Chapitre VIII. Les premiers stades du conflit œdipien et la formation du surmoi

Dans les prochains chapitres, j’espère apporter ma contribution à l’étude des origines et de la structure du surmoi. Les conclusions théoriques que je vais exposer sont le fruit d’une connaissance directe des premiers processus du développement psychique, puisqu’elles se fondent sur des analyses de tout jeunes enfants. Ces analyses ont montré que les tendances œdipiennes de l’enfant se trouvent déclenchées par les frustrations orales et que le surmoi commence à se constituer en même temps. Les pulsions génitales restent tout d’abord inaperçues ; c’est seulement au cours de la troisième année qu’elles s’affirment aux dépens des pulsions prégénitales. Elles commencent alors à se manifester nettement, et l’enfant entre dans une phase marquée par l’épanouissement de sa sexualité primitive et par le développement du conflit œdipien dans toute son ampleur.

Je voudrais, dans les pages suivantes, esquisser les grandes lignes du développement qui précède cette première éclosion sexuelle, et tenter de démontrer que les premières étapes du conflit œdipien et de la formation du surmoi s’étendent, grosso modo, du milieu de la première année jusqu’à la troisième année172.

Le plaisir que le nourrisson éprouve à téter fait normalement place au plaisir de mordre. Si les satisfactions lui font défaut au stade oral de succion, il les recherchera davantage au stade oral de morsure173. L’observation psychanalytique courante confirme tout à fait l’opinion d’Abraham selon laquelle les circonstances qui entourent l’allaitement peuvent rendre le bébé incapable de jouir de cette période. Nous savons aussi que les maladies et les déficiences du développement de l’enfant sont dues en partie à la même cause. Cependant de mauvaises conditions alimentaires, que l’on peut considérer comme des frustrations extérieures, ne semblent pas expliquer à elles seules le manque de satisfaction orale de succion. La preuve en est que certains bébés ne prennent pas plaisir à téter, sont de « mauvais nourrissons », tout en recevant une alimentation suffisante. Cette incapacité à jouir de l’allaitement est, je crois, la conséquence d’une frustration intérieure, et, d’après mon expérience, dérive d’un sadisme oral anormalement développé174. Selon toute apparence, la polarité des instincts de vie et de mort s’exprime déjà dans ces manifestations de la première enfance ; en effet, la force de la fixation de l’enfant au stade oral de succion traduit la force de la libido, tandis que l’apparition d’un sadisme oral précoce et violent indique la puissance des composantes instinctuelles destructrices.

Comme l’ont signalé Abraham175 et Ophuijsen, il peut y avoir dans les zones intéressant la mastication, par exemple les muscles de la mâchoire, un élément d’origine constitutionnelle qui renforcerait la fixation du bébé au stade sado-oral. Les plus sérieuses déficiences du développement et les affections psychiques les plus graves se produisent dans les cas où des frustrations extérieures, telles que des conditions d’allaitement peu favorables, coïncident avec un sadisme oral constitutionnellement renforcé, qui altère le plaisir que le bébé prend à téter. En revanche, pour être normal, le développement de l’enfant exige que le sadisme ne fasse son apparition ni trop tôt ni trop brutalement, c’est-à-dire que le stade de succion se soit déroulé de façon satisfaisante176.

Dans ces conditions, le facteur chronologique prend, au même titre que le facteur économique, une importance toute nouvelle. Si les tendances sado-orales sont activées trop tôt et trop violemment, les relations objectales de l’enfant et la formation de son caractère tomberont sous l’empire du sadisme et de l’ambivalence177 ; d’autre part, l’angoisse suscitée par un aussi rapide accroissement du sadisme oral exercera une forte pression sur un moi encore peu mûr, de sorte que le développement du moi devancera celui de la libido – et c’est là, nous le savons, un facteur déterminant de la névrose obsessionnelle178.

Au sujet de l’origine de l’angoisse, Freud a élargi sa conception initiale et ne donne plus qu’une portée très limitée à l’hypothèse selon laquelle l’angoisse résulterait d’une conversion directe de la libido. Il montre que l’angoisse du nourrisson qui a faim est provoquée par un surcroît de tension venant du besoin qu’il éprouve, mais que cette situation anxiogène a un prototype encore plus primitif. Voici dans quels termes il s’exprime : « Cette situation d’inassouvissement, dans laquelle l’excitation atteint à un degré douloureux… doit ressembler, pour le nourrisson, à son expérience de la naissance, et doit par conséquent reproduire cette situation de danger. Les deux situations ont en commun une perturbation économique provoquée par les stimuli qui s’accumulent sans décharge possible. C’est donc ce facteur qui constitue l’essence du « danger », et dans les deux cas il se produit une réaction d’angoisse… »179. Par ailleurs, Freud concilie avec peine sa première thèse selon laquelle l’angoisse provient dans certains cas d’une tension de la libido, avec le fait que « l’angoisse éprouvée par les phobiques est une angoisse du moi, c’est-à-dire qu’elle prend naissance dans le moi et que, loin de résulter du refoulement, elle en est au contraire la cause »180. Il lui semble que « dans certaines situations, par exemple en cas d’abstinence, ou bien lorsque l’acte sexuel se trouve perturbé ou l’excitation interrompue, le moi pressent le danger et y réagit par de l’angoisse »181 ; cependant, cette supposition ne constitue pas à ses yeux une solution satisfaisante au problème. Plus loin, il abandonne la discussion d’autres points pour revenir une fois de plus à cette question, et attribuer l’origine de l’angoisse « à cette situation de danger, dans laquelle, comme à la naissance… le moi se trouve impuissant devant les exigences croissantes des instincts, soit la situation qui est la condition première et originelle de l’apparition de l’angoisse »182. Le noyau de la situation de danger est constitué, d’après lui, par « l’attitude d’impuissance que nous adoptons face à cette situation, impuissance physique si le danger appartient à la réalité, et psychique s’il provient de nos instincts »183.

La manière dont le nourrisson réagit aux tensions causées par ses besoins physiques est, à mon avis, l’exemple le plus clair de conversion de la libido insatisfaite en angoisse. Pourtant, une telle réaction est faite sans aucun doute non seulement d’angoisse mais aussi de fureur184. Il est difficile de préciser le moment où s’opère cette fusion entre les pulsions destructrices et libidinales. Il semble à peu près évident que cette fusion existe dès l’origine et que la tension provoquée par le besoin ne fait que renforcer les instincts sadiques du bébé. Nous savons cependant que l’instinct de destruction est dirigé contre l’organisme lui-même, et doit donc être considéré comme un danger par le moi. À mon avis, c’est ce danger que l’individu ressent sous forme d’angoisse185. Ainsi l’angoisse naîtrait de l’agressivité186. Mais puisque les frustrations libidinales accroissent, comme nous le savons, les tendances sadiques, une libido insatisfaite provoquerait indirectement l’angoisse ou bien l’augmenterait. Dans cette perspective, la suggestion de Freud selon laquelle le moi verrait un danger dans l’abstinence sexuelle offrirait finalement une solution au problème. Mais le danger qu’il décrit comme « une impuissance psychique devant les dangers instinctuels », je soutiens qu’il est provoqué par les tendances destructrices.

Freud nous apprend que la libido narcissique fait dévier les instincts de mort vers l’extérieur afin de mettre l’organisme à l’abri de la destruction. Il estime que ce processus conditionne les relations objectales de l’individu et qu’il est à la base du mécanisme de projection. Il poursuit en ces termes : « L’instinct de mort ne participe pas tout entier à ce déplacement vers l’extérieur. Il demeure partiellement à l’intérieur de l’organisme où il se trouve « fixé » à la libido grâce à cette excitation sexuelle concomitante dont j’ai parlé précédemment. Nous devons y voir le principe du masochisme érogène187. » Il me semble que le moi dispose encore d’un autre moyen pour maîtriser les tendances destructrices qui restent attachées à l’organisme. Il peut mobiliser une partie de ces pulsions et les utiliser comme un moyen de défense contre les autres. Le ça subira alors une division qui me paraît être le prélude à la formation des inhibitions instinctuelles et du surmoi, et qui pourrait bien coïncider avec le refoulement primaire188. On peut supposer qu’une division de ce genre est possible parce que, dès le début du processus d’incorporation, l’objet incorporé devient l’agent de défense contre les pulsions destructrices qui demeurent à l’intérieur de l’organisme189.

L’angoisse que ressent l’enfant devant ses propres pulsions destructrices agit, selon moi, de deux manières. D’abord, cette angoisse lui inspire la peur d’être lui-même exterminé par ses propres pulsions destructrices, c’est-à-dire qu’elle se réfère à un danger instinctuel interne190 ; ensuite, elle fait converger toutes les craintes de l’enfant sur l’objet extérieur, considéré comme une source de danger, contre lequel sont dirigées ses tendances sadiques. Il semble que cette crainte d’un objet prenne son point de départ dans la réalité extérieure : en effet, au fur et à mesure que le moi se développe, parallèlement à ses possibilités de confrontation avec la réalité, l’enfant apprend à voir en sa mère une personne qui lui accorde ou lui refuse des satisfactions ; il découvre ainsi le pouvoir de son objet sur l’assouvissement de ses besoins. Il déplace donc sur son objet tout le fardeau de la peur intolérable que lui inspirent les dangers instinctuels, échangeant ainsi les dangers internes contre ceux de l’extérieur. Le moi, encore très faible, cherche alors à se protéger contre ces menaces du dehors par la destruction de l’objet.

