9. Les Irwin

Exposé clinique

Mary a vingt ans. C’est une jeune fille rondelette, jolie, qui parle et agit calmement, après réflexion.

Sa maladie débuta par une séquence typique de démence précoce. Apparemment elle avait été en bonne santé jusqu’à l’âge de quinze ans. Elle avait alors commencé à se désintéresser de ses études et à n’être plus bien placée en classe.

Jusque-là, elle avait été d’un tempérament gai et sociable. Elle devint alors morose et s’éloigna de ses amis.

Lorsqu’elle quitta l’école, elle ne savait pas trop ce qu’elle voulait faire, mais poussée par sa famille elle prit un emploi dans un bureau. Elle y resta deux ans, puis s’en alla parce qu’elle s’ennuyait. Ensuite, elle ne voulut plus rien faire, mais poussée à nouveau par sa famille prit un autre emploi. Elle fut licenciée après trois mois pour incompétence. Au cours des neuf mois suivants, elle perdit deux emplois pour la même raison. Peu après, elle entra à l’hôpital pour la première fois.

À l’époque où elle quitta l’école, elle développa des « habitudes » diverses : par exemple renifler et tousser. Il lui arrivait aussi de rester assise sans bouger pendant plus d’une heure. Plus tard, à l’hôpital, elle reniflait, toussait ou grimaçait ou bien encore restait assise, immobile, ne bougeant que si l’on l’y obligeait.

Lorsque nous la rencontrâmes, elle venait d’entrer à l’hôpital pour la troisième fois, ayant déjà passé vingt-deux mois dans deux autres hôpitaux psychiatriques.

Durant ces séjours à l’hôpital, elle avait été mise seule dans une chambre parce qu’elle cassait des objets lorsqu’elle entrait dans un état d’excitation catatonique ; on l’avait tranquillisée par des séances quotidiennes d’électrochocs et elle avait été « stabilisée » grâce à ces électrochocs et aux neuroleptiques.

Depuis qu’elle était malade, ses parents se plaignaient de ne pouvoir exercer sur elle aucun contrôle à la maison. En dépit de leur désir de voir son état s’améliorer, ils se sentaient incapables de l’aider à guérir tant qu’elle n’aurait pas atteint un stade de « convalescence raisonnable ».

Les symptômes et les signes de schizophrénie chez Mary comportaient un blocage de la pensée avec exagération des faits, de la confusion dans les idées, des pensées vagues et des spéculations sur le sens de la vie, une incapacité à faire place aux difficultés de l’existence et une certaine agressivité pour les surmonter.

On nota une apathie émotionnelle et une discordance de l’affect et de la perception, des idées fixes de persécution : par exemple, que sa mère tuait son esprit.

Son apathie émotionnelle se transformait parfois en excitation incontrôlable et en violence.

Son dossier indiquait, entre autres, divers mouvements stéréotypés du corps, des grimaces, une immobilité catatonique, des accès de négativisme, des troubles occasionnels légers de la coordination et une obéissance automatique.

L’histoire médicale de la famille ne donna aucun indice et l’on ne put établir aucun rapport entre les symptômes variés que manifestait la jeune fille et son environnement.

Ce cas est particulièrement intéressant en ce sens que la jeune fille avait fait l’objet d’une étude clinique très précise : on soupçonnait en effet une maladie encéphalique qui aurait débuté avant les premières manifestations psychopathiques. Cette étude fut négative du point de vue organique.

L’opinion des parents de la jeune fille en ce qui concerne sa maladie recoupait pour l’essentiel le diagnostic des psychiatres.

Nous présenterons ici une étude concluant à un diagnostic radicalement différent et selon laquelle l’attribution de maladie apparaîtra intelligible du point de vue social. Nous verrons comment cette maladie attribuée arrive à être considérée comme un fait et comment la patiente est traitée en conséquence. Le sort jeté sur cette jeune fille par l’imagination de chacun de ceux qui veulent voir en elle une malade est si puissant qu’on est constamment obligé de faire des efforts pour se souvenir qu’il n’y a jamais eu aucune preuve sur laquelle cette présomption puisse se trouver fondée, à l’exception des actions des autres, qui agissent en fonction de cette présomption. Ils donnent ainsi l’impression, qui confine à la certitude, que le vécu et les actions en question sont le résultat intelligible d’un processus plutôt que l’expression intelligible de la praxis de Mary, dans un environnement social où sa position est intenable et où ses « mouvements » (sa praxis) sont expliqués selon ladite présomption : ils seraient causés par un processus pathologique mystérieux – indubitable, et cependant indéfinissable.

Une fois de plus, nous nous efforcerons de montrer dans quelle mesure le vécu et les actions qui sont considérés comme des symptômes et des signes d’un processus pathologique ou organique psychique sont explicables en termes de praxis sociale dans le contexte praxis-processus du système social que constitue la famille.

Ici comme ailleurs, nous faisons les plus expresses réserves quant à la notion de « maladie » attribuée à la patiente.

