2009-04-16T11:32:02.640000000PT5H37M12S36LibreOffice/5.0.5.2$Linux_X86_64 LibreOffice_project/00m0$Build-22015-08-16T18:12:301970 Maud Mannoni
Editions du Seuil
La première édition de cet ouvrage a paru dans la collection « Le champ freudien »
© ÉDITIONS DU SEUIL, 1970.PsychanalyseLe psychiatre, son « fou » et la psychanalyse
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Bibliographie
242
191
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Maud Mannoni
Le psychiatre, son « fou » et la psychanalyse
Table des matières
Table des matières
Remerciements6
Avant-propos8
1. Folie et institution psychiatrique15
1. La ségrégation psychiatrique 516
Le soi-disant « malade mental »22
Le soi-disant psychiatre24
La soi-disant folie27
2. La folie comme statut36
La folie comme destin personnel39
La folie comme statut42
Folie et « liberté »51
La place faite a la folie54
3. Folie et psychiatrie56
Le savoir sur la folie et son cadre institutionnel58
Réformer l’asile ?61
Le savoir contesté64
Le point de vue analytique67
Anti-psychiatrie69
Le rapport à la folie69
2. Institution psychiatrique et psychanalyse73
4. Institution psychanalytique et institution asilaire74
I.74
Le cadre et le processus dans la situation analytique75
Le fantasme75
La dimension imaginaire81
L’étape spéculaire82
La dimension symbolique84
Le cadre et le processus dans la situation asilaire85
Une institution dans une institution87
II. Le discours paranoïaque94
A. Protocole de séances94
1ère séance94
2ème séance95
3ème séance96
5ème séance : entrevue avec la tante et son mari.97
6ème séance98
7ème séance98
8ème séance99
9ème séance99
10ème séance100
11ème séance.100
12ème séance.101
13ème séance.101
14ème séance.102
15ème séance.102
16ème séance.102
B. Commentaire103
5. Le « schizophrène » entre sa famille et l’asile110
6. L'institution comme refuge contre l'angoisse134
I.134
a. Institutions et anxiétés psychotiques134
b. Le stade du miroir1137
c. Lindifférenciation primitive de Bleger88, l'Imaginaire et le Symbolique138
d. L'oceanic gratification et le signifiant139
e. La demande, le désir et l’objet dans le fantasme141
f. Cure des psychotiques et repères structuraux143
II. Un cas d’anorexie mentale144
A. Le récit144
I. Le premier entretien144
II. La cure ambulatoire147
III. L’hospitalisation.151
a. Période hypomaniaque151
b. Période dépressive155
c. La mort et la renaissance158
B. Commentaire164
3. Psychanalyse et anti-psychiatrie171
7. Anti-psychiatrie et psychanalyse172
I. Confrontation théorique172
Schreber172
L’obligation de soins175
Vers la contestation177
L’institution psychiatrique contestée178
La santé mentale180
Folie et société183
La folie et le champ du langage (Palo Alto, Lacan)185
II. Confrontation clinique193
Les communautés anglaises d'anti-psychiatrie193
Cultes de possession et metanoïa195
Recevoir la psychose202
8. La psychanalyse didactique et la psychanalyse comme institution 117204
I. Historique204
L’analyse originelle204
L’analyse didactique dans le mouvement209
II. Le processus analytique215
Mise en place de quelques notions clefs : psychanalyse américaine et enseignement lacanien215
Ce qui s’ordonne dans le processus analytique220
Champ pathologique et transfert222
III. La psychanalyse, la didactique et l’institution225
IV. Psychanalyse, enseignement et sélection227
Conclusion235
En guise d’appendice244
I. Lettre d’une infirmière244
II. École expérimentale de Bonneuil-sur-Marne 139245
L'origine de l'institution246
Le fonctionnement de l’institution248
Le vécu de l’institution251
III. Un congrès à Milan255
Index259
Index analytique259
Index des noms propres273
Index des cas cités (* cas suivis par l'auteur)276
Bibliographie277
à Jacques Lacan
Remerciements
Je dois mes remerciements à Hélène Chaigneau, médecin-chef du
Auteur inconnu
2015-08-01T16:47:33
Original : police de taille inférieure
C.T.R.S. à l’hôpital psychiatrique de Ville-Evrard. En m’ouvrant généreusement son service, Hélène Chaigneau m’a donné le cadre dans lequel cette recherche a pu s’inscrire.
J’ai également une dette de reconnaissance à l’égard de la clinique médicale de Ville-d’Avray.
Que Ronald Laing trouve ici l’expression de ma gratitude ainsi que les hôtes de Kingsley Hall.
La Société britannique de psychanalyse (et tout spécialement le Dr Winnicott), la Société belge de psychanalyse et l’école freudienne de Belgique m’ont accueillie à différents moments de ma recherche, leurs critiques m’ont été précieuses.
Certains chapitres de ce livre ont fait l’objet d’exposés à l’Institut de psychiatrie et à l’Institut de sociologie de l’université libre de Bruxelles sous les auspices des professeurs P. Sivadon et S. Decoster. Certaines parties de cet ouvrage sont empruntées au rapport introductif présenté au Congrès international de Milan (décembre 1969) organisé par un groupe de psychanalystes italiens, congrès dont le thème était « Psychanalyse – Psychiatrie – Anti-psychiatrie ». Colette Audry a bien voulu revoir le manuscrit.
Ce livre doit son articulation théorique à l’enseignement de Jacques Lacan à qui je rends hommage.
Comme je rends hommage à tous ceux qui m’ont apporté leur concours (Congrès international sur les psychoses, Paris, octobre 1967, travaux publiés dans « Enfance aliénée », in Recherches, septembre 1967 ; « Enfance aliénée II », in Recherches, décembre 1968).
Tous ces travaux ont permis à ma recherche de prendre forme. L’ouverture clinique de ce travail, je la dois aux analysants eux-mêmes.
Ville-Evrard, janvier 1968 – Paris, janvier 1970.
Avant-propos
Le mouvement actuel d'anti-psychiatrie s’en prend à nos positions idéologiques traditionnelles. En, remettant en question le statut donné par la société à la folie, il s’attaque du même coup à la conception conservatrice qui est à la base de la création d’institutions « aliénantes », bouleversant ainsi les fondements sur lesquels reposent la pratique psychiatrique et le pouvoir médical.
C’est d’une protestation contre une médicalisation du non-médical, qu’est née l’anti-psychiatrie, mouvement qui s’oppose d’abord et avant tout à une forme de monopole du savoir médical. (Le psychiatre traditionnel dispose d’un savoir conçu sur le modèle du savoir médical : il sait ce qu’est la « maladie » de ses patients. Le patient lui-même est censé n’en rien savoir.)
Plus le psychiatre s’intéresse à l’aspect réglementaire et administratif de sa fonction, plus il est amené à défendre ce monopole de son savoir. « Le psychiatre d’enfants doit être capable… de savoir ce qui est mobilisable ou non dans les attitudes profondes des parents… il ne saurait déléguer dans ce travail essentiel un technicien d’une autre discipline1
L’Exercice de la psychiatrie infantile et la Formation des psychiatres d’enfants, Presse médicale, supplément-1969, n° 5, janvier 1969. »
Or les études médicales telles que la société les organise sont-elles aptes à conférer un tel savoir au psychiatre traditionnel ? La question n’a pas été posée. C’est en dehors des organisations officielles – par exemple dans les recherches des psychanalystes – que jusqu’ici de telles questions ont été posées et élaborées du point de vue de la théorie et de la pratique.
L’attitude psychanalytique ne fait pas du savoir le monopole de l’analyste. L’analyste est attentif au contraire à la vérité qui se dégage du discours psychotique. L’intervention, au nom d’un savoir institué, des mesures intempestives de « soins » ne peut qu’écraser ce qui demande à parler dans le langage de la folie et figer un délire en aliénant davantage le sujet.
Les anti-psychiatres (surtout anglais, américains, italiens) ont été influencés par la psychanalyse, mais ce ne sont pas des psychanalystes. Ce sont des psychiatres révolutionnaires qui veulent modifier radicalement l’attitude de celui qu’on appelle médecin devant ceux qu’on appelle malades mentaux.
C’est de l’abandon de préjugés scientifiques qu’ils souhaitent faire surgir un champ d’où le savoir (abandonné) pourra être réinterrogé dans un contexte différent. Le bouleversement introduit par l’anti-psychiatrie dans l’institution qui accueille le fou, place la folie en situation d’être saisie différemment et amène le psychiatre (anti) à remanier son rapport au savoir et à la vérité.
Le mouvement des jeunes psychiatres français (inspiré par l’apport de la psychanalyse et par celui des recherches institutionnelles) participe d’un même désir de « révolutionner » la psychiatrie, à ceci près que leur pratique reste marquée par toute une tradition de soins « médicaux » et par une vocation sociale à visée adaptative.
La provocation anti-psychiatrique suscite quelque scandale. Mais il semble bien que ce soit le scandale en tant que tel que ce mouvement cherche à perpétuer, afin de ne pas se laisser entraîner comme la psychanalyse dans le système normatif des organismes distributeurs de soins.
Ce que l’anti-psychiatrie (Laing) cherche à préserver comme dans une analyse, mais sans le formuler aussi clairement, c’est une forme de savoir jamais
Auteur inconnu
2015-08-01T17:32:15
Original : « donné ». Phrase par ailleurs passablement incompréhensible (i.e. : lacanissade).
donnée qui se révèle dans le langage du « patient » à la façon d’un événement répétable se dévoilant sous les défaillances du discours. Elle cherche à mettre en place des conditions permettant au dire de la folie de s’énoncer sans contrainte. C’est du champ du désir et de la jouissance que vont émerger dès lors chez le sujet les obstacles à l’apparition du non-sens qui fait sens. (Ce à quoi le sujet
Auteur inconnu
2015-08-01T17:36:39
Faute de Français. On dit : « se trouver confronté à » ou « affronter quelque chose », ou « être affronté par », éventuellement « se trouver affronté par » mais jamais « se trouver affronté à ». Des formulations alambiquées, fautives à l'image du non-sens lacanien.
se trouve affronté c’est à la recherche d’un signifiant perdu là où le désir est en jeu.)
Les expériences anti-psychiatriques étrangères – en particulier celles de Laing et Cooper en Angleterre – malgré la résistance inévitable des traditions et des coutumes, ont montré leur efficacité. Elles ne doivent pas seulement beaucoup à « l’expérience analytique » qu’elles imitent par leur réserve devant toute tentation d’intervention et la patience dans l’écoute du discours, les nouveautés cliniques qu’elles font apparaître trouvent leur justification théorique dans la théorie psychanalytique elle-même. En tout cas une entente et une coopération sont possibles entre les attitudes anti-psychiatriques et les recherches analytiques – alors qu’elles sont tout à fait impossibles entre les usages psychiatriques traditionnels et l’attitude analytique.
Un effort très net a été accompli ces dernières années en France par le groupe de Lacan sur le plan de la réorganisation des organismes de soins, organismes que certains ont voulu arracher non seulement à la sclérose administrative, mais encore aux fondements non scientifiques du système en vigueur au dispensaire, en E.M.P., à l’hôpital.
Des études non encore publiées1
L’administration a mis fin à certaines recherches en prenant (pour des raisons politiques) des mesures d’exclusion contre certains analystes dont la valeur clinique était par ailleurs unanimement reconnue. Les enfants ont fait alors les frais du départ d’équipes entières de spécialistes, comme ce fut le cas à l’externat médico-pédagogique de Thiais, mais aussi à l’hôpital des Enfants malades où le démembrement d’une équipe se fit au mépris de la recherche collective en cours ; ailleurs, ce sont des mesures individuelles qui sont prises contre tel analyste réputé. Un règlement administratif est chaque fois invoqué pour masquer l’arbitraire de la mesure de répression. Une certaine forme de recherche concernant l’arriération mentale et la psychose se trouve ainsi de plus en plus menacée de censure en France.1 ont pour objet l’analyse de ce qui se trouve être mis en jeu dans une demande de consultation et la façon dont une vérité peut se trouver colmatée, le sens de la demande perverti, par la réponse inopportune donnée dans le système traditionnel.
L’établissement de « dossiers pour docteurs » s’il peut avoir quelque utilité administrative, contribue souvent à fausser l’appréhension dynamique d’une situation. La croyance du public au « texte » psychologique oriente l’entretien dans le sens du verdict, là où ce qui est à dénouer ne se trouve pas tant du côté du supposé patient que du côté de sa famille.
Les psychiatres et les psychanalystes français peuvent donc être intéressés par certains des apports de l'anti-psychiatrie. Cependant ils ne se sentent pas « anti-psychiatres », ni « anti-médecins ». S’ils s’opposent à un certain « esprit médical », c’est seulement dans la mesure où cet esprit est invoqué dans le maintien de la ségrégation institutionnelle. Le médecin qui en vient à personnifier la raison devant celui qui incarne si bien la folie qu’on ne peut que le rejeter hors de la Société, se sert de son savoir dans l’aide qu’il apporte à ses malades, mais encore plus ce savoir l’aide à justifier cette attitude traditionnelle. En cela d’ailleurs – et c’est surtout la nouvelle École italienne qui a insisté sur ce point – il obéit peut-être à des nécessités sociales ou administratives, mais surtout il se trouve en accord avec les craintes et les préjugés de la population dans sa majorité.
C’est à cause de ces préjugés, au fond, qui existent aussi bien aux niveaux policier, administratif et même politique, que les recherches et les innovations théoriques ou cliniques sont si difficiles à promouvoir. Elles ne peuvent pas être encouragées officiellement car elles mettent en question les réalisations administratives elles-mêmes. Du point de vue administratif, seules les limites des budgets freinent la création des organismes institutionnels, et sans ces limites, on créerait indéfiniment de nouveaux centres de soins, mais toujours selon les mêmes options conservatrices.
Le problème n’est cependant pas spécifiquement politique (l’attitude à l’égard de la « maladie mentale » participe d’un même conservatisme à Cuba ou à Pékin). Ce qui est en question, c’est la mentalité collective face à la folie.
Le problème social – et politique – de l’arriération et de la psychose a permis la création de toute une organisation médicale et administrative dont les efforts et le dévouement ne sont pas contestables. Mais le problème de la recherche désintéressée se pose tout autrement. Il est peut-être inévitable que la recherche théorique entre en conflit avec l’administration, mais s’il est naturel que l’on ne bouleverse ni discrédite ce qui existe à l’occasion de chaque progrès dans la compréhension théorique de ce qu’est l’arriération et la psychose, il faut pouvoir exiger que ne soit pas stérilisée la recherche théorique au seul profit du perfectionnement des structures sociales et administratives. Le souci de « rentabilité » ne devrait pas rendre impossible une recherche désintéressée.
Dans l'Enfant arriéré et sa mère, j’ai dénoncé l’ampleur d’une ségrégation qui frappe un nombre de plus en plus élevé d’enfants (selon le degré d’industrialisation du pays). Plus s’accroissent les exigences professionnelles, moins il y a de place pour
Auteur inconnu
2015-08-01T18:21:26
Original : « le handicapé »
l'handicapé dans notre société, et quand on lui en propose une, c’est l’usine-pour-handicapé à tarif dégressif selon le degré du handicap 2
Tout est en place dans notre société (notamment le corps enseignant et la presse) pour que le problème de l’arriération (comme naguère celui de la schizophrénie) demeure soustrait à toute mise en question. Il semblerait qu’on ne puisse mettre en cause la notion de vraie débilité sans menacer de bouleversement l’appareil médico-administratif traditionnel.2.
La société s’en remet en toute bonne conscience au médecin pour désigner les sujets à exclure au moyen d’un diagnostic, quand il n’est pas possible de les intégrer coûte que coûte à la « normalité » – sans s’interroger davantage sur les significations de ces folies ou de ces arriérations.
Mon livre ne proposait aucun remède. Cependant les effets d’une attitude théorique nouvelle ne sont pas négligeables ; elle met en question le savoir reçu, elle pose à neuf des questions de vérité et peut, avec le temps, contribuer au bouleversement des routines les plus établies.
Une certaine forme de savoir objectivé a laissé dans l’ombre tout ce qui dans le psychiatre (et le pédagogue) se dérobe aux effets produits en lui par la présence de la folie.
En axant ma recherche sur l’étude de l’arriération mentale telle qu’elle se présente dans le fantasme de la mère, je ne cherchais pas du tout à faire que la mère se sente responsable du handicap, mais seulement à mettre en lumière les effets au niveau de l’enfant, d’un certain mécanisme d’occultation tel qu’il fonctionne chez la mère. Je montrais comment une maladie, la plus organique soit-elle, peut ainsi prendre chez l’autre (parent ou soignant) une fonction, se voir conférer un statut, cause d’une aliénation supplémentaire du « handicapé ». Une situation est ainsi créée où parents, rééducateurs, médecins, loin de chercher à entendre l’enfant comme sujet en proie au désir, l’intègrent comme objet de soins dans des systèmes divers de récupérations, lui raptant toute parole personnelle.
Dans ce livre-ci, je traite au fond la même question, mais
Auteur inconnu
2015-08-01T18:24:25
Au fond, peut-être le Français n'est pas la langue natale de l'auteur ?
il ne s’y agit plus seulement de la mère et de l’enfant. Il s’agit de l’attitude inconsciente collective des « bien-pensants » devant « l’anormal ». J’en montre les effets, sans avoir de « solution » à proposer.
Il ne suffit pas de mettre en question l’attitude défensive d’une société qui exclut trop facilement l’enfant ou l’adulte « anormal ». Il faut aussi analyser l’attitude inverse, née de la méconnaissance de cette défense. L’arriéré ou le fou fait alors l’objet d’un véritable culte religieux. Il est en danger de se trouver « récupéré » par des institutions charitables, partagé comme objet de science et de soins entre une multitude de spécialistes, cependant que civilement son sort risque de se trouver définitivement réglé par l’octroi d’un certificat d’invalidité.
Le mythe de la norme (niveau intellectuel, etc.), le poids de préjugés scientifiques jouent comme fait d’aliénation sociale, non seulement pour le malade mental, mais encore pour les soignants et les parents.
La notion même d’institution (pour arriérés ou psychotiques) serait à repenser selon des bases théoriques différentes de celles généralement en usage. Et on ne peut repenser l’institution que si l’on met d’abord en cause et en question l’origine de son existence même3
Cf.- travaux de J. Ayme, H. Chaigneau, J. Oury, F. Tosquelles. Le développement de ces idées se trouve dans différents textes individuels ou collectifs de « Enfance aliénée », septembre 1967, « Enfance aliénée II », décembre 1968, in Recherches. Voir aussi Bronislaw Malinowski, Une théorie scientifique de la culture, éd. du Seuil, coll. « Points », 1970, p. 19.3.
Le « soigné » sert souvent d’écran à ce que le soignant ne veut ni savoir ni entendre, ceci situe d’emblée les motivations profondes des rapports hiérarchiques institués ainsi que la fonction d’un type d’ordre instauré. L’action du soignant se révèle être d’abord et avant tout de nature défensive. À toucher à cela on se heurte aux effets de résistance du personnel soignant, celui-ci dans sa relation au soigné s’efforce (inconsciemment) de se soustraire à tout risque de surgissement d’une vérité4
Les externats médico-pédagogiques prennent le relais des familles de psychotiques lorsqu’ils mettent en place une organisation de méconnaissance des problèmes institutionnels ou lorsqu’ils reprochent à l’analyste de ne pas adapter l’enfant à son inadaptation (I).4. Rééducations, orientations, soins de toutes sortes ont ainsi pour fonction de colmater d’abord l’angoisse du personnel.
On ne contestera certainement pas que le niveau où en sont actuellement nos connaissances théoriques et nos moyens techniques ne soit pas tel qu’on puisse considérer ces questions comme closes et résolues définitivement.
Auteur inconnu
2015-08-01T18:30:48
Relu jusqu'ici. Notes bas de page à placer.
1. Folie et institution psychiatrique
Alors parce qu’on est un interné, on vous sonne, on vous amène ! Je vous raconte des histoires de fous. Que voulez-vous que je vous raconte d’autre ?
Laurent (interné)
1. La ségrégation psychiatrique 5
A paraître dans un ouvrage collectif au Panthéon Books, New York.5
Lorsqu’un patient se rend chez le médecin, il apporte une plainte, elle se transforme en demande de guérison. La demande peut masquer un désir de tenir le médecin en échec, un vœu d’obtenir de lui un statut privilégié, celui d’invalide par exemple. Il est dans la fonction du médecin d’établir après examen du patient un diagnostic, un pronostic et un traitement, ce qui met en jeu un regard clinique et une écoute. La position de médecin suppose qu’il saura répondre à la demande du patient, c’est-à-dire comprendre ce que cette demande recèle comme leurres et pièges (ceci est valable aussi bien en psychiatrie qu’en médecine générale). Ce que l’on appelle du nom de médecine psycho-somatique, n’est rien d’autre que le déchiffrage de ce que le malade donne à entendre dans son symptôme. Il s’agit d’une parole qui renvoie à un regard, à des voix, et c’est du lieu de ce corps douloureux que le sujet interroge le savoir médical, exige la révélation de la nature d’un mal caché, masqué. Il existe un écart malaisé à définir entre le savoir objectivé d’un mal objectivable, scientifiquement cer-nable et ce que ce corps souffrant (ce corps dont la jouissance que l’on a trouve ses limites dans la souffrance) peut donner à entendre au médecin et à révéler au sujet comme vérité (vérité qui échappe). C’est au niveau de la douleur que se situe une forme de rencontre médecin-malade qui privilégie, au-delà de ce que l’on a pour coutume de décrire en termes de rapports inter-personnels, quelque chose de l’ordre de la structure du sujet parlant, c’est-à-dire de ce sujet désirant dont la vérité peut se manifester ailleurs que là où nous la cherchons. Cette vérité, censurée pour la conscience, surgit dans le symptôme ou les distorsions du discours. L’Autre se trouve toujours impliqué dans ce que le sujet s’efforce, à travers la plainte, de formuler. C’est du lieu de l’Autre que l’être parlant s’est en effet constitué comme sujet6
J. Lacan : « Toute parole, en tant que le sujet y est impliqué est discours de l’Autre, part de l’Autre. » « Le désir et son interprétation », in Bulletin de psychologie, 5 janvier 1958, P.U.F.6, sa parole est d’abord parole de l’Autre 7
J. Lacan : « C’est en déchiffrant cette parole que Freud a retrouvé la7. C’est pourquoi (dans l’orientation actuelle de la médecine) le médecin à travers ce qui lui est dit cherche à repérer d’abord la marque d’une parole perdue au niveau du corps souffrant – comme nous le verrons dans cette courte observation relatée par Françoise Dolto 8
langue première des symboles, vivante dans la souffrance de l’homme de la civilisation (hiéroglyphes de l’hystérie, blasons de la phobie, etc.) ». « La8 :
« — J’ai mal à la tête, disait un enfant unique de 3 ans. (On me l’avait amené parce qu’il était impossible de le garder à la maternelle où il ne cessait de se plaindre de sa tête ; paraissait malade, passif et douloureux. 'Il était de plus sujet à des insomnies, état auquel son médecin ne trouvait pas de cause organique.) Avec moi, il répétait son soliloque. Je lui demandai :
— Qui dit ça ?
Et lui allait, répétant d’un ton plaintif : J’ai mal à la tête.
— Où ? Montre-moi où tu as mal à la tête ?
Question qui ne lui avait jamais été posée.
— Là (montrant sa cuisse près de l’aine).
— Et là, c’est la tête à qui ?
— A maman. »
La plainte somatique de l’enfant nous renvoie ici à une autre plainte, celle de la mère. Par ses douleurs migraineuses celle-ci donnait à voir la vérité de ce qui dans les rapports du couple parental se trouvait faussé. L’enfant, à son insu, ne faisait que reprendre à son compte le symptôme maternel. Il avait ainsi réussi à devenir le symptôme de sa mère, illustrant au lieu même de sa douleur cette phrase maternelle « regardez ce que la vie a fait de moi ». Dans ce cas, la demande de soins pour l’enfant, nous renvoyait en fait à une demande de soins pour la mère, demande qui avait pour support un désir inconscient de tenir la médecine ; en échec (pour garder intact le plaisir de maintenir un désir insatisfait). Ce schéma (plainte apportée au médecin) nous le retrouvons sous une forme identique en psychiatrie – à ceci près, que la demande de guérison introduite par le patient, ses proches ou la société, est toujours entachée d’impératifs éthico-moraux. La notion de « maladie mentale », que le psychiatre le veuille ou non, renvoie à des critères d’adaptation sociale, guérir signifie « rentrer dans le rang des bien-pensants ». La société exige que l’ordre ne soit point troublé ; l’acte psychiatrique en tient compte lors de la rédaction par le médecin d’un certificat attestant qu’un individu doit être considéré comme « dangereux pour lui-même et les autres », certificat qui entraînera l’isolement du sujet, sa mise à l’écart de la société. Lorsqu’un individu est « reconnu fou », la société par l’entremise du psychiatre le fait entrer dans la catégorie des « malades menüiux » pour s’en séparer. Une certaine tradition médicale a fait ainsi du psychiatre un personnage qui détient une sorte d’autorité morale et policière. Administrativement, il a partie liée avec la police, il peut avoir à lui rendre des comptes, comme c’est le cas dans les placements d’office (placements asilaires effectués par décision de justice). Ce rejet par la société du « malade mental » va obliger ce dernier à intégrer un nouveau statut. L’hôpital psychiatrique9
« Hôpital psychiatrique » est le terme par lequel on désigne de nos jours ce qui s’appelait naguère « asile » – mais, comme me le faisait remarquer un interné (paranoïaque) « ça donne meilleure conscience, c’est plus joli… pour nous, ça change rien, la réalité de notre condition est demeurée la même ».9 contribue à le modeler, à le figer dans une sorte d’anonymat fait de résignation.
— Tout jeune, me disait un interné volontaire, j’ai appris la vie d’asile, à supporter les autres puisqu’on veut bien m’y supporter.
L’hospitalisation, le patient la vit parfois comme une sanction méritée. A l’asile l’adulte s’identifie à cet enfant ou cet adolescent qu’il a été, que l’on menaçait de mettre en pension. Cette pension-prison il a fini par y atterrir, il l’a trouvée à l’hôpital psychiatrique où le psychiatre est son gardien.
L’empiétement du pouvoir judiciaire sur le pouvoir médical a contribué à fausser l’abord scientifique du problème de la « maladie mentale ». La science médicale, si elle est parvenue à établir des diagnostics descriptifs, en a été depuis longtemps réduite en psychiatrie à utiliser ces diagnostics d’une façon purement répressive sur le plan de la pratique. Le psychiatre oscille entre un point de vue médical peu commode à définir (les cas psychiatriques n’ont été appelés maladies mentales que par métaphore) et un point de vue éducatif dans lequel il ne se sent guère plus à l’aise. L’acte psychiatrique est souvent ressenti comme une forme de coercition éducative, rappelant les sanctions de l’enfance. Les demandes du malade à l’asile se formulent ainsi dans des termes qui rappellent étrangement ceux des prisons. Une permission de sortie est assimilée à la limite à une sorte de levée de peine (ou d’écrou) tant est présent dans l’esprit du malade le critère de « bonne conduite ». Le personnage médical prend ainsi le relais de l’autorité familiale et policière, ce qui va influencer le style des demandes de soignés à soignants. L’hospitalisation crée une situation particulière, elle a pour effet de donner à la maladie asilaire une figure différente de celle que revêt la maladie mentale hors de l’asile. Au xvme siècle Dupont de. Nemours avait déjà attiré l’attention1 sur le fait qu’aucune maladie d’hôpital ne pouvait demeurer pure : « Il faudrait, disait-il, un médecin d’hôpital bien habile pour échapper au danger de la fausse expérience qui semble résulter des maladies artificielles auxquelles il doit donner ses soins dans les hôpitaux. » Cette remarque du xvine qui n’est plus valable pour le traitement des maladies somatiques, l’est encore de nos jours pour les maladies psychiatriques. Le milieu clos de l’hôpital psychiatrique crée, on le sait, une maladie « institutionnelle » qui se surajoute à la maladie initiale en la déformant ou en la fixant d’une façon anormale. Le milieu hospitalier se rapproche des structures d’une vie familiale coercitive et favorise le développement d’une nouvelle maladie, spécifique à l’institution elle-même. L’élément caché (transfert) que la psychanalyse a découvert dans la relation médecin-malade, existe aussi dans le rapport du malade à l’institution. La parole apportée au médecin subit les effets d’une autre parole véhiculée dans l’institution. Le « malade »
i. Dupont de Nemours, « Idées sur les secours à donner à Paris en 1786 », cité par Michel Foucault, in Naissance de la clinique, P.U.F., 1963.
est porté par un certain langage institutionnel, il parle d’un lieu où se jouent à des degrés divers des conflits persécutifs propres à la vie en milieu clos (conflits entre soignants, conflits de soignants à soignés, conflits de malades entre eux). Tout un jeu d’identification projective s’opère entre les différentes personnes de l’institution, sans que les effets de cette situation puissent généralement être repris par le sujet dans une parole personnelle. Les structures de l’institution, lorsqu’elles ne permettent pas aux émotions de se traduire dans une sorte de remaniement dialectique, figent le sujet dans des défenses à allure stéréotypée. Il se présente dans le vêtement de la folie que lui a fourni la psychiatrie classique. Faute d’avoir pu se repérer dans l’angoisse qui l’étreint, le « malade mental » cherche les repères de son identité dans des critères d’objec-tivation diagnostique. Il reste ce « maniaque », ce « schizophrène », pure vérité du savoir psychiatrique-
C’est vrai, se rappelle alors le psychiatre, X est un maniaque. Il oublie que c’est à partir de cette constatation qu’il raye X comme sujet parlant, et c’est faute d’être entendu que X va dès lors se fixer dans des limites nosographiques, limites qui deviennent les frontières de son identité.
Jean au cours d’une bouffée d’angoisse m’apporta un jour une symptomatologie variée, ponctuant ses aveux d’une interrogation :
— Alors, dites-moi, ce que je dis c’est bien de la schizophrénie ou est-ce de la paranoïa ? Puis se reprenant en quête d’un autre style et d’autres aveux : il y en a qui affirment que je cause comme
I hypocondrie (sic).
Jean montre ainsi comment il est prêt à basculer du statut de sujet parlant à celui, scientifique, de représentant d’une maladie objectivée.
— Quand est-ce qu’on se mettra d’accord sur ma maladie ? est le cri qui lui échappe.
La suite de l’entretien nous a permis de mettre en relief que ce désir de savoir le renvoyait aussi au drame qui dans son pavillon opposait en parole le surveillant au médecin. Jean piégé dans cette discorde cherchait à réparer un dommage imaginaire, il était prêt à se faire pur objet pour demeurer dans le désir des deux antagonistes. Son angoisse était la répétition de ce qu’il n’avait que trop vécu dans son enfance. Non content d’avoir déjà trouvé une solution dans sa folie, il était prêt à en faire davantage pour ne pas risquer le rejet.
Dans le rapport médecin-malade (soignant-soigné), l’autre est supposé savoir ce qu’il en est de la maladiex. L’issue de la « maladie mentale » dépend de la possibilité donnée ou non au sujet de traduire en mots son désarroi (le médecin ayant à fournir parfois dans une parole le signifiant manquant au discours du malade). S’il reçoit comme seule réponse à son angoisse le silence d’un médecin qui sait ce qu’il a et n’a plus besoin d’entendre ce qui lui est dit, le patient n’a plus d’autre ressource que de disparaître comme sujet parlant au sein d’une classification nosographique. C’est dans ce rapport-là, médecin-malade, malade-institution, que s’actualise chez le sujet (mais aussi chez le soignant) quelque chose d’obscur en rapport avec le désir inconscient. Il arrive, plus souvent qu’on ne veut bien l’admettre, que ce soit le soignant, le médecin, qui inconsciemment bloque le mouvement dialectique qui s’amorce chez le patient. La façon dont chez le malade les choses se figent, devrait nous faire porter l’interrogation sur le médecin (et sur les relations diverses entre soignants dans l’institution). Les rapports de la psychanalyse à la médecine apparaissent comme complexes ; en un sens, l’analyse est complètement étrangère à la médecine. En un autre, elle dégage un élément essentiel et souvent caché de la pratiqué médicale, le privilégie, le-purifie et l’exploite en vue de la cure.
Le soi-disant « malade mental »
La psychiatrie répond à la plainte du patient par un diagnostic, mais, contrairement à ce qui se passe en médecine, ce diagnostic n’ouvre aucune perspective nouvelle au malade. Cela est si vrai que le psychiatre ne juge généralement pas utile de le lui communiquer – en effet, qu’en ferait-il ? Lé diagnostic est destiné à d’autres. Le fait de poser un diagnostic psychiatrique déloge donc le malade de sa position de sujet, l’assujettit à un système de lois et de règles qui lui échappent et inaugure ainsi un processus qui aboutira logiquement à des mesures de ségrégation. On peut dire, à ce moment-là, que le psychiatre a pris la plainte du malade à son compte : il répond, oui, vous avez quelque chose dont on a raison de se plaindre, entérinant ainsi ce que les autres en pensent.
Les plaintes de la société ou celles des proches du « malade » déclenchent en fait ün processus analogue. Mais elles devraient être traitées autrement. Généralement, en effet, une fois que l’Autre a présenté une plainte concernant une personne proposée comme patient, c’est par un examen limité à cette personne même que le psychiatre jugera du bien-fondé de la j^lainte apportée par l’Autre. On rejoint ici un problème, posé déjà par la psychanalyse des enfants : la plainte y est apportée par les parents – mais l’enfant est souvent moins « malade » en lui-même qu’il n’est le symptôme du plaignant… La psychiatrie classique s’interdit de se poser ce genre de questions, par le fait qu’elle définit médicalement la folie comme existant à l’intérieur de la personne examinée. Cette croyance en une folie logée dans l’individu est partagée par les malades et leur famille. « La folie est entrée dans mon fils » me dit un père « il se décharge de trop avec sa masturbation ; à mon avis il faudrait le châtrer, ça supprimerait la cause et ferait sortir la folie. »
— Quand on peint la démence, remarque Jacques, on perd son soutien, la démence n’est plus à l’extérieur, elle vous habite, ça contamine la pensée qui devient démentielle. Avant la démence il y a eu la raison de vivre – et puis, un viol des sens a stoppé cette raison de vivre. La vie s’est arrêtée. Il y a eu le vide, le noir, et dans ce noir la vision lucide du dément. Le dément crée le mal et la mort, c’est parce qu’il les crée que la mort s’éloigne de lui. Dans la création démentielle, il y a ce don unique qui ne s’assume que dans la folie.
Jacques s’est donné à la folie comme on entre en religion. Sa vocation, il ne désire pas qu’elle soit mise en cause, pas plus que Georges d’ailleurs :
— Le seul but des soignants est de guérir – mais si ça ne leur convient pas, aux malades, il faudrait quand même tenir compte de leur avis.
Georges n’approuve ni les cures médicamenteuses, ni les visées psychothérapeutiques. La folie est entrée en lui à l’âge de 7 ans, grâce à elle il était promu à un destin exceptionnel. La société en exigeant son adaptation, c’est-à-dire sa médiocrité, est venue ruiner tout cela. Arthur, pas plus que Georges, ne comprend les exigences de la société à son endroit :
— Ma désadaptation se matérialise par le fait que je ne puis rester plus d’une demi-journée dans le même travail. On me reproche mon manque de productivité. Le mal, il est en moi, c’est la sexualité. Je n’ai pas le goût de la communication qu’on exige de moi. Il est d’ailleurs possible qu’une certaine culture littéraire trop élevée pour mon niveau social m’empêche de parler avec n’importe qui.
— C’est de naissance, sa maladie, ponctue la mère, il n’y a rien à faire, croyez-moi.
Chaque patient pourtant dans sa folie nous renvoie à une aberration qui se situe ailleurs qu’en lui-même. Un obscur désir d’expier une faute, la sienne ou celle des siens, le pousse, pour peu que les circonstances s’y prêtent, à demeurer dans le personnage qu’il s’est construit, c’est ce personnage qui finit par le posséder. Dans leur rôle de fou, les malades donnent à parler aux parents (qui se plaignent d’eux) et aux adultes qui les prennent en charge. Plus ils se sentent écrasés sous le poids du mépris des leurs, plus ils se drapent avec orgueil dans leur folie. Plutôt la « maladie mentale » que la médiocrité et la bêtise est la réponse donnée lorsqu’on vient leur proposer « ce petit travail pas fatigant » qui pourra leur permettre une « réinsertion sociale ». Dans leur refus de se plier à des normes adaptatives, ils dévoilent du même coup l’absurdité d’une situation qui leur a été faite. La société, si elle n’a pas créé leur « maladie mentale », a fait en sorte qu’elle se « conserve » à l’hôpital psychiatrique. Là elle se déploie sur une scène, comme au théâtre. On y joue la peur, l’angoisse, le rejet. Les uns tirent les ficelles du pouvoir qu’ils cherchent à exercer ; aux soignants ils donnent une folie permise. Les autres sont devenus éléments d’un spectacle (ils font partie du mobilier, disent les infirmiers). Ils sont la misère, l’horreur, la déchéance, ils sont tout ça dans leur silence ou dans leurs cris.
Le soi-disant psychiatre
Les études médicales apportent à l’étudiant un savoir psychiatrique concernant la « maladie mentale ». Ce savoir tel qu’il est transmis dans sa forme traditionnelle ne laisse guère de place pour l’émergence d’une vérité. L’enseignement est conçu d’une certaine façon, pour mettre le Patron et l’étudiant à l’abri de toute interpellation de l’inconscient ; le langage commun est un langage dit scientifique, c’est-à-dire à l’abri de l’inattendu.
— Au début, me disait une étudiante, ça me faisait quelque chose cette parole folle qui dit vrai. J’en rêvais. Maintenant j’ai fait des progrès, ça ne me fait plus rien. Quand un aliéné parle, j’arrive rapidement à le classer dans telle catégorie nosographi-que. Le savoir sur la maladie, ça vou rotège.
Cet aveu (naïf) du confort trouvé dan : n être, venait en réponse
à l’angoisse manifestée par une de ses camarades.
— L’hôpital, c’est dur. Je me mets à la place de ceux qui souffrent. Je vois tout ce qui'leur fait défaut. Comme j’écoute et que je réponds aux appels, je finis par être mangée par les malades. Je n’ai pas le temps de faire mon travail, car les infirmières en réponse à mon attitude se démettent de leurs fonctions. Je me retrouve ainsi seule et débordée. Il faudra que j’apprenne à faire comme les copains, apprendre à être sourde, à circuler comme une automate, sans trop regarder, sans trop entendre, pour éviter les histoires.
— L’hôpital psychiatrique, on n’y est pas préparé, me dit un autre. Je distribue les médicaments, mais je cherche à ne pas trop parler aux malades. Je me mets trop à leur place, j’ai alors envie de fuguer.
Au début des études médicales, l’étudiant est ouvert à toutes les expériences. Les préjugés scientifiques, ce sont ses maîtres qui les lui inculquent.
— Dans mon stage à Perray Vaucluse, je parlais aux filles, c’étaient les inéducables. On m’a dit que je perdais mon temps, que je faisais perdre leur temps aux autres et que finalement ça gênait le service.
— L’arriération, la psychose, c’est pas pareil quand on n’a pas encore appris ce que ça représente comme incurabilité. Quand on ne sait pas, on a toujours tendance à parler, à se dire que même les déchets, c’est des êtres vivants.
— La formation médicale, me dit un autre, c’est d’apprendre à se blinder contre toute sensibilité inutile.
La connaissance vient ici très exactement occuper un poste qui a pour fonction d’obturer tout rapport à la vérité comme cause. L’étude du problème de l’arriération, comme de ceux de la psychose, de l’homme primitif et de l’enfant, ne peut être entreprise que si les stigmates dont on épingle l’autre sont considérés d’abord comme reflet d’une vérité située en soi-même x. Pour quitter le terrain descriptif qui exclut le sujet parlant, il faut arriver à un savoir qui inclut l’autre comme sujet parlant, et pour cela arriver à situer le point où s’est opérée la division de ce sujet entre le savoir et la vérité. L’étude qui porterait sur ce point de rupture ouvre sur des réponses actuellement en suspens, réponses liées à l’avènement possible de critères scientifiques 10
Lacan, « La science et la vérité », in Écrits, éd. du Seuil, 1966 : « Le Sujet de la psychanalyse est le même que le sujet de la science. »10.
Le psychiatre comme l’ethnographe est aux prises dans son champ d’étude avec un ordre signifiant, que ce soit celui du père, de la mort, du tonnerre ou des miracles ; quelque chose s’ordonne selon des rapports antinomiques qui viennent comme autant de lois du langage. Ce qui importe à l’ethnographe (et au psychiatre), c’est de pouvoir mettre au jour ce qui a été opérant dans la structure logique du mythe (mythe individuel du névrosé ou mythe collectif). En psychanalyse (et ceci vaut pour le psychiatre), ce qui nous importe, c’est de pouvoir interroger les effets de la demande chez un sujet dans sa relation au désir. Aux notions de rééducation émo-tiohnelle du patient (en vogue dans certains cercles psychanalytiques), nous opposons une logique de l’inconscient et l’étude de ce qui est opérant au niveau du désir. C’est de cette étude que dépend l’avènement du sujet à une parole personnelle. Ceci amène le psychiatre à se situer à un autre pôle que celui de l’identification au représentant de l’ordre moral, c’est-à-dire à refuser le rôle que la société voudrait lui faire jouer. Dans le « mythe de la maladie mentale », Thomas Szasz dénonce la situation impossible faite à la psychiatrie 11
Thomas Szasz, « The myth of mental illness », in The american psycho-logist, vol. 15, n° 2, février i960.11 : « Aujourd’hui, nous dit-il, l’Église n’est pas le seul pourvoyeur de valeurs morales, la psychiatrie en est un autre. Le médecin cherche à promouvoir la moralité… La notion de « maladie mentale » a ainsi persisté au-delà de sa fonction utile comme un mythe. C’est en fait un héritage des mythes religieux en général et de la croyance à la sorcellerie en particulier. » Dans une certaine tradition psychiatrique, nous nous trouvons devant une forme de complicité du psychiatre non pas avec la raison, mais avec le monde dit « sain d’esprit ». C’est cette complicité qui l’amène à coopérer avec les forces qui tendent à rejeter le malade mental hors de ce monde raisonnable. Dans cette forme de coopération, il se fait sourd à la plainte du patient tant il est préoccupé par celles qui lui viennent du monde dans lequel celui-ci évolue.
La soi-disant folie
Le phénomène de la folie ne peut être séparé du problème du langage, d’un langage traversé par des effets de vérité. Dans ce que le fou nous dit, il donne à connaître de lui sans toujours arriver à reconnaître ce qui de lui parle là. Dans le délire d’influence, il peut refuser de considérer ce qu’il dit comme lui appartenant, cette méconnaissance est aussi une façon de reconnaître un des termes antinomiques nié. Les voix qui le poursuivent, les gestes qui le menacent, le sentiment d’irréalité qui l’envahit, ces phénomènes qui le possèdent et qu’il cherche à déchiffrer, il les exprime encore lorsque, muet, il offre à nous son interrogation et sa panique. Ce qu’il cherche à atteindre à travers la mort (la sienne ou celle de l’autre) c’est son être même. Si la folie nous interpelle, c’est qu’elle évoque cet autre en nous, que nous sommes tentés d’exiler chez le schizophrène, comme on se défait d’un objet tabou. Le problème de la folie est inséparable de la question posée par l’homme sur son identité. C’est dans ce qu’il se dit être, c’est dans ce qu’il privilégie
comme image idéale de lui-même, qu’il se présente à nous fou ou sain d’esprit.
