Chapitre VI. De la technique psychanalytique

Ainsi le rêve est une psychose, avec toutes les extravagances, toutes les formations délirantes, toutes les erreurs sensorielles inhérentes à celle-ci, une psychose de courte durée, il est vrai, inoffensive et même utile, acceptée par le sujet qui peut, à son gré, y mettre un point final, mais cependant une psychose qui nous enseigne qu'une modification, même aussi poussée, de la vie psychique peut disparaître et faire place à un fonctionnement normal. Pouvons-nous dès lors, sans trop de hardiesse, espérer agir sur les maladies spontanées et si redoutables du psychisme et les guérir ? Certains faits nous permettent de le supposer.

Nous postulons que le moi se voit obligé de satisfaire tout à la fois les exigences de la réalité, celles du ça et du surmoi, tout en préservant sa propre organisation et en affirmant son autonomie. Seul un affaiblissement relatif ou total du moi peut l'empêcher de réaliser ses tâches et conditionne par là les états morbides. C'est sans doute pour contenir les exigences pulsionnelles du ça que le moi doit soutenir la lutte la plus âpre et il y dépense en contre-investissements de grandes quantités d'énergie. Mais les exigences du surmoi peuvent, elles aussi, devenir si fortes, si cruelles, que le moi se trouve comme paralysé devant ses autres tâches. Nous soupçonnons que, dans ces conflits économiques, le ça et le surmoi ont souvent partie liée contre le moi accablé qui, pour se maintenir en son état normal, cherche à s'accrocher à la réalité. Si les deux autres instances deviennent trop puissantes, elles réussissent à désorganiser et à modifier le moi, de telle sorte que ses relations avec la réalité s'en trouvent gênées, voire abolies. Nous avons pu constater, en étudiant le rêve, que lorsque le moi se détache de la réalité du monde extérieur, il glisse, sous l'emprise du monde intérieur, dans la psychose.

C'est sur cette manière de considérer les choses que nous établissons notre plan de traitement. Le moi est affaibli par un conflit interne et il convient de lui porter secours. Tout se passe comme dans certaines guerres civiles où c'est un allié du dehors qui emporte la décision. Le médecin analyste et le moi affaibli du malade doivent, en s'appuyant sur le monde réel, se liguer contre les ennemis : les exigences pulsionnelles du ça et les exigences morales du surmoi. Un pacte est conclu. Le moi malade du patient nous promet une franchise totale, c'est-à-dire la libre disposition de tout ce que son autoperception lui livre. De notre côté, nous lui assurons la plus stricte discrétion et mettons à son service notre expérience dans l'interprétation du matériel influencée par l'inconscient. Notre savoir compense son ignorance et permet au moi de récupérer et de gouverner les domaines perdus de son psychisme. C'est ce pacte qui constitue toute la situation analytique.

Mais ce pas une fois franchi, une première déception, un premier rappel à la modestie, nous attendent. Pour que le moi devienne, au cours du travail en commun, un allié précieux, il faut que malgré toutes les pressions qu'exercent sur lui les puissances ennemies, il ait conservé une certaine dose de cohérence, quelque compréhension des exigences de la réalité. Or, c'est là justement ce que le moi du psychosé n'est plus capable de nous donner car il ne saurait être fidèle à notre pacte. À peine, en effet, peut-il y souscrire. Très vite, il nous aura relégués, nous et l'aide que nous lui apportons, dans ces parties du monde extérieur qui, pour lui, ne signifient plus rien. Nous constatons alors qu'il faut renoncer à essayer sur les psychosés notre méthode thérapeutique. Peut-être ce renoncement sera-t-il définitif, peut-être aussi n'est-il que provisoire et ne durera-t-il que jusqu'au moment où nous aurons découvert, pour ce genre de malades, une méthode plus satisfaisante.

Cependant il existe une autre catégorie de malades psychiques, en apparence très proches des psychosés, je veux parler de l'immense foule des névrosés gravement atteints. Les causes aussi bien que les mécanismes pathogéniques de leur maladie doivent être identiques ou tout au moins très semblables à ceux des psychosés. Mais leur moi, malgré tout, s'est révélé plus résistant, moins désorganisé. En dépit de leurs troubles et des dommages qui en résultent, un grand nombre de ces malades restent encore dans la vie réelle et se montrent parfois disposés à accepter notre aide. C'est leur cas qui doit nous intéresser et nous verrons jusqu'à quel point et par quelles voies nous pourrons les « guérir ».

