2009-04-16T11:32:02.640000000PT1H55M47S10LibreOffice/5.1.2.2$Windows_X86_64 LibreOffice_project/d3bf12ecb743fc0d20e0be0c58ca359301eb705f2016-06-05T16:29:59.690000000La régression1952 Développement de la psycha de Klein, trad puf 1966
écrit en collaboration avec Isaacs. S.
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III. – Quelques considérations provenant de l’examen des conclusions de Freud sur les pulsions de vie et de mort
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Paula Heimann et Susan Isaacs
Chapitre V. La régression
Table des matières
Table des matières
I. – Introduction3
II. – Données provenant de bébés ou d’enfants très petits8
Facteurs provoquant la fixation et la régression11
III. – Quelques considérations provenant de l’examen des conclusions de Freud sur les pulsions de vie et de mort25
La régression, la fixation et les pulsions destructrices25
La régression et l’inhibition34
La régression et la défusion36
I. – Introduction
Le terme de régression a été utilisé par Freud et par d’autres auteurs dans de multiples acceptions.
Au sens que nous examinerons ici, Freud l’utilise pour désigner le mouvement en arrière de la libido qui rétrograde sur sa voie de développement antérieure jusqu’à un certain point – processus qui se produit sous des formes caractéristiques dans les différents types de maladie mentale. Ce concept de régression de la libido est étroitement relié aux conclusions de Freud sur le cours évolutif de la libido et sur ses « points de fixation », conclusions qui complètent la notion de régression et ont été formulées pari passu avec elle.
Comme on sait, Freud a découvert que la pulsion sexuelle telle qu’on la trouve chez l’adulte est un ensemble complexe de pulsions et de sensations composantes, qui mettent en jeu divers organes et membranes du corps. Elle a une histoire évolutive compliquée qui commence dès les premiers jours. Le travail psychanalytique a montré que ces pulsions et ces sensations sont liées à des sentiments et à des phantasmes spécifiques, et le concept de « psychosexualité » est devenu indispensable pour comprendre la vie sexuelle des êtres humains. La sexualité passe par diverses phases (orale, anale et génitale), dans chacune desquelles l’une des zones érogènes principales fait prédominer son but. Les phases antérieures ne disparaissent pas complètement, mais elles se subordonnent plus ou moins aux buts ultérieurs. Chez la personne normale, la vie libidinale comme totalité arrive à s’intégrer sous la primauté de l’organe génital, de ses buts et de ses satisfactions.
L’ordre et les caractéristiques essentielles de ce développement de la libido sont biologiquement déterminés, et proviennent de sources organiques. Il ne dépend pas intrinsèquement des circonstances ou de l’expérience. Pourtant, à chaque phase de son histoire, il reste profondément accessible aux événements psychiques, et répond à des influences extérieures et intérieures, quantitatives et qualitatives.
Ces facteurs internes ou externes peuvent arrêter la progression d’une partie de la libido à chaque point du développement. Cette partie reste alors liée à ce point à un degré plus ou moins grand. Dans certaines conditions, la libido est susceptible de refluer vers des stades antérieurs du développement, vers ces « points de fixation », qui exercent une attraction sur la libido en progrès.
Freud définit la « fixation » comme « un attachement particulièrement étroit de l’instinct à son objet ». (L’objet peut être un objet extérieur ou une partie du corps propre du sujet.) Il dit que cette fixation « se réalise très souvent en des périodes très précoces de l’évolution de la pulsion, et met fin à la mobilité de celle-ci en s’opposant intensément à sa libération »1
Les pulsions et leur destin (1915), trad. Marie Bonaparte et Anne Bermann, p. 35..
Les fixations n’entravent pas seulement le développement sexuel comme tel, en empêchant le progrès normal de la libido d’une zone érogène à une autre et des objets primitifs aux objets ultérieurs. Elles peuvent aussi limiter la capacité du sujet de réaliser des sublimations, puisque la sublimation dépend de l’abandon relatif des objets et des modes de satisfaction primaires en faveur d’objets substitutifs et de formes dérivées (symboliques) d’activité. La fixation peut aussi amener à l’inhibition du développement du moi, celui-ci devant renoncer à celles de ses fonctions qui sont trop étroitement liées aux fixations précoces.
Toute maladie mentale implique, en quelque mesure et sous quelque forme, une régression de la libido à des points de fixation précoces. La régression est un phénomène d’importance capitale dans l’étiologie des névroses, des psychoses et de l’involution du caractère. Dans l’hystérie, la libido régresse en ce qui concerne des objets, et recherche les premières amours incestueuses, alors que son but reste (surtout) génital. Dans la névrose obsessionnelle (et dans certaines formes de détérioration du caractère) « la régression de la libido vers la phase préliminaire de l’organisation sadique-anale constitue le fait le plus frappant et celui qui marque de son empreinte toutes les manifestations symptomatiques »2
Introduction à la psychanalyse, trad. Jankélévitch, p. 370..
Dans Inhibition, symptôme et angoisse, Freud mentionne aussi l’effet de la régression de la libido sur le surmoi dans la névrose obsessionnelle : « À la destruction du complexe d’Œdipe s’ajoute un avilissement régressif de la libido ; le surmoi devient particulièrement sévère et sans amour ; le moi développe, par l’obéissance au surmoi, de fortes réactions de scrupule, de pitié, de propreté… » (trad. Jury et Fraenckel, p. 37).
Ainsi ces transformations régressives n’impliquent pas seulement la vie sexuelle ; elles affectent les sublimations, les émotions et la personnalité tout entière du sujet. C’est la totalité complexe des multiples mécanismes en interaction et en équilibre dans la vie psychique qui se trouve altérée quand la régression se produit. On le voit clairement dans la névrose obsessionnelle et dans les psychoses, mais c’est aussi vrai dans l’hystérie, quoique sous une forme moins dramatique.
Les observations de Freud sur ces faits dans la vie psychique adulte ont été confirmées par les analystes qui ont travaillé directement avec de jeunes enfants. Chaque analyste redécouvre leur vérité à propos de chaque patient, et beaucoup d’auteurs ont amplifié et précisé les détails et notre connaissance. Les contributions d’Abraham en ce domaine ont été particulièrement remarquables, et seront examinées plus avant. La découverte par Ernest Jones de l’effet de la fixation anale sur le caractère a influencé tous les travaux ultérieurs. Et nous ne pouvons citer ici tous les apports de valeur à notre connaissance qu’ont réalisés bien d’autres analystes.
La conception classique en ce qui concerne les causes de régression met l’accent sur le barrage de la libido. Ce barrage peut alors provenir soit de facteurs externes (frustration), soit de facteurs internes (fixation, inhibition du développement, afflux biologiques de libido à la puberté ou à la ménopause). Les deux séries de facteurs donnent naissance à une intensification de la libido qui ne peut être satisfaite ou administrée, et qui par suite perturbe l’équilibre interne du psychisme et provoque une tension intolérable. On accorde donc une grande importance au facteur quantitatif.
Ces premières formulations au sujet des causes de régression doivent être révisées à la lumière des découvertes de Freud sur la pulsion de mort et à celle de la meilleure connaissance du premier développement psychique que nous a permise l’analyse des enfants très petits. Les théories de Freud ont été échafaudées sur un matériel obtenu surtout dans l’analyse des adultes, auquel s’ajoute la brève étude d’un enfant de cinq ans et quelques observations sur des bébés ou des enfants en bas âge. Le travail de Mélanie Klein, dans ses observations beaucoup plus étendues et dans ses analyses d’enfants très petits, a beaucoup accru le nombre des faits bien connus sur la régression, et a donné de nouveaux éclaircissements sur les relations entre ces faits. Le résultat de ces observations plus complètes s’accorde avec les modifications dans notre opinion sur les causes de régression qui sont exigées par les derniers travaux de Freud.
II. – Données provenant de bébés ou d’enfants très petits
En travaillant directement avec des enfants petits, dans l’analyse, ou lorsqu’on les observe dans une perspective analytique, on a l’occasion d’observer les expériences de l’enfant dans les toutes premières phases de son développement libidinal au moment où la fixation se produit, et de voir ainsi la relation des désirs libidinaux avec les pulsions agressives, l’angoisse suscitée par les diverses pulsions dans telle ou telle circonstance, les toutes premières défenses contre l’angoisse et les moyens de contrôler la pulsion. On peut observer directement la relation de l’enfant avec ses objets dans chaque situation particulière des sentiments et des pulsions, les expressions changeantes et multiples de ses phantasmes à propos de ses objets, aussi bien que les processus primitifs de formation et de déplacement des symboles, les premières sublimations et les premières fixations. On peut noter, en outre, le contexte de sentiments dans lequel s’établissent tous ces processus – la façon dont à ce moment les multiples émotions de l’enfant – l’amour, la haine, la peur, la colère, la culpabilité, la joie et la peine – se produisent dans des situations changeantes. De telles études simultanées des changements dans les sentiments, les pulsions et les phantasmes apportent des confirmations de valeur aux idées sur la fixation auxquelles peut arriver un travail rétrospectif partant des souvenirs des adultes ou des enfants plus grands. Elles permettent aussi d’acquérir une perspective plus juste sur l’importance relative qu’on doit accorder aux divers éléments de la situation et un sens plus exact de l’interaction complexe des facteurs.