— On m’a considéré toujours comme le Christ. Je jure que je suis innocent. Ne cherchez pas les raisons de mon internement. Ne cherchez pas qui je suis dans les dossiers. Écoutez-moi, je suis un orphelin rejeté de la société. Je n’ai connu que des malheurs. J’ai mené une vie de jeune fille, oubliant que j’étais garçon. Depuis l’âge de sept ans, j’ai perdu la jouissance. Quelqu’un d’autre, une fille s’est emparée de la jouissance de mon sexe. Le bonheur je ne l’ai jamais connu. Je suis né pour le malheur. J’ai toujours été attaqué et jugé. Les médecins ne comprennent rien à mon cas. Ils m’offrent l’asile, alors que je demande à être le héros du flamenco. Trouvez-moi une société où je puisse chanter et jouer de la guitare. Mon destin est exceptionnel. Je ne puis tolérer la médiocrité. Je sais bien qu’on dit que je suis fou, quand je me situe comme être exceptionnel. Mais c’est ma vérité. Vous n’avez pas le droit de vouloir une autre vérité, ça serait de l’ordre d’un crime contre l’humanité.
Georges à qui on a volé sa jouissance et sa pensée, pose en termes impossibles les conditions de sa sortie de l’asile.
Manifestement il ne veut pas travailler. Promu à un destin exceptionnel, il attend que les portes de l’asile, telles des portes de prison, s’ouvrent et que réparation lui soit faite.
— Le gouvernement se rendra compte de son erreur et me versera une indemnité qui me permettra de quitter la France et de regagner mon pays. Là, parmi mes frères de couleur, je danserai le flamenco.
Georges dans sa folie (paranoïaque) a une connaissance aiguë de l’absurdité de la situation qui lui est faite. Il dévoile le ridicule de nos critères adaptatifs, l’inefficacité de la « cure » asilaire et m’apporte enfin l’appui de son expérience.
— Dix ans d’expérience me permettent de vous dire qu’à l’asile on a une attitude spéciale. L’asile a ses coutumes et son langage. C’est très important, car toute tête d’oiseau y est avalée par une tête de bœuf.
C’est par rapport à l’hôpital psychiatrique que Georges s’est construit un personnage dont il ne veut plus se séparer.
— Ce qui est terrible, c’est l’entrée à l’asile à 18 ans, d’un garçon
«
sain d’esprit. L’horreur de ce que ça représente ça ne peut être décrit. Les cris et la misère, on finit par ne plus rien entendre. Certains deviennent comme les murs, ils perdent la parole. Tout le monde ici est condamné à perdre la parole.
Ce n’est pas le psychiatre ou la société qui créent la folie, mais ils sont responsables de la façon dont elle va se figer à l’asile. Georges a posé le problème resté insoluble, celui de la création d’un État idéal d’où seraient bannis la maladie, le travail et la mort. Ce rêve, Saint-Just l’avait fait au xvrne siècle : « Un homme, disait-il, n’est fait ni pour les métiers, ni pour l’hôpital, ni pour les hospices, tout cela c’est affreux12
Saint-Just, Histoire parlementaire, in Bûchez et Roux, t. XXXV, p. 296, cité par Michel Foucault in Naissance de la clinique, P.U.F., 1963.12. » ^
Nous oscillons aujourd’hui comme hier entre ce choi' : maintien dans la famille ou transfert à l’asile. La nocivité du milieu familial n’est plus à démontrer, le milieu asilaire n’est pas non plus une solution. Que faire ? Changer la société ? Rêver d’en bâtir une autre, dans laquelle les fous trouveraient leur plus juste place ?
La fin du xviiie siècle (1786) donna naissance à deux rêves 13
Développé par Michel Foucault in Naissance de la clinique.13, celui d’une médecine nationalisée organisée sur le mode du clergé et celui d’une société sans maladie, sans violence, sans conflit. La mission du médecin devait être politique, sa tâche étant de libérer l’homme en condamnant les mauvais gouvernements. La visée médicale était le bonheur : il fallait ramener dans le cœur des citoyens la paix, la santé de l’esprit et du corps. Dans un État sain, point besoin d’hôpitaux. L’expérience nous a montré que le problème de l’abolition d’une répression sociale ne coïncide pas nécessairement avec le problème de l’abolition des exigences du sur-moi et de ses effets ravageants. Le changement des structures sociales ne peut avoir d’effet radical sur le problème de la répression tel qu’il se pose à nous dans la dynamique de l’inconscient. Ce sont là deux faits de nature différente qu’il importe de ne pas confondre. « L’histoire de l’homme, nous dit Freud, est l’histoire de sa répression14
S. Freud, Civilisation and its discontents, Hogatth Press.14. » Il nous rappelle que, non seulement le bonheur n’a pas été inclus dans le plan du Créateur, mais encore qu’il est bien plus facile à l’homme d’expérimenter le malheur.
« La souffrance, nous dit-il, nous vient de notre corps, voué à la dissolution, du monde extérieur qui peut nous envoyer ses forces destructrices et finalement de nos relations aux hommes. La souffrance qui nous vient d’eux est pire que le reste *. »
Freud nous montre comment le principe du plaisir nous tient toujours en deçà de notre jouissance 15
z. J. Lacan, Séminaire de mars i960 (inédit).15 ; l’écart demeurant à jamais entre plaisir et réalité, le destin de l’homme est lié à un' certain malheur de l’être (malheur originel dont la source peut se trouver dans la prématuration qui est la marque du petit d’homme). Ce malheur inhérent à la naissance peut être radicalement nié, s’exprimer enfin dans la révolte du fou et son délire. Il peut refuser de se choisir16
J. Lacan : « La structure fondamentale de la folie est inscrite dans la nature même de l’homme, dans une discordance primordiale entre le moi et l’être qui exige de l’homme qu’il choisisse d’être homme. » Psycbogénèse des névroses et psychoses, Desclée de Brouwer, i950.16 homme dans un monde qu’il rejette, nous savons que lorsqu’il s’en prend au désordre du monde c’est Jui-même qu’il frappe et raye de la carte.
Frank (8 ans) n’a à sa disposition qu’un discours impersonnel, le langage de l’interdiction parentale, langage qui interdit sur le plan du faire, du dire et de l’être. Frank n’a rien à me dire, il est parlé. C’est dans le jeu qu’il témoigne de son drame. Il est à la recherche d’un minuscule objet qui n’a de nom que sa couleur. Après avoir saisi un rouge, un vert, un bleu, il lui donne une qualification : c’est « le plus beau des couleurs ». Il tourne ravi dans la pièce, puis dans un cérémonial toujours identique, lâche l’objet qu’il perd pour le réclamer et ne pas le retrouver. L’objet premier devient à jamais inaccessible, à jamais perdu et Frank dans ses hurlements fait savoir qu’il ne l’admet pas. Chaque fois au cours d’une même crise d’angoisse clastique, il m’agresse et s’agresse en même temps : c’est perdu, perdu. Entre deux sanglots, il lâche ensuite : « Tu ne veux pas de Madame Mannoni. » Cette phrase il peut la dire dès l’instant où il n’est plus complètement aliéné dans une identification à cet objet perdu, objet qu’il ne peut admettre comme étant perdu. Répétitivement il exprime qu’il n’y croit pas. Dans sa rage impuissante, il clame son'impossibilité à se référer à un appui dans un ordre symbolique (or c’est autour de cet appui que s’établit tout le rapport à l’autre). Se faire désirant, c’est pour Frank être conduit par un commandement vers un désir de mort. Dans sa crise, il dévoile une situation impossible dont il ne veut rien savoir, et dont surtout il ne faut pas lui révéler le sens. C’est la fuite qu’il réclame, fuite d’un lieu devenu maudit.
—• Cet enfant n’aurait pas dû naître, me dit la mère, car ^ns ma famille ils meurent tous.
Asphyxié à la naissance, Frank a eu une première enfance jalonnée par des hospitalisations. Il vit aujourd’hui encore dans la terreur d’une séparation, séparation ressentie comme mutilation corporelle, voire comme agression meurtrière. L’absence de la mère ne peut être symbolisée par l’enfant ; lorsqu’il joue à la perdre, il se perd avec elle. Frank n’a jamais pu recevoir de sa mère les mots qui auraient pu calmer son angoisse.
— Des mots, je ne pouvais en donner, faute d’en avoir reçu. L’affection, je ne sais pas ce que c’est.
— Un enfant, ça gêne, ça vous mange l’argent, c’est source d’emmerdements, ajoute le père.
Un enfant, qu’est-ce que c’est ? est la question posée aux parents.
« C’est ce qui ne peut être imaginé », répond la mère (!).
Frank est, pour les deux parents, l’impensable (de la scène primitive). De ce lieu, il n’y a pour lui aucun devenir dialectisable à un niveau symbolique. Fruit imaginaire d’une jouissance (œdipienne) coupable, avant même sa venue au monde, Frank était condamné à n’être pas *. Dans sa folie, l’enfant dévoile le non-
i. J Lacan : « Le mythe d’Œdipe le dit bien : la jouissance est pourrie. La jouissance pleine, celle du roi de Thèbes est sans descendance. Elle ne recouvre que la pourriture qui explose enfin dans la peste. Oui, le roi Œdipe a réalisé l’acte sexuel… Enfin ce n’est qu’un mythe parmi d’autres de la mythologie grecque. Mais s’il y a d’autres façons de réaliser l’acte sexuel, elles trouvent en général leur sanction aux enfers. Toutes en effet impliquent qu’un certain savoir soit atteint qui est intolérable à la vérité. Quand Œdipe tranche l’énigme, la vérité se jette dans l’abîme. On peut donc dire que la jouissance est une question posée au nom de la vérités et posée, comme toute question, du lieu de l’Autre, c’est-à-dire non point de cet incorporel où les stoïciens croyaient que s’inscrivait le discours de la vérité, mais du corps comme véritable lieu de l’Autre. » École normale supérieure, in Lettres de l'ïicole freudienne, février 1967.
sens dans lequel il a été emprisonné. Il est la vérité qui manque aux deux parents, vérité dont ils ne veulent rien savoir.
Les médecins confrontés à cet enfant destructeur ont eu tendance à s’identifier aux parents et à rejeter l’insupportable à l’hôpital. Tour à tour drogué et isoié, Frank a été enfin rendu à sa famille avec le verdict : invalide ; à 100 %. « Il aura notre peau à tous », disaient les infirmiers.
Aucun soignant ne s’est jamais mis à la place de cet enfant en panique, en panique faute d’avoir jamais pu trouver, dans sa relation à l’autre, un troisième terme comme référent. Dans sa relation à la mère, il est bouche à nourrir, excrément à rejeter, il ne peut trouver de place dans la dialectique maternelle qu’au niveau de l’objet partiel. C’est à ce niveau-là qu’ils se possèdent mutuellement, au point de ne faire qu’un ; seule la violence peut venir rompre le cercle dans lequel a été enfermé leur être.
Le diagnostic de psychose, s’il a sa place ici, trace en même temps les limites et la fausseté du savoir psychiatrique. Dès l’instant où un diagnostic a été posé, Frank est devenu la maladie, et de plus, la maladie des parents. L’enfant a conscience de la panique qu’il engendre chez l’autre, il joue par moments de son pouvoir. Partout où il passe, c’est un cas que l’adulte s’attend à recevoir, il a beau avoir échappé à la ségrégation (il fréquente l’école communale du village) un système est en place, à l’école, à la paroisse, pour accueillir la maladie mentale de chez et Mme X. Frank s’y trouve piégé, à moins qu’il n’y trouve son compte, il occupe dans son village une place, celle réservée par l’imagerie populaire à la folie. On sait qu’il est en traitement à Paris, on en attend la guérison… ou l’échec. Cette attente des adultes pèse lourdement sur le médecin ou l’analyste qui a l’enfant en charge. On lui demande de changer un enfant, c’est-à-dire de le rendre apte à entrer dans un monde qu’il a justement abandonné par désespoir. La conviction profonde de ce type d’enfants pst qu’Ü est menacé de destruction totale, et c’est là qu’il rejoint le vœu inconscient des parents : plutôt qu’il ne soit pas né.
A la question : qu’est-ce que la folie ? Freud a répondu en montrant qu’il n’était pas nécessaire d’opposer la folie à la normalité. Ce que l’on découvre dans la folie est d’une certaine façon déjà dans l’inconscient de chacun et les fous ont simplement échoué
dans une lutte qui est la même pour tous et que nous avons tous à mener sans cesse. Ceci rend compte de l’attitude de la société et des psychiatres envers les fous : cette attitude fait partie de la lutte contre la folie que livre sans cesse – avec un succès précaire – toute l’humanité. Mais la réponse de Freud ouvre quand même sur une ignorance irréductible : pourquoi certains échouent-ils et d’autres non ? A cette question, on sait que Freud n’a pu répondre\ qu’en invoquant des facteurs quantitatifs qui seraient en jeu, ou même le terrain constitutionnel… c’est-à-dire qu’il avouait n’en rien savoir.
Si la psychiatrie doit avoir quelque efficacité, ce sera au prix d’une transformation qui lui vaudra, au moins pour un temps, de mériter le nom d’anti-psychiatrie x. Si la crise de folie est une lutte intérieure analogue à celle que chacun de nous mène plus silencieusement, quelle qu’en soit la nature, il nous faut apprendre à considérer cette crise, à l’extérieur de notre personne, comme étant à la fois la nôtre et comme ne l’étant pas, et à nous interroger non pas sur les mesures que nous devons prendre en toute hâte pour que notre équilibre mental (et celui dé la société à laquelle jil est lié) ne risque pas d’être inquiété, mais sur celles qu’il faudrait prendre – ou ne pas prendre – pour que le sujet de la crise puisse, de quelque façon, gagner cette lutte.
Il nous faut prendre conscience que la société a toujours prévu, de diverses façons, des places pour ses fous, qu’elle a toujours proposé à leurs yeux des modèles de la folie, auxquels ils peuvent s’identifier pour la satisfaire, que tout cela fait partie des institutions par lesquelles elle se protège contre son inconscient. Il est possible de concevoir d’autres méthodes de protection moins cruelles et moins ruineuses. Nous trouvons dans la situation asilaire, comme dans la situation coloniale 17
O. Mannoni, Prospéra and Caliban, Praeger, New York, 1956.17 la nostalgie d’une vie d’un monde sans hommes, comme si l’homme cherchait à y réaliser là quelque rêve perdu18
Texte des sérieuses réflexions de De Foe : « J’ai entendu parler d’un homme qui, pris d’un dégoût extraordinaire pour la conversation insupportable de certains de ses proches, dont il ne pouvait pas éviter la société, décida brusquement de ne plus parler. Pendant plusieurs années, il tint sa résolution18 de son enfance. Le monde d’aujour-d’hui admet mal les rêveurs et « artistes » improductifs. Ils n’ont d’autre choix que celui de l’asile, unique lieu où la folie soit permise (permise au sein de structures qui la figent, la folie s’y métamorphosant en monument pour psychiatre).
Mais qu’est-ce qui nous guide, nous soignants, à les rejoindre dans ces murs ? Seule une réponse à cette question nous permettrait d’en poser une autre, laissée sans réponse par Freud : Qu’est-ce que la folie ?
de la manière la plus rigoureuse ; ni les pleurs, ni les engagements de scs amis, ni même de sa femme et de ses enfants, ne purent l’induire à rompre son silence. Il semble que ce fut leur mauvaise conduite à son égard qui en fut la première occasion ; car ils lui tenaient un langage provocant, qui fréquemment produisait chez lui des mouvements peu convenables et le contraignait à d : : s répliques impolies ; et il prit ce moyen sévère de se punir lui-même, de se laisser provoquer, et de les punir de le provoquer. Mais cette sévérité était injustifiable, elle ruina sa famille et détruisit son foyer. Sa femme ne put la supporter, et après avoir essayé tous les moyens de rompre ce silence rigide, elle commença par le cjuitter et finit par perdre la tête devenant mélancolique et incapable d’attention. Ses enfants partirent, chacun de son côté, et il ne resta qu’une seule fille, qui aimait son père au-dessus de tout. Elle le soigna, lui parla par signes et vécut avec lui pour ainsi dire dans le mutisme pendant près de 29 années. Jusqu’à ce que, étant très malade, et pris d’une forte fièvre, dans son délire ou perdant la tête, il rompit son silence sans savoir quand et parla, quoique d’une manière incohérente d’abord. Plus tard il se remit de sa maladie et parla souvent, mais peu avec sa fille, et très rarement avec quelqu’un d’autre. Cependant la vie intérieure de cet homme était loin d’être silencieuse. Il lisait sans arrêt et écrivit beaucoup d’excellentes choses qui mériteraient d’être connues du public ; et dans son isolement, on l’entendit souvent prier Dieu distinctement. » C’est de cette « folie » ou de ce rêve que sortit Robinson.
2. La folie comme statut
Depuis des siècles, médecins et philosophes se sont penchés sur le problème de la « folie » sans réussir à savoir exactement ce que c’est.
On a supposé qu’aucun homme n’y échappait, on a parlé d’une « folie » nécessaire, voire de la nécessité pour chacun d’avoir la « folie » de tout le monde.
La théorie psychiatrique s’est efforcée en vain d’atteindre ce noyau constitué par la psychose. Les mythes et les croyances d’hier et d’aujourd’hui ont ajouté au déguisement dont le « fou » s’affuble pour nous tromper, l’ancien costume du « fou » ou son uniforme asilaire. Le déguisement dont le « fou » se pare n’est pas étranger à la nature de la « folie », mais le vêtement que nous lui ajoutons, le statut que nous lui octroyons constituent un écran qui nous dérobe l’accès à une connaissance sur la nature cachée de la « folie ».
Dès l’enfance, l’individu se trouve pris dans une certaine parole concernant la « folie ». La référence à la menace qu’incarne le /< fou » est présente, non seulement dans les histoires qui se racontent, mais encore dans les articles de la presse quotidienne concernant l’entourage de l’enfant.
« Le vagabond, assassin de Catherine (8 ans), sortait d’un asile psychiatrique1. »
Ces lignes, sous des formes diverses, alimentent notre lecture journalière. Dans la presse enfantine, les hebdomadaires illustrés véhiculent à travers leur cortège de violence, de bagarres, de cris et de pleurs, leurs types de héros etleurs images de fous, d’attardés
’• France-Soir, 7 mai 1968.
et d’anormaux. Le « fou », à l'opposé du Sage, est celui qui « ne sait pas ce qu’il fait », il mord et déchire « quand ses nerfs flanchent 19
Astérix, éd. Dargaud.19 ». Son image, même chez les non-croyants, se superpose à celle du diable, ce diable dont les enfants nous disent « qu’il vient de nulle part, surgit de partout, de soi-même d’abord 20
F. Dolto, « Le Diable chez l’enfant », in Études carmélitaiws, P.U.F., mai 1945.20 ».
L’enfant fait appel au diable lorsqu’il n’arrive pas à trouver les mots lui permettant d’atteindre l’Autre, lorsqu’il échoue à exprimer la tension dans laquelle il se trouve. Si les sorciers font partie du monde social, le diable représente le danger du non social, l’entrée dans un univers sans lois. A travers ce cauchemar terrorisant qui l’habite, c’est son être même que l’enfant se sent en danger de perdre. L’angoisse qui le saisit menace de destruction tout ce qui est vivant. Ce danger mortifère surgit au moment où. dans un fantasme de toute-puissance (et en réponse à l’univers frustrant qui est le sien), il lui semble pouvoir enfin « posséder » l’objet idéalement bon, si longtemps convoité. Mais l’objet cesse d’être idéal dès qu’il est possédé, c’est alors la crise d’angoisse clastique qui éclate de façon particulièrement aiguë et « pure » chez l’enfant psychotique.
C’est au moment où Frank transgressait l’interdit maternel « ne fais pas ceci » pour réaliser en graphisme ou terre à modeler un chef-d’œuvre défini par lui comme « le plus beau de tous les plus beaux », qu’un accident (provoqué par lui) surgissait immanquablement pour détruire ou abîmer la production ; il se jetait alors en hurlant sur moi ou sur sa mère, griffant, mordant et criant dans son désespoir « il a détruit, il a détruit ». Le il (qui est le Je de l’enfant « parlé » par la mère), Frank a fini par le dessiner sous les traits d’un diable rouge, à la bouche énorme, garnie de crocs.
Ce dessin, il fallait le détruire, comme s’il y avait à effacer toute trace de ce qui avait pu posséder l’enfant, le déchirer. C’est dans une crise d’asthme que se terminait par moments sa fureur et que s’exprimait sa défaite – défaite, qui était la représentation sur une scène du piège dans lequel jl s’était trouvé pris.
En séance, et sans contrainte, dès qu’il se faisait désirant, il était arrêté comme par un faisceau de paroles contradictoires « fais ceci, ne fais pas cela », « tu agis bien, mais tu agis mal ». Les effets du mal sont venus s’inscrire dans sa chair, l’amputant de sa respiration et, lorsqu’il pouvait respirer, c’est dans son être qu’il se sentait perdu, ce qu’il offrait c’était sa « folie », c’est-à-dire l’équivalence de ce qu’il exprimait dans ses dessins sous les traits d’un diable nuisible.
L’état de « folie » alternait avec un désir de rachat « il n’est plus méchant, il est gentil, il ne va plus jamais crier, il étouffe… ah, maman, tu vas pas me laisser »… La stéréotypie de la réponse « folle » de l’enfant à toute épreuve de séparation ne peut manquer de retenir notre attention.
La solution adoptée par Frank permettait à la mère de justifier son emprise « sur-protectrice ». Voyez, disait-elle (à travers le symptôme de son enfant), il ne peut se passer de moi, malheur lui arrivera si on l’éloigne.
Le désir de fuite de Frank se trouvait chaque fois contrecarré par l’angoisse que ne se réalise le vœu inconscient de la mère (qu’il meure) ou le sien propre (qu’elle meure). Faute de pouvoir dia-lectiser son trouble, il ne trouvait d’issue à son malaise qu’en perpétuant à travers son symptôme une sorte de pérennité d’une « symbiose » mère-enfant, symbiose reposant sur l’image orphique du morcellement du corps.
Nous avons vu dans le premier chapitre la place tenue par la maladie de Frank dans son village. Ses crises faisaient partie intégrante de ce que le profane attend comme pouvant venir d’un « fou ».
Lorsque dans mon immeuble un enfant hurlant traîne dans les escaliers, il y a toujours une bonne âme prête à le conduire chez moi, comme on conduirait un chien perdu à la Société protectrice des animaux.
Les enfants braillards, les gens pâles, « bizarres », « nerveux », sont d’avance reconnus, épinglés comme devant être les « clients » de Mme Mannoni. On s’attend au pire 21
Le « pire », c’est la mise en acte de paroles adultes : c’est ainsi qu’ont pu être repérés les divers accidents, se lancer en dessous d’une voiture, déféquer dans les escaliers, uriner sur le tapis (sous l’œil de l’adulte qui l'accompagne)…21 et le pire dès lors est récolté… il suffit en effet d’une parole… elle a pour effet magique de donner à l’enfant l’idée de ce qu’il pourrait faire de « supplémentaire » pour se distinguer.
L’enfant psychotique sait jouer de sa « folie » pour atteindre ceux qu’il aime ou qu’il déteste. Sa conduite est une réplique à la parole de l’entourage – entourage auquel il se sent lié, mais dont il veut se défaire ; rejeté par lui, il s’affirme comme rejetant, tire les ficelles d’un jeu où comme « malade » il va donner les preuves de son pouvoir.
La folie comme destin personnel
L’étiquette de « fou » dont l’enfant psychotique se sait affublé, lui ôte son identité et frappe en quelque sorte d’irresponsabilité ses gestes et sa parole. Comme « fou » il se trouve pardonné, mais aussi banni et renvoyé à la plus totale des solitudes. La réponse psychotique, c’est avec un autre qu’il l’a élaborée ; plus il trouvera dans l’entourage une sorte d’approbation quant à la gravité de son « état », plus il « collera » au personnage dans lequel il a choisi de s’aliéner. Élevé dans les paroles d’adultes préoccupés par le seul cas d’un enfant devenu leur unique sujet de conversation, le « malade » n’a d’autre issue que de s’effacer totalement comme sujet pour devenir la maladie 22
Cf. premier chapitre de ce livre.22, sa référence est dès lors à la fois médicale et morale, le padent (enfant ou adulte) est devenu le produit qui a dévié à'me norme. Il a désormais sur son état l’opinion des soignants et des parents ; ce sont les mots des autres qui finissent par devenir son unique parole :
— Je suis, me dit Arthur, bien obligé de m’y faire, à l’asile. Dehors c’est pire, il faut travailler pour de petits salaires alors qu’il y a une dissonance entre moi et les employeurs. Dehors ce ne serait pas possible, je serais insulté. Il vaut mieux l’asile, bien qu’on me force à porter la tenue de prisonnier. Le monde a changé, je suis atterré par le progrès. Le monde à l’extérieur va à toute allure, tout galope. Ici, on est à l’abri, dehors c’est dangereux.
— La guérison ? ça me semble difficile devant la bêtise du monde. Devant les éléments et la réalité de la société actuelle, vaut mieux ne pas parler de guérison, c’est pas possible, pensez, guérir alors que la rage traîne dehors ! Non, je ne veux pas guérir.
Le « je ne veux pas guérir » est un écho non seulement à la parole maternelle « ne me le renvoyez pas », « n’ajoutez pas un drame à mes malheurs » – mais aussi aux paroles de ses camarades de chambrée.
— Guérir ? lui répète son voisin de lit, c’est réparer l’erreur. On me place devant un choix : ou être soldat et me faire tuer, ou rester ici et avoir la vie sauve. Je choisis la vie, bien que ce ne soit pas non plus la solution.
Pour l’un et l’autre, une règle a été enfreinte, leur « mal » individuel les a fait retomber dans une autre société où le permis et le défendu sont régis par d’autres règles, de telle sorte qu’on ne sait dire si elle est plus permissive ou plus autoritaire que la société « raisonnable ».
Bien souvent – pas toujours heureusement –, le traitement des « fous » consiste à les adapter à cette nouvelle société en y modifiant les règles du permis et de l’interdit. Certains d’ailleurs seraient prêts à penser que cette solution serait satisfaisante si les sociétés (asilaires) ainsi constituées étaient plus présentables, si les « fous » y étaient heureux.
La chose n’est pas si étrange : certains trouvent en effet en ces lieux une certaine sorte de bonheur et n’ont plus d’autre crainte que celle de sortir un jour.
D’autres ont fini par « choisir » l’hôpital, cédant ainsi à contrecœur à l’avis exprimé par un entourage agissant pour « leur bien ».
— Quand un malade, me dit Georges, a été sauvagement mis à l’hôpital sans raison valable, il se trouve perdu. L’ergothérapie est une invention imbécile : si je voulais travailler, je serais dehors, mon option c’est une vie de sinistré – puisque ma vocation, on a refusé que je la suive. Je risque de finir ma vie ici, c’est une prison et je me sens persécuté.
Ce choix de la folie comme réponse à tout un contexte passé et actuel, l’individu y a recours, encore, dans les moments de tension, lorsqu’il a échoué par la parole à se faire entendre.
La « maladie mentale » semble être alors utilisée comme stratégie 23
Thomas Scheff, Being mentally ill, Weidenfeld & Nicolson, 1966.23 pour gagner ce qui serait autrement refusé, ou pour dévoiler l’intenable d’une situation.
Cette idée d’une réponse « folle » venant en écho à une parole toujours « à côté » émise par la famille ou par les membres de l’hôpital, cette idée a été développée par John Perceval en 1830 et par Morag Coate 24
Gregory Bateson, Perceval’s narrative (1830), Stanford Univ. Press., 1961. Morag Coate, Beyond ail reason, Londres, Constable, 1964.24 en 1964.
Dans leur autobiographie, les auteurs montrent la déchirure qui s’est introduite à un moment avec la réalité extérieure, ils expliquent comment le fantastique est venu combler le vide laissé par cette perte de réalité.
Ils font de la situation institutionnelle dans laquelle ils ont été pris, une analyse impitoyablement lucide, et décrivent le rapport médecin-malade comme une lutte au cours de laquelle l’un ou l’autre interlocuteur se trouve toujours en posture d’être annulé. De coexistence possible, nous disent les auteurs, il n’y en a guère.
Le dire et l’agir qui « dévient » de la normale sont pénalisés par les médicaments ou les douches ; les soignants, en se mettant en travers du processus délirant, compromettent les chances d’une rémission spontanée. Les auteurs réclament pour les « patients » le respect de leur délire.
— Ce qui a besoin d’être expliqué, nous dit Perceval, c’est l’échec de ceux qui, partis pour le « voyage » (de la folie), n’en reviennent pas. Que rencontrent-ils dans la famille ou dans l’institution, comme réponse inadéquate, qui leur interdit d’être sauvé par une expérience hallucinatoire organisée 25
Gregory Bateson, Perceval’s narrative, Stanford Univ. Press, 1961.25 ?
L’expérience d’un vécu dont ces schizophrènes rendent compte dans leur autobiographie est tirée, à un certain moment, du côté d’une expérience mystique salvatrice, assimilée à une cérémonie d’initiation (le retour à 11 vie normale se ferait à travers une forme de mort et de renaissance). Il en résulte, d’après les auteurs, le gain d’une connaissance que ne posséderaient jamais ceux qui n’ont pas accompli ce « voyage ».
Le « moment fécond » du délire est donné à la manière d’une reconstruction, quelque chose en fait nous échappe.
La folie comme statut
Dans la relation de la maladie, nous avons comme deux temps, un temps premier qui ressemble superficiellement aux mécanismes névrotiques, et puis les franchissements d’une limite et l’entrée dans la psychose, reconnue comme telle par les psychiatres.
La façon dont les soignants vont à ce moment-là s’introduire dans le monde persécutif ou halluciné du patient est donnée comme un moment capital, pouvant compromettre par la suite tout retour à la « normale ». C’est là que le « fou » va recevoir des autres un statut, sans que nous ayons pour autant connaissance de la nature cachée de la folie. Le danger est que le sujet s’efface totalement derrière l’uniforme asilaire, ne devenant plus pour l’autre que pur costume de « fou ».
La drame de la psychose se révèle dans la façon pathétique dont le sujet se trouve aux prises avec les effets d’une symbolique faussée. Bien souvent les jeux sont faits dès avant la naissance ; deux générations plus tôt, se sont déjà tissés les rets d’un filet dans lequel l’enfant à venir va se trouver pris et conduit vers là psychose.
L’analyse nous apprend que si le « mythe familial » du patient est souvent connu par le sujet, ce qui demeure totalement inconscient, c’est l’identification narcissique par laquelle il s’y situe. C’est ce qui se dégage de l’exemple suivant rapporté par O. Mannoni.
Il s’agit de l’analyse d’un psychotique.
Cette analyse s’était déroulée au début sur le thème : « Quelle est ma maladie ? »
Le patient, étudiant en médecine, exigeait un diagnostic.
Ce qu’il recherchait à tout prix, c’est qu’un autre lui dise : « Mais oui, c’est vrai, vous êtes fou. »
Tout a basculé le jour où il a amené en cure ceci :
— Ma mère me disait : je vais devenir folle. Un jour j’ai fait le vœu de devenir fou à sa place.
C’est dans le vêtement de la dissociation schizophrénique qu’il s’était présenté à la première consultation. Une réponse aurait pu être donnée dans le sens de l’internement souhaité. C’est parce qu’il n’y a pas été répondu qu’a pu surgir, derrière l’éventuel « choix psychotique » du patient, le poids exercé par un certain déterminisme. Ce déterminisme est lié à ce qui fut à l’origine en jeu dans le Complexe familial26
Jacques Lacan, « Les complexes familiaux dans la formation de l’individu », in 'Encyclopédie française sur la vie mentale, t. VIII.26, cet ensemble d’attitudes et de paroles propres à une famille donnée.
Le « complexe » est une attitude que le sujet va répéter face à certaines situations. C’est ainsi toujours avec une marge de liberté des plus réduites que l’individu va « opter » (en regard d’une situation dans laquelle il a été placé) entre la question névrotique et la réponse psychotique ou perverse.
En écrivant « opter » je mets, ici, l’accent sur une forme de jeu avec la folie (qui n’a guère été étudiée), voire un certain plaisir à se donner comme fou au regard de l’autre.
Ce que j’étudie (pour maintenir une ouverture, fût-ce en ■ moi-même), c’est tout ce qui relève de l’identification au modèle du psychotique dans le cadre de la folie.
Le masque de la folie auquel je me réfère, c’est – au vrai – notre vision du fou. Dans son rapport à lui-même, le fou est sans masque. C’est nous qui lui prêtons un vêtement et c’est lui qui se donne au regard de l’autre habillé d’une certaine façon.
Th. Lidz et ses collaborateurs 27
Th. Lidz & collaborateurs, Schi^ophrenia and the family, Int. Univ. Press, New York, 1966.27 ont souligné que la schizophrénie, loin d’être considérée comme un processus ôtant la raison à un individu, devrait être comprise comme un destin auquel l’homme serait confronté dans ses efforts pour chercher un mode de vie autonome (on peut, il est vrai, trouver cette vie « autonome » à l’asile… dans l’espoir d’y échapper à d’autres formes de contraintes, optant ainsi pour un statut à la place d’un autre).
Le statut du « fou » pour lequel on « opte » afin d’échapper à un autre statut (mariage) ou à'H’autres ennuis, a été très finement mis en relief par Pirandello 28
Pirandello, Il berretto a sonagli (1917), Mondadori, 1954.28 dans 11 berretto a sonagli.
La scène a pour cadre la Sicile.
Béatrice est « folle de jalousie », ce qui n’est pas la même chose que d’être folle. Elle réussit à provoquer un scandale en accusant son mari d’avoir des relations avec la femme de Ciampa.
Ciampa, victime innocente du scandale, exige des explications : sa situation est devenue impossible.
On lui demande de pardonner.
— Ce n’est qu’une erreur, une folie, lui dit-on.
— C’est une folie, soit, mais alors que Béatrice soit déclarée folle, qu’elle aille passer trois mois à l’asile. Il est facile de faire la folle : elle n’a qu’à crier toujours la vérité à la face de tous. Elle veut avoir toujours raison ? Il n’y a pas de plus grand signe de folie…
La solution de Ciampa est la seule possible. Béatrice se laisse donc conduire à l’asile, en criant comme une folle…
L’intérêt de la pièce réside dans le fait que l’on y voit se tisser parfaitement les rets dans lesquels Béatrice va se trouver prise et vaincue, s’évanouissant comme sujet, pour ne demeurer que sous la pure étiquette de la folie. (Cette situation, en ce qu’elle a d’exemplaire, se retrouve quotidiennement dans un certain style d’admission à l’hôpital psychiatrique.)
On a trop tendance à oublier, en psychiatrie, les effets que peuvent avoir sur un individu un faisceau de paroles dans l’actualisation, la précipitation ou le dénouement d’un passage à l’acte.
Béatrice1 : Moi, dans une maison de fous, tu l’entends, maman ?
Assunta : Mais c’est pour tout arranger, ma fille, tu le comprends.
Spano : Pour tout arranger… C’est en effet, une solution excellente. Pensez un peu à votre mari, madame…
Béatrice : Vous voudriez que je passe pour folle aux yeux, de tous ?
Ciampa : Exactement, comme aux yeux de tous vous avez déshonoré trois personnes, fait passer l’un pour un adultère, l’autre pour une grue, et moi pour un cocu. Il ne suffit pas de dire : « J’étais folle. » Il faut le démontrer, le démontrer en vous laissant enfermer.
Béatrice : C’est vous qui êtes à enfermer.
t. Luigi Pirandello, le Bonnet de fou, in Théâtre VII, tiad. de M.A. Comnène et B. Crémieux, Gallimard, 1956.
Ciampa : Non, madame, c’est vous. Pour votre bien… D’ailleurs qu’allez-vous imaginer ? Faire le fou, mais c’est simple comme bonjour. Je vais vous apprendre. Vous n’avez qu’à crier la vérité. Dès qu’on dit aux gens la vérité en face, ils vous croient devenu fou.
Béatrice : Ah ! vous, vous savez que j’ai raison, que j’avais raison d’agir comme j’ai fait ?
Ciampa : Tournez la page, madame. Vous y lisez qu’il n’est pas au monde pire fou que celui qui croit avoir raison. Allons, donnez-vous cette joie d’être folle pendant trois mois. Ahl si je pouvais, si je pouvais, moil… Ahl coiffer jusqu’aux oreilles un bonnet de fou et courir les rues et les maisons en crachant à chacun ses vérités au visage… Vous le pourrez, vous, quelle chance 29
La traduction exacte serait : « Si je pouvais le faire moi, ça me plairait. Il y a toutes les bouchécs amères, les injustices, les infamies, les violences qu’il nous faut supporter et qui nous gâtent l’estomac parce qu’on ne peut pas s’en debarrasser, parce qu’on ne peut pas ouvrir les soupapes de la folie. »29. C’est cent années de plus à vivre 1 Commencez tout de suite, commencez à crier.
Béatrice : Que je commence à crier ?
Ciampa : Oui, criez ses vérités à votre frère. Criez les siennes au commissaire. Et à moi aussi, à moi aussi. Je n’autorise qu’une folle à me crier en face que je suis un cocu.
Béatrice : Alors, cocu… je vous le crie au visage : cocu, cocu… ^
Spano : Vous nous feriez croire que vous êtes vraiment folle.
Béatrice : Mais je le suis. Et c’est pour ça que je vous crie, à vous aussi : « Cocu, cocu. » Les deux cocus, la paire de cocus.
Ciampa : Elle est bien folle. La preuve est faite. C’est admirable. Il n’y a plus qu’à l’enfermer.
Pirandello nous rappelle ainsi qu’on peut parfaitement faire le fou sans l’être (et se retrouver néanmoins à l’asile).
La « folie » peut prendre les aspects d’un déguisement ou d’une ruse. Ce qui nous fascine alors c’est la maîtrise avec laquelle le rôle est joué. L’équivoque plane quant à l’entrée ou non du sujet dans la « maladie mentale ». Les troubles ont par moments un petit air d’irréalité qui nous rend perplexes.
Ces personnes sont attachantes par leur façon de dire vrai, leur âpreté à condamner le monde en voulant envers et contre tous avoir raison. Dans leur indignation (et le plaisir que nous prenons à les entendre), c’est une partie de nous-même que nous cherchons à retrouver.
Francine, 11 ans, est amenée par police secours à l’hôpital psychiatrique d’une petite ville de province. Elle a jeté le mobilier par la fenêtre, puis a déclaré calmement à sa mère : « J’émpoison-nerai Claudine (sa sœur) et je ferai en sorte que ce sera toi qui seras condamnée. »
Elle refusa de se coucher, ses hurlements ameutèrent les voisins. Une coalition d’adultes fut à l’origine de son « embarquement » à l’hôpital.
Gardée en observation pendant huit jours, elle fît à ce point l’admiration de tous (par son calme, sa gentillesse, sa gaieté) que le médecin chef appela la mère pour lui dire (devant l’enfant) que la jolie c’était la mère et non Francine – preuve que Francine justement tenait à pouvoir apporter aux yeux de tous…
Dans son conflit avec la mère, l’enfant s’était servie des menaces de son propre père : « Je me tuerai et on croira que c’est toi », menaces que le père mit à exécution (quand l’enfant avait trois ans). La mère avait en effet été arrêtée et n’avait dû son acquittement qu’au suicide raté du mari : sorti du coma, il avait avoué la mise en scène (et la tentative de meurtre effectuée sur sa femme).
L’enfant présente au drame avait ensuite passé toute la période du procès dans la famille du père, très « montée » contre la mère.
Francine avait grandi identifiée au père (paranoïaque) « agresseur » et c’est comme objet haï qu’elle s’était donné dès lors à aimer.
Dans les moments de tension (provoqués par une crise de jalousie), elle retrouvait la conduite du père et sortait d’une situation dans laquelle elle rendait les autres « fous », comme victime à qui on devait rendre justice.
Francine tout en jouant de sa « folie », avait à d’autres moments des hallucinations visuelles qui la possédaient au point de la plonger dans des épisodes dépressifs aigus. On ne peut prévoir si elle finira – comme son père – par entrer dans la « maladie mentale » ; en attendant, la folie la fascine et elle en joue dans une identification inconsciente au père. Si on fait le rapprochement, elle répond : « Ça n’a aucun rapport. »
Joëlle, 20 ans, fait un épisode confuso-dépressif avec des phénomènes hallucinatoires, qui aboutit à une tentative de suicide.
A la clinique privée où elle est hospitalisée, on parle de la transférer à l’asile.
J’interviens auprès de son médecin et son transfert à la campagne dans une clinique qu’on peut dire « d’anti-psychiatrie » est décidé. Elle y passe deux mois avec les chevaux^de l’écurie, dans un état de saleté assez grand. Elle ne voit pas de médecin et refuse toute aide « soignante ». V
Pendant deux mois, Joëlle se nourrit de lait, de fruits, fait du cheval, dort à l’écurie. Au bout de ce temps, elle demande à regagner Paris, réintègre sa chambre et va revoir son analyste qui ne la reprend qu’à contrecœur. Il me téléphone pour me dire qu’il n’apprécie guère la « cure » champêtre effectuée. Joëlle, me dit-il, est tout à fait désorientée dans le temps, l’espace, et indifférente à tout ce qui touche à son corps.
Ce corps « qui ne lui appartient pas », selon l’aveu même de Joëlle, est sale. La jeune fille, imprésentable en société, est totalement inapte à reprendre une activité professionnelle.
Joëlle va en effet passer par une période de désorganisation assez grande, dans laquelle va s’indure une forme de débauche sexuelle. A l’étonnement de tous (et particulièrement de son analyste), elle récupère assez rapidement et sortira de son épisode psychotique pour reprendre ses fonctions d’infirmière.
L’asile lui aurait-il permis de s’en tirer de la même façon ?
La jeune fille ne se serait-elle pas figée dans une maladie mentale parfaitement étiquetable, et comme telle jugée grave par les psychiatres ?
La quasi-absence de soins a été incontestablement un élément majeur dans la façon dont elle a pu, à travers une désorganisation permise, retrouver la santé.
La décompensation psychotique avait été une réponse à un échec sentimental ; elle était entrée dans une conduite d’aveuglement, cherchant par la « folie » à éviter la souffrance.
Cette conduite était la reproduction inconsciente de ce qui était arrivé au même âge à sa sœur aînée, qui, elle, réussit une carrière de schizophrène.
Francine comme Joëlle avaient à leur disposition un modèle de la « folie » dont elles ont usé au premier coup dur, trouvant dans l’expression folle une solution à un malaise à vivre. De l’expression folle… à la « maladie mentale », le pas est facilement franchi, surtout si l’entourage y met du sien.
