Contribution à l’étude de la psychogenèse des tics1

À propos d’un cas dont je résumerai ici l’histoire, j’examinerai d’abord les facteurs de la psychogenèse des tics. Dans ce cas, il apparut que le tic n’était qu’un symptôme secondaire, et pendant fort longtemps, il fit à peine partie du matériel. Le rôle qu’il jouait dans la personnalité du patient – dans le développement de sa sexualité, de sa névrose et de son caractère – était pourtant si fondamental, que lorsque l’analyse eut réussi à le faire disparaître, le traitement fut bien proche de sa fin.

Quand on m’amena Félix, âgé de treize ans, pour une analyse, il illustrait d’une manière saisissante ce qu’Alexander a nommé le « caractère névrotique ». Bien qu’exempt de véritables symptômes névrotiques, il présentait une forte inhibition dans ses intérêts intellectuels et dans ses relations sociales. Ses aptitudes mentales étaient bonnes, mais il ne s’intéressait à rien en dehors des sports. Il se tenait très à l’écart de ses parents, de son frère et de ses camarades de classe. L’absence d’émotivité n’était pas moins frappante. Sa mère mentionna en passant un tic qu’il avait eu de temps en temps pendant quelques mois, et auquel elle n’avait pas attaché d’importance particulière, ce qu’en l’occurrence je ne fis pas non plus, du moins pendant une certaine période.

Comme il ne venait en analyse que trois fois par semaine, et que son traitement était sans cesse interrompu, la cure de 370 séances s’étala sur trois ans et trois mois. A sa première visite il était encore au stade pré-pubertaire, et la durée du traitement me permit de voir toutes ses difficultés s’intensifier au moment de la puberté.

Voici quelques points essentiels de son développement. A l’âge de trois ans, il subit une dilatation du prépuce, et on lui grava dans l’esprit l’idée d’un lien entre cette opération et la masturbation. Son père lui avait donné plusieurs avertissements à ce sujet et l’avait même menacé ; à la suite de ces menaces, Félix avait décidé d’abandonner la masturbation. Mais même pendant la période de latence, il n’avait pas toujours réussi à persévérer dans sa résolution.

Quand il eut onze ans, il eut besoin d’un examen nasal, qui réactiva le traumatisme de la manipulation chirurgicale subie à trois ans et aboutit à la reprise de la lutte contre la masturbation, couronnée cette fois d’un succès total. Le retour de son père après la guerre et le renouvellement de ses menaces contribuèrent largement à ce résultat. L’angoisse de castration, et par suite, la lutte incessante contre la masturbation, avaient dominé le développement de l’enfant. Le fait suivant fut d’un grand poids : jusqu’à l’âge de six ans, il avait partagé la chambre à coucher de ses parents, et avait été profondément marqué par l’observation de leurs rapports sexuels.

Le traumatisme de la manipulation chirurgicale subie à trois ans, âge où la sexualité infantile atteint son point culminant, renforça son complexe de castration et le poussa à abandonner l’attitude hétérosexuelle pour se tourner vers l’attitude homosexuelle. Mais l’angoisse de la castration rendait également insupportable la situation œdipienne inversée. Le développement sexuel de l’enfant fut ramené au stade sadique anal, avec une tendance à la régression vers le narcissisme. Ainsi s’établirent les conditions d’un refus du monde extérieur qui se manifesta de plus en plus nettement dans une conduite peu sociable.

Quand il était très jeune, il avait aimé chanter, mais à l’âge de trois ans environ, il avait cessé de le faire. C’est seulement au cours de son analyse que son talent musical et son intérêt pour la musique ressuscitèrent. Une agitation physique excessive s’était manifestée dès son plus jeune âge et n’avait fait que s’accroître. A l’école, il lui était impossible de garder les jambes immobiles ; il remuait sans cesse sur son siège, faisait des grimaces, se frottait les yeux, etc.

Quand Félix eut sept ans, la naissance d’un petit frère augmenta ses difficultés à bien des égards. Son besoin de tendresse s’accrut, mais sa réserve à l’égard de ses parents et de son entourage devint encore plus nette.

Pendant les premières années de sa vie scolaire, Félix travailla bien. Les sports et la gymnastique lui inspiraient cependant une forte angoisse et il ressentait pour eux une grande aversion. Quand il eut onze ans, son père, qui rentrait de la guerre, menaça de le punir pour sa peur des exercices physiques. L’enfant parvint à vaincre son angoisse. Il tomba même d’un extrême dans l’autre2, devint un footballeur passionné et se consacra à la gymnastique et à la natation, encore qu’il fît, de temps en temps, des rechutes. D’autre part, il répondit à l’insistance que mit son père à contrôler ses devoirs en perdant tout intérêt pour son travail scolaire. Un dégoût croissant pour l’étude fit progressivement de l’école une torture. A ce moment-là, sa lutte contre la masturbation reprit avec une énergie accrue. L’analyse de sa passion pour les sports, qui, avec son dégoût pour le travail scolaire, eut une importance prépondérante pendant la première partie du traitement, montra clairement que les sports et autres activités physiques étaient pour lui des substituts de la masturbation. Au début de son analyse, le seul fantasme de masturbation dont il pouvait encore se souvenir partiellement était le suivant : il joue avec des fillettes ; il caresse leurs seins, et elles jouent avec lui au football. Tout en jouant, il est constamment troublé et distrait par une hutte qu’il aperçoit derrière les fillettes.

L’analyse révéla que cette hutte était un cabinet qui représentait sa mère, exprimait la fixation anale de l’enfant à celle-ci, et signifiait également l’avilissement de la mère. Le football était une expression par l’action de ses fantasmes de coït et remplaçait la masturbation comme une forme autorisée de décharge de la tension sexuelle, une forme encouragée et même exigée par son père. Les sports lui offraient en outre une occasion d’utiliser sa mobilité excessive, intimement liée à sa lutte contre la masturbation. Mais cette sublimation n’était que partiellement réussie3.

L’assimilation des exercices physiques aux rapports sexuels avait été, sous la pression de l’angoisse de castration, la cause de l’inhibition première de son amour pour les sports. A la suite des menaces de son père, il avait réussi à déplacer une partie de son angoisse sur son travail scolaire, qui avait également un lien inconscient avec le coït et qui devint alors un activité interdite, comme les sports l’avaient été auparavant. Mon article sur « Le Rôle de l’Ecole dans le Développement Libidinal de l’Enfant » explique ce lien plus en détail, dans ce cas particulier comme dans le domaine plus large où il entre en jeu. Je dirai seulement ici que réussir à dominer l’angoisse au moyen des jeux, de l’étude et d’autres sublimations, n’était pas possible pour Félix. L’angoisse revenait sans cesse. Au cours de l’analyse, il devint de plus en plus évident à ses yeux que les sports étaient une surcompensation infructueuse de l’angoisse, un mauvais substitut de la masturbation ; parallèlement, son intérêt pour les sports décrût. Au même moment, il manifesta, progressivement aussi, de l’intérêt pour certaines disciplines. Sa « Berührungsangst » (peur de toucher ses organes génitaux) diminua, et après de nombreux et vains efforts, il vainquit graduellement sa peur, ancienne et tenace, devant la masturbation.

On put observer alors que la fréquence du tic augmentait. Ce tic était apparu pour la première fois quelques mois avant l’analyse ; le facteur d’accélération était le suivant : Félix avait été une fois le témoin clandestin des rapports sexuels de ses parents. Aussitôt après, les symptômes dont naquit le tic apparurent : sa figure se crispait et sa tête se rejetait en arrière. Le tic comprenait trois phases. Au début, Félix avait l’impression que le creux de son cou, sous la nuque, se déchirait. Cette sensation l’obligeait d’abord à rejeter la tête en arrière, puis à la faire tourner de droite à gauche. Pendant le second mouvement, il avait l’impression d’entendre quelque chose craquer avec bruit. La dernière phase consistait en un troisième mouvement : le menton s’appuyait sur sa poitrine aussi bas que possible. Ce mouvement donnait à Félix le sentiment de percer quelque chose. Pendant un certain temps, il exécuta ces trois mouvements trois fois de suite. Une des significations de ce chiffre était que dans le tic – je reviendrai là-dessus plus loin, d’une manière plus détaillée – Félix jouait trois rôles : le rôle passif de sa mère, le rôle passif de son propre moi, et le rôle actif de son père.