Nous résumerons le vécu et le comportement de Mary tels qu’ils sont vus par sa mère, son père, sa sœur aînée, par les psychiatres, les infirmières et nous-mêmes ; et finalement tels que elle-même les perçoit.

Structure de l’enquête

Le noyau familial se compose de la mère de Mary, quarante-six ans, de son père, quarante-huit ans, d’Angela, vingt-deux ans, de Mary, vingt ans, et d’un frère âgé de seize ans.

Interviews enregistrées et transcrites Nombre d’interviews

Interviews enregistrées et transcrites

Nombre d’interviews

Mary

12

la mère

1

le père

1

la sœur

1

Mary et sa mère

2

la mère et le père

1

Mary et son père

1

Mary, la mère et le père

1

 

 

20

Cela représente vingt heures d’interviews, dont la totalité fut enregistrée.

Situation familiale

[Le père]

D’après le père, tout commença lorsque Mary avait quinze ans. Elle avait toujours été très douce de caractère et obéissante jusque-là, et soudain elle commença à mettre en doute l’autorité de ses parents et à leur manquer de respect. Elle devint arrogante.

L’interviewer : Vous souvenez-vous de la première occasion où elle se montra arrogante ?

Le père : Eh bien, il y a une chose qui me reste à l’esprit – c’est qu’elle était toujours sage, bien élevée et qu’un jour elle rentra de l’école – le professeur avait demandé aux élèves de lui poser des questions et elle lui avait demandé s’il pensait qu’il était juste que les professeurs aient le droit de frapper les élèves – enfin, quelque chose dans ce genre – parce que sa camarade avait été frappée la veille, vous comprenez, comme il arrive dans les écoles. Eh bien, j’étais surpris que Mary se dresse contre une telle chose. Jamais on n’aurait pensé auparavant qu’elle pût faire une chose pareille.

L’interviewer : Prononcer de telles paroles ?

Le père : Oui.

L’interviewer : Elle vous a répété – ce qu’elle avait dit ?

Le père : Eh bien, elle est rentrée, puis elle nous en a parlé. Nous n’avons rien dit sur le moment, mais cela m’a frappé et je ne l’ai pas oublié.

L’interviewer : Cela vous a beaucoup surpris ?

Le père : Évidemment. J’ai été très surpris de son attitude parce qu’elle avait toujours été très obéissante et bien élevée. Remarquez que je ne pense pas qu’elle ait fait mal, mais c’était plutôt impertinent vis-à-vis du professeur.

C’est ainsi que les choses débutèrent. Puis elles empirèrent. On pensa qu’elle était peut-être tout simplement obstinée, entêtée, mais « les choses devinrent bien pires » au moment où elle quitta l’école.

L’interviewer : Qu’arriva-t-il alors ?

Le père : D’abord je crois qu’elle a commencé à se mettre les doigts dans le nez, et on lui répétait sans cesse de s’arrêter – ça, c’était la première chose. Puis elle se mit à s’asseoir en balançant son pied – vous voyez ce que je veux dire, et il semblait qu’elle voulût toujours nous embêter, faire des choses qui nous ennuyaient. C’est comme ça que ça a commencé.

L’interviewer : Elle se mettait les doigts dans le nez et balançait son pied ?

Le père : Oui. On lui disait de s’arrêter, mais elle continuait – et elle reniflait lorsqu’on lui parlait. (Il renifle deux fois.) Ça, c’était encore autre chose.

[La mère]

Le père toutefois n’a pas aussi bonne mémoire que sa femme.

Nous devons examiner les paroles de la mère de Mary en tenant compte de l’idée qu’elle se fait d’elle-même et de Mary depuis la naissance de celle-ci. Elle pense que Mary et elle formaient un couple idéal.

L’interviewer : Parlez-moi de Mary lorsqu’elle était bébé. Quelle sorte de bébé était-elle ?

La mère : Un bébé toujours content, le genre de bébé dont tout le monde rêve.

L’interviewer : C’est-à-dire ?

La mère : Elle était toujours contente. Elle ne donnait aucun souci. Elle mangeait tout ce qu’on lui donnait. Dès que vous la regardiez, elle vous souriait, et elle était très jolie avec ses boucles dorées, ses grands yeux bleus et ses jambes potelées. Elle était propre. Elle était belle. On la mettait au lit entre 6 h 30 et 7 h le soir jusqu’au moment où elle commença à aller à l’école – elle ne donna jamais aucun souci. Elle jouait dehors, s’amusait, grimpait sur les murs – hum – on lui donnait une fessée de temps en temps – mais c’était une enfant absolument normale.

Et d’elle-même la mère dit :

« On m’a toujours dit que j’étais la mère idéale. »

L’interviewer : Qui vous disait cela ?

La mère : Pratiquement tout le monde. Le patron de mon mari disait toujours : « Quelle merveilleuse mère ! » Sa femme disait qu’elle n’avait jamais vu d’enfants aussi beaux que les miens, aussi sages et aussi charmants. Et ils étaient adorables, sans qu’on ait besoin de les frapper ou de crier après eux. Ils étaient tout simplement faciles à élever.