Sidonie1, 17 ans, anorexique, m’est amenée après deux ans de séjour en hôpital psychiatrique.
Boulimique à 9 ans, elle fit à cet âge sa première cure d’isolement « pour maigrir ». C’est la mère qui fut à l’origine de toutes les décisions médicales, affolant les spécialistes et induisant les interventions.
Après une première entrevue avec Sidonie, sa mère me téléphona pour me dire « qu’elle ne pouvait plus vivre ainsi » : l’hospitalisation de la fille était réclamée pour sauvegarder les « nerfs » de la mère.
— Je ne suis plus Sidonie, je suis un cas, me dit l’enfant. Ma mère parle du cas tout le temps à tout le monde. Quand j’étais trop grosse, elle me disait : « Manger est un crime, malheur t’arrivera. » Maintenant j’ai peur d’avoir à nouveau envie de trop manger. J’ai peur d’un accident mortel à travers la nourriture. Quand j’étais petite, on fermait les placards et on me disait : on te montrera à la foire. On m’a dit et redit tant de choses méchantes. Voyez maintenant, ne plus manger, c’est une vengeance. J’en ai voulu à tout le monde. Je veux prouver que je peux tenir. Je veux qu’on me laisse libre de faire ce que je veux avec mon corps. S’il faut pour y arriver me faire passer pour folle, tant pis, ce sera quand même ma liberté.
Voir chapitre 6 de ce livre.
C’est dans la « maladie mentale » que Sidonie risque d’entrer et de se fixer si on lui ôte toute possibilité de faire ce qu’elle veut de son corps (c’est-à-dire si on lui enlève toute possibilité de symbolisation).
Emmanuelle, 16 ans, se trouvait dans une clinique de luxe depuis six mois. J’y fus appelée en consultation. Quand je la vis, elle fondit en larmes et réclama sa sortie.
L’hospitalisation l’avait figée dans une présentation de schizophrène. J’étais pour elle la spécialiste venant de l’extérieur, non attachée à l’établissement, et c’est pourquoi elle a pu me parler. L’atmosphère feutrée de la clinique avait fait d’elle une morte vivante, l’ombre d’elle-même.
Le drame d’Emmanuelle était d’être venue au monde comme la remplaçante d’un bébé mort, occupant auprès de la mère une place qui ne lui donnait guère d’autre alternative que la mort réelle ou la mort symbolique (du corps), et c’est le danger de psychose qui la guettait dès lors.
Tout se passait comme si elle ne pouvait recevoir d’autre message que la parole maternelle : « Je suis finie et toi ma petite fille tu es comme moi. » Or, l’entrée d’Emmanuelle à l’hôpital au cours d’un épisode de prostration se fit sur les mots mêmes de la mère, repris pour son propre compte : « Je suis finie, maman, je suis finie. »
Un prolongement de séjour en clinique psychiatrique n’aurait pu qu’inciter l’enfant à faire carrière d’internée : elle rejoignait par là le vœu inconscient de la mère, être aimée en tant que morte.
Au cours des siècles, les explications les plus diverses ont été données quant à-la nature cachée de la folie. Le déguisement de la folie participe étroitement au statut dont le fou se sait affublé et joue parfois le rôle d’écran, ne laissant que mieux échapper la connaissance que nous pourrions avoir.
Tantôt les psychiatres lui érigent un monument, tantôt ils viennent à douter de son existence.
Dire que la maladie mentale n’existe pas (que dans un monde meilleur, il n’y aurait ni hôpitaux, ni psychiatres), est la formula-, tion d’un vœu déjà émis, on l’a vu, au xvme siècle.
Ce vœu est fondé sur une croyance qui ferait du bonheur une fin en soi (et le remède à tous les maux).
Folie et « liberté »
Les psychanalystes eux-mêmes n’ont pas toujours su échapper à cette croyance. C’est ainsi que les théories d’Abraham concernant l’objet idéal ont été trop souvent exploitées dans le sens d’un rapport du sujet à son environnement. Les auteurs ont ainsi procédé à une réduction de l’expérience analytique, ramenée à des concepts d'adaptation sociale, la psychanalyse étant utilisée dans cette optique comme médicament-remède social. Le mouvement anti-psychiatrique a eu le mérite de s’ériger contre cette manière de poser le problème de la « maladie mentale » ou de la névrose. On a – souvent avec raison – revendiqué « le droit à la folie », aussi essentiel que le « droit à la santé ». On a reproché à Freud de ne pas laisser assez de place dans sa doctrine au défoulement. « Libérez le sexe, levez le tabou de l’inceste, et vous libérerez l’homme », a-t-on proclamé avec autorité. Ces positions appartiennent cependant à toute une idéologie du bonheur qui privilégie le seul ordre imaginaire, idéologie qui n’est pas à l’abri de toutes les formes de mystification.
Le problème de la folie ne peut être résolu par une revendication (généreuse) de liberté et de non-contrainte. Le problème de l’CJSdipe ne peut évidemment, lui non plus, être ramené à la seule question de la tolérance d’un inceste réel dans une révolution des mœurs tout aussi « généreuse ». L’articulation signifiante de l’Œdipe doit être comprise avec ce qui se trouve être opérant pour le sujet (organisé par le jeu du signifiant) à propos de la loi d’interdiction de l’inceste qui se trouve à la base de la crise formatrice de la castration *. Rejeter cette notion, c’est risquer de ne plus pouvoir rien comprendre au fait psychotique lui-même, comme nous aurons l’occasion de le développer dans la suite.
Les mythes sont là pour nous rappeler 30
Le problème de la castration se classe (comme nous le montre Lacan) dans la catégorie de la dette symbolique. L’objet de la castration est un objet imaginaire. Il importe de distinguer la castration de la frustration (l’objet est Ieel) et de la privation (l’objet est symbolique).
Le psychotique rejette la castration du domaine symbolique, elle reparaît (comme nous le montrons dans le chapitre 5) dans le réel sous forme d’hallucination.30 que l’ordre du monde repose sur un sacrifice initial.
Dans l’Inde c’est la répétition du sacrifice initial qui est garante de l’ordre universel – dans la Bible, c’est en réponse au sacrifice de Noé que Yaweh écarte le retour du déluge et maintient l’harmonie des rythmes cosmiques.
De même est-ce à partir du symbolisme de la castration dans le complexe d’Œdipe, que le désir s’introduit dans un ordre humain. Ce qui s’introduit, plus précisément, c’est une nouvelle structure dans laquelle on quitte la situation duelle (imaginaire : un rapport Je – Tu non médiatisé) pour une structure ternaire (symbolique) qui introduit une référence à un tiers, et ce faisant une référence à un passé avec tout ce que cela implique comme tradition se nouant à travers le pacte symbolique, la dette et la faute.
C’est de là que surgit le drame existentiel du désir, avec les effets qui s’en nouent au niveau du langage 2. La structure symbolique permet à chacun de savoir qui il est, elle introduit un thème, celui du contrat, de la promesse, de l’alliance, qui sont à la base même de la fondation de toute société.
C’est dans ce qui va être faussé au niveau symbolique que nous allons retrouver tout le drame de l’être qui parle, drame d’un être qui ne pourra en son nom assumer le dire et l’agir, soit parce qu’il s’est totalement perdu comme sujet dans la parole de l’Autre, soit parce qu’il a renoncé à une parole personnelle, ses efforts pour modifier l’entourage par son dire s’étant avérés vains.
La gravité des désordres psychotiques de l’enfant sont liés à la façon dont il a été très tôt dans sa vie affronté à une parole mortifère. II. s’est fait ensuite^sourd et aveugle à ce qui se passe
Souhaiter, comme le formulent certains, une éducation qui soit dégagée du problème de la castration, c’est émettre un vœu qui ne tient pas compte de l’exigence structurale dans laquelle l’individu se trouve pris.
1. E. Ortigues, le Discours et le Symbole, Aubier, 1962.
2. Le schizophrène, c’est quelqu’un chez qui le processus primaire régit les mots. Il n’y a pas d’imaginaire.
Le paranoïaque a un imaginaire, mais n’a pas un lieu pour le recevoir caf il est annulé (il n’y a pas d’autre scène). Pour l’halluciné, les effets imaginaires du langage ne se traduisent pas dans l’imagination, mais dans l’hallucination.
autour de lui, projetant sur le monde extérieur sa propre rage impuissante.
Rien ne peut être compris à la psychose si on ne situe pas la façon dont le sujet (dès avant sa naissance) a été pris dans un certain faisceau de paroles parentales. Ce sont ces paroles qui impriment leur marque au niveau du corps, rendant parfois à jamais impossible l’accession à un corps symbolique.
Si l’enfant exprime dans sa folie la vérité qui manque à l’un des deux parents, l’adulte lui aussi révèle dans les distorsions du langage ce par quoi il a été aliéné.
La place faite a la folie
Situer le problème de la psychose à son niveau structural (dégagé de toute fascination imaginaire) ne nous empêche pas de mettre l’accent parallèlement, sur un certain jeu avec la folie lié très exactement à la conception du milieu concernant la folie, à l’image qu’il s’en fait.
La « maladie mentale » est supportée par toute une imagerie populaire qui en donne une représentation variant selon les époques et les pays, et un modèle. (L’image du « fou » renvoie tantôt au maniaque, tantôt au schizophrène ou au paranoïaque. Mon étude porte plus spécialement sur cette catégorie mal définie étiquetée « schizophrènes 1 ».)
La folie a pris la relève de la sorcellerie. Nous verrons 2 que des explications populaires concernant la folie nous ramènent à des idées de tabou transgressé ou de désordres sexuels. L’idée de faute, de punition, de sacrifices à accomplir est présente.
Le « fou » a une fonction dans la famille comme si le sacrifice d’un seul allait permettre l’équilibre de tous.
La littérature et le théâtre proposent des rôles3 de fous,
i ; Que ce travail ait été axé pfincipalement stir la schizophrénie, en indiqùfc •es limites (comme nous lë verrons dans le chapitre 4 qui traite d’uft cas de paranoïa).-
2' Voir chapitre 5 de ce livre. ;
3- O. Mannoni, « Le théâtre et la folie », in Médecine de France, n° 149,1964.
on y voit comment tirer les bénéfices secondaires de la « maladie ».
Tout ceci constitue le contexte dans lequel la maladie mentale se trouve prise, et en complique l’abord, spécialement si la maladie se trouve captée dans un lieu privilégié, considéré comme espace de guérison, terre de vérité 31
Michel Foucault, Histoire Je la folie, Pion, 1961.31. Se dégage alors de la folie une sorte de « sujet absolu » auquel le psychiatre confère le statut de pur objet. Reconnu fou, l’homme est du même coup jugé irresponsable.
« L’asile, comme le rappelle Foucault, a enchaîné au fou l’homme et sa vérité. De ce jour, l’homme a accès à lui-même comme être vrai, mais cet être vrai ne lui est donné que dans la forme de l’aliénation 32
îbid.32. »
Du jour où un statut a été donné à la folie, un choix a été proposé à l’homme et c’est bien dans une forme d’alternative (ou la vie dangereuse du dehors, ou la vie sans risque de l’asile) qu’il se trouve dès lors piégé.
La fascination exercée par la folie (et le rôle de fou), les identifications inconscientes qui poussent'le sujet à éviter comme son modèle telle difficulté en cherchant refuge à l’asile, tout ceci n’est pas suffisant en soi pour créer la « maladie mentale ». Mais il existe tout un contexte social (fondé sur une certaine représentation de la folie) qui favorise, chez des êtres jeunes, l’entrée dans une carrière de « malade mental », dès l’instant où ils ont été pris dans le circuit de l’hospitalisation.
Dès qu’un diagaostic de psychose est posé, la pression de la famille et de la société pousse le médecin à prendre des mesures, là où parfois le seul acte^nédical valable serait d’opposer un refus à la plainte familiale et une écoute aux dires d’un patient que guette le danger de disparaître comme sujet sous le vêtement de la folie, pour devenir à jamais l’objet dont on parle, dont on jouit et dont on dispose.
3. Folie et psychiatrie
L’âge classique (comme nous l’a montré Foucault *) a rejeté, sous l’effet d’une même peur, les malades mentaux, les a-sociaux, les pervers, les délinquants, les révoltés. C’est à partir de cette « grande peur » que les structures de l’internement ont été développées. Les êtres de déraison sont venus occuper l’espace laissé vide par les lépreux, et leur place dans la société a du même coup changé par rapport à celle qui était la leur dans les temps plus anciens.
Foucault montre également comment la folie, après avoir été rejetée de la société raisonnable, a été accueillie dans le monde scientifique. La connaissance qu’on a pu dès lors se faire de la folie a conduit à la dénoncer plus qu’à la reconnaître.
C’est à partir d’une crise collective (que l’on pourrait analyser comme une sorte de retour du refoule) que sont riées non seulement des mesures administratives d’internement, mais encore toute une « classification naturelle » concernant les maladies mentales. A la fin du xvme siècle, avant la naissance de la psychiatrie, la population distinguait mal entre les effets du péché et le danger réel, confondus dans une folie crainte et rejetée. Elle craignait d’être contaminée par les émanations de la folie et du vice, comme si au-delà des murs de renfermement un obscur danger la guettait.
C’est cette panique du milieu du xvme siècle qui donna plus tard aux juristes et aux médecins un droit de regard dans les asiles. Si la déraison a pu sortir de l’isolement dans lequel on a essayé de la maintenir et retrouver une place dans la société qui l’avait exclue, c’était pour y être néanmoins prisonnière d’un statut, qui
Michel Foucault, Histoire Je la folie, Pion, 1961.
se manifeste de nos jours encore par l’internement des « malades mentaux ».
La parole de la folie, quand elle a voulu se faire entendre, s’est heurtée ainsi à tous les complices du refoulement et à tous les porte-parole du bon sens. C’est à /’institution de la folie, que la folie, lorsqu’elle parle, est confrontée de nos jours.
— Vous êtes courageuse de venir voir les fous, me dit Bernard, c’est dangereux. Lisez donc mon dossier, vous y trouverez le mec intéressant pour votre thèse.
Et puis, se reprenant, il ajoute :
— Tout le monde s’est arrangé pour me conduire à l’hôpital
— ça m’a foutu un coup. Je m’en suis arrangé. Ici, s’il m’arrive un coup dur (c’est-à-dire le délire) je m’en fous. Chez moi, je les dérange.
L’asile, est devenu le lieu où la folie se donne à voir et à entendre, la vie concrète du fou (depuis l’assistance médicale jusqu’aux critères de guérison) y est définie par l’idée que l’on s’est faite de l’aliéné. Ceci marque le médecin dans sa pratique, le fou dans sa conduite.
Des institutions figent, en effet, le cadrp de l’activité médicale ; le poids de l’appareil administratif annule pratiquement toute possibilité d’innovation. Dans la situation qui lui est faite, le soignant est entraîné à objectiver ce qu’^1 entend et ce qu’il voit dans des rapports étiquetés scientifiques. Il juge et jauge ce qui dans le comportement de son semblable s’écarte d’une norme. La « maladie mentale » est évoquée bien souvent pour justifier cette conduite. La science psychiatrique a fini, sans qu’elle le veuille vraiment, par faire du « malade mental » un citoyen sans droits livré à l’arbitraire du corps médical. Dans le contexte social d’aujourd’hui, dès que quelqu’un est diagnostiqué malade mental33
Franco Basaglia, l'Institution en négation, éd. du Seuil, 1970.33 il se voit privé de toute valeur sociale et n’est plus traité qu’en termes de pouvoir (de violence). Il n’a pour ainsi dire aucune base où se tenir devant le pouvoir quasi absolu du médecin. Lorsqu’il veut s’opposer au soignant, il ne peut le faire qu’en recourant à des conduites anormales.
Or le médecin n’est pas libre, il est prisonnier de la représenta-don collective du fou, conçu comme être dangereux. En tant que psychiatre, il est chargé tantôt de débarrasser une famille intolérante d’un parent qui l’effraie et quelquefois sans raison, tantôt de collaborer avec une police qui ne saurait tolérer le désordre. Il tombe au service d’une société qui s’est défendue contre le malade mental et cherche à l’exclure. Le rapport établi avec la maladie mentale est un rapport qui amène à l’objectivation du fou, objectivation dans laquelle on l’abandonne. Le problème n’est pas tant celui de la maladie, que du rapport établi avec la maladie par le médecin et la société qui juge. Il ne s’agit pas de dire que la maladie mentale n’existe pas, mais la façon dont elle évolue a un rapport avec le style d’approche que l’on instaure avec elle.
Le savoir sur la folie et son cadre institutionnel
Le dire et l’agir de la folie ont été enregistrés par une science médicale qui oriente sa recherche dans le sens d’un savoir sur la folie. Une tradition enseignante a fait du malade mental la réserve nécessaire au savoir psychiatrique. Il est demandé au malade de venir illustrer un certain savoir tel qu’on le trouve dans les manuels de psychiatrie. Devenu objet de science, le fou a perdu un dire de vérité. Et dans la relation au psychotique qui s’est instituée, le soignant, s’il quitte la position que lui a réservée la psychiatrie classique, se trouve ramené à cette position par le malade lui-même 34
O. Mannoni, « Schreber aïs Schreiber », in Clefs pour l’Imaginaire, éd.
Seuil, 1969.34 qui saura avec pertinence lui montrer la vanité de ses prétentions humanitaires.
Le « malade mental », dans le cadre qu’on lui a créé, finit par partager les vues d’un certain « racisme psychiatrique » : la « ségrégation » étant en effet loin d’être l’apanage exclusif du psychiatre.
— Les fréquentations sont mauvaises, me dit Vincent, quel public, regardez ça, des vieux, des innocents, des mecs qui délirent, un gosse de 18 ans qui cette nui a hurlé jusqu’à cinq heures du matin. La folie quand ça délire, c’est pas beau à voir. Des gars costauds ont réglé son compte au petit. Après il a dormi, s’est mis à pioncer comme un ange, à croire qu’il avait attendu ça pour se sentir bien… Ici, c’est tous des dégradés, excepté les alcooliques…
La folie rejetée dénonce cependant le système dans lequel elle s’insère :
— Les docteurs, me dit Gilles, ont du mal à me comprendre… je veux sortir de l’étiquette « fou », d’autres tiennent à l’étiquette. Personne ne peut m’aider, si ce n’est moi, le meilleur « spicologue » c’est encore moi-même. Il faudrait que je contacte mon intelli-
i gence pour comprendre où est ma place et savoir dans quel cirque je me trouve.
A l’asile, le dire du patient est généralement moins entendu que son agir. Le médicament vient toujours protéger le soignant contre ce que le malade peut véhiculer comme angoisse (de mort) et désir (sexuel) d’agression x. Le spectre de la répression est ainsi, de nos jours encore, plus ou moins mêlé à celui des soins, ceci dans la plus pure tradition médicale héritée de l’âge classique. Et cependant à partir de Freud un autre mouvement s’est dessiné, ouvert à l’émergence d’une certaine vérité. Mais dans un lieu où la folie est maîtrisée, elle ne parle plus, elle revêt un aspect particulier, caractéristique de ce milieu qui l’abrité ou l’enferme.
— Si je dis « ça va », me dit Robert, on dira « ça va bien » et je ne pourrai plus circuler dans l’asile. Le malade est jaloux à l’égard de l’autre malade, ça lui fait un coup si on s’améliore. Il faut cacher qu’on s’améliore… et qu’est-ce qu’on deviendrait si on ne peut plus amuser les médecins ?
La conviction de pouvoir grâce au délire alimenter les thèses médicales, constitue de la part du « malade » un aveu non négligeable. Au mythe du pouvoir médical exercé par le soignant, s’oppose bel et bien le mythe d’une « maladie mentale » « exceptionnelle », capable de soutenir l’intérêt du médecin. Des éléments de sur-détermination ^ont jouer sur les conflits qui opposeront le « malade » au médecin. Au monopole du pouvoir médical, s’opposera celui de la « maladie », la conscience chez le sujet de la fascination dont sa « maladie » fait l’objet.
L’aliénation du « malade » se trouve ainsi redoublée par les effets de l'institutionnalisation de la « maladie » dans un cadre déterminé, cadre qui (comme nous l’avons vu plus haut) ne laisse que très peu de jeu à l’expression dynamique des conflits. Tout est ramené à un rituel (admis) de réclamations concernant une certaine réalité hospitalière (la mauvaise nourriture, les conditions matérielles précaires) ou un rituel délirant (à thèmes connus). L’adaptation ou non-adaptation du « malade » se heurte à une forme de réglementation qui prévoit les effets les plus divers de l’hospitalisation. Que le « malade » se rebelle ou non, son comportement est pensé en termes psychiatriques et trouve sa sanction dans le cadre des soins psychiatriques. Toute velléité de rébellion se trouve ainsi rapidement stérilisée et nulle « adaptation », parce qu’elle n’est bien souvent qu’adaptation à une pathologie asilaire, ne donne au « malade » les moyens de s’assumer hors des murs de l’asile. L’univers claustral vide de son sens toute recherche d’autonomie, cette recherche se trouvant toujours « réinterprétée » en fonction de la pathologie du patient. L’isolement de l’hôpital du reste des vivants crée un espace où tout n’est vécu que par rapport à l’entrée et à la sortie, le temps qui sépare l’une de l’autre est un temps vide et mort qui scande et oriente le style de vie monotone et terne de chaque patient à l’asile.
Le psychiatre dans l’écoute qu’il peut avoir de la folie est ainsi directement dépendant du système même de l’internement.
La façon dont la folie se déploie est fonction du cadre dans lequel on l’accueille. Et comme nous l’avons déjà souligné, à l’asile plus qu’ailleurs, tout est conçu pour que la folie cesse de parler.
Réformer l’asile ?
Tuke et Pinel – s’ils ont mis en évidence le rôle non médical du médecin afin de pouvoir mieux renoncer aux méthodes médicales (inopérantes) de leur époque – ont néanmoins médicalisé le « non-médical » en faisant du personnage du médecin une figure mythique imposante, détenant le pouvoir de maîtriser la
folie. Le médecin asilaire, en s’octroyant à un moment de l’histoire un pouvoir médico-administratif absolu, devenait du même coup le support d’un ordre bourgeois et d’une idéologie bourgeoise.
Si dans le monde extérieur le fou est volontiers déclaré irresponsable, à l’intérieur de l’enceinte asilaire, on lui fait une sorte de procès moral. Cette attitude subsiste de nos jours encore ; les soignants même s’ils s’en défendent, ont tendance à apprécier l’amélioration d’un patient en fonction de critères essentiellement normatifs. La vogue de l’ergothérapie a été entre autres liée expressément ou non au désir du soignant de voir le patient se « réhabiliter ».
Le discours tenu par le psychiatre sur l’Institution, est un discours qui au départ admet l’hôpital psychiatrique comme tel. L’effort psychiatrique est, dès lors, de rendre cette institution vivable, voire de faire de son fonctionnement l’outil majeur de la cure x. En permettant à une parole de circuler, les psychiatres espèrent trouver dans les effets institutionnels 2 l’équivalent d’un acte psychanalytique, acte qui permettrait que s’opère chez le patient une structuration à partir de malentendus imaginaires. Il s’agit, pour cela de repérer, au niveau de l’institution elle-même, les répétitions qui scandent un certain discours, et de comprendre comment les événements de ce discours vont opérer en quelque sorte une institutionnalisation – c’est-à-dire fonctionner comme un cadre dans lequel vont pouvoir prendre place des rites symboliques.
Ces efforts se heurtent néanmoins à^tout un contexte asilaire (que ce livre dénonce) qui fait malgré tout du psychiatre le complice d’une société ségrégationniste et policière. Le médecin se trouve de par sa fonction placé en collusion avec l’appareil administratif et judiciaire. Il est au mieux un interné consentant, interné qui s’efforce de rendre supportable aux soignants et soignés une vie de reclus.
Tout ce qui s’inscrit dans le cadre asilaire permet la survie dé l’asile, mais non sa réforme. Un changement supposerait un bouleversement des structures traditionnelles des hôpitaux psychia-
1. H. Chaigneau, J. Oury, F. Tosquelles, etc.
2. Effets sur le patient des règles de l’institution, aussi bien que des rapports avec le personnel soignant, les autres malades, etc.
triques (les psychiatres réclament des unités de vingt-cinq lits implantées dans un milieu social de vie normale, alors que l’on entasse à l’écart de tout lieu de vie normale les malades à plus de cent). Ce bouleversement des structures asilaires exigerait une remise en question de préjugés solidement enracinés.
Pourquoi l’asile ? est la question que l’on serait tenté de poser.
Et pourquoi les soignants favorisent-ils son maintien ?
L’effort théorique remarquable accompli en France par une équipe psychiatrique d’avant-garde a abouti néanmoins (dans ses applications pratiques à l’asile) à une sorte d’impasse. Les innovations psychiatriques35
Créer par le biais de clubs, etc., des possibilités techniques de symbolisation dans l’enceinte même de l’asile. Cf. « Enfance aliénée II », in Recherchesf décembre 1968.35 n’introduisent en fait aucune rupture radicale avec une tradition d’internement. S’accepter (ou se refuser) comme « malade » est le préalable imposé à l’interné, c’est à partir de là que ses activités, son dire, son agir, sont resitués dans le discours de l’institution tout entière. Le soignant prend place dans ce discours (ses rationalisations scientifiques peuvent couvrir un besoin de se justifier dans sa position de soignant), qui met au centre le « malade » et sa « maladie » – un « malade » qui finit… comme le psychiatre, par s’adapter à l’asile et à l’image de sa « maladie » telle que l’autre la forme.
La réalité de l’hôpital n’a rien à envier à n’importe quel univers claustral. Faire de cette réalité un outil thérapeutique constitue un effort louable, mais il ne faut pas cependant minimiser ses côtés de leurre. Les « soins » (sociothérapie, ergothérapie, réunions de club, etc.) s’inscrivent dans un contexte hospitalier qui se rapproche de celui des prisons. L’ambiguïté soin-punition est bien visible, j’y reviendrai plus loin. Ce qui différencie le psychiatre actuel de celui du xixe siècle, c’est qu’il ne se sent guère à l’aise dans le rôle de gardien dans lequel l’appareil social cherche à le confiner ; il a pris conscience de la contradiction dans laquelle il se trouve saisi.
Le mérite des représentants de la psychothérapie institutionnelle en France, est d’avoir justement mis au jour l’écart existant entre une pratique carcérale et un idéal hospitalier. Leur souci demeure néanmoins de pouvoir créer dans un système asilaire qu’ils dénoncent un « collectif de soins » afin de changer le lieu carcéral en un lieu où l’on parle 36
La sectorisation (projet psychiatrique visant à remplacer le système traditionnel de l’internement pjrr un ensemble de mesures psycho-sociales) peut avoir deux aspects.
Si elle aborde la maladie mentale en tenant compte du milieu du malade, de sa famille, de son entourage, de ses employeurs, elle va dans le sens d’une appréhension plus vraie de la nature du trouble, elle peut dans certains cas dénouer, hors de l’hôpital, des situations pathogènes.
Mais si elle porte l’interrogation psychiatrique traditionnelle dans un milieu où les troubles existants sont souvent compensés, amortis ou simplement tolérés par l’entourage, si des préoccupations de prévention et de dépistage se font jour dans un tel milieu, elles ne peuvent y avoir d’effet que pathogène. Il ne peut en résulter que l’aggravation de l’état existant.
Les pensionnaires des hôpitaux psychiatriques ne sont pas le plus souvent en état d’être repris dans un système de sectorisation. La tâche utile – qui consisterait à modifier les préjugés et les ignorances du milieu social, à lui faire retrouver les moyens de compensation et de tolérance qu’il a perdus – n’est pas du tout à la portée de la psychiatrie telle qu’elle existe.36…
Les positions américaine (Bateson) et anglaise (Cooper) visent à mettre en lumière l’insuffisance d’une perspective qui oppose les « soins » au régime de l’internement. Us dénoncent sous la notion de « soins » des pratiques punitives. Ils n’écartent pas les possibilités de « guérison » à l’asile, mais le problème d’après eux ne se situe pas là. Il est dans l’instauration d’une véritable dépsyckia-trisation, dépsychiatrisation entreprise à partir d’une ré-interro-gation sur le savoir psychiatrique. Ils montrent comment le savoir sur la maladie vient occulter tout un rapport à la vérité, laissant dans l’ombre ce qui dans le psychiatre se dérobe aux effets produits par la folie en lui. Ce qu’ils cherchent à promouvoir, c’est l’éclatement des institutions qui, la plupart du temps, à cause du contexte dans lequel elles se trouvent placées, jouent un rôle d’écran et laissent, au mieux, soignés et soignants figés dans le confort d’une compréhension mutuelle, c’est-à-dire séparés par un malentendu fondamental.
Le savoir contesté
Pour les Italiens (Franco Basaglia) le problème n’est pas dans une humanisation des hôpitaux, ni même dans le fait que l’hôpital libéralisé finit par créer une micro-société qui ne réussit pas à communiquer avec le milieu social (les « malades » techniquement guéris sc résignant à l’hospitalisation, restant exilés dans une carrière hospitalière dont ils ne peuvent plus sortir). Ce qui est mis en question, c’est la façon dont la « maladie mentale » est appréhendée et traitéeJdans le contexte social d’aujourd’hui. Ce qui est dénoncé, ce sont les compromissions idéologiques qui se trouvent au centre de tout projet psychiatrique, elles sont directement responsables des critères pseudo-scientifiques sur lesquels se fonde la psychiatrie. Le « je ne suis pas fou » est bien la réponse qui, de nos jours encore, se constitue face à la folie.
Si la psychanalyse éclaire la psychiatrie, elle ne l’a pas révolutionnée autant qu’on aurait pu l’espérer. Le discours des psychiatres n’est que trop souvent, comme on l’a vu, un discours de réinterprétation des faits qui se situe dans une visée d’auto-justifica-tion, plus que dans une mise en question de la psychiatrie et du psychiatre. Les structures proposées à l’aliéné sont des structures de soins, il ne lui est pas laissé d’autre possibilité que de se figer dans une certaine présentation : l’histoire de ses malheurs. Délire que l’on « conserve » intact même si on le « coupe », délire que l’on codifie derrière un réseau unique d’échanges conventionnels. Le système d’adaptations secondaires 37
Casimir Pinel, « De l’isolement des aliénés », in journûl de médecine mentale, 1.1, 1861, p. 181, cité par Robert Castel dans sa préface au livre de Goffman, Asiles, éd. de Minuit, 1968.37 qui finit par se créer au fil des ans, se voit dans la manière dont l’interné s’arrange passivement de sa position de reclus, jusqu’au rôle de prestige qu’il exerce comme ancien (rôle de « dur » généralement, un « dur » modelé sur l’image du « milieu »). Le langage des internés, leurs coutumes, la solidarité des soignants, la complicité qui règne à travers les disputes, tout ceci fait partie d’un « système » qui évoque n’importe quel système concentrationnaire, dans lequel les individus se trouvent réunis par des liens de servitude commune.
Toutes les pratiques et croyances à l’hôpital psychiatrique tournent autour d’une recherche d’un aval médical, le terme médical recouvre ni plus ni moins une demande de recours à la force. La chimiothérapie utilisée dans ce contexte n’est pas dépourvue de fonction sinon d’intention disciplinaire… Il n’est d’ailleurs pas rare d’entendre le « malade » assimiler les « soins » médicamenteux à des mesures coercitives, et si l’idée d’avoir à entrer à l’asile pour
I – E. Goffman, Asiles, éd. de Minuit, 1968.
y bénéficier de soins, est une idée qui permet de laisser à certains quelque illusion, d’autres en perçoivent nettement le caractère trompeur. Les « soins médicaux » sont assimilés par eux au « traitement » d’un régime pénitencier. L’ambiguïté de la pratique psychiatrique est un fait historique qui vaut d’être rappelé. Le statut moderne de la folie, comme Foucault l’a montré, n’est pas le résultat d’un progrès des connaissances, mais le résultat d’une situation où l’homme ordinaire de la fin du Moyen Age s’est mis à mieux reconnaître le fou pour s’en séparer. C’est à partir des mesures qui ont été prises pour couper l’aliéné de la population que le fou a été récupéré comme matière d’étude scientifique. C’est cela qui devait marquer cette dualité soins-pùnition dans laquelle l’hôpital psychiatrique s’est trouvé pris dès son origine.
« Ce n’est point de gaieté de cœur que l’on songe à isoler un aliéné, nous dit Casimir Pinel, nécessité vaut loi. La calamité est dans la folie, non dans la mesure. Guérir s’il est possible, prévenir de dangereux écarts, tel est le devoir imposé par les lois de l’humanité et de la préservation sociale *. »
La folie mise ainsi à l’abri d’un monde qui n’en veut plus, doit pour s’adapter au cadre qui lui est fait, se taire ou s’exprimer à l’intérieur de rites conventionnels. Le supposé malade est le garant de la fonction du soignant, sa raison d’être sur le plan professionnel.
L’idée d’une non-ségrégation malades-soignants 38
La non-ségrégation malades-soignants n’est à ma connaissance réalisée en France qu’en un seul endroit : la clinique de La Borde à Cour-Cheverny.38 se heurte, même au sein d’excellentes cliniques privées, à l’opposition des soignants. Qu’un malade puisse se joindre au personnel de cuisine, pour y effectuer (à la place d’une ergothérapie factice) un travail réel, cette idée crée un malaise indéniable et finit souvent par rencontrer une forfne plus ou moins voilée de refus – refus que l’on rationalise en recourant à des principes éducatifs et moraux. L’argument clé est finalement « médical » : « Nous sommes, me dira-t-on, une maison médicale, il est normal de ne pas y mélanger malades et personnel de service. »
La ségrégation apparaît en fait comme le reflet de préjugés
sociaux. Si à l’asile des rites et coutumes (auxquels les malades tiennent) veillent à maintenir le partage des rôles de malade et de soignant, en clinique privée, c’est l'attachement à des traditions aacillaires qui perpétue une sorte de barrage de caste ou de classe. C’est rompre une règle du jeu que de proposer pour un « malade » une place autre que celle qu’il est censé occuper, à savoir la place d’un client d’hôtel de luxe. Occuper une fonction de valet n’est possible qu’à l’asile où le « malade » est assimilé à l’état d’indigène colonisé… c’est pourquoi là les effets de ce travail de valet soht nuls… (puisqu’il s’inscrit dans un système colonial aliénant). Si l’occupation d’un poste de valet peut avoir en clinique privée des effets bénéfiques, c’est bien à cause du caractère subversif que la demande implique : à savoir, la dénonciation d’un ordre aliénant. Tout se passe comme si la fonction d’un établissement de soins psychiatriques était de maintenir le désordre mental « au repos » au sein d’un ordre soignant. C’est bien pourquoi les rechutes à la sortie de clinique sont si nombreuses, faute pour le médecin d’avoir su (ou voulu) mettre en question, pour l’en déloger, la place occupée par le sujet dans son symptôme.
En considérant la « maladie mentale » comme une entité spécifique 39
Michel Foucault, Maladie mentale et 'Psychologie, P.U.F., 1954.39 à découvrir dans des symptômes, on s’est mis en position d’avoir besoin d’inventer des mythes pour expliquer la « pathologie mentale ». Freud nous a montré que l’histoire se fait en sens inverse de l’évolution, on a continué cependant à avoir recours tantôt à la botanique (classification nosographique selon des postulats naturalistes), tantôt à l’évolution (dans cette perspective, l’homme est censé suivre le cours d’un développement, ses rechutes constituant la maladie comme telle 40
à son état antérieur, le mythe aussi d’une identité entre le malade, le primitif et l’enfant, mythe par lequel se rassure la conscience scandalisée devant 1* maladie mentale, et s'affermit la conscience enfermée dans ses préjugés culturels. »40). Pour les uns, l’évolution c’est un processus muet dont la médecine peut croire qu’on trouvera des lois. Pour Freud, en revenant à l’histoire, on est à l’écoute de ce qui dans un discours fait sens.
Le point de vue analytique
Dans les Cinq psychanalyses, nous voyons comment Freud, loin de traiter le passé comme un retour à un lieu perdu, le fait apparaître comme un recours qui permet par le jeu des substitutions imaginaires une reprise du symbolique.
Nous voyons comment au cœur de ce surgissement imaginaire se logent l’angoisse et les conduites de défense érigées par le sujet. Ces conduites, exprimées ou non en paroles, sont ramenées par Freud à leur valeur de langage, elles invitent à la lecture et au déchiffrement du discours de l’inconscient. La théorie de la régression (si souvent présente comme mythe dans les explications médicales) s’avère ainsi n’avoir d’intérêt que si on peut mettre au jour son efficience, c’est-à-dire montrer en quoi elle met en branle quelque chose d’une articulation signifiante à laquelle le sujet s’accroche pour ne pas sombrer dans le vide. Dans la pratique, nous ne voyons que trop souvent à quelles fins servent les idées de régression : elles permettent d’assimiler le psychotique à l’enfant, c’est-à-dire de porter un jugement ségrégatif qui va peser lourd sur l’orientation donnée au patient. L’effet de la nosographie sur le psychiatre amène ce dernier à privilégier la « maladie » aux dépens du « malade », d’un « malade » que l’on n’a plus besoin d’entendre du mosjent qu’il a été correctement classé. L’effet de la nosographie sur le patient n’est pas négligeable non plus :
— La vie, me dit Jean-Marie, c’est la maladie d’un côté, la santé de l’autre. Je ne méritais pas ça. J’aurais été heureux si j’avais été moins connu dans la psychiatrie.
Mais d’ajouter, amer :
— Si je sors, je suis perdu. La psychiatrie m’est nécessaire.
La psychiatrie, certains en font un usage qui n’est pas sans rappeler le rapport qu’entretiennent les toxicomanes avec la drogue. Même « guéri », le malade cherche à conserver une « maladie » pour ne pas risquer que « la psychiatrie » l’abandonne. C’est dans notre institution de la folie que ces sujets se trouvent pris, ils ont leur façon de psychiatriser leur problème, et leur « maladie psychiatrique » demeure dès lors aliénée dans le cadre de l’internement lui-même.
A étudier la folie à travers le cadre qu’on lui a donné, nous mettons en crise la psychiatrie, les sciences auxquelles elle se réfère et ! a société à laquelle elle donne un représentant : le psychiatre (comme Basaglia le montre). Dans son étude sur le rapport institutionnel, Basaglia a montré comment le « malade » hospitalisé en hôpital psychiatrique devient automatiquement un citoyen sans droits soumis à l’arbitraire des médecins et infirmiers qui peuvent faire de lui ce qu’ils veulent, sans possibilité d’appel. Dans la dimension institutionnelle, la réciprocité, dit-il, n’existe pas et son absence n’est en aucune façon masquée. C’est là qu’on voit sans voile et sans hypocrisie ceux que la science psychiatrique a voulu « traiter », là se met en évidence que ce qui est en jeu, ce n’est pas tant la « maladie » que le manque de valeur contractuelle, chez un « malade » qui n’a d’autre alternative pour s’opposer (comme nous l’avons déjà souligné plus haut) que celle de se livrer à un comportement anormal. Ces questions ont été étudiées en France par Oury et Tosquelles,- désireux tous les deux d’introduire une réforme à la base des structures traditionnelles.
Anti-psychiatrie
C’est cette impasse qui a suscité à l’étranger le développement du mouvement d’anti-psychiatrie, mettant en question le savoir psychiatrique et le rapport au fou. Les anti-psychiatres on l’a vu s efforcent de mettre en suspens le projet psychiatrique lui-même afin de repenser l’organisation des institutions sous le triple éclairage : économique, politique, psychanalytique. Ce qui est mis en cause dans les différents travaux « psychiatriques » d’avant-garde parus ces dix dernières années 1 c’est la façon dont toute recherche se trouve stérilisée par une conceptualisation formelle et des présupposés méthodologiques jouant sur le plan clinique comme écran : dans notre rapport au psychotique nous avons une façon de nous soustraire au transfert qui mériterait quelque approfondissement, et dont les effets se traduisent par le rejet d’une vérité et l’objecti-vation d’un savoir. Ces effets viennent colmater en nous ce que le psychotique voudrait maintenir ouvert à notre écoute.
Le rapport à la folie
Si, dans la névrose, le sujet scotomise une partie de sa réalité psychique, dans la psychose c’est avec la réalité extérieure que le sujet introduit une rupture * ; du vide dans lequel il est happé il appelle le fantastique pour venir combler la béance ouverte. Cest ce fantastique qui nous fascine, il réveille ce qui est en jeu dans nos propres fantasmes. Nos interventions hâtives, nos interprétations prématurées naissent de notre angoisse face au malaise que suscite en nous le vide dans lequel l’autre se meut.
La relation du fou à l’autre est marquée par une recherche d’identification érotique à l’image de l’autre a, image qui est captée et suspendue dans le reflet d’un jeu infini de miroirs. C’est cela qui
r. Cf. l’étude d’ensemble de Pierre Fedida, in Critique, octobre 1968.
2. S. Freud. »
3. Jacques Lacan, Séminaire du 18 janvier 1956 (inédit) : « C’est donc que dans tout ce rapport à l’autre il y aura cette ambiguïté pour le sujet, qu’il s’agit en quelque sorte de choisir, c’est lui ou moi, que dans toute relation avec l’autre, même érotique, il y aura quelque écho qui se produira de cette relation d’exclusion qui s’établit à partir du moment où l’être humain est un sujet qui sur le plan imaginaire est constitué d’une façon telle que l’autre est toujours près de reprendre cette place de maîtrise par rapport à lui, alors qu’en lui il y a un moi qui e*t toujours en partie quelque chose qui lui est en quelque sorte étranger, qui est une sorte de maître implanté en lui par-dessus l’ensemble de ses tendances, de ses comportements, de ses pulsions… la synthèse du moi ne se fait jamais, c’est quelque chose qu'on ferait mieux d’appeler fonction de maîtrise. Et ce maître où est-il ? à l’intérieur ? à l’extérieur ? Il est toujours à la fois à l’intérieur et à l’extérieur ; et c’est pour cela que tout équilibre purement imaginaire à l’autre est toujours frappé d’une sorte d’instabilité fondamentale. » entraîne les tensions agressives sous la forme passionnelle d’amour, de haine et d’exclusion avec ses effets au niveau du soignant, vulnérabilisé par le caractère d’instabilité qui régit le rapport purement imaginaire à l’autre dans lequel il se trouve pris. Une unité de soins régie par les seuls rapports imaginaires des membres entre eux (sans recours possible à un élément tiers) risque de refléter dans la réalité institutionnelle cette forme particulière de vécu psychotique, vécu scandé par les collisions, ruptures, éclatement de situations, exprimé dans les délires par un langage qui témoigne à livre ouvert de la dissolution d’identités et du télescopage des images entre elles. C’est l’ordre symbolique qui, nous l’avons maintes fois souligné, permet une reprise de l’imaginaire ; or chez le psychotique (nous l’avons vu plus haut) la déficience du symbolique crée un vide, un trou. Le processus qui se déclenche alors est de l’ordre d’un « cataclysme imaginaire 41
J. Lacan, Séminaire du 4 juillet 1956 (inédit) : « Ce qu’il y a de tangible dans le phénomène même de tout ce qui se déroule dans la psychose, c’est qu’il s’agit de l’abord par le sujet d’un signifiant comme tel, de la mise en jeu d’un processus qui dès lors se structure en relation avec lui, ce qui Constitue ordinairement les relations du sujet humain par rapport au signifiant, la mise en jeu d’un processus qui comprend ce quelque chose, première étape que nous avons appelée cataclysme imaginaire, à savoir que plus rien ne peut être amodié de cette relation mortelle qu’est en eUe-mêrtie la relation à l’autre, au petit autre imaginaire chez le sujet lui-même ; puis le déploiement d’une force séparée de la relation signifiée de la mise en jeu de tout l’appareil signifiant comme tel, c’est-à-dire de ces phénomènes de dissociation, ae morcellement, de la mise en jeu du signifiant en tant que parole, que parole jacula-toire, que parole insignifiante, ou parole trop signifiante, lourde d’insignifiance, inconnue, cette décomposition du discours intérieur qui marque toute la structure de la psychose. »41 » qui amène le sujet à élaborer un délise « qu'il aime comme lui-même 42
*. S. Freud.42 ». Ce qui est donné à entendre dans le discours psychotique, c’est une référence brutale à la mort, au sexe, à la liberté, références qui chez nous existent, mais d’une façon couverte, présentées sous forme d’énigmes à déchiffrer.