Les rôles passifs étaient surtout représentés par les deux premiers mouvements ; dans l’impression que « quelque chose craquait » il y avait pourtant aussi un élément sadique représentant le rôle actif du père, élément qui recevait une expression plus complète dans le troisième mouvement, celui qui consistait à percer quelque chose.

Il fut nécessaire, pour faire entrer le tic dans le champ de l’analyse, d’obtenir du patient des associations libres à partir des sensations liées au tic et à partir des circonstances qui l’avaient fait naître.

Ce tic s’était transformé, après un certain temps, en un symptôme apparaissant avec une fréquence de plus en plus grande, mais à des intervalles d’abord irréguliers. Sa signification commença d’apparaître seulement lorsque l’analyse réussit à pénétrer les couches profondes de son homosexualité refoulée, dont le matériel était apparu d’abord dans ses récits de jeux et dans ses fantasmes liés aux jeux. Plus tard, son homosexualité parvint à s’exprimer sous la forme d’un intérêt jusque-là dissimulé pour les concerts, notamment pour les chefs d’orchestre et pour certains musiciens. L’amour de la musique se fit alors jour, se développa et devint une compréhension profonde et durable de la musique.

Félix avait déjà, dans sa troisième année, manifesté par son chant une identification avec son père. Après le traumatisme de la manipulation chirurgicale, cet intérêt fut refoulé en même temps que le reste de son développement déjà peu favorable. Sa réapparition au cours de l’analyse fut précédée de souvenirs-écrans remontant à sa première enfance. Il se rappelait qu’il s’était levé un matin, alors qu’il était petit garçon, et qu’en voyant sa figure reflétée dans la surface polie du piano à queue, il avait remarqué que son image était déformée, et il avait eu peur. Autre souvenir-écran : il se rappelait avoir entendu son père ronfler la nuit et avoir vu des cornes pousser sur son front. Ses associations le menaient, à partir d’un piano noir qu’il avait vu dans la maison d’un ami, au lit de ses parents, et montraient que les bruits venant du lit avaient au début largement contribué à éveiller son intérêt pour les sons et la musique, et avaient entraîné plus tard l’inhibition de cet intérêt. Après avoir assisté à un concert, il regretta, pendant une séance d’analyse, que le piano à queue ait complètement caché le pianiste, et enchaîna sur un souvenir ; la position de son petit lit au pied de celui de ses parents était telle que le montant du grand lit lui cachait ce qui se passait, mais ne l’empêchait pas d’écouter et d’observer. Son intérêt pour les chefs d’orchestre, c’était de plus en plus évident, venait de ce qu’il assimilait ceux-ci à son père pendant la copulation. Le désir de participer activement à ce qui se passait, alors qu’il n’était encore que spectateur, se manifesta dans l’association suivante : il aurait bien voulu savoir comment faisait le chef d’orchestre pour que les musiciens suivent sa mesure avec une telle précision. Cela semblait à Félix extrêmement difficile, car alors que le chef d’orchestre avait une très grande baguette, les musiciens ne se servaient que de leurs doigts4. Les fantasmes où il tenait le rôle d’un musicien jouant en mesure avec le chef d’orchestre constituaient une part essentielle des fantasmes de masturbation qu’il avait refoulés. La sublimation, déjà en cours, de ses fantasmes de masturbation, en intérêt pour les éléments rythmiques et moteurs de la musique, se trouva entravée par l’attaque violente et prématurée du refoulement ; le traumatisme de la manipulation chirurgicale subie à trois ans eut aussi, dans cet épisode, son importance. Le besoin d’activité motrice fut donc déchargé dans une agitation excessive, et au cours du développement de l’enfant, s’exprima de plusieurs autres façons dont je parlerai plus loin.

Chez cet enfant, le fantasme où il prenait la place de sa mère par rapport à son père, c’est-à-dire celui d’une attitude passive homosexuelle, était dissimulé par le fantasme homosexuel actif où il prenait la place de son père dans le rapport sexuel avec un garçon. Ce fantasme exprimait son choix d’un objet homosexuel au stade narcissique ; il se choisissait lui-même comme objet d’amour.

C’était l’angoisse devant la castration éveillée par le traumatisme de la manipulation chirurgicale, qui avait orienté le développement narcissique de son homosexualité. De plus, le fait qu’il s’était détourné de sa mère, puis de son père, en tant qu’objets aimés était le résultat de sa régression narcissique et constituait la base de son attitude asociale. Mais derrière le contenu homosexuel de ses fantasmes de masturbation, on pouvait discerner dans de nombreux détails (comme par exemple dans son intérêt pour le piano à queue et pour les partitions musicales) l’identification originelle de Félix avec son père, c’est-à-dire le fantasme hétérosexuel du rapport sexuel avec la mère. Dans sa troisième année, Félix avait exprimé cette identification par son chant, qu’il avait abandonné plus tard.

Les composantes anales de ses fantasmes masturbatoires furent également mises en lumière. Par exemple, son désir de savoir si c’était parce que l’orchestre était placé sous la scène du théâtre que la musique avait un son assourdi, procédait de l’interprétation anale des sons qui venaient du lit de ses parents. La critique qu’il fit à un jeune compositeur de trop utiliser les instruments à vent nous ramena à l’intérêt qu’il avait, étant enfant, pour le bruit des flatuosités. Lui-même, dont la sensibilité musicale était si riche de composantes anales, il était le jeune compositeur et ne se sentait capable que de réussites anales, qu’il comparait avec les réussites génitales de son père. Il est important de voir que l’approfondissement de son intérêt pour le son venait en partie du refoulement de son intérêt pour le domaine visuel. A un stade très ancien de son développement, sa scoptophilie, intensifiée par l’expérience de la scène primitive, avait subi un refoulement. Cela aussi apparut avec évidence au cours de l’analyse. A la suite d’une visite à l’opéra, il m’avait raconté un fantasme fondé sur les points et les lignes inscrits sur la partition du chef d’orchestre, qu’à partir de son siège, placé tout près de la scène, il avait essayé de déchiffrer. (Là encore, nous nous trouvions devant un maillon rattaché à ses désirs hétérosexuels, car la musique posée devant le chef d’orchestre s’identifiait pour Félix avec les organes génitaux de sa mère.) Nous comprendrons mieux cela lorsque nous parlerons des symptômes transitoires consistant à cligner des yeux et à les frotter.

Quand l’analyse de Félix commença, l’enfant avait une tendance très nette à ne pas voir les choses les plus proches de lui. Il n’aimait pas le cinéma5, dont il n’admettait la valeur que pour une utilisation scientifique, et cette antipathie était liée au refoulement de la scoptophilie accrue par la scène primitive.

Dans l’admiration de Félix pour le chef d’orchestre qui, impassible devant les spectateurs et leurs applaudissements, était capable, « simultanément, de diriger et de tourner les pages de sa partition si rapidement qu’elles faisaient un bruit de déchirure » (herumreissen), nous trouvons une illustration de sa conception sadique des rapports sexuels. Il prétendait qu’à la place où il était assis, il avait pu entendre le bruit des pages tournées – un bruit qui l’intéressait énormément et qui le faisait penser à la révolution et à la violence – mais il se demandait si cela était possible à une telle distance. L’impression d’avoir entendu ce bruit rejoignait la situation originelle de la petite enfance. Ce bruit terrible de déchirure qui, pour lui, représentait un arrachement brutal et une pénétration violente, se révéla comme un important élément sadique de ses fantasmes de masturbation. Nous parlerons de cela plus loin, lorsque nous analyserons le tic.