La mère s’adresse à Mary comme si celle-ci avait trois ans et il semble évident qu’elle l’a toujours traitée comme un bébé de trois ans, avant comme après cet âge.

Elle dit par exemple :

La mère : Je me disais souvent : « Comment arriverai-je jamais à lui apprendre à s’endormir à l’heure ? » Mais dès que nous eûmes notre maison à nous, je la couchais, je lui parlais, je m’asseyais près d’elle, puis je la laissais pleurer. Au début, elle pleura pendant presque deux heures chaque soir.

L’interviewer : Cela se passait entre six heures et dix heures du soir ?

La mère : Oui.

L’interviewer : Elle se réveillait vers huit heures le matin ?

La mère : Non, elle se réveillait vers 6 h 30 – elle dormait d’une traite jusqu’au matin.

L’interviewer : Elle avait à ce moment-là à peu près un an ?

La mère : Elle allait avoir un an.

L’interviewer : Et alors vous vous asseyiez près d’elle ?

La mère : Oui. Je lui disais : « Maintenant sois sage et dors », et elle se tournait vers moi et disait : « Ferme tes yeux et dors », puis elle se roulait en boule et se mettait à pleurer. C’est-à-dire qu’elle disait cela plus tard, quand elle a su parler.

L’interviewer : Je vois. Mais vous, vous lui parliez.

La mère : Je lui parlais sur un ton ferme et lui disais : « C’est l’heure de dormir et Angela dort déjà. » Petit à petit, elle pleura moins et après trois semaines environ elle ne donna plus de souci.

Mme Irwin a aussi la particularité de traiter sa fille comme une infirmière le ferait. À ses yeux, Mary est une petite fille malade qu’elle doit aider dans ses difficultés parce que c’est son devoir.

Pourtant, d’après elle, Mary et elle-même se ressemblaient beaucoup – c’est-à-dire lorsque Mary était en bonne santé.

La mère : Nous avons à peu près les mêmes goûts, nous aimons à peu près les mêmes couleurs, hum, c’est-à-dire jusque récemment. – Maintenant les goûts de Mary sont différents, elle aime les gros pulls et les jeans, et moi je n’aime pas cela – mais jusqu’à ce qu’elle ait environ dix-sept ans, je pouvais acheter n’importe quoi pour elle ou elle n’importe quoi pour moi, c’était toujours ce que nous voulions, exactement – nous aimions les mêmes choses.

Tout alla très bien jusqu’au moment où Mary tomba « malade ». Elle commença alors à « s’éloigner de moi », elle devint égoïste, arrogante, suffisante et insolente.

La mère : Maintenant tout est gâché entre nous. Je ne sais ni ce qu’elle fait ni ce qu’elle pense. Je suis obligée de penser qu’elle est malade, autrement je ne pourrais pas supporter la situation.

C’est une histoire qui nous est maintenant familière. Ce que Mme Irwin trouve particulièrement irritant, c’est la distance qui croît chaque jour entre elle et Mary. Dans le passé, elles étaient semblables, et maintenant elles sont différentes. C’est cette différence qui, pour la mère, constitue l’essence de la maladie de sa fille. Elle voit dans le désaccord de sa fille avec elle une marque de mauvaise volonté (égoïsme, arrogance, insolence, obstination, etc.) ou de folie.

Mais ce n’est pas tout. Mme Irwin avait « une vieille mère odieuse ». Elle la haïssait et la craignait à la fois ; elle avait réussi à quitter la maison après une longue lutte intérieure et s’était mariée à l’âge de vingt-deux ans. Sa mère, pour se faire servir, s’était toujours comportée comme si elle était malade. Elle était égoïste. Son père avait été un homme sévère, et il avait d’étranges manières – il disait toujours l’inverse de ce qu’il pensait, mais si vous arriviez à le comprendre vous pouviez vous entendre avec lui.

Mme Irwin est fière de penser aujourd’hui que, dans sa conduite vis-à-vis de Mary, elle prend modèle sur son père. Une amie le lui a dit : «… tant que tu es là ton père vit encore ».

Bien que Mme Irwin pense que pour Mary elle est son propre père (qui donc alors est Mary ?), elle se conduit à son égard, sans s’en rendre compte, comme sa propre mère ; elle semble encourager Mary à la voir comme elle-même avait vu sa mère et à lui dire et lui faire à elle ce qu’elle n’avait pas dit ni fait à sa propre mère.

Ainsi, Mme Irwin se voit par rapport à Mary comme :

  1. une bonne mère :

    « On m’a toujours dit que j’étais une mère idéale », etc.

  2. une mauvaise mère :

    « Je sens que c’est moi qui ai mal fait. »

  3. son propre père.

En plus de cela, elle s’identifie à Mary et amène Mary à la voir, elle, comme « une mère détestable ».

Ce qui suit montre combien Mme Irwin a des idées confuses concernant sa fille.