Si nous considérons le langage comme solidaire de la Vérité *, nous ne pouvons pas ne pas nous poser la question de ce que nous cherchons à éliminer en nous lorsque nous refusons le langage du psychotique. Ce que nous refusons, c’est une vérité qui nous dérange. Notre refus renvoie le psychotique à un monde privé, coupé du nôtre. Dans notre culture les êtres ont de plus en plus de difficulté à faire entrer le vrai dans leur dire et quand ils se mettent à dire la vérité de notre société et de nous-mêmes, tout se passe comme si, dans les structures que nous leur offrons, il n’y avait pour eux plus d’autre choix que la folie.
« Le monde contemporain, nous dit Foucault, rend possible la schizophrénie, non parce que ses événements le rendent inhumain et abstrait ; mais parce que notre culture a fait du monde une telle lecture que l’homme lui-même ne peut plus s’y reconnaître *. »
Loin de nous cependant l’idée de faire du malaise social la seule cause de la « maladie mentale » – mais nous ne pouvons méconnaître la façon dont ce malaise agit comme élément sur-déterminant, à la fois dans le processus qui amène l’homme à l’asile et dans celui qui à la sortie de l’asile le maintient à l’état de « handicapé » ou d’invalide. La psychanalyse ne s’accommode guère d’une psychiatrie de plus en plus organisée dans un sens de codification administrative. On élabore en hâte des mesures « d’assistance » aux aliénés, mesures qui, aussi originales (et nécessaires) soient-elles, demeurent éloignées de toute réforme de structure de la psychiatrie. Et toute véritable réforme devrait passer par une mise en question fondamentale de notre rapport à l’aliéné. Actuellement psychiatres et psychanalystes se font les complices d’un mensonge de « soins » dans lequel en nombre de plus en plus grand les êtres se trouvent piégés. Çes thérapeutes et psychologues sont fabriqués en hâte sans que jamais soit retenue cette vérité, que la psychologie ne doit sa naissance qu’à la ségrégation 43
Michel Foucault.43. Quand éclate le mensonge des « soins », la folie prend un aspect différent *, elle ne s’offre plus comme seul objet de science mais comme témoin ouvert de sa propre contradiction. Si le psychotique ne peut toujours restaurer le sens de ce dont il témoigne, son discours produit en nous des « effets de vérité », effets que nous cherchons justement à colmater par l’introduction de mesures (sociales, administratives) ou par l’élaboration d’un savoir dans lequel nous cherchons à centrer ce qui ne peut qu’être maintenu exclu de la structure. Seul le bouleversement de l’enseignement médical (et celui des sciences annexes) peut amener l’homme à modifier son rapport à la folie. Mais ce bouleversement, commeftt en maintenir l’ouverture lorsqu’on connaît non seulement le poids exercé par l’héritage séculaire de préjugés scientifiques quasi indéracinables, mais encore le désir de l’homme de rendre à tout prix le savoir transparent au discours 44
Yves Bertherat, « Fteud avec Lacan », in Esprit, décembre 1967.44, suturant les niveaux, là où une brèche devrait être maintenue pour que le savoir surgisse en laissant le sujet du savoir disponible aux effets de vérité produits en lui par le discours de l’autre, en l’occurrence par celui du psychotique.
2. Institution psychiatrique et psychanalyse
Les soignants ont des visées courtes, ils ne pensent qu’à guérir. Et si ça ne convient pas à la personne ? Georges Payote (interne)
4. Institution psychanalytique et institution asilaire
I.
José Bleger 45
José Bleger, « Psychoanalysis of the psychoanalytical frame », in International Journal of psychoanalysis, vol. 48, n° 4, 1967.45 propose d’appeler situation psychanalytique la totalité des phénomènes survenant dans le cours de la relation analytique, entre le psychanalyste et son patient. Il distingue les phénomènes constituant le processus, de ceux constituant le cadre 46
Le cadre est constitué par les règles que l’on se donne dans le contrat analytique (heures des séances, payement, etc.). Il constitue la permanence à l’abri de l’inattendu.46, c’est-à-dire que le dire et l’agir du patient sont étudiés par lui dans un rapport à des variables et à des constantes. Le processus (variable) étant situé comme venant prendte place dans un cadre (constante). Ce cadre, Bleger l’étudie comme une institution. Il montre, par des exemples cliniques, comment c’est la plus primitive institution familiale du patient – et partant, l’indifférenciation primitive des étapes les plus précoces de la personnalité – qui prend place dans le cadre analytique. Ce qu’il met au jour c’est la compulsion de répétition qui dévoile cette indifférenciation : le cadre comme institution est ainsi le dépositaire de la partie psychotique de la personnalité du sujet, c’est-à-dire, pour Bleger, le champ où se projette la partie indifférenciée des liens symbiotiques les plus primitifs.
E. Jaques 47
E. Jaques, « Social systems as a defence against persccutory and depreë-sive anxiety », in New directions in psychoanalysis, Tavistock, 1955.47 au cours d’un travail similaire a mis en lumière la façon dont le cadre est utilisé par le sujet comme défense contre l’anxiété. L’anxiété survenant toujours là où il y a mouvement contre ce qui est constante. C’est de la relative immobilité ou permanence du cadre que se détache un mouvement qu>, sur un fond de surdétermination symbolique, est lié étroitement au moi corporel du patient. Dans un langage lacanien, nous dirions que l’espace imaginaire (correspondant au moi du sujet) est ainsi le lieu où les symptômes se développent, réactualisant l’imago qui demeure permanente dans l’inconscient du sujet *.
Le cadre et le processus dans la situation analytique
Dans la situation psychanalytique (comme dans une institution), quelque chose de l’ordre d’une structure se trouve ainsi en place, une interaction s’opérant toujours entre l’individu et l’institution, interaction qui aminé l’individu modelé par l’insti-truHon à se trouver ensuite être le principal agent du maintien conservateur de l'institution 48
O. Fenichel, The psychoanalytical theory of neurosis, New York, Norton, *945-48. Et ceci, comme les analystes argentins le soulignent, parce que ce qui se trouve fondamentalement en jeu dans l’institution, c’est quelque chose qui se trouve être à la limite de l’image du corps. Toute rupture 49
). Rupture qui peut survenir à l’occasion des vacances ou d’une maladie de l’analyste.49 du cadre (que ce soit celui de l’institution psychanalytique ou de l’institution sociale dans lequel le sujet est pris) amène une déchirure ouvrant sur une réalité qui risque d’être ressentie comme catastrophique par le Sttjet. Et ce qui apparaît à ce moment-là, c’est la façon dont le patient (psychotique) superpose, son propre cadre (et son monde de fantômes) à celui de l’institution psychanalytique ou sociale. Si le cadre de l’institution se rompt, le patient se trouve seul avec son monde de fantômes, on lui ôte le dépositaire dont il a besoin pour pouvoir y projeter ses angoisses. C’est quand il vient à lui manquer, que ce cadre institutionnel lui apparaît comme ayant eu quelque importance pour lui.
Le fantasme
Bleger fonde son analyse sur une théorie du fantasme conçu comme non verbal, d’où l’accent mis sur une sorte de symbiose mère-enfant ou psychanalyste-patient, qui lui fait valoriser des comportements, là où ce qui est en question pour nous c’est un dire ou sa mise en acte dans un agir. La linguistique nous confirme en effet que, si le bébé est pour un temps sourd au sens des mots, il est dès l’étape la plus précoce ouvert à l’opposition des sonorités et à tout un jeu d’opposition phonématique auquel nous sommes nous-mêmes devenus sourds – vérité à laquelle Freud (avant les linguistes) fut sensible, et dont il souligna très tôt l’importance. Dans ses lettres à Fliess (61-63), ^ parle notamment de la combinaison inconsciente des choses vécues et çntçodues, dont Je sens, nous dit-il, ne peut être compris que bien plus tard. Preud fâit allusion là au fragment sohbrt incompris tjui âlihîénte le fâiîtaëttië< je reviendrai ultériedremëni : Siit là portée de cette temarque.
Ce qui manque aux travaux classiques sur le fantasme, travaux sur lesquels Bleger se base, c’est la référence à la notion d’un ego spéculaire. Si la catégorie de l’imaginaire est implicitement présente dans les différentes analyses de Bleger, elle n’y est pas vraiment articulée, d’où le recours de certains auteurs à des notions vagues d’atmosphère pour situer un des éléments constitutif »' du rôle du psychanalyste.
L’analyse de ce qui est en jeu dans le rapport du processus au cadre s’éclairerait à ce que s’y ordonne la dimension imaginaire, dimension toujours présente sur fond de surdétermination symbolique. C’est la coexistence du symbolique, de l’imaginaire, du réel qui régit le rapport du sujet à son semblable ; sa désorganisation produit les effets les plus curieux, comme nous le voyons dans les cures des psychotiques 50
C’est, nous dit-il, par la porte d’entrée du symbolique que nous arrivons à pénétrer cette relation de l’homme à son corps qui caractérise le champ réduit, irréductible de ce qu’on appelle chez l’homme l’imaginaire. Et cette fonction imaginaire se saisit dans l’expéricnce analytique toujours à la limite de quelque participation symbolique (Séminaire du 16 novembre 1955, inédit).50.
Bleger suggère qu’une situation psychanalytique avec un patient psychotique est marquée par la rencontre de deux cadres : l’un
— celui proposé par l’analyste – est accepté consciemment par le patient ; l’autre – celui du patient – constitue la toile de fond silencieuse de son monde fantomatique. C’est ce dernier qui se présente à l’état pur comme la plus parfaite compulsion de répétition (ainsi que nous l’avons indiqué plus haut). Pour Rodrigué 51
E. Rodrigué, G. T. Rodrigué, El contexto del processo analitico, Buenos Aires, Paidos, 1966.51 les réactions psychotiques dans la séance analytique (ou dans l’institution) sont non seulement imprévisibles, mais difficiles à comprendre, tant elles sont liées dans leur forme à un phénomène silencieux par excellence. L’explosion de violence d’un patient psychotique intervient généralement, nous dit-il, lorsque quelque chose touchant au cadre de l’analyste ou de l’institution s’est trouvé modifié. Chaque cadre, soulignent W. et M. Baranger 52
W. Baranger et M. Baranger, « La situacion analitica como campo dinamico », in Rev. Vrug. Psicoanal. 4, 1961-1962. « El insight en la situacion analitica », in Rev. Urug. Psicoanal. 6.52, est et n’accepte aucune ambiguïté. Ce que Mélanie Klein a décrit comme transfert psychotique (états de déplaisir de l’étape paranolde schizoïde, fantasmes de réparation de la position dépressive) se projette ainsi dans le cadre, car l’ambiguïté de la situation analytique, nous rappellent les différents auteurs, ne joue qu’au niveau du processus.
Cette thèse se retrouve dans les travaux de Reider 8 (concernant les institutions, notamment les institutions psychanalytiques) qui montre comment dans la situation psychanalytique c’est le cadre qui se trouve investi et comment le transfert concernant le cadre envoie aux sentiments de toute-puissance infantile, au vœu fantasmatique de retrouver cette puissance perdue en partageant les privilèges d’une grande institution, amenant ainsi le développement d’une sorte d’hypertrophie du moi. Ce développement du moi, comme le soulignent les différents auteurs cités, n’est possible dans une institution qu’à condition que le non-ego 1 demeure tant soit peu inerte. Le non-ego est décrit comme représentant d’une gestalt unique, situé dans une zone d’ombre. C’est à partir de cette zone d’ombre que le moi se construirait, il y aurait clivage continu entre la partie psychotique et la partie névrotique de la personnalité du sujet.
Bleger cite le cas d’un patient qui a adhéré au cadre de la situation analytique jusqu’au moment où il éprouve le besoin de récupérer son rêve d’omnipotence, « son » cadre. Il explique comment le contrat avait été respecté dans un premier temps, jusqu’au jour où le patient, jusqu’alors si ponctuel, commença à manquer les séances et à devoir de l’argent à son analyste. Cette dette, et l’impossibilité d’y faire face, l’humilia. La rupture du contrat (cadre) fit apparaître une brèche, celle du monde de la toute-puissance infantile, monde que l’analyste était censé lui rendre, comme il était censé
i. Bleger, à la suite des analystes anglo-saxons, développe la notion d’un non-ego « malade » (le monde des fantasmes) qu’il oppose au moi « .*ain ». Le cadre est défini par lui comme un espace corporel non différencié. C’est dans les limites du cadre, que surgit ce qu’il définit comme meta-comportcmcnt, équivalent du non-ego. A d’autres moments, il introduit même la notion obscure de meta-ego.
Cette formalisation fait référence d’une part à une théorie dans laquelle le langage est considéré comme une pièce du comportement ; d’autre part à une théorie kleinicnne du fantasme.
Le problème de l’érotisation de l’objet est confondu par ccs auteurs avec celui de la première apparition de l’objet comme objet imaginaire.
Ce qui se trouve oublié par eux, c’est tout ce qui touche à la notion de manque d'objet, centrale dans l’organisation de l'expérience analytique. Cette notion a été développée par Lacan dans une théorie de la relation d’objet développée comme une logique du signifiant.
Si pour Lacan le nouveau-né est d’abord dans une rchitîon au monde qu’il ne peut distinguer de lui-même, c’est en découvrant le manque qu’il sort de cette relation. C’est là que naît l’identification liée la Uiiicrcncc qui est aussi absence. Le rapport entre fantasme, signifiant'et absence amène Lacan à parler d’une parole vide (discours de l’imaginaire) opposée à ia parole pleine (articulée au symbolique).
Nous n’avons pas cherché à discuter (pour les réfuter) les notions de non-ego, meta-ego, meta-comportement, meta-langage, introduites par Bleger. Nous avons retenu ce qui dans sa théorie peut être repris dans une articulation du signifiant, tout ce qui peut être réinterprété en termes d’imaginaire, symbolique et réel – d’où l’attention portée à l’étude de Bleger concernant le cadre et le processus (étude exposée en référence à ce qui chez Lacan se définit en termes de symbolique et d’imaginaire).
lui rendre ce monde d’objets perdus de la petite enfance. Ce n’est qu’à propos de la rupture de contrat (cadre), que l’on put comprendre à quel point le cadre (et le respect du contrat) avaient été les dépositaires d’un monde magique de dépendance infantile ; ce qui était en jeu dans le transfert psychotique ne put donc être compris qu’après, à la faveur d’une rupture de contrat. C’est le « cadre » du patient, cadre tenu caché dans l’ombre, qui dès lors apparut, avec l’angoisse de devenir fou si l’analyse le mettait en situation de parler de ce qui jusqu’alors n’avait jamais pu entrer dans le dire (son discours intérieur). Ainsi, nous dit Bleger, tout changement dans l’inertie du cadre mobilise »les défenses ou fait surgir les éléments psychotiques de la personnalité du patient. Dans le cas cité plus haut, la dette fit apparaître le désir agressif de supprimer l’analyste en tant qu’autre, condition nécessaire pour retrouver une forme de toute-puissance infantile, toute-puissance fondée sur une sorte de rivalité spéculaite, rivalité qui ne laisse de place que pour l’un ou l’autre partenaire. Ce qui est en jeu dans les explosions agressives qui surviennent dans les séances d’analyse, ou à certains moments de la vie en institution, n’est à aucun moment approfondi par les différents auteurs. S’ils repèrent avec précision et pertinence le moment de leur apparition, l’explication qu’ils en donnent mériterait un examen plus approfondi. L’explosion agressive, si elle est liée à la moindre rupture du cadre (contrat proposé par l’analyste et ceci est particulièrement perceptible à l’asile, lorsqu’on y introduit la psychanalyse), cette explosion renvoie néanmoins à une façon toute particulière qu’a le psychotique d’établir son rapport à l’autre53
C’est par la voie de la relation narcissique, nous rappelle Lacan, que se fait toute identification érotique. Il s’agit d’une saisie par l’image de l’autre dans un rapport de capture érotique. Cest ce phénomène qui se trouve être à la base de toute tension agressive. La synthèse du moi, nous dit Lacan par ailleurs, ne se fait jamais. Tout équilibre purement imaginaire à l’autre est frappé d’instabilité fondamentale (Séminaire du iS janvier 1956).53. L’analyste doit demeurer le support possible d’une agression et éviter de se donner comme objet d’une intention agressive, autrement dit il doit privilégier l’articulation symbolique et non se laisser enfermer avec le patient dans le champ de l’imaginaire. Si les auteurs insistent à juste titre sur la nécessité de faire porter l’analyse sur le cadre (afin d’amener au jour ce qu’il y a de plus archaïque, de plus indifférencié quant à l’image du corps du patient), c’est fausser et pervertir la perspective même de l’analyse, que de la ramener à une entreprise dite de dé-symbiotisation dans le rapport analyste-patient.
S’il est vrai que toute interprétation des gestes et des attitudes corporelles est non seulement ressentie par le patient comme persécutive, mais encore risque d’induire une forme d'acting out54
Acting out = agir dans un fantasme.54 psychotique – il est discutable de dire qu’il en est ainsi parce que l’interprétation aurait visé « non pas l’ego mais son meta-ego ». Cette explication descriptive ne met pas en valeur ce qui dans la situation est en jeu, sur le plan dynamique. Mais nous voici revenus à l’insuffisance des formulations théoriques classiques concernant les fantasmes, fantasmes décrits comme non verbaux. Or, c’est bien parce que le fantasme est une combinaison inconsciente de choses vécues et entendues, que toute interprétation ne peut porter que sur ce que le patient apporte lui-même dans le dire – sinon, à procéder au dévoilement sauvage du fantasme, nous risquons de précipiter un épisode délirant. C’est bien parce que le fantasme s’alimente, de fragments sonores incompris, que nous n’avons pas à aller plus vite que ce que le patient est prêt à accepter. Toute interprétation précipitée ne peut qu’être ressentie comme un viol, une intrusion, et s’inscrire dans un tableau de réactions persécu-tives ou paranoïaques.
La dimension imaginaire
Mais il est difficile de rendre compte de tout cela, si on omet, dans l’expérience analytique, la dimension de l’imaginaire. Comme nous l’avons dit plus haut, ce champ de l’imaginaire, comme la référence à l’ego spéculaire, est absent des formulations classiques, à part quelques références générales aux morcellements anxiogènes des stades précoces et à la façon dont le sujet s’efforce par moments de retrouver son intégrité (et celle d’autrui). Si nous pouvons souscrire aux remarques de Bleger et à celles des analystes argentins sur l’importance à accorder à l’analyse du cadre
du patient (analyse à conduire dans le cadre de l’analyse ou de l’institution, cadre qui devrait n’être ni ambigu, ni altéré, ni changé) ainsi qu’à l’attention à porter à ce qui surgit dans toute brèche du cadre car cela concerne ce qui touche à la dépendance la plus primitive du patient à l’autre, nous ne pouvons pour autant faire de la situation analytique (ou institutionnelle) l’unique vécu d’une primitive fusion avec le corps maternel. Les analystes argentins mettent l’accent sur le rétablissement de cette symbiose originelle, afin d’y changer quelque chose à travers un travail ultérieur de dé-symbiotisation. t
Dans cette perspective, les « soins » donnés en institution sont basés sur le mythe d’une régression nécessaire pour le « bien » d’un patient traité comme un infans – mythe qui nous conduit aux mesures pédagogiques et nous éloigne de l’analyse.
Il est difficile de rendre compte de ce qui se passe dans l’institution psychanalytique (ou sociale) si, à propos du fantasme, nous ne pouvons faire appel, comme nous l’avions souligné plus haut, à ce champ imaginaire, champ qui s’origine aux premières expériences de l’hallucination primitive 55
Les premières expériences du bébé se soutiennent du besoin insatisfait. C’est de là que s’origine le champ de l’imaginaire qui va servir d'appui au sujet. Cet imaginaire est étroitement lié au principe du plaisir. Le désir se présente à cette étape comme morcelé.55. A cette étape, l’indifférenciation primitive englobe le sujet et l’objet. Toute recherche de l’objet perdu se trouve ainsi être, du même coup, tentative pour se récupérer en tant que sujet. Mais à cette étape, sujet et objet sont condamnés à être à jamais perdus, ils sont dérobés par l'imago 56
Lorsque se produit l’hallucination, le processus primaire est seul en jeu. Pour que le besoin soit satisfait, il faut qu’il y ait intervention d’ua processus secondaire soumis au principe de réalité. Freud a mis l’accent sur le fait que la réalité chez l’homme se construit toujours sur fond d’hallucination. z. J. Lacan, « L’agressivité en psychanalyse », in Écrits, p. 104.56 qui reste marquée par le signe de leur passage. C’est autour de cette perte primitive que vont s’ordonner les premiers phénomènes psychiques et que va se tracer le destin de l’homme, qui, au-delà de ce qui pour lui demeure à jamais perdu, va commencer une quête sans fin à la recherche de signes annonçant, en le masquant, ce qui lui a été un jour dérobé.
Le « il était une fois », c’est le paradis perdu des hallucinations nostalgiques, c’est aussi le manque autour duquel le désir va devoir s’ordonner.
L’imaginaire primitif, pré-spéculaire \ fonctionne comme trace ; c’est à travers ces traces que le sujet arrive à se reconnaître. C’est entre l’étape de l’auto-érotisme et celle du narcissisme que se situe ce que Lacan a décrit sous le nom de stade du miroir 57
La réaction de l’enfant devant le miroir ne se retrouve pas telle quelle dans le monde animal. Ce n’est que chez les humains qu’on note cet instant ue jubilation intense. Pour Lacan, l'avènement de l’image spéculaire signifie pour l’enfant la récupération d’une image du corps dans sa totalité. 11 y a à rÇ moment-'ù pour le sujet une tendance à se refermer sur lui-même qui facilite l’intrusion d'autrui.57. C’est là que se manifeste une tension pour le petit d’homme partagé entre la prématuration organique et l’image du corps dans sa forme achevée.
L’étape spéculaire
La capture spéculaire de soi image, image à laquelle il s’identifie, va du même coup le ravir à son être et le maintenir dans un balancement de rejet et d’amour, balancement qui est à l’origine de l’aliénation fondamentale du moi imaginaire. Cette forme d’oscillation, nous la retrouvons dans certaines formes de psychose.
Lorsque le sujet, à l’étape de l’image spéculaire, va être amené à s’identifier à son autre imaginaire, il ne pourra le faire qu’au prix d’un remaniement structural, remaniement qui signe du même coup la fin d’une phase dépressive.
A l’étape de l’image spéculaire, le sujet dans sa quête de l’objet rencontre non plus l’image de l’objet, mais des « ombres d’objets », cachant sa propre image. Ces ombres viennent là comme écran, dans la quête du sujet sur le chemin du désir. C’est la. structure imaginaire 58
J. Lacan, « Les complexes familiaux dans la formation de l’individu », in Encyclopédie française sur ta vie mentale, t. VIII.58 qui seule permet de rendre compte des tensions agressives qui régissent les rapports du moi à l’autre (tensions dont j’ai parlé à propos des incidents survenant lors de la rupture du cadre dans la situation analytique). Lacan, en montrant comment l’imago du semblable est liée à la structure du corps propre, montre du même coup comment l’instauration de l’autre se fait en tant que dépositaire de représentations d’objets partiels. C’est par l’autre qu’à cette étape va passer le chemin du désir, et si le sujet ne demeure pas perdu dans une pure relation de fascination à un autre (un autre qui lui ravirait son image) c’est bien parce que d’emblée fonctionne un élément tiers, les marques signifiantes des oppositions phonématiques qui, dès le départ, sont là entre l’enfant et la mère, et qui seules permettent à l’enfant la « bonne » identification spéculaire. La jubilation qui marque (dan ? l’affrontement à son image dans le miroir) la victoire de l’enfant sur le risque de sa disparition (de son engloutissement) comme sujet, cette jubilation n’est pas causée par ce qu’il voit dans le miroir (son image) mais par le fait qu’il est vu par la mère (ressentie comme non dangereuse) et c’est cela qui permet la naissance de l’ego spéculaire. Dans un premier temps (et c’est celui du drame passionnel), il y a impossibilité de maîtrise imaginaire. Dans un deuxième temps, cette maîtrise s’installe comme effet du signifiant (marques signifiantes venues de l’autre, d’un autre qui fournit la matière sonore). Les représentations, à cette étape où fonctionne le processus primaire, sont des images fondamentales, c’est avec ces imagos que le sujet prend place dans la circulation signifiante.
Le matériel archaïque (dont parlent Bleger et les analystes argentins) qui survient à un moment donné d’une cure, et qui, nous l’avons vu, survient lorsqu’une rupture est intervenue dans un cadre jusqu’alors inerte – ce matériel archaïque, c’est le transfert imaginaire d’imagos sur l’analyste, transfert qui, par un accident du refoulement, a exclu du contrôle du moi telle fonction, ou a donné sa forme à tel type d’identification 59
J. Lacan, Écrits, p. 107.59. Pour Lacan, l’imago (comme le cadre pour Bleger) demeure permanente. Elle se trouve réactualisée dans l’analyse sur un plan de surdétermination symbolique 60
J. Lacan, Écrits, p. 108. Lacan cite le cas d’une jeune fille atteinte d’astasie-abasie. L’imago sous-jacente était celle de son père, dont il suffit que l’analyste lui fît remarquer que l’appui lui avait manqué, pour qu’elle se trouvât guérie de son symptôme, sans que la passion morbide vécue dans le transfert se trouve pour autant affectée.60.
La dimension symbolique
C’est toujours en tant que morcelé que le sujet reçoit ses marques signifiantes. Le schizophrène, dans sa quête de guérison, se raccroche parfois désespérément à des vocables qui ne sont médiatisés par aucun sens, mais viennent là comme tentative de réinvestissement sonore de son monde objectai. Il s’agit somme toute d’un essai pour retrouver, à travers une marque signifiante, l’objet perdu. La dimension imaginaire fait défaut au schizophrène, sa quête de l’objet perdu il ne peut la conduire à la façon du névrosé ; faute d’une maîtrise de l’image spéculaire (qui lui aurait permis de posséder l’image de l’autre), il cherche à se retrouver au niveau d’images de corps morcelés et de sonorités vocales, qui viennent là comme marques signifiantes « unaires 61
concerne les enregistrements des perceptions à des étapes successives de la vie. Et, nous dit Freud, c’est à la limite de deux étapes que se situe la traduction des matériaux psychiques. Freud lie la particularité de certaines psychonévroses à une absence de traduction, aucun enregistrement nouveau ne peut alors se produire. Lorsque le matériel psychique ne peut plus se traduire dans un enregistrement correspondant à l’étape suivante, il se produit un refoulement. Ce refoulement a lieu sous l’effet du déplaisir.
Cette notion du refoulement en tant qu’absence de traduction telle qu’elle fut élaborée par Freud en 1896 devait l’amener plus tard à la notion de forclusion (présente dans les psychoses).
1. Jacques Lacan, « Remarques sur le rapport de Daniel Lagache », in Écrits, p. 683.61 » au niveau le plus élémentaire, mais qui font que sa parole, c’est au nom des autres qu’il la donne et non pas au nom de son ego spéculaire. Toute analyse est marquée par la façon dont avec une certaine répétition signifiante le sujet va arriver à pourvoir ou non se soutenir (au-delà de la demande) dans le champ du désir. Et il devient désirant, au prix de s’abolir comme sujet, d’être « l’exposant d’une fonction, qui le sublime avant même qu’il l’exerce 1 ».
La vérité que Freud a amenée au jour, c’est bien la façon dont dans une analyse, le sujet est appelé à renaître pour savoir ce qu’il veut sur son désir. Ce prix à payer posr son avènement comme sujet, il le paye d’une forme de castration, castration qui joue comme vecteur du désir.
Cette vérité, les analystes la méconnaissent dans la mesure où la fin d’analyse est ramenée par eux à une sorte d’orthopédie du moi. La visée d’une cure est axée par eux sur la nécessité de recouvrer un moi fort « adulte »… là où c’est bien sur la déchirure en tant qjae telle que Freud a fait pivoter le sens du drame analytique.
Le cadre et le processus dans la situation asilaire
Mais revenons à notre étude concernant l’institution.
Nous avons porté l’éclairage sur les accidents qui surviennent lors d’une rupture de cadre, nous avons vu comment c’est de ces accidents mêmes qu’une vérité peut surgir.
Les ruptures qui menacent la stabilité de l’institution ont comme support un matériel archaïque où s’origine la nature de l’agressivité chez l’homme et le rapport qu’il entretient avec son moi et ses objets 62
Jacques Lacan, Écrits, p. 113.62. « Ce rapport érotique où l’individu humain se fixe à une image qui l’aliène à lui-même, c’est là l’énergie et c’est là la forme d’où prend origine cette organisation passionnelle qu’il appellera son moi 63
Jacques Lacan, Séminaire 1955-1956 (inédit).63. » Le moi est ainsi marqué dès l’origine, par la tension agressive (tension corrélative de la structure narcissique d’après Lacan), il est « le centre, de toutes les résistances à la cure des symptômes64
Jacques Lacan, Écrits, p. 118.64 ».
Cependant, c’est sur ce moi que les analystes classiques se fondent pour ramener le sujet… à la guérison. Ce faisant, ils s’alignent sur la conception utilitariste du monde moderne quant à l’emploi technique d’un moi que l’on exacerbe pour pouvoir l’employer toujours mieux à des fins adaptatives. C’est oublier de quel déchirement de son être l’homme moderne paye le prix d’une adaptation : il le paye du prix de la folie et de la délinquance…
Lorsque nous parlons de l’institution psychanalytique, nous ne pouvons prendre seulement le cadre en considération. Face au cadre (comme nous l’avons vu au début de ce chapitre), dans le cadre (inerte), prend place le processus qui se caractérise d’être avant tout mouvement. Ce sont les événements qui se répètent dans le discours (dans la séance ou hors d’elle) qui vont amener une sorte d’institutionnalisation.
Le processus analytique (qui est aussi la mise en place d’un fantasme dès l’entrée dans la cure) se déroule dans le temps à travers une oscillation continue entre le recours au passé et la projection dans l’avenir.
« Le processus 65
4- Léon Grinberg, Marie Langer, David Liberman, Emilio et Geneviève Rodrigué, « The psychoanalytic process », in International Journal of psychoanalysis, 1967, vol. 48, n° 4.65 prend place dans le cadre de la séance et dans les ruptures qui surviennent. L’ouverture du processus est marquée par l’introduction du contrat analytique auquel les deux parties doivent se soumettre. Le processus analytique avec son contrat, son but, son développement et fermeture crée une institution. »
Les auteurs kleiniens mettent l’accent sur l’importance à accorder à la position dépressive qui se présente comme un travail de deuil, deuil de l’omnipotence magique de l’enfance. Les analystes (et tout spécialement Grinberg) étudient dans différents travaux la façon dont l’analyste a parfois à souffrir de l’influence parasite des sentiments du patient – et comment c’est lui qui, en réponse à ce parasitage, fait barrière (pour sçn confort propre) au travail du deuil.
C’est le mérite de Mélanie Klein (et à sa suite, de Bion, de Melita Schmideberg) d’avoir mis l’accent sur la façon dont l’institution psychanalytique (et l’institution sociale) est utilisée par le sujet comme défense contre le surgissement de l’anxiété paranoïde et dépressive. Les individus peuvent ainsi mettre dans la vie de l’institution leurs objets persécutifs internes66
E. Jaques, « Social systems as a defence against persecutory and dépressive anxiety », in New directions in psychoanalysis, Tavistock, 1955.66. Nous connaissons les effets de morcellement qui en résultent ensuite sur le plan de l’identification. Jaques souligne que cela ne signifie pas pour autant que l’institution soit devenue par là même psychotique. Néanmoins, nous pouvons nous attendre à y trouver toutes les formes de manifestations d’irréalité, de splitting, de suspicion, d’hostilité qui sont caractéristiques de toute vie en groupe – caractéristiques utilisées par les individus pour se défendre contre l’anxiété psychotique.
Les structures des institutions développent des systèmes de rôles, de positions, à travers un système de règles, de conventions et d’interdits. C’est ce système qui règle les rapports des individus entre eux.
Dans une institution (comme nous l’avons vu plus haut) un discours se tient. C’est à partir de malentendus que quelque chose se structure et qu’une vérité est amenée à pouvoir parler à travers le symptôme. Cette vérité qui surgit est le fruit d’une rencontre qui fait événement 67
Nassif, Congrès de l’école freudienne, Strasbourg, octobre 1968.67. Ce à quoi nous assistons dans le déroulement du procès analytique, c’est à des rites symboliques.
Nous avons vu que l’institution psychanalytique et l’institution sociale se construisent en gros d’après un schéma qui leur est commun. Un discours se tient dans le cadre et par rapport à lui (cadre de l’institution qui masque celui du patient). Le mouvement même du procès analytique est lié à l’inertie du cadre. Cette inertie-paralysie existe dans toute institution. Le sujet modelé par l’institution dans laquelle il se trouve pris, agit à son tour sur elle pour accroître sa paralysie. C’est de cette paralysie que le sujet se nourrit pour fonctionner ailleurs, à l’abri de l’angoisse que ne manquerait pas de susciter en lui tout mouvement du cadre.
Une institution dans une institution
La question que je vais essayer d’aborder maintenant est la suivante : est-il possible d’introduire l’institution psychanalytique dans l’institution asilaire, et quels sont les effets de l’une sur l’autre ?
« Nous pouvons, dit Ginette Raimbault, considérer que les institutions1 sont des organismes mis en place par les forces normativantes de la société contre le surgissement des rejetons forclos – au détriment desquels cette normalité a pu être préservée. » « Devons-nous, s’interroge-t-elle, créer des institutions spécifiques pour les schizophrènes, aussi élaborées soient-elles dans leurs conceptions structurelles et symboliques, ou devons-nous remettre en question l’ensemble des structures de la société, de telle sorte que les forces répressives et réactionnaires de la normalité soient éliminées, au profit de nouvelles structures plus largement ouvertes à l’expansion incoercible du discours humain et à son articulation ? »
Cette interrogation, elle la formule en écho à la remarque de Cooper 2 qui, comparant l’hôpital psychiatrique au camp de concentration, constate : « A l’hôpital psychiatrique on soigne les corps avec diligence, mais on assassine la personnalité des individus. » Remarque à laquelle Oury 3 s’est efforcé de répondre en donnant de l’institution et du thérapeute dans l’institution l’ana-
1. Ginette Raimbault, Congrès sur les psychoses, octobre 1967 : « Le psychanalyste et l’institution », in « Enfance aliénée II », Recherches, décembre 1968.
2. David Cooper, Congrès sur les psychoses, Paris, octobre 1967.
3. J. Oury, Congrès sur les psychoses, Paris, octobre 1967 : « Quelques problèmes théoriques de psychothérapie institutionnelle », in « Enfance aliénée », Recherches, septembre 1967.
lyse suivante : « L’institution est un système de défense, dont la caractéristique est une tentation sadique d’appréhension des autres. Ces échanges essentiellement métonymiques obéissent à un règlement, mais sont recoupés selon la dimension métaphorique du contrat. C’est là que réside l’articulation à l’Autre, mettant d’une part en action un masochisme fonctionnel et posant, d’autre part, le problème de l’origine de l’institution. » Plus loin, J. Oury dit encore : « Le collectif constitue un ensemble qui surdétermine les événements qui s’y passent et fait pression sur eux. Cette pression est une forme d'aliénation sociale. Il est donc nécessaire d’analyser cette machine (et sa stratégie) pour se dégager de cette aliénation. Faute de quoi, l’analyse pure tend à ressembler quant à l’efficacité aux prières qui veulent s’opposer à la guerre. » ■« Dans un collectif, dit encore Oury, les transferts sont multiples. Il existerait une dialectique entre la structure du collectif et le style des demandes, des pulsions, qui agit sur les modes des manifestations des sujets et de leur articulation au signifiant. »
Tosquelles, étudiant le rapport de l’analyse individuelle à celle de l’institution, déclare d’autre part68
Tosquelles, Congrès sur les psychoses, Paris, octobre 1967.68 : « Nous n’en sommes qu’à entrevoir les concepts divers de l’interprétation dans le transfert lorsque le discours se lit à la fois en paroles et en actes par l’ensemble de l’institution. On ne peut dénier ou faciliter'l’évolution de la névrose de transfert institutionnelle par le colmatage du désir des éducateurs. »
« L’essence de la psychothérapie institutionnelle, remarque Ginette Raimbault69
G. Rimbault, loc. cit.69, est d’introduire des médiations dont la fonction est d’ouvrir la relation binaire stéréotypée (dont Cooper parle dans son livre Psychiatry and Anti-Psychiatry 70
David Cooper, Psychiatrie et Anti-Psychiatrie, éd. du Seuil, 1970.70) vers quelque chose d’autre que la spécularité imaginaire, c’est-à-dire vers la dimension symbolique. »
L’intérêt de tous ces travaux réside dans la recherche d’une sorte de stratégie de « soins » (au moyen de clubs, réunions, etc.). Le souci des auteurs est d’arriver à introduire des possibilités techniques pour que le discours qui se tient dans l’institution ne demeure pas enfermé dans une situation imaginaire sans issue et que puissent dès lors jouer des effets signifiants. L’institution est étudiée par eux comme un langage à déchiffrer, selon les lois de la linguistique. Dans cette cartographie de l’inconscient, représentée par l’institution (le signifiant du collectif et celui de chacun des sujets), quelque chose se trouve en place, qu’il faut savoir utiliser pour changer un univers répressif en un lieu où l’on parle —■ et où, parce qu’une parole circule, des perspectives de soins puissent être entrevues.
Il est toutefois permis de se demander si l’analyse des rapports inter-rationnels a un sens, face à la réalisé pénitentiaire de l’asile.
Le médecin placé dans une structure asilaire classique ne peut que se trouver impuissant dans son rôle de soignant. Toute personne quelle qu’elle soit, qui s’introduit à l’asile, se trouve épinglée par le patient comme complice des forces de répression sociale. Le discours qui se tient est d’emblée le produit de l’aliénation subie, il s’inscrit dans une stratégie stéréotypée, comme est stéréotypée la stratégie du médecin à la recherche d’un décodage de signifiants, dans un lieu rendu carcéral par les usages administratifs.
J’ai essayé en tant que psychanalyste de m’introduire à l’asile (y passant il est vrai un temps réduit de vacataire). Je ne m’étendrai pas sur un problème que j’ai abordé ailleurs à savoir la difficulté qu’il y a à introduire une institution psychanalytique dans une institution sociale. Cette superposition de deux cadres ne peut être réussie que si le cadre de l’institution psychanalytique (forcément inerte) peut s’introduire dans un milieu institutionnel suffisamment souple pour tolérer les brèches que le patient va s’efforcer d’introduire dans le cadre institutionnel. On ne peut libérer une parole dans l’institution psychanalytique sans que cela tire à conséquence à l’extérieur, c’est-à-dire dans l’institution sociale dans laquelle l’institution psychanalytique se trouve elle-même prise.
Le patient psychotique qui dans la situation analytique apporte d’une façon voilée, masquée, son propre cadre, ne peut manquer de chercher à faire jouer l’un contre l’autre le cadre de l’institution psychanalytique et celui de l’institution sociale. Pour que ce jeu soit possible, sans accident, il importe que le cadre de l’institution psychanalytique et sociale demeure permanent, à l’abri des effets émotionnels et des attaques persécutives diverses.
C’est à partir de cette permanence qu’un mouvement dialectique va pouvoir s’instituer (dans la séance et dans l’institution) et qu’un discours avec ses effets de sens va pouvoir se tenir non seulement avec l’analyste, mais encore avec tout le personnel de l’institution. Chacun étant, à sa façon, un pion dans un vaste jeu d’échecs.
Les structures rigides de l’asile offrent cependant un cadre plus inerte que le cadre analytique lui-même. Les agressions du cadre analytique (assimilé par le patient au cadre asilaire) risquent alors de prendre place dans l’asile qui devient ainsi le lieu d’actjng out. Le travail analytique n’est dès lors plus possible dans une situation où la constante se révèle être une constante punitive. De contrat, il n’y en a guère, chaque malade se présente comme le signe d’une impasse dont le sens est à trouver ailleurs, dans la société nommément. L’analyste fait rapidement figure d’accusé
— et c’est bien parce qu’il est assimilé à un représentant d’une société répressive qu’il se trouve d’emblée voué à l’impuissance. Il ne peut faire plus ni mieux que ce que les psychiatres ont toujours fait. S’il a’est pas psychiatre, il est épinglé tel, par un patient marqué par l’univers ségrégatif dans lequel il baigne.
L’introduction de l’institution psychanalytique à l’asile, c’est l’introduction d’une ambiguïté quant au cadre asilaire, et cela ne peut qu’exacerber la méfiance du paranoïaque. Médecin chef, internes, infirmiers, font partie intégrante du système médico-administratif traditionnel. Le psychanalyste, venant de Vextérieur, est perçu comme une interrogation qui, par un jeu de réflexion spéculaire, pose un regard et une écoute sur un patient habitué à des repères connus, repères au sein desquels il déploie une stratégie identique à celle utilisée dans les prisons par les délinquants. Le surgissement et le maintien du che moi ? comme énigme, n’est pas supporté longtemps (principalement dans le cas des paranoïaques).
Je suis mise à l’épreuve par rapport au cadre institutionnel, c’est en fonction de lui que l’on me demande de me définir. Il s’agit de « avoir si je puis être utilisée (contre les médecins, pour une sortie, contre un tel, etc.) et c’est l’interrogation consciente quant au pouvoir que j’exerce dans l’institution qui est posée par le patient. C’est bien de n’être investie d’aucun pouvoir qui me rend dès lors dangereuse ; car si je n’ai pas un pouvoir visible, on m’en prête un caché, redoutable. Le monde fantasmatique du patient se trouve sans dépositaire face à l’ambiguïté de mon statut.
J’offre quoi ?
La guérison ? Le patient ne la demande même pas.
Je lui offre de parler… et j’ajoute, naïve, que « ça lui fera du bien » – mais c’est sur ce bien que je lui veux, que dès lors il s’interroge et s’angoisse !