L’intérêt croissant qu’il prêtait alors aux poètes, aux écrivains et aux compositeurs se rattachait à l’admiration qu’il avait, dans sa petite enfance, pour son père, et qui fut plus tard profondément refoulée. Dans ces circonstances, il fit pour la première fois l’expérience d’un intérêt directement homosexuel, après avoir lu un livre décrivant l’amour d’un homme pour un jeune garçon. Il éprouva une passion romantique pour un de ses camarades de classe. Ce garçon était non seulement adoré par un grand nombre d’autres garçons, il était aussi le favori de l’un des professeurs, et toute la classe pensait, apparemment avec raison, qu’il y avait une intrigue amoureuse entre le maître et l’élève. C’était en grande partie cette relation au maître qui avait déterminé ce choix de l’objet chez Félix. L’analyse montra que ce garçon, A., représentait d’une part une idéalisation de Félix lui-même, et d’autre part, quelque chose d’intermédiaire entre mâle et femelle, la mère au pénis. La relation de A. au professeur représentait la réalisation du désir déçu, éprouvé par Félix lui-même, d’être aimé par son père comme un fils, mais aussi de prendre la place de sa mère dans ses relations avec son père. Son amour pour A. était fondé principalement sur une identification et correspondait à une relation narcissique avec l’objet. Cet amour ne fut pas payé de retour. Il est vrai que Félix osait à peine approcher le garçon qu’il aimait. Il en vint à partager cet amour malheureux avec un autre camarade de classe, B., et choisit alors B. comme objet d’amour. Le matériel analytique montrait que B., par son apparence et par d’autres détails encore, rappelait à Félix son père et devait le remplacer. Ces relations aboutirent à une masturbation mutuelle, et devant les complications possibles, je pensai que dans l’intérêt de l’analyse, je devais mettre fin à ces rapports entre les deux garçons.

Parallèlement à ces événements – réveil de l’intérêt pour la musique, homosexualité manifeste et reprise de la masturbation – on constatait une nette diminution de la fréquence du tic ; quand celui-ci apparaissait de temps en temps, nous pouvions saisir sa signification inconsciente. Au moment où Félix me dit qu’il avait l’impression d’avoir vaincu son amour à la fois pour A. et pour B., le tic réapparut avec une force nouvelle. Ce fait montrait clairement ce que le tic représentait, c’est-à-dire les tendances homosexuelles refoulées, ou plutôt la décharge de ces tendances dans les fantasmes ou la masturbation. Pendant la période des conflits de la première enfance, Félix s’était senti contraint par l’angoisse de castration à refouler ses désirs à l’égard de sa mère et de son père. Maintenant, et en partie à ma demande, il avait répété le processus en se détournant de A. et de B. Le tic apparaissait ainsi comme un substitut ; de la même manière, une agitation physique excessive avait auparavant pris la place de la masturbation et des fantasmes de masturbation. Une analyse plus étendue des tendances homosexuelles devenait maintenant possible. L’homosexualité directe diminua nettement et des sublimations apparurent ; en particulier, des amitiés avec d’autres garçons se nouèrent à ce moment-là.

L’analyse ultérieure du tic nous ramena sans cesse aux sources qu’il avait dans la première enfance. Une fois que Félix était en train de faire ses devoirs avec un ami, il décida qu’il serait le premier à résoudre un problème de mathématiques ; son ami le devança, et le tic apparut alors. Les associations montrèrent que sa défaite devant son ami attirait de nouveau son attention sur la supériorité de son père et ranimait son complexe de castration. En définitive, il se sentait rejeté en arrière, contraint à adopter le rôle féminin par rapport à son père. Une autre fois, le tic apparut quand il dut avouer au professeur d’anglais qu’il n’avait pas su maintenir son travail à jour, et qu’il souhaitait prendre quelques leçons particulières pour rattraper son retard. Ce fait là aussi signifiait pour lui l’aveu d’une défaite par rapport à son père.

L’incident suivant fut particulièrement caractéristique. Félix avait essayé de se faire admettre dans une salle de concert alors que toutes les places étaient vendues ; il se tenait avec beaucoup d’autres personnes dans l’entrée de la salle, lorsque dans la bousculade, un homme brisa une vitre et un agent de police dut être appelé. À ce moment-là, le tic apparut. L’analyse révéla que cette situation précise répétait une scène de sa petite enfance où il avait écouté à la porte de la chambre de ses parents, et qui se rattachait étroitement à l’origine du tic. Il s’identifiait avec l’homme qui avait brisé la vitre, car il avait voulu comme lui, dans les circonstances mentionnées plus haut, se faire admettre de force à un « concert », c’est-à-dire aux rapports sexuels de ses parents. Le policier tenait le rôle de son père qui découvrait sa tentative.

Le déclin ultérieur du tic suivit deux voies : le tic devint moins fréquent, et ses trois mouvements se réduisirent à deux, puis à un seul mouvement. D’abord cessa la sensation de déchirure au bas de la nuque, qui provoquait le premier mouvement du tic ; puis disparut l’impression de craquement bruyant, qui introduisait le second mouvement. Ce qui restait, c’était l’impression de percer quelque chose, qui avait la double signification d’une poussée au sens anal et d’une pénétration avec le pénis. Des fantasmes où il détruisait le pénis de son père et le pénis de sa mère en les perçant ainsi avec son pénis, s’associaient à cette impression. A ce stade-là, les mouvements du tic se concentraient dans un seul mouvement, où l’on pouvait encore découvrir les traces des deux premiers.

La disparition des sensations de déchirement et de craquement suscitées par des facteurs homosexuels passifs, se produisit en même temps qu’une transformation analogue des fantasmes de masturbation : leur contenu homosexuel devint actif après avoir été passif. Le rythme du coït était cependant impliqué dans le déchirement comme dans le craquement et le percement. Lorsque Félix, malgré les sollicitations de ces sensations, se retint d’exécuter les mouvements du tic, il éprouva le sentiment d’une grande tension et l’accroissement, puis la réduction de ces impressions – surtout, pendant un certain temps, du déchirement, puis du craquement, et plus tard seulement, de l’impression de percer quelque chose. Après un certain temps, le tic disparut complètement, mais il fut remplacé par un mouvement qui consistait à rejeter les épaules en arrière. La signification de ce geste se révéla dans l’incident suivant : alors qu’il parlait avec le directeur de son école, Félix fut saisi tout à coup d’une irrésistible envie de se gratter le dos, qui fut suivie d’une irritation de l’anus et d’une contraction du sphincter. Il apparut qu’il avait aussi éprouvé le désir réprimé d’insulter le directeur en des termes scatologiques et de le barbouiller de fèces. Nous étions de nouveau ramenés à la scène primitive, pendant laquelle le même désir avait surgi en lui à l’égard de son père, et s’était exprimé dans un mouvement qu’il fit et les cris qu’il poussa.

À un stade plus tardif de l’analyse du tic, Félix se mit à se frotter les yeux et à cligner des paupières ; ces gestes étaient des substituts du tic ; voici comment cette transformation s’expliqua : on avait reproduit une inscription médiévale sur le tableau de sa classe, et Félix avait eu l’impression, tout à fait injustifiée, qu’il ne parvenait pas à la déchiffrer. Là-dessus, il se mit à se frotter violemment les yeux et à cligner des paupières. Les associations révélèrent que le tableau6 et l’inscription qui s’y trouvait représentaient – comme dans bien d’autres occasions rencontrées pendant l’analyse – les organes génitaux de sa mère comme élément inconnaissable, incompréhensible, du coït qu’il avait observé. Il existait une analogie entre cette inscription sur le tableau et la partition du chef d’orchestre dont il avait essayé de déchiffrer les lignes noires à partir de son fauteuil. Ces deux exemples prouveraient que la scoptophilie refoulée avait fait naître le clignement des paupières, et que dans le fait de se frotter les yeux, le désir de se masturber – qui apparut au même moment – trouvait à s’expliquer au moyen d’un déplacement. Il nous fut également possible, pendant l’analyse, de parvenir à comprendre entièrement ce qui reliait ces situations aux moments d’absence qu’il avait souvent à l’école. Le fait de fixer le vide s’associait à des fantasmes, à celui-ci, par exemple : il regardait et écoutait un orage ; cela lui rappelait un orage de son enfance ; après la fin de la tempête, il s’était penché à la fenêtre pour voir si le propriétaire et sa femme, qui se trouvaient dans le jardin, n’avaient pas eu de mal. Il apparut cependant que c’était un souvenir-écran qui ramenait lui aussi à la scène primitive.