Poursuivons maintenant notre étude de la déviation de l’instinct de mort vers le monde extérieur, et considérons la manière dont elle influe sur les relations de l’enfant avec ses objets et donne libre cours à son sadisme. Le sadisme oral croissant atteint son apogée pendant et après le sevrage, activant et développant au plus haut point les tendances sadiques issues d’origines variées. Certains fantasmes sado-oraux expriment une envie de posséder le sein de la mère, d’en vider et d’en aspirer le contenu ; grâce à leur caractère bien défini, ils semblent constituer un lien entre le stade oral de succion et le stade oral de morsure191. Ce désir de vider et d’aspirer le sein de la mère s’étend bientôt à l’intérieur de son corps192. Dans mon article intitulé Les stades primitifs du conflit œdipien (1928), j’ai décrit une étape précoce du développement qui est dominée par les tendances agressives de l’enfant à l’égard du corps de sa mère, dont il souhaite avant tout dérober et détruire le contenu.

C’est le sadisme urétral qui paraît le plus étroitement lié au sadisme oral. L’observation a montré que les fantasmes de destruction où les enfants inondent, submergent, détrempent, brûlent et empoisonnent à l’aide d’énormes quantités d’urine, constituent une réaction sadique à la privation d’aliment liquide infligée par la mère, et sont finalement dirigés contre le sein maternel. J’aimerais, à ce sujet, souligner le rôle important, trop peu reconnu jusqu’ici, du sadisme urétral dans le développement de l’enfant193. Les fantasmes, familiers aux analystes, où de grandes quantités d’urine servent à l’inondation et à la destruction194, le rapport plus généralement connu entre l’énurésie et les jeux avec le feu195, ne sont que les signes les plus visibles et les moins refoulés des pulsions liées à la fonction urinaire. Les analyses d’adultes aussi bien que d’enfants m’ont mise constamment en présence de fantasmes où l’urine était imaginée comme un agent de corrosion, de désagrégation et de corruption, et comme un poison secret et insidieux. Ces fantasmes de nature sado-urétrale contribuent pour une large part à l’attribution inconsciente d’un rôle cruel au pénis, et aux troubles de la puissance sexuelle chez l’homme. Dans bien des cas, j’ai constaté que l’énurésie était due à des fantasmes semblables.

Tout autre moyen d’expression sadique employé par l’enfant, tel que le sadisme anal ou musculaire, a pour premier objet le sein frustrateur de la mère ; mais bientôt il s’attaque à l’intérieur de son corps qui devient la cible d’assauts provenant de toutes les origines à la fois, et atteignant une intensité extraordinaire. Lorsqu’on analyse de tout jeunes enfants, on constate que les désirs de destruction sont alternativement des désirs de nature sado-anale, des désirs de dévorer le corps de la mère et de le mouiller d’urine ; mais le but primitif, qui consiste à avaler et à détruire le sein maternel, reste toujours perceptible196.

C’est durant la période qui commence avec le stade sado-oral et qui s’achève avec le début du stade sado-anal, que prédominent les attaques sadiques imaginaires livrées contre le contenu du corps de la mère ; le sadisme, dans les manifestations variées qui correspondent à ses différentes origines, arrive alors à son apogée.

L’œuvre d’Abraham a montré que le plaisir qu’éprouve le nourrisson à mordre n’est pas seulement dû à la satisfaction libidinale d’une zone érogène, mais est lié à un violent appétit de destruction qui vise à endommager et anéantir l’objet. À plus forte raison peut-on en dire autant de la phase d’exacerbation du sadisme. C’est une idée effrayante, pour ne pas dire incroyable, que celle qu’offre à notre esprit l’image d’un bébé de six à douze mois essayant de détruire sa mère avec ses dents, ses ongles, ses excréments et tout son corps, c’est-à-dire se servant de tous les moyens que ses tendances sadiques mettent à sa disposition et que son imagination transforme en armes dangereuses. Je sais par expérience combien il est difficile de faire admettre que ces idées révoltantes correspondent à la réalité, mais les analyses des tout jeunes enfants ne permettent pas d’en douter, car elles nous offrent avec précision et évidence le spectacle des cruautés imaginaires qui accompagnent ces désirs dans toute leur abondance, leur force et leur multiplicité. Nous sommes déjà familiarisés avec les fantasmes sadiques qui trouvent leur point culminant dans le cannibalisme ; nous pouvons donc admettre d’autant plus facilement qu’au fur et à mesure que s’amplifient les moyens dont l’enfant dispose pour ses attaques sadiques, ses fantasmes sadiques gagnent en plénitude et en richesse. C’est dans cet élément d’intensification des pulsions que réside à mes yeux la solution du problème. Si l’intensification du sadisme résulte d’une frustration libidinale, nous pouvons aisément comprendre que les besoins destructeurs qui sont liés aux besoins libidinaux et ne peuvent être satisfaits, c’est-à-dire, en premier lieu, les besoins de nature sado-orale, parviennent à intensifier le sadisme et à en activer toutes les manifestations.

Nous observons en outre, lorsque nous analysons un très jeune enfant, que les frustrations orales dont il s’est senti l’objet l’ont mené à une connaissance inconsciente des plaisirs sexuels partagés par ses parents et à la croyance temporaire que ces plaisirs sont d’ordre essentiellement oral. Sous la pression de la frustration, ce fantasme provoque en lui, à l’égard des parents, un sentiment d’envie qui se transforme bientôt en haine. Son désir de vider et d’aspirer le contenu du sein maternel le pousse maintenant à aspirer et à dévorer les liquides et autres substances que recèlent les parents, ou plutôt leurs organes, y compris ce qu’ils ont reçu l’un de l’autre au cours de leur coït oral197. Freud a montré que les théories sexuelles des enfants sont un héritage phylogénétique, et nous venons de constater qu’il se manifeste, à une période très précoce du développement, une connaissance inconsciente et des fantasmes de ce genre au sujet des rapports sexuels des parents. L’envie orale est l’un des mobiles principaux qui poussent les enfants des deux sexes à vouloir pénétrer dans le corps de leur mère et qui activent les tendances épistémophiliques inséparables de ce désir198. Cependant, leurs pulsions destructrices cessent bientôt d’être dirigées seulement contre la mère et s’étendent au père. Ils imaginent en effet qu’au cours du coït oral la mère incorpore le pénis, qui demeure ensuite à l’intérieur de son corps, le père ayant une grande quantité de pénis à sa disposition ; leurs attaques contre le corps de la mère visent donc également le pénis qu’il contient.

À mon avis, si le garçon éprouve, dans les couches les plus profondes de son psychisme, une peur aussi terrible de sa mère qu’il considère comme castratrice, et s’il entretient l’idée, étroitement liée à cette peur, de la « femme au pénis », c’est qu’il craint en sa mère une personne dont le corps recèle le pénis du père ; ce qu’il redoute finalement, c’est donc le pénis du père à l’intérieur du corps de la mère199. Le déplacement de la haine et de l’angoisse inspirées par le pénis du père sur le corps de la mère, qui en est le réceptacle, joue selon moi un rôle très important dans Pédologie des troubles mentaux ; c’est aussi l’une des causes profondes des perturbations du développement sexuel et de l’homosexualité chez l’homme200. Or, la crainte du pénis imaginaire de la mère constitue une étape intermédiaire dans ce processus de déplacement. De cette manière, le garçon atténue la peur que lui inspire le pénis contenu dans le corps de la mère ; c’est en effet une peur tout à fait insurmontable car, à ce stade du développement, la partie est encore considérée comme le tout, et le pénis tient lieu de la personne du père. Ainsi le pénis contenu à l’intérieur de la mère représente le père et la mère réunis en une seule personne201, et cette combinaison prend une signification particulièrement redoutable et menaçante. Nous avons vu que l’enfant concentre son sadisme, au moment où il est le plus intense, sur le coït des parents. Les souhaits de mort qu’il forme contre eux au cours de la scène primitive ou des fantasmes qui l’entourent sont associés à des fantasmes sadiques dont le contenu est d’une richesse extraordinaire et comporte la destruction à la fois simultanée et successive du père et de la mère.

Dans d’autres fantasmes, dont la variété est non moins considérable que les effets, ce sont les parents qui s’entre-détruisent au moyen de leurs organes génitaux et de leurs excréments considérés comme des armes dangereuses ; ainsi le pénis incorporé par la mère devient un animal dangereux ou une arme chargée de substances explosives, ou c’est le vagin qui se transforme, lui aussi, en un animal redoutable ou en instrument de mort, par exemple en une souricière empoisonnée. Comme de tels fantasmes expriment des désirs et que leur sadisme fournit une large contribution aux théories sexuelles de l’enfant, ce dernier se sent coupable des sévices que les parents, dans son imagination, exercent l’un sur l’autre.