D’ailleurs, parler, il a désappris de parler.
Certains, il est vrai, font'antichambre, ils m’attendent, ponctuels. Souvent ils n’ont rien à dire, rien que la reprise d’un récit stéréotypé, voire la variation d’un thème délirant ; ils me l’offrent parce qu’ils m’aiment bien et qu’il faut bien m’aider à faire ce livre qu’ils ont appris que j’étais en train d’écrire.
Des histoires, ils sont donc prêts à m’en fournir, des écrits aussi, codifiés à la manière des dossiers-pour-docteurs.
Il y a, dans la majorité des cas, refus d’une rencontre privilégiée
— à la limite, ça parle mieux ailleurs que dans le cabinet de l’ana* lyste.
Attendue par les uns, refusée par les autres, je comprends que ce qui se dit est modelé par l’asile et par les structures dans lesquelles je suis, avec eux, piégée. Il n’y a pas de place pour qu’une vérité surgisse. L’imprévu n’est pas de mise. Les règles doivent être respectées, ces règles font référence au cadre de chaque patient et à celui de l’institution asilaire. Tout manquement de ma part aux coutumes établies est sanctionné par une agression, agression induite par le fait que je me suis mise en posture d’être agent de provocation (il existe des rites à respecter : on n’entre pas impunément regarder la télé dans la salle commune d’un pavillon où personne ne vous connaît, les « agressions » ne se font jamais n’importe où, n’importe comment, elles correspondent toujours à une faute commise par « l’agressé »).
La situation analytique, c’est l’introduction d’une brèche dans k rigidité du cadre institutionnel. Le patient cherche à faire surgir dans la situation analytique elle-même ce cadre rigide (heures fixes, etc.) qui est sa protection. Mais un rien modifiant ce cadre induit des réactions de violence hors de la séance, dans l’institution asilaire. Le cadre rassurant est celui de l'institution asilaire, même s’il est contesté. Modelé par l’institution asilaire, le patient finit par devenir hostile à tout changement, il se fait conservateur des us et coutumes du lieu dans lequel il s’est, bon gré mal gré, inséré. Tout est en place pour que se figent à jamais les fonctions de bourreaux et de victimes.
Si le personnel soignant est assimilé par le patient au « système » asilaire, en tant que psychanalyste, j’ai été épinglée comme l'expert (surtout par les paranoïaques). A partir de là, le discours ne pouvait fonctionner qu’avec une inertie dialectique supplémentaire.
— A quoi servez-vous si vous êtes là ni pouf juger, ni pour obtenir ma sortie ?
— C’est donc que vous êtes chargée, de m’espionner.
Je n’avais pas à jouer à la liberté d’allure dans un lieu où tout est réglé, minuté, prévu.
L’ambiguïté de ma position ne peut qu’être rejetée.
Toute irruption des soignants dans le cadre de vie propre au patient est vécue sur le mode persécutif. Les réunions ne sont tolérées que si elles peuvent s’inscrire dans un rituel établi (dates fixes), etc., on craint les règlements de comptes post-réunion…
Ce qui se passe est radicalement différent si, dans un lieu où les soignants tiennent salon, les patients font irruption. Là, parce que c’est eux les provocateurs, l’angoisse persécutive est beaucoup moindre. Si les soignants supportent d’être interpellés, quelque chose de vrai peut passer parfois dans le dire. L’ambiguïté de la situation n’est toutefois pas supportée longtemps et chacun assez vite rentre dans son univers propre – la ségrégation ainsi fonctionne bel et bien comme antidote de l’angoisse.
L’anxiété psychotique, nous l’avons vu, survient là où il y a mouvement, contre ce qui est constante.
Si la situation analytique est stérilisée (c’est-à-dire se révèle dans les faits être une sorte de pédagogie rassurante, éloignée de toute perspective analytique vraie), elle est supportée, parce que dès lors inscrite dans une stratégie connue.
Sinon, il n’y a pas de place pour l’introduction d’une institution psychanalytique dans une institution asilaire 71
Les effets des réunions de groupe mériteraient quelque analyse : les règlements de comptes post-séance ne sont pas rares. Cela situe le cadre dans lequel un discours « libre » est appelé à se tenir.71. Dans un lieu carcéral, on n’a que faire d’une institution visant à libérer une parole.
II. Le discours paranoïaque
A. Protocole de séances
Le discours du malade et celui de sa famille, Georges Payote, 30 ans, interné depuis 10 ans.
1ère séance
Je suis venu en France à 8 ans. Ma situation est périlleuse, elle l’a toujours été. Orphelin depuis le berceau, ma mère est morte à ma naissance et mon père est mort de chagrin un an après. J’ai été recueilli par une tante qui avait des enfants illégitimes. Elle a été ma tutrice de manière sournoise, ma vraie tutrice c’était la grand’mère de Martinique.
Mme Loné était la sœur de ma mère, elle a eu des enfants avec un docteur en voiture, M. Soutier. Elle a couché avec plusieurs individus. C’est accessoire, on s’égare du sujet qui est plus fascinant et intéressant que ça.
Je vois en vous une personne gentille, douée de calme, ça devient délicat. J’ai toujours été traité par des internes hommes, je n’ai jamais eu l’occasion d’avoir la présence d’une femme.
Ma tante m’a dit : « Veux-tu venir en France ? » J’ai répondu : « oui ».
Ça me paraît veule. Quand j’ai quitté la grand’mère, elle continuait à m’appeler. Elle est morte à 80 ans.
Du côté de mon père, j’ai la famille Passabé qui n’a rien fait pour moi. Cette tante possède une boulangerie, j’ai toujours été déçu par elle, ça n’a été que de la déveine jusqu’à maintenant. J’ai été
surpris par maintes petites choses qui se sont déroulées, ça entrerait dans le domaine du religieux. Je vais commencer par être franc : tout a commencé en 1957. Je suis natif de la Martinique. Il y avait le problème algérien – ça m’a désorienté, les Arabes voyant mon cerveau ont établi une manchette de politique. Us se sont servis de moi comme étant leur cerveau, ça m’a fait du tort.
A 7 ans, déjà j’entendais des voix. Une voix me poussait à faire du mal. J’ai eu un plaisir sexuel avec une fille de là-bas. J’ai perdu toute jouissance ensuite. C’est après que je suis arrivé à Paris, à l’orphelinat Saint-Gonzague.
2e séance
J’ai été complexe avec vous la dernière fois. Si nous avons d’autres entretiens, je pourrai vous établir les choses plus scientifiquement.
J’ai toujours été seul, car j’étais fils unique. Ma tante je l’appelais maman, je considérais mes cousins comme mes frères. Si ça avait été mes frères, ils auraient été à l’hôpital avec moi. Si j’avais eu une sœur, j’aurais pu la prendre pour confidente. Ma tante, c’est une femme chimérique, elle est autoritaire.
Je suis tombé malade par le problème algérien. J’avais fait la même bêtise qu’eux (plaisir sexuel). Ils m’ont adopté comme frère de race. J’ai le sang mongol. Les Algériens m’ont controversé dans toutes les réalisations. J’ai eu des idées racistes. Des rumeurs ont couru sur moi dans la région parisienne, quand je me suis senti persécuté.
J’étais à mon travail, je suis tombé par terre en pissant dans ma culotte, ça a paru bizarre aux policiers. J’ai été dirigé sur Ville-Evrard, j’étais dans un aspect métaphysique. J’avais le cerveau pas libre. Je ne me sens pas mieux, je ne me suis jamais senti bien. J’ai toujours eu une enfance martyre. Ma tante m’a fait ressentir son mépris. J’ai mené une vie de loup ; j’ai décroché mon certificat d’études. Je m’appelle Payote. Je descends de la dynastie des Gaulois. A ce titre, j’ai valeur de noblesse. J’ai voulu reproduire à la Martinique. A la Martinique, j’ai été recueilli par les Mongols et allaité au sein avec du lait payé, ça m’a permis de vivre.
Quand j’ai vu que ça ne gazait pas, j’ai demandé à interpréter vin chant flamenco. On m’a dit : les artistes, c’est mal vu. C’est pas possible de suivre une carrière d’artiste, ça m’a désorienté. Après, j’ai pris des vices, des vices de fumer. Ici, je ne fais que fumer et dormir. J’aurais voulu vendre mon certificat d’études pour avoir une guitare. Nous possédons des moniteurs qui jouent des instruments, mais je ne me suis jamais intéressé à leur cas, je préfère la solitude.
3e séance
[Intimidé, gêné, Georges dans tout un langage de corps tient à montrer qu’il est ému.]
Ce qui me serait important, c’est que je fasse l’amour avec une femme. Je ne sais pas si vous vous en rendez compte, mais je n’ai jamais pu éloigner de moi les chimères animales. Ce matin, j’ai demandé à voir le chef du pavillon, je voulais qu’il me donne mes habits civils. Je voulais me faire beau pour vous. Je n’ai pas le cœur à parler aujourd’hui dans le costume dans lequel à vous je me présente. Cette tenue de malade est avilissante.
Dernièrement, j’ai envoyé à ma tante une méchante lettre. Elle était sonnée, cette lettre, je lui confiais mes secrets, ça a dû la faire pleurer. Je lui ai dit qu’elle était chimérique, j’ai peur qu’elle me laisse tomber. J’ai déjà pleuré ici plus d’une fois. J’ai toujours rêvé aux harems de femmes. J’aimerais retourner dans mon pays pour des questions de mœurs et d’acclimatation. Un petit garçon comme moi n’a pu s’acclimater aux quatre saisons. Chez nous il n’y en a que deux. Je me sens gêné 'devant vous, je ne veux plus parler.
Je me sens persécuté, je n’ai rien fait de mal et voilà qu’on m’envoie un expert (le psychanalyste). Je veux ma liberté. Avec la révolution actuelle (événements de mai), il faut que les malades suivent. J’ai envie de lézarder dans mon pays. Je cherche l’agrément. Je suis faible en amour, j’ai des complexes qui me défavorisent, il faut éloigner les chimères animales. Le Christ a cependant dit : Croissez et multipliez-vous. Je ne veux pas vous offusquer, ni vous gêner, mais quand on est natif d’un pays comme le mien, les coutumes c’est la procréation. Mon oncle courait après les femmes. Il est mort ruiné avec quarante enfants à sa charge. Nous avons donc un chef caraïbe. Si dans mon rhésus il y a une origine arabe, c’est pas une honte d’être nord-africain.
5e séance : entrevue avec la tante et son mari.
Chez nous, me dit la tante, la maladie psychiatrique c’est considéré comme une tare. Georges n’a jamais pu s’adapter au travail. Autrefois il chantait, il a eu l’impression ensuite qu’on lui refusait de le laisser chanter. Il avait bien démarré en dessin industriel, il est tombé malade à 19 ans, en troisième année.
Les gens n’en reviennent pas de sa maladie. C’était un boute-en-train, un gosse épatant, aimé de tous. Il a eu une crise de rhumatisme articulaire, on l’a traité à la cortisone. De ce jour, il est devenu « plus nerveux. Il attrape un souffle au cœur. Un soir il rentre en sueur, il avait été attaqué par des Nord-Africains. Quelques jours après, il a un malaise à son travail. On le met à l’hôpital aux agités. C’est ça le début du scandale. Il n’a pas compris ce qui lui arrivait. Nous, on a voulu le délivrer, mais on nous a fait peur en nous disant : vous voulez donc qu’il étrangle vos enfants ? C’est un choc pubertaire qu’ils ont dit les docteurs ; sa sortie il l’aura quand ce choc se sera arrangé. Sa sortie il l’a eue, mais il est devenu bizarre, il voulait des relations sexuelles avec moi et mon mari, on l’a donc reconduit à l’hôpital, là les docteurs ont dit que c’était de la schizophrénie catatonique.
, Tous les hommes de la famille sont morts, ils sont tous cardiaques. Je me suis occupée de Georges à sa naissance avec ma mère. Elle aurait bien voulu le garder, mais son oncle a dit : il faut qu’il parte s’instruire en France. A 7 ans, je me suis donc embarquée avec lui. Il a 14 ans quand je me marie. Jusqu’à 14 ans, il était réputé pour sa politesse, une politesse de fille, il était vraiment merveilleux. C’est le meilleur de tous mes enfants. Sa maladie nous a sidérés. Un malade du pavillon m’a dit : sa maladie c’est sa peur de l’homosexualité, il a été attiré par des hommes et s’est senti persécuté après. Il a peut-être raison ce malade, forcément, il est mieux placé qu’un docteur pour comprendre la maladie.
6e séance
[Georges m’en veut d’avoir vu sa tante. Il a des maux de tête, des nausées et refuse l’entretien.]
7e séance
Cela a été une semaine chargée dans cet hôpital de fous. Tout le monde a peur. Dans mon pavillon il y en a qui pleurent, ils ne sont pas en sécurité, d’autres voudraient se marier. Mon cas est de pouvoir sortir. Je ne m’entends pas avec l’interne, il m’envoie en l’air au lieu de me cajoler. Ma réadaptation sera difficile. Quand j’entends les parents discuter, je me rends compte que les choses de famille m’empêchent de vivre. Ma tante dit non tout le temps. J’irai la voir par surprise, je casserai tout et puis je reviendrai. Je suis brimé et je vis dans un monde de gens aigris. Je ne peux prendre goût à la réadaptation. Il faudrait que l’on m’achète une guitare spéciale, car je suis gaucher. J’ai besoin d’une femme imprésario qui serait une mère pour moi. Ma mère était musicienne, c’est d’elle que j’hérite. J’ai un nom, mais pas d’argent. Je suis un malade mental. C’tsl ma maladie, puisque c’est la vérité de ce que je ressens. Je suis un épileptique mental avec traumatisme crânien. Les fous sont les êtres les plus recherchés du monde.
8e séance
Quand un malade a été sauvagement mis à l’hôpital sans raison valable, il se trouve perdu. On m’offre l’ergothérapie, c’est indécent. Si je voulais travailler, je serais dehors. Je vis comme un sinistré.
Pour quelle raison tu ne referais pas ta vie ? ça c’est l’autre option. Si je pouvais trouver quelqu’un qui m’aiderait ça irait.
Vous ne pouvez me comprendre, car vous êtes une femme. Le dessin industriel, ça a été un échec. Ce qui me plaisait, c’était chanteur. Mais ma tante ne voulait pas d’un chanteur. Dans le chant, je suis exemplaire. J’ai entendu il y a pas longtemps la complainte des marins. Je me suis mis à pleurer. Un homme qui pleure à 30 ans, ça montre qu’il est touché. Je suis un garçon délicat à comprendre.
9e séance
J’ai toujours été considéré comme le Christ.
Je suis innocent. Je vous en prie, ne cherchez pas plus avant les raisons de mon internement. Innocent je le suis, je vous le jure. Pourquoi êtes-vous envoyée par la police des mœurs ? Qu’ai-je fait mon Dieu, pour attirer sur moi une expertise ? S’il faut être suivi dans ses actes, c’est la vie individuelle que l’on supprime. Entendez-moi, Madame, entendez mon chagrin, entendez ma colère. Je suis un handicapé, un rejeté, un orphelin. J’ai été traité comme un Dieu et puis traité comme une ordure. J’ai toujours mené une vie de jeune fille, oubliant que j’étais garçon. J’ai perdu la jouissance depuis l’âge de 7 ans, quelqu’un d’autre (la jeune fille) s’est emparé de la jouissance de mon sexe. Ce que j’aurais voulu connaître, c’est le bonheur. J’ai toujours été attaqué, jugé, désigné, piétiné. Laissons là l’entretien. Madame, je suis innocent, je vous le jure.
10e séance
N’avez-vous pas remarqué qu’à l’asile on a une attitude spéciale, commandée par l’asile ? L’asile a son langage, ses coutumes. Mon « histoire à 7 ans, ça n’aurait été rien, s’il n’y avait eu ma tante. Le plaisir sexuel avec Annette Lictorius, je l’ai eu, puis ma jouissance a été enlevée par ma tante. J’ai eu peur d’elle. Après ma jouissance, j’ai perdu ma beauté, j’ai perdu mon nez négroïde. Je suis rentré à la maison complètement fou. J’ai eu peur en chemin d’être lynché par les Noirs. Arrivé hébété à la maison, je retrouve mes cousins blancs. L’idée de jeu interdit me traverse l’esprit, et je me répète pour me calmer : je ne t’aime pas, je ne t’aime pas. Cette chose, c’est arrivé une fois. Après, je n’ai connu que des souffrances et une dette à payer toute une vie. Dieu que vous êtes belle, Madame. J’emporte votre sourire dans mon cœur. Vous êtes là dans l’innocence même, vous êtes là dans l’inconscience même du danger qui vous guette. Ah ! Madame, vous et moi comme on pourrait bien se comprendre si on était de la même peau, si on était un. Ah ! Madame, que je voudrais ne pas perdre votre image. Ah ! Madame, j’ai peur, bien peur que l’on me vole votre image. Vous et moi nous sommes des tabous. Vous et moi on, est l’appât, la nourriture.
11e séance.
Le parloir, j’en ai assez. Je suis un garçon de couleur, je ne vois pas pourquoi je n’aurais pas droit à ma part. On se fiche de ma figure. La France devrait aider la Martinique. Les soignants ont des visées courtes, ils ne pensent qu’à guérir. Et si ça ne convient pas à la personne ?
Je ne suis ni voleur, ni assassin. Je n’ai pas l’étiquette d’une femme. Je risque de finir ma vie ici. Une fille m’a sali, m’a laissé tomber. Tous mes malheurs viennent d’elle. Jè vis comme un moribond. On m’a volé ma jouissance. Je suis un indésirable. L’acte sexuel me poursuit. Un Blanc m’a frappé, j’ai besoin de dire non. Madame, je ne veux plus vous voir, je vous le dis poliment, calmement, ne me provoquez pas. Je sais que vous devinez mes pensées. Cette connaissance m’est venue comme un éclair. Madame, disparaissez.
12e séance.
Ainsi de vous parler poliment, ça ne sert à rien. Vous m’appelez, vous me poursuivez, vous me harcelez. De quel droit ? Pourquoi sommes-nous tous pour vous, des chiens de policiers ? C’est pas un hôpital ici. C’est une prison. Vous donnez des avis de soignants. Écoutez donc les avis des soignés. Il y a des choses ici qui devraient être abolies. On est à trente dans une chambrée pour dix. On nous impose des conditions de vie avilissantes. On nous met eh danger. Quand on abuse de moi, je cogne. Ce que je demande, c’est qu’on me laisse tranquille. Je ne veux plus vous voir.
13e séance.
[A eu des passages à l’acte agressifs avec des malades du pavillon.]
On me fait de la cruauté mentale que j’accumule. Ma tante est jalouse de moi, elle collabore à mes malheurs. L’homme, c’est le couillon de la femme. C’est avant ma naissance que mon sort s’est réglé. Je suis devant vous dans une tenue de prisonnier, sans, argent, je ne puis même pas vous offrir une rose. Je suis démuni. Je ne veux pas de votre charité. Je réclame qu’on me rende justice. Je réclame qu’on me rende ma dignité. A quoi sert ce parloir, sinon à votre plaisir propre ? Vous m’ôtefc ma jouissance et vous me rejetez comme un chien.
14e séance.
[Vient furieux et s’attaque aux meubles.]
Je ne veux plus être inventorié par vous. J’exige que vous fassiez quelque chose pour moi.
[Un long silence.]
Madame, excusez ma colère. Vous êtes bonne, belle, frêle comme un roseau et moi, je suis rien, je suis l’ordure, l’orphelin piétiné, bafoué, volé, meurtri. Ahl Madame, si vous saviez… ne me revoyez plus.
15e séance.
J’ai rompu avec ma tante. J’ai à m’exclure de son amour. Mon nom est d’origine corse. Votre nom c’est Mannoni, on est fait pour se rencontrer. Qu’on fasse sauter mon nom, corse je serai avec an harem de femmes. Qu’on détermine mon nom, qu’on le détermine scientifiquement et je pourrai ensuite établir un harem.
16e séance.
Vous me faites chier, vous me faites suer, vous êtes une ordure, une salope, un chien de policier, vous êtes une putain, une voleuse de putain, une voleuse de putain de chien de policier. Qu’est-ce que vous voulez que je fasse avec réchauffement de ma verge ? Ordure, triple ordure, de votre parloir je n’en veux plus. Vous cherchez donc le massacre ? Je n’en peux plus vous m’entendez ? Est-ce que vous m’entendez, petite connasse ? Qu’est-ce qu’il faut donc faire pour être entendu ?
B. Commentaire
Ce texte est le témoignage apporté par Georges sur son état. Georges incarne la vérité d’une douleur, mais demeure impuissant à en restituer le sens, comme si cette douleur ne pouvait être partagée avec le discours des autres. Je souhaiterais maintenir l’ouverture du récit, restituer la dynamique d’une situation plutôt que d’en risquer la réduction par l’analyse d’un discours coupé de son contexte.
Mes entretiens avec Georges se sont échelonné de mai 1968 à octobre. Us ont été coupés par les « événements de mai », événements auxquels Georges n’a pas participé. Il a été uniquement sensibilisé par l’aspect négatif de la situation (grève des soignants, répression gouvernementale à l’égard des étrangers en juin). Je l’ai rencontré à cette époque, errant dans le parc, trop préoccupé par sa tante pour pouvoir, me disait-il, s’intéresser à la révolution. Il n’en a retenu ultérieurement que les effets d“apartheid”, il était inquiet à l’idée d’être victime d’une politique raciste, inquiet à l’idée que son nom pouvait être livré par le médecin chef à la police.
Le départ de nos entretiens a correspondu ainsi avec une perturbation dans le cadre institutionnel, perturbation qui provoqua des états de panique chez les patients. Ces derniers ne participant que de loin aux mouvements de grève des soignants, la « libéralisation » des soignants a eu son corollaire « d’effets concentrationnaires » redoublés chez les soignés, au point que l’un d’eux *e fit un jour cette remarque : « Tant mieux que les soignants se libèrent, mais pourquoi oublient-ils les soignés ? » Le risque d’éclatement de l’institution asilaire a été perçu par les soignés avec une angoisse persécutive, dans laquelle était présente la crainte d’abandon et de rejet.
D’avoir été investie comme expert par Georges, marque le caractère d’intrusion conféré à ma démarche, démarche qui participait des craintes qu’il nourrissait alors à l’égard des poursuites exercées par le gouvernement contre les étrangers.
Dès l’instant où je désirais voir Georges, il risquait – selon la logique de son délire interprétatif – d’être épinglé par moi comme indésirable. En demandant à voir la tante de Georges (contre le vœu profond de ce dernier), j’ajoutai un maillon supplémentaire à la trame persécutrice qui se tissait autour de lui.
En collusion avec l’autorité policière, je me trouvais également en collusion avec la famille. Je-cherchais, à ses yeux, à percer le secret de sa détention (c’est-à-dire les menaces d’agression sexuelle dont l’oncle et la tante furent l’objet).
Le couple de l’oncle et de la tante renvoyait Georges, dans une vision en miroir, à une situation de scène primitive, situation fantasmatique dans laquelle Georges restait comme suspendu, fasciné, pour s’en arracher ensuite à travers la violence née d’une angoisse sur-moïque terrifiante.
Sa relation à moi, comme sa relation au couple des parents, était marquée par le surgissement de ce fantasme originaire, fantasme qui signait son impossible identification primaire (impossible identification à cause d’une forclusion initiale du signifiant du père). Les personnages œdipiens sont en place, mais dans le jeu des permutations qui s’effectue, il y a comme une place vide Cette place demeure énigmatique, ouverte à l’angoisse que suscite le désir. Ce qui apparaît comme rejeté, c’est tout ce qui a trait au phallus et au Père. Ce vide qui se double d’une insatisfaction sexuelle prend à certains moments le relief d’un appel, appel qui s’écrase dans une scène (« sa » scène) de destruction.
Dans sa quête autour du vide du père, Georges oscille entre l’identification narcissique et des images de scène primitive. La situation traumatique, il la lie à son état d’orphelin. (C’est à partir du vide du père, à partit d’un nom qu’il souhaite « se voir déterminer scientifiquement » qu’il crée sur le plan imaginaire une relation délirante. Ce qu’il recherche c’est l’accès, qui lui est rendu impossible, à une vérité symbolique.)
C’est à la troisième séance que Georges met en place le cadre dans lequel nos rapports vont être appelés à se figer. Il pose une image idéalement belle, image captivante dans laquelle il se jette mais se perd comme sujet, se trouvant dès lors exclu, rejeté de son être. La trame d’une tension agressive s’installe, laissant Georges condamné à osciller sans cesse entre deux exclusions, la sienne ou la mienne. Il n’y a pas de tiers fonctionnant entre lui et moi. Aucun ordre ne peut être introduit, la seule loi est celle d’une menace de dévoration anthropophagique, nous sommes, chacun pour l’autre, ce reste de nourriture voué à être mangé.
Chaque fois que Georges essaye de se saisir comme désirant, il est renvoyé à une forme de dissolution d’identités. Il est un autre, captivé par une image maternelle (narcissique et rivale), et sa masculinité ne peut être soutenue que de cette façon-là.
Le cadre de nos entretiens se situait dans un rituel d’appel. Si les autres malades venaient au rendez-vous fixé, Georges, lui, me mettait en situation de l’appeler à son pavillon. Là, ma demande se trouvait à lui transmise par l’interne ou l’infirmier, et la réponse favorable de Georges dépendait en grande partie de la courtoisie avec laquelle l’infirmier lui transmettait le message. Tout un jeu téléphonique s’instaurait ainsi, jeu au cours duquel ma demande se trouvait transformée par Georges en appel désespéré ; ceci lui permettait de surmonter son agressivité et d’accourir auprès de moi « qui avais à ce point besoin de lui ». La relation ainsi instaurée était une relation érotique. Les choses se gâtèrent le jour où je fus amenée à voir un autre malade de son pavillon. Georges dès lors « choisit » des clients qu’il m’adressait à sa place… Tout ceci n’apparaît guère dans le discours tenu dans le cabinet de l’analyste, mais constitue néanmoins la toile de fond de ce discours. Un autre point qui me semble important, c’est mon propre transfert maternel sur Georges. Je le supportais trop bien lorsqu’il était insupportable (violent). Or, le rituel asilaire exige que le soignant ait peur des menaces proférées par les malades (le seul enjeu qui leur reste est de pouvoir jouer les terreurs et de forcer par là une forme de respect). Bref, c’est mon appel qui mettait Georges en danger (il en avait été de même dans le passé lorsque l’un ou l’autre infirmier ou interne s’était intéressé à lui).
A 1 ’ appel, Georges ne peut répondre ; c’est à ce moment-là que quelque chose se produit au niveau de l’autre imaginaire, une sorte de foisonnement imaginaire surgit pour combler le vide dans lequel il risque de se trouver happé.
Sa vie, Georges l’a organisée autour d’un dommage subi sur le plan imaginaire. Sa revendication constitue en tant que telle un noyau d’inertie dialectique.
Voici le cadre dans lequel Georges se situe :
1. C’est un orphelin sinistré.
2. Sa tante est une tutrice sournoise.
j. Georges ne parle jamais de son oncle qui est blanc, ni des enfants blancs que sa tante a eus avec cet oncle quand lui-même avait 14 ans.
Ce thème (d’un dommage subi) revient dans le système délirant lorsque Georges évoque une situation de scène primitive ; après des rapports sexuels, il perd sa jouissance, son nez négroïde ; menacé par des Noirs, il retrouve ses cousins blancs et se dit « je ne t’aime pas » (le grand absent est ici l’oncle). Cette chose, ajoute-t-il, est arrivée une fois (comme la scène primitive d’où il est né) après j’ai eu une dette à payer toute ma vie. (Le problème de la mort réelle du père n’a pas été investi par Georges à un niveau symbolique – le problème de la dette, ce n’est pas à ce niveau qu’il le vit.)
4. Dans la situation transférentielle, je prends (comme nous l’avons vu plus haut) le relais de la tante (image fantasmatique captivante). Le thème je ne t’aime pas (adressé à un homme) revient sous forme de plainte persécutive (un Blanc m’a frappé).
5. Nous avons vu par ailleurs la demande de Georges qu’un nom lui soit déterminé – et à un autre niveau son identification au Christ.
D’une façon assez exemplaire, nous avons posé ici la façon dont Georges « ne veut rien connaître de la menace de castration, au sens du refoulé 1 ». Tout ce qui touche à la castration a été par
Georges exclu de l’ordre symbolique, reparaissant dans le réel (sous forme de la perte de son nez négroïde, etc.*). Ce qui est refusé par lui reparaît dans le réel sous forme hallucinatoire.
C’est autour du vide symbolique que s’ordonne la quête fusionnelle d’amour de Georges. Dans cette quête il cherche un objet identique à lui-même (il faudrait qu’on soit de la même peau, dit-il). Tout en refusant l’homosexualité, il se trouve par rapport au sexe dans une position de contradiction radicale.
Il demeure piégé dans une position imaginaire dans laquelle il se trouve captivé par l’imago maternelle ; c’est de ce lieu qu’il se situe dans le triangle œdipien, ce qui implique un processus d’identification impossible, impliquant toujours sur le mode d’une pure dialectique imaginaire la destruction de l’un ou de l’autre partenaire (avec lequel il se trouve suspendu dans le miroir).
C’est à l’âge de 14 ans (à propos du mariage de la tante avec un Blanc) que s’est posée pour la première fois pour Georges la question demeurée sans réponse : qu’est-ce qu’être père ? (Ce sont les enfants blancs de cette union-là qui ont pris de l’importance pour Georges ; les enfants noirs de l’union précédente n’ayant eu aucune existence pour lui). Et la connexion s’est faite à ce moment-là entre l’idée de paternité et l’idée du doute (14 ans marque la date où prend fin une conduite exemplaire et où débutent les reproches de mauvaise conduite formulés à l’égard de îa tante).
Ce n’est évidemment pas le mariage ni la grossesse de la tante qui ont eu quelque relation avec le déclenchement ultérieur de la psychose – mais l’entrée de Georges dans la psychose ne peut être comprise qu’à travers l’étude de sa rencontre avec le signifiant comme tel 72
a. Jacques Lacan, Séminaire du 4 juillet 1956 (inédit) : « L’entrée dans la psychose c’est la rencontre du sujet dans des conditions électives avec le signifiant comme tel. »72.
La référence au père est ce qui chez Georges doit rester dans un vide, il met à la place l’idée de procréation, son identification au Christ, mais il lui est interdit d’arriver à l’assomption du désir en se situant à l’intérieur d’un signifiant (père, phallus). C’est alors qu’il met en jeu ce que Lacan a décrit du nom de « cataclysme imaginaire » et ce sont tout aussi bien ses revendications que sa violence ou sa tentative de se reconstruire un autre monde.
Le problème qui reste entier est celui des interférences médicales et asilaires sur l’état de Georges. Sa « maladie » ne fut, après tout, au départ qu’un banal évanouissement qui le fit transporter à l’hôpital général. Là, il eut le tort de s’énerver et se retrouva aux agités, sans que personne puisse dire exactement pourquoi. La psychiatrisation de son cas, c’est là qu’elle commença. Il fut étiqueté schizophrène catatonique ; son discours, après dix ans d’internement, ressemble étrangement à celui du paranoïaque.
Inadapté au travail ? Oui, il l’est, il en convient volontiers, mais c’est aussi sa vérité, la vérité de ce qu’il ressent, c’est ça que les psychiatres appellent du nom de « maladie mentale ».
Georges pose en clair la question de savoir si son état justifie un emprisonnement à vie. Cette question, nous la faisons nôtre.
La réalité asilaire ne facilite en rien l’établissement de rapports « normaux ». Dès l’instant où Georges m’a épinglée comme femme, il à reçu en retour un éclairage sur sa pauvreté, sa déchéance, sa misère morale et matérielle, sa négritude. Il a eu l’impression qu’on allait lui ôter ce qui lui restait comme défenses et a demandé que justice lui soit rendue.
Georges m’a signifié que l’ambiguïté de mon statut le mettait en danger et réveillait ce qu’il définit lui-même comme étant de nature persécutive. Sa condition de colonisé excluait toute possibilité de contrat et donc toute possibilité, d’entrée dans l’institution psychanalytique. C’est le droit à la révolte que Georges revendiqua, c’est là qu’il laisse échapper un dire de vérité73
Le psychotique en écartant les opinions convenues pose le problème de la vérité pour tous, qui nous effraye comme le risque que nous avons toujours essayé de nous masquer.73 et qu’il nous renvoie à un problème éthique ainsi qu’aux effets produits par l'aliénation sociale sur l’aliénation mentale. Que ce problème ait été posé à propos d’un Noir n’est certes pas indifférent.
5. Le « schizophrène » entre sa famille et l’asile
J’entre à l’atelier du fer et regarde Joe s’occuper de sa machine. Il se propose de perforer quatre trous, ça ne sert à rien, c’est fait pour ne pas servir. Personne d’autre que lui n’est capable de réaliser ce chef-d’œuvre-là. Joe prend à témoin un malade et en fait son aide, un aide qui ne doit toucher à rien. Il lui montre la fragilité de la machine, elle risque de se scinder en deux, il suffit de pas grand-chose, un mauvais déclic et la masse risque de s’effondrer entraînant l’homme sous son poids. Pour faire des trous, il faut huiler l’aiguille, la nourrir. Cette rencontre de l’aiguille avec la matière, c’est pas rien. Cette matière est belle, elle est friable, il ne faut pas la maltraiter. C’est comme une opération, tout doit se dérouler avec minutie, au moment prévu, sans geste brusque. Avec passion, Joe crée l’objet idéalement bon (dans une perspective de toute-puissance : moi, je peux, moi, je ferai) ; ceci lui permet de lutter contre l’autodestruction là toute proche, induite par l’exigence d’un sur-moi intraitable (ne fais pas, tu ne peux pas). Joe ne voit ni n’entend ce qui autour de lui se passe, il est tout à son affaire. Survient Doudou, un peu jaloux du cérémonial institué, cérémonial qui fait de Joe le véritable maître du lieu. Ça fait beaucoup de monde autour de cette machine et le moniteur Rudolf arrive. Doudou est là comme un paquet gênant, il va donc le renvoyer à ses propres affaires.
— Tu ne fais rien, Doudou, va travailler…
C’est l’étincelle et le spectacle.
Doudou ulcéré dans son orgueil de mâle va interpeller le moniteur dans sa virilité et prendre à témoin la terre entière de ce qui l’a toujours réduit, lui, Doudou, à l’état de victime. Il y a là comme un honneur à venger face à la femme que je suis. Il me prendra donc à témoin de ce que l’hôpital lui fait, en la personne du moniteur. C’est un affreux, il tient à le faire savoir. L’affreux en effet, il y en a toujours un, mais c’est surtout pas lui. Moi, confuse, je ne sais trop où me mettre et n’entre pas vraiment dans le jeu. Je dis à Doudou que de développer tout ça lui permet de ne pas travailler. J’ajoute qu’il s’est enflammé à l’instant précis où le moniteur lui a fait une remarque. Joe intervient, l’œil sur sa machine il dit :
— Doudou voyons, ne t’échauffe pas comme ça, t’as mangé du lion Doudou, on te veut pas de mal, calme-toi voyons.
Paroles probablement plus justes que les miennes, Doudou retourne à sa machine, mais je demeure là, témoin de ce qu’il a subi, ça lui reste sur le cœur. A cette dame en visite, il faut lui donner de la représentation. Doudou reprend ses invectives ; un autre malade vaquant à ses affaires, ne supporte visiblement plus la tension et s’en va. A son retour, je m’éclipse, consciente du spectacle un instant créé pour mon regard et mes oreilles. Je parcours les autres ateliers – rien de bien spécial, je m’arrête à l’atelier du bois et m’intéresse au travail d’un des malades. Il est n h jo, l’heure de la soupe. Survient le surveillant, il me désigne :
— Eh bien, voilà du beau travail, tout est eo révolution – eh bien c’est du propre.
Le moniteur Rudolf, l’air un peu las, découragé, s’amène et dit qu’il n’en peut plus. Les malades d’aujourd’hui ne sont pas comme ceux d’hier, l’ambiance n’est plus la même, on n’est pas gentil avec lui.
Je commence à expliquer l’incident de l’atelier, le départ, cette remarque faite devant un tiers.
— Mais non, enchaîne le surveillant, c’est chaque fois comme ça quand il y a un visiteur.
Est-ce une invite à ne plus remettre les pieds à l’atelier ? C’est la question que je me pose. A ce moment très précis, arrive Doudou dégrisé, très au fait de ce qui devait être en question :
— C’est pas la faute à la dame, mais non, mais non, et puis Monsieur Rudolf, il y a pas meilleur moniteur que lui… Allons, allons, a-t-il l’air de dire, vous allez quand même pas vous disputer, Exit Doudou.
Je m’en vais seule avec M. Rudolf : c’est pas une vie, huit heures
par jour avec des ouvriers qui ne font rien. Mon meilleur ouvrier, il fabrique du rien. Pourquoi suis-je payé ? Il n’y a pas de rendement et il faut du rendement puisqu’on est devenu une association.
Je lui fais remarquer que le rendement, c’est justement ce que les médecins ne lui demandent pas. J’enchaîne sur l’intérêt « thérapeutique » pour Joe de faire ce qu’il fait et Doudou, mon dieu, n’est pas méchant, c’est un délirant. Il n’y a personne de visé dans tout ça…
— La nouvelle psychiatrie, c’est pas comme l’ancienne, dit Rudolf, dans la nouvelle on paye de sa personne.
Ce qui lui manque ce sont des repères pour comprendre sa fonction, sa fonction dans ce cirque où le malade l’entraîne. On se dispute, l’ambiance n’est pas bonne. Au fond à quoi ça sert de penser, trop penser ça donne des ennuis.
— Tenez, Roger, il est heureux lui, un bout de pain, du soleil il est content.
— Oui, mais Roger est interné, c’est tout de même un bonheur limité.
— C’est vrai. Le moniteur en convient.
Dans cette vie avec le malade, l’adulte est exposé sur le plan de l’identification. M. Rudolf ne souhaite pas devenir délirant, mais le schizophrène heureux, qui sait, n’est-ce pas là quelque état fait pour le tenter ? C’est vrai, moniteur il l’est, mais qu’est-ce que ça veut dire ? La demande ou plainte formulée à mon endroit, n’est-elle pas une façon de pouvoir lui aussi occuper cette place privilégiée qu’est celle du malade (place vue comme telle quand on n’y est pas) ?
En fait, « il n’y en a que pour les malades », eux, les moniteurs que deviennent-ils dans tout ça ?
Comment vivre dans le système hospitalier sans y laisser sa peau ? est la question directe qui m’est posée.
Cette question n’est-elle pas le problème de chacun de nous, dès qu’il se risque à se laisser interpeller par la folie ?
Edmond, 29' ans, est à Ville-Evrard depuis sept ans. Entré en plein raptus schizophrénique, il s’est depuis « stabilisé » (c’est un « hébéphrène aménagé »). Grand, mince, le regard triste, il m’explique que lorsqu’on entre à l’hôpital psychiatrique, on y reste. Les « sortants » sont des « faux malades » (les alcooliques), le reste c’est des incurables et des malades de naissance. Il y a aussi les « impotents » – Dans quelle catégorie le classer, est la question qu’il me pose – et puis, à quoi bon ? Le mal est fait.
Quel mal ?
Celui de s’être laissé vivre à l’hôpital pendant sept ans. On ne se remet guère de s’être adapté à la résignation. La « guérison », c’est ça. Mais le travail, ça suppose qu’on se désire travaillant. « Travailler sans travailler, désirer sans désirer », voilà mon problème, me dit-il. Il ne peut aller plus loin, il ne faut surtout pas qu’il se mette à penser, de solution il n’en voit guère.
Si la tête et les mains se mettent en action, les parties sexuelles risquent de se fatiguer. D’ailleurs, où sont ses mains, ses pieds ? Il sent que ça flageole, que ça risque de se couper. Sa moelle épinière est toute mollasse. Il n’a pas de réflexe. C’est un corps dissocié qu’il offre à mon regard, me pointant là le désarroi né de sa rencontre avec ce corps vécu comme divisé. Désarroi, si ce corps devait se saisir comme désir. C’est donc hors du temps, hors de toute saisie de l’espace, qu’Edmond va choisir de demeurer, c’est là qu’il se trouve à l’abri des mots, les siens et ceux des autres. Ce qui lui arrive, on le lui avait prédit depuis toujours.
« Tu es fort et bête, tu seras manœuvre », lui répétait son père.
— Même manœuvre, je ne peux pas, me dit Edmond.
Par la maladie, il croit ainsi échapper à l’oracle paternel. L’asile devient refuge, lieu où l’on veut aller et que l’on désire quitter tout à la fois.
— Ça rapporte, la maladie, il suffit d’attendre assez longtemps…
Ces mots sont dits sans grande conviction, ça lui échappe. Un
seul refrain tourne dans sa tête « travailler sans travailler, désirer sans désirer », et puis brusquement, il se met à courir pour échapper à un ordre. Une voix lui dit : « redresse-toi, vite, plus vite ». Cette voix, c’est celle de son père, ce sont ces mêmes ordres qui au régiment l’avaient figé en une statue de pierre.
— Je fus alors réformé pour dépression sexuelle, me dit Edmond rêveur.
Résigné, Edmond erre, tel un automate. Le seul appel à l’aide se lit dans la tristesse de son regard. Avec les mots, il n’y a rien à faire, Edmond n’a pas de mots à sa disposition, du moins pas ceux qui lui permettraient de dire ce qu’il sent. Il n’est plus qu’un pantin désarticulé, obéissant mécaniquement aux commandements devenus les seules lois de sa parole.
« Vissé et engueulé », c’est en ces termes que son éducation peut être résumée. La famille le rejette ; il faut préserver la plus jeune sœur de son influence morbide. Edmond est « le » malade de la famille, comme tel, il se doit de demeurer exclu.
Face à un monde ressenti comme hostile, c’est bien avant son internement qu’Edmond avait commencé à abandonner la lutte, se retirant comme sujet de sa parole. Les paroles dont il se sert, sont les mots des autres, exprimant les idées des autres, il ne s’en sent nullement propriétaire. Dans ses plaintes et sa résignation, il donne à voir et à connaître de sa folie, sans arriver pourtant à reconnaître ce qui de lui parle là. Une vérité le traverse, Edmond y demeure étranger. Sa solitude et sa détresse, si elle nous interpelle, c’est bien parce que c’est de la nôtre qu’il s’agit.
Du lieu de son exil, n’est-il pas le témoin de notre échec à nous faire entendre ? Et toute parole ne renvoie-t-elle pas toujours à cette autre parole que nous taisons, constitutive, elle, de notre isolement ?
Martin, 27 ans (« hébéphrène », devenu « catatonique », lors dê son internement à 16 ans), est l’écho à l’état pur. Il dessine sans se lasser des têtes de femmes aux dents énormes. La mère lé dévore des yeux.
— Il appartient à sa mère, me dit le père.
— Il n’a jamais été comme les autres, ajoute la mère.