Voici donc conclu notre pacte avec les névrosés : sincérité totale contre discrétion absolue. Notre rôle ne sera-t-il pas celui d'un confesseur mondain ? Non, car la différence est considérable. Nous ne demandons pas seulement au patient de dire ce qu'il sait, ce qu'il dissimule à autrui, mais aussi ce qu'il ne sait pas. C'est pourquoi nous lui expliquons plus en détail ce que nous entendons par sincérité. Nous l'obligeons à obéir à la règle fondamentale analytique qui doit désormais régir son comportement à notre égard. Le patient est obligé de nous révéler non seulement ce qu'il raconte intentionnellement et de bon gré, ce qui le soulage comme une confession, mais encore tout ce que lui livre son introspection, tout ce qui lui vient à l'esprit même si cela lui est désagréable à dire, même si cela lui semble inutile, voire saugrenu. Si, après ces injonctions, le malade réussit à supprimer son autocritique, il nous livre une quantité de matériel, de pensées, d'idées, de souvenirs, qui subissent déjà l'influence de l'inconscient et sont souvent des rejetons directs de ce dernier. Nous sommes alors en mesure de deviner le matériel refoulé du patient, de le lui communiquer et de permettre à son moi de connaître mieux l'inconscient.

Gardons-nous bien cependant de croire que le rôle du moi se borne à être passivement obéissant, à nous apporter le matériel demandé et à admettre les interprétations que nous lui en donnons. Bien d'autres faits se produisent encore, dont quelques-uns sont prévisibles tandis que d'autres ne laissent pas de nous surprendre. Chose très étrange, le patient ne se contente pas de considérer son analyste sous le jour de la réalité, de le regarder comme un soutien et un conseiller, rémunéré de sa peine, qui se contenterait volontiers du rôle dévolu à un guide montagnard pendant une difficile ascension. Non, l'analysé considère son analyste comme le retour, la réincarnation, d'un personnage important de son passé infantile, et c'est pourquoi il lui voue des sentiments et manifeste des réactions certainement destinés au modèle primitif. L'on se rend bientôt compte de l'importance insoupçonnée de ce facteur du transfert qui, d'une part, offre un secours irremplaçable et, d'autre part, peut aussi constituer une source de périls graves. Ce transfert est ambivalent et comporte à la fois des attitudes tendres, positives et hostiles, négatives, à l'égard de l'analyste qui est généralement mis par le patient à la place de l'un de ses parents, soit le père, soit la mère. Tant que le transfert reste positif, il nous rend les plus grands services, en modifiant toute la situation analytique, en reléguant au second plan le but rationnel de ne plus souffrir et de recouvrer la santé. Ce dessein cède la place à celui de complaire à l'analyste et d'obtenir son approbation et sa tendresse. Le transfert devient ainsi la véritable force motrice de la participation du patient au travail analytique ; sous cette influence, le moi faible se renforce et le patient accomplit certains actes qui, sans cela, eussent été impossibles. Ses symptômes disparaissent et il semble guérir rien que par amour pour son analyste. Mais ce dernier doit humblement s'avouer à lui-même qu'il a entrepris là une lourde tâche sans soupçonner de quel extraordinaire pouvoir il allait disposer.