À titre d’exemple, nous pouvons considérer brièvement un cas de jeu enfantin. Une petite fille de seize mois joue fréquemment à son jeu favori avec ses parents. Elle fait semblant de prendre de petits morceaux d’un paravent de cuir brun repoussé, dans la salle à manger ; elle apporte ces petits morceaux d’aliment imaginaire entre son pouce et son index à travers la pièce, et elle les introduit alternativement dans la bouche de son père et dans celle de sa mère. Elle choisit le paravent brun, d’où dépassent de petits bouts de cuir, parmi tous les autres objets de forme et de couleur variées qui se trouvent dans la pièce, pour représenter l’« aliment » qu’elle veut donner à ses parents. D’après l’expérience analytique courante on peut penser que ces petits morceaux bruns représentent des matières fécales, et on peut lier ainsi le jeu d’alimenter ses parents de matières fécales symboliques avec une expérience antérieure de l’enfant. Plusieurs fois auparavant (entre douze et seize mois) l’enfant s’était barbouillée de ses matières fécales alors qu’elle était couchée dans son lit au début de la matinée, et elle les avait portées à sa bouche. Les parents l’avaient grondée et lui avaient fait des reproches pour cette conduite. Elle transforme donc en un jeu agréable une situation d’angoisse et de culpabilité. L’expérience de manger ses matières fécales et de se barbouiller avec est encore active dans son psychisme : sa libido est fixée. Les reproches de ses parents provoquent encore sa détresse. Quand elle est avec eux, elle craint d’être grondée et menacée par eux – comme le montre son inquiétude s’ils refusent de se prêter à son jeu. Ce n’est pourtant pas seulement le souvenir de leurs reproches réels qui l’inquiète, mais aussi l’angoisse surgissant des pulsions agressives exprimées dans le fait de se barbouiller avec des matières fécales, qui (suppose-t-elle), peut leur avoir causé du mal et les avoir rendus hostiles à son égard3
Dans Malaise dans la civilisation (1929), (Revue française de Psychanalyse, t. VII, n° 4, 1934, p. 753), Freud a exprimé son accord avec l’avis de Mélanie Klein, selon lequel, comme il le dit : « La rigueur originelle du surmoi n’est point, ou n’est pas tellement, celle qu’on a éprouvée de sa part, mais bien notre propre agressivité tournée contre ce surmoi. ».
Dans son jeu actuel, qui, comme on peut le voir dans les expressions de l’enfant, lui procure un grand plaisir et des satisfactions libidinales de plusieurs sortes – celle de continuer à manier des matières fécales sous forme symbolique, celle d’obtenir les sourires de ses parents, en jouant le rôle de la mère qui alimente – elle surmonte l’angoisse et la culpabilité qui lient sa libido à l’expérience originaire de se barbouiller avec les matières fécales et de les manger. Elle fait un effort pour sublimer ses pulsions sadique-orales et sadique-anales. Elle montre ses désirs de réparation dans sa tentative de « nourrir » ses parents : mais en les nourrissant de « matières fécales » elle les oblige aussi à partager sa culpabilité, et elle essaye de prouver que le fait de manger les matières fécales n’empoisonne pas et ne détruit pas.
Si nous rapprochons les épisodes où l’enfant a réellement mangé ses matières fécales, et s’est barbouillée avec elles, du jeu fréquent et agréable qui a bientôt suivi ces épisodes, nous pouvons dire que le jeu lui-même peut être considéré comme la naissance d’une sublimation, et que pourtant il exprime en même temps une fixation puissante. Et nous pouvons voir comment le plaisir libidinal contenu dans la fixation est utilisé pour surmonter des sentiments d’angoisse et de culpabilité. (Jusqu’à quel point cette fixation particulière deviendra intense et définie, nous ne pouvons le dire sans connaître en détail l’histoire ultérieure de l’enfant, mais en tout cas la fixation sera influencée aussi par des expériences ultérieures.)
L’expérience originaire de manger les matières fécales et de s’en barbouiller était probablement aussi une manière de surmonter les pulsions agressives et l’angoisse au moyen du plaisir libidinal. Elle s’était produite au petit matin, quand l’enfant était seule dans son lit – dans les circonstances où cette conduite se produit presque toujours. Grâce à ce recours, l’enfant pouvait éviter de crier et de déranger ses parents – comme le petit garçon de dix-huit mois décrit par Freud pouvait permettre sans protester que sa mère le quittât parce qu’il jouait alors avec sa bobine de fil. C’est comme si, de cette manière la petite fille pouvait éloigner la peur de l’inanition et la crainte de perdre ses parents, aussi bien que son désir de les attaquer avec ses cris – et toute l’angoisse que cette attaque fait surgir4
Cf. Searl, The Psychology of Screaming (La psychologie des cris) (1933)..
Nous allons maintenant formuler brièvement quelques conclusions générales sur les causes de fixation et de régression qui se dégagent d’une étude des bébés et des enfants en bas âge, conclusions qui remplissent les lacunes des descriptions antérieures et rectifient leurs perspectives.
Facteurs provoquant la fixation et la régression
L’histoire de la libido a été considérée depuis longtemps comme l’un des aspects essentiels du développement. Comme on l’a vu, on doit la considérer dans ses rapports avec tous les autres phénomènes psychiques à chaque stade évolutif. Les phases successives n’affectent pas seulement les mécanismes caractéristiques du moment considéré, mais aussi les autres sources d’énergie pulsionnelle, et tous les types d’émotions et d’activité intellectuelle. En bref : elles modèlent la totalité de la vie psychique dans chacune de ses étapes.
a) La qualité et l’intensité des sentiments sont profondément affectées par le stade du développement libidinal ; et en retour les émotions contribuent à déterminer les fixations et le développement ultérieur de la libido. Nous voudrions insister sur le fait que les sentiments et leurs vicissitudes sont toujours des données essentielles pour la compréhension de chaque phase du développement libidinal, ou du développement comme totalité. En particulier, nous avons appris que le développement de la libido ne peut être compris que dans son rapport avec le sentiment d’angoisse et avec les situations et les pulsions qui lui donnent naissance.
b) L’influence de l’angoisse sur le développement libidinal est hautement complexe ; elle varie avec l’interaction de la constitution psychique de l’enfant et des circonstances de sa vie à chacune de ses crises. De toute façon, c’est toujours un facteur capital.
Quand elle est stimulée avec trop d’intensité (par n’importe quelle situation) l’angoisse contribue à la fixation de la libido au point considéré et peut freiner le développement ultérieur. Une fixation doit donc être comprise en partie comme une défense contre l’angoisse. On observe couramment que le plaisir libidinal – qu’il soit oral, anal ou génital – peut être utilisé ainsi comme défense. Par exemple on a souvent remarqué que les enfants peuvent se masturber à l’école sous la pression d’une crainte ou d’une angoisse.
D’un autre côté, si, dans des circonstances plus favorables, l’angoisse est éveillée, mais pas à un degré insupportable, elle sert à augmenter le désir et elle agit comme un stimulant du développement libidinal. Dans beaucoup de ses études cliniques, Mélanie Klein a donné la preuve de ces conclusions et a observé le rôle de l’angoisse dans le développement sexuel de chacun des sexes. Elle a montré que des angoisses spécifiques ne contribuent pas seulement chez les deux sexes à des fixations et à des régressions, mais qu’elles jouent aussi un rôle essentiel en stimulant la libido à progresser des positions prégénitales à la position génitale. À notre avis, on ne peut comprendre ni la fixation, ni le développement libidinal normal si l’on ne tient pas compte de ces faits5
Dans son étude de La sexualité féminine primitive (1935), Ernest Jones a aussi montré l’influence de l’angoisse, qui contribue à déterminer aussi bien les fixations que le développement normal..
c) L’angoisse influence ainsi le développement libidinal. Mais l’angoisse elle-même provient de l’agressivité. Elle est suscitée par les composantes agressives des stades prégénitaux du développement. Ce sont les pulsions destructrices de l’enfant aux stades oral et anal (découvertes par Freud et décrites plus en détail par Abraham, et, plus tard, par Mélanie Klein) qui sont, de par l’angoisse qu’elles suscitent, la cause première de la fixation de la libido. Ces composantes destructrices des pulsions prégénitales doivent être surmontées et neutralisées par la libido, qui, étant occupée à cette tâche, ne peut plus avancer librement vers de nouveaux buts et vers la primauté génitale. La somme de libido qui doit être maintenue aux niveaux oral et anal pour contrebalancer ces éléments destructeurs (en proportion de leur intensité, qu’elle soit innée ou due à des circonstances défavorables) ne peut plus être utilisée pour l’activité génitale. Le but génital en devient d’autant plus précaire, et la régression d’autant plus probable, si l’angoisse est ensuite suscitée par la frustration au niveau génital, avec ses séquelles d’agressivité et de haine.