Ce n’est pas seulement un changement quantitatif que subit le sadisme à ses différents points d’émergence ; il est aussi l’objet d’une transformation qualitative qui contribue à l’accroître encore. Les attaques imaginaires de l’enfant, qui ont un caractère d’extrême violence et usent de toutes les ressources dont dispose le sadisme, en viennent un peu plus tard à utiliser des méthodes beaucoup plus discrètes et subtiles qui les rendent d’autant plus dangereuses. Alors que, dans la première partie de cette phase où règne ouvertement la violence, les excréments sont considérés comme des moyens directs d’attaque, ils représenteront par la suite des substances explosives ou toxiques. De tous ces éléments réunis naissent des fantasmes sadiques dont le nombre, la variété et la richesse sont presque inépuisables. En outre, l’enfant qui dirige ses pulsions sadiques contre ses parents unis dans l’acte sexuel s’attend à ce que le père et la mère soient d’accord pour lui infliger un châtiment. Mais, à ce stade primitif, l’angoisse contribue à accroître le sadisme et à renforcer l’envie de détruire l’objet dangereux ; aussi les désirs sadiques et destructeurs de l’enfant augmentent-ils à l’égard de l’image combinée des parents, ainsi que la frayeur inspirée par l’entité hostile qu’ils forment à ses yeux.

À mon avis, le conflit œdipien s’amorce chez le garçon dès qu’il éprouve de la haine pour le pénis de son père et qu’il souhaite s’unir à sa mère de façon génitale pour détruire le pénis paternel qu’il suppose à l’intérieur du corps de la mère. J’estime que l’apparition de ces pulsions et de ces fantasmes de caractère génital, bien qu’elle ait lieu en pleine phase sadique, constitue chez les enfants des deux sexes les premiers stades du conflit œdipien car les critères communément adoptés se trouvent satisfaits. Même si les pulsions prégénitales prédominent encore, l’enfant, outre ses désirs d’origine orale, urétrale et anale, commence à éprouver des désirs de nature génitale à l’égard du parent de sexe opposé au sien, tandis qu’il ressent pour l’autre de la haine et de la jalousie qui entrent en conflit avec l’amour qu’il continue de lui vouer. Nous pouvons même aller jusqu’à dire que le conflit œdipien tire toute son acuité de cette situation primitive. Ainsi la fillette, lorsqu’elle se détourne de la mère sous l’empire de la haine et de la déception, et qu’elle oriente vers le père ses désirs oraux et génitaux, se trouve encore très fortement liée à sa mère par des fixations orales et par son état de dépendance ; chez le garçon, le conflit se produit entre l’attachement oral au père et les sentiments de haine qu’il éprouve à son égard en raison de cette situation œdipienne primitive. Mais le conflit n’est pas aussi clairement perceptible à ce stade du développement qu’il le sera par la suite. À mon avis, c’est dû en partie au fait que le petit enfant dispose de peu de moyens pour exprimer ses émotions, et que ses relations objectales sont encore vagues et confuses. Une partie de ses réactions s’adresse à ses objets fantasmatiques202 ; c’est sur eux et en particulier sur les objets intériorisés qu’il reporte presque toute son angoisse et sa haine, de sorte que son attitude à l’égard de ses parents ne reflète que partiellement les difficultés qu’il rencontre dans ses rapports objectaux. Mais ces difficultés trouvent à s’exprimer de beaucoup d’autres manières ; ainsi les terreurs nocturnes et les phobies des jeunes enfants sont toujours dues, d’après mon expérience, à la présence d’un conflit œdipien.

Je ne pense pas qu’une distinction très marquée puisse être faite entre les premiers stades du conflit œdipien et ses stades ultérieurs203. En effet, d’après mon expérience, les pulsions génitales apparaissent en même temps que les pulsions prégénitales, qu’elles influencent et transforment ; elles portent elles-mêmes jusqu’aux stades ultérieurs du développement des traces de ces pulsions prégénitales. L’accès au stade génital ne représente donc qu’un simple renforcement des pulsions génitales. Cette fusion des pulsions génitales et prégénitales est confirmée par un fait bien connu : que l’enfant assiste à la scène primitive ou se la représente par des fantasmes, dans les deux cas il se trouve en présence d’événements de caractère génital auxquels il réagit par une recrudescence des pulsions prégénitales, comme dans l’énurésie et la défécation, accompagnées de fantasmes sadiques dirigés contre les parents unis dans l’acte sexuel.

J’ai noté que les fantasmes masturbatoires de l’enfant ont pour noyau les premiers fantasmes sadiques centrés sur le coït des parents. C’est la fusion de ces pulsions destructrices et libidinales qui incite le surmoi à dresser des défenses contre les fantasmes masturbatoires et, à l’occasion, contre la masturbation elle-même. La culpabilité liée à la première masturbation génitale dérive donc des fantasmes sadiques dirigés contre les parents. Mais puisque les fantasmes masturbatoires de l’enfant reflètent l’essentiel de son conflit œdipien et peuvent donc être considérés comme le point central de toute sa vie sexuelle, la culpabilité qu’il éprouve à l’égard de ses pulsions libidinales est en réalité une réaction aux pulsions destructrices dont elles sont inséparables204. Dès lors, ce ne seraient pas les tendances incestueuses qui déclencheraient tout d’abord le sentiment de culpabilité ; la crainte de l’inceste résulterait elle-même en définitive des pulsions destructrices associées de façon permanente aux premiers désirs incestueux.

Si nous sommes en droit de supposer que les tendances œdipiennes apparaissent à la phase d’exacerbation du sadisme, nous devons admettre que ce sont surtout les pulsions hostiles qui provoquent le conflit œdipien et la formation du surmoi, et qui en régissent les stades les plus précoces et les plus décisifs. Cette opinion peut, à première vue, sembler contraire à la théorie psychanalytique généralement admise ; elle est cependant conforme à ce que nous savons de l’évolution de la libido, qui passe des stades prégénitaux au stade génital. À maintes reprises, Freud a souligné que, dans le développement de l’individu, la haine précède l’amour. Voici ce qu’il écrit dans Les pulsions et leurs vicissitudes (1915) : « Dans les relations objectales, la haine est plus ancienne que l’amour. Elle résulte du refus initial que le moi narcissique oppose au monde extérieur d’où jaillit le flot des stimulations » (p. 82). Et ailleurs : « Le moi déteste, abhorre, poursuit avec des intentions destructrices tous les objets qui lui sont une source de sensations pénibles, sans considérer s’ils lui apportent la frustration d’un plaisir sexuel ou la satisfaction de son besoin de conservation » (p. 81)205.

D’après la théorie orthodoxe, la formation du surmoi commence pendant le stade phallique. Dans La liquidation du complexe d’Œdipe (1924), Freud affirme que le surmoi est l’héritier du complexe d’Œdipe, qu’il se substitue à lui au moment de sa disparition. Nous pouvons également lire dans Inhibition, symptôme et angoisse (1926) : « Dans les zoophobies, l’angoisse est une réaction efficace du moi au danger qu’il redoute, c’est-à-dire la peur de la castration. Il n’y a pas de différence entre cette angoisse et celle que le moi ressent normalement devant des dangers réels, si ce n’est que son contenu demeure inconscient et ne peut être appréhendé que sous une forme déguisée » (p. 67). Selon cette hypothèse, l’angoisse que ressent l’enfant jusqu’au début de la période de latence serait due, pour le garçon, à la peur d’être châtré, et pour la fille, à la peur de perdre l’amour ; le surmoi ne se constituerait qu’une fois les stades prégénitaux dépassés et résulterait d’une régression au stade oral. Dans Le moi et le ça (1923), Freud nous dit que « tout au commencement de la vie, durant la phase orale primitive, il est difficile de distinguer l’investissement de l’objet et l’identification » (p. 35) –, le surmoi « est en réalité le résidu des premiers investissements objectaux du ça, l’héritier du complexe d’Œdipe après sa dissolution »206.

Mes propres observations m’ont amenée à penser que la formation du surmoi est un processus plus simple et plus direct. Le conflit œdipien et la formation du surmoi s’amorcent, à mon avis, au moment où règnent les pulsions prégénitales et les objets introjectés au stade sado-oral ; ce sont donc les premiers investissements objectaux et les premières identifications qui constituent le surmoi primitif207. Ce qui provoque la formation de ce surmoi et ce qui en domine les premiers stades, ce sont les pulsions destructrices et l’angoisse qu’elles suscitent. En attribuant un rôle fondamental aux pulsions, nous ne nions pas pour autant l’importance des objets ; nous envisageons simplement le problème sous un angle différent. Les premières identifications de l’enfant donnent des objets une image irréelle et déformée. Nous savons par Abraham qu’à un stade très précoce du développement les objets réels ou introjectés sont surtout figurés par leurs organes. Nous savons aussi que le pénis du père est un objet d’angoisse par excellence, évoquant pour l’inconscient toutes sortes d’armes dangereuses et de terrifiants animaux carnassiers et venimeux, tandis que le vagin représente une ouverture menaçante208. Les analyses des jeunes enfants montrent que ces significations inconscientes attribuées aux organes sexuels résultent d’un mécanisme universel, d’une importance fondamentale pour la structure du surmoi. Selon mon expérience, il faut considérer l’incorporation partielle qui se produit durant la phase cannibale comme le noyau du sur-moi209, et les premières imagos de l’enfant gardent l’empreinte de ces pulsions prégénitales210.