La situation de transfert offre encore deux autres avantages. Si le patient substitue l'analyste à son père (ou à sa mère), il lui confère en même temps le pouvoir que son surmoi exerce sur son moi, puisque ce sont justement ses parents qui ont été, comme nous savons, l'origine de ce surmoi. Le nouveau surmoi a donc la possibilité de procéder à une post-éducation du névrosé et peut rectifier certaines erreurs dont les parents furent responsables dans l'éducation qu'ils donnèrent. C'est d'ailleurs sur ce point qu'il convient de ne pas mésuser de l'influence qu'on a prise. Si tenté que puisse être l'analyste de devenir l'éducateur, le modèle et l'idéal de ses patients, quelque envie qu'il ait de les façonner à son image, il lui faut se rappeler que tel n'est pas le but qu'il cherche à atteindre dans l'analyse et même qu'il commet une faute en se laissant aller à ce penchant. En agissant de la sorte, il ne ferait que répéter l'erreur des parents dont l'influence a étouffé l'indépendance de l'enfant et que remplacer l'ancienne sujétion par une nouvelle. L'analyste, lorsqu'il s'efforce d'améliorer, d'éduquer son patient, doit toujours respecter la personnalité de celui-ci. Le degré d'influence dont il pourra légitimement se servir doit être déterminé par le degré d'inhibition dans le développement actuel du patient. Certains névrosés sont demeurés à tel point infantiles qu'il convient, même dans l'analyse, de ne les traiter que comme des enfants.

Un autre avantage offert par le transfert est d'inciter le malade à faire se dérouler nettement sous nos yeux un important fragment de son histoire. Sans le transfert, il ne nous aurait probablement fourni que des renseignements insuffisants. Tout se passe comme s'il agissait devant nous, au lieu de seulement nous renseigner.

Passons maintenant à l'autre aspect de la situation. Comme le transfert reproduit l'attitude qu'avait eue le patient à l'égard de ses parents, il lui emprunte également son ambivalence. Il n'est guère possible d'éviter, qu'un jour ou l'autre, l'attitude positive à l'égard de l'analyste se transforme en une attitude négative et hostile, ce qui constitue aussi généralement une répétition du passé. La soumission de l'enfant à son père (s'il s'agit de ce dernier), la recherche de sa faveur, ont leurs racines dans le désir érotique dont ce père était l'objet. Un beau jour, le même désir s'impose aussi dans le transfert, exige d'être satisfait, mais ne peut, dans la situation analytique, aboutir qu'à une frustration. Il ne doit y avoir aucun rapport sexuel réel entre les patients et l'analyste, et des satisfactions plus délicates, telles que les témoignages de préférence, une certaine intimité, ne doivent être que très parcimonieusement accordées. Le dédain de l'analyste fournit ainsi l'occasion d'un retournement du transfert. Les choses durent vraisemblablement se passer de la même manière dans l'enfance du patient.

Les résultats thérapeutiques obtenus grâce à l'emprise du transfert positif ne seraient-ils pas dus à la suggestion ? On pourrait se le demander. Dans le cas où le transfert négatif a le dessus, les résultats obtenus sont balayés comme fétus de paille au vent. On constate alors avec effroi que l'on a travaillé et peiné pour rien. Ce qu'on a pu même considérer comme un gain intellectuel durable pour le patient, sa compréhension de la psychanalyse, sa confiance dans l'efficacité de ce traitement, ont disparu soudain. Le patient se comporte à la façon d'un enfant, dénué de jugement personnel, qui croit aveuglément tout ce que lui raconte quelqu'un qu'il aime et refuse d'ajouter foi aux dires des étrangers. Manifestement, le danger de ces états de transfert tient à ce que le patient en méconnaît la nature véritable et les prend pour des faits nouveaux réels alors qu'ils ne sont que des reflets du passé. Si le ou la malade ressent le puissant désir érotique qui se dissimule derrière le transfert positif, il se croit passionnément épris ; si le transfert s'inverse, le sujet se sent offensé, délaissé, il hait l'analyste comme un ennemi et est tout prêt à abandonner son analyse. Dans ces deux cas extrêmes, il oublie le pacte auquel il a souscrit au début du traitement et devient incapable de poursuivre le travail en commun. La tâche de l'analyste est alors d'arracher chaque fois le patient à sa dangereuse illusion, de lui montrer sans cesse que ce qu'il prend pour une réalité nouvelle n'est qu'un reflet du passé. Pour empêcher son malade de tomber dans un état dont aucun raisonnement probant n'arriverait à le faire sortir, l'analyste veille à ce que ni les sentiments amoureux ni les sentiments hostiles n'atteignent un degré excessif. Il y parvient en mettant de bonne heure le patient en garde contre ces éventualités et en n'en laissant pas passer inaperçus les premiers indices. Le soin avec lequel on veille au maniement du transfert est un sûr garant de succès. Lorsqu'on réussit, comme il arrive généralement, à éclairer les patients sur la nature véritable des phénomènes de transfert, on enlève aux résistances une arme puissante, on transforme les dangers en gains. En effet, ce que le patient a vécu sous la forme d'un transfert, jamais plus il ne l'oublie et cela comporte pour lui une force plus convaincante que tout ce qu'il a acquis par d'autres moyens.