Comme Freud l’a montré, c’est la frustration qui déclenche la régression. Mais, à notre avis, elle n’agit pas en provoquant un simple « barrage » de la libido, mais en suscitant la haine et l’agressivité, avec leur accompagnement d’angoisse. La haine et l’agressivité actuellement suscitées réactivent un sadisme prégénital surmonté à grand-peine, et c’est cela qui fait refluer la libido vers ses formes antérieures, pour neutraliser les forces destructrices réactivées dans le psychisme. Freud classait la régression parmi les défenses. Nous comprenons mieux maintenant l’objet de cette défense. (Nous examinerons ce point plus en détail dans un autre chapitre.)
d) La façon dont les pulsions et les sentiments entrent en jeu pour induire la fixation et la régression ne peut être comprise sans donner toute son importance au rôle que jouent les phantasmes. Comment les pulsions libidinales et agressives opèrent-elles sur le plan psychique ? Au moyen de phantasmes inconscients, qui sont leur représentant psychique, comme on l’a rappelé dans le chapitre III. Freud estimait que les symptômes hystériques proviennent de souvenirs6
Du mécanisme psychique des phénomènes hystériques (1893) ; Les origines de la psychanalyse (1909), première leçon. Et dans La (dé)négation il a parlé du « langage des pulsions instinctuelles les plus anciennes, c’est-à-dire des pulsions orales… » (c’est nous qui soulignons). Dans son ensemble, l’essai sur la (dé)négation montre que, pour lui, le phantasme n’est pas seulement l’expression d’une pulsion, mais est aussi le lien entre une pulsion et les mécanismes psychiques qui en dérivent spécifiquement., et il a cru pendant un certain temps que ces souvenirs se référaient à des expériences sexuelles traumatiques de l’enfance. Selon sa première conception de l’étiologie des psychonévroses, la séduction sexuelle vécue passivement par un enfant de la part d’un adulte était spécifique de l’hystérie, alors qu’un rôle actif joué par l’enfant dans ces expériences sexuelles était pathognomonique de la névrose obsessionnelle7
L’hérédité et l’étiologie des névroses (1896) ; L’étiologie de l’hystérie (1896).. Comme il ressort très clairement de ses descriptions8
Opinions sur le rôle joué par la sexualité dans l’étiologie des névroses (1905) ; Les phantasmes hystériques et leur relation avec la bisexualité (1908) ; Essai d’autobiographie (1935)., Freud n’a pu maintenir cette opinion quand une étude plus poussée l’eût convaincu que les souvenirs des malades hystériques, la reproduction de scènes de séduction de l’enfance n’étaient pas fondées sur des expériences réelles mais sur des phantasmes. En fait, cette observation, qui se cristallise dans la découverte par Freud d’une réalité psychique distincte de la réalité extérieure ou matérielle, marque un tournant décisif dans la théorie psychanalytique.
Ce sont les phantasmes de perte et de destruction provenant du sadisme des étapes prégénitales qui suscitent l’angoisse – les phantasmes de détruire l’objet désiré en le dévorant, en l’expulsant, en l’empoisonnant, en le brûlant, etc., avec la crainte consécutive d’avoir perdu totalement la source de la vie et de l’amour, l’objet « bon », et aussi avec la crainte du talion, de la persécution, et de la menace que fait peser sur le corps propre du sujet l’objet « mauvais », détruit et dangereux.
On sait bien que les phobies, les terreurs nocturnes, et les troubles du sommeil se produisent dès la toute première enfance, et que même des nourrissons présentent des troubles névrotiques de l’alimentation, qui sont encore plus fréquents pendant et après la période du sevrage. De toute évidence, les théories étiologiques sur ces troubles qui se produisent dans une période ultérieure de l’enfance et à l’âge adulte ne sauraient être considérées comme complètes ou exactes si elles n’incluent pas aussi ces tout premiers symptômes9
Dans Inhibition, symptôme et angoisse (1926) Freud écrit que les toutes premières phobies de l’enfance »… ont échappé totalement, jusqu’à présent, à toute explication » (trad. Jury et Fraenkel, p. 64), et ajoute que « … leur rapport avec les névroses bien nettes ultérieures de l’enfance n’est en aucune façon éclairci pour nous ».. À notre avis, ces premières phobies sont des tentatives de liquider, au moyen de la projection des dangers internes sur le monde extérieur, les angoisses qui surgissent en premier lieu des phantasmes cannibaliques qui caractérisent le stade sadique-oral, phantasmes que Freud lui-même a découvert quoiqu’il ne les ait pas mis en relation avec les premières phobies.
La signification des phobies d’animaux a été examinée par Mélanie Klein dans La psychanalyse des enfants, p. 171 et sq. (traduction Boulanger, P.U.F., 1959). À son avis, il s’agit d’une forme de défense, comprenant la projection, contre des angoisses liées aux phantasmes cannibaliques, et qui fournit à l’enfant un moyen de modifier sa crainte d’un surmoi menaçant et d’un ça dangereux. « Dans un premier temps, ces deux instances sont rejetées dans le monde extérieur, et le surmoi est assimilé à l’objet réel. La seconde étape nous est bien connue et consiste dans le déplacement sur un animal de la crainte inspirée par le vrai père…… Dans cette perspective, une zoophobie serait beaucoup plus qu’une crainte de castration par le père, déguisée en celle de se faire mordre par un cheval ou manger par un loup. La crainte d’être dévoré par le surmoi, plus primitive que la peur de castration, montrerait que la phobie est en fait une modification de l’angoisse propre aux stades les plus précoces du développement. »
Melanie Klein examine ensuite deux cas de Freud : Le Petit Hans et L’homme aux loups10
Analyse d’une phobie chez un petit garçon de 5 ans (1909) ; Extrait de l’histoire d’une névrose infantile (1918).. Le Petit Hans avait surmonté ses angoisses les plus primitives avec assez de succès. L’objet de sa phobie – un cheval – n’était pas un représentant du père particulièrement terrifiant, si on le compare au loup dans le cas de L’homme aux loups. Le fait qu’il ait pu représenter son père par un cheval montre que la crainte qu’il avait de lui n’était pas extrême ; en outre il pouvait jouer aux chevaux avec son père, ce qui confirme que l’angoisse qui persistait sous forme de phobie n’était pas insurmontable. Chez L’homme aux loups les angoisses primitives étaient beaucoup plus intenses, et n’avaient pas été modifiées. Mélanie Klein admet que son aspect passif féminin, qui, comme le décrit Freud, était « fortement accentué », et son attitude tendre et passive recouvraient une terreur insurmontable du père. Elle fait remarquer que les données de Freud montrent chez le patient toute une évolution anormale et régie par la terreur du père-loup. La précocité et le développement rapide de la névrose obsessionnelle que le patient présentait prouvent l’existence de troubles très graves. L’histoire ultérieure de ce patient — telle que l’a rapportée Ruth Mack Brunswick – confirme l’importance attribuée par Mélanie Klein à la nature et à l’intensité des angoisses cannibaliques primitives qui se dissimulaient derrière la phobie des loups.
Ces angoisses primitives sont simultanément la source des symptômes paranoïdes et de l’accentuation de l’homosexualité dans la paranoïa. « Avec un père aussi dangereux et dévorant [ces garçons] ne pouvaient engager la lutte qui accompagne la situation œdipienne directe et ils durent abandonner leur position hétérosexuelle. » Les angoisses primitives orales et anales sont les facteurs principaux de la fixation homosexuelle, et par conséquent la source essentielle de la tendance à régresser aux mécanismes paranoïdes.
C’est l’angoisse stimulée par les phantasmes cannibaliques qui est le facteur le plus puissant de fixation orale. On observe aussi bien chez les adultes que ces phantasmes agissent puissamment derrière les diverses formes de fixations orales et anales : perversions, toxicomanies, etc. La terreur de l’objet intériorisé détruit (dévoré et par conséquent situé à l’intérieur) ne peut être soulagée que par un plaisir oral continu, par l’absorption constante et croissante d’objets « bons » destinés à neutraliser l’objet « mauvais » qui reste à l’intérieur, et à prouver de cette manière que les sources extérieures d’objets « bons » n’ont pas été détruites ou perdues de façon irrémissible. C’est ce besoin insatiable qui lie la libido à ses formes orales et anales.