Il y eut de nouveaux progrès dans l’analyse du tic et de ses formations de substitution, de telle sorte que finalement, le clignement des paupières et le geste de se frotter les yeux disparurent eux aussi ; c’était seulement la pensée du tic qui surgissait dans l’esprit de Félix à certaines occasions. Lorsque ces occasions eurent elles aussi montré le lien qui les unissait aux désirs refoulés de masturbation et à la scène primitive, la pensée elle-même du tic disparut, et à ce moment là, le garçon en fut guéri complètement et durablement. Un changement notable s’était alors produit aussi dans d’autres ramifications de l’analyse. Pour la première fois, des désirs hétérosexuels se firent jour, prenant la forme de l’admiration pour une actrice. Ce choix de l’objet était dans la ligne de l’assimilation7 constante, chez Félix, du théâtre, des concerts, etc., avec les rapports sexuels, et des acteurs ou exécutants avec ses parents. Lui-même, il représentait alors, comme je l’ai déjà montré, un spectateur ou un auditeur, et simultanément, par l’identification avec ses parents, un acteur interprétant les différents rôles.

Une fois, alors qu’il m’avait attendu dans mon cabinet pendant quelques instants, Félix m’annonça qu’il avait regardé par la fenêtre les appartements de la maison d’en face, et qu’en faisant cela, il avait éprouvé une sensation particulière. Aux nombreuses fenêtres, il avait vu des ombres et des formes et il avait essayé d’imaginer ce qu’elles faisaient. Il lui avait semblé qu’il était dans un théâtre où l’on regardait jouer les différents rôles, et où l’on avait au même moment le sentiment de participer à ce qui se passait.

Le premier choix d’un objet hétérosexuel était très influencé par son attitude homosexuelle. Pour lui, cette actrice possédait des attributs mâles, elle était la mère au pénis. Cette attitude se retrouva dans sa relation à son second objet d’amour hétérosexuel. Il tomba amoureux d’une fille plus âgée que lui et qui avait pris l’initiative dans cette affaire. Elle personnifiait l’image qu’il se faisait, dans sa petite enfance, de sa mère comme d’une prostituée, et en même temps, celle de la mère au pénis qui lui était supérieure. Le transfert fut assez solide pour que je pusse imposer une rupture temporaire de ce lien8, d’autant plus que Félix avait déjà compris que des sentiments d’angoisse s’attachaient à ces relations. Par le choix de cet objet, il voulait fuir les fantasmes et les désirs qui s’adressaient à moi, et que l’analyse ne mit pleinement en lumière qu’à ce moment-là. On pouvait voir maintenant que le fait de se détourner de la mère, aimée à l’origine, mais interdite, avait contribué à renforcer l’attitude homosexuelle et les fantasmes sur la mère castratrice et terrifiante.

Le passage des tendances homosexuelles aux tendances hétérosexuelles et les modifications de ces dernières s’exprimaient également, chez Félix, dans l’évolution et les transformations de ses fantasmes masturbatoires. L’analyse nous avait ramenés aux plus anciens fantasmes masturbatoires, directement reliés à l’observation des rapports sexuels des parents. J’esquisserai maintenant, sans entrer dans les détails, l’évolution de ces fantasmes et leur ordre chronologique effectif.

Quand il était petit et qu’il partageait encore la chambre à coucher de ses parents, ce qu’il fit jusqu’à l’âge de six ans, Félix imaginait devant lui le tronc d’un grand arbre dressé dans la direction opposée à celle du lit de ses parents. Un petit homme glissait vers lui le long de cet arbre ; c’était à moitié un vieillard et à moitié un enfant ; une condensation de son père et de lui-même qui exprimait son choix narcissique d’un objet homosexuel. Plus tard, ce furent des têtes d’hommes, et notamment les têtes des héros grecs, qu’il vit voler vers lui ; c’étaient également, dans son esprit, des projectiles et des objets pesants. Nous trouvons là, déjà, le matériel de ses fantasmes ultérieurs sur le thème du football, et de la méthode qu’il appliqua plus tard pour surcompenser sa peur du père castrateur par l’adresse au football.

Au début de la puberté psychique, des fantasmes masturbatoires sur le thème des fillettes avec lesquelles il jouait au football, révélèrent un nouvel effort pour faire le choix d’un objet hétérosexuel.

Dans ce fantasme également, il changeait les têtes (des petites filles), tout comme il avait fait intervenir des têtes de héros, afin de rendre méconnaissables les véritables objets aimés. Au cours de l’analyse, parallèlement à la reprise progressive de la masturbation qui devenait plus fréquente à mesure que le tic disparaissait, ses fantasmes masturbatoires évoluèrent peu à peu jusqu’à présenter le contenu suivant : il imaginait une femme couchée sur lui, puis une femme couchée quelquefois sur lui et quelquefois sous lui, et finalement une femme dans cette dernière position exclusivement. Des détails différents, dans les fantasmes de coït qui accompagnaient la masturbation, correspondaient à ces différentes positions.

L’analyse des fantasmes de masturbation était, dans le cas de Félix, le facteur décisif de la disparition du tic. L’abandon de la masturbation avait conduit à une décharge motrice qui suivit d’autres voies, et qui aboutit, comme nous l’avons vu, à des grimaces, au geste de se frotter les yeux et de cligner des paupières, à une mobilité excessive sous les formes les plus diverses, aux sports et finalement au tic.

Considérons maintenant les vicissitudes des fantasmes spécifiques de masturbation sur lesquels s’exerçait le refoulement. Nous découvrîmes qu’ils étaient, en partie, liés aux décharges motrices, et en partie compris dans toutes les tentatives de sublimation. Les mêmes fantasmes de masturbation fondaient son amour pour les sports et s’associaient, comme nous l’avions constaté, à son tic ; il s’agissait toujours d’une identification, fondée sur la scène primitive, avec ses deux parents pendant l’acte sexuel, alors que, dans son imagination, il y participait à la fois comme un spectateur et comme un objet aimé. Etant donné que dans son analyse, l’intérêt pour les sports et les récits sur le thème des sports jouaient un rôle fondamental, j’avais un important matériel me permettant d’établir que la même identification était à la base des fantasmes liés aux sports.

Son adversaire au football, etc., était toujours son père qui le menaçait de la castration et contre lequel il devait se défendre. Mais les buts dans lesquels on lançait la balle et le terrain sur lequel on jouait représentaient la mère. L’analyse permit, par d’autres moyens encore, de trouver l’image de la mère derrière les tendances homosexuelles elles-mêmes, comme cela fut le cas, plus tard, avec les fantasmes liés au tic. Les sports et la mobilité excessive tenaient également lieu de fuite devant le tic, ou plutôt devant la masturbation. C’était surtout à cause de l’angoisse de castration, sans cesse renaissante, que cette sublimation n’était qu’imparfaitement accomplie et que l’attitude du garçon à l’égard des sports restait instable. Mais nous pûmes constater que ces fantasmes de masturbation étaient également à l’origine de son attitude ambivalente à l’égard de l’étude, car ils étaient intimement liés à cette activité.