Il n'est nullement souhaitable que le patient, en dehors du transfert, agisse au lieu de se souvenir. L'idéal, à notre point de vue, est qu'il se comporte aussi normalement que possible en dehors du traitement et qu'il ne manifeste de réactions anormales que dans le transfert.

C'est en apprenant au moi à se mieux connaître que nous parvenons à le fortifier. Nous savons que ce n'est là cependant qu'un premier pas. Se mal connaître, c'est pour le moi perdre de sa force et de son influence, c'est là le signe le plus tangible du fait qu'il est rétréci, entravé par les exigences du ça et du surmoi. C'est pourquoi nous commençons nous-mêmes par nous livrer à un travail intellectuel en invitant le patient à y participer. Nous savons bien que ce premier genre d'activité a pour but de nous frayer la voie vers une autre tâche plus ardue dont il convient, même durant le travail préliminaire, de ne pas oublier le côté dynamique. Le matériel de notre travail nous vient de diverses sources : des dires du patient, de ses associations libres, de ses manifestations de transfert, de l'interprétation de ses rêves et enfin de ses actes manqués. Tout cela nous aide à reconstituer ses expériences passées, ce qu'il a oublié aussi bien que ce qui se passe actuellement en lui sans qu'il le comprenne. Cependant en agissant de la sorte nous ne devons jamais confondre ce que nous savons, nous, avec ce qu'il sait, lui. Évitons de lui faire immédiatement part de ce que nous croyons très tôt avoir deviné. Réfléchissons longuement avant de décider du moment où il conviendra de lui faire connaître nos déductions, attendons l'instant propice qui n'est pas toujours facile à déterminer. En règle générale, nous attendons, pour lui communiquer notre reconstitution, nos explications, que le patient soit lui-même si prêt de les saisir qu'il ne lui reste plus qu'un pas à faire pour effectuer cette décisive synthèse. Si nous procédions autrement, si nous lui jetions à la tête, avant qu'il y ait été préparé, nos interprétations, celles-ci resteraient inefficaces ou provoqueraient une violente explosion de résistance qui gênerait ou même compromettrait la continuation du travail. Mais, si nous prenons toutes les précautions nécessaires, nous constatons souvent que le patient confirme immédiatement nos déductions et se souvient lui-même du phénomène intérieur ou extérieur oublié. Plus la reconstitution concorde avec les détails du fait oublié, plus il est facile au patient de nous donner son assentiment. En l'occurrence, notre savoir est devenu le sien.

En parlant de la résistance nous arrivons à la deuxième partie, plus importante encore, de notre tâche. Nous savons déjà que le moi se défend contre la pénétration d'éléments indésirables venus du ça inconscient et refoulé à l'aide de contre-investissements dont l'intégrité assure le fonctionnement normal. Plus le moi se sent accablé, plus il se cramponne, comme saisi d'effroi, à ces contre-investissements et cela dans le but de défendre tout ce qui lui reste encore contre d'autres irruptions. Ces tendances défensives toutefois ne s'accordent pas avec le but du traitement. Ce que nous désirons, au contraire, c'est voir le moi, encouragé par nous, sûr de notre aide, tenter une attaque pour reconquérir ce qu'il a perdu. Pour nous, l'intensité de ces contre-investissements se traduit par des résistances qui s'opposent à nos efforts. Le moi s'effraye de tentatives qui lui semblent dangereuses et menacent de provoquer du déplaisir. Afin d'éviter qu'il ne se dérobe, il faut continuellement l'encourager et le rassurer. Assez incorrectement du reste, nous appelons cette résistance, qui persiste pendant tout le traitement et se renouvelle chaque fois que nous passons à une nouvelle phase du travail, résistance du refoulement. Nous verrons que cette résistance n'est pas la seule que nous ayons à affronter. Notons que, dans cette situation, les alliances sont, dans une certaine mesure, inversées, car le moi résiste à nos suggestions, tandis que l'inconscient, notre adversaire habituel, accourt à notre aide parce que, dans sa poussée ascendante, il aspire naturellement à franchir les barrières qui lui font obstacle pour pénétrer dans le moi jusque dans la conscience. Si nous avons gain de cause en incitant le moi à vaincre ses résistances, la lutte qui s'engage se poursuit sous notre direction et avec notre appui. L'issue importe peu : ou bien le moi, après un nouvel examen, admet une exigence pulsionnelle auparavant repoussée ou bien il la rejette de nouveau et cette fois définitivement. Dans les deux cas, en effet, un danger permanent a été écarté, le champ du moi s'est élargi et un coûteux gaspillage d'énergie est devenu superflu.