Elle dit, nous l’avons vu, qu’elle est à nouveau son propre père pour Mary : « J’en suis consciente avec Mary, et seulement avec Mary. »

Son père avait beaucoup d’humour. Un exemple de son humour à elle, c’est la façon dont elle se moquait de Mary et de son amoureux. Elle aimait à dire qu’il reniflait beaucoup et clignait des yeux : « Nous nous amusions beaucoup, Mary et moi, aux dépens de son amoureux. » À son point de vue, Mary trouvait la plaisanterie drôle, mais Mary nous dit l’inverse. Elle souffrait amèrement de l’« amusement » de sa mère. Ce ressentiment de la part de Mary était un autre signe de maladie que la mère espérait bien voir disparaître avec l’aide des médecins.

Un autre exemple que nous donna Mme Irwin montre à la fois son « humour » et sa façon d’« encourager » Mary. Lorsque Mary quitta l’hôpital pour la seconde fois, elle prit un emploi dans un bureau, puis le quitta au bout de quelques semaines. Après avoir été à l’hôpital une troisième fois, elle était effrayée à l’idée de reprendre un emploi parce que, ayant passé deux ans consécutifs à l’hôpital, elle s’était habituée à la vie qu’elle y menait et avait perdu toute confiance en elle-même.

La mère : Nous sommes allés la voir un dimanche, et elle avait une peur bleue à l’idée d’aller travailler le lundi – « Je n’y arriverai pas, je sais que je ne peux pas. Non, je ne le ferai pas bien. » Alors je lui ai dit : « Non, tu as raison, tu n’y arriveras pas. Tu ne feras que des bêtises. » Évidemment, j’essayais de plaisanter, de la dérider.

L’interviewer : Oh ! je vois, vous disiez cela en plaisantant.

La mère : Oui, mais elle est inquiète de tout.

[Mary]

Nous reviendrons aux rapports entre Mary et sa mère après avoir appris de Mary elle-même quelques détails sur son vécu et ses actions.

Mary dit que ce qu’elle essaie de faire, c’est de s’affirmer en tant que personne, surtout vis-à-vis de sa mère. Elle l’impression que celle-ci tue sa « personnalité » ou son « esprit ». Elle lui en veut de cela, mais n’arrive pas à se dégager de son influence. Elle se plaint que sa mère lui dise de faire une certaine chose, puis ensuite lui demande pourquoi elle n’a pas fait le contraire. Elle pense que sa mère l’a complètement troublée au sujet de son amoureux et a manœuvré pour qu’elle rompe avec lui. Maintenant elle a l’impression que si, à l’époque, elle avait su reconnaître ses propres sentiments, elle n’aurait pas rompu. Sa mère est très bonne et a beaucoup fait pour elle, mais elle la met en position d’obligée pour tout ce qu’elle fait pour elle. Mary ne veut plus rien recevoir de sa mère ou de qui que ce soit qui lui ressemble, elle ne demande rien.

Sa mère voit dans cette attitude de l’égoïsme et de l’ingratitude – autre signe de sa maladie.

Mary dit que sa mère lui a toujours mis en tête des idées à elle et ne lui a jamais permis d’avoir « un esprit qui lui serait propre ». Depuis l’âge de seize ans, elle ne fait qu’essayer de garder sa mère à distance. Elle pense que, quoiqu’elle n’ait pas réussi complètement à le faire, elle a néanmoins acquis une certaine indépendance.

À l’école, ce qui lui plaisait vraiment c’était la peinture, mais pour ses parents « ce n’était pas des études sérieuses ». Elle a l’impression que, si elle pouvait peindre à nouveau, elle redécouvrirait la vie.

Ses parents reconnaissent qu’à l’école elle était douée pour la musique et la peinture. Mais ils peuvent expliquer pourquoi.

La mère : Je pense que Mary a eu beaucoup de chance : elle a toujours eu du charme. Tout le monde s’y laissait prendre, tout le monde l’aimait.

L’interviewer : Comment cela ?

La mère : Eh bien, quand il y avait des compositions – je ne veux pas dire en arithmétique ou en anglais ou dans des matières qu’on ne peut pas noter comme on veut – mais par exemple en dessin ou en rédaction – elle avait souvent de meilleures notes que d’autres qui avaient fait aussi bien qu’elle mais n’avaient pas autant de charme quelle.

L’interviewer : Pensiez-vous cela à l’époque ?

La mère : Oui.

L’interviewer : Vous le pensiez vraiment ?

La mère : Oh oui.

L’interviewer : Et votre mari le pensait-il aussi ? – Autrement dit, qu’on la surestimait ?

La mère : Oui, lui aussi le pensait.

Pour Mary, les difficultés avec sa mère commencèrent lorsqu’elle avait onze ans, après que sa mère eut subi une opération de la glande thyroïde. D’après Mary, elle changea après cette opération : elle devint irritable et lui cherchait toujours querelle ; au lieu de vaquer à ses occupations, elle parlait, parlait sans arrêt. Mary ne pouvait arrêter sa mère de parler, et ce bavardage continuel finit par lui embrouiller l’esprit. Elle essaya d’arrêter le flot des paroles de sa mère par divers stratagèmes, dont nous allons parler. Si nos observations actuelles sont de quelque manière un indice de ce qui se passait alors, nous devons nous rappeler qu’elle ne pouvait simplement se contenter de quitter la pièce ou dire carrément à sa mère de se taire.

