcher de faire observer que les processus s’étant ici déroulés chez ce patient nous fournissent une confirmation indubitable de ce que j’ai avancé dans Totem et Tabou, relativement au rapport de l’animal totem à la divinité61. J’y expose la conception suivante : l’idée de Dieu n’est pas une évolution ultérieure du totem, mais a remplacé celui-ci après avoir, indépendamment de lui, été engendrée par une racine commune aux deux. Le totem serait le premier substitut du père, le dieu en serait un substitut ultérieur dans lequel le père a reconquis sa forme humaine. C’est ainsi que les choses se passent chez notre patient. Avec la phobie des loups, il parcourt le stade du substitut totémique du père ; mais ce stade est à présent interrompu et, en vertu de relations nouvelles entre lui et son père, une phase de piété religieuse vient s’y substituer.

Ce qui provoqua cette transformation fut le fait que notre patient, grâce à sa mère, prit connaissance des doctrines de la religion et de l’histoire sainte. Le résultat fut celui que visait l’éducation. L’organisation sexuelle sado-masochique est condamnée à prendre fin lentement, la phobie des loups disparaît rapidement et, au lieu de la répudiation de la sexualité par l’angoisse apparaît une forme plus haute de la répression. La piété devient la force dominante dans la vie de l’enfant. Cependant, ces victoires ne s’accomplissent pas sans combats, combats dont les pensées blasphématoires sont les indices et dont un cérémonial religieux obsessionnellement exagéré est le résultat durable.

Ces phénomènes pathologiques mis à part, nous pouvons dire que la religion a réalisé, dans ce cas, tout ce pour quoi elle a place dans l’éducation de l’individu. Elle a dompté les tendances sexuelles de l’enfant en leur assurant une sublimation et un port d’attache sûr ; elle a dévalorisé ses relations familiales et, par là, l’a protégé contre un isolement menaçant, en lui donnant accès à la grande communauté des hommes. L’enfant indompté et anxieux devient sociable, éducable.

Le principal promoteur de l’influence religieuse fut son identification à la figure du Christ, grandement facilitée, pour cet enfant, par le hasard du jour de sa naissance. Ainsi l’amour excessif pour le père, qui avait rendu nécessaire le refoulement, trouva enfin une issue dans une sublimation idéale. En tant que Christ, on était en droit d’aimer le père, qui maintenant s’appelait Dieu, avec une ardeur qui avait en vain cherché à se décharger aussi longtemps que ce père avait été un mortel. Les voies par lesquelles on pouvait témoigner de cet amour étaient tracées par la religion, et elles n’étaient pas hantées par ce sentiment de culpabilité inséparable des aspirations amoureuses individuelles. De cette manière, le courant sexuel le plus profond, terrassé sous forme d’homosexualité inconsciente, pouvait encore parvenir à être drainé ; en même temps, la tendance masochique plus superficielle trouvait une sublimation incomparable, et cela sans nécessiter beaucoup de renonciations, dans la Passion du Christ qui, sur l’ordre et en l’honneur de son divin Père, s’était laissé maltraiter et sacrifier. Ainsi la religion accomplissait son œuvre chez le petit dévoyé, grâce à un mélange de satisfaction, de sublimation, de dérivation du sensuel vers des processus purement spirituels, et par l’accès aux relations sociales qu’elle donne au croyant.