On sait que ces fixations de la phase orale, avec leurs phantasmes et leurs angoisses, mènent à des troubles profonds de la fonction génitale11
Parmi bien d’autres études, on doit citer ici l’article de M. Brierley sur Some Problems of Integration of Women (Quelques problèmes d’intégration chez les femmes) (1932).. Mais le tableau est loin d’être complet. Les phantasmes primitifs ne jouent pas du tout un rôle univoque de retardement et de fixation dans le développement libidinal. Nous avons déjà noté que, lorsqu’elle n’est pas trop intense, l’angoisse agit comme un stimulant du développement libidinal. (Cela dépend toutefois, non seulement du degré de l’angoisse, mais aussi de la nature spécifique des phantasmes mis en cause – et ceux-ci, à leur tour, sont influencés par les expériences réelles aussi bien que par les pulsions primitives.)
On reconnaît maintenant en général que les tout premiers stades font des apports définis et positifs à la phase génitale. Par exemple, certains aspects de l’attitude génitale bien développée, aussi bien chez les hommes que chez les femmes, dépendent en réalité de pulsions, sentiments et phantasmes spécifiques appartenant à la phase orale. Chez l’homme, lorsque la vie génitale est satisfaisante, les phantasmes génitaux spécifiques comprennent un élément oral — par exemple, celui d’un pénis comme organe gratificateur et nourricier, identifié avec le sein, pendant que l’organe génital féminin est senti comme sans danger et attrayant parce qu’on lui attribue le désir de sucer avec tendresse. De cette façon, les apports de la phase orale renforcent les pulsions génitales, et n’entravent pas la mobilité de la libido. De même, les pulsions et les phantasmes génitaux de la femme reprennent ses expériences heureuses de nourrisson. Son plaisir à entourer activement le pénis, son absence de peur de l’engloutir ou de le détruire et de châtrer son compagnon, proviennent en partie de ses souvenirs inconscients d’avoir aimé et chéri le mamelon, d’en avoir joui sans crainte en le suçant activement. Ces souvenirs lui permettent aussi de sentir que le pénis lui-même est un objet bon et n’est pas terrifiant12
Voir en ce sens Early Female Sexuality (La première sexualité de la femme) (1935), d’Ernest Jones. Cf. aussi le concept d’amphimixis de Ferenczi dans Thalassa (1924)..
Il ne s’agit-là, bien entendu, que d’aspects partiels de la relation extrêmement complexe qui existe entre la sexualité prégénitale et la sexualité génitale, mais ils peuvent servir à illustrer notre propos général. En deux mots : pour les contributions positives de la phase orale à la fonction génitale, ce n’est pas assez de dire qu’il y a un déplacement de certains éléments de la phase orale vers la phase génitale. Les phantasmes et les buts oraux sont restés constamment actifs dans le psychisme inconscient, ils ont exercé une influence favorable et ont contribué à l’établissement de la phase génitale. La libido orale est restée suffisamment souple pour être transférée à l’organe génital et pour s’y satisfaire.
Ce transfert se produit – et ceci est un point très important de la théorie du développement libidinal, et de la régression – en partie parce que le tout premier éveil des pulsions génitales a lieu à un moment où la phase orale est encore en action. Les divers stades du développement libidinal se recouvrent en réalité beaucoup plus qu’on ne s’en était rendu compte. La phase génitale comme telle n’est pas présente dès les premiers jours, mais des tendances génitales commencent certainement à apparaître alors que l’enfant se trouve sous la prédominance de la phase orale. C’est, par exemple, un fait observable que des érections se produisent de temps en temps pendant la période de l’allaitement – et nous ne considérons pas l’explication par les « réflexes » comme adéquate ni convaincante.
La phase génitale pleinement intégrée, avec la primauté de l’organe génital est liée au développement complet du complexe d’Œdipe – mais ils ont tous deux, la phase et le complexe, leurs débuts rudimentaires dans la phase orale13
Dans maints passages, et en particulier dans L’introduction à la psychanalyse (1915) et dans Trois essais sur la théorie de la sexualité (1905) Freud nous met en garde contre la tentation d’exagérer les différences entre le bébé et l’adulte.. Les différences entre le tout premier érotisme génital et l’érotisme génital ultérieur correspondent aux différences entre les stades primitifs et ultérieurs dans tous les domaines du développement psychique. La différence fondamentale est que, dans la première phase, la libido orale a la primauté14
Des études expérimentales réalisées par des chercheurs non psychanalystes ont montré que dans les premiers dix jours de la vie la sensibilité de la peau est subordonnée à l’activité orale. Le réflexe de succion peut être déclenché par des caresses sur la peau des joues ou par d’autres stimuli analogues. « La stimulation des lèvres d’un nouveau-né est suivie par la réaction de succion dans plus de 90% des enfants à un âge donné, mais une stimulation des joues, des yeux, du sens de la température, du goût, de l’odorat, etc., la produit aussi. C’est dire que la succion est une réaction spécifique à la stimulation des lèvres, mais aussi à beaucoup d’autres stimuli » (The Behaviour of the Newborn Infant [Le comportement du nouveau-né], Karl Chapman Pratt, p. 210). Ces faits expérimentaux confirment l’idée de Freud sur la primauté de la libido orale. et l’érotisme génital est sporadique et subordonné alors que dans la phase génitale qui se développe ultérieurement les autres zones érogènes sont subordonnées à la primauté de la zone génitale et se mettent à son service. Cette primauté amène avec elle de grands changements dans l’équilibre entre les pulsions libidinales et agressives, en même temps que des différences qualitatives dans leurs buts spécifiques. Il y a en outre de profonds changements dans les relations objectales liées à ces buts.
Ce n’est pas seulement que les diverses phases du développement libidinal se recouvrent ; il y a aussi un mouvement en avant ou en arrière des diverses phases à l’intérieur des périodes déterminées où l’une ou l’autre de ces phases peut être qualifiée de prédominante.
c) La contribution de la phase orale à la phase génitale bien développée ne peut cependant être bien comprise si l’on ne tient pas compte des phantasmes d’incorporation et du mécanisme de l’introjection. Comme on l’a montré dans le chapitre IV sur l’« introjection et la projection », les premières satisfactions orales mènent à l’incorporation d’un sein « bon », en même temps qu’à une bonne relation avec la mère réelle. Cet objet intérieur « bon » (le mamelon, le sein, la mère) aide l’enfant à retrouver un objet extérieur bon à la phase génitale et à sentir que ses pulsions à son égard le soignent, le nourrissent et le font vivre.
En outre, les désirs de réparation sont liés à ces phantasmes. L’attitude génitale peut être maintenue quand les désirs de réparation peuvent agir sans obstacle. L’attitude génitale s’effondre et la régression se produit quand les tendances à la réparation sont perturbées (souvent, par la frustration, la haine et l’agressivité consécutives), puisqu’on sent que l’organe génital s’est alors manifesté comme destructeur et dangereux.
Cela réactive non seulement la crainte de faire du mal à l’objet aimé à l’extérieur, ou de l’endommager, mais aussi la crainte de l’objet « mauvais » à l’intérieur, ou celle du surmoi. Dans Inhibition, symptôme et angoisse (déjà cité), Freud a mentionné le surmoi sévère et implacable du névrosé obsessionnel. Il exprime sa conception du rapport très étroit entre le niveau qu’atteint la régression et la structure du surmoi en disant : « … En fait, le surmoi qui dérive du ça ne peut pas se soustraire à la régression et à cette défusion des pulsions qui intervient alors » (p. 38).
Nous compléterions le tableau en disant que la haine et l’agressivité éveillées par la frustration qui déclenche le processus régressif suscite en même temps la crainte du surmoi, de l’objet interne vindicatif et plein de haine. Et cela stimule en retour la nécessité de le haïr et de le combattre avec toutes les armes du sadisme prégénital. À notre avis, le rôle joué par les objets internes et le surmoi est un facteur essentiel dans le processus régressif.
Un autre progrès important dans la compréhension de la régression, obtenu surtout grâce aux travaux de Mélanie Klein sur les jeunes enfants, conjointement avec l’étude plus précise des états psychotiques qui a été stimulée efficacement par ces travaux, consiste à considérer que la fixation et d’autres états pathologiques peuvent être envisagés avec fruit du point de vue de la progression aussi bien que de celui de la régression.
Dans son étude de la paranoïa15
Remarques psychanalytiques sur l’autobiographie d’un cas de paranoïa (1911)., Freud a montré que les symptômes paranoïaques ne doivent pas seulement être considérés comme régressifs mais qu’ils ont aussi un aspect restitutif. La formation délirante, que nous prenons pour un produit pathologique est en réalité une tentative de guérison, un processus de reconstruction (trad. Berman, p. 315). Il décrit comme Schreber, l’objet de son étude, a retiré son investissement libidinal des personnes de son entourage et du monde extérieur dans son ensemble, et comment tout est devenu pour lui indifférent et sans importance. Ce qu’il rationalise comme une catastrophe mondiale : « La fin du monde est la projection de cette catastrophe interne, car l’univers subjectif du malade a pris fin depuis qu’il lui a retiré son amour » (ibid., p. 314). Il le reconstruit « … tel qu’il puisse de nouveau y vivre » au moyen de son délire. « … l’homme malade a reconquis un rapport avec les personnes et avec les choses de ce monde, et souvent ses sentiments sont des plus intenses bien qu’ils puissent être à présent hostiles là où ils étaient autrefois sympathiques et affectueux. » Les symptômes de maladie ne sont que les signes d’un processus de guérison qui dès lors « … attire à grand bruit notre attention ».