Vaincre les résistances, c'est de toutes les parties de l'analyse celle qui nous prend le plus de temps et nous donne la plus grande peine. Mais l'effort fourni porte ses fruits en provoquant dans le moi une modification favorable qui persistera toute la vie quel que soit, par ailleurs, le sort du transfert. En même temps nous nous sommes efforcés de supprimer la modification du moi provoquée par l'inconscient. En effet, chaque fois que nous avons constaté, dans le moi, la présence de dérivés de l'inconscient, nous avons décelé leur origine illégitime et incité le moi à les rejeter. Rappelons-nous que l'une des conditions essentielles de notre pacte d'assistance était que l'intrusion d'éléments inconscients dans le moi ne fût pas exagérée.

À mesure que se poursuit notre travail et que s'approfondit notre connaissance du psychisme des névrosés, nous constatons toujours plus nettement que deux autres sources de résistance, deux facteurs nouveaux méritent toute notre attention ; tous deux, totalement ignorés du malade, n'ont pu être pris en considération au moment de la conclusion de notre pacte ; ils n'émanent pas non plus du moi du patient. On peut les réunir sous le terme de « besoin d'être malade » ou « besoin de souffrir », mais bien qu'apparentés, leur origine est différente. Le premier de ces deux facteurs est le sentiment de culpabilité ou la conscience d'être coupable, ainsi qu'on l'appelle en négligeant le fait que le malade ne le ressent ni ne le connaît. Ce sentiment est évidemment dû à la résistance opposée par un surmoi devenu particulièrement dur et cruel. Si le patient doit ne pas guérir, continuer à être malade, c'est parce qu'il ne mérite pas mieux. Cette résistance, tout en ne gênant pas notre travail intellectuel, le rend inefficace ; si elle nous permet souvent de supprimer telle ou telle forme de la névrose, elle se montre aussitôt prête à la remplacer par une autre, éventuellement par quelque maladie organique. Ce sentiment de culpabilité explique aussi comment certains névrosés, atteints de troubles graves, peuvent guérir ou voir leur état s'améliorer du fait de malheurs réels. C'est qu'en réalité une seule chose importe : être malheureux — et cela de n'importe quelle façon. La muette résignation avec laquelle de pareils sujets supportent un destin parfois cruel est très surprenante, mais aussi très révélatrice. Pour combattre cette résistance, nous nous bornons à la rendre consciente et essayons de détruire progressivement le surmoi hostile.

Il est moins facile de démontrer l'existence d'une autre résistance en face de laquelle nous sommes particulièrement désarmés. On trouve parmi les névrosés certains individus chez qui, à en juger par toutes leurs réactions, l'instinct de conservation a subi un véritable retournement. Ils semblent n'avoir d'autre dessein que de se nuire à eux-mêmes et de se détruire. Peut-être les gens qui finissent par se suicider appartiennent-ils à cette catégorie. Nous pensons que, chez eux, des désintrications de pulsions très poussées ont dû se produire et provoquer la libération de quantités excessives de l'instinct de destruction tourné vers le dedans. Ces sortes de patients ne tolèrent pas l'idée d'une possible guérison par notre traitement et tous les moyens leur sont bons pour contrecarrer nos efforts. Confessons toutefois que nous ne sommes pas encore parvenus à parfaitement expliquer ce cas.