  1. Elle devenait intérieurement rigide.

L’interviewer : Supposons que vous aviez une opinion et que votre mère émît une opinion opposée, et supposons – l’opinion de votre mère aurait pu être juste – supposons que vous vous rendiez compte que votre mère avait raison – vraiment raison – que faisiez-vous ? Arriviez-vous à accepter son opinion ou mainteniez-vous la vôtre ?

Mary : J’étais trop occupée à me défendre pour voir si elle avait raison. Je vais vous dire ce que je faisais, je devenais en quelque sorte rigide de façon qu’on ne pût pas m’atteindre.

L’interviewer : Dans tout votre corps ?

Mary : Oui, de façon qu’elle ne pût pas m’atteindre, ni personne, de façon que personne ne pût altérer mon opinion.

L’interviewer : Pouvez-vous me montrer comment vous faisiez cela ?

Mary : Non je ne peux pas vous le montrer parce que c’est quelque chose que je fais si —

L’interviewer : Est-ce que vous faites comme ceci, ou est-ce que – que faites-vous ?

Mary : Je fais comme cela. Ça ne se voit pas parce que —

L’interviewer : Vous voulez dire que c’est intérieur ?

Mary : Oui.

L’interviewer : Oh ! je vois, c’est intérieur – vous vous raidissez intérieurement.

Mary : Exactement.

L’interviewer : Et votre mère ne peut pas le remarquer ?

Mary : Non. Je peux le faire parce qu’elle ne le sait pas, mais je ne peux pas le faire trop longtemps.

  1. Elle essayait de se fermer au monde extérieur.

Elle tenta de se comporter comme sa mère, puis plus tard, à l’hôpital, comme les infirmières, mais cela lui était impossible. Alors elle se ferma au monde extérieur.

Mary : Je réfléchissais – j’essayais – d’être comme les infirmières, mais je rendais tout trop difficile, plus difficile que ce n’était en réalité.

L’interviewer : À l’hôpital ?

Mary : Oui.

L’interviewer : De quelle façon ?

Mary : Eh bien, je me fermais à tout, mais après il fallait que je ressorte et alors j’ai trouvé qu’il y avait une sorte de pont – parce qu’il fallait que je ressorte.

  1. À l’âge de quinze ans, elle commença à voir sa mère comme « méchante ». Elle eut aussi l’impression que sa mère mettait ses pensées (à sa mère) dans son esprit, et ne lui laissait pas avoir ses propres pensées. En même temps, elle était terrifiée à l’idée de voir sa mère sous cet angle et, honteuse et confuse, elle s’embrouillait l’esprit délibérément.

À ses propres yeux elle n’était pas elle-même si elle pensait ce que sa mère voulait qu’elle pensât ; par contre, aux yeux de sa mère, elle était folle ou perverse si elle s’y refusait.

La conversation suivante s’engagea après que Mme Irwin eut dit qu’elle pensait que Mary autrefois n’avait pas agi normalement.

Mary : En quoi n’étais-je pas normale ?

La mère : Je pense que tu étais très nerveuse. Il se peut que tu aies été troublée par quelque chose que tu ne pouvais pas me dire.

Mary : Pas du tout.

La mère : Tu dis : pas du tout, et c’est peut-être vrai, mais moi je te dis ce que je pensais à ce moment-là.

Mary : Je n’ai jamais – (pause) – Oh ! je vois, oui, c’est toi qui me troublais.

La mère : (Elle rit.)

Mary : Et je ne m’en rendais pas compte.

La mère : Tu ne te rendais pas compte que c’était moi qui te troublais ?

Mary : Non.

La mère : Ç’aurait pu être moi, mais moi je pense que c’était ton travail qui te troublait.

Mary : Évidemment – ça n’aurait pas pu être toi, n’est-ce pas ?

La mère : Tu as beaucoup de toupet de me parler ainsi. Ce n’est pas une façon de s’adresser à sa mère, mais il est vrai que tu es devenue bien arrogante.

  1. Pour Mary, retenir sa respiration, se tenir droite et rigide, renifler et tousser étaient des moyens de défense contre l’excès d’autorité de sa mère.

Mary : J’avais pris l’habitude de retenir ma respiration parce que ma mère était si rapide et (pause).

L’interviewer : Vous voulez dire rapide dans ses mouvements ?

Mary : Oui.

L’interviewer : Vous voulez dire que votre mère marchait rapidement dans la maison ?

Mary : Oui, elle bougeait tout le temps.

L’interviewer : Et que faisiez-vous ?

Mary : Je faisais un peu comme ça.

L’interviewer : Pouvez-vous me montrer – assise sur une chaise ?

Mary : Oui, je faisais comme ça. (Elle refait ce quelle faisait.)

L’interviewer : Avec vos coudes ?

Mary : Je restais comme ça jusqu’à ce qu’elle s’arrête de parler afin de pouvoir penser après. Elle avait le don de m’empêcher de penser.

L’interviewer : Que faisait-elle donc ?