— On ne l’a jamais laissé être comme les autres, corrige le père. A 14 ans, sa mère l’accompagnait malgré lui à l’école pour le protéger des méchants. Martin se sentait ridicule, il protestait, mais elle n’entendait jamais ce qu’il disait.
— Il parlait peu, reprend la mère.
— Il n’avait pas la place de parler, réplique le père, tu causes tout le temps.
Indifférente, superbe, la mère surplombe le mari qui, écrasé, apparaît comme en retrait. Les mots des autres ne l’atteignent pas. Elle suit une idée.
— C’était normal de le conduire à l’école à 14 ans passés.
Et de reprendre ses griefs : son Martin parlait peu, il avait besoin
de sa protection.
Un jour cependant, las de ne pouvoir se faire entendre, Martin s’est mis à casser des assiettes et à menacer sa mère. Après l’appel de Police Secours, ce fut l’asile à 16 ans. Martin renonce définitivement à toute parole, puisque l’effort pour modifier l’entourage avec les mots s’est avéré vain.
Il s’est aussi retiré de son corpsf « Il fait sous lui », murmure la mère. Recroquevillé sur lui, quasi en position fœtale, Martin dessine des bouches de femmes…
C’est dans la négation de toute agressivité intérieure que Martin s’est installé, reniant tout ce qui de lui pourrait exister comme frayeur et comme haine. Le monde extérieur est, lui aussi, repoussé. Martin a par moments l’apparence d’un grand poupon baigneur aux ongles démesurément longs et noirs, aux doigts jaunes de trop fumer. L’œil malicieux, il attend que le temps passe, indifférent à tout. Que la mère apparaisse, il cherche à mêler ses jambes aux siennes, blotti sur elle, il lui offre en jouissance son corps. « Ce que je te mangerais, combien je t’aime mon petit… » Martin est invité dans le réel à remplir le vide imaginaire de la mère. Dans la situation ainsi créée, il ne peut être un sujet qui parle. C’est dans son droit d’être là (en tant que sujet autonome) que Martin très jeune a été atteint. Son corps scindé en parties « qui ne se reconnaissaient pas » est venu précocement témoigner de l’étran-geté de son être.
— Martin est un grand enfant, dit-on volontiers.
Gardons-nous de situer ses troubles dans un cadre dit de régression. C’est bien autre chose qui est ici en jeu. Martin, au cours de son histoire, s’est progressivement construit un univers d’invulnérabilité 74
Cf. B. Bettelheim, la Forteresse vide, Gallimard, 1969. D. W. Winnicott, Congrès sur les psychoses, Paris, 21 octobre 1967, n° spécial Recherches, décembre 1968,74 qui a atteint gravement la mère. L’éclat de violence du fils et son internement ont permis le renversement d’une situation : la mère est désormais assurée à jamais de la soumission de son enfant.
Pouvoirs publics et police ont fait à leur insu, et comme il fallait s’y attendre, le jeu de la famille, et c’est bien dans une perspective répressive (pour le fils) que les « soins » sont venus prendre place, sanctiônnant la révolte de Martin. Cette révolte, rappelons-le, est survenue à l’acmé d’une crise où, par la parole, l’adolescent avait échoué à se faire entendre. Restait la violence. Fallait-il l’interpréter comme un acte meurtrier-suicidaire, ou bien était-ce là un essai pour se faire reconnaître séparé de l’Autre ? Martin n’a pas eu d’autre choix qu’entre une totale dépendance : (et l’abandon de toute liberté) et l’explosion de violence amenant son « rejet » de la famille et sa « récupération digestive » par l’hôpital. Il est allé y occuper une place, celle justement qu’il aurait voulu quitter au moment de sa révolte 75
David Cooper dans son livfe Psychiatrie et Anti-Psychiatrie, éd. du Seuil, *970, fait les remarques suivantes, à propos de cas analogues : « Nous pouvons mettre cela dans les termes suggérés par Claude Lévi-Strauss in Tristes Tropiques (195 5). Il y a des sociétés qui avalent les gens, c’est-à-dire des sociétés d’anthropophages et des sociétés qui vomissent les gens – des sociétés anthro-poémiques. On voit donc une transition d’tfn côté entre la façon dont au Moyen Age la personne de l’enfant était avalée dans la communauté, un mode d’acceptation assimilante qui se rattachait au cannibalisme rituel qui est celui des sociétés primitives, dans lequel le rituel permet aux gens d’accepter l’inacceptable – en particulier la mort – une transition de l’autre côté, la société moderne anthropoémique qui rejette d’elle-même tous ceux qu’elle ne peut pas amener à accepter les règles ingénieusement inventées de son jeu. Sur cette base cette société exclut les faits, les théories, les attitudes et les gens – gens de la classe qui ne convient pas, de la race qui ne convient pas, de l’école que ne convient pas, de la famille qui ne convient pas, de la sexualité qui ne convient pas, de la mentalité qui ne convient pas. Dans l’hôpital psychiatrique traditionnel d’aujourd’hui, malgré la proclamation du progrès, malgré le progrès dont elle se vante, la société gagne des deux côtés dans les deux mondes. La personne qui est « vomie » de sa famille, de la société, est « avalée » par l’hôpital et alors digérée et métabolisée hors de son existence de personne identifiable. Ceci je pense doit être considéré comme violence. »75.
L’hôpital n’offre guère d’autre choix que s’y incruster comme malade chronique, à l’abri du monde extérieur, ou retourner au néant familial, enfer que le patient a justement cherché à fuir, désignant dans sa révolte le désordre dont il était victime dès sa prime enfance ou son adolescence.
La « normalité » de certaines anamnèses correspond à une période de satisfaction pour la famille : le malade agissait et s’exprimait dans une perspective qui était celle des parents. C’est au moment où il a cherché à quitter la place d’objet pensé par la famille, que celle-ci s’est plainte de troubles76
Cf. Laing & Esterson, Sanity, rnadmss and tbt family, Tavistock, 1964.76, voire de méchanceté. Ce que l’on nomme « début de la maladie » caractérise en fait la tentative d’autonomie du sujet, voire sa recherche désespérée pour acquérir une identité en propre.
C’est pour avoir « perdu son identité » en cherchant à le faire Savoir, que Laurent (42 ans) s’est trouvé, à l’âge de 24 ans, embarqué par Police Secours à l’hôpital psychiatrique. Il s’était mis un soiç à empiler les meubles de la maison, traçant sur une banderole ces mots : Je cherche mon identité. Cette mise en scène eut pour effet premier d’affoler parents et médecin. « Il est fou, a-t-on dit à la mère, il va vous tuer. Laissez-le seul dans la maison, l’ambulance viendra le chercher demain matin. »
Le désordre mobilier, c’est ce que Laurent a eu besoin de donner à voir. Une fois seul, il a rangé les meubles et s’est couché. Il s’est retrouvé néanmoins le lendemain à Sainte-Anne. Depuis ce jour, il y a eu des voies de fait sur la mère lors des permissions. Laurent est devenu un malade chronique des hôpitaux psychiatriques.
Schizophrène ou hystérique ? est la question que l’on s’est longtemps posée. Les années passées en asile ont fait de Laurent un « hébéphrène catatonique ». Dans ses épisodes délirants, il cherche à contrôler d’une façon magique les différentes parties de son corps, il dit veiller avec son assistant, le Dr X, aux effets de la transformation de ses organes. S’il en contrôle les effets, il peut être à l’abri du persécuteur. C’est lorsque ses mécanismes de défense échouent, qu’il se trouve en danger d’être annihilé, à la merci de ses pulsions destructrices. C’est toujours à l’acmé de crises de culpabilité, que Laurent désigne l’organe interne qui risque la destruction ou l’aliénation. Il remplace ainsi par une hallucination ce que l’hystérique donne à parler avec son corps.
De l’enfance de Laurent, la mère n’a rien à me dire. Tout semble avoir été parfait jusqu’à un accident de travail survenu à l’âge de 23 ans. C’est à cet accident que Laurent attribue l’origine de ses troubles. « Un câble est tombé sur mon épaule et le professeur X a dit que tout venait de là. » Son opinion personnelle, Laurent ne la donne jamais. Il n’a rien à dire, il ne faut surtout pas que ça change. Il tient à signifier une fois pour toutes que « son point de vue personnel » a été perdu à jamais à Ville-Evrard.
On l’y a mis, il y reste « depuis vingt ans que je suis forcé pour mon bien de rester sous le toit que ma mère a choisi », mais qu’on ne lui demande surtout pas une quelconque réadaptation « on a voulu ma réadaptation par la vannerie, il faut être dingue pour aimer l’atelier, moi j’aime le repos ». A d’autres moments il dit avoir perdu la mémoire, signifiant bien que c’est en tant qu’objet qu’il lui faut continuer à vivre. « C’est les docteurs et ma mère qui décident et pensent pour moi. » Comme sujet en proie au désir, Laurent s’est véritablement rayé, il s’est choisi fou.
Dans son rapport au langage il a gardé en propre une parole personnelle – mais il en use, pour dire que ça n’en vaut pas la peine. N’est-il pas établi que ce sont les autres qui décident pour lui ? Ses longs séjours en hôpital psychiatrique ont fait de Laurent un homme identifié à un psychotique. Les repères à son identité, c’est à l’asile qu’il les a trouvés.
Dans certaines formes de psychose, c’est en son droit d’exister que l’enfant a été précocement atteint, son langage est appauvri ou absent. Là où un contenu persécutif se fait jour, l’agression parentale s’est – au contraire – portée sur le faire et le dire : anus inspecté, corps exposé aux regards médicaux, parole sans cesse contestée et contredite. La poussée délirante ou décompensatipn psychotique intervient alors plus tardivement, à l’adolescence ou vers 18-20 ans. C’est avec le parent du même sexe que le garçon est généralement en crise, mettant en acte les plaintes maternelles à l’égard d’un père exclu, bafoué, un père qui a déçu (parce que quels que soient ses mérites, ou sa réussite sociale, il ne peut que décevoir une mère à la recherche d’un désir insatisfait). L’explosion de violence qui va épingler le fils comme être dangereux pour soi et les autres, n’est très souvent que l’expression d’une terreur niée à l’égard du parent du même sexe, le conduisant à une position paranoïde ou à une bouffée persécutive, tout choix hétérosexuel lui étant du même coup interdit. Le système de défense derrière lequel ces sujets s’abritent, ne peut être tant soit peu ébranlé que si on arrive à toucher à l’angoisse persécutive qui les lie au parent pathogène, ainsi qu’à la sévérité sur-moïque. Si Laurent pst passé sans transition de l’état d’enfant sur-protégé à celui d’ouvrier révolté, on peut dire que c’est bien comme individu dangereux qu’il a enfin trouvé une place d’élection dans le désir d’une mère déçue par tous les hommes. Que son fils devienne meurtrier, quoi de plus normal, dans son destin à elle ? « Je mourrai un jour de sa main », répète-t-elle à qui veut l’entendre.
— Que l’on me donne de la peur, est le sens de plus d’une de ses démarches. Un jeu se trame dans lequel se suspend son interrogation sur l’heure de sa propre mort. Elle la rend présente, continûment : « Surtout ne le renvoyez pas en permission. Ces docteurs ne se rendent pas compte. C’est ici (à l’asile) qu’il est bien, qu’il y reste. »
Cette phrase peut tout aussi bien vouloir dire : je désire recevoir mon fils, mais regardez ce qu’il va me faire. La seule issue pour ce fils est finalement de faire le mort, puisqu’être vivant équivaudrait à tuer.
Marcel, 19 ans, en est à sa quatrième hospitalisation. Le départ de sa maladie : un échec scolaire en seconde. Premier de la classe jusqu’à cette date, il échoue à l’examen d’entrée à l’École normale d’instituteurs, réalisant là une prédiction paternelle : « Ce fils d’alcoolique (la mère est éthylique) n’arrivera à rien. » Marcel, enfant effacé et doux, commence à narguer son père, il se fait provocant. Il se sent néanmoins mal à l’aise et demande à consulter un psychanalyste pour « sa timidité »… Ceci lui est refusé. Deux mois après, Marcel se noie, on le sauve de justesse.
— C’est de la comédie, dit le père.
Les parents le supportent de moins en moins, Marcel finit par coucher sur le palier, jusqu’au jour où une querelle l’oppose au père. La mère craint que le père ne tue le fils et c’est le fils qui se trouve embarqué à Sainte-Anne. Là, il s’enfonce dans une attitude passivement hostile. « Il ne s’est rien passé du tout, dit-il, on m’a obligé à venir. »
Lorsque je le vois, quelques années plus tard, il est à la veille de sortir d’une nouvelle hospitalisation. On le considère comme « stabilisé ». Marcel n’a rien à me dire. Il souhaite se « reclasser ». Tout va bien. Il n’a jamais été déprimé. Sa famille est compréhensive. Qu’on ne lui demande surtout pas de penser. Il a eu, durant sa maladie, de drôles d’idées, mais ne veut pas en parler. Mieux vaut ne se souvenir de rien. Souriant, poli, Marcel me fait comprendre qu’il vaut mieux s’en tenir là.
Ce qui ne peut entrer dans le dire, c’est la haine familiale dans laquelle il baigne. Il n’y a pas de mots pour décrire l’horreur de l’enfer qui fut le sien. Père accusateur et rigide, mère « abandon-nique » cherchant refuge dans la boisson. Cette femme a été marquée par quatre grossesses en moins de quatre ans, et par le deuil non fait des siens (une sœur morte dans un lavoir, une mère morte de chagrin, puis mort du frère et du père).
— J’ai besoin de gentillesse, dit-elle.
Mais sous l’emprise de la boisson, elle lâche des mots déments, menace de tailler le sexe du mari, « des mots qui tuent », dit-il.
— Oh, des mots, reprend la mère. Toi tu tuerais quelqu’un pour de vrai. Qui tuera l’autre ? le père ou le fils ?
Ces êtres culpabilisés s’affrontent dans la haine.
— Il n’y a pas de place pour un homme, dit le père.
— On ne m’a pas aidée à être mère, réplique la femme.
Marcel a cherché refuge dans des défenses audstiques. La crise
est survenue à un moment où l’échec lui avait fait perdre tout repère sur ce qu’il était. Cette atteinte à une image de soi s’accompagnait d’un écroulement des valeurs éthiques. En menaçant le père, c’était lui-même qu’il frappait.
Au moment de nous quitter, le père me fait cet aveu :
—■ Il va mieux notre fils, il est résigné, tout à fait résigné, comme toute chose c’est la bonne voie et c’est tout à fait formidable.
C’est certainement cette forme de résignation, faite de désespérance, que nous supportons, en tant qu’analystes, le plus mal. Dans le délire, le malade donne quelque chose à entendre de son être, même si au cœur de cette révolte il ne s’y reconnaît pas. Dans l’état dit de « résignation » (voire de « guérison »), il s’est retiré du monde des vivants : « Ma vie, me disait l’un d’eux, est passée. Maintenant il n’y a plus rien. Maintenant je suis guéri, mais la vie c’était avant. Je n’ai pas besoin d’avenir. J’ai été. Maintenant c’est fini et c’est très bien comme ça. »
Le « résigné-guéri » n’est plus un existant. C’est un condamné à vivre, sa – liberté il l’a fixée une fois pour toutes dans les limites mêmes de l’asile. De désir il n’en a plus. C’est l’état de non-désir qui est visé. Par-delà son discours aplati, terne, vide, c’est la mort (la nôtre) que le psychotique nous rend présente. La folie, sous son masque le plus impénétrable, nous renvoie alors à ce qui, de nous, est aliénable, mais aussi à ce qui en nous demeure comme noyau « inanalysable » ; c’est avec ce noyau-là que nous sommes aux prises, lorsque notre interrogation sur l’autre se porte.
C’est dans ce qui de notre être nous échappe que la folie nous interpelle. Ce regard offert à nous est aussi le reflet de ce que nous y suspendons, misère que nous captons, regard qui nous fait être
— et l’autre est là qui se fuit, se vide ou se révolte devant ce qu’il ressent comme une jouissance dont il se trouve exclu. Ça le vide de parler, sous le regard qui l’enveloppe, il se sent objet manipulé. Nous lui « volons » son être et il dénonce le viol qui le guette. « Je vous ai offert une interview, ça m’a donné du plaisir, mais comme pour l’alcool, il ne faut pas abuser. Une seconde interview serait le viol du sexe, des yeux, de la bouche, des oreilles. Il ne faut plus m’embêter. » C’est du lieu d’un orifice que René clame une vérité dont il se sent à l’instant même dépossédé comme sujet. « Le drame avec la parole, c'est que ça vous reste dans la bouche. Quand on parle, ça vous reste, ça ne passe pas. » A 5 ans, René rend avec son père visite à sa mère internée, il aurait voulu dire : « Ne la laisse pas là, c’est trop affreux. » Ce sont d’autres mots qui sont sortis et la mère y est morte, folle. « La maladie l’a pris », peu à peu. René, avant 12 ans, développe un délire mystique calqué sur celui de la mère. Plus tard, c’est à l’asile qu’il va se fixer à son tour.
— Il faut, me dit-il, prendre son plaisir comme on peut. A Ville-Evrard on n’est pas embêté par le souci de vivre.
C’est dans le délire ou la passion que René se saisit libre, mais son affrontement à l’autre le renvoie chaque fois à une place de pur objet. Dès qu’un dialogue s’instaure, c’est l'exclusion que, d’une façon répétitive, il introduit. Enfant, il a été plus frappé par l’internement de sa mère que par sa folie, à l’âge de 7 ans, il avait déjà saisi toute l’horreur de ce qu’il appellera plus tard le côté « destructeur de la bonté soignante ».
Le désir d’être, il y a maintenant renoncé, plus de risque d’être aliénable : aliéné, il l’est. Sa vie a été. C’est au sein d’un morceau de lui-même qu’il s’isole désormais (œil, voix, excrément). C’est de ce lieu qu’ilse fait support de l’autre, séparé en tant que sujet de toute parole personnelle et de tout désir.
Jacques, 39 ans, est lui aussi à l’asile depuis l’âge de 18 ans.
— Je ne suis pas fait pour le dehors. A l’hôpital, je suis bien. Je vis une vie de petit artiste.
Sa maladie ?
— C’est pas de la maladie, ce sont des bêtises d’enfant qui ont tourné mal. Maintenant c’est calme, c’est même bien. Il n’y a plus rien.
La mère est d’accord. C’est à Ville-Evrard qu’il est bien. C’est la famille qui l’a détraqué, ' avoue-t-elle. D’ailleurs, son mari est malade. On ne sait plus qui, du fils ou du père, a commencé à délirer le premier. Ce qui est certain, c’est que le fils a pris à son compte le délire de filiation du père. C’est en termes de possession que la mère me parle de son enfant.
— Ma mère s’est appropriée mon fils. Elle aurait voulu un fils. Je le lui ai donné.
Étouffé par la bouillie, gavé de soins divers, Jacques a très vite revendiqué le rien. Au-delà de la satisfaction de ses besoins, c’est le champ d’absence qu’il visait par-delà l’autre. C’est de ce champ qu’aurait pu surgir le désir. Tout désir s’est trouvé écrasé sous l’effet d’une sollicitude axée sur le seul besoin. A l’adolescence, Jacques s’efforça de suivre les conseils d’un professeur sur le plan de son orientation professionnelle. Ceci déplut à la famille, et c’est là semble-t-il que l’on situe les premières colères du père. A 16 ans, Jacques est le père fou et demeure partagé entre le vœu de sauver le monde et celui d’être empoisonné. Son malheur est d’être épinglé fou. Il va dès lors osciller entre les périodes de délire (que l’on coupe) et celles de rémission.
La maladie du fils avait été prévue par l’arrière-grand-mère maternelle, avant même sa venue au monde. Jacques en naissant est ainsi venu occuper une place réservée dans le mythe familial. La lignée mâle est, selon les fermées, pourrie. Il est bien que Jacques n’ait pas de descendance. Les moments délirants du père coïncident souvent avec la « rémission » du fils. Il n’est guère commode de les trouver « bien >> en même temps.
—- J’ai des frères dépareillés venant d’ovules court-circuités de la mère, m’explique le père (en liberté).
— J’étais très jeune quand je me suis rendu compte de l’état de mon père, commente Jacques (interné).
La mère, elle, souhaite qu’il se repose à vie. Seules, des révoltes viennent entrecouper l’état de non-désir dans lequel il s’est installé. Et dans la révolte, c’est la mort qu’il réclame.
— Il faut à mon état d’excité 300 gouttes de largactyl le matin, le midi et le soir, et à minuit le bouillon de ciguë.
— Il n’aurait pas dû naître, me dit la mère, la lignée est pourrie.
Marquée par l’internement de son propre père (frappé de P.G.),
la solitude de sa mère, la haine de la grand-mère à l’égard des hommes de la famille, la mère de Jacques est fermement persuadée que le destin ne pouvait lui réserver rien d’autre qu’un mari malade. Elle n’avait pas prévu de descendance, la grand-mère n’en voulait pas. Surprise par sa grossesse, elle ne situe pas l’enfant dans un prolongement d’elle-même, mais l’offre comme objet de réparation-consolation à son ascendance. Jacques, en naissant, n’a pas de devenir en propre, sa fonction est de venir expier la faute des hommes de la lignée et en même temps d’en incarner la fin, il s’agit de mettre un terme à tout ce qui pourrait se créer de vivant.
Pour la mère de Charles (31 ans), interné depuis l’âge de 20 ans, les jeux étaient faits avant même sa venue au monde. D’enfant, elle n’en voulait pas « ça n’était pas prévu au programme », elle avait pris un mari pour avoir un commerce, « un arriéré de 100 ans qui chicanait déjà dans le ventre de sa mère ». Lorsque Charles a 3 ans, elle apprend qu’elle souffre d’une syphilis ancienne. Rompant toute relation sexuelle, elle fait de Charles son objet d’amour exclusif. Il est condamné, elle va donc lui vouer sa vie (les médecins ont beau dire qu’elle se trompe, elle seule connaît la vérité). Le fils élevé dans le mépris du père devient phobique, et à 20 ans commence sa carrière d’interné des hôpitaux psychiatriques. Schizophrénie ou névrose hystérique ? est la question posée. A 31 ans, Charles livre un contenu psychotique : paroles ramassées dans tous les coins de l’asile. Les fous les plus divers parlent par sa bouche. II donne l’impression de se monter des histoires pour se donner en jouissance une crise d'angoisse. Il s’offre en sueur au regard de l’autre, les yeux exorbités, les pommettes saillantes, la bouche édentée sont les éléments d’un spectacle.
Derrière ce masque tragique, Charles donne à voir et à entendre, de nous plus que de lui ; toutes les projections sont possibles.
La maigreur de Charles est inquiétante, il se nourrit peu et s’accuse. Il a l’air d’être en deuil d’un objet perdu et d’avoir du même coup perdu tout amour de lui-même. Pour le regard de l’autre, il se veut objet d’horreur, ses auto-accusations sont en réalité des accusations dirigées contre son père. Il ne peut assumer le poids des reproches (qui, en fait, sont ceux de la mère). Sur le plan de l’identification, Charles a été mis en difficulté. La question sur ce qu’il est (question hystérique) a reçu malheureusement sa réponse dans l’enceinte de l’hôpital psychiatrique. « Je suis le schizophrène de l’hôpital », me dit-il. La sédation de son angoisse, on l’obtient en lui disant qu’il se donne pour le fou qu’il n’est pas. Il ne recouvre pas pour autant une parole personnelle. H « colle » au rôle qu’il s’est choisi. Il est prêt à mourir de la jouissance offerte à l’autre à travers son identification à une infinité de corps morcelés…
Il en est de même de Laurent (dont le cas a été évoqué plus haut). Lui aussi a reçu à l’asile la réponse à la question posée sur son identité. Il m’of&e « un contenu psychotique ». Lorsque je lui dis :
— C’est les paroles des autres, vous jouez à être le fou que vous n’êtes pas.
Il me fait cette réponse :
— Mais vous venez pour ça, pour jouir de ce qu’on débloque. Que voulez-vous que je vous dise ? Vous parler de mon grand-père, est-ce que je vous demande des nouvelles du vôtre et comment vous faites l’amour avec votre mari ? Alors parce qu’on est un interné, on vous sonne. On vous amène. Je vous raconte des histoires de fous. Que voulez-vous que je vous raconte d’autre ? Ça vous plaît pas que je vous dise que je suis dangereux, que je suis Hitler, Tarzan. Non, vous, c’est une autre musique que vous voulez entendre. De « l’intime », vous voulez. Mais dites donc, de quel droit ? C’est pas révoltant ça, ce double régime, un pour les malades, l’autre pour les médecins ? Ça écrit, ça écrit, ça fait
difficile. Mes paroles de fou, Mademoiselle n’en veut pas. Elle veut du vrai. Eh bien, un conseil : ne me revoyez plus.
Laurent (cf. p. 116-117) accessible à une psychanalyse à 20 ans, ne l’est certes plus à 42 ans. Sa dignité d’homme, c’est à l’hôpital psychiatrique qu’il l’a conquise, en refusant le statut de colonisé. Les égards qu’il réclame, c’est le respect de sa « folie ».
« Les gens de bien ont forgé le mythe du mal », nous dit Sartre dans' Saint Genet, « ainsi, négatif par essence, le méchant est un possédé dont le destin quoi qu’il en ait, sera toujours de nuire, il est libre pour mal faire ; pour lui, le pire est toujours sûr. »
Dans l’histoire de la psychiatrie, on n’a reconnu la folie que pour mieux la méconnaître. Il a fallu attendre Freud pour que soit posée la question (toujours ouverte) : comment, au sein d’une certaine situation, rendre l’aliénation désaliénante ? Dans le couple médecin-malade, c’est dans le médecin que la question sur le sujet de l’aliénation se pose – et c’est dans le rapport institué que vont se nouer et se dénouer toutes les aliénations 77
Michel Foucault, Histoire de la folie, Pion, 1961.77. Ainsi le délire est-il, dans la perspective freudienne, considéré comme un processus restitutif de guérison. Le médecin ne se préoccupe pas tant de « couper » prématurément une évolution délirante, que d’en être le support 78
Cf. travaui de R.D. Laing et D. Cooper, Tavistock, 1964.78. A soigner « psychiatriquement » un délire à 18 ans, ne court-on pas le risque de fixer le malade dans une carrière de malade mental ? est la question que l’on est parfois tenté de poser8.
Le résigné-guéri, figé derrière un masque d’indifférence, semble en effet interpeller le psychiatre sur ce que la médecine a fait de son être. Cet état de non-désir qui caractérise une forme de « rémission » n’est-ce pas sous sa forme la plus absurde une réponse donnée à notre angoisse ? En soustrayant ce résigné-guéri à toute perspective conflictuelle, est-ce qüe nous ne lui ôtons pas du même coup toute possibilité d’être pour autrui ? Et son « bonheur » n’est-il pas alors à la mesure de notre refus de vérité ?
Le fou « guéri » qui fait carrière asilaire apparaît bien comme un prisonnier qui aurait renoncé à l’évasion, mais réclamerait une sentinelle pour pouvoir vivre et mourir comme pure négation.
Dans son étude sur les rapports entre le rêve et les maladies mentales 79
S. Freud, l'Interprétation des rêves, P.U.F.79, Freud fait siennes les positions de Radestock qui décrivait la folie comme l’exagération d’un phénomène normal et périodique : le rêve ; et il ajoute : « la dissociation de la personnalité en rêve où notre propre savoir se partage entre deux sujets dont l’un, l'étranger, est censé corriger le vrai moi – équivaut tout à fait à la division de la personnalité dans la paranoïa hallucinatoire. »
Plus loin, citant une nouvelle fois Radestock, Freud attire l’attention du lecteur sur deux points :
a) « Le fond des délires est bien souvent cette possession prétendue de biens et la réalisation imaginaire des désirs, et leur non-réalisation l’une des causes psychiques de la folie. »
b) « Il existe une nocturnal insanitj : les sujets sont en apparence tout à fait normaux pendant la journée, mais présentent la nuit des hallucinations, des accès de fureur. »
Freud tout au long de son œuvre dégage ainsi la position conflictuelle de l’homme dans son rapport au désir —■ ainsi que la place prise par la jouissance dans l’organisation des névroses et psychoses. Il nous rappelle qu’existe au fond de nous-même une division fondamentale autour de laquelle se structure toute notre orientation par rapport au monde du désir 80
Ce que Lacan reprend lorsqu’il étudie « l’objet tel qu’il est structuré par la relation narcissique et das ding en tant qu’il est seulement cerné par le réseau f^fs. Pulsions ». Das ding, c’est l’objet perdu. Lacan montre la portée des idées kleiniennes « selon lesquelles la sublimation est une solution imaginaire d’un besoin de réparation symbolique par rapport au corps de la mère (le corps roystique de la mère étant ce qui est mis par cette doctrine à la place de ls. chose) ». Séminaire 1959-1960 (inédit).80.
Au-delà du désir (soumis au principe de répétition) apparaît la chose, dont nous ne pouvons avoir connaissance que par la loi. Cette chose, c’est le bon objet kleinien, qui dans le fantasme peut fort bien apparaître également comme fondamentalement mauvais. Et c’est faute de pouvoir se situer par rapport à eux que le sujet développe des symptômes. Dans le rapport mère-enfant 81
3- J. Lacan, Séminaire 1959-1960 (inédit).81, tout ce qui touche aux notions de dépendance, frustration, n’est en réalité que la mise en place du rapport fondamental du sujet à la chose, et Freud nous montre que ce qui est pour le principe du plaisir, le souverain bien, le seul, et qui est la mère, est également un bien interdit. Il rappelle comment l’inceste (mère fils) joue en tant qu’interdit un rôle central dans les névroses et les psychoses. L’inceste est lié à un ordre, celui qui va permettre l’avènement de la culture (donc du langage). Freud, en insistant sur l’Œdipe, montre que rien ne peut être articulé sur la sexualité chez l’homme, si elle ne passe pas par une loi de symbolisation. Si, chez le névrosé, le conflit d’ordre produit le refoulement et le compromis, chez le psychotique, ce qui s’institue, est un rejet (Verwerfung). Ce qui est rejeté du symbolique, reparaît dans le monde extérieur (le réel) sous forme d’hallucination. Il s’ensuit une sorte de désagrégation en chaîne qu’on appelle délire.
Cest dans Malaise et Civilisation que Freud développe l’idée que celui qui s’engagé sur le chemin d’une jouissance sans limite ou sans frein rencontre des obstacles à sa réalisation, comme si à la base, dans l’organisation sociale, il était posé comme principe que la jouissance est un Mal *.
Sade nous montre, dans son discours, comment, une fois franchies certaines limites dans le rapport à l’autre, le corps du prochain se morcelle 82
J. Lacan, Séminaire 1959-1960. Ces thèmes ont été développés par lui dans son séminaire consacré au problème de l’éthique en psychanalyse.82 « prêtez-moi la partie de votre corps qui peut me satisfaire un instant et jouissez si cela vous plaît de celle du mien qui peut vous être agréable ». C’est l’articulation même de ce que nous retrouvons dans le fantasme sous la notion d’objet partiel. Sade nous montre ensuite qu’une victime survit toujours à tous les mauvais traitements qu’on lui inflige, le rapport à l’autre exigeant, pour qu’il se maintienne, le caractère indestructible de l’autre. Ce qui apparaît c’est l’armature de défenses du sujet qui s’empêche d’accéder à la jouissance.
Dans le domaine du Bien, ce qui surgit c’est que le bien ne se détermine qu’en fonction de pouvoir en priver l’autre. Le pri-vateur apparaissant dans une fonction imaginaire comme l’autre imaginaire que l’on retrouve à l’étape de l’image spéculaire.
Ce qui s’appelle 83
J. Lacan, Séminaire 1959-1960.83 défendre son Bien, c’est nous défendre à nous-même d’en jouir. La dimension du bien est dès lors ce qui se dresse comme défense sur la voie du désir.
Qu’est-ce donc que le désir ?
La demande, du fait qu’elle s’articule avec du signifiant, est toujours demande d’autre chose, et le désir apparaît comme le support de ce que veut dire la demande au-delà de ce qu’elle formule.
La réalisation du désir ne s’entrevoit que dans une perspective de jugement dernier 84
Ibid.84, comme le montre l’expérience analytique et la limite à laquelle elle se heurte là où se pose la problématique du désir.
Le drame humain (du désir lié à la loi et à la castration) lorsqu’il ne peut se jouer au niveau symbolique prend place dans le réel au niveau de menaces ou commandements de mort ou de meurtre. C’est cela qui apparaît ouvert dans le discours psychotique.
Dans la psychose, la position conflictuelle de l’homme par rapport au désir se traduit dans les effets d’horreur, d’interdit, qui viennent frapper le patient s’il se risque à être désirant. L’inceste et les « débordements sexuels » font partie intégrante du cortège mythique amené par les patients. Ils disent avoir franchi un interdit ou être poussés à le violer, l’horreur qu’ils vivent, ils la donnent à voir dans un spectacle fait pour vous atteindre. Leur angoisse est dans leur posture, dans les mots véhiculés, mots coupés de toute émotion et qui ne s’inscrivent dans aucun mouvement de signifiance.
La position du psychotique face au désir a quelque rapport avec la façon dont il est appelé à occuper une fonction dans la constellation familiale, et nous avons montré ailleurs comment joue cette occupation d’une place dans la dynamique familiale : « il suffit d’un fou » qui expie pour préserver l’équilibre de la fratrie et des parents. Dans les cas examinés ici, nous voyons que si le malade s’installe dans le non-désir, cela correspond en fait au vœu profond de la famille.
Si Jacques (interné) a un père délirant (en liberté), c’est à l’asile que Laurent conquiert sa liberté d’homme ; il a (lui comme les autres) une fonction dans le mythe familial. Les familles (généralement les parents des catatoniques) viennent à l’asile pour pleurer leurs « morts-vivants » et clamer leur peine – ou bien expriment (les parents des paranoïdes), dans leur refus de venir, qu’ils ont fait le deuil de leur enfant vivant. Dans tous les cas, c’est d'en avoir un à l’asile qui va permettre au reste de la famille de vivre. C’est le diagnostic médical qui donne au sujet sa consécration de malade mental (chaque patient connaît le diagnostic porté sur lui), sa qualité est d’être dangereux, impur et interdit. (Ne pourrait-on lui enlever les testicules, demande une mère ; la lignée mâle est pourrie, dit une autre.) On « a » de l’hérédité, ou on « n’en a pas ». La faute est à l’ascendant (dont on expie la tare) ou au sujet (qui expie ses vices). L’hôpital et l’appareil médical dans son ensemble sont utilisés par la famille dans une perspective « magique » ; c’est un sort qui va être conjuré. A la limite, le patient est soumis à des cérémonies de purification afin d’écarter de lui toute violence future. (C’est ainsi que Laurent a été amené à l’asile malgré la sédation de la crise.) Une théorie se construit pour « préserver » un des membres de la famille (Edmond) ou l’un des parents (Marcel) de la mort ou du danger de la contagion.
Ces thèmes ont été abordés par Freud dans Totem et Tabou, il y met en lumière la corrélation existant entre les cérémonials primitifs et les maladies mentales. Il y a mise en place d’un système, pour éloigner vengeance et châtiment. Freud fait remarquer à ce propos que si le sauvage tue le roi lorsque la nature l'a déçu, c’est le même mécanisme que reproduit le paranoïaque lorsqu’il rend son persécuteur (promu au rang d’un père) responsable des malheurs imaginaires qui lui arrivent.
C’est en référence à ces positions que les psychiatres anglais, Laing et Cooper, ont proposé un système très particulier de « soins » aux psychotiques : s’opposant à la psychiatrie classique, ils réclament des lieux où l’on pourrait permettre au malade de mener à bien son délire avec l’aide du médecin comme support et « guide » de sa folie ; et cela suppose que le médecin puisse consentir en lui aux mouvements de type tabou, chargés d’horreur et d’angoisse, exprimés par le délirant, et puisse prendre place dans le processus
— y prendre place signifie accepter que le délire de l’autre joue pour lui, médecin, le rôle de révélateur de ce qu’il abhorre en lui. Si dans les tribus primitives, c’est le shaman qui fournit au patient le mythe, lui donnant ainsi le système de référence qu’il a perdu, en psychanalyse, c’est l’analysand qui l’élabore progressivement. Que le mythe soit produit ou reçu, à travers lui le patient est aux prises avec une structure et avec les effets en lui produits par toute carence du signifiant. Le soignant (shaman ou médecin) fait partie intégrante de la scène, il est partie prenante dans le drame qui se joue. Face aux thèmes délirants proposés par le patient, le médecin peut prendre place dans le délire (en acceptant d’en être le support il rend ainsi une « désaliénation » possible) ou, tel le shaman, il peut proposer un autre mythe, mais pour que le mythe ait valeur curative il faut qu’il y ait participation à l’univers psychotique. Dans la relation au psychotique, le « soignant » se dérobe généralement au transfert (c’est-à-dire à tout ce que le patient véhicule ayant trait à la mort, au sexe et au corps) ; le médicament vient là protéger le médecin, c’est la réponse qu’il offre au symptôme ; il peut ainsi ignorer ce qui dans l’autre cherche à parler (et qui n’est rien d’autre que le retour du refoulé en nous).
A l’asile, tout soignant, qu’il le veuille ou non, fait partie intégrante d’un système qui a isolé le fou (comme au Moyen Age on cherchait à isoler la lèpre ou le vice) ; le malade mental au repos « sous le toit que la famille lui a choisi » y reproduit son drame, c’est-à-dire sa façon de se situer à l’égard de « bons » et « mauvais » objets, sa façon de vivre sa division, son morcellement, son exclusion avec les personnes qui l’entourent. La société paye pour tenir éloigné des siens le « malade mental », celui-ci crée en réponse un univers d’exclusion dans lequel il dit se trouver bien. Il y vit « le bonheur d’un petit instant » ; bonheur qui pour nous a le goût de la mort.
6. L'institution comme refuge contre l'angoisse
Revenons une nouvelle fois à l’étude des problèmes laissés en suspens dans le chapitre iv, problèmes concernant le rapport fantasmatique entretenu par le « patient » avec l’institution psychanalytique ou avec l’institution sociale ; et essayons de cerner ce qui au cœur même du fantasme demeure comme interrogation, interrogation qui subit les effets des renversements dialectiques s’opérant au cours d’une cure, renversements rendus possibles lorsque l’accent est porté non tant sur l’objet (imaginaire) du désir, que sur le signifiant du désir (dans ses avatars).
J’aborderai ensuite le récit d’une « cure » (d’anorexique), « cure » qui par certains côtés ressemble étrangement à une expérience dite d’anti'psychiatrie.
I.
a. Institutions et anxiétés psychotiques
Elliot Jaques85
José Bleger, Psicohigiene y psicologia institucional, Buenos Aires, Paidos,
1967.85 a montré, à travers l’analyse d’un matériel clinique, comment les institutions sont utilisées par tous ceux qui y participent comme défense contre le surgissement d’anxiétés paranoïdes et dépressives (décrites d’autre part par Melanie Klein). Les manifestations d’irréalité, de splitting, d’hostilité, de suspicion, se trouvent pour chaque individu déplacées ou projetées dans différents rouages de l’organisation institutionnelle. L’institution
i. E. Jaques, « Social systems as a defence against persecutory and depres-sive anxiety », in Nen> directions in psychoanalysis, Tavistock, 1955.
n’en devient pas pour autant psychotique ; mais il se crée en elle un champ pathologique, reflet de la personnalité des individus qui la composent, tout comme les individus sont le reflet ou le produit du système aliénant dans lequel ils sont emprisonnés.
D’après José Bleger x, l’individu intègre dans son inconscient l’institution comme un schéma corporel, il recherche dans l’institution un support, un appui, une insertion sociale, voire un repère à son identité, une réponse à la question sur ce qu’il est. Plus la personnalité est immature, plus elle fait corps avec l’institution, vécue comme partie d’elle-même. Que l’institution ait sa vie propre, n’empêche pas les individus d’y projeter leur propre réalité (à travers le cadre de leur fantasme) et d’y cristalliser ainsi des mécanismes de défense contre les anxiétés psychotiques, en mettant en acte des processus de réparation.
Il n’est pas toujours commode de faire la part entre un système social aliénant et ce qui, dans cette aliénation, est recherché par l’individu comme protection contre l’angoisse. Bleger insiste sur la façon dont les individus aliénés, soumis à des institutions aliénées, renforcent, en un circuit de résistance au changement, la pathologie du champ institutionnel dans lequel ils sont pris. L’institution coercitive et répressive serait ainsi conçue à l’image des forces répressives présentes en chacun de nous : à ce niveau, elle s’apparente au groupe primaire dans lequel prédominent les identifications projectives massives, et son fonctionnement est celui de l’institution familiale.
L’institution semble offrir ainsi à l’homme les possibilités soit d’un enrichissement personnel, soit de l’appauvrissement le plus radical.
Ce que l’on appelle adaptation, souligne encore Bleger, c’est le fait de se soumettre à une stéréotypie institutionnelle 86
Bleger oppose ce qu’il appelle groupe primaire (dans lequel existe une ambiguïté de rôles et de statuts) au groupe stéréotypé (dans lequel s’installe comme formation réactionnelle un formalisme qui aboutit à un manque de communication).
Les institutions, d’après Bleger, tendent à modeler leurs membres dans une SOfte. de stéréotypie contagieuse, ceci aboutit à un appauvrissement des relations interpersonnelles.86. Cette stéréotypie est la marque de la plupart des institutions, elle est ce qui rend possible une structure hautement hiérarchisée, dans laquelle les relations interpersonnelles vont s’amenuisant jusqu’à des formes diverses d’hospitalisme où ce que l’individu perd, est une parole personnelle (la parole étant, par un accord tacite, conçue comme un privilège hiérarchique et ravie d’entrée de jeu au malade).
Rendre sa mobilité à l’organisation d’une institution, c’est provoquer la libération des angoisses psychotiques qui se trouvent en elle. Bleger illustre cette remarque en montrant comment le patient offre une résistance au changement, comme s’il recherchait des frontières rigides pour mieux contrôler ce qui de lui se trouve être mis en danger par le dynamisme et le mouvement d’un monde changeant.
Ainsi l’asile reflète-t-il dans son organisation l’aliénation de ses patients. Lesquels peuvent par ailleurs être considérés comme constituant (avec les délinquants) les symptômes d’une société perturbée. Les institutions apparaissent dès lors : tantôt comme les dépositaires des projections et angoisses psychotiques de leurs membres, tantôt comme les instruments répressifs d’une société ségrégative.
L’hommé appartient-il à l’institution ou l’institution à l’homme ? tel est le problème posé par Bleger, qui dénonce du même coup ce mythe psychologique (support de la psychiatrie) qui fait de l’homme un être isolé dès sa naissance, appelé graduellement à conquérir son rapport au monde extérieur, l’intégration dans une institution sociale étant alors considérée comme le passage réussi de l’être « sauvage » à l’être « social » (passage que l’aliéné serait supposé avoir manqué, d’où le choix d’une institution pour sa « rééducation »).
b. Le stade du miroir1
Lacan a abordé ce même type de questions dès 1930, en en proposant une étude structurale (situant ainsi le problème à un tout autre niveau que celui où la sociologie l’enferme). Il pose comme
r. J. Lacan, in Ecrits.
un fait de structure l’entrée du petit d’homme à sa naissance dans un système symbolique, celui du langage. Ce à quoi l’enfant a affaire, c’est aux effets de ce langage dans lequel il est pris (parfois dès avant sa naissance et qui n’en président pas moins à son destin, comme Freud l’a montré dans l’Homme aux rats). Ce qui est là en question est non tant le passage d’une étape individuelle à une étape dite sociale, que la rencontre du sujet avec un ordre symbolique.