Ayant détourné l’instinct destructeur vers le monde extérieur, donc vers cet objet, le moi ne peut en attendre que de l’hostilité à l’égard du ça. Il s’ensuit naturellement que l’objet intériorisé lui apparaisse comme un ennemi cruel du ça, mais il semble bien qu’un facteur phylogénétique soit également à l’origine de l’angoisse si précoce et si intense que l’enfant ressent, d’après mon expérience, à l’égard de l’objet intériorisé. Le père de la horde primitive constituait la puissance extérieure qui obligeait à inhiber les instincts211. Au cours de l’histoire de l’humanité, la peur inspirée par le père serait partiellement utilisée une fois l’intériorisation de l’objet commencée, comme une défense contre l’angoisse engendrée par l’instinct de destruction212.

Nous trouvons dans les écrits de Freud deux conceptions qui se complètent dans une certaine mesure, concernant la formation du surmoi. Selon la première, la sévérité du surmoi proviendrait de la sévérité du père dont le surmoi reproduit les interdictions et les ordres213. D’après l’autre, énoncée dans un ou deux passages de ses œuvres, la sévérité du surmoi serait une conséquence des pulsions destructrices du sujet214.

La psychanalyse n’a pas tenu compte de cette seconde opinion. Comme le montre sa littérature, elle a adopté la théorie selon laquelle le surmoi dérive de l’autorité parentale, et en fait la base de toute recherche ultérieure. Néanmoins, Freud a récemment confirmé en partie mon propre point de vue215 qui souligne le rôle des pulsions de l’individu dans la formation de son surmoi et la distinction entre ce surmoi et ses objets réels216.

Je qualifierais de « premiers stades du surmoi » les premières identifications de l’enfant. Au cours des premiers stades du développement, la cristallisation des investissements objectaux agit à la façon d’un surmoi bien que ces investissements diffèrent, par leur qualité et leur action, des identifications propres aux stades ultérieurs. Quelle que soit la cruauté du surmoi constitué sous l’influence du sadisme, il n’en prend pas moins la défense du moi contre les instincts de destruction, et c’est donc de lui que procèdent, dès ce stade primitif, les inhibitions instinctuelles.

Dans son article intitulé Identification (1926), Fenichel s’est servi de certains critères pour distinguer du surmoi lui-même les premières identifications qu’il appelle, selon une suggestion de Reich217, les « précurseurs du surmoi ». D’après lui, ces précurseurs sont sporadiques, indépendants les uns des autres, dépourvus de l’unité, de la sévérité, de l’opposition au moi, du caractère inconscient et de la grande force qui font du véritable surmoi l’héritier du complexe d’Œdipe. À mon avis, cette distinction est inexacte sur plusieurs points. Autant que j’ai pu l’observer, c’est précisément le surmoi primitif qui est d’une sévérité toute particulière. De plus, dans les conditions normales, il n’est aucune période de la vie où l’opposition entre le moi et le surmoi soit aussi marquée que pendant la petite enfance ; c’est d’ailleurs pourquoi la tension entre ces deux instances psychiques est au cours des premières années surtout sentie sous forme d’anxiété. J’ai constaté en outre que les exigences et les interdictions du surmoi ne sont pas moins inconscientes chez le jeune enfant que chez l’adulte, et qu’elles ne sont nullement identiques à celles qui émanent des objets réels. Fenichel a raison, me semble-t-il, d’affirmer que le surmoi de l’enfant n’est pas aussi parfaitement organisé que celui de l’adulte. Mais cette différence, qui n’est pas universellement vraie puisque beaucoup de jeunes enfants ont un surmoi solide et beaucoup d’adultes un surmoi inorganisé, me paraît être en rapport avec le degré de cohésion mentale, plus faible chez l’enfant que chez l’adulte. Nous savons que le moi est moins fortement organisé dans la petite enfance que durant la période de latence, sans affirmer pour autant qu’il n’existe alors que des précurseurs du moi, sans moi véritable.

Nous avons déjà vu qu’au cours de la phase d’exacerbation du sadisme, un accroissement des tendances sadiques provoque un accroissement de l’angoisse. Les menaces que le surmoi primitif exerce sur le ça reproduisent exactement toute la gamme des fantasmes sadiques qui étaient dirigés contre l’objet, de sorte que chacun d’entre eux se retourne désormais contre le moi. Ainsi l’angoisse qui pèse sur ce stade précoce du développement dépend quantitativement de l’intensité du sadisme primitif et qualitativement de la variété et de la richesse des fantasmes sadiques qui l’accompagnaient218.

La libido, au fur et à mesure qu’elle se développe, surmonte graduellement le sadisme et l’angoisse219. Mais c’est aussi l’excès même de l’angoisse qui incite l’individu à en triompher. L’angoisse contribue à renforcer les différentes zones érogènes et à les rendre à tour de rôle prééminentes. Ce sont d’abord les pulsions sado-orales et sado-urétrales, puis les pulsions sado-anales qui ont la suprématie ; dès lors, les mécanismes propres au premier stade anal agissent, quelle que soit leur puissance, au service des défenses érigées contre l’angoisse qui a surgi tout au début de la phase sadique. Ainsi, cette même angoisse, qui est avant tout un agent inhibiteur dans le développement de l’individu, devient un facteur d’une importance fondamentale pour l’épanouissement du moi et de la vie sexuelle.

À ce stade, les moyens de défense sont proportionnés à la pression exercée par l’angoisse et d’une extrême violence. Nous savons qu’au cours du premier stade sado-anal, ce que l’enfant expulse, c’est son objet, qu’il considère comme hostile à son endroit et qu’il assimile à ses excréments. À mon avis, c’est aussi le surmoi terrifiant, introjecté au stade sado-oral, qu’il expulse à ce moment. Ainsi, cette éjection est un moyen de défense que le moi, sous l’empire de la peur, utilise contre le surmoi ; il expulse les objets intériorisés et les projette dans le monde extérieur. Les mécanismes de projection et d’expulsion sont étroitement liés au processus de formation du surmoi. Le moi qui essaie de se défendre contre le surmoi en le détruisant par une expulsion violente tente également, sous la menace de ce surmoi, de se débarrasser du ça sadique, c’est-à-dire des pulsions destructrices, en l’expulsant lui aussi par la force. Dans Inhibition, symptôme et angoisse (1926), Freud estime que le terme général de défense « convient parfaitement à toutes les méthodes employées par le moi dans les conflits qui peuvent aboutir à une névrose, tandis que le terme de refoulement devrait être réservé à ce moyen de défense particulier que (ses) investigations l’ont amené à découvrir en premier » (p. 106). Il exprime ailleurs la possibilité « que le refoulement soit un processus adapté à l’organisation génitale de la libido, et que le moi se serve d’autres moyens de défense quand il doit se protéger contre la libido à d’autres stades de son organisation » (p. 65). Mon opinion est également corroborée par Abraham dans un passage où il déclare que « la tendance à épargner l’objet et à le protéger est issue, grâce au refoulement, d’une tendance destructrice antérieure »220.

À propos de la frontière entre le premier et le second stade sado-anal, le même auteur écrit les lignes suivantes : « En attribuant à cette frontière une extrême importance, nous sommes d’accord avec l’opinion médicale courante. Car la division que nous autres psychanalystes avons faite en nous appuyant sur les données empiriques correspond en réalité à la classification en névroses et psychoses adoptée par la médecine clinique. Mais les analystes n’essaient pas, naturellement, de séparer de façon rigide les troubles névrotiques et psychotiques. Ils savent au contraire que la libido de tout individu peut régresser en deçà de la frontière entre les deux phases sado-anales, s’il se produit une circonstance susceptible de provoquer la maladie, et si le développement libidinal comporte certains points de fixation qui facilitent une régression de cette nature221. »

Nous savons déjà que ce n’est point par la structure même de son psychisme que l’homme normal diffère du névrosé, mais par les facteurs quantitatifs qui se trouvent en jeu. Les passages d’Abraham cités plus haut impliquent également une différence de degré entre la névrose et la psychose. Ma propre expérience psychanalytique, acquise en travaillant avec des enfants, m’a amenée aux constatations suivantes : d’une part, les psychoses ont leurs points de fixation aux stades du développement qui précèdent la seconde période anale ; d’autre part, les mêmes points de fixation se retrouvent, quoique moins accentués, chez les enfants névrosés et normaux.

La psychose comporte, comme on le sait, beaucoup plus d’angoisse que la névrose ; cependant, la théorie habituelle de la formation du surmoi ne rend pas compte de l’apparition d’une angoisse aussi écrasante à ces stades primitifs du développement où, selon Freud et Abraham, se constituent les fixations propres à la psychose. Les dernières théories de Freud, exposées dans Inhibition, symptôme et angoisse, ne permettent pas d’attribuer l’origine de cette énorme quantité d’angoisse à la transformation d’une libido inassouvie. Nous ne pouvons pas non plus soutenir que la peur qu’éprouve l’enfant d’être dévoré, coupé en morceaux et tué par ses parents est inspirée par la réalité. Mais si nous supposons que cette angoisse extrême ne peut résulter que de processus endopsychiques, nous sommes bien près de la théorie exposée ici selon laquelle l’angoisse primitive résulte de la pression du surmoi. La pression que le surmoi exerce à un stade précoce du développement de l’enfant sur ses tendances destructrices ne répond pas seulement, en nature et en intensité, à ses fantasmes sadiques ; elle provoque aussi des situations anxiogènes qui reflètent les différentes périodes de la phase sadique. Ces situations anxiogènes d’une importance décisive pour le développement général de l’individu suscitent en outre de la part du moi des mécanismes de défense particuliers, et déterminent le caractère spécifique qu’assumeront ultérieurement les troubles psychotiques222.