Plus loin dans le même essai, Freud parle de « … la phase d’agitation hallucinatoire (qui) nous apparaît ici encore comme constituant un combat entre le refoulement et une tentative de guérison » (p. 319).
Plusieurs chercheurs ont développé ces remarques de Freud au sujet des éléments progressifs et restitutifs dans les états et les symptômes pathologiques. Mélanie Klein en particulier a montré comment l’enfant administre, aux étapes successives de son développement, ses toutes premières situations d’angoisse. Elle écrit : « … Résumons brièvement ce que nous avons vu sur l’évolution des phobies. Au stade oral de succion, dans la succion même, les premières situations anxiogènes se traduisent par certaines phobies. Le premier stade anal, avec ses zoophobies, comporte encore des objets très terrifiants. Au cours du stade suivant, et davantage encore avec le stade génital, ces objets anxiogènes subissent une importante transformation.
« Ces changements sont liés, d’après moi, aux mécanismes qui sous-tendent la névrose obsessionnelle et qui commencent à fonctionner au second stade anal. La névrose obsessionnelle aurait pour but de guérir l’état psychotique qu’elle recouvre, et les névroses infantiles comporteraient à la fois des mécanismes obsessionnels et des mécanismes propres à un stade antérieur du développement » (La psychanalyse des enfants, trad. Boulanger, p. 176).
Puis, au chapitre XII du même livre, elle examine d’autres méthodes de guérison grâce auxquelles le moi tente de surmonter les premières angoisses infantiles de contenu psychotique, et elle montre comment chacune des fixations et chacun des symptômes qui apparaissent d’ordinaire dans les stades successifs du développement ont à la fois une fonction rétrospective et prospective, comment ils lient l’angoisse et rendent ainsi possible le développement ultérieur. Dans la thérapeutique, les symptômes obsessionnels perdent souvent leur emprise sur le patient lorsque les angoisses sous-jacentes sont résolues, ce qui rend la technique obsessionnelle moins nécessaire pour le patient.
On peut tirer de l’étude des jeunes enfants la conclusion que ces tendances opposées, progression et régression, agissent tout au long de la vie psychique. Elles sont toujours en flux et en reflux pendant tout le temps de la croissance, et à tous les moments de tension psychique. Tout point de stabilité relative est en fait un compromis entre les deux tendances et dépend des phantasmes spécifiques qui entrent en jeu. De même le psychisme est en mouvement constant entre les divers mécanismes dont il dispose pour administrer l’angoisse et maîtriser les instincts (clivage, introjection, projection, déplacement, distribution, refoulement, isolation, annulation, etc.). Parfois, on atteint un certain compromis entre ces divers mécanismes, qui est acceptable par le moi et permet jusqu’à un certain point le contrôle de l’angoisse. Le compromis se produit alors entre les mouvements en avant et en arrière de la libido et des composantes destructrices qui sont toujours plus ou moins fusionnées avec elle : un compromis optimum pour chaque individu.
Nous allons examiner maintenant certains de ces points plus en détail, en partant surtout des derniers travaux de Freud.
III. – Quelques considérations provenant de l’examen des conclusions de Freud sur les pulsions de vie et de mort
La régression, la fixation et les pulsions destructrices
Les phénomènes de progression et de régression fournissent des preuves supplémentaires de la dualité des pulsions, qui sous-tendent la vie humaine. Leur source ultime doit être cherchée dans les pulsions de vie et de mort. Comme on l’a fait remarquer au chapitre IV, la recherche psychanalytique s’est occupée, au début, presque exclusivement des manifestations de la pulsion de vie et de la libido. L’étude de la régression a été presque entièrement centrée sur son aspect libidinal pendant de longues années. C’est surtout Abraham qui a fait une étude systématique du rôle que jouent les pulsions destructrices. Il a démontré qu’elles ont, elles aussi, une histoire qu’on peut observer dans les changements successifs de leurs buts. Construisant à partir de la théorie freudienne des trois phases libidinales essentielles, Abraham a examiné les phénomènes dus à l’agressivité dans certaines maladies mentales et il est arrivé à la conclusion que les pulsions destructrices sous-tendent tout autant que les pulsions libidinales tout changement de finalité de la pulsion à l’égard des objets.
Freud avait vu que la première finalité destructrice, le cannibalisme, s’éveillait pendant la primauté de la zone orale. Abraham16
Courte étude du développement de la libido (1924). a subdivisé la phase orale en une phase de succion et une phase de morsure. Il a fait remarquer la force des pulsions destructrices pendant le début de la dentition, mais il a soutenu que le premier stade oral était libre de pulsions agressives. (En ceci nous ne le suivons point, puisque nous soutenons qu’il y a des preuves de l’existence de finalités destructrices dès le stade de succion. Abraham lui-même, quand il étudie le caractère oral, attribue un élément de cruauté au stade de succion, qui rend les gens qui ont régressé à ce stade « comme des vampires pour les autres ».) Il a décrit le fait de dévorer en mordant comme la première finalité destructrice. Cette finalité est suivie au premier stade anal par celle de détruire en expulsant. Au cours du second stade anal se produit une importante modification des pulsions destructrices, et leur finalité devient celle de contrôler par la rétention. Bien qu’il y ait encore un puissant investissement destructeur de l’objet, l’adoucissement des pulsions destructrices s’observe dans le désir de le préserver. On lui épargne la destruction totale des premières phases, à condition qu’il soit soumis au contrôle.
Au stade final du développement des pulsions, à la phase génitale, la libido l’emporte et – suivant Abraham – apparaît l’amour objectal complet sans ambivalence (stade post-ambivalent). La théorie de Freud sur la pulsion de destruction primaire a été publiée en 1920 (Au-delà du principe du plaisir), et était ainsi à la disposition d’Abraham. Abraham devait la connaître lorsqu’il a écrit Le développement de la libido en 1924. Il n’a pas relié ses propres découvertes avec la théorie de la pulsion de mort, bien qu’il soit évident pour nous que ces découvertes s’accordent avec cette théorie.
Si nous synthétisons ce que nous avons appris de Freud, d’Abraham, et des travaux de Mélanie Klein sur les jeunes enfants, au sujet des finalités pulsionnelles des stades prégénitaux, nous pouvons discerner en détail les façons dont ces finalités libidinales et destructrices s’expriment ensemble dans les pulsions corporelles. Le désir libidinal de succion s’accompagne de la finalité destructrice de le sucer à mort, de l’assécher, de le vider, de l’épuiser totalement. Le plaisir libidinal qu’on ressent à mordre s’accompagne de la pulsion de dévorer. Au plaisir d’expulser correspond la finalité destructrice d’anéantir, alors que le plaisir de retenir coïncide avec la pulsion de contrôler et de dominer. Tout ceci a une importance considérable pour l’examen du rôle que les dérivés de la pulsion de mort jouent dans la régression. Alors que certains analystes pensent la régression surtout en termes de libido, nous voyons aussi des changements corrélatifs dans les pulsions destructrices, c’est-à-dire leur retour à des finalités antérieures, archaïques. Nous soutenons que c’est cette récurrence des finalités destructrices primitives qui est le facteur déterminant principal dans l’irruption de la maladie mentale.
La condition préliminaire de la régression est la formation de points de fixation. Sur la base des découvertes d’Abraham mentionnées ci-dessus, et des recherches détaillées de Mélanie Klein, nous considérons qu’un point de fixation n’a pas seulement une charge libidinale, mais aussi une charge destructrice. Toutes deux se réactivent lorsque, dans la régression, la vie pulsionnelle et émotionnelle d’une phase antérieure redevient prédominante.
Dans cette situation surgit une angoisse violente qui provient de plusieurs sources : a) La frustration présente qui déclenche la régression. On admet que la frustration stimule la haine et l’angoisse ; b) Les angoisses spécifiques (qu’elles soient de type paranoïde, dépressif, ou qu’elles proviennent du surmoi) qui sont réactivées par le retour aux motions pulsionnelles primitives (points de fixation). Freud dit17
Nouvelles Conférences (trad. Berman, p. 122). : « … À chaque période de l’évolution correspond une angoisse qui lui est propre… Les anciens motifs de crainte devraient disparaître au cours de l’évolution puisque les situations périlleuses correspondantes ont perdu de leur valeur grâce au renforcement du moi. Mais ce n’est pas tout à fait ainsi que les choses se présentent dans la réalité. » Nous avons déjà mentionné l’opinion de Freud sur l’extrême sévérité du surmoi dans les états régressifs ; c) L’horreur ressentie par le moi lorsqu’il affronte des pulsions et des phantasmes appartenant à une phase dont il s’est déjà éloigné lui-même. Lorsqu’il décrit les effets de la régression à la puberté dans la névrose obsessionnelle, Freud dit18
Inhibition, symptôme et angoisse (1926) (trad. Jury et Fraenkel, p. 39). : « Le moi, étonné, se révolte contre les suggestions choquantes par leur cruauté et leur violence qui lui sont envoyées par le ça dans la conscience. »
Ainsi, à notre avis, les faits que nous venons de résumer et qui incluent l’écroulement des sublimations et les modifications auxquelles les pulsions destructrices sont soumises au cours du développement, doivent être envisagés dans leur action conjointe avec les vicissitudes de la libido.