Jetons, une fois encore, un coup d'œil sur la situation que nous avons créée en tentant de secourir un moi névrotique. Il s'agit d'un moi. incapable d'assumer les tâches que lui impose le monde extérieur, y compris la société humaine. Toutes ses expériences passées lui échappent ainsi qu'une grande partie de son trésor en souvenirs. Son activité est inhibée par les sévères interdictions du surmoi, son énergie s'épuise en vains efforts de défense contre les exigences du ça, en outre les incessantes irruptions de ce dernier ont nui à son organisation. Incapable, par suite, de réaliser une véritable synthèse, il est morcelé, déchiré par des tendances contradictoires, par des conflits non liquidés, par des doutes non levés. Au début, nous permettons à ce moi affaibli de notre patient de participer au travail purement intellectuel d'interprétation, ce qui comble provisoirement les lacunes de son avoir psychique, nous nous faisons transférer l'autorité du surmoi ; nous incitons le moi à lutter contre chacune des exigences du ça et à vaincre les résistances qui surgissent alors. En même temps nous remettons de l'ordre dans le moi en y dépistant les contenus et les impulsions émanées de l'inconscient que nous soumettons à la critique en les ramenant à leur origine. C'est en assumant diverses fonctions, en devenant pour le patient une autorité et un substitut de ses parents, un maître et un éducateur que nous pouvons lui être utile. Le mieux que nous puissions faire pour lui est, dans notre rôle d'analyste, de ramener à un niveau normal les processus psychiques de son moi, de transformer ce qui est devenu inconscient, ce qui a été refoulé, en préconscient, pour le rendre ainsi au moi. Du côté du patient, certains facteurs rationnels jouent en notre faveur : le besoin de guérir issu de ses souffrances, l'intérêt intellectuel que nous parvenons à susciter chez lui pour les théories et les découvertes de la psychanalyse, mais, par-dessus tout cependant, le transfert positif à notre égard. D'autres facteurs toutefois agissent contre nous : le transfert négatif, la résistance qu'oppose le moi au défoulement, c'est-à-dire le déplaisir provoqué par le dur travail imposé, le sentiment de culpabilité issu des relations du moi avec le surmoi, enfin le besoin d'être malade causé par de profondes modifications de l'économie instinctuelle. Ce sont ces deux derniers facteurs qui nous permettent de juger de la gravité ou de la bénignité d'un cas. En dehors de tous ces facteurs, d'autres encore, en petit nombres favorables ou défavorables, méritent d'être mentionnés. Une certaine inertie psychique, un manque de mobilité de la libido qui refuse d'abandonner ses fixations, nous sont nuisibles ; la capacité de sublimation des instincts, dont dispose le sujet, joue un grand rôle ainsi que sa faculté de s'élever au-dessus de la vie pulsionnelle grossière et aussi la relative puissance de ses fonctions intellectuelles.

Nous sommes ainsi amenés à conclure que le résultat final de la lutte engagée dépend de rapports quantitatifs, de la somme d'énergie que nous mobilisons chez le patient à notre profit par rapport à la quantité d'énergie dont disposent les forces qui agissent contre nous. N'en soyons pas déçus, sachons, au contraire, le comprendre. Une fois de plus, Dieu combat ici aux côtés du plus fort. Avouons-le, notre victoire n'est pas toujours certaine, mais nous savons du moins, en général, pourquoi nous n'avons pas gagné. Quiconque ne veut considérer nos recherches que sous l'angle de la thérapeutique nous méprisera peut-être après un tel aveu et se détournera de nous. En ce qui nous concerne, cette thérapeutique ne nous intéresse ici que dans la mesure où elle se sert de méthodes psychologiques, pas autrement, pour le moment. L'avenir nous apprendra peut-être à agir directement, à l'aide de certaines substances chimiques, sur les quantités d'énergie et leur répartition dans l'appareil psychique. Peut-être découvrirons-nous d'autres possibilités thérapeutiques encore insoupçonnées. Pour le moment néanmoins nous ne disposons que de la technique psychanalytique, c'est pourquoi, en dépit de toutes ses limitations, il convient de ne point la mépriser.