Un jour, alors que le maître s’appuyait à son pupitre pendant une leçon, Félix eut envie tout à coup de le voir renverser le pupitre, le briser et se blesser en le cassant. Pour Félix, c’était là une version nouvelle des rapports sexuels que son père avait avec sa mère pendant qu’il les regardait. Sa relation à son maître fut dès le début une répétition de sa relation à son père ; elle fut marquée, comme celle-ci, par une homosexualité refoulée. Les réponses qu’il donnait en classe, le travail qu’il faisait à l’école représentaient des rapports homosexuels avec son père. Mais ici aussi, comme dans sa relation à son partenaire ou à son adversaire sportif, la relation originelle à la mère – encore qu’elle fût bien cachée – apparaissait derrière la tendance homosexuelle. Le banc sur lequel il s’asseyait à l’école, le pupitre sur lequel le maître s’appuyait et le tableau noir sur lequel il écrivait, la classe, le bâtiment de l’école, tout cela représentait, par rapport au maître, la mère avec laquelle le maître (le père) avait des rapports sexuels, comme la représentaient aussi les buts dans lesquels la balle tombe, la cour de l’école, les terrains de jeu, etc. L’angoisse de castration expliquait son inhibition à l’égard de l’étude aussi bien que son inhibition à l’égard des sports. Nous comprenons donc comment il put se faire que Félix, malgré certaines inhibitions, fut un bon élève pendant ses premières années d’école : à cette période correspondait l’absence de son père, pendant la guerre, de telle sorte que l’angoisse associée à l’étude se trouvait, dans une certaine mesure, diminuée. Ce fut au retour du père que naquit l’aversion pour l’école. D’autre part, Félix sublima alors, pendant un certain temps, ses fantasmes masturbatoires dans les activités physiques exigées par son père ; il est vrai que c’était en partie pour surcompenser son angoisse.

Le même contenu changeant des fantasmes de masturbation se retrouvait, comme je l’ai montré, dans l’amour de Félix pour la musique – sublimation qui avait été encore plus fortement refoulée, mais qui fut libérée peu à peu au cours de l’analyse. C’était également à cause de l’angoisse provoquée par les fantasmes de masturbation que cette inhibition, plus forte et plus ancienne que les autres, s’était développée.

Il apparut clairement, dans le cas de Félix, qu’il y avait une relation étroite entre le tic et sa personnalité tout entière, sa sexualité aussi bien que sa névrose, le sort de ses sublimations, le développement de son caractère et son attitude sociale. Cette relation s’enracinait dans les fantasmes de masturbation ; nous pûmes constater que ces fantasmes exerçaient une influence considérable sur les sublimations de l’enfant, sa névrose et sa personnalité.

Je découvris de la même manière, dans le cas d’un autre patient, que le développement du tic dépendait de la signification et de la structure des fantasmes de masturbation. Il s’agissait non pas d’un tic prononcé, mais de décharges motrices qui, à de nombreux égards, ressemblaient beaucoup à un tic. Werner, qui vint chez moi à l’âge de neuf ans, était un garçon névrosé. A l’âge d’un an et demi déjà, il montrait une agitation physique excessive et qui augmentait sans cesse. A cinq ans, il prit l’habitude de bouger les mains et les pieds pour imiter les mouvements d’une machine. C’est à partir de ce jeu que se développa ce que lui-même et son entourage appelaient « gigoter », et qui en vint peu à peu à dominer toutes ses activités ludiques. Le thème originel de la machine cessa bientôt d’en être le seul contenu. À l’âge de neuf ans, il s’agitait souvent pendant des heures d’affilée. Il disait : « C’est amusant de gigoter, mais ce n’est pas toujours amusant, on ne peut pas s’arrêter quand on veut – comme, par exemple, quand on devrait apprendre ses leçons. »

L’analyse fit apparaître à l’évidence que la suppression du mouvement éveillait non pas de l’angoisse, mais une sensation de tension : l’enfant était toujours obligé de penser à s’agiter. De la même manière, la suppression du tic chez Félix avait libéré non pas de l’angoisse, mais une tension. On pourrait trouver d’autres ressemblances importantes dans le contenu des fantasmes. Au cours de l’analyse, je découvris ce que Werner appelait ses « idées à gigoter ».

Il me dit qu’il gigotait avec les animaux de Tarzan9. Les singes marchaient dans la jungle ; dans son fantasme, il marchait derrière eux et s’adaptait à leur démarche. Les associations montraient clairement son admiration pour son père copulant avec sa mère (singe = pénis) et son désir de participer en tierce personne à ce qu’ils faisaient. Ici aussi, cette identification avec le père et la mère à la fois, constituait la base des nombreuses autres idées « à gigoter », qui pouvaient toutes être reconnues comme fantasmes masturbatoires. Pendant qu’il s’agitait, fait significatif, il lui fallait tourner un crayon ou une règle entre les doigts de sa main droite, et de plus, il ne pouvait pas « gigoter comme il faut » en présence d’autres personnes.

Le fantasme suivant est un de ceux qui accompagnaient son agitation ; il voyait devant lui un bateau fait de bois particulièrement dur et muni de très solides échelles par lesquelles une personne pouvait monter et descendre sans aucun risque. Dans la partie inférieure du bateau, il y avait des dépôts de provisions et un grand ballon rempli de gaz. Des hydravions pouvaient se poser sur ce « bateau de sauvetage » (comme il l’appelait) s’ils étaient en détresse. Ce fantasme exprimait l’angoisse de castration appelée par l’adoption d’une attitude féminine à l’égard de son père ainsi que la défense contre cette attitude. Les hydravions en détresse le représentaient lui-même, la coque du bateau représentait sa mère, le ballon et les dépôts de provision, le pénis de son père. Dans ce cas, comme dans celui de Félix, l’angoisse de castration avait amené l’enfant à se choisir narcissiquement lui-même comme objet d’amour. Un « Petit » qui se joignait à d’autres, rivalisait avec eux, et apparaissait comme plus adroit qu’un « Grand », jouait un rôle important dans ses fantasmes ; c’était par exemple une machine plus petite, ou surtout, un clown plus petit. Le « Petit » n’était pas seulement le pénis, mais lui-même, par rapport à son père ; et l’admiration pour lui-même qu’il exprimait ainsi montrait la disposition narcissique de sa libido.

Le rôle important joué par le son dans les fantasmes de Werner constituait une autre ressemblance encore avec le cas de Félix. Werner n’avait pas encore manifesté de sentiment musical très prononcé mais il éprouvait un grand intérêt pour les sons ; cet intérêt, comme le montra l’analyse, était intimement lié aux fantasmes suscités par ses observations des rapports sexuels de ses par enta. Il avait partagé temporairement leur chambre à coucher quand il avait cinq mois. Rien ne put être établi – du moins au stade actuel de son analyse10 – au sujet des observations qu’il fit étant si jeune. D’autre part, l’analyse avait prouvé sans aucun doute possible l’importance de ce qu’il avait entendu à plusieurs reprises par la porte ouverte de la chambre à coucher de ses parents, à l’âge de dix-huit mois environ. C’est à cette période que la mobilité excessive fit son apparition. Voici une illustration de l’importance du facteur acoustique dans ses fantasmes masturbatoires : il me dit qu’il avait « gigoté » sur le thème d’un gramophone qu’il voulait avoir ; cette agitation consistait, comme à l’accoutumée, à imiter certains mouvements, ici ceux qui servaient à remonter le gramophone et ceux de l’aiguille courant sur le disque. Il passa alors à des fantasmes concernant une motocyclette qu’il aurait voulu posséder, et de la même manière, il décrivit les mouvements correspondants en « gigotant ». Il représenta ses fantasmes dans un dessin. La motocyclette avait un moteur énorme dessiné nettement comme un pénis, et comme le ballon du « bateau de sauvetage », bien rempli, mais cette fois d’essence. Sur le moteur était assise une femme qui faisait marcher la motocyclette. Les bruits faits par le démarrage tombaient, sous forme de rayons pointus, sur un « pauvre petit homme » auquel ils faisaient très peur. Ensuite, Werner raconta un fantasme au sujet d’un orchestre de jazz dont il imitait les bruits, et dit qu’il « gigotait » là-dessus. Il me montra comment le trompette jouait de son instrument, comment le chef d’orchestre dirigeait et comment l’homme au grand tambour battait sur son tambour. Lorsque je lui demandai sur quoi il « gigotait » à un moment précis, il me répondit qu’il prenait part à toutes ces activités. Il dessina alors sur un papier un géant avec des yeux immenses et une tête qui contenait des antennes et des postes de radio. Un petit homme minuscule voulait voir le géant, et pour cela, il grimpait sur la tour Eiffel qui, sur le dessin, était reliée à un gratte-ciel. Son admiration pour son père s’exprimait ici à travers son admiration pour sa mère ; derrière l’attitude homosexuelle passive, on pouvait discerner l’attitude hétérosexuelle.