Toutefois, avant d’entreprendre l’étude des relations entre les premières situations anxiogènes et le caractère spécifique des affections psychotiques, examinons d’abord la manière dont la formation du surmoi et le développement des relations objectales s’influencent réciproquement. S’il est vrai que le surmoi se constitue à une période bien précoce du développement, alors que le moi est encore très éloigné du réel, nous devons examiner sous un nouvel angle l’évolution des relations d’objet. En admettant que les pulsions sadiques de l’enfant déforment l’image qu’il se fait de ses objets, nous conférons un caractère bien différent à l’influence exercée par les objets et les relations d’objet sur la formation du surmoi ; réciproquement, l’importance du surmoi par rapport aux relations objectales s’en trouve accrue. Lorsque le petit enfant commence à introjecter ses objets, qu’il ne connaît que très vaguement et sous la forme d’organes séparés, la peur de ces objets intériorisés déclenche, comme nous l’avons vu, les mécanismes d’expulsion et de projection ; il en résulte une interaction des deux mécanismes de projection et d’introjection qui paraît avoir une importance fondamentale non seulement pour la formation du surmoi, mais pour les relations avec les personnes et pour l’adaptation à la réalité. La nécessité de projeter constamment ses identifications terrifiantes sur ses objets semble provoquer un besoin accru de répéter sans cesse le processus d’introjection, et constitue ainsi un facteur décisif dans l’évolution de ses relations avec les objets223.

L’interaction des relations objectales et du surmoi se manifeste encore, à mon avis, dans le fait qu’à chaque stade du développement les méthodes employées par le moi dans ses rapports avec les objets correspondent exactement à celles du surmoi à l’égard du moi, et à celles du moi à l’égard du surmoi et du ça. Durant le stade sadique, l’individu se protège contre sa peur d’un objet brutal, à la fois introjecté et extérieur, en redoublant en imagination ses propres attaques destructrices contre lui. Son but, en se débarrassant ainsi de son objet, est sans doute pour une bonne part de réduire au silence les menaces intolérables de son surmoi. Mais une réaction de ce genre implique la mise à l’œuvre du mécanisme de projection selon deux modalités différentes : d’une part, le moi met l’objet à la place du surmoi dont il veut se libérer ; d’autre part, il lui donne également le rôle du ça dont il veut aussi se débarrasser. Ainsi la haine dirigée primitivement contre l’objet s’augmente de celle qui s’attache au ça et au surmoi. Chez certains individus qui ont ressenti trop violemment les premières situations anxiogènes et qui conservent les mécanismes de défense propres à ce stade primitif, la peur du surmoi peut donc, sous l’influence de circonstances extérieures ou endopsychiques, atteindre de telles proportions qu’elle incite à la destruction de l’objet, constituant ainsi, semble-t-il, la base nécessaire au développement d’une conduite de type criminel224.

La violence excessive de ces premières situations anxiogènes est également, à mon avis, d’une importance fondamentale dans l’étiologie de la schizophrénie. Cependant, je ne peux, ici, apporter qu’une ou deux suggestions à l’appui de cette opinion. Comme je l’ai signalé, l’individu qui projette son surmoi terrifiant sur ses objets accroît sa haine à leur égard, et par conséquent, la peur qu’ils lui inspirent ; il en résulte une agressivité et une angoisse excessives qui transforment ses objets en ennemis, et le monde extérieur en un lieu d’horreur : une menace de persécution émane à la fois du dehors et des ennemis introjectés. Si son angoisse est démesurée, ou son moi incapable de la supporter, il essaiera alors d’échapper à la peur des ennemis extérieurs en mettant fin aux mécanismes de projection et, par suite, cet arrêt réduira à son tour sa capacité d’introjection et inhibera ses relations avec le réel225 ; il se trouvera par conséquent d’autant plus exposé à la peur des objets déjà introjectés, et redoutera de se voir attaqué et assailli de mille manières par un ennemi intérieur auquel il ne peut échapper. Une semblable crainte est probablement l’une des causes les plus profondes de l’hypocondrie. N’étant susceptible d’aucune modification ni d’aucun déplacement en raison même de son intensité, elle suscite évidemment des moyens de défense d’une violence particulière. Une telle perturbation dans le mécanisme de la projection semble d’ailleurs aller de pair avec une négation de la réalité endo-psychique226. La personne qui en souffre nie227, et jusqu’à un certain point élimine228, non seulement la source de son angoisse, mais aussi l’affect lui-même. Toute une série de manifestations qui appartiennent au syndrome de la schizophrénie peut s’expliquer par un effort du malade pour se protéger contre un ennemi intérieur, le maîtriser ou lutter avec lui. La catatonie, par exemple, peut être regardée comme une tentative pour paralyser l’objet intérieur, l’immobiliser, et ainsi le rendre inoffensif229.

La première période de la phase sadique se caractérise par l’extrême violence des attaques dirigées contre l’objet. Au cours d’une période ultérieure qui coïncide avec la première partie du stade anal et durant laquelle prédominent les pulsions sado-anales, ce sont des méthodes d’agression plus subtiles qui prévalent, telles que l’usage d’armes empoisonnées ou explosives. Les excréments figurent alors des poisons230 et l’enfant, dans ses fantasmes, se sert de ses fèces pour persécuter ses objets231 ; il les introduit secrètement et de façon quasi magique232 dans leur anus et dans les autres ouvertures de leur corps où il les laisse. Il commence alors à redouter ses excréments qu’il juge dangereux et malfaisants pour son propre corps ; il redoute aussi les excréments de ses objets qu’il a incorporés, s’attendant à des attaques secrètes similaires par les mêmes moyens dangereux. Ces fantasmes engendrent donc la peur d’être empoisonné et d’avoir à l’intérieur du corps une multitude de persécuteurs, ce qui constitue la base des craintes hypocondriaques. Ils augmentent aussi la crainte qui résulte de l’équivalence faite entre l’objet introjecté et les selles233, car cet objet devient beaucoup plus dangereux en raison de son assimilation à des scybales toxiques et destructrices. Comme l’enfant, en raison de ses pulsions sado-urétrales, voit également dans l’urine une substance dangereuse qui brûle, ronge et empoisonne, son inconscient est prêt à considérer le pénis comme un organe sadique et à redouter le pénis du père, c’est-à-dire du persécuteur, qu’il a introjecté234.

Durant la période où il attaque à l’aide de ses excréments empoisonnés, sa peur d’être lui-même attaqué de façon sournoise à la fois par les objets introjectés et les objets extérieurs prend mille formes nouvelles en rapport avec le caractère plus varié et plus subtil de son propre sadisme ; les mécanismes de projection fonctionnent alors au maximum de leurs possibilités. Son angoisse s’étend, embrasse toutes sortes d’objets et voit dans le monde extérieur de multiples occasions de danger, si bien qu’il s’attend à être attaqué par un grand nombre de persécuteurs235. Comme il attribue à ces agressions un caractère occulte et perfide, il en vient à observer le monde environnant d’un œil attentif et soupçonneux, et renforce ainsi ses rapports avec la réalité, malgré leur caractère partiel et faux. Par ailleurs, comme il redoute, en dépit des mécanismes de projection, l’objet qu’il a introjecté, il est constamment sollicité à entretenir ces mécanismes.

La paranoïa a, d’après moi, son point de fixation au cours de la phase d’exacerbation du sadisme, au moment où l’enfant se sert de ses excréments dangereux et empoisonnés pour s’attaquer à l’intérieur du corps de sa mère et au pénis qu’il imagine s’y trouver236 ; les situations anxiogènes que créent ces attaques donnent naissance à des délires de relation et de persécution237.

À mon avis, la peur que les objets introjectés inspirent à l’enfant l’incite à en déplacer l’origine et à la situer dans le monde extérieur. Par ce processus, il met en jeu aussi bien ses organes, ses objets, ses fèces et tout le reste que ses objets intériorisés, et il en fait les équivalents de ses objets extérieurs ; il répartit en même temps sa crainte d’un objet extérieur sur un grand nombre d’objets entre lesquels il établit des équivalences238.

Des rapports de ce genre avec une multitude d’objets, fondés en partie sur l’angoisse et effectués au moyen d’équivalences239, peuvent être considérés comme un mécanisme phobique, et constituent à mes yeux une nouvelle étape sur la voie des relations objectales et de l’adaptation à la réalité, puisque la première relation objectale n’impliquait qu’un seul objet, le sein maternel, tenant lieu de la mère. Dans l’imagination du petit enfant, ces multiples objets sont situés à l’intérieur du corps de la mère qui est l’objectif principal de ses pulsions libidinales et destructrices, en même temps que de ses tendances épistémophiliques naissantes. À mesure que ses pulsions sadiques s’accroissent et qu’il s’empare en imagination de l’intérieur du corps de sa mère, cette partie du corps représente la personne entière, en tant qu’objet, et symbolise à la fois le monde extérieur et la réalité. Primitivement, c’était bien le sein maternel qui représentait pour l’enfant le monde extérieur, mais, maintenant, l’intérieur de son corps, image de l’objet et du monde environnant, prend une signification plus vaste puisqu’il est devenu, en raison de l’extension de l’angoisse, le réceptacle d’un nombre d’objets de plus en plus considérable240.