Sa lutte du début contre la religion partait de trois points différents. Elle était, en premier lieu, ce dont nous avons déjà vu des exemples, la manière propre à notre malade de parer à toutes les nouveautés. Il défendait toute position libidinale une fois acquise, par peur de ce qu’il pourrait perdre en y renonçant et de crainte que la nouvelle position libidinale à atteindre ne lui offrît pas un plein substitut de la précédente. C’est là cette particularité importante et fondamentale que j’ai décrite, dans mes Trois essais sur la théorie de la sexualité et appelée aptitude à la « fixation ». Jung a voulu en faire, sous le nom d’« inertie » psychique, la cause principale de tous les échecs des névrosés. Je crois qu’il a tort, car ce facteur possède une portée beaucoup plus grande et joue également un rôle important dans la vie des gens qui ne sont pas névrosés. La labilité ou la lenteur à se mouvoir des investissements libidinaux, aussi bien que des autres investissements énergétiques, sont des caractères particuliers propres à beaucoup de normaux et qui ne s’observent même pas toujours chez les névrosés, caractères qui n’ont pas encore été ramenés à d’autres, et qui semblent, tels les nombres premiers, n’être plus divisibles. Nous ne savons qu’une chose, c’est que la labilité des investissements psychiques diminue de façon frappante avec l’âge. Nous lui devons une des indications relatives aux limites dans lesquelles un traitement psychanalytique peut être efficace. Mais il est des personnes chez qui cette plasticité psychique se maintient bien au-delà de la limite d’âge habituelle et d’autres qui la perdent très tôt. Ces derniers sont-ils des névrosés, alors on vient à faire la désagréable découverte que les circonstances étant semblables, on ne peut chez eux venir à bout de ce qui s’est passé et dont on se serait aisément rendu maître dans d’autres cas. De sorte que dans la conversion de l’énergie psychique tout comme dans celle de l’énergie physique, il convient de tenir compte du concept d’une entropie qui, à des degrés divers, s’oppose à l’annulation de ce qui est advenu.

Un second point de départ de la lutte de l’enfant contre la religion émane du fait que la doctrine religieuse elle-même est loin d’être basée sur une relation dénuée d’ambiguïté à Dieu le Père, mais a gardé au contraire l’empreinte de l’attitude ambivalente qui présida à ses origines. L’ambivalence développée à un si haut degré que le patient lui-même possédait l’aida à pressentir celle qui est propre à la religion et il y adjoignit ce sens critique aiguisé qui, chez un enfant de moins de 5 ans, devait à tel point nous surprendre. Mais le plus important de tous était sans aucun doute un troisième facteur, auquel nous sommes en droit d’attribuer les résultats pathologiques de la lutte de l’enfant contre la religion. Le courant sexuel qui tendait vers l’homme et qui aurait dû être sublimé par la religion n’était en effet plus libre, mais en partie isolé du fait du refoulement et, par là, soustrait à la sublimation et fixé à son objectif sexuel originel. En vertu de cet état de choses, la partie refoulée cherchait à se frayer une voie vers la partie sublimée ou bien à la tirer à elle vers le bas. Les premières ruminations relatives à la personne du Christ impliquaient déjà cette question : ce fils sublime pouvait-il aussi maintenir ces relations sexuelles avec le père que le patient avait conservées dans son inconscient ? Les efforts de l’enfant pour se débarrasser de ces aspirations n’eurent pas d’autre résultat que de donner naissance à des pensées obsédantes d’apparence blasphématoire, dans lesquelles la tendresse physique envers Dieu se faisait jour sous la forme d’un ravalement de celui-ci. Une lutte défensive violente contre ces formations de compromis devait alors aboutir à une exagération obsédante de tous les actes prescrits dans le but d’exprimer la piété, le pur amour de Dieu. La religion finit par triompher, mais sa base instinctuelle se trouva incomparablement plus solide que ses produits de sublimation. Dès que la vie apporta à notre patient un nouveau substitut paternel, dont l’influence se fit sentir contre la religion, celle-ci fut abandonnée et remplacée par quelque chose d’autre. Rappelons encore, à titre d’intéressante complication de cet état de choses, que la piété avait pris naissance sous l’influence des femmes (mère et bonne), tandis que ce fut une influence masculine qui permit à l’enfant de s’en libérer.