Mary : Elle parlait sans arrêt de ce qu’elle avait à faire. Elle n’arrête pas de s’agiter et parle sans fin de ce qu’elle fait.

L’interviewer : Qu’est-ce que cela vous fait lorsqu’elle se conduit ainsi ?

Mary : Ses occupations ne m’intéressent pas. Qu’elle fasse ce qu’elle a à faire sans rien dire, vous ne croyez pas ?

L’interviewer : Évidemment, mais qu’est-ce que cela vous fait intérieurement lorsqu’elle se conduit ainsi ?

Mary : Oh ! je ne sais pas, cela a le don de m’empêcher de penser. Je ne peux pas expliquer ce que cela me fait – cela me rend nerveuse en quelque sorte.

L’interviewer : Et c’est alors que vous retenez votre respiration ?

Mary : Oui.

L’interviewer : Mmm.

Mary : Oui. Pour l’empêcher d’exercer une action sur moi. Elle cherche à influer sur mes idées, et puis tout le reste.

[La sœur]

Les deux histoires suivantes, racontées respectivement par Angela, la sœur de Mary, et par la mère de celle-ci, montrent bien que le prétendu comportement catatonique était l’effet d’une praxis.

Angela : Elle avait l’habitude de – hum – de devenir toute raide, de ne plus bouger ; soudain, elle devenait toute raide, toute rigide sur sa chaise – on ne pouvait même pas la bouger, c’était impossible – vous ne pouviez plus lui parler ou l’atteindre.

L’interviewer : Combien de temps restait-elle ainsi ?

Angela : Oh ! elle restait comme cela une demi-heure ou plus. Une fois, en particulier, je me souviens, elle se rendit dans le salon puis resta une main sur le sofa, l’autre sur une chaise, le corps incliné et elle resta comme ça – oh ! je ne sais plus, peut-être une heure entière. Elle ne voulait pas bouger. On dut à la fin aller chercher le docteur parce qu’on pensait qu’elle avait peut-être quelque chose de grave. (Elle sourit.) Nous prenions pension en ce temps-là dans une grande maison et la propriétaire entra dans le salon ; lorsque Mary la vit elle redevint naturelle, mais aussitôt qu’elle quitta la pièce et que Mary vit mon père revenir elle reprit sa pause. (Elle rit.)

L’interviewer : Ainsi vous pensez que Mary savait ce qu’elle faisait ?

Angela : Oui, bien sûr. Elle savait très bien ce qu’elle faisait. J’en suis sûre.

La mère raconte comment Mary « récupéra » pour le mariage de sa sœur.

La mère : Mary guérit en quelque sorte pour le mariage de sa sœur où elle fut demoiselle d’honneur.

L’interviewer : Elle guérit pour le mariage ?

La mère : Oui. Cela arriva tout d’un coup. J’allai la voir un dimanche, trois semaines avant le mariage, et je lui dis : « Que vas-tu faire pour le mariage d’Angela, tu sais que tu devais être sa demoiselle d’honneur ? » J’ajoutai : « Iras-tu mieux pour son mariage ? » – J’essayais ainsi de la sortir de son état, « Parle toujours », me dit-elle. Je lui dis : « Mary, Angela est dans une situation difficile, elle a besoin d’une demoiselle d’honneur. » Puis je dis : « Son amie te remplacera si tu ne peux pas venir. » Puis je dis encore : « Si tu peux venir, Angela vous aura toutes les deux. » Et alors, ce soir-là ou le lendemain, elle prit je ne sais combien de cachets d’aspirine, mais je ne l’appris que beaucoup plus tard.

L’interviewer : Elle essaya de se suicider ?

La mère : Oui. Et quand elle revint à elle, elle était comme jamais.

L’interviewer : Que voulez-vous dire par là ?

La mère : Elle sembla parfaitement normale à tout le monde.

Ainsi Mary sembla parfaitement normale à tout le monde le jour du mariage, mais immédiatement après elle retourna à l’hôpital.

Mary reconnaît toutefois quelques-unes des conséquences directes de ses périlleux stratagèmes, car il ne lui est pas toujours possible de s’en défaire à volonté, et des conséquences peuvent en résulter qu’elle n’avait pas prévues.

Par exemple, si l’on se ferme au monde extérieur et que l’on chasse toute pensée de son esprit, on peut arriver à un point mort, se sentir complètement vide et craindre alors l’intrusion de la réalité sous la forme d’une idée de persécution.

Mary : J’ai peur que tout s’arrête et que tout ce que j’ai refoulé soudain revienne me frapper, m’envahir et me renverser.

L’interviewer : Que voulez-vous dire par « que tout s’arrête » ?

Mary : Eh bien, – que – que je ne puisse pas – (Pause.)

L’interviewer : Vous voulez dire vous arrêter de vivre, ou quoi ?

Mary : Non, j’ai peur de ne pas pouvoir revenir à moi, ou alors de revenir à moi – oh ! je ne sais pas, je ne trouve pas les mots pour vous expliquer, c’est seulement que je – oh ! je ne sais plus – (Pause.)