Il y a un autre point sur lequel nos conclusions divergent de l’opinion de Freud sur la régression, dans la mesure où elle était encore fondée sur les premières formes qu’avait prises sa théorie. Freud a mis l’accent sur le barrage de la libido comme cause de régression et de troubles névrotiques. De par la frustration qui rend la décharge et la satisfaction de la libido impossibles, la libido s’accumule, ce qui aboutit à la régression. « La libido insatisfaite et accumulée peut maintenant ouvrir la voie à la régression… »19
Formes typiques d’acquisition des névroses (1912)..
Mais si nous acceptons la théorie freudienne des pulsions de vie et de mort formulée dans Au-delà du principe du plaisir, nous n’avons plus le droit d’isoler la libido lorsque nous examinons la régression et ces états psychopathologiques. Le problème se présente alors de savoir si la régression n’est pas un échec de la libido qui ne peut maîtriser les pulsions destructrices et l’angoisse éveillées par la frustration. Nous croyons qu’il en est ainsi : l’état pathologique de l’accumulation de la libido se produit seulement lorsque la libido – malgré son accroissement réel ou apparent – se révèle incapable de s’opposer aux pulsions destructrices qui sont suscitées par les mêmes facteurs qui ont provoqué l’accumulation de la libido, c’est-à-dire par la frustration.
À titre d’exemple, nous pouvons considérer brièvement le problème de la ménopause.
On sait qu’un grand nombre de femmes sont incapables de surmonter les conflits de la ménopause, et tombent malades pour plus ou moins longtemps et plus ou moins gravement. Cette tendance aux troubles mentaux au moment de la ménopause soulève de nombreux problèmes théoriques. On sait que d’importants changements physiologiques se produisent, par exemple, dans l’équilibre hormonal ; mais nous avons encore à considérer les processus psychologiques liés à ce facteur physique.
Ici, comme toujours lorsque nous essayons de comprendre le conflit névrotique ou sa base dans le développement psychique et dans la personnalité normale, nous nous trouvons en face d’une entité psychosomatique. Les premiers moteurs de toute vie psychique sont les pulsions, ces processus dynamiques intermédiaires liés aussi bien au corps qu’au psychisme. Il est tout à fait possible que les sécrétions internes de nos glandes soient bien près d’être considérées comme le véhicule matériel des pulsions. Elles constituent en tout cas un aspect fondamental des processus corporels qui sous-tendent les phénomènes pulsionnels et les mettent en mouvement. On sait que des changements dans l’équilibre endocrinien affectent l’humeur, les pulsions et les phantasmes. On sait aussi que les choses peuvent se passer à l’inverse, qu’un conflit émotionnel peut perturber l’équilibre endocrinien, et qu’un traitement strictement psychologique, la résolution des conflits psychologiques au moyen de la psychanalyse, peut agir par lui-même favorablement sur l’équilibre hormonal.
Notre problème consiste donc à comprendre les moyens par lesquels une femme s’arrange des changements de stimulation qui se produisent du fait du déséquilibre hormonal. Comment s’arrange-t-elle de ces changements dans les stimuli internes et les réponses réelles de son mari ou d’autres personnes à l’altération de son aspect physique et de sa personnalité qui peut se produire pendant cette période ? Quels sont les facteurs psychologiques qui aident une femme à surmonter ces difficultés – qui doivent nécessairement se produire dans une certaine mesure – et quels sont ceux qui mènent une autre femme à tomber victime de ses difficultés ? Nous ne pouvons douter que la force d’une femme pour affronter les problèmes de la ménopause et la manière dont elle le fait dépendent en partie de son histoire psychologique antérieure : par exemple, de la mesure où elle a surmonté son complexe d’Œdipe et ses phantasmes de castration, aussi bien que de l’étendue et de la stabilité de ses sublimations.
Bien des femmes subissent une régression au moment où se présente le conflit de la ménopause, parce que le déclin de la productivité sexuelle les prive non seulement de la gratification pulsionnelle directe, mais aussi d’un facteur rassurant de première importance. Ce n’est pas seulement chez des catholiques dévotes que nous trouvons le sentiment que les rapports sexuels sont mauvais et coupables ; et ne peuvent être excusés que par la procréation. Cette attitude à l’égard de la sexualité, qui provient du complexe d’Œdipe et des angoisses antérieures, existe, comme on le sait, dans l’inconscient de bien des femmes qui se croient libres de scrupules religieux ou éthiques à l’égard de la sexualité. Une fois que l’excuse de la procréation disparaît, une culpabilité sans rémission peut inonder le psychisme d’une femme. La connaissance du fait qu’elle ne peut plus avoir d’enfants peut ouvrir la porte à des angoisses graves, en particulier toutes celles qui se rapportent au phantasme d’un corps détruit à l’intérieur et stérile, destruction et stérilité dont le phantasme inconscient rend responsable la mère persécutrice. Ne pas pouvoir créer un enfant vivant est senti comme le fait de contenir des corps morts (c’est un phantasme qui dérive en dernière analyse des pulsions cannibaliques et destructrices de la première vie pulsionnelle). Ces sentiments éveillent la peur de la mort propre. Le réveil de ces angoisses stimule l’envie du pénis, et la possession du pénis est d’autant plus désirée et nécessitée à nouveau que le privilège féminin de porter des enfants s’est éteint. La culpabilité à l’égard du mari due en partie au désir de le châtrer, et en partie au fait de le priver de paternité, intervient dans ce tableau complexe. En outre, le mari dont elle ne recevra plus d’enfant assume le rôle du père qui n’a jamais satisfait son désir de recevoir un enfant de lui, ce qui fait revivre les phantasmes inconscients des rapports sexuels comme crime capital. Sur le plan conscient, ces angoisses et ces conflits peuvent se manifester sous l’apparence de la hantise de vieillir et de devenir laide. Les femmes au moment de la ménopause présentent souvent des exigences accrues de rapports sexuels, de gratifications sexuelles, de conquêtes, d’affection et d’amour. C’est « le démon de midi ». L’examen analytique de ces cas montre clairement que les désirs libidinaux sont puissamment accrus par l’angoisse et la culpabilité.
D’autres femmes plus normales administrent et surmontent leurs angoisses à propos de leur ventre stérile par bien d’autres moyens : par exemple grâce à leurs sublimations et à la tranquillité que donnent de bonnes relations sociales et sexuelles.
Bien d’autres facteurs interviennent encore dans le problème de la ménopause, mais ceux qui précèdent peuvent suffire, puisque nous nous occupons de montrer notre point de vue sur le problème de l’accumulation de la libido bien plus que d’examiner la psychologie de la ménopause pour elle-même.
Les analyses effectives de ces troubles de la ménopause se présentent souvent comme des manuels de psychopathologie et montrent en toute clarté la façon dont la régression a fait revivre les conflits non résolus de toutes les étapes du développement, y compris les toutes premières. On a l’impression que la ménopause représente une créance pour toutes les dettes psychologiques contractées antérieurement – dettes qui n’avaient pas d’importance tant que la prospérité biologique semblait assurée.
Dans la situation où le moi affronte la tâche de dominer la libido accumulée, il doit affronter aussi celle de dominer les pulsions destructrices et les angoisses. Ces considérations dérivent des observations cliniques. À notre avis, leur fondement théorique doit être cherché dans la conception freudienne de la fusion des deux instincts opposés, par exemple : « … Nous n’avons jamais affaire à des tendances instinctuelles (motions pulsionnelles) pures, mais toujours à des alliages de deux instincts (pulsions), alliages où les parts des éléments varient »20
Inhibition, symptôme et angoisse (1926), trad. Jury et Fraenkel, p. 50..
Résumons nos conclusions à ce sujet : au point de fixation, ce n’est pas seulement la libido qui est immobilisée, mais les pulsions destructrices et les angoisses spécifiques de la période du développement considérée qui constituent la base des conflits non résolus, restent potentiellement actives et menacent d’interférer l’établissement solide de la phase génitale. Le maintien de types de comportement pulsionnel et de phantasmes prégénitaux n’est pas en lui-même un facteur pathologique. Nous avons mentionné plus haut leur signification de marchepieds dans la domination de l’angoisse. Les finalités prégénitales libidinales et agressives peuvent favoriser les finalités génitales, colorer et enrichir les activités génitales, dans la mesure où elles sont capables de se subordonner à la primauté de la finalité génitale. Mais ceci dépend de l’équilibre entre la libido et les pulsions destructrices, qui détermine le type de phantasme qui accompagne l’activité génitale.