Le premier temps de la mise en place d’une structure, c’est rappelons-le, au stade du miroir 87
Lacan montre comment à l’étape du stade du miroir il y a rencontre du corps de l’enfant et du corps de l’Autre (la mère qui le regarde). L’image de l’Autre va lui garantir la réalité de son corps entier et indépendant. Ce qui permet à l’enfant cette reconnaissance de son corps distinct de celui de l’Autre « c’est ce mouvement où l’enfant se retourne vers celui qui le soutient pour appeler son assentiment » (Séminaire du 28 novembre 1962). L’enfant va donc reconnaître dans l’ego spéculaire (investi par la libido maternelle) son Moi idéal (objet du narcissisme primaire).
Chez le psychotique, il en va tout autrement : « Ce que le miroir lui renvoie indéfiniment, c’est lui en tant que “lieu de la castration”, et cette image, il ne peut que la fuir tout aussi indéfiniment. Ce qui se reflète dans le miroir en tant qu’ego spéculaire (l’Autre devenant agent de castration) ferme à tout jamais au psychotique toute possibilité et toute voie à l’identification… Tout rapport imaginaire à l’Autre, pour autant qu’il prend support sur l’ego spécu-laire, devient impossible. » (Piera Aulagnier, la Psychanalyse, n » 8.)87 que Lacan le relie ; on est donc ici en gros à la fin de l’étape d’indifférenciation primitive de Bleger : c’est là que l’on peut saisir le partage qui s’effectue entre Yimaginaire et le symbolique.
Reprenant les observations de Wallon sur des enfants de quatre à cinq mois mis en présence d’un miroir (l’enfant croyant se trouver à la fois là où il se sent et là où il se voit dans le miroir), Lacan montre comment la jubilation de l’enfant à l’apparition de son image est liée à une identification : c’est-à-dire qu’elle marque une « transformation produite chez le sujet quand il assume une image ». Cette identification est aliénation, dans la mesure où la captation dans une image ne correspond pas encore à l’être réel de l’enfant qui reste voué à la dépendance à l’égard de l’adulte et à l’impuissance motrice.
C’est à ce point que Lacan fait surgir de l’instance imaginaire du moi un Je, et étudie le rapport entretenu par ce Je avec une image extérieure à lui. Ce qui appartient au moi, ce sont les identifications imaginaires. Le Je se constitue par rapport à une vérité de l’ordre symbolique ; et Lacan montre comment l’identification spéculaire elle-même (absente dans la psychose) n’a lieu que si une parole a rendu possible au sujet la reconnaissance de son image.
Un arrière-plan symbolique est donc nécessaire, sans quoi l’ordre imaginaire, par l’irruption d’une image de soi, introduit une béance. L’autre (le tiers semblable) ainsi mis en jeu, le sujet a à le reconnaître en même temps que lui-même, et c’est cette impossible reconnaissance qui signe le fait psychotique où le sujet ne peut que demeurer dans l’alternative ; ou la présence ou la disparition de l’un ou de l’autre ; c’est-à-dire ou la vie, ou la mort.
Au terme de l’identification imaginaire, nous trouvons ainsi un moi : – aliéné dans l’image d’autrui, – et (autre du sujet) porteur de l’objet partiel (c’est à ce dernier que nous aurons affaire en analyse). La fonction symbolique est celle qui va créer les conditions mêmes d’une possibilité de parole et l’accès du sujet au Je d’une vérité.
La mise en place de ces notions sépare le fait sociologique de l’appréhension structurale du problème – et dans une institution, c’est bien à des faits de structure que nous sommes confrontés, les individus se trouvant continuellement piégés dans des liens imaginaires qui aboutissent soit à la violence, soit à la paralysie du champ pathologique dans lequel prennent place les tensions.
c. Lindifférenciation primitive de Bleger88
J. Bleger, Symbiosis y ambigrtedad, Buenos Aires, Paidos, 1967.88, l'Imaginaire et le Symbolique
Reprenons à partir des repères ainsi posés. L’étude du champ pathologique (dans l’institution psychanalytique ou sociale) a amené Blegêr à décrire sous le nom de relation symbiotique ce qui, selon lui, se met en place à partir des formes d’identifications les plus primitives. Lorsque Bleger évoque cet état d’indifférenciation primitive, présent parfois dans un certain type de transfert, il met l’accent sur ce que Lacan décrit comme appartenant de façon spécifique à la pure dimension imaginaire.
Au vrai, l'indifférenciation dans laquelle le sujet se trouve englobé avec son objet signifie – selon Lacan – pour le sujet : essai de se reconquérir à travers la représentation de l’objet perdu89
Voir chapitre 4 de ce livre.89. Car c’est une image qui, après la perte de l’objet, se substitue à l’objet. Au cours de sa vie l’individu a affaire à des substituts d’images. Le sujet est dès lors en relation noii tant avec un objet qu’avec le signe de sa perte, de sa trace. Ce qui est réinvesti (nous rappelle Freud, dans la Science des rêves), ce sont des traces : c’est dans ces traces que le désir vient faire son lit, c’est à elles qu’il imprime sa marque.
Ce qui a été décrit par Bleger comme des mécanismes de défense (et projection) apparaissant dans le transfert dit symbiotique, est en étroite relation avec la façon dont le sujet (à l’étape de l’ego spéculaire) cherche à éclairer son désir. C’est dans la mesure où Yego spéculaire vacille, qu’il cherche dans son semblable une image de suppléance idéale, avec tout ce que cela comporte de rétorsion agressive lorsque le rapport à l’autre se situe dans la seule structure imaginaire. Les phénomènes de défense qui se mettent ainsi en place forment un tableau qui va de l’hystérie à l’autisme, en passant par l’obsession, l’hypocondrie, etc. Ce qui, au niveau du désir, se trouve tenu en échec, est l’accès à toute forme de symbolisation.
Dans cette relation symbiotique est en jeu quelque chose de l’ordre du processus primaire indiquant la présence du désir. La situation d’ambiguïté qui s’installe est une situation de parasitisme qui amène deux personnes à ne pouvoir plus se quitter, mais pour ne pas s’entendre. S’ils se quittent, ils sont perdus ; l’un a besoin d’un autre et ne lui pardonne pas d’en avoir besoin.
d. L'oceanic gratification et le signifiant
Si c’est aux recherches de Melanie Klein sur les étapes les plus précoces du développement infantile, que les analystes doivent leur intérêt pour l’étude des cas sévères de psychoses, les problèmes techniques soulevés par la cure sont apparus de façon différente en cure ambulatoire et dans les cas d’hospitalisation.
Searles 1 expose comment, dans une institution, le thérapeute peut être amené à participer à l’univers psychotique du malade au point de se trouver menacé dans sa propre identité. Il conseille d’offrir au « malade » une oceanic gratification, ce que d’autres ont appelé (en le critiquant) : le grand bain ferenczien 2. Il s’agit de partager, dans l’angoisse, la solitude subjective du patient, au point de régresser avec lui à une dépendance mutuelle dite symbiotique, dépendance qu’on pose n’avoir pu se dénouer dans les relations archaïques avec une mère aimée-haïe, ressentie comme dangereuse.
Cette position de Searles, si elle a le mérite de soustraire l’analyste à l’attitude psychiatrique classique (opposition d’un soignant « sain » à un soigné « malade »), manque cependant de rigueur dans son articulation théorique. Une chose est d’être interpellé par la « folie » de l’autre, une autre de faire de la « folie » de l’autre Tunique guide dans une situation forcément duelle, sans possibilité d’ouverture sur une articulation symbolique : laquelle seule pourrait amener le malade à sortir de l’impasse dans laquelle il s’est trouvé (avec un autre) piégé.
Ces notions sont importantes à dégager dans la conduite d’une cure individuelle, ainsi que dans la mise en place d’une organisation institutionnelle (lorsqu’on cherche à en circonscrire les effets aliénants, c’est-à-dire l’effet aliénant d’une pure situation imaginaire).
Searles cherche à rétablir de façon corrective, dans l’institution, un type de « bons » rapports parents-enfants, sans se soucier de ce qui se trouve en jeu dans un désir psychotique qui, sous sa forme la plus morcelante, aboutit, en ce qui a été défini par Freud comme régression topique, à l'hallucination.
L’étude plus approfondie du fantasme (selon les critères laca-niens) nous montre que la mise en place du fantasme commande en fait deux niveaux de fonctionnement du désir. Ces notions sont utiles à dégager car elles commandent l’écoute face à la demande formulée par le patient.
A répondre à la demande au niveau le plus naïf, on risque de mécon-
t.ître ce qui, de l’ordre du désir, cherche à se faire reconnaître
1. Harold F. Searles, Tbe nonbuman environment, Int. Univ. Press, i9Ôol Jollected papers on scbizpphrenia and related subjects, Int. Univ. Press, 196 J.
2. Edith Jacobson, Vsychotic conflicts and reality, Int. Univ. Press, 1967.
— et on reproduit ainsi le type de réponse maternelle responsable de ce qui chez le sujet a rendu impossible tout accès au désir. On ne peut sans effet fâcheux confondre impunément les signifiants de la demande et l’objet que la demande semble viser. Car la place de cet objet dans le fantasme fonctionne (nous le verrons) comme leurre, au niveau du désir secondaire. Ce qui dans une analyse est à mettre au jour est une question présente dans le fantasme, mais qui, pour se dégager, a besoin du maintien d’une certaine ouverture. Une réponse trop rapide à la demande colmate ce qui en est du désir.
e. La demande, le désir et l’objet dans le fantasme
Ainsi, la mise en place du fantasme commande deux niveaux de fonctionnement du désir.
A la première étape, celle de l’appel, le sujet s’éclipse derrière la représentation de l’objet : c’est là que se situent les articulations premières de la demande, liées aux blessures du narcissisme primaire.
Mais le sujet est là déjà sur le chemin de traces primitives, désespérément en quête d’un objet qu’il n’arrive jamais à atteindre puisque ce dont il s’agit, c’est du moment originel comme tel, moment qui vise la fusion de l’être et de la chose.
C’est à partir du refoulement primitif du désir que l’objet vient à se fixer dans un fantasme : le sujet se trouve à ce moment-là face à un objet substitutif pris dans le signifiant des premières demandes. Ce qui surgit alors est l’instauration des désirs secondaires : le sujet, en croyant réaliser son désir, se trouve piégé dans une image d’illusion, car ce à quoi il a affaire, c’est à une transmutation signifiante dans la recherche de l’objet perdu. Et c’est cela qui amène le névrosé à confondre sans cesse les signifiants de la demande avec l’objet que cette demande semble viser.
Dans le fonctionnement imaginaire, l’objet substitutif indique en fait un manque, le manque primaire du désir primaire. En tant que tel, il est doublement désiré.
La place de l’objet dans le fantasme fonctionne comme leurre, au niveau du désir secondaire. Le désir est ainsi appelé à se fractionner sans cesse, et lorsque l’objet de la demande est satisfait, un arrêt s’opère dans le mouvement qui porte le sujet ; le fantasme surgit à l’instant où le désir n’est plus, afin de relancer le sujet sur le chemin du désir de l’objet substitutif.
Le sujet marqui par le signifiant est à la fois séparé et enchaîné à l’objet du fantasme ; dans sa recherche leurrante il est amené à poser che^ l'outre l’objet du fantasme, faisant de l’autre le support et le soutien d’un manque fondamental.
C’est au lieu de l’Autre, que le sujet en analyse articule le : Qu’est-ce que tu veux de moi ? qui se transmute en un : Qu’est-ce que je veux ? Ces questions de l’inconscient sont celles mêmes que recouvrent les tout premiers signifiants du désir. C’est cela qu’une analyse doit arriver à mettre au jour et elle ne peut arriver à le mettre au jour qu’à travers ce long cheminement d’un discours insensé.
f. Cure des psychotiques et repères structuraux
Le problème, pour le psychotique, se situe (nous l’avons vu plus haut) dans l’accès impossible au désir. La réponse de l’Autre l’a renvoyé à ne pouvoir se soutenir qu’au niveau de la demande. C’est cela qui, dans la cure, se trouve posé avec une insistance répétitive dès le départ. Le choix qui s’offre à l’analyste est, d’une part, de jouer à la « bonne mère » colmatant par des critères normatifs ou charitables tout ce qui chez l’autre est demeuré figé dans une impasse (faute qu’il ait jamais été amené à distinguer ce qui, dans son appel, était du registre de la demande, du besoin ou du désir).
L’autre choix qui s’ofifre à l’analyste est celui de se soustraire à la fascination imaginaire exercée en lui par la folie de l’autre, et d’arriver par la parole (en se situant à un certain lieu du discours symptomatique) à ce que des effets de sens puissent jouer comme marque signifiante, dans une remise en cause de la position du sujet.
Or, c’est dans le cadre de l’institution (psychanalytique ou sociale) que va se jouer la parfaite compulsion de répétition90
José Bleger, « Psychoanalysis of the psychoanalytic frame », in International Journal of psychoanalysis, vol. 48, n° 4, 1967.90 qui met en lumière ce que Bleger appelle l’indifférenciation primitive des étapes les plus précoces de l’organisation de la personnalité.
Le cadre, dépositaire du monde fantomatique du patient, doit donc devenir objet d’analyse, pour permettre que se dénouent les liens « psychotiques » établis par le patient avec l’institution psychanalytique ou sociale. L’analyse du cadre, c’est la mise au jour de ce qui, dans l’image du corps du patient, est demeuré morcelé. Cette mise au jour, chargée d’angoisse, n’est possible que dans une situation où le cadre de l’institution psychanalytique (ou sociale) garde son caractère permanent, non ambigu. L’inertie du cadre institutionnel intervient alors comme protection contre l’angoisse.
II. Un cas d’anorexie mentale
A. Le récit
Je me propose d’étudier ici un épisode de la cure analytique d’une adolescente de 17 ans, souffrant depuis deux ans d’une anorexie sévère, rebelle à toutes les tentatives psychiatriques entreprises lors de cinq hospitalisations successives.
Tour à tour isolée et gavée, Sidonie est chaque fois rendue à ses parents en bonne forme physique, mais révoltée et revendiquante. Dès son installation dans la famille, elle recommence sa grève de la faim ou cherche à se démolir physiquement au moyen d’une absorption démesurée de vinaigre, d’aspirine et de citrons. Les reins bloqués, elle reprend le chemin de l’hôpital général qui l’envoie à l’hôpital psychiatrique, et le cercle infernal recommence. Douceur, persuasion, sévérité, « on a tout essayé », me dit-on. Considérée tour à tour comme hystérique et psychotique, Sidonie a réussi à épuiser la patience des adultes (et du corps médical). On a déjà retenu sa place à l’hôpital psychiatrique. On n’attend plus sa guérison ; elle est considérée comme une malade chronique, future délirante.
Perdue pour perdue, dit-on à la famille, allez toujours voir un psychanalyste.
I. Le premier entretien
Je reçois un couple assez jeune (mère anxieuse, père intéressé, passionné de recherche médicale ; sa fille constitue « un cas » qui met en échec la médecine, il en est visiblement satisfait). Sidonie, petite et frêle, a l’allure d’une poupée en porcelaine de Saxe. De longs cheveux blonds lui descendent jusqu’à la taille, mais sa figure émaciée est celle d’une très vieille femme. Seuls ses yeux sont vivants. Se tenant comme une bossue, trébuchante, Sidonie a l’air près de se casser, elle a l’aspect pathétique d’une rescapée d’un camp de la mort. L’adolescente erre comme un fantôme entre ses parents prêts à la soutenir à la moindre défaillance.
— Elle va s’évanouir, me dit la mère.
— On a failli ne pas vous la conduire, me dit le père.
— Toi, comment tu te sens ? dis-je à Sidonie.
Un gémissement fait écho au discours parental.
— Ça, c’est comment tes parents te sentent, mais toi, tu as bien une idée. Ton corps est à toi. C’est toi qui sais si tu te sens bien ou pas bien.
— Moi ? ça va très bien. Le cirque, c’est eux.
— Toi, qu’est-ce que tu veux de moi ?
— Je veux bien venir vous voir.
— Pourquoi faire ?
— Pour parler.
La mère : Mais vous allez nous dire ce qu’il faut faire ?
— Ce qu’il faut faire ?
— Si elle reste à la maison, je ne pourrai plus vivre ainsi. Il faut faire quelque chose. Je sens que je commence une dépression.
Moi (à Sidonie) : Qu’est-çe qu’on peut faire ? C’est toi qui es malade ou ta mère ?
Le père : Ma femme est à bout. Je crains qu’on ne l’hospitalise.
Moi (à Sidonie) : C’est vrai que c’est le cirque, on est tous dedans. Qu’est-ce que tu proposes ?
Les parents (en chœur) : Elle risque de tomber évanouie dans la rue. On ne peut la laisser sans surveillance à la maison. Nous aimerions partir en vacances, mais… il y a Sidonie, c’est sans solution.
Moi (à Sidonie) : Alors, tu as quelque chose à dire ?
Sidonie : Une fille m’a dit qu’il n’y a que la psychanalyse qui peut m’aider. Moi, je veux bien rester seule dans l’appartement. Je me débrouillerai parfaitement.
La mère : Le Dr X a dit que c’était sans espoir, sa maladie. Hystérique, psychotique et perverse. Tout ça ensemble, c’est incurable.
Le père : Si elle a envie de voir la psychanalyste, on pourrait essayer. (Se tournant vers moi) : Vous prenez la responsabilité de ce que Sidonie ne tombera pas évanouie dans la rue ?
Moi : Je ne prends la responsabilité de rien du tout, si ce n’est celle de me conduire en analyste. Le Dr Y a décidé que Sidonie pouvait rester deux mois sans s’alimenter plus qu’elle ne fait. Il décidera d’ici deux mois si on l’hospitalise ou non. Dans l’immédiat, c’est à Sidonie de dire si elle prend son corps en charge, si elle prend la responsabilité de me conduire ce corps chez moi ’aux heures et jours fixés.
Sidonie : J’ai envie d’avoir la paix, d’être seule. Je promets d’être exacte aux rendez-vous, de ne pas mettre le feu, de ne pas me suicider, de ne pas ameuter les voisins.
Le. père (me prenant à part) : Vous savez, ça ne se voit pas, mais Sidonie n’a jamais été comme les autres. Elle est retardée, c’est une enfant, il faut bien se résoudre à cette idée, enfant elle demeurera.
Sidonie (agressive) : Alors qu’est-ce que vous complotez ?
Moi : Ton père m’a appris une étiquette de plus à ton sujet : tu es retardée, pas comme les autres, et on se demande si on peut te laisser seule sans que tu fasses tout sauter.
Le père (épouvanté) : Mais il ne fallait pas lui dire ce secret sur son retard, ça va lui donner un complexe de plus.
Moi : Sidonie sait qu’on dit d’elle qu’elle est folle, retardée, hystérique, perverse et incurable. Je ne vois pas pourquoi, tout d’un coup, on ferait tant de mystères.
Ce qu’elle ne sait pas, c’est qu’elle est commandée par tous ces verdicts de grandes personnes, elle y croit sans y croire, et ça lui joue des tours.
La mère : Vous croyez qu’on peut partir en vacances ? On pourrait peut-être demander à un cousin éloigné, qu’il loge à la maison. On serait plus tranquilles. C’est un homme âgé que Sidonie aime
Moi (à Sidonie) : Qu’en penses-tu ?
Sidonie : Je veux bien.
On décide donc une épreuve de cute analytique de six semaines. Sidonie, libre de toute contrainte, vivra comme il lui plaît, à son rythme à elle. Ce qui demeure fixe, ce sont les jours et heures de rendez-vous chez moi.
Nous convenons que le cousin viendra passer la nuit à la maison. Une femme de ménage sera d’autre part présente six heures par jour. Les parents peuvent me téléphoner tous les jours s’ils le veulent.
Je leur demande de confier à Sidonie l’argent qui servira aux achats ménagers et à l’analyse.
Le couple s’en va très ébranlé. Sidonie, par contre, paraît ravie. Elle a obtenu ce qu’elle venait implicitement demander, le dévoilement d’une situation : la folie, c’est les autres, et non pas elle.
Est-ce suffisant ? Et que veut-elle, Sidonie ?
II. La cure ambulatoire
Cette période de six semaines correspond aux vacances des parents. Sidonie se lève vers les 14 h, se nourrit d’un litre de lait par jour, prépare les repas du soir du cousin. Trois fois par semaine, elle vient me voir, ponctuelle au rendez-vous.
Au début, Sidonie est toute à son affaire. Enjouée, elle m’explique les échecs médicaux (ils n’ont pas su y faire, c’était moi la plus forte). C’est dans les mêmes termes que Sidonie m’avoue plus tard :
— Dans la famille, c’est maman qui tire les ficelles et commande papa.
De ses hospitalisations, Sidonie garde le souvenir d’un combat livré au corps soignant. Elle donne un compte rendu du rituel hospitalier et de la façon dont elle n’avait de cesse de le contester.
Sidonie se pose en victime :
— de sa mère qui, à une période où elle était boulimique, lui disait : « tu seras malheureuse toute ta vie, il t’arrivera malheur » ;
— du système scolaire dans lequel elle s’ennuie ;
— du corps médical aux ordres de sa mère. Le docteur m’a dit : « Dans six semaines on se retrouvera, ton lit est réservé à l’hôpital psychiatrique. »
S’il n’y avait que papa, ajoute Sidonie, tout serait parfait. Il me comprend. Je le plains d’avoir une femme méchante, il se laisse faire, tant pis pour lui.
L’installation du cousin se fait avec un certain cérémonial. Sidonie tient à lui préparer de bons petits plats et à lui tenir compagnie. Elle est exigeante pour le respect des heures du dîner, accepte mal qu’il boude un plat.
— On dirait sa mère, me dit la femme de ménage tout attendrie (femme de ménage amenée par Sidonie pour qu’elle me parle d’elle). Elle commande comme si elle n’avait fait que cela toute sa vie. Et puis les dépenses, elle note tout, pas gaspilleuse ; soupçonneuse avec les commerçants, bref, une vraie maîtresse de maison.
Ce que les autres pensent d’elle ? est la question qui sous-tend les séances.
Sidonie, très maîtresse d’elle-même, m’expose au début ce que l’on dit d’elle :
— Mon cousin essaye de ne pas se braquer sur moi, il est tendu. L’oncle X ferait tout pour me guérir. Mon cousin parle de moi au bureau, aux amis. Au dîner il me dit « on a parlé de ton cas ». Il n’approuve pas la psychanalyse et trouve que vous êtes dingue de me laisser une telle liberté. On a toujours tout décidé pour moi. A longueur de journée, on parle de moi à tous, partout où je vais, ma maladie me suit. Le Dr X a dit aux parents « elle ne sera jamais guérie, elle passera sa vie entre l’hôpital et la maison. Un lit lui est réservé à vie ». Le Dr X ne m’entendait pas. Il avait son idée sur la maladie. J’étais un cas. Je ne me considère pas comme malade. J’ai les idées sur terre. Mon cousin va de moins en moins bien. Il ne veut plus me voir comme ça. Il a parlé de moi au téléphone et a dit que je ne peux pas m’en sortir. On me considère comme anormale. Dans cette étiquette, je me sens tranquille, mais dans un autre sens, je ne suis pas tranquille – ça bascule et moi au milieu.
Au fur et à mesure que la fin des vacances annonce le retour des parents, Sidonie perd son air enjoué, prend le masque d’une femme âgée.
A la maison, elle mène au cousin et à la femme de ménage une vie d’enfer. Elle est la mère démoniaque qui traque les uns, accuse les autres. Elle se fait avare et refuse de la nourriture au cousin.
— Je deviens comme ma mère, je ne peux plus rien acheter. C’est tout juste si je lui achète du pain. Ce que je veux, je ne peux jamais le faire. Tout plaisir m’est interdit.
Sidonie cesse de s’alimenter et ne dort plus. Elle cherche à voler des somnifères. La fin des vacances parentales, c’est aussi la date prévue par le psychiatre pour le retour de Sidonie à l’hôpital.
A le lui faire remarquer, je me heurte à une indifférence polie :
— Ça n’a aucun rapport, dit-elle.
Sidonie paraît de plus en plus commandée par un destin. Ce qui doit arriver arrivera, personne n’y peut rien. La liberté qui lui a été laissée l’a culpabilisée ; elle réclame une hospitalisation. Cette hospitalisation, je m’y résigne (afin de lui éviter l’hôpital psychiatrique qui la guette).
Je suggère aux parents (via le pédiatre que Sidonie est allée revoir) une clinique privée où je pourrais continuer l’analyse dans un cadre de dépsychiatrisation indispensable à la poursuite de la cure. Mon but est d’obtenir de la clinique une non-intervention totale sur le plan du symptôme : que Sidonie puisse avoir la liberté de refuser la nourriture. Mon souci est d’arracher cette adolescente aux verdicts de condamnation qui l’amènent à occuper, à intervalles réguliers, une place désignée par la famille, en hôpital psychiatrique.
Je fais part à Sidonie des conditions dans lesquelles se fera son entrée en clinique.
— C’est ton corps qui doit se prendre en charge. Tu cherches à ce qu’on te rentre dedans par tous les moyens. Après tu dis : c’est lui, le méchant, l’affreux. C’est toujours les autres qui ont tort. Toi, tu n’es jamais pour rien dans tout ce qui se passe à ton sujet. Tu es là comme au cinéma : voyez Messieurs, Mesdames, ce qu’on a fait de moi.
— Les aliments, me répond Sidonie, il ne faut pas que je sache ce que c’est, ça me donne du remords. Une force me dit : « Tu ne dois pas manger, il t’arrivera malheur. » L’obésité c’est un crime que je fais mortel. Ma mère disait : « Tu ne dois pas manger, si tu
touches à quelque chose tu seras malheureuse toute ta vie. On te montrera à la foire. » J’ai des voix qui m’habitent, je veux prouver au monde que je peux tenir jusqu’à l’extrême limite du début de la mort. Il faut me laisser aller jusque-là, faire ce que je veux. On ne m’a jamais laissée faire cette expérience et tout chaque fois est à recommencer. J’ai à me débrouiller avec mes voix. C’est la première fois que je parle à quelqu’un de mon secret.
Ainsi se termine la première partie de la cure.
Sidonie dans la liberté qui lui a été laissée a tissé elle-même le filet de son emprisonnement. A l’engouement du début a succédé un état où elle se trouvait comme possédée par un destin inexorable auquel elle ne pouvait échapper. Si j’ai fait en sorte que Sidonie échappe à l’hôpital psychiatrique, elle a tenu à réaliser les prédictions du psychiatre. Sa métamorphose en asilaire, dans l’espace de quatre jours, avait un côté spectaculaire.
Sidonie – identifiée à un psychiatre – en est venue à exiger un régime pédagogique sévère. Elle s’est attaquée d’autre part au cadre de la situation analytique (oubli d’argent, demande de changement d’horaire, que je lui refusai).
Et puis c’est l’aveu d’un noyau délirant : elle est sous le coup d’une condamnation à mort de son être. Son vœu est de mourir* dans son corps pour que son être échappe à la mort.
Sidonie s’aperçoit que je ne partage pas le verdict de condamnation prononcé par les médecins et la famille – mais elle craint que je ne demeure pas la plus forte—et c’est cela qui va être continuellement mis à l’épreuve. (Ce qui est mis à l’épreuve, c’est la toute-puissance magique, la mienne et la sienne, au niveau le plus primitif. Au niveau symbolique, rien du registre de la castration n’est articulable. La castration ne peut être vécue qu’au niveau du réel : soüs forme de mort.)
III. L’hospitalisation.
a. Période hypomaniaque
Dès le retour de ses parents, Sidonie a donc réuni tous les éléments d’un « dossier » qui devrait amener le pédiatre à conseiller une hospitalisation. La collusion médicale avec la famille, c’est
bien Sidonie qui l’a mise en acte. En obtenant des parents et du pédiatre une totale liberté de manœuvre (c’est-à-dire le choix de la clinique et, dans cette clinique, le choix d’orienter le style de vie £}ui lui serait accordé), je gardais l’entière responsabilité de la cure (déjouant ainsi le vœu inconscient de Sidonie : celui d’obéir aux commandements qui exigent son retour à l’asile). Mais je sortais aussi de mon strict rôle d’analyste, en dévoilant mon désir.
Ce désir, je l’avais même clairement formulé : je refusais le système psychiatrique classique qui dans ce cas n’avait abouti qu’à l’échec. Sidonie souhaitait aller jusqu’au seuil de la mort (du corps), qu’elle y aille.
En entrant en clinique, c’est son cadre que Sidonie apporte, un cadre de « soins » très particuliers, dans lequel s’inscrivent des rites qui devraient conjurer des menaces de mort.
Sidonie entre en clinique pour expier.
Le cadre de la clinique offre un minimum d’exigences : des heures de lever, un travail à l’atelier, des heures de présence en salle à manger (où elle demeure libre de ne pas manger).
Un travail en équipe s’instaure entre le personnel soignant, le médecin et moi-même. Le partage des responsabilités est clairement établi.
Si j’ai tenu au départ à ce qu’une ligne de conduite soit respectée, je me suis mise ensuite au service de l’équipe qui prend seule toutes décisions concernant la vie dans l’institution.
Je tiens à rester l’analyste, consciente d’avoir usurpé déjà bien des rôles, entrée plus que je ne l’aurais voulu dans le jeu de Sidonie.
Et ce que Sidonie cherche à éprouver, c’est bien quelque chose de l’ordre de ma toute-puissance magique 1. D’une certaine façon, elle a l’impression que je dirige tout, ses parents, la clinique, les médecins. Bref, il faut que je sois plus diabolique (et phallique) que sa mère. Si je suis « magique », Sidonie l’est aussi.
Mais qui aura le dessus ? Moi ou le destin ?
r. Note du Dr J.-P. Boubour : Son désir de vérifier si vous possédiez bien cette toute-puissance magique, en réalité si vous preniez la place de sa mère en niant toute castration, se manifesta un jour où vous n’étiez pas venue, et où elle évoqua une décision urgente qui, à son avis, exigeait votre intervention. Elle nous mit en demeure de faire appel à vous ou de décider nous-mêmes, mais avec ce que cela sous-tendait d’atteindre à notre statut fantasmatique. Le choix de la deuxième solution fut très positif.
C’est très exactement sur cette base que s’engage la cure de Sidonie.
Je me déplace trois fois par semaine en moyenne, mais le jeu transférentiel, c’est avec toute l’institution qu’elle le tient.
Sidonie cherche à mettre en place des repères sûrs.
— Qui commande à la clinique ?
Après tout un jeu entre le personnel soignant et moi-même, Sidonie acquiert la conviction que le Dr Z est bien maître chez lui. Après l’avoir traité d’abord en valet, elle en fait ensuite le témoin médical de ses symptômes.
Les infirmières sont dans un premier temps traitées avec le même mépris. Drapée dans son orgueil, Sidonie se taille une place de reine. Sa situation est vraiment exceptionnelle. Elle a obtenu le déplacement de son analyste, une non-intervention médicale et une tolérance à l’égard de son anorexie, comme elle n’en avait encore jamais rencontré nulle part.
— D’ailleurs, lui dit une pensionnaire, ça ne s’est encore jamais vu ici.
La liberté dont elle jouit ne lui suffit plus. Il lui en faut toujours plus. Sidonie refuse d’aller aux ateliers, demande à sortir en ville, distribue la nourriture qui lui est destinée. Elle fait de son symptôme un enjeu dans sa relation avec les autres et séduit la bande des jeunes de l’établissement.
En huit jours, Sidonie l’asilaire s’est transformée en adolescente enjouée et boute-en-train (d’autant plus enjouée qu’elle perçoit fort bien la « rogne » du personnel qui supporte difficilement le manque de « soins »). Par sa maladie, Sidonie réalise son vœu d’être la plus forte l.
1. Note du Dr J.-P. Boubour : Lors de son rcgne, elle vécut d’eau gazeuse coupée d’eau naturelle « pour que ce soit plus léger », d’une dizaine de citrons et de grogs composés de vinaigre et de moutarde. La liberté de vivre avec un tel régime montre que la clinique (compte tenu des réactions inconscientes de l’équipe) a tenté de la laisser jouer son cirque, chacun étant le témoin qui la voyait mais qui ne répondait pas à sa provocation et refusait d’être acteur tomme l’eût été l’entourage familial. Elle me racontait ses exploits : tout allait mieux, elle voulait travailler, elle sortirait bientôt, elle se sentait en pleine forme ; provocations qui, à ce stade, étaient des appâts pour que je pose le diagnostic de folie sur la discordance du corps que je voyais et les propos tenus. Ainsi, je crois qu’elle put s’éprouver comme lieu de surgissement des rôles persécuteurs, au sens kleinien, qu’elle aurait voulu nous faire jouer. On lui permet de jouer sa folie pour qu’elle puisse reconnaître qu’elle en est le
Cette période d’euphorie ne s’est pas installée d’emblée et il n’est pa| inutile de rappeler comment Sidonie fit son entrée à la clinique.
Accompagnée de son père, elle fut avec l’économe objet d’un marchandage :
— Diminuez le prix, demanda le père, puisqu’elle ne mange pas.
— Pas question, répondit l’économe, elle payera le prix de tout le monde pour le régime de tout le monde.
Nous verrons ultérieurement le sort que Sidonie réservera aux paroles paternelles : « Ça coûte trop cher ».
Le lendemain matin, je la trouve étendue sur le sol, presque inconsciente. Je lui dis :
— Je t’accepte aussi bien morte que vivante.
Ces paroles Sidonie leur réservera aussi un sort (nous le verrons). Mais sur le moment, tel un diable sortant de sa boîte, elle bondit sur le lit :
— Je ne veux pas mourir.
Le soir elle fit un rêve : ses parents divorçaient et elle allait vivre seule avec son père.
C’est le lendemain que Sidonie s’installa dans son rôle de vedette, narguant le personnel soignant et séduisant les jeunes. Ainsi, à la salle à manger, elle commande un repas et l’offre à un invité de passage. Après une quinzaine de jours de ce régime, le personnel commence à se sentir un peu débordé. Sidonie n’en fait qu’à sa tête.
La directrice intervient un jour pour lui interdire de faire manger un autre à sa place. Sidonie perd sa règle du jeu à laquelle elle tient par-dessus tout. Puisqu’elle ne peut plus jouer de façon érotique de son symptôme, elle va se retirer et s’exclure de toute possibilité d’échange.
C’est d’une autre façon qu’elle va chercher à érotiser ses troubles.
théâtre. Vous appelez cette période « hypomane ». Cette période, en effet euphorique, se caractérisa par une sorte d’affolement des mécanismes projec-tifs qui, ne rencontrant plus de support pour renvoyer la persécution, se dévidèrent à vide, en quelque sotte, et lui permirent de tenter de réaliser et de vivre certaines de ses « envies délirantes » : « On vit sans manger, on travaille et tout va bien », dont elle faisait la condition suffisante de sa santé. Dans tout cela, elle oublie seulement l’existence de son corps qui meurt littéralement, et méconnaît l’aliénation de ses désirs.
b. Période dépressive
Dès l’instant où la règle de l’institution a joué, traçant les limites de sa liberté, Sidonie trame sa fuite (fuite de la clinique, fuite de l’analyse) et cherche en ses parents des alliés (le père n’avait-il pas dit que ça coûtait trop cher ?) pour réintégrer lhôpital psychiatrique ! La clinique, d’abord idéalisée (idéalisée au point que le père me dit : il ne faudrait tout de même pas qu’elle se croie en vacances), devient le persécuteur dont il faut se sauver.
Tout son jeu avec la nourriture (faire payer cher au père des plats offerts à d’autres) reposait sur une projection de pulsions destructrices. C’est cela que l’interdit est venu couper, et c’est désormais contre elle-même que Sidonie va engager son entreprise de démolition.
Elle réclame gavage et perfusion, des voix lui disent « on t’assassine », d’autres la menacent « tu t’en repentiras ».
Épuisée, perdue, Sidonie réclame la torture, un hôpital où l’on soit méchant avec elle. Elle revendique des « soins psychiatriques ».
La nourriture lui fait peur, elle a envie de se sauver de la nourriture, mais c’est sa sortie de l’institution qu’elle essaye d’obtenir.
Le discours contre la clinique, elle le tient avec son père. Dès le départ, elle a senti son opposition « parce que ça coûtait cher ». Le plaisir qu’elle y a pris (de le faire payer), elle cherche à se le faire pardonner en réintégrant l’hôpital psychiatrique.
— Tout plaisir, me dit-elle, se solde par la mort.
C’est dans l’antichambre de la folie que Sidonie se trouve. Ce qu’on y trame, c’est, dit-elle, un assassinat d'âme (on ne peut la suspecter d’avoir lu Schreber !).
Que s’est-il passé ?
Dans un premier temps, Sidonie a intégré l’institution au point de ne faire qu’un avec elle. Elle s’est sentie magiquement toute-puissante (comme Tétait son analyste) et plus forte que ses parents. Le cadre de l’institution, Sidonie l’ignorait. Seul le sien entrait en ligne de compte. La simple remarque de la directrice a introduit une rupture dans son cadre à elle, qui n’était plus apte à demeurer le dépositaire de son monde fantomatique.
Elle ne veut pas reconnaître d’autre règle de jeu que la sienne.
Se soumettre à la règle de l’institution, c’est voir s’effondrer sa toute-puissance magique (et la mienne).
— Vous me laissez tomber, me dit-elle au même moment.
Sidonie est en quête de repères, elle ne sait plus qui elle est ; et ce sont les menaces maternelles qui la traversent.
L’institution qu’elle a agressée de toutes les façons est ressentie brusquement comme dangereuse (au même titre que la nourriture) et c’est la fuite que Sidonie réclame. (La fuite à l’hôpital psychiatrique, où un lit lui a été réservé en accord avec la famille.)
La culpabilité de Sidonie aurait été moindre, si elle avait pu rencontrer des exigences de travail dans l’institution. Le cadre institutionnel n’étant pas suffisamment répressif, c’est Sidonie qui va exercer contre elle-même sa propre répression.
Une occasion se présente : la mort d’un cousin éloigné. Sidonie demande à participer à l’enterrement. C’est l’occasion saisie par le père pour la retirer de la clinique en mettant le médecin devant un fait accompli.
L’enterrement est une fête de famille. Sidonie y retrouve une place de reine. Les parents me la ramènent huit jours après, ils ont décidé la poursuite de l’analyse hors de la clinique (avec en fait le souhait de la voir réintégrer l’hôpital psychiatrique).
Je me trouve devant un couple fermé, et une fillette visiblement à bout de course. Le trio est braqué. On ne sait trop qui a tiré les ficelles. Toujours est-il que la direction de la cure appartient à la famille. L’analyste est mis en condition. Il n’y a aucun espoir de se faire entendre. Un trio aliéné, c’est ce que j’ai devant moi.
Je mets l’accent sur le fait :
1. Qu’un contrat a été rompu par la famille et que la clinique doit être réintégrée sur-le-champ. Je suivrai Sidonie là et non ailleurs.
2. Qu’ils sont tous commandés par un verdict d’incurabilité et que je me refuse à me faire complice de ce verdict.
Je suis brève et mets tout le monde à la porte.
Après une nuit de réflexion, le père décide de ramener sa fille en clinique. Elle avait cinq de tension. Pendant quarante-huit heures, on se demanda si elle allait ou non mourir.
c. La mort et la renaissance
La réintégration de Sidonie à la clinique a été qualifiée par elle plus tard sous cette forme : c’est une défaite. Pour la première fois, la famille a cédé devant des impératifs autres que les siens. Elle aurait pu consulter ailleurs, elle ne l’a pas fait.
Ce qui a pu être mis au jour, c’est la façon dont le père de Sidonie, identifié à sa fille, n’avait jamais pu fonctionner comme père. *
C’est entre la mère et l’enfant que la partie se jouait. Par le biais du symptôme, la fille dominait la mère. C’était à qui, de la mère ou de la fille, serait la loi. Il n’y avait pas de place pour un élément tiers.
A son retour en clinique, Sidonie est mise sous perfusion.
Je la vois tous les jours pendant un mois.
Son corps, elle ne le sent pas. Elle l’abandonne au médecin J.
Elle parle avec regret de l’enterrement : C’était si beau, c’est comme si ça avait été ma fête. J’aurais voulu qu’on me laisse aller jusque dans la mort, mais sans mourir quand même.
j, 2 Institution psychiatrique et psychanalyse
S
Moi : C’est ce qui a été fait. Le Dr Z dit qu’on ne peut pas aller plus loin sans que tu meures pour de vrai. C’est la raison pour laquelle tu es sous perfusion. C’est la raison pour laquelle il t’a demandé de t’alimenter.
Sidonie : Comment il a pu savoir que j’allais mourir ?
Moi : Et toi, comment ça se fait que tu ne sens pas ce que ton corps réclame ?
Sidonie : J’ai cru que je saurais arrêter la mort à temps. Les envies et ce que le corps veut, c’est pas pareil.
Moi : Toi, qu’est-ce que tu veux ?
Sidonie : Je veux mourir pour savoir qui je suis.
Un mythe est alors inventé, mythe qui va l’occuper pendant plus d’un mois et qui va jouer, non comme retour en arrière, mais comme recours pour retrouver les frontières de son identité.
Le mythe est un voyage dans la mort. La fausse-Sidonie-dans son-corps-de-vieille-femme-qui-fait-peur, fait une descente aux Enfers. Au même instant, quelque chose naît, ce n’est pas encore du vivant, ça le devient, c’est un corps de bébé, de fille, de femme. Un jeu compliqué se trame entre la sorcière et le nouveau-né : le droit à la vie lui avait été ôté par un jugement avant sa naissance.
Qui suis-je ? où suis-je ?
Questions qui surgissent, cependant que des voix menacent Sidonie de mort parce qu’elle s’alimente.
Sidonie se laisse en effet nourrir par les infirmières. Les cinq repas (bouillies de bébé) s’inscrivent dans un rituel d’expiation (prières, génuflexions, incantations, pour conjurer les menaces de mort qui se font de plus en plus précises à mesure qu’elle se fait désirante).
Le paradoxe est là : c’est bien une demande de mort qui sous-tend à un niveau inconscient tout ce qu’elle formule consciemment comme exigences diverses. Cette demande de mort tourne autour du vœu que son corps disparaisse, pour que le désir, comme tel, subsiste.
A d’autres moments, des mécanismes d’annulation interviennent, qui vouent la demande à n’être même pas ce qui se trouve alors annulé, ce sont les signifiants de la demande ; ce que Sidonie. conserve, ce sont les commandements qui la détruisent.
Sidonie est ainsi prise dans une oscillation sans fin, partagée entre le désir de destruction de l’Autre ou son maintien. Cela s’accompagne d’un sentiment intense de culpabilité, qui l’amène à se détruire pour que le désir puisse subsister.