L’interviewer : C’est seulement quoi ?

Mary : Eh bien, je – (pause) – chasse toute pensée, mais je ne peux pas continuer à faire cela longtemps, n’est-ce pas ? Il arrive un moment où je n’ai plus rien à chasser et alors je tombe au point mort.

L’interviewer : Vous parlez de chasser vos problèmes sans doute, de les chasser de votre pensée, est-ce cela ?

Mary : Non, je parle de chasser les gens.

L’interviewer : Chasser l’idée de vous entendre avec les gens ? Ou voulez-vous dire chasser les gens de votre vie ?

Mary : Oui.

L’interviewer : Mmm ?

Mary : C’est ça que je fais – je chasse les gens de ma vie et – (Pause.)

L’interviewer : C’est cela que vous voulez dire lorsque vous parlez de chasser les choses de votre esprit ?

Mary : Je ne le fais pas délibérément, mais, euh – Oh ! je sais maintenant : ce que je veux dire, c’est que quand je cesse de chasser des bonnes choses, j’en rencontre de mauvaises.

L’interviewer : Vous cessez de chasser des bonnes choses —

Mary : Je m’éloigne de – (Pause.) Oh ! je ne sais pas, j’ai perdu tout sens de la réalité, je crois que c’est cela. C’est ridicule (Pause.) – Est-ce bien de penser ? On devrait penser, n’est-ce pas ?

Arriver ainsi au point mort équivaudrait à mourir existentiellement, sinon biologiquement.

[Résultats]

Ainsi que nous l’avons partiellement montré jusqu’à présent, Mary fut mise dans une situation intenable dont elle ne pouvait se libérer par les moyens usuels comme s’en aller, dominer les autres ou s’identifier, sans voir son côté négatif prendre le dessus. Les seuls moyens de défense qu’elle semblait avoir, c’était tousser, renifler, retenir sa respiration, se raidir intérieurement, arrêter ses pensées et se fermer au monde extérieur. Mais si le monde entier lui apparaissait comme semblable à sa mère, elle pouvait alors agir envers chacun en supposant que chacun agirait envers elle de la même manière que sa mère.

En cela elle était désavantagée. Le transfert est un phénomène normal. Lorsqu’elle quitta son foyer pour entrer à l’hôpital, il lui fut impossible de différencier les deux systèmes sociaux que l’un et l’autre représentaient. Son foyer était très semblable à un hôpital pour malades mentaux, puisque sa mère avait établi avec elle depuis son plus jeune âge une relation d’infirmière à malade.

Comme à la maison, elle devait demander la permission de sortir, elle n’avait pas d’argent de poche, on lui disait qu’elle était « malade » et qu’on espérait qu’elle guérirait. Mais être malade, c’est faire preuve d’obstination, d’arrogance, d’ingratitude ; c’est manquer d’émotions ou avoir des émotions qui ne sont pas acceptables. Elle était dans une salle de femmes et lorsqu’elle s’attacha à un malade masculin, on lui dit qu’elle ne devait pas s’embarrasser de sentiments à son égard.

Nos observations s’étendent sur toute une période pendant laquelle Mary commençait à avoir, dans une certaine mesure, une véritable indépendance. À chaque effort qu’elle faisait, elle rencontrait chez ses parents une attitude qui cherchait à la convaincre que ce que nous appelons indépendance n’était qu’égoïsme et vanité.

Mary : Ma mère dit que je n’étais pas bien lorsque je suis revenue à la maison la première fois, pourtant je me sentais bien. Je me sentais mieux que je ne me suis sentie depuis – j’étais follement heureuse, j’étais au septième ciel et, hum – j’avais aussi confiance en moi et, hum, ma mère dit que j’étais trop sûre de moi.

La mère : Tu sais très bien que ce n’est pas ce que j’ai voulu dire. Tu es rentrée à la maison et immédiatement tu as pris un emploi.

Mary : Quand je rentrais à la maison pour le week-end, tu disais que je n’allais pas bien, que j’etais égoïste, trop sûre de moi et Dieu sait quoi encore.

La mère : Mais tu étais égoïste alors, Mary. Et c’était parce que tu étais malade.

Mary : Malade.

La mère : Il nous semblait alors que tu étais égoïste.

Mary : En quoi étais-je égoïste ?

La mère : Je ne m’en souviens pas maintenant, mais je sais que —

Mary : Évidemment tu ne peux pas être précise maintenant, si bien que je ne sais pas comment – si bien que si je guéris je ne saurai pas quand je fais bien ou quand je fais mal, si je vais rechuter ou bien quelle conduite je dois adopter.

La mère : Ce que j’appelle égoïsme, c’est de me jeter ton opinion à la figure sans écouter la mienne.

Mary : Autrefois, c’était toi qui me jetais ton opinion à la figure et qui n’écoutais pas la mienne. Tu vois, les choses ne peuvent pas toujours être à sens unique.

La mère : Je sais.