Chez Werner comme chez Félix, un puissant intérêt acoustique qui devait trouver une expression rythmique s’associait au refoulement de la scoptophilie. A la suite des fantasmes que je viens de décrire et dont le thème était un orchestre de jazz représenté f ar un géant, Werner me parla des séances de cinéma auxquelles il avait assisté. Il est vrai qu’il n’éprouvait pas pour le cinéma une aversion aussi nette que Félix, mais je remarquai chez lui des signes de refoulement de la scoptophilie un jour où j’eus l’occasion de l’observer, parmi d’autres enfants, pendant une représentation théâtrale. Il détournait les yeux de la scène durant de longs moments, et il déclara ensuite que tout cela était ennuyeux et faux. Par intervalles, il restait assis comme s’il était ensorcelé, le regard rivé sur la scène, puis il reprenait son attitude première.

Dans le cas de Werner également, le complexe de castration était extraordinairement fort ; la lutte contre la masturbation avait échoué, et l’enfant en cherchait un substitut dans d’autres décharges motrices. Son analyse n’a pas encore pu déterminer avec certitude les impressions traumatiques qui avaient permis le développement d’un si fort complexe de castration et de sa peur devant la masturbation. Sans aucun doute, l’observation auditive du coït à l’âge de cinq ans – par la porte ouverte, une fois de plus – puis probablement son observation visuelle, entre six et sept ans, alors qu’il partageait temporairement la chambre de ses parents, eurent pour effet d’intensifier toutes ses difficultés, y compris le fait de « gigoter » qui était déjà apparu. L’analogie entre cette agitation et un tic est incontestable. Il serait probablement justifié de considérer le symptôme moteur comme une sorte d’étape préliminaire au développement d’un véritable tic. Dans le cas de Félix, une excessive mobilité diffuse, apparue dès la petite enfance, fut remplacée par un tic à la puberté seulement, après une expérience particulière qui servit de facteur d’accélération. Peut-être arrive-t-il souvent qu’un tic ne se développe finalement qu’à la puberté, au moment où de si nombreuses difficultés atteignent un point critique.

Je me propose à présent de comparer les conclusions que je tire de mon matériel avec certains travaux psychanalytiques concernant les tics. Je voudrais me reporter à l’article si important de Ferenczi11 intitulé « Psycho-analytical Observations on Tic », et la communication d’Abraham lue devant la Société Psychanalytique de Berlin12. Une des conclusions de Ferenczi – le tic équivalent de la masturbation – est confirmée par les deux cas que j’ai décrits. La tendance à s’isoler pour exécuter le tic, également mise en lumière par Ferenczi, apparaissait dans le cas de Werner, où nous pûmes observer cette condition à l’état naissant ; être seul était devenu nécessaire pour pouvoir « gigoter ». Je puis également confirmer, mais jusqu’à un certain point seulement, les conclusions de Ferenczi selon lesquelles le tic ne joue pas dans l’analyse le même rôle que les autres symptômes—que, dans une certaine mesure.il y échappe. Pendant un temps considérable, j’eus moi aussi l’impression, devant l’analyse de Félix, qu’il y avait quelque chose de tout à fait différent dans son tic quand on le comparait à d’autres symptômes, qui livraient leur signification beaucoup plus tôt et beaucoup plus clairement. Je découvris en outre que Félix n’était pas gêné par son tic ; cela rejoignait également les conclusions de Ferenczi. Je souscris enfin à son idée que les raisons de toutes ces différences se trouvent dans la nature narcissique du tic.

C’est ici, cependant, qu’un désaccord essentiel surgit entre Ferenczi et moi. Il considère le tic comme un symptôme narcissique primaire ayant la même source que les psychoses narcissiques.

L’expérience m’a convaincue que le tic est inaccessible à toute action thérapeutique tant que l’analyse n’a pas réussi à dévoiler les relations objectales sur lesquelles il est fondé. J’ai constaté qu’à la base du tic se trouvaient des tendances génitales, sadique-anales et orales, dirigées contre l’objet. Il est vrai que l’analyse dut pénétrer jusqu’aux stades les plus anciens du développement de l’enfant, et que le tic ne disparut pas complètement avant que les fixations prédisposantes de la période infantile ne fussent parfaitement explorées13. Ferenczi déclare que dans le cas d’un tic, aucune relation objectale ne semble se cacher derrière le symptôme ; je ne puis le confirmer. Dans les deux cas décrits, les relations objectales originelles apparurent tout à fait clairement au cours de l’analyse ; elles avaient simplement subi, sous la pression du complexe de castration, un refoulement au stade narcissique.

Les relations objectales sadique-anales indiquées par Abraham étaient également apparentes dans les deux cas étudiés. Chez Félix, la contraction des épaules qui succéda au tic était un substitut de la contraction du sphincter ; celle-ci constituait également la base du mouvement de rotation qui faisait partie du tic. Dans le même ordre d’idées, Félix avait éprouvé la forte envie de lancer des injures au directeur de son école. Le mouvement « perçant » du tic, à la troisième phase de celui-ci, équivalait non seulement au geste de percer pour pénétrer, mais aussi au geste de percer pour sortir – à la défécation.

Au moment où le tic fut remplacé par une excessive mobilité diffuse, Félix prit l’habitude de balancer les jambes de telle sorte qu’à plusieurs reprises, il donna des coups de pieds à son maître au moment où celui-ci passait devant lui. Il était incapable de vaincre cette habitude malgré le trouble où elle le mettait. Cette composante agressive de son agitation physique, qui fut de nouveau représentée plus tard dans le tic, fut aussi très nette dans le cas de Werner ; son contexte était assez significatif pour montrer clairement le sens fondamental des tendances sadiques contenues dans les décharges du type du tic. Pendant les séances d’analyse, une série de questions passionnées et compulsives, apparue comme une expression de curiosité à l’égard de la scène primitive (dont les détails étaient incompréhensibles pour un enfant d’un an et demi), fut à plusieurs reprises suivie de violents accès de rage. Werner salissait alors l’appui de la fenêtre et la table avec des crayons de couleur, essayait de me salir également, me menaçait avec ses poings ou avec des ciseaux, tentait de me donner des coups de pied, faisait, les joues gonflées, des bruits de flatuosités avec la bouche, m’insultait de toutes sortes de manières, faisait des grimaces et sifflait ; pendant les intervalles qui séparaient ces accès, il se bouchait les oreilles avec les doigts14 et annonçait tout à coup qu’il entendait un son particulier, qui semblait lointain, mais dont il ne savait pas ce que c’était.

Il est encore un fait prouvant sans équivoque que cette scène était une répétition des décharges motrices agressives provoquées par la scène primitive. Pendant ses explosions de rage, Werner sortait de la pièce pour voir s’il réussirait à me frapper avec une balle lancée de l’antichambre. C’était une répétition évidente de la scène où, à l’âge de dix-huit mois, il voulait injurier et blesser ses parents à travers la porte ouverte15.

De nombreux fantasmes dont j’ai montré le lien avec le tic – par exemple, celui des instruments à vent avec lesquels Félix éprouvait l’envie de participer aux rapports sexuels de ses parents – témoignent de la relation anale avec l’objet. Werner, lui aussi, « gigotait » pour imiter le trompette de l’orchestre de jazz – qui représentait son père dans l’acte de la copulation – et exprimait la même relation en sifflant et en imitant le bruit des flatuosités.

La manière dont ces composantes sadique-anales faisaient partie de l’interprétation générale du tic, et non seulement en faisaient partie, mais apparaissaient comme des facteurs importants de cette interprétation, me semble confirmer l’opinion d’Abraham selon laquelle le tic est un symptôme de conversion au stade sadique-anal. En répondant à Abraham, Ferenczi exprime son accord sur ce point ; son article attire également l’attention sur l’importance des composantes sadique-anales dans le tic, et sur leur lien avec la coprolalie.