Le fait que cette névrose obsessionnelle ait pris naissance sur le terrain de l’organisation sexuelle sadique-anale confirme, dans l’ensemble, ce que j’ai dit ailleurs relativement à « la prédisposition à la névrose obsessionnelle »62. Mais l’existence antérieure d’une hystérie marquée dans le cas présent rend ce cas moins transparent à cet égard. Je clorai l’exposé de l’évolution sexuelle de notre malade en jetant un coup d’œil rapide sur les vicissitudes ultérieures de cette évolution. Avec la puberté, le courant sexuel viril, fortement sensuel, et qu’on doit qualifier de normal, fit son apparition et se trouva orienté vers l’objectif approprié à l’organisation génitale, et ce sont les vicissitudes de ce courant qui remplissent la période s’étant écoulée jusqu’à la maladie ultérieure. Il se rattachait directement à la scène avec Grouscha, et lui empruntait son trait caractéristique : le malade tombait amoureux par crises subites et passagères et sur un mode compulsionnel. Ce même courant avait à lutter contre les inhibitions dérivées du résidu de la névrose infantile. Grâce à une violente poussée de son instinct vers la femme, notre malade avait enfin conquis sa pleine virilité ; il conserva dès lors la femme comme objet sexuel, mais cette possession ne le contentait pas ; une forte inclination vers l’homme, devenue à présent tout à fait inconsciente et dans laquelle s’unissaient toutes les forces des premières phases de sa sexualité, l’écartait toujours à nouveau de l’objet féminin et le contraignait entre-temps à exagérer sa dépendance de la femme. Il se plaignait, au cours du traitement, de ne pouvoir supporter la femme, et tout notre travail eut pour but de lui révéler sa relation inconsciente à l’homme. Si l’on voulait résumer les choses en une formule, on pourrait dire que l’enfance de notre malade avait été marquée par des oscillations entre l’activité et la passivité, la puberté par une lutte pour la virilité et la période écoulée depuis qu’il était tombé malade par une lutte pour l’objet de ses désirs virils. La cause occasionnelle de sa maladie ne rentre pas dans les types de pathogénie névrotique que j’ai pu grouper ensemble en tant que cas particuliers de la « frustration »63, et notre attention est ainsi attirée vers une lacune que présente cette classification. Notre malade vit s’effondrer sa résistance au moment où une affection organique des organes génitaux fit revivre en lui l’angoisse de castration, mettant en déroute son narcissisme et le contraignant lui-même à abandonner l’espoir d’être un favori du destin. Il tomba donc malade d’une « frustration » narcissique. Ce narcissisme chez lui excessif était en parfait accord avec les autres indices qu’il présentait d’un développement sexuel inhibé, avec le fait que si peu de ses tendances psychiques se concentrassent dans son choix hétérosexuel de l’objet malgré toute l’énergie avec laquelle il le faisait et avec cet autre fait que l’attitude homosexuelle, tellement plus proche du narcissisme, avait persisté chez lui, en tant que force inconsciente, avec une telle ténacité. Bien entendu, quand de pareils troubles existent, la cure psychanalytique ne saurait amener un revirement instantané et rétablir un état équivalent à une évolution normale ; elle ne peut que débarrasser de ses obstacles la voie en permettant ainsi aux influences de la vie de réaliser l’évolution suivant de meilleures directives.

Je grouperai ici certaines particularités de la personnalité de ce malade, particularités que mit au jour la cure psychanalytique, mais qui ne furent pas élucidées plus avant et, par suite, ne purent pas non plus être directement influencées par le traitement. Je citerai la ténacité de fixation dont nous avons déjà parlé, l’extraordinaire développement de la tendance à l’ambivalence et (troisième trait d’une constitution qu’il convient de qualifier d’archaïque) la faculté de conserver ensemble les investissements libidinaux les plus variés et les plus contradictoires, tous capables de fonctionner côte à côte. Les oscillations constantes des uns aux autres (oscillations qui pendant longtemps semblèrent exclure tout rétablissement et tout progrès) dominaient le tableau clinique de la maladie à l’âge adulte, sujet que je n’ai pu ici qu’effleurer. Il s’agissait incontestablement d’un trait caractéristique général de l’inconscient, trait qui chez notre malade avait persisté jusque dans des processus devenus conscients ; cependant, ce trait n’apparaissait que dans ce qui découlait de motions affectives ; au domaine de la logique pure notre malade manifestait au contraire une particulière habileté à dépister les contradictions comme les incompatibilités. Aussi sa vie psychique produisait-elle une impression analogue à celle que fait l’ancienne religion de l’Égypte, religion qui nous paraît si incompréhensible parce qu’elle a conservé côte à côte et ses stades évolutifs divers et ses produits terminaux, ses plus anciens dieux avec leurs attributs auprès des plus récents, parce qu’elle étale en quelque sorte en surface ce que d’autres sortes d’évolution n’ont conservé qu’en profondeur.