Mary : Mais je dois toujours baisser le nez devant toi à la maison parce que tu es ma mère. Tu vois – je n’ai pas le droit d’être égoïste – mais si toi tu l’es, c’est très bien. Toi, tu n’es pas malade quand tu es égoïste, tu es simplement ma mère et tu peux faire ce que tu veux.

La mère : Je vois ce que tu veux dire.

L’interviewer : Que faisait-elle exactement quand vous la jugiez égoïste ou malade – que faisait-elle ?

La mère : Je ne peux pas m’en souvenir.

L’interviewer : Vous ne pouvez pas vous en souvenir ?

La mère : Non, mais je me souviens de lui avoir dit alors qu’elle était égoïste.

L’enquête ne révéla jamais de quelle façon Mary est égoïste, à moins qu’elle ne le soit parce qu’elle ne raconte plus rien à sa mère et qu’elle ne lui demande pas son avis ou sa permission pour faire quoi que ce soit.

Il est difficile à Mme Irwin de ne pas voir sa fille comme une malade, par exemple quand Mary lui dit qu’elle s’encroûte à la maison et qu’elle voudrait vivre seule.

Mary : Je te l’ai déjà dit, non ?

La mère : Oui, tu me l’as déjà dit auparavant, mais c’est pis maintenant.

Mary : Je ne vois pas que ce soit pis.

La mère : Disons que c’est plus accentué.

Mary : Je ne vois pas que ce soit pis. Tu en parles comme d’une maladie qui devient pire. (Pause.) C’est simplement quelque chose que je désire. Si je voulais me marier, tu ne dirais pas que c’est une maladie, ou le dirais-tu ?

La mère : Non.

Mary : C’est la même chose lorsque je parle de travailler. Tu n’arrêtes pas de dire : « Attends de trouver quelque chose qui te convienne vraiment. » Et je ne trouverai jamais. De leur côté, les gens me disent : « N’attendez pas que les choses vous tombent rôties dans le bec. » Je ne sais plus ce que je dois faire.

La mère : Ce que je t’ai dit, c’est : « Sois patiente et attends d’être mieux. »

À nouveau Mary a parlé de devenir indépendante. Pour elle, cela veut dire s’affirmer en tant que personne, découvrir ce qu’elle veut faire de sa vie. Et cela peut vouloir dire partir de chez elle.

La mère : Je pense que l’idée de Mary au sujet de son indépendance – cela ne veut pas dire que tu es capable de faire ce que tu veux, cela veut dire que tu peux établir un plan de vie – trouver des façons de réussir. Mais être indépendante ne veut pas dire que tu dois passer la porte sans dire à personne où tu vas, et après nous nous inquiétons de savoir où tu es – ça pour moi ce n’est pas de l’indépendance.

Mary : Je ne suis pas partie avec l’idée que j’allais être indépendante – pour l’amour du ciel —

La mère : Oh ! je ne veux pas dire quand tu es partie autrefois.

L’interviewer : Mais pourriez-vous comprendre que son désir de vivre seule réponde à un besoin d’indépendance ?

La mère : C’est peut-être une forme d’indépendance, mais pas la bonne. Elle peut être indépendante si elle le veut. Elle peut par exemple faire des plans et dire : « Lundi je partirai pour une semaine » ou quelque chose dans ce genre, ou bien : « Je me suis trouvé un bon emploi » – enfin nous prévenir et être honnête.

L’interviewer : Et elle ne vous disait rien de la sorte ?

La mère : Elle pourrait ne pas vouloir me dire ce qu’elle fait, mais alors elle pourrait au moins dire : « Écoute, maman, je m’en vais, mais je préfère que tu ne saches pas où et que tu ne t’inquiètes pas de ce que je vais faire », alors je dirais : « D’accord. » Ce serait une façon honnête d’agir envers moi, non ?

Mary : Mais alors quand est-ce que je fais mal ?

La mère : Quand tu nous laisses dans l’ignorance de ce que tu fais et d’où tu es.

Mary : Quand ai-je jamais fait cela ?

La mère : Tu ne l’as jamais fait, mais c’est la façon dont tu parles – d’indépendance.

Mary : Oh ! la barbe ! – Je ne suis pas si compliquée.

La mère : Tu dis tout de même que tu veux être indépendante et vivre ailleurs qu’à la maison, non ?

Mary : Je ne sais plus si je veux le faire maintenant. (Pause.) – La raison pour laquelle je voulais quitter la maison, c’est que je pensais ne pas pouvoir m’entendre avec toi.

La mère : Mais je t’ai toujours conseillé de quitter la maison, non ? Même lorsque nous étions à Exeter, nous t’avons conseillé – de t’en aller. Nous avons essayé de te convaincre d’entrer dans l’armée, mais tu n’as pas voulu en entendre parler.

Nous devons faire un effort pour nous souvenir que Mme Irwin parle d’événements qui ne se sont jamais passés. Ce qu’il y a eu de plus important, c’est qu’une fois Mary est sortie de la maison après une querelle sans dire où elle allait et n’est rentrée que quelques heures plus tard. La mère est totalement fermée à ce que Mary essaye de lui faire comprendre : elle ne veut pas être commandée comme une enfant, elle veut être indépendante.