Les relations génitales avec l’objet apparaissent clairement dans le matériel décrit. Les fantasmes de coït associés au tic avaient à l’origine trouvé leur expression dans des activités masturbatoires.

Ce fut évident quand, dans le courant de l’analyse, le choix de l’objet homosexuel réapparut en liaison avec la masturbation, si longtemps évitée sous la pression de l’angoisse. Le choix de l’objet hétérosexuel, le dernier à être dévoilé, s’accompagna de nouveaux changements dans les fantasmes masturbatoires et avec ces fantasmes, le retour à la masturbation de la petite enfance fut d’évidence établi.

Je voudrais indiquer ici un passage de l’article de Ferenczi qui permet d’aplanir, me semble-t-il, la différence entre son opinion et la mienne. Ferenczi écrit : « Dans le cas d’un tic survenant chez un “narcissique constitutionnel”, la primauté delà zone génitale ne semble pas, en fin de compte, très fermement établie, de telle sorte que des stimulations ordinaires ou des troubles inévitables provoquent un tel déplacement. La masturbation serait alors une sorte d’activité sexuelle semi-narcissique à partir de laquelle le passage à la satisfaction normale avec un autre objet aussi bien qu’un retour à l’auto-érotisme sont possibles. »

Mon matériel prouve qu’un repli à partir des relations objectales déjà établies vers un narcissisme secondaire, s’était produit au moyen de la masturbation ; pour certaines raisons qu’il faudrait étudier à loisir, la masturbation était redevenue une activité autoérotique. Ce fait éclaire, me semble-t-il, la différence entre l’opinion de Ferenczi et la mienne. D’après ce que j’ai découvert, le tic n’est pas un symptôme narcissique primaire, mais secondaire. Comme je l’ai déjà indiqué, la disparition du tic, dans les cas étudiés, était suivie non d’angoisse, mais d’une sensation de tension – ce qui s’accorde avec les déclarations d’Abraham.

Dans une certaine mesure, on peut considérer mes conclusions comme complémentaires de celles de Ferenczi et d’Abraham. J’ai constaté que le tic était un symptôme narcissique secondaire ; c’est le dévoilement des relations objectales originelles, sadique-anales et génitales, sur lesquelles il se fonde, qui m’a conduite à cette conclusion. Il apparut en outre que le tic n’était pas seulement un équivalent de la masturbation, mais que des fantasmes masturbatoires lui étaient également attachés. L’exploration analytique et la désagrégration du tic ne furent possibles qu’après l’analyse la plus poussée des fantasmes masturbatoires, et il fallut faire remonter ceux-ci jusqu’à leur apparition la plus ancienne, ce qui entraînait un dévoilement de tout le développement sexuel de l’enfance. Ainsi, l’analyse des fantasmes masturbatoires apparut comme la clef de la compréhension du tic.

Simultanément, je fus amenée à voir que le tic, qui au début semblait être un symptôme accidentel et abstrait, était intimement et organiquement lié à de très graves inhibitions et à une évolution asociale du caractère. J’ai indiqué à plusieurs reprises que lorsque la sublimation réussit, chaque talent et chaque intérêt se fonde en partie sur des fantasmes masturbatoires. Dans le cas de Félix, les fantasmes masturbatoires étaient très étroitement liés au tic. La sublimation de ces fantasmes dans de multiples intérêts eut lieu parallèlement à la désintégration et à la disparition du tic. Le résultat final de l’analyse fut une réduction féconde des inhibitions et des défauts de caractère. Dans le cas de Werner, l’analyse révéla aussi la signification centrale de l’acte de « gigoter » et les rapports de cet acte avec les graves inhibitions de l’enfant et sa conduite asociale. Bien que l’analyse de Werner n’ait pas encore pénétré assez loin pour exercer une action thérapeutique sur le symptôme, on voit déjà nettement que l’ensemble si riche de sa vie fantasmatique avait été mis au service du symptôme et par conséquent retiré à d’autres intérêts. L’analyse de Werner montre aussi que l’inhibition de sa personnalité fut progressive.

Ces faits, me semble-t-il, prouvent la nécessité d’étudier la signification du tic en l’examinant sous cet angle, autrement dit, de découvrir dans quelle mesure le tic n’est pas seulement un signe d’inhibition et de développement asocial, mais aussi un facteur d’une portée fondamentale pour l’évolution de ces troubles.

Je voudrais indiquer une fois de plus les facteurs spécifiques qui sont à la base de la psychogenèse du tic, tels qu’ils m’apparurent dans ce matériel. Les fantasmes masturbatoires sur lesquels se fonde le tic ne sont certainement pas spécifiques, car nous savons qu’ils ont la même importance pour presque tous les symptômes névrotiques, et comme j’ai essayé de le montrer à plusieurs reprises, pour la vie fantasmatique et les sublimations. Le contenu particulier des fantasmes masturbatoires, commun aux deux cas dont j’ai parlé – identification simultanée avec le père et la mère tandis que le sujet participe à ce qu’ils font – ne semble pas non plus spécifique en lui-même. Ce type de fantasme se rencontre chez de nombreux autres patients dépourvus de tic.

Il me semble que l’évolution suivie dans les deux cas par cette forme d’identification constitue un facteur plus spécifique de la psychogenèse du tic. D’abord, l’identification avec le père était recouverte par l’identification avec la mère (attitude homosexuelle passive) ; à cause d’une angoisse de castration particulièrement intense, cette attitude cédait alors la place à une réapparition de l’attitude active. Une sorte d’identification avec le père avait lieu de nouveau, mais ne réussissait pas mieux, car les traits du père se mêlaient au moi du patient lui-même, et le moi du patient, aimé par le père, surgissait comme le nouvel objet d’amour.

Cependant, il est un facteur spécifique précis, favorable à la fois à la régression narcissique née du complexe de castration, et au tic fondé sur cette régression. Dans le cas de Félix comme dans celui de Werner, les observations des rapports sexuels avaient été menées de telle sorte que l’intérêt principal des deux enfants visait les sons. Chez Félix, cet intérêt pour le son était accru par un refoulement très fort de la scoptophilie. Quant à Werner, il est incontestable que le fait d’avoir accompli ces observations dans la chambre voisine, et donc d’avoir fait des observations d’abord auditives, avait eu pour conséquence le développement de son intérêt pour le son.

Un accroissement de la mobilité, probablement d’origine constitutionnelle (Ferenczi, loc. cit.), se manifestait à propos de cet intérêt16. L’enfant imitait17 ce qu’il avait entendu en le représentant d’abord par les mouvements rythmés de la masturbation. Lorsque la masturbation fut abandonnée sous la pression de l’angoisse de castration, les sons durent être reproduits par d’autres décharges motrices. J’ai décrit par exemple, dans les deux cas, le fantasme de jouer de la musique en mesure avec le chef d’orchestre.

Nous pouvons admettre que cet intérêt acoustique avait été non seulement influencé par les circonstances, mais qu’il provenait d’un facteur constitutionnel lié, dans ces deux cas, à de fortes composantes sadique-anales. Celles-ci se manifestaient dans l’intérêt pour le bruit des flatuosités et dans l’agression qui était à la base de la mobilité accrue.

Seule, l’expérience ultérieure permettra de dire si les facteurs spécifiques qui agirent dans les cas étudiés sont, dans d’autres cas, également décisifs en ce qui concerne la psychogenèse des tics.

Appendice ajouté au moment de la correction des épreuves (1925).