Ainsi les fantasmes sadiques concernant l’intérieur du corps de la mère constituent une relation fondamentale de l’enfant avec le monde extérieur et la réalité. Mais l’agressivité et l’angoisse qui en découlent ne sont pas les seuls fondements des relations objectales. La libido est également à l’œuvre et fait sentir sa présence. Les relations libidinales avec les objets et l’influence exercée par la réalité contrebalancent la peur des ennemis du dedans et du dehors. La foi en l’existence de personnages bienveillants et secourables, qui est due à l’action efficace de la libido, permet aux objets réels de s’imposer de plus en plus fortement et aux imagos fantasmatiques de passer au second plan241.

L’interaction du surmoi en formation et des relations objectales, basée sur celle de la projection et de l’introjection, imprime donc sa marque profonde sur le développement de l’enfant. Au cours des premiers stades, la projection dans le monde extérieur des imagos terrifiantes le transforme en un lieu de danger, et les objets en ennemis ; l’introjection simultanée des objets réels, qui, en fait, sont bien disposés à l’égard de l’enfant, travaille en sens contraire et atténue la violence de la crainte inspirée par les imagos terrifiantes. Vues sous cet angle, la formation du surmoi, les relations objectales et l’adaptation au réel sont le résultat d’une interaction entre deux processus : la projection des pulsions sadiques de l’individu et l’introjection de ses objets.


172 Voir mon article : Early Stages of the Œdipus Conflict (1928).

173 Dans Oral Erotism and Character (1921), Abraham a montré comment l’excès autant que le manque de gratification pendant le stade oral de succion peuvent conduire à une fixation particulièrement forte au plaisir de mordre. Dans ses Notes on Oral Character-Formation (1925), Edward Glover souligne l’importance de la frustration orale dans une fixation de cette nature ; d’après lui, lorsqu’un excès de satisfaction orale produit des conséquences traumatiques, c’est parce que d’autres facteurs interviennent également. À mon avis aussi, les résultats sont essentiellement différents dans les deux cas.

174 Erna (chap. III) était un cas de ce genre. Elle avait souvent blessé sa mère au sein par ses morsures, lorsqu’elle était toute petite, et bien avant d’avoir des dents. Nourrisson, elle présentait également des difficultés alimentaires. J’ai observé d’autres cas de sadisme oral anormalement fort, chez lesquels cependant la période de succion n’avait donné lieu à aucun trouble visible ni à aucune difficulté, mais avait été, en réalité, totalement insatisfaisante pour l’enfant. D’autres fois, de graves perturbations extérieures pendant cette époque engendrent non pas un sadisme oral anormalement intense, mais une très forte fixation au stade de succion. Ainsi Ruth (chap. II), qui présentait une forte fixation de ce genre à la phase orale de succion, avait été pendant des mois un bébé affamé, parce que sa mère n’avait pas assez de lait. Un autre patient, qui n’avait jamais été nourri au sein, mais au biberon, manifesta, il est vrai, un fort sadisme oral, mais il était également fortement fixé à la période orale de succion.

175 Abraham : A Short Study of the Development of the Libido (1924), p. 451.

176 J’ai découvert un autre facteur du développement d’une importance capitale, qui est la plus ou moins grande capacité du moi qui n’a pas encore atteint sa maturité à tolérer l’angoisse. L’étude de ce facteur sera reprise plus loin.

177 Voir Abraham : The Influence of Oral Erotism on Character-Formation (1924) ; et également Edward Glover : The Significance of the Mouth in Psychoanalysis (1924).

178 Voir Freud : The Predisposition to Obsessional Neurosis (1913).

179 Hemmuttg, Symptom und Angst (1926), p. 78.

180 Ibid., p. 49.

181 Ibid., p. 49.

182 Hemmung, Symptom und Angst (1926), p. 86.

183 Ibid., p. 109.

184 Voir Ferenczi : The Problem of the Acceptance of Unpleasant Ideas (1926). Dans son article : The Problem of Melancholia (1928), Radó a signalé l’importance de la rage dans la réaction de l’enfant qui tète vis-à-vis de la faim, mais les conclusions auxquelles il arrive diffèrent de celles que je proposerai au cours des pages suivantes.

185 Dans Hemmung, Symptom und Angst (1926), Freud considère que parfois une certaine quantité d’angoisse instinctuelle qui s’est libérée de l’instinct destructeur peut s’assimiler à l’angoisse réelle. Il écrit textuellement : « Il peut arriver assez souvent que même si une situation de danger est correctement estimée en elle-même, une certaine quantité d’angoisse instinctuelle s’ajoute à l’angoisse réelle. Dans ce cas, l’exigence instinctuelle qui fait reculer le moi est de nature masochiste : c’est l’instinct de destruction dirigé contre le sujet. Cette addition expliquerait peut-être les cas dans lesquels les réactions d’angoisse sont excessives, inopportunes ou paralysantes » (p. 111).

186 Après avoir écrit ce livre, j’apprends que Thérèse Benedek, par une approche différente, est arrivée également à la conclusion que l’angoisse trouve son origine dans l’instinct destructeur. Elle écrit : « L’angoisse, par conséquent, n’est pas la peur de la mort mais la perception de l’instinct de mort qui est libéré dans l’organisme : la perception du masochisme primaire » (Todestrieb und Angst, 1931).

187 The Economie Problem in Masochism (1924).

188 Freud écrit dans Hemmung, Symptom und Angst (1926) : « Nous ne pouvons dire pour le moment si c’est l’apparition du surmoi qui établit la ligne de démarcation entre le refoulement primaire et le refoulement secondaire. En tout cas, les premiers accès d’angoisse, qui sont très intenses, ont lieu avant la différenciation du surmoi. Il est fort plausible que les causes déclenchantes immédiates des refoulements primaires soient des facteurs quantitatifs, tels qu’un degré excessif d’excitation et une rupture dans la barrière érigée contre les stimuli » (p. 31).

189 Le processus par lequel l’objet est intériorisé sera discuté par la suite. Pour le moment, il suffit de dire que, selon l’opinion de l’auteur, l’objet incorporé assume instantanément les fonctions d’un surmoi.

190 Dans les analyses de très jeunes enfants nous avons trouvé de nombreuses représentations de cette angoisse. Je donnerai l’exemple suivant : un enfant de cinq ans faisait semblant de posséder toutes les espèces d’animaux sauvages, tels que des éléphants, des léopards, des hyènes, des loups, pour l’aider à se défendre contre ses ennemis. Chaque animal avait sa fonction propre. Les éléphants piétinaient l’ennemi jusqu’à le pulvériser, les léopards le dépeçaient, les hyènes et les loups le mangeaient. Quelquefois, il imaginait que ces animaux sauvages, qui étaient à son service, se retourneraient contre lui, et cette idée éveillait une forte angoisse. Tout ceci représentait dans son inconscient chacune des formes de son sadisme : l’éléphant représentait son sadisme musculaire ; les animaux qui dépeçaient symbolisaient ses dents et ses ongles ; les loups, ses excréments. La crainte que ces animaux dangereux qu’il avait domptés ne l’exterminent à son tour se référait à la peur de son propre sadisme comme ennemi intérieur et dangereux. Je rappellerai au lecteur l’expression courante « éclater de rage ». Dans l’analyse de jeunes enfants j’ai trouvé très souvent des représentations de l’idée impliquée dans cette figure de style.

191 Abraham a attiré l’attention sur la conduite de vampire de certaines personnes et l’a expliquée comme étant l’effet d’une régression du sadisme oral au stade oral de succion. (Oral Erotism and Character (1924), p. 401.)

192 Edward Glover, en discutant avec moi de ce sujet, suggérait que la sensation de vide éprouvée dans son corps par le petit enfant comme conséquence du manque de satisfaction orale pourrait être le point de départ des fantasmes d’attaque du corps maternel, car elle donnerait naissance à des fantasmes dans lesquels le corps de la mère serait rempli de toute la nourriture désirée. Reprenant mes observations une fois de plus, je trouve cette supposition pleinement confirmée. Il me semble qu’elle apporte un nouvel éclairage sur la démarche par laquelle se fait la transition de la succion et la dévoration du sein de la mère à l’attaque contre l’intérieur de son corps. Dans le même ordre d’idées, le Dr Glover mentionna aussi la théorie de Radó d’un « orgasme alimentaire » (The Psychic Effects of Intoxicants, 1926) en vertu duquel la satisfaction passe de la bouche à l’estomac et aux intestins.

193 À propos d’un cas de sadisme urétral fortement développé, Abraham signale, dans The Narcissistic Evaluation of Excretory Processes (1920), que chez les névrosés « nous observons que les fonctions et les produits de l’intestin et de la vessie sont utilisés comme véhicules des pulsions hostiles » (p. 319).

194 Voir tout spécialement Freud : Die Traumdeutung (1900) et Drei Abhandlungen zur Sexualtheorie (1905) ; également Sadger : Über Urethralerotik (1910) ; Abraham : Ejaculatio Praecox (1917) et The Narcissistic Evaluation of Excretory Processes (1920), et Rank : Psychoanalytische Beiträge zur Mythenforschung (1919).