L’effondrement de la phase génitale implique à la fois la libido, les pulsions destructrices et les acquisitions du moi. On sait bien que la détérioration du caractère et l’altération des sublimations font partie du processus régressif.
Un autre élément de la régression est que les finalités réparatrices sont perturbées. Comme on l’a déjà fait remarquer, nous attachons beaucoup d’importance au rôle de la réparation et de la sublimation dans le maintien de la santé mentale. Les processus pulsionnels des phases prégénitales donnent naissance à des angoisses spécifiques. Le moi, construit par introjection et projection, est mis en danger de multiples façons par les craintes de perte ou de destruction des objets. Leur restauration est une finalité extrêmement pressante, qui met en marche la sublimation. Ces acquisitions du moi, en plus des gratifications qu’elles fournissent, sont ainsi des facteurs primordiaux dans la lutte contre l’angoisse et la culpabilité21
Dans son article sur La peur, la culpabilité, la haine (1929) Emest Jones a fait une étude détaillée de l’interaction entre ces émotions.. Un certain degré et une certaine qualité de culpabilité et d’angoisse stimulent la réparation et ainsi encouragent la sublimation. Mais un excès de ces sentiments paralyse les sublimations. Tant que l’individu sent que ses pulsions destructrices sont tenues en échec ou que le mal qu’il a commis est réparé, il peut se maintenir au niveau génital, parce qu’il peut alors tolérer la frustration réelle et que sa libido peut être déviée sur de nouveaux objets. Et dans la mesure où la sublimation peut être maintenue et où les gratifications peuvent être recherchées dans de nouveaux objets, il est aidé en retour à supporter la frustration. Le cercle est favorable. Mais si la réparation et la sublimation s’effondrent, les défenses du moi sont submergées, les gratifications de la libido inhibée dans ses fins disparaissent, la force des pulsions destructrices s’intensifie et on revit les situations d’angoisse prégénitales. Les craintes de persécution et le désespoir rendent la frustration réelle insupportable, en partie parce qu’elle a été augmentée par ces processus. Il y a ici un cercle vicieux qui inclut à la fois la résurgence de pulsions archaïques et des angoisses qui leur sont liées, et l’effondrement de la sublimation et de la réparation – un cercle qui reflète l’influence réciproque de la fixation et de la régression.
La régression et l’inhibition
La régression peut aboutir à la formation de symptômes ou à l’inhibition – ou aux deux en même temps. Freud soutenait que la fonction d’un organe pour le moi s’inhibe si la signification sexuelle de cette fonction, l’érogénéité de l’organe en question, devient trop grande. Il écrit : « … Si l’écriture qui consiste à faire couler un liquide sur la feuille de papier blanc a pris la signification symbolique du coït, ou si la marche est devenue l’équivalent symbolique de fouler la Terre-Mère, ces deux actions, l’écriture et la marche, s’interrompent, puisque s’y livrer serait accomplir une activité sexuelle interdite. Le moi renonce à ces fonctions qui dépendent de lui, pour n’avoir pas à entreprendre l’effort d’un nouveau refoulement, donc pour ne pas entrer en conflit avec le ça »22
Inhibition, symptôme et angoisse (1926), trad. Jury et Fraenkel, p. 5. Dans l’original, le terme utilisé par Freud était stampfen qui devrait être traduit par « piétiner » (trampling) ; il implique plus de violence et d’hostilité que n’en exprime « fouler » (treading)..
À la lumière de la théorie de la fusion entre la libido et les pulsions destructrices, les processus d’inhibition se présentent de nouveau à nous. Nous n’allons pas traiter ce problème à fond, mais seulement montrer les grandes lignes de notre perspective à son propos. Les deux exemples mentionnés dans la citation précédente (écrire, qui prend la signification d’une copulation, et marcher, qui prend celle de fouler le corps de la mère) ne se situent pas au même niveau. Le second contient de toute évidence une dose considérable de cruauté, et nous osons dire que c’est précisément cela, le phantasme de violence dérivé du mélange de la destructivité, qui provoque l’angoisse et la culpabilité, et oblige – par l’intervention du surmoi – à l’inhibition de cette activité. Si, dans ses phantasmes, le sujet sent qu’il veut fouler le corps de sa mère, il s’effraye de la possibilité de la détruire, et ce sont ses angoisses dépressives et ses angoisses de persécution qui mènent à l’inhibition de la marche. De la même manière, l’écriture sera inhibée si ses significations sadiques, anales et urétrales, prédominent sur les phantasmes de réparation et les phantasmes génitaux, et, pour cette raison, exigent des mécanismes de défense de la part du moi.
La régression et la défusion
Si nous considérons maintenant l’aspect métapsychologique de la régression, nous nous trouvons en face d’un grand nombre de problèmes qui ne peuvent être considérés comme définitivement résolus, bien que Freud ait fait à leur sujet certaines considérations essentielles. Il a situé les phénomènes de fusion et de défusion au centre du problème, et relié la régression à la défusion. La régression et la défusion doivent être considérées comme des aspects différents du même phénomène hautement complexe. « À la faveur d’une généralisation quelque peu rapide, nous sommes portés à admettre que la cause essentielle d’une régression (libidinale), de la phase génitale, par exemple, à la phase sadique-anale, réside dans une dissociation (défusion) des (pulsions), de même qu’inversement le progrès de la phase génitale primitive à la phase génitale définitive ne peut s’effectuer qu’à la faveur de l’adjonction d’éléments érotiques »23
Le moi et le ça (1923), trad. Jankélévitch, p. 197.. Et encore : « L’explication métapsychologique de la régression, je la cherche dans un « démêlement d’instincts » (une défusion) (Triebent-mischung), dans la mise à part des composantes érotiques qui, depuis le début de la phase génitale, se sont ajoutées aux investissements à tendance destructive du stade sadique »24
Inhibition, symptôme et angoisse (1926), trad. Jury et Fraenkel, p. 36..
Ces affirmations pourraient sembler impliquer que la fusion des pulsions est rompue quand la régression se produit et qu’il n’y a pas de fusion aux stades prégénitaux qui sont réinvestis dans le reflux des pulsions. Mais cette implication ne peut être maintenue. Freud a insisté bien des fois sur le fait que les deux pulsions opposées se trouvent toujours en état de fusion, et l’observation analytique directe confirme pleinement cette idée. Citons deux passages de Freud : « Nous basant sur des raisons théoriques appliquées à la biologie, nous avons admis l’existence d’un instinct (pulsion) de mort…… Nous ne pouvons encore nous faire aucune idée de la manière dont les deux instincts (pulsions) se combinent, s’associent et se mélangent. Mais si l’on adopte notre manière de voir, on doit admettre que ces combinaisons, associations et mélanges se produisent régulièrement et sur une vaste échelle »25
Le moi et le ça (1923), trad. Jankélévitch, p. 196. et « … Nous n’avons jamais affaire à des tendances instinctuelles (motions pulsionnelles) pures, mais toujours à des alliages de deux instincts (pulsions), alliages où les parts des éléments varient »26
Inhibition, symptôme et angoisse (1926), trad. Jury et Fraenkel, p. 50..
Ces passages infirment clairement l’idée qu’il n’y a pas de fusion aux stades prégénitaux. Il semble donc plutôt que Freud n’ait pas envisagé un détachement complet des composantes érotiques, mais seulement leur détachement partiel. Ce détachement partiel suffirait à produire la régression et le renforcement des pulsions destructrices, bien qu’il y ait encore une fusion des pulsions au niveau plus bas qu’atteint la régression. Cette idée s’accorderait avec l’opinion de Freud sur les proportions variables du mélange toujours présent des deux pulsions et avec son idée de différencier les phases prégénitale et génitale selon la proportion des deux pulsions. Le point essentiel des processus décrits comme défusion réside, à notre avis, dans un renforcement effectif de la composante destructrice, qu’il soit dû à un facteur quantitatif ou situationnel.