Depuis que j’ai écrit cet article, j’ai commencé l’analyse d’un petit garçon, Walter, âgé de cinq ans et demi, dont le symptôme principal était un mouvement stéréotypé. Le jeune âge du patient et les progrès de l’analyse (qui a duré six semaines jusqu’à présent) m’ont permis d’explorer systématiquement les facteurs récents qui sont à la base de ce symptôme et d’exercer sur lui une action très favorable. Dans ce cas, une névrose obsessionnelle et une déformation naissante du caractère exigent qu’une analyse profonde soit poursuivie. Ce cas présente également l’action des facteurs que j’ai décrits comme décisifs dans les deux premiers cas. Pour parler brièvement, je citerai, entre autres, celui de l’audition du coït à partir d’une pièce voisine, alors que l’enfant était dans sa deuxième année. A cet âge-là, une mobilité excessive apparut, ainsi que la peur des bruits de choc. Semaine après semaine, Walter donna pendant les séances d’analyse une répétition compulsive, avec des variantes, d’un spectacle de « Kasperle » (comparable à un spectacle de Guignol). Pendant ces représentations, je devais donner le départ en tant que chef d’orchestre, et je devais frapper quelque chose avec un bâton ou un objet analogue, ce qui représentait la musique ; en suivant la mesure que je battais, il faisait des tours d’acrobatie. De nombreux détails prouvaient que le spectacle de « Kasperle » était l’acte sexuel dans lequel il prenait la place de la mère. Sa peur de la masturbation, associée à un événement traumatique survenu quand il avait trois ans, était manifeste. Jusqu’à présent, le spectacle théâtral est toujours suivi d’une crise de rage accompagnée de décharges motrices agressives, et d’une représentation d’attaques anales et uréthrales dont le but est de salir, – tout cela dirigé contre les parents accomplissant l’acte sexuel. Les bases sadique-anales des symptômes moteurs sont manifestes. Mes conclusions sont en tous points confirmées par ce troisième cas. Il est particulièrement instructif de noter que ces cas appartiennent à des périodes différentes, et très importantes, du développement. Il me paraît à présent prouvé qu’un tic se fonde sur la turbulence et l’agitation physique que l’on constate si fréquemment dans la petite enfance, et qu’il faut donc sérieusement prendre en considération. L’expérience seule dira si cette excessive mobilité diffuse est invariablement provoquée par des observations auditives du coït, même lorsque cette agitation n’évolue pas pour se transformer en tic. De toute façon, les observations auditives du coït étaient un des facteurs fondamentaux des trois cas analysés, où la mobilité excessive avait évolué pour aboutir à un tic ou à des gestes apparentés au tic. Chez Walter comme chez Werner, la condensation en symptômes moteurs se produisit pendant la sixième année. Je me réfère au fait, mentionné par Ferenczi, que pendant la période de latence, les tics surviennent fréquemment comme symptômes transitoires. Dans deux cas sur les trois que j’ai étudiés, des impressions traumatiques avaient certainement contribué à rendre impossible la victoire sur le complexe d’Œdipe et le complexe de castration ; le troisième cas n’a pas encore été suffisamment analysé dans cette direction. Cette circonstance avait donné naissance, après le déclin du complexe d’Œdipe, à une lutte particulièrement intense contre la masturbation, dont le symptôme moteur était alors devenu le substitut immédiat. On peut admettre que dans d’autres cas les tics, souvent transitoires, et les mouvements stéréotypés de la période de latence, peuvent évoluer plus tard jusqu’à donner de véritables tics lorsqu’une recrudescence des conflits de la première enfance ou des expériences traumatisantes – particulièrement à la puberté, ou même plus tard – survient comme facteur d’accélération.

 


1 Note, 1947. Je dois remercier Miss D. J. Barnett de l’aide qu’elle m’a prêtée pour la traduction de cet article.

2 Sur l’alternative entre l’amour du sport et l’amour de l’étude – que j’ai [n8] rencontrée également, encore que moins nette, dans d’autres cas – voir le chapitre sur « l’Analyse des jeunes Enfants ».

3 Dans le chapitre sur « l’Analyse des jeunes Enfants », j’ai étudié à mon tour la théorie de la sublimation, et j’ai parlé de ce même cas et des facteurs qui permettent l’abandon d’une sublimation non réussie du type de celle-ci.

4 Ce désir de garder la mesure s’exprimait aussi, par exemple, dans sa réaction émotionnelle quand un garçon plus grand l’avait dépassé alors qu’ils marchaient ensemble.

5 Dans le cas d’un autre enfant souffrant d’un tic – le cas d’un garçon de quinze ans dont le tic ne semblait être qu’un symptôme sans importance – l’aversion pour le cinéma se rattachait, de la même manière, au refoulement d’une scoptophilie stimulée par l’observation des rapports sexuels. Il souffrait en outre d’une grande inquiétude pour ses yeux. Je n’ai pas pu analyser ce garçon suffisamment, car à la suite d’une amélioration rapide, son analyse fut interrompue. Son tic – qui consistait également en mouvements de la tête – n’était pas entré dans le champ de l’analyse. J’avais obtenu néanmoins quelques données qui s’accordaient avec le matériel exposé dans cet article.

6 Pour la signification symbolique de la table, du pupitre, du porte-plume, de l’écriture, etc., signification dont il est ici question, voir le chapitre sur « Le Rôle de l’École dans le Développement Libidinal de l’Enfant ».

7 J’ai constaté que l’équivalence entre le théâtre, le concert, le cinéma, et toutes les formes de représentation d’une part, et la scène primitive d’autre part, était caractéristique de toutes les analyses d’enfant. Je la décris dans le chapitre intitulé « Analyse des jeunes Enfants »

8 Contrairement à mes habitudes, je dus opposer à Félix une interdiction dans ce cas comme dans celui de l’attachement précédent ; c’est à cette seule condition que l’analyse pouvait continuer.

9 Werner faisait allusion à un des livres de Tarzan dont il avait vu le frontispice ; il avait ensuite utilisé celui-ci comme thème de ses fantasmes.

10 Note, 1947. – Au moment où j’écrivais cet article, l’analyse de Werner était encore en cours ; elle n’avait en fait, à ce moment-là, duré que trois mois environ.

11 Further Contributions to the Theory and Technique of Psycho-Analysis (London, 1926).

12 « Discussion sur le Tic », Études cliniques, Paris, Payot, 1966.

13 Il me semble aussi que ceci explique pourquoi, dans l’analyse des adultes, le tic, comme le dit Ferenczi, « ne semble pas, à la fin de l’analyse, faire partie de la structure si complexe de la névrose ». Chez des adultes, il est souvent impossible de mener l’analyse jusqu’à la profondeur nécessaire pour dévoiler les premières fixations et relations objectales qui déterminent le tic. Tant que ceci n’est pas fait, le tic – en vertu de ce que j’appellerais son caractère semi-narcissique – échappera toujours à l’analyse. Dans le cas de Félix, l’analyse parvint non seulement à reconstruire les détails les plus anciens de son développement, qui déterminaient la forme de ses fantasmes masturbatoires et de son tic, mais aussi, avec l’aide des souvenirs, à les rendre à nouveau pleinement conscients. Nous pouvons admettre que c’est l’élément narcissique du tic qui explique la difficulté de trouver, dans l’analyse, un accès vers ce symptôme, difficulté qui augmente avec l’âge du patient. On pourrait conclure que le traitement d’un tic devrait être entrepris très tôt, aussitôt que possible après l’apparition du symptôme.

14 Le fait de siffler, de se boucher les oreilles, etc., était dans le cas de Werner un signe de résistance à l’analyse qui reparaissait sans cesse ; mais il faisait également usage de ces gestes à la maison.

15 Ses parents confirmèrent qu’au moment où ces observations auditives eurent lieu, c’est-à-dire à l’âge de dix-huit mois, l’enfant les dérangeait fréquemment pendant la nuit, et que le matin, on le trouvait souvent couché dans ses excréments. C’est à ce moment-là, je l’ai déjà indiqué, que les premiers signes de son excessive mobilité firent leur apparition ; ils prirent d’abord la forme suivante : l’enfant courait de-ci de-là avec, à la main, des morceaux de bois qu’il ramassait dans une scierie voisine.

16 Le lien entre les impressions auditives et leur reproduction dans le mouvement apparaît comme un phénomène normal dans l’envie de danser qu’éveille l’audition d’une musique de danse.

17 Pour Félix et Werner il s’agissait d’imiter le père dans l’acte sexuel. Ferenczi mentionne également le besoin d’imiter, de faire, chez les patients souffrant d’un tic.