195 Voir à ce sujet les observations de Freud dans : Fragment of an Analysis of a Case of Hysteria (1905).

196 Dans son travail : A Short Study of the Development of the Libido (1924), p. 47, Abraham a fait observer que les fantasmes criminels des maniaques sont dirigés principalement contre la mère, et il en donne un remarquable exemple dans le cas d’un patient qui s’identifiait en imagination avec l’empereur Néron lequel tua sa mère et voulut brûler Rome (symbole de la mère). D’après Abraham, ces pulsions destructrices du fils contre la mère ont un caractère secondaire et sont à l’origine dirigées contre le père. À mon avis, ces attaques contre le corps de la mère sont à leur origine des attaques sadiques orales contre le sein et donc primaires ; mais, dans la mesure où elles sont renforcées par la haine primitive contre le pénis du père qu’il imagine être à l’intérieur du corps de la mère, sont centrées sur cet objet et culminent dans sa destruction, elles sont dirigées contre le père à un degré suffisant pour influencer la totalité du développement de son complexe d’Œdipe. Il est donc juste de dire que la haine primitive du fils contre le père est en partie déplacée sur la mère. Au chapitre XII, j’exposerai en détail la signification de ce déplacement dans le développement sexuel du garçon.

197 Dans une communication brève, A Paranoic Mechanism as seen en the Analysis of a Child (1928), M. N. Searl a rapporté un cas clinique qui présentait d’intenses fantasmes sadiques-oraux de ce type ; des mécanismes paranoïaques se rattachaient au besoin qu’éprouvait l’enfant d’aspirer du père ce que ce dernier avait pris du sein maternel. J’ai pu me rendre compte que l’on retrouve de façon caractéristique dans les psychoses l’influence marquée de fantasmes de cette nature, qui, dérivant d’un sadisme oral intense, annoncent des pulsions particulièrement agressives dirigées contre l’intérieur du corps de la mère.

198 Voir Abraham : Psycho-Analyticial Studies on Character-Formation (1925).

199 Dans Homosexualität und Ödipuskomplex (1926), Felix Boehm souligne l’importance de fantasmes que beaucoup d’hommes entretiennent au sujet du pénis de leur père, conservé par la mère après les rapports sexuels et caché dans son vagin. Il est souvent fait mention dans la littérature psychanalytique de fantasmes où tantôt le sujet rencontre le pénis du père dans le ventre de la mère et assiste au coït des parents, tantôt il a subi les sévices du pénis paternel au cours de la vie intra-utérine.

200 Voir chap. XII.

201 Au cours de l’analyse de jeunes garçons, j’ai souvent observé que leurs entreprises contre moi s’adressaient spécialement à ma tête, à mes pieds ou à mon nez ; j’ai découvert qu’ils ne s’attaquaient pas au pénis féminin, mais au pénis du père qui avait été, dans leur imagination, incorporé ou annexé par ma personne.

202 J’exposerai plus loin l’évolution diversifiée des relations objectales de l’enfant. Il attribue à ses objets imaginaires, non seulement des sentiments de haine et d’angoisse, mais aussi des sentiments positifs et il écarte ainsi ses objets imaginaires de ses objets réels. Si l’intensité de ses relations, tant négatives que positives, avec les premiers est excessive, il ne pourra rattacher convenablement ses fantasmes sadiques ou réparateurs à ses objets réels, de sorte qu’il éprouvera des difficultés dans son adaptation à la réalité et dans ses relations objectales.

203 Je ne crois pas que Fenichel ait raison de distinguer « les précurseurs prégénitaux du complexe d’Œdipe » du complexe d’Œdipe proprement dit, ainsi qu’il le soutient dans son article : Pregenital Antecedents of the Œdipus Complex (1930).

204 Dans ma communication au Congrès de Psychanalyse d’Oxford en 1929 : The Importance of Symbol-Formation in the Development of the Ego, j’ai exprimé cette idée en ces termes : « C’est seulement dans les dernières phases du complexe d’Œdipe que la défense contre les pulsions libidinales fait son apparition ; dans les premiers stades, la défense est dirigée contre les pulsions destructrices accompagnant les pulsions libidinales. »

À ce même Congrès, Ernest Jones, dans sa communication : Fear, Guilt and Hate, a souligné l’importance des tendances agressives dans l’origine du sentiment de culpabilité.

205 Dans Civilisation and its Discontents (1929), Freud va plus loin encore : « Cet instinct (d’agression)… réside au fond de toutes les relations d’affection et d’amour entre les êtres humains – seule, peut-être, la relation de la mère avec son fils fait exception » (p. 89). En soutenant que le complexe d’Œdipe débute sous la primauté du sadisme, j’ai l’impression de compléter ce qu’écrit Freud. J’apporte en effet une explication supplémentaire au rôle primordial de la haine dans les relations objectales, si les relations de l’enfant avec ses parents, qui fondent et déterminent tous ses rapports futurs, se forment à la phase d’exacerbation du sadisme. L’ambivalence ressentie à l’endroit du sein de la mère comme premier objet se trouve renforcée par l’augmentation de la frustration orale et l’apparition du conflit œdipien, jusqu’à sa transformation finale en authentique sadisme.

206 Voir : Die Frage der Laienanalyse (1926), p. 74.

207 Dans son article : Privation and Guilt (1929), Susan Isaacs signale que « l’identification primaire » décrite par Freud joue probablement dans la formation du surmoi un rôle plus important qu’on ne l’avait d’abord soupçonné.

208 Cf. le fantasme, très souvent mentionné dans la littérature psychanalytique, du « vagin denté ».

209 Dans le chapitre suivant et plus spécialement dans le chap. XI, je chercherai à démontrer comment l’enfant introjecte les bonnes et les mauvaises imagos et comment graduellement, dans la mesure où son adaptation à la réalité et la formation de son surmoi progressent, ces imagos se rapprochent de plus en plus étroitement des objets de la réalité qu’elles représentent. Je me contente ici de brosser un tableau du développement des tendances sadiques de l’enfant et de leurs relations avec les débuts de la formation de son surmoi et ses premières situations anxiogènes.

210 Dans mon article : Early Stages of the Œdipus Conflict (1928), j’écrivais : « Il nous semble incroyable qu’un enfant de 4 ans, par exemple, constitue dans son esprit une image irréelle et fantastique de parents qui dévorent, dépècent, mordent. Par ailleurs, il nous semble compréhensible que chez un enfant d’un an l’angoisse causée par le début du complexe d’Œdipe prenne la forme de la peur d’être dévoré et détruit. L’enfant lui-même désire détruire son objet libidinal en le mordant, le dévorant, le coupant en morceaux ; d’où son angoisse, car l’éveil de ses tendances œdipiennes est suivi de l’introjection de l’objet qui devient alors un agent punitif. L’enfant craint dès lors un châtiment correspondant aux attaques qu’il a perpétrées, et le surmoi devient quelque chose qui mord, dévore et dépèce. »

211 Voir Freud : Totem und Tabu (1912).

212 Le moi, pour ainsi dire, opposerait ses deux ennemis, l’objet et l’instinct de destruction, l’un contre l’autre, ainsi il se place dans une position périlleuse entre ces deux forces antagonistes. Il se peut que la crainte du père serve de protection partielle contre cet instinct, par suite de l’admiration acquise phylogénétiquement pour son pouvoir. Cette hypothèse est étayée par l’analyse de très jeunes enfants des deux sexes, chez lesquels on retrouve à la fois cette crainte et cette admiration illimitée, sentiment très profond de type primaire. Et nous rappellerons qu’à mesure que l’enfant grandit, le rôle joué par le surmoi est celui d’un père sévère, non d’un père cruel. Freud termine son article sur l’Humour (1928), par cette phrase : « Et enfin, si le surmoi cherche à réconforter le moi par l’humour et à le protéger contre la souffrance, il n’en demeure pas moins un dérivé de l’institution parentale. »

213 D’après Freud (The Passing of the Œdipus Complex, 1924), c’est sous la menace de la castration que l’enfant renonce à l’œdipe. « L’autorité du père ou des parents est introjectée par le moi et y constitue le noyau du surmoi, qui emprunte au père sa sévérité, perpétue son interdiction de l’inceste et protège le moi contre le retour de l’investissement libidinal de l’objet » (p. 273). Dans The Ego and the Id (1923), nous lisons : « La relation du surmoi au moi dépasse le simple commandement : « tu dois » (comme ton père) ; elle comprend aussi l’interdiction : « tu ne dois pas être ainsi (comme ton père) ; en d’autres termes, tu ne peux faire tout ce qu’il fait, certaines choses n’appartiennent qu’à lui ». Ce double aspect de l’idéal du moi dérive du refoulement de l’œdipe, qui fut son œuvre et auquel il doit son origine. Ce ne fut pas une tâche facile que le refoulement du complexe d’Œdipe. Les parents et surtout le père étant perçus comme un obstacle à la réalisation des désirs œdipiens, le moi de l’enfant dut remplacer ce refoulement en érigeant en lui ce même obstacle ; c’est au père qu’il emprunta, pour ainsi dire, la force nécessaire à une telle entreprise, avec de lourdes conséquences. Le surmoi conserve ainsi le caractère du père ; plus le complexe d’Œdipe aura été intense, plus il aura rapidement cédé au refoulement, sous l’influence de l’autorité, des préceptes religieux, de l’école, des lectures, et plus rigoureuse sera la contrainte qu’exercera le surmoi sur le moi, par la conscience ou peut-être par un sentiment inconscient de culpabilité. Je vais formuler une hypothèse au sujet de la source d’une telle contrainte, soit du caractère compulsif qui se manifeste sous la forme d’un impératif catégorique » (p. 44).