J’ai achevé de dire ce que je voulais rapporter de ce cas morbide. Deux des nombreux problèmes qu’il soulève me semblent cependant mériter encore une mention spéciale. Le premier est relatif aux schémas phylogéniques que l’enfant apporte en naissant, schémas qui, semblables à des « catégories » philosophiques, ont pour rôle de « classer » les impressions qu’apporte ensuite la vie. Je suis enclin à penser qu’ils sont des précipités de l’histoire de la civilisation humaine. Le complexe d’Œdipe, qui embrasse les rapports de l’enfant à ses parents, est l’un d’eux ; il en est, de fait, l’exemple le mieux connu. Là où les événements ne s’adaptent pas au schéma héréditaire, ceux-ci subissent dans l’imagination un remaniement, travail qu’il serait certes profitable de suivre dans le détail. Ce sont justement ces cas-là qui sont propres à nous montrer l’indépendante existence du schéma. Nous avons souvent l’occasion d’observer que le schéma triomphe de l’expérience individuelle ; dans notre cas, par exemple, le père devient le castrateur, celui qui menace la sexualité infantile, en dépit d’un complexe d’Œdipe par ailleurs inversé. Dans d’autres cas, la nourrice prend la place de la mère ou bien toutes deux fusionnent. Les contradictions se présentant entre l’expérience et le schéma semblent fournir ample matière aux conflits infantiles.

Le second problème n’est pas très éloigné du premier, tout en étant incomparablement plus important. Si l’on considère le comportement de l’enfant de 4 ans en face de la scène primitive réactivée64, si même l’on pense aux réactions bien plus simples de l’enfant de 1 an 1/2 lorsqu’il vécut cette scène, on ne peut qu’avec peine écarter l’idée qu’une sorte de savoir difficile à définir, quelque chose comme une prescience agit dans ces cas chez l’enfant65. Nous ne pouvons absolument pas nous figurer en quoi peut consister un tel « savoir », nous ne disposons à cet effet que d’une seule mais excellente analogie : le savoir instinctif — si étendu — des animaux.

Si l’homme possède lui aussi un patrimoine instinctif de cet ordre, il n’y a pas lieu de s’étonner de ce que ce patrimoine se rapporte tout particulièrement aux processus de la vie sexuelle, bien que ne devant nullement se borner à eux. Ce patrimoine instinctif constituerait le noyau de l’inconscient, une sorte d’activité mentale primitive, destinée à être plus tard détrônée et recouverte par la raison humaine quand la raison aura été acquise. Mais souvent, peut-être chez nous tous, ce patrimoine instinctif garde le pouvoir de tirer à soi des processus psychiques plus élevés. Le refoulement serait le retour à ce stade instinctif, et c’est ainsi que l’homme paierait, avec son aptitude à la névrose, sa grande acquisition nouvelle ; il témoignerait de plus, par le fait que les névroses sont possibles, de l’existence de stades antérieurs instinctifs. Et le rôle important des traumatismes de la petite enfance serait de fournir à l’inconscient un matériel qui le préserverait de l’usure lors de l’évolution subséquente.

Je le sais : de divers côtés on a parlé d’idées semblables soulignant le facteur héréditaire, phylogéniquement acquis, de la vie psychique. Je pense même que l’on n’a été que trop enclin à leur faire une place et à leur attribuer de l’importance en psychanalyse. Je ne les considère comme admissibles que lorsque la psychanalyse respecte l’ordre des instances et, après avoir traversé les strates successives de ce qui a été individuellement acquis, rencontre enfin les vestiges de ce dont l’homme a hérité66.

 


60 Comme nous l’avons dit, la scène avec Grouscha fut un souvenir spontané surgi de la mémoire du patient, souvenir auquel les reconstructions ou les encouragements du médecin ne prirent aucune part. Les lacunes qu’elle présentait furent comblées par l’analyse d’une manière qu’on peut qualifier d’irréprochable, si l’on attache la moindre valeur à la méthode de travail de l’analyse. Une élucidation rationaliste de cette phobie, la seule explication rationaliste possible, est la suivante : il n’y a rien d’extraordinaire à ce qu’un enfant enclin à être anxieux ait, un jour, un accès d’angoisse en voyant un papillon rayé de jaune, ceci sans doute en vertu d’une tendance héréditaire à l’angoisse (cf. Stanley Hall, A synthetic genetic study of fear (Une étude synthétique génétique de l’angoisse), American Journal of Psychology, XXV, 1914). L’enfant, ignorant la cause de sa peur, se serait mis à rechercher dans son enfance quelque chose qui fût en rapport avec cette peur, et se serait servi d’une similitude fortuite des noms et du retour du « rayé » pour imaginer une aventure avec la fille de service de laquelle il se souvenait encore. Mais si les détails de cet incident par lui-même sans importance, détails tels que le fait de laver le plancher, tels que le baquet, le balai, ont une puissance assez forte pour déterminer de façon durable et compulsionnelle, dans la vie ultérieure du patient, le choix de l’objet, alors la phobie des papillons acquiert une importance inconcevable. L’état de choses basé sur cette hypothèse est au moins aussi étrange que celui qui est basé sur la mienne et tout le bénéfice d’une conception rationaliste s'évanouit. Ainsi, la scène avec Grouscha acquiert pour nous une valeur particulière, puisque nous pouvons à son sujet nous préparer au jugement qu’il convient de porter sur la scène primitive moins certaine.