Il peut être utile de résumer encore une fois nos idées sur l’interaction de la régression et de la fixation. On connaît l’opinion de Freud que la régression devient possible par la constitution de points de fixation. Dans le trajet qui nous mène à la sexualité génitale, nous passons par divers points qui sont comme des étapes dans le développement. Et, puisque des parties de la libido – avec, à notre avis, des parties des pulsions agressives – sont laissées à ces étapes, nous pouvons y retourner, y régresser. On ne doit pas perdre de vue que ce trajet est un processus interne et que les étapes existent en nous. Les pulsions « laissées en arrière » sont réellement à l’intérieur de nous-mêmes, tout comme le sont nos souvenirs – et ceux-ci, nous le savons, ne sont jamais perdus par le psychisme lorsqu’il les a vécus une fois, bien qu’ils puissent le paraître. Par conséquent, lorsque nous maintenons notre libido au niveau génital, les « points » antérieurs restent actifs sans interruption dans l’inconscient. La forme et le degré de l’influence des pulsions et des phantasmes prégénitaux sur notre vie dépend en partie de la force de la libido. Dans l’exemple des conflits de la ménopause, il ne se produit pas simplement une régression au stade sadique-anal. Sous la pression des conflits multiples impliqués dans la perte de la capacité de procréer, toutes les pulsions et tous les phantasmes antérieurs peuvent redevenir actifs. Cela constitue une tâche d’adaptation psychologique très dure pour toute femme, mais elle peut se tirer d’affaire sans régression marquée. Ce processus de lutte contre l’activité nouvellement stimulée des éléments prégénitaux est une situation fluide et temporaire qui ne constitue pas en elle-même une régression. L’existence de la lutte et la nécessité d’une réadaptation sont une preuve des potentialités dynamiques des points de fixation.
Cela nous aide à surmonter une difficulté, mais nous devons encore en affronter d’autres. Par exemple, nous devons considérer le problème de la quantité de la libido et des pulsions destructrices. Est-ce que la somme absolue de l’énergie pulsionnelle reste la même pendant toute la vie ? Est-ce que lorsque l’énergie d’une pulsion, par exemple, la libido, augmente, celle de l’autre diminue ? Ces changements quantitatifs expliquent-ils l’ordre déterminé des phases de l’évolution pulsionnelle ? Ou bien la somme de chacune des deux pulsions reste-t-elle inchangée, et devons-nous expliquer les changements de primauté d’une phase à l’autre par le simple investissement successif d’une zone après l’autre ?
Certaines observations nous inclinent à supposer qu’il y a des changements quantitatifs au cours de la vie. Il semblerait que Freud penchait vers cette opinion. Il écrit : « Du fait de l’accès à certaines périodes de la vie, et selon des processus biologiques réguliers, la quantité de libido dans l’économie psychique augmente dans des proportions qui suffisent par elles seules à renverser l’équilibre de la santé et à établir les conditions de la névrose. On sait que ces intensifications soudaines de la libido sont régulièrement liées à la puberté et à la ménopause, à l’accès à un certain âge pour les femmes. Chez bien des gens, ils peuvent en outre se manifester selon des périodes encore inconnues »27
Formes typiques d’acquisition des névroses (1912)..
D’autre part, certaines considérations nous orienteraient vers une autre opinion, elle aussi exprimée par Freud : que la satisfaction libidinale est à son apogée dans l’allaitement, et n’atteindra jamais plus un tel degré, que les pulsions les plus primitives de l’enfant « ont, par nature, une intensité plus grande que tout ce qui peut venir ensuite »28
La sexualité de la femme (1931). Voir aussi L’introduction à la psychanalyse (1916-1917) : « La satisfaction au sein reste le prototype inaccessible de toute satisfaction ultérieure. ». Ces impressions ne nous suggèrent pas l’existence d’une vie pulsionnelle faible au début, et qui se renforcerait au cours du développement. Cependant, il serait encore possible que des accroissements périodiques se produisent, comme par exemple au moment où la procréation devient possible. Cette opinion doit être confrontée avec un certain nombre d’autres éléments à considérer : par exemple, la naïveté ou la sophistication d’une part, et, de l’autre, la contribution des expériences antérieures aux expériences ultérieures, que nous avons déjà examinée. L’intensité particulière de la pulsion naïve et primaire est impliquée dans la culmination de l’expérience libidinale adulte et évoluée, c’est-à-dire dans l’orgasme génital.
Nous sommes tentés par de telles spéculations à cause du caractère « indéfini » des pulsions. Après tout, Freud appelle les pulsions « des êtres mythiques, à la fois mal définis et sublimes » (Nouvelles conférences, p. 130). Nous pouvons rappeler que les pulsions appartiennent à la frontière entre le soma et la psyché, et que notre domaine est celui de la psyché, alors que nous attendons du physiologiste qu’il nous fournisse des données complémentaires. Nous pouvons spéculer à propos des pulsions, mais nos convictions sont tirées de l’observation psychologique, de l’investigation du comportement, des sentiments, des émotions, des phantasmes. Il se pourrait que ce ne soient pas les quantités absolues d’énergie pulsionnelle, mais des caractères spécifiques inhérents à l’organe qui a la primauté, qui décident de l’issue de la fusion des pulsions, et que la fonction de l’organe imprime son caractère sur le stade de l’évolution pulsionnelle qui a été atteint. En vertu de sa fonction suprapersonnelle de procréation, l’organe génital serait le plus approprié pour servir les desseins de la pulsion de vie de telle façon que, grâce à lui, se produise une situation qui constitue un avènement de toutes les composantes érotiques. Mais nous ne pouvons pas considérer seulement la fonction biologique de l’organe qui détient la primauté. Ce sont les phantasmes liés aux divers organes et à leurs fonctions qui sont déterminants sur le plan psychologique. Les premières zones de l’expérience pulsionnelle sont chargées de phantasmes d’une nature fortement agressive. En avançant vers la primauté de l’organe génital, les pulsions destructrices primaires se modifient et s’élaborent, et les phantasmes destructeurs s’adoucissent. Les phantasmes liés à la procréation sont naturellement et inévitablement de nature créatrice et réparatrice.
Freud inclinait à penser que des facteurs quantitatifs décident du progrès et de la régression, mais il était aussi convaincu de l’importance de « la manière dont les deux sortes d’instincts (pulsion) sont fusionnés, mélangés, intriqués l’un avec l’autre ». Nous avons essayé de montrer comment des éléments oraux peuvent enrichir les expériences génitales en ce que le pénis, en plus de sa fonction génitale comme telle, peut aussi dans les phantasmes, adopter celle de nourrir et de réconforter. Cependant, certains des éléments prégénitaux sont incapables de s’intégrer dans l’activité génitale.
Il est probable qu’une des fonctions de la libido est de lier les pulsions destructrices, de drainer les sources des pulsions destructrices et ainsi de les maîtriser. La libido obtiendrait son meilleur succès dans le stade génital en utilisant les pulsions destructrices à ses propres fins et gagnerait ainsi la prédominance dans la fusion. Le fait qu’il y ait une fusion des pulsions même au stade génital nous est clairement démontré par l’analyse de l’impuissance et de la frigidité, dans lesquelles la crainte de l’agressivité mène à l’inhibition de l’acte sexuel. Comme on le sait, une certaine quantité et certains modes des éléments agressifs, ou, plus précisément, une certaine contribution des dérivés de la pulsion destructrice, sont indispensables au fonctionnement génital. Mais le moi ne peut permettre aux pulsions destructrices de prendre part à l’acte génital que si la prédominance de la libido est assurée, c’est-à-dire, si une modification profonde des finalités des pulsions destructrices sous l’influence de la libido a déjà été atteinte.
En résumé on ne peut douter qu’il existe une fusion des pulsions opposées à chaque stade du développement. Le caractère de cette fusion varie cependant avec les stades mais nous ne pouvons pas encore dire avec précision en quoi consiste ce caractère. L’hypothèse la plus sûre semble être qu’il n’est pas déterminé par les seuls facteurs quantitatifs. Comme on le soutient au chapitre X, la prédominance de la pulsion de vie ne peut être comprise en termes seulement quantitatifs. L’interrelation entre les pulsions, leur forme de « mélange et d’intrication » est au moins aussi importante, et peut se révéler comme l’essentiel du problème.
La défusion signifierait alors la rupture d’un type particulier de mélange et le renversement consécutif du pouvoir de la libido, et non un simple détachement des composantes libidinales ou une diminution de leur quantité.
Si un tel détachement se produit, cependant, nous devons rendre compte de la quantité de libido détachée. On sait que Freud soutenait que la libido qui est détachée de ses objets est transférée vers le moi et augmente le narcissisme primaire. Si nous appliquons cette conclusion à la défusion dans la régression, nous devrons mettre le narcissisme et la régression en relation l’un avec l’autre. Comme on l’a fait remarquer dans le chapitre IV sur « L’introjection et la projection », le narcissisme est lié pour nous à la relation du sujet avec ses objets internes. La régression impliquerait ainsi le système de phantasmes et de sentiments lié à l’objet interne. Mais nous ne pouvons essayer de traiter ce problème important dans les limites de ce chapitre. (Nous avons attiré l’attention plus haut sur le rôle du surmoi dans la régression.)
Les phénomènes impliqués dans la régression sont ainsi, à notre avis, hautement complexes et fluides, et impliquent un équilibre instable – et une perte d’équilibre – dans tous les aspects de la vie psychique. Comme nous l’avons dit, le flux régressif de la libido et des pulsions destructrices doit être considéré dans le contexte de l’expérience émotionnelle et de la vie phantasmatique.