214 Dans le même ouvrage, Freud écrit encore : « Toute identification de ce genre est essentiellement une désexualisation, voire une sublimation. Or, il semble qu’une pareille transformation s’accompagne d’une désintrication instinctuelle. À la suite d’une sublimation, les composantes érotiques ne peuvent plus lier la totalité des pulsions destructrices qui leur étaient unies et qui se libèrent par une tendance à l’agression et à la destruction. Cette désintrication serait à l’origine de la dureté et de la cruauté que manifeste l’idéal, dans son tyrannique « tu dois » » (p. 80).

215 Nous lisons, dans Civilisation and its Discontents (1930), que « l’expérience démontre toutefois que la rigueur du surmoi qui se forme chez l’enfant ne correspond nullement à celle qu’il a subie » et que « la rigueur primitive du surmoi ne traduit pas, ou du moins pas au même degré, la rigueur éprouvée ou anticipée de la part de l’objet, mais plutôt la propre agressivité de l’enfant contre ce dernier » (p. 116).

216 Ma conception rejoint celles de Ernest Jones, Edward Glover, Joan Riviere et M. N. Searl qui, abordant le problème différemment, sont arrivés à la conclusion que les premiers fantasmes de l’enfant et le début de son développement libidinal jouaient un rôle important dans la formation du surmoi. Voir mon article : A Symposium on Child Analysis (1926), ainsi que l’article de Ernest Jones : The Origin and Structure of the Super-Ego (1926), dans lequel il précise : « Il y a tout lieu de penser que le concept central du surmoi rendra compte des énigmes que présentent le complexe d’Œdipe et le narcissisme, la haine et le sadisme » (p. 304).

217 Voir Reich : Der Triebhafte Charakter (1925).

218 Voir mon travail : Infantile Anxiety-Situations Reflected in a Work of Art (1929).

219 Cette question sera traitée plus à fond dans le chapitre IX.

220 A Short Study of the Development of the Libido (1924), p. 428.

221 Ibid., p. 433.

222 Dans Hemmung, Symptom und Angst (1926), Freud écrit : « Il est possible qu’il y ait une étroite relation entre le caractère de la situation de danger et le type de névrose qui en découle » (pp. 84-5).

223 Dans Instincts and their Vicissitudes (1915), Freud écrit : « Les objets, dans la mesure où ils sont une source de plaisir, sont absorbés par le moi, « introjectés » (d’après l’expression de Ferenczi), alors que l’individu rejette dans le monde extérieur ce qui, à l’intérieur de lui-même, engendre le déplaisir (voir infra : le mécanisme de projection) » (p. 78).

224 Si le comportement criminel dérive ainsi d’une angoisse primitive, notre unique espoir de comprendre le criminel, et peut-être de le réformer, serait, semble-t-il, dans l’analyse des couches les plus profondes de sa vie psychique.

225 Voir mon article : The Importance of Symbol-Formation in the Development of the Ego, 1930.

Melitta Schmidbberg a démontré que le schizophrène rompt ses relations avec le monde extérieur en se réfugiant dans ses « bons » objets intérieurs – manœuvre qu’il réalise en abandonnant le mécanisme de projection et en surcompensant son amour pour ses objets intérieurs d’une façon narcissique, évitant ainsi la peur des « mauvais » objets intérieurs et extérieurs. (Voir ses articles : The Role of Psychotic Mechanisms in Cultural Development (1930), et A Contribution to the Psychology of Persecutory Ideas and Delusions, 1931).

226 Dans son article : Stages in the Development of a Sense of Reality (1913), Ferenczi a remarqué que le déni total de la réalité est une réaction psychique très primitive et que les points de fixation de la psychose devraient se situer à un stade primitif correspondant du développement.

227 Selon Melitta Schmideberg, la négation de l’angoisse est utilisée en partie pour nier l’existence de l’objet introjecté auquel cet afifect est lié. (Voir A Contribution to the Psychology of Persecutory Ideas and Delusions, 1931.)

228 Dans son article : Über Skotomisation in der Schizophrénie (1926), Laforgue suggère le terme de « scotomisation » pour ce mécanisme de défense et souligne son importance dans la schizophrénie.

229 D’après Melitta Schmideberg, la catatonie représente la mort et une manière d’échapper aux diverses formes d’attaques que redoute le malade (op. cit.).

230 Voir mes travaux : The Importance of Symbol-Formation in the Development of the Ego (1930) et A Contribution to the Theory of Intellectual Inhibition (1931), Plus récemment, dans un article intitulé : Über Respiratorische Introjektion (1931). Fenichel décrit un type de fantasmes sadiques où les excréments servent à tuer les selles par empoisonnement et explosion, l’urine par empoisonnement. À son avis, ces fantasmes donnent naissance à la crainte d’être empoisonné par des excréments. Cet article corrobore ce que j’avais soutenu dans les articles précités.

231 Voir Ophuijsen, On the Origin of the Feeling of Persécution (1919), et Stärcke, The Reversai of the Libido-Sign in Delusions of Persécution (1919). D’après eux, l’idée du persécuteur chez le paranoïaque, provient de l’idée inconsciente de l’étron dans l’intestin et de l’équivalence entre cet étron et le pénis du persécuteur. J’ai observé que la peur de matières fécales sous forme de persécuteurs dérive, en dernière analyse, de fantasmes sadiques dans lesquels l’urine et les selles sont utilisées comme des armes empoisonnées et destructrices contre le corps de la mère.

232 Röheim, dans son livre : Nach dem Tode des Urvaters (1923), a démontré que, dans les tribus primitives, le magicien noir tue un homme ou le rend malade en introduisant dans son corps, magiquement, des excréments ou leurs équivalents.

233 Abraham, dans son article : A Short Study of the Development of the Libido (1924), a démontré que l’objet haï était assimilé à des selles. Voir également Röheim dans Nach dem Tode des Urvaters (1923), et Simmel, The Doctor-Game, Illness, and the Profession of Medicine (1926).

234 Voir mon article : A Contribution to the Theory of Intellectual Inhibition (1931).

235 La crainte de plusieurs persécuteurs a une source sadique anale, puisque c’est une crainte de nombreuses selles persécutrices, mais elle est également d’origine orale. Mon expérience m’a appris que les théories sexuelles de l’enfant d’après lesquelles la mère incorpore à chaque coït un nouveau pénis et le père possède plusieurs pénis contribuent à la crainte de nombreux persécuteurs.

Melitta Schmideberg voit dans ce grand nombre de persécuteurs la projection des attaques sadiques orales de l’enfant contre le pénis du père, chacun des morceaux devenant un nouvel objet d’angoisse (The Role of Psychotic Mechanisms in Cultural Development, 1930).

236 Voir également mon article : The Importance of Symbol-Formation in the Development of the Ego (1930). Avec Abraham, je crois que chez le paranoïaque la libido régresse au premier stade anal ; à mon avis, cette phase d’exacerbation du sadisme est introduite par les pulsions sadiques orales et se termine avec le déclin du premier stade anal. Nous verrons que cette phase, que je considère comme fondamentale dans la paranoïa, se trouve soumise à la suprématie de la première phase anale. Je crois que les idées exprimées ici prolongent les découvertes d’Abraham. Elles montrent qu’au cours de cette phase d’exacerbation toutes les modalités du sadisme sont utilisées ensemble et entièrement ; elles soulignent également l’importance fondamentale des tendances sadiques urétrales et sadiques orales et apportent certains éclaircissements sur la structure des fantasmes dans lesquels s’expriment les tendances sadiques anales correspondant au premier stade anal.

237 Melitta Schmideberg a rapporté deux cas présentant des délires de persécution et de relation qui dérivaient d’une situation anxiogène semblable (A Contribution to the Psychology of Persecutory Ideas and Delusions, 1931).

238 Les désirs destructeurs de l’enfant contre ses objets, représentés par les organes de son corps, éveillent la peur de ces organes et de ces objets. Cette crainte, associée à ses intérêts libidinaux, l’amène à assimiler ces organes à d’autres objets qui, à leur tour, se transforment en objets d’angoisse ; il s’en éloigne continuellement grâce à de nouvelles équivalences et crée ainsi un système de symboles. (Voir mon article : The Importance of Symbol Formation in the Development of the Ego, 1930.)

239 Comme l’a démontré Ferenczi, le petit enfant cherche à redécouvrir ses propres organes et leurs fonctions dans chaque objet extérieur au moyen de l’identification, précurseur de la symbolisation.

240 D’après Ernest Jones (The Theory of Symbolism, 1916), le principe de plaisir permet de trouver des ressemblances entre des choses très différentes les unes des autres si l’intérêt qu’elles éveillent est de nature similaire. Ce point de vue fait ressortir l’importance de l’intérêt libidinal comme facteur fondamental des processus d’identification et de symbolisation.

241 Voir mon article : Personification in the Play of Children (1929).