61 Totem und Tabu, 1913, p. 137, Totem et Tabou, trad. franç. Jankélévitch, Paris, Payot, 1924, p. 203.

62 Die Disposition zur Zwangsneurose, Int. Zeitschrift für Psychoanalyse, vol. I, 1913, p. 525 et suiv. et dans le t. VIII des Gesam. Werke. La prédisposition à la névrose obsessionnelle, trad. franç. par Ed. Pichon et H. Hœsli, dans Revue française de Psychanalyse, t. III, n° 3, 1929.

63 Ueber neurotische Erkrankungstypen (De certains types morbides névrotiques), Zentralblatt für Psychoanalyse, t. II, p. 6, 1912.

64 Je puis négliger le fait que ce comportement ne put s’exprimer en paroles que vingt ans plus tard, car tous les effets que nous avons fait dériver de cette scène s’étaient manifestés sous forme de symptômes, compulsions, etc., longtemps avant l’analyse et dès l’enfance. II est à cet égard indifférent de considérer cette scène comme une « scène primitive » ou comme un « fantasme primitif ».

65 Je ferai de nouveau observer que ces réflexions seraient oiseuses si le rêve et la névrose n'avaient pas eu lieu dans l’enfance même du patient.

66 (Note de 1923.) Je dresserai ici encore une fois la chronologie des événements rapportés dans cette histoire :

le jour de Noël.

1 an 1/2 : Malaria. Observation du coït de ses parents ou bien de la scène entre eux dans laquelle il devait plus tard introduire le fantasme du coït.

Juste avant 2 ans 1/2 : Scène avec Grouscha.

2 ans 1/2 : Souvenir-écran du départ de ses parents avec sa sœur. On l’y voit seul avec Nania et reniant par là sa sœur et Grouscha.

Juste avant 3 ans et 3 mois : Plaintes de sa mère au médecin.

3 ans et 3 mois : Commencement de séduction de la part de sa sœur, bientôt menace de castration de la part de Nania.

3 ans 1/2 : La gouvernante anglaise. Début du changement de caractère.

4 ans : Rêve des loups. Origine de la phobie.

4 ans 1/2 : Influence de l’histoire sainte. Apparition des symptômes obsessionnels.

Peu avant 5 ans : Hallucination de la perte d’un doigt.

5 ans : Départ de la première propriété.

Après 6 ans : Visite à son père malade.

8 ans à 10 ans : Derniers sursauts de la névrose obsessionnelle..

On aura deviné sans peine, d’après mon exposé, que le patient était Russe. Je le laissai partir, à mon avis guéri, quelques semaines avant que n’éclatât, à l’improviste, la guerre européenne et ne le revis que lorsque les vicissitudes de la guerre eurent ouvert aux Puissances Centrales le Sud de la Russie. Il revint alors à Vienne et me rapporta qu’immédiatement après la fin de la cure, il avait été saisi d’un violent désir de s’arracher à mon influence. En quelques mois de travail une partie du transfert qui n’avait pas encore été maîtrisée fut liquidée ; depuis lors le patient, à qui la guerre a coûté sa patrie, sa fortune et toutes ses relations familiales, se sent cependant normal et s’est conduit de façon irréprochable. Peut-être justement ses malheurs, en satisfaisant son sentiment de culpabilité, ont-ils contribué à consolider sa guérison (N. d. A.)

Voir : A supplément to Freud’s history of an infantile neurosis, par Ruth Mack Brunswick, 1929. Supplément à l’extrait d'une névrose infantile de Freud, trad. par Marie Bonaparte, Revue française de Psychanalyse, t. IX, n® IV, 1936 (N. d. T.)