En homologuant au début de son séjour son vœu de destruction de son corps (« Je t’accepte aussi bien morte, que vivante »), j’ai privilégié le maintien du désir, désir qui était interdit par un sur-moi maternel archaïque. Mais j’ai laissé entière la fascination exercée sur Sidonie par un certain jeu avec la mort (la sienne et celle de l’autre) ; et cette mort, il a fallu qu’elle en éprouve l’effet sur les autres, pour y mesurer leur désir de la voir vivante.
— A quoi ça correspond d’être vivant ?
Cette question, Sidonie la pose à un moment où, en clinique, le risque de sa mort réelle avait été clairement posé. Avec ce corps qui lui échappe, Sidonie fantasme l’entrée dans une autre vie, une vie où il n’y aurait pas de corps.
— Le voilà mon problème, me dit-elle, je veux ni grossir-ni maigrir, être ni garçon-ni fille, ne plus avoir de règles.
— Que diront mes parents, si j’entre dans un corps de fille ? est la question qui est ensuite posée.
Sidonie entrevoit bien qu’elle peut, en tant que fille désirante, naître de cette mort qu’elle a frôlée ; mais ce à quoi elle se heurte dès lors, c’est à ce qui, dans la mère, n’a pu s’assumer comme être sexué, à ce qui, dans le père, n’admet pas qu’elle devienne être sexué pour un autre. Cette simple question : « À quoi ça correspond d’être vivant ? » est l’interrogation du désir comme tel, dans un champ où la parole n’a que faire. Sidonie se sent impliquée là (au niveau de ce qui s’y désigne comme refoulement primordial) non comme sujet, mais comme signifiant (et ce qu’il lui faut annuler, ce sont justement des signifiants). Son désarroi a la dimension d’un drame. Le malentendu dans son rapport à l’autre est radical.
— Tout le monde est content, parce que je suis guérie, me dit-elle un jour en pleurs. On ne se rend pas compte que ce n’est pas Ça, l’important. On comprend pas que ce qui compte, c’est mes envies. C’est mes envies que les voix tuent. Elles les traquent pour les tuer. A quoi ça sert que je vive, si je suis condamnée à la mort de mes envies ? Ma maladie, c’est pas la nourriture, c’est que je suis en train de devenir folle.
Comment situer mieux le malentendu radical dans le rapport de l’anorexique à sa mère ? La mère ne donnant pas à l’enfant ce qu’il désire, le bourre de ce dont il a besoin. Le résultat en est la transformation du désir de l’enfant, pour qui le seul moyen de subsister comme désirant est de refuser de manger.
L’anorexie, dans ce contexte, n’est pas une « maladie », mais la seule façon pour l’individu d’arriver à naître comme sujet désirant, hors du désir de la mère.
Le : « Je ne veux pas manger » sous-tend le « je veux » du désir qui cherche à émerger.
Un accident me rend indisponible pendant quelques jours. Sidonie sait que j’ai été accidentée et le ressent comme un abandon.
Elle a recours à son symptôme et refuse toute nourriture. Le médecin, encore proche de l’épreuve qu’a constituée pour lui le risque réel de mort de Sidonie, ordonne l’alimentation par la sonde (elle n’a lieu qu’une fois). Il se rend compte, d’ailleurs, qu’il s’est laissé « avoir » par l’adolescente 91
la profession. L’équipe favorisa cette identification en lui confiant un certain nombre de tâches. Dans la deuxième, se manifesta une opposition à moi qui incarnais le personnage autoritaire dans l’institution, j’endossais volontairement ce rôle qui se traduisait par des exigences d’horaires précis, par le travail à l’atelier qu’elle n’aimait pas, par la limitation des visites.
Elle y répondait en me présentant avec une agressivité doucereuse tout un cahier de doléances et de requêtes que nous discutions point par point aussi longtemps qu’il le fallait. Il n’y avait pour elle d’autres possibilités que d’en passer par ma loi, mais au travers d’un dialogue. Je crois que pendant cette période elle admit que je sois le maître à la clinique et que vous soyez l’analyste, et qu’aucun rapport de dépendance ne me liait à vous.91.
Tout un scénario a été mis en place par Sidonie, c’est elle qui distribue les rôles de victime et de bourreau.
L’intermède de la sonde (contestable) se situe dans un contexte où le médecin a été investi positivement, pour avoir été celui qui l’a désirée vivante (en diagnostiquant à temps qu’elle se mourait). Quelque chose de l’ordre d’une provocation a été mis en place par Sidonie, on peut y voir une compulsion de répétition, sous le signe du principe du plaisir (l’agression orale venait redoubler les effets d’un soi-disant viol à 7 ans). L’agression médicale a été recherchée et la douleur érotisée.
A l’instant où je perds ma puissance magique dans un accident, Sidonie fait émerger celle du médecin.
De cette intervention, elle ne me parlera jamais, si ce n’est dans une transposition délirante :
— Pendant votre absence, on m’a fait du choc – ça m’a projetée dans une autre peau. Les ondes électriques continuent à se promener tout le long du corps.
En fait, Sidonie s’est « choisi » le traitement que le médecin administre à d’autres patients de l’étage (électrochocs). Dès ce moment, elle oscille entre deux identifications : aux malades de l’étage auxquels elle s’intéresse (pour les démolir), aux infirmières (elle demande à les aider).
Dans les performances qu’elle accomplit, elle est la plus folle, ou la plus sage (il faut qu’elle se distingue comme être d’exception dans un sens ou dans l’autre).
Se fait ainsi jour un contenu délirant, auquel je ne toucherai jamais pour privilégier seulement ce qui, de l’ordre du désir, essaye de se préciser.
Deux types d’activités sont proposés à Sidonie :
a) le travail obligatoire à l’atelier à des heures fixes ;
b) le travail « libre » (et en fait exceptionnel) d’aide soignante.
Tout le problème du conflit anorexique va être transposé sur
le travail obligatoire. C’est au médecin que Sidonie livre ses revendications, ses plaintes. Elle prépare à son intention un cahier de doléances, comme elle fit naguère (à l’instar de sa mère) pour ses symptômes somatiques.
Au travail « libre », Sidonie se montre efficace et responsable.
— Si je perds ma maladie, m’avoue Sidonie, je ne sais pas ce que je gagne au bout. Je suis dans une impasse, car je ne sais pas ce que je vais trouver. A mon avis, il faudra que je garde une maladie, une qui ne crée pas trop d’ennuis.
Quelques jours après (cinq semaines après le jour où son père l’a ramenée mourante à la clinique), Sidonie me déclare :
— Je me suis souvenue de ce que vous m’aviez dit il y a deux mois : que je pourrais quitter cette clinique de dingues pour un endroit où il y aurait des chevaux, dès que je m’assumerai seule. Eh bien c’est fait depuis huit jours. Je ne veux pas passer Noël ici.
C’est un jour de Noël que Sidonie avait décidé de sacrifier son corps. C’est un jour de Pâques qu’elle avait renoncé à Dieu.
Je ne me sentis pas en droit de lui refuser ce départ, estimé prématuré par tous.
Quinze jours plus tôt, Sidonie donnait encore l’impression d’être une grande délirante (délirante avec certains, elle choisit son thème selon l’interlocuteur), et ne se nourrissait que de bouillies.
Le jour où elle décide son départ, elle abandonne ses symptômes, se mêle aux jeunes, prend les repas en commun. Plus de plaintes, Sidonie est « normale », disons qu’elle joue à l’être 1.
t. Note du Dr J.-P. Boubour : Selon moi, une troisième période commença le jour où elle vous rappela votre promesse de lui faire quitter la clinique à partir du moment où elle s’assumerait toute seule. Je me souviens qu'a posteriori vous aviez regretté cette promesse. A partir de cet instant, elle se métamorphosa au point qu’un matin je ne la reconnus pas : elle était aimable – j’en étais ravi et, quand j’y pense, j’ai encore l’impression d’avoir été trompé. Votre promesse lui donna la possibilité de reprendre la barre, de s’assurer que c’était à nouveau vous qui faisiez la loi (comme sa mère) ; il n’y avait alors aucun risque à devenir aimable avec moi, puisque je ne présentais plus aucun danger pour elle ; ses doléances agressives n’avaient plus aucun intérêt puisque moi-même n’en avais plus. Le symptôme revint sur la nourriture mais, cette
Sut le plan de l’analyse, tout reste à faire (mais Sidonie a intégré la poursuite de l’analyse dans son plan d’évasion, elle continue à venir me voir).
Sous l’apparence de l’hystérie, Sidonie réalise en fait un destin oscillant entre le commandement voilé de l’obsessionnel et le commandement manifeste 1 du psychotique.
« L’assassinat d’âmes » dont elle se plaint situe « l’antichambre de la folie » dans laquelle par moments elle se tient. Un verdict implacable lui a tracé les limites dans lesquelles sa vie peut se dérouler – un lit à l’hôpital psychiatrique, une vie entre la maison et l’hôpital, selon la prédiction médicale ; une condamnation à la mort de toute demande, selon le vœu maternel.
Sidonie lorsqu’elle porte son interrogation sur le désir de l’Autre reçoit en retour une réponse qui l’aliène. Lorsqu’elle cherche à se saisir dans l’image que le regard de l’Autre lui renvoie, elle ne peut subsister qu’au pur niveau ou de l’image de l’objet ou de sa représentation signifiante (d’où ce rapport très particulier, à un corps qui lui demeure parfaitement étranger).
B. Commentaire
Le drame de Sidonie est le drame de sa rencontre avec le désir. Ce à quoi elle a affaire, c’est au désir du père : désir qu’elle soit soustraite au désir sexuel d’un autre homme (au prix de demeurer « retardée »), et au désir de la mère qui ne peut accepter de la perdre (en tant que sujet d’un vouloir) qu’au prix de la récupérer comme objet de soins. Dès que Sidonie pose au lieu de l’Autre l’interrogation sur ce qu’elle veut, elle reçoit en retour un message qui l’enferme et la soustrait au désir. C’est par le refus que Sidonie va s’affirmer dès lors comme désirante, et c’est là qu’elle fait la rencontre avec la mort (la sienne ou la mort souhaitée d’une mère aimée-haïe). L’axe autour duquel a tourné la cure est le problème d’une mort que l’on pourrait recevoir d’un autre.
Dans la rencontre de Sidonie avec son semblable, c’est la mort qu’elle privilégie, au-delà de lui : avec ce signifiant fatal s’opère quelque chose de l’ordre d’une identification. Le jour où. la parade avec la mort n’est plus possible, Sidonie cherche à se présenter sous le masque de la folie.
Sidonie s’offre comme témoin dès le premier entretien : témoin de la vérité du couple. Elle n’a pas d’autres repères que ceux d’une toute-puissance magique (maternelle), toute-puissance qui la maintient exclue de l’ordre symbolique. Sidonie est le fruit d’une union sexuelle dans laquelle l’apport du père comme être sexué a été nié, ce qui a mis la fille en posture de ne pouvoir trouver à son tour une place comme être sexué. « Chez nous, les hommes ça ne compte pas, ils sont d’ailleurs toujours absents. » Lorsque Sidonie cherche à se compter, elle fait surgir du registre imaginaire le désir de mort ; et là où elle essaye de se nommer, elle disparaît comme sujet. C’est par la voie du deuil (d’un rapport narcissique à un corps qu’elle abandonne) que cherche à se rétablir ce qui, d’elle, perdu là, va pouvoir naître à l’état de désirant, c’est-à-dire à l’état de sujet capable de lutter pour vivre.
Dans ce mythe de la mort, ce qui est posé à l’origine est quelque chose de l’ordre de la scène primitive ; c’est là que se trame pour Sidonie un lien entre ce qu’elle veut et la mort, celle de l’autre et la sienne propre. Mais le problème de la mort de l’autre (de la mère), s’il apparaît dévoilé dans le rêve, n’apparaît ailleurs que sous forme déniée. Et la position de Sidonie face au signifiant phallus est identique à sa position face au signifiant mortel, quelque chose se trouve là forclos ou dénié. C’est comme être a-sexué que Sidonie cherche à se saisir afin d’échapper au désir du père et à l’effroi que constituerait pour elle la reconnaissance de la castration chez la mère (d’une mère investie d’une toute-puissance magique).
Le symptôme, l’anorexie, est par conséquent vécu d’abord comme commandement muet. Sidonie ne sait pas que des voix lui ordonnent de ne pas manger. Le dévoilement de ce non-su se fait au cours de la relation analytique. Réapparaît dans le langage ce qui demeurait jusque-là refusé par le sujet et soustrait à toute articulation symbolique. « Une force me dit : tu ne dois pas manger, jl t’arrivera un accident. Tu risques le malheur. La boulimie, l’obésité, c’est un crime que je fais mortel. » A d’autres moments, des voix se font insistantes et disent « on t’assassine, tu t’en repentiras ».
Ainsi se trouve posé à deux niveaux ce qui dans la demande du sujet cherchait à se faire reconnaître.
D’un côté, ce que Lacan nomme « l’antichambre de la folie 1 » c’est-à-dire cette floraison imaginaire qui surgit au point de rupture avec la réalité extérieure : les paroles de commandement, de mortification dont Sidonie nous submerge. Dans la relation analytique, c’est cela même que je me suis efforcée de maintenir entre parenthèses, pour ne privilégier que ce qui, au-delà, cherchait à se faire reconnaître dans une articulation symbolique.
De l’autre côté, nous trouvons un jeu avec la mort posée comme mythe,. c’est-à-dire comme recours, pour que réapparaissent dans le présent les signifiants des demandes anciennes : de là les identifications au soignant qui ont surgi de façon alternée avec les idées délirantes.
Si je n’avais été à l’écoute que de la seule floraison du fantastique, j’aurais « psychiatrisé », c’est-à-dire figé, un délire qu’il fallait à tout prix laisser courir et traiter comme un processus restitutif de guérison.
De fait, les paroles de commandement qui gouvernent Sidonie à son insu, nous renvoient à des oracles, des serments, des vœux, bref à tout un appareil du destin 2. Nous savons (par le mythe d’Œdipe) que l’oracle est justement ce à quoi le sujet cherche à échapper – et c’est en essayant d’aller ailleurs que le sujet le réalise en fait, comme nous le voyons dans la névrose obsessionnelle ; dans la psychose, et du fait d’une identification inconsciente, le sujet refuse de tenir compte de l’oracle ; l’inconscient bien entendu en tient compte, lui.
r – J. Lacan, Séminaire du 16 novembre 1955 (inédit).
2. O. Mannoni, le Mythe familial, cartel de l’École freudienne, décembre 1964.
Le mythe familial est généralement connu du sujet ; ce qui est inconscient c’est l’identification narcissique.
Sidonie, tout au long de la cure, témoigne avec le discours des autres 92
J. Lacan, Séminaire du 8 février 1956 (inédit) : « Le psychotique est un témoin ouvert ; or c’est précisément dans ce sens qu’il semble fixé, immobilisé dans une position qui le met hors d’état de restaurer authentiquement le sens de ce dont il témoigne, et aucune façon de partager ce dont il témoigne avec le discours des autres. »92 de la façon dont elle est agie, ignorant ce qui la commande (l’ignorant d’une certaine façon, elle voit qu’elle obéit aux ordres, mais dit que c’est par hasard. L’ordre, elle ne le connaît pas en tant qu’ordre).
Deux discours l’ont marquée :
a) les prédictions maternelles : tu seras condamnée ;
b) les prédictions médicales : elle passera sa vie entre la famille et l’asile.
Piégée dans le discours collectif qui l’emprisonne, Sidonie établit avec son entourage des liens symbiotiques. Sidonie ne peut quitter ceux qu’en fait elle déteste. Et nous assistons à une labilité très grande du jeu identificatoire. Sidonie se présente tour à tour comme hystérique, obsessionnelle, délirante ou perverse.
Le désir, elle cherche à le fixer, mais dans un autre mouvement, elle aboutit à n’en plus avoir : réapparaît alors ce qui dans les paroles maternelles est venu tuer jusqu’aux demandes elles-mêmes. Ainsi se pose pour Sidonie la dialectique insoluble du désir, qui s’exprime sous la forme de son refus d’elle-même comme être sexué (refus ponctué de cette interrogation : « Que diront mes parents si j’entre dans un corps de fille ? » ; on saisit là le rapport entre le désir et la marque de la castration qui surgit d’abord au lieu de l’Autre). Nous avons vu comment, tout au long de la cure, Sidonie a mis en place ce que l'on disait d'elle, apparaissant comme témoin et victime à la fois d’un drame qui la dépassait. La mort, elle la posait comme signifiant à interroger « pour savoir qui je suis », tout en indiquant clairement qu’il ne fallait pas confondre, dans les « soins » à elle prodigués, ce qui était du registre du besoin et du désir.
A se laisser guider par elle, on demeurait jusqu’à un certain point dans le registre le plus sûr, à cela près que le rapport de Sidonie à son corps était à ce point inexistant qu’elle se serait laissée mourir tout en ne le désirant pas. Ici se situait la limite (et le terme) d’une expérience de liberté qui ne pouvait être poussée au-delà sans entraîner la privation de liberté par la mort réelle, mort souhaitée au niveau imaginaire, mais qui dans une articulation symbolique était demande de naissance à partir de l’introduction d’un signifiant.
D’avoir permis au sujet d’aller jusqu’à l’extrême limite de la résistance physique a été, à coup sûr, un facteur déterminant de sa « guérison », guérison à ce moment toute relative, car s’il s’agit de la disparition du symptôme, demeure encore entière la façon dont Sidonie réalise, à son insu, la place à elle réservée par les oracles qui constituent l’appareil de son destin.
« Si je perds ma maladie, je ne sais pas ce que je gagne », avoue alors Sidonie, qui dans un autre temps ajoute « il me faut une maladie ». Ce qu’elle n’a pu reconnaître, c’est la fonction de la maladie comme signifiant du désir. La maladie remplit une fonction d’occultation dans le rapport de Sidonie au signifiant phallus, d’une part, au problème de l’inceste tel qu’il se pose chez le père, d’autre part.
Ce qui doit en fin de compte demeurer forclos est le problème de la castration comme tel (d’où la négation chez Sidonie de son corps sexué).
A l’intérieur du jeu transférentiel, nous avons vu comment elle m’avait épinglée dans le registre de la toute-puissance magique. C’est à partir de là que réapparurent les signifiants des plus anciennes demandes (et que s’articule ce qui peut être appelé du nom d’identification primaire). C’est là que doit être situé ce qui, de la castration, n’avait pu être symbolisé et qui était réapparu dans le réel sous la forme d’une demande réelle de mort (demande où se répétait le lien le plus primitif à la mère, celui de l’étape spéculaire où – par suite d’un accident dans le rapport mère-enfant – le corps de l’enfant sous le regard de l’autre peut, sur le plan fantasmatique, se saisir comme lieu de castration dans l’effroi le plus total93
Piera Aulagnier, « Remarques sur la structure psychotique », in la Psychanalyse, n° 8, P.U.F.93.
Dans le jeu transférentiel de Sidonie en clinique, tel qu’il se déroulera par la suite, c’est l’image du corps morcelé qui fut projetée dans le cadre institutionnel. L’adolescente faisait de la routine et de la règle de l’institution à la fois un élément de permanence réassurante et un élément du chaos le plus total.
Il lui a fallu introduire d’abord le dérythmage radical, pour amorcer ensuite quelque chose de l’ordre d’un processus de réparation (à travers la rupture, le rejet et l’agression). L’institution n’est devenue instrument de protection (contre l’angoisse psychotique) que dans un deuxième temps. Ce qui s’est instauré comme type de relation avec le personnel soignant fut de l’ordre d’une « relation symbiotique ». Sidonie n’évita le danger d’entrer dans une stéréotypie institutionnelle que parce que la possibilité d’un changement de rôle lui avait été donnée, avec la possibilité de passer de l’état de soigné à celui de soignant.
Nous situons là ce qui dans l’institution peut agir au niveau le plus radical comme facteur désaliénant. Ceci est à son maximum d’importance dans certains types de détresse, détresse au cours de laquelle le sujet se laisse aller à toutes les formes d’abandons.
Si l’institution a permis à Sidonie d’effectuer dans un cadre de sécurité une « régression » des plus massives, elle a permis également que s’effectue à partir de cette régression 1 dans la permanence du cadre un contrôle des angoisses psychotiques.
Ce qui a été posé comme processus de répétition dès l’entrée de Sidonie dans l’institution était la recherche d’une mise en actes de disputes d’adultes à son sujet.
C’est comme objet aimé-haï que Sidonie s’était introduite dans le désir de l’Autre ; d’un Autre à qui elle cherchait à donner aussi un objet à haïr. Dans le transfert il lui fallut donc écraser le personnel de demandes au niveau du besoin (dans un contexte de non-sens radical) pour que peu à peu émerge quelque chose ayant trait au désir. En quoi c’est sous le masque de folle que Sidonie interrogeait la mort, posant très clairement là sa question concernant la vérité et le savoir ; « témoin ouvert » de sa propre contradiction, hors d’état de restituer le sens du drame dans lequel elle s’était, avec un autre, perdue.
i. Régression qui répétons-le n’est pas un retour en arrière mais un recours pour que réapparaissent les signifiants des demandes pour lesquelles il y a prescription.
3. Psychanalyse et anti-psychiatrie
Il faut changer le jeu et non pas les pièces du jeu. La Clé des champs.
André Breton
7. Anti-psychiatrie et psychanalyse
J’aborderai à présent les problèmes auxquels tente de répondre l’anti-psychiatrie et la façon dont le psychanalyste peut, pour sa part, répondre à la même interpellation.
I. Confrontation théorique
Schreber
Le 14 juillet 1902 \ Daniel Paul Schreber, docteur en Droit, président en retraite de la Haute Cour du royaume de Saxe, fit appel du jugement qui l’avait, en tant qu’aliéné, placé sous tutelle, en mars 1900.
Le juge, influencé par le rapport de l’expert, le Dr Weber, avait estimé, à l’époque, que la maladie mentale du patient devait le rendre inapte à la direction de ses propres affaires. Cette opinion avait été partagée par la Cour : celle-ci jugeait qu’un délirant en proie à des hallucinations, c’est-à-dire « en proie à des influences externes non contrôlables », n’était pas en mesure de s’occuper avec maîtrise de l’administration de ses biens.
Daniel Schreber, aidé de son avocat, contesta ces arguments, il ne voyait pas pourquoi une paranoïa diagnostiquée par les psychiatres l’empêcherait d’assumer avec responsabilité la conduite
1. Daniel Paul Schreber, Mtmoirs of my nervous illntss, by Ida Micalpine, Dawson & Sons Ltd, Londres, 1955.
i66 Psychanalyse et anti-psychiatrie f
?
de ses affaires. Le délire (problème médical) est une chose, la capa – f cité civile (problème juridique) en est une autre. <
L’annulation du jugement de placement sous tutelle fut ainsi J demandée ; elle prenait appui sur des documents rédigés par Schreber lui-même, et publiés ultérieurement sous le titre Mémoires de ma maladie nerveuse. Le plaignant y contestait non seulement les décisions administratives prises à son endroit, mais encore les conclusions de l’expert médical.
1. Daniel Paul Schreber refusait l’idée d’avoir été ou d’être mentalement malade. Il pouvait, disait-il, concevoir à la rigueur que son système nerveux avait connu un état morbide ; mais cet état même lui avait permis d’accéder à la connaissance de Dieu, d’un Dieu qui continuait à s’imposer journellement en lui par ses miracles et par son langage.
2. Si, psychiatriquement, on le considérait comme malade, il fallait encore prouver juridiquement que cette maladie était incompatible avec l’exercice de ses droits et fonctions civiles.
Tout au long de son plaidoyer, Daniel Schreber s’efforça de démontrer que ses facultés intellectuelles étaient demeurées intactes, que sa conduite demeurait raisonnable malgré certaines excentricités. Il fit remarquer que son goût pour les ornements féminins n’avait jamais entraîné aucune dépense ruineuse. Il s’agissait, tout au plus, d’un trait de comportement qui pouvait être considéré par autrui comme « bizarre ».
Le souhait de publier ses mémoires comportait enfin un risque financier limité ; ses écrits n’offensaient personne.
Ces différents arguments furent étudiés par la Cour en appel.
Elle estima que le plaignant était fou… mais que ce n’était pas suffisant pour le placer sous tutelle.
Les attendus de ce jugement constituent un véritable document.
S’y trouvent posées (pendant près de 100 pages) les bases juridiques du rapport de la maladie mentale avec le statut social. La « maladie mentale » y est décrite comme un état qui ne saurait nécessiter d’emblée une quelconque mesure d’internement ou de mise sous tutelle. « Les vociférations compulsionnelles qui surviennent contre la volonté du patient ne sont pas un motif suffisant pour un placement sous tutelle. Elles peuvent nécessiter l’intervention de la police au cas où la paix du voisinage serait troublée ; mais
cela ne peut justifier un placement sous tutelle, le placement demeurant sans effet sur ces vociférations. »
La Cour de Dresde posait ainsi un problème d’ordre administratif et juridique qui, en raison de sa complexité, n’est pas sans susciter, de nos jours encore, les plus vives discussions.
C’était le juge qui, en Allemagne, décidait que faire de la folie. Le psychiatre donnait un avis ; il n’avait pas le pouvoir de décider d’une ségrégation du patient. Il en allait ainsi en France en 1804. La loi de 1838 introduisit un statut de l’internement, qui voulait constituer un régime spécial de « protection » pour les malades mentaux. L’aliéné se trouvait ainsi, partiellement au moins, soustrait au pouvoir judiciaire, son sort étant remis à une décision médicale prise sous l’autorité du Préfet. Des mesures de sauvegarde venaient en lieu et place des décisions du Juge.
Les « soins » à l’aliéné avaient pris ainsi le relais de la sanction juridique. Le problème n’en a pas été facilité pour autant. Il est même permis de se demander si Daniel Paul Schreber aurait bénéficié, sous notre régime et de la part de notre administration, de cette même tolérance dont fit preuve en son temps la Cour de Dresde à l’égard de la maladie mentale.
Le juge n’avait mis à aucun moment en doute le bien-fondé du diagnostic médical ; mais il considérait, en un certain sens, l’alié* nation comme faisant partie des droits de l’individu. Ce sont ces droits que la Cour d’appel cherchait à préserver. Du moment que le placement sous tutelle n’avait aucun effet sur le cours de la maladie, ce placement lui semblait inutile (et avec lui, l’internement).
Quant au problème moral soulevé par la publication des mémoires (qui mettait en cause l’honorabilité de différentes personnalités), la Cour estima que c’était un faux problème. Nul ne saurait, dit-elle, se sentir offensé par le langage virulent du plaignant, puisque ce langage n’est pas le sien : « Il ne fait que répéter ce que les voix des esprits lui disaient dans les années où il était sévèrement halluciné ».
Ainsi était posé le problème de la « maladie mentale », cette provocation intolérable à des personnes en bonne santé. Il fallait qu’elle demeure permise, dans la mesure où il s’agissait de paroles et non d’actes mettant en danger la vie d’autrui. Les voix des esprits pouvaient dire des vérités qui indisposent l’homme du commun. On n’aurait su pour autant condamner à se faire « soigner » celui qui avait donné abri à ces voix.
L’obligation de soins
C’est l’obligation de soins que conteste l’anti-psychiatrie, la norme de l’adaptation qui pèse aujourd’hui sur les malades mentaux, risque en effet de les enfermer dans une autre forme de système répressif, peut-être plus arbitraire encore qu’une décision de justice de laquelle on peut toujours faire appel.
La Cour de Dresde en annulant la mise sous tutelle de Daniel Paul Schreber convenait néanmoins qu’il était fou. Libre, Schreber avait reçu le droit d’être fou ; la limite de cette liberté étant tracée avec l’interdiction de mettre pat ses actes la vie d’autrui (ou la sienne propre) en danger.
La décision de la Cour aurait été peut-être plus difficile à prendre pour un médecin justement parce que toujours tenté de « soigner » ce qu’il sait pourtant bien souvent incurable. C’est un fait que la société place le psychiatre dans une position ambiguë : il est au service d’un patient dont il a à défendre les droits mais il se trouve également placé en position d’auxiliaire de la police dans un processus d’internement qui est un processus d’obligation de soins. Ce malaise dans la psychiatrie, Henry Ey en rendit compte lors des journées des 5 et 6 mars 1966 94
Les externats médico-pédagogiques prennent le relais des familles de psychotiques lorsqu’ils mettent en place une organisation de méconnaissance des problèmes institutionnels ou lorsqu’ils reprochent à l’analyste de ne pas adapter l’enfant à son inadaptation (I).4 (la loi de 1968 apporta par la suite des modifications à la loi de 1838).
« Les psychiatres… s’ils réclament qu’il n’y ait pas de loi spéciale… demandent que les problèmes pratiques et juridiques posés par le cas du sujet… qui peut par ses réactions faire courir un danger à lui-même et à autrui, que ces problèmes réels – mais relativement rares, tout au moins sous leur forme irréductible tant en ce qui concerne leur opposition qu’en ce qui concerne leur « dangerosité »
— soient réglés conformément au droit commun et au code de la santé, sans qu’un monument juridique écrase directement ou indirectement la masse des malades mentaux de la menace qui pèse « légitimement » sur seulement une petite partie d’entre eux. »
En souhaitant un retour à une procédure de droit commun, certains psychiatres espèrent soustraire le « pouvoir médical » aux pressions sociales abusives.
Il faut bien se souvenir ici que le discours sur le savoir psychiatrique n’est pas un discours scientifique ; il s’agit de l’assemblage d’hypothèses et d’outils de travail. Rien de plus dangereux, dès lors, que de donner aux conclusions médicales le caractère sans appel d’une sentence. La parole médicale se trouve généralement utilisée, déformée, transformée par les croyances mythiques de chacun. Le médecin n’est pas à l’abri de ces croyances communes ; c’est pourquoi il se laisse si souvent prendre au piège prétexté des « soins », risquant d’assumer sous la couverture médicale le rôle « policier » que la société cherche à lui faire jouer, pour se protéger de sa peur de la folie. Tout cela fait que le dérèglement de la parole est « soigné » médicalement : c’est-à-dire que l’on réprime ce qui cherche à s’affirmer dans un dire de provocation.
Or, dès qu’un aval médical (psychiatrique) est donné au malaise à vivre, on entre dans un malentendu qui risque de fixer le trouble, faute d’en avoir démonté les ressorts. Toute prise en charge systématique de la population sur le plan de ce qu’on appelle « hygiène mentale » présente ainsi un danger : celui d’accroître la démission du « malade » et de sa famille, celui de pervertir l’acte thérapeutique lui-même (faussé dans sa visée, dès qu’il se soumet à des impératifs sociaux).
La dimension politique du problème des troubles mentaux se trouve trop souvent colmatée ou niée par l’intensification de ces programmes de « soins ».
Vers la contestation
L’anti-psychiatrie, en s’inscrivant dans un projet politique, vise justement à la démystification du rôle que la société fait jouer à la psychiatrie. Cette démystification veut toucher au fondement idéologique du savoir psychiatrique. Elle remet en question le bien-fondé de la « vocation sociale » de la psychiatrie contemporaine, vocation à laquelle les psychanalystes eux-mêmes ne refusent pas toujours leur caution.
La position du psychiatre devant le problème social se trouve donc abordée de façon contradictoire dans les différentes tendances du mouvement psychiatrique actuel. C’est désormais par rapport à la société, en relation ou en opposition à elle, que se situe l’étude du problème de la folie.
L’anti-psychiatrie a choisi de défendre le fou contre la société. Elle cherche à créer des lieux d’accueil de la folie, lieux conçus à la fois comme refuge contre une société oppressive, et comme défi à l’égard de structures médico-administratives méconnaissant la vérité et le pouvoir de contestation qui se dégagent du discours de la folie. Une vérité aliénée échappe au psychiatre dès qu’il a pour unique visée la guérison de la folie. L’anti-psychiatrie, si elle invite à une contestation radicale de toutes les institutions psychiatriques, se veut d’abord et avant tout lieu d’où, la maladie mentale pourrait être réinterrogée, selon des critères différents de ceux empruntés à une idéologie ou à des conceptions scientistes *.
« Dans la mesure où la psychiatrie représente les intérêts ou les prétendus intérêts des hommes sains, il faut nous rendre à l’évidence que en fait la violence dans la psychiatrie est, tout d’abord, la violence de la psychiatrie 95
David Cooper, Psychiatrie et Anti-Psychiatrie, éd. du Seuil, 1970.95. » Cette violence, Cooper la situe au cœur même de tout réseau de soins : l'équipe soignante, en domestiquant la folie, agit, nous dit-il, comme mystification de la liberté 96
Pierre Fedida, ioc. cit.96.
L’institution psychiatrique contestée
Comment au-delà du problème politique l’anti-psychiatrie décrit-elle le fonctionnement de l’institution ? Cooper reproche en particulier à la structure sociale des hôpitaux psychiatriques de reproduire la structure même des familles de psychotiques. Du fait que des patients réputés psychotiques sont amenés à vivre ensemble, on peut percevoir la naissance d’une relation érotique et narcissique, qui va devenir la base de toutes les tensions agressives.
La « prise » de la relation interpersonnelle dans la « machine » communautaire, certains se sont cependant efforcés d’en étudier la stratégie x, c’est-à-dire ce qui y joue comme éléments de surdétermination à l’insu des soignants et soignés. J. Oury voit là un système clos, comme un langage qu’il faut arriver à déchiffrer. De ce déchiffrement dépend, selon lui, la condition même d’une désaliénation que l’on pourra ou non instaurer. La collectivité, dit-il, est à « soigner » avant tout essai de « soins » individuels.
« Le fonctionnement de l’institution ne peut s’appréhender cjue sur un fond infiniment complexe de systèmes qui s’inscrivent dans l’ensemble du collectif… Ce n’est pas un simple système de réseau qui forme la texture de l’institution, mais, bien plus, un ensemble de mécanismes structurés qui répondent à des lois d’une sorte de gestalt mouvante.
« Un sujet qui arrive là se trouve en face de configurations qui dialectiquement se constituent pour lui sans qu’il en ait une claire conscience. Il n’y a pas là miracle, ni illusion d’une créativité absolue, mais simplement obéissance à certaines lois qui s’apparentent à celles qui régissent le domaine de la cybernétique… On comprend donc que, dans ces conditions, ce qui agit doit pouvoir se lire dans une praxis institutionnelle comme ayant nécessairement un effet psychothérapique. »
Ce rôle psychothérapique que l’institution peut être amenée à jouer vient au centre des réflexions proposées par les tenants de la psychothérapie institutionnelle.
Ils cherchent à élaborer pour le psychotique, mais aussi pour le soignant, une sorte de société de prothèse, société à la fois incluse dans le monde dit normal, et coupé de lui par un effet de ségrégation inhérent à la structure sociale elle-même. La non-ségrégation soignants-soignés (telle qu’elle existe à La Borde97
J. Oury, « Quelques problèmes théoriques de psychothérapie institutionnelle », « Enfance aliénée », in Recherches, septembre 1967. H. Chaigneau, « Prise en charge institutionnelle des sujets réputés schizophrènes », in Confrontations psychiatriques, n° z, décembre 1968.97), si elle résout le problème d’accueil des patients dits psychotiques, demeure sans prise réelle sur les exigences du monde extérieur. Se crée alors une société dans laquelle il fait bon vivre et vers laquelle on sera tenté de revenir à la première difficulté avec le monde extérieur.
Il en va de même dans les Communautés anglaises mises en place par la Philadelphia association98
Association fondée à Londres en 1965. 20 Fitzrey Square, London W.I. Elle groupe des psychiatres, des universitaires, des travailleurs sociaux.
L’association cherche à promouvoir une recherche concernant la maladie mentale (et en particulier la schizophrénie), tant sur le plan clinique (création de lieux d’accueil anti-psychiatriques) que sur le plan théorique (séminaires et cours).
Son but est d’arriver avec l’aide de chercheurs étrangers à promouvoir un véritable mouvement anti-psychiatrique (avec création de « homes ») en Europe et aux États-Unis.
Quelque chose dans la position des parents à l’égard de la « maladie » de leur en&nt doit pouvoir être touché, avant que le symptôme de l’enfant en se figeant, vienne colmater définitivement la question ouverte au niveau des parents (et qui renvoie à tout ce qui dans leur propre problématique œdipienne est demeuré dans le non symbolisable).98 à Londres : la vie en commun, si elle y est supportée, accroît le fossé qui sépare le patient d’une société rejetante. La « communauté » transforme un « malade » en contestataire permanent plutôt qu’en « adapté ».
La solution au problème de l’aliénation est-elle vraiment là ? C’est la question posée par l’anti-psychiatrie. Elle reproche aux psychiatres contemporains leur souci constant « d’agir » sur le patient, soit par le biais d’une chimiothérapie (souvent intensive), soit par inclusion dans des dynamiques de groupe. Dans ce contexte de soins obligatoires, le « pouvoir » psychia-trico-analytique participe, nous dit-on, qu’il le veuille ou non, du répressif. L’anti-psychiatrie ne croit pas au « ferment révolutionnaire » des innovations psychiatriques même les plus hardies. Ces innovations participent, d’après elle, d’une philosophie médicale où le fou continue à se définir par rapport au non-fou.
C’est pourquoi toute idée de réforme institutionnelle est rejetée
par l’anti-psychiatrie : elle revendique une mise en question radicale des structures économiques et politiques qui ont amené la naissance des institutions aliénantes.
La santé mentale
Le problème que pose la maladie mentale comme provocation intolérable à l’homme du commun, semble à l’anti-psychiatrie être la base sur laquelle doit se fonder toute recherche relative à la folie.
On peut se demander si les positions prises par la Cour de Dresde
— estimant que si les voix des esprits disaient des vérités dérangeantes ce n’était pas là une raison suffisante pour enfermer et « guérir » celui qui à ces voix donnait abri – ne formaient pas la meilleure préfiguration du mouvement actuel d’anti-psy-chiatrie !
Car c’est bien sur cette option : « guérison » ou « folie permise », que la psychiatrie de nos jours se trouve encore divisée.
Loin de laisser à la folie la parole, un autre mouvement psychiatrique dont nous avons parlé plus haut1 et qui se développe en France cherche à intégrer la folie, par des moyens techniques « modernes », dans ce qui est appelé à devenir « l’ensemble institutionnel de secteur ». Sous le terme de « psychiatrie communautaire », des spécialistes (psychiatres ayant une formation analytique) souhaitent installer dans la cité une équipe qui ferait du psychiatre le « médiateur actif entre la société et l’individu malade 2 », l’intervention psychiatrique s’opérant tantôt au niveau du milieu familial, tantôt aii niveau des structures socio-culturelles.
Ce projet vise à faire prendre en charge la santé mentale d’une tranche de la population par toute une équipe médico-sociale. Un dépistage des troubles mentaux établi par une enquête psyçho-sociologique systématique, devrait, selon le vœu de certains, amener à mettre sur fiche les anormaux, alcooliques et fous, susceptibles d’être « pris » dans le réseau de soins. Il s’agit là de la
1. Cf. p. 62.
2. D. J. Geahchan, « Psychanalyse psychothérapie, psychiatrie » in l’Inconscient, n° 7 » juillet 1968, P.U.F. Voit aussi P.C. Racamier, le Psychanalyste sans divan, Jjfyot, 1970 ; huit psychiatres exposent en administrateurs leur conception d un quadrillage de la « santé mentale ».
mise en place d’une véritable police de Padaptation. Dans un même projet, la « psychiatrisation » de toute une série de problèmes de la première enfance est réclamée, avec la création d’un secteur psychiatrique autonome.
Les recherches entreprises par l’équipe de Madame Aubry à l’Hôpital des Enfants malades ont pourtant montré à quel point seule une forme de dé-psychiatrisation (menée grâce à une intervention psychanalytique correcte) permet l’évitement de bien des cures psychiatrico-analytiques x.
Toute « médicalisation » d’un malaise à vivre risque de créer, nous l’avons dit plus haut, des troubles psychiatriques nouveaux, plutôt que de les enrayer. Et le « dépistage » en matière de maladie mentale est toujours pathogène.
Or, le psychanalyste (comme Panti-psychiatre) est conscient de la gravité du problème posé par la psychiatrisation, mais il abdique son point de vue d’analyste dès qu’il s’engage dans le secteur public. Y faisant carrière, il se change en super-psychiatre, gardant ses qualités d’analyste pour sa seule pratique privée. Il est en partie responsable du support non scientifique donné à la mise en place des structures médico-administratives actuelles. L’apport révolutionnaire de Freud, au lieu d’éclairer les réformes actuelles, s’est plutôt trouvé « récupéré » par toute une politique des soins psychiatriques, à base essentiellement pédagogisante.
Il est permis de se demander si ce n’est pas le souci de guérir les « maladies nerveuses 99
1. O. Mannoni, Freud, coll. « Ecrivains de toujours », éd. du Seuil, 1968. « Le fait que la psychanalyse ait eu son origine officielle dans le souci de « guérir » certaines maladies « nerveuses » couvre encore de son ombre tout ce que, depuis, elle s’est révélée être. Car ce fait impliquait que la « santé mentale » (fâcheuse alliance de mots) ressemblait à la santé physique, qu’elle allait de soi et que le rôle du psychanalyste était d’y ramener ceux que quelque accident en avait écartés. Voir les choses ainsi, c’est tout simplement enrôler l’analyste lui-même parmi les diverses puissances de refoulement.
« … l’homme est exposé à s’aliéner tout autant dans les barrières protectrices de la « santé » que dans les vagabondages de la « folie »..99 » qui est à l’origine du malentendu actuel en psychiatrie. Celle-ci est aujourd’hui avant tout préoccupée de donner à la santé mentale le statut octroyé pour la protection de la santé physique.
On cherche à dépister l’anormalité là où naguère on dépistait la tuberculose et les maladies vénériennes.
Or à privilégier le médical, le soignant s’est laissé enrôler dans les puissances du refoulement. Cette vérité se trouve simplement masquée derrière les prises de position sociales des différents mouvements psychiatriques modernes.
La psychiatrie communautaire laisse intacte et ouverte la question des « soins » dispensés comme en médecine (le « malade » et sa famille se trouvent souvent soumis à une pléthore d’examens et de soins qui vont de la chimiothérapie à la psychanalyse en passant par la sociothérapie, les dynamiques de groupes, etc.). Un savoir technocratique de la « maladie mentale 100
Que nous trouvons déjà dans les écrits de Saint-Just.100 » est venu colmater ce qui, à travers la folie, demandait à parler.
La psychiatrie institutionnelle attend simplement la guérison des institutions elles-mêmes ; elle rêve d’une cité idéale dans laquelle pourrait prendre place la folie (une « folie » soignée médicalement).
Pour l’anti-psychiatrie, au contraire, la guérison est un processus normal qui ne demande aucune thérapeutique. Il suffit de laisser à ce processus la liberté de se développer. La vraie démarcation passe donc entre la psychiatrie et l’anti-psychiatrie.
L’anti-psychiatrie en vient à nier la notion de « maladie mentale ». Nous laisserons de côté un pur activisme dont elle n’est pas toujours exempte et qui transformerait les psychiatres en superassistantes sociales : il est sans intérêt théorique, puisqu’il est indépendant de la conception qu’on se fait de la nature de la folie.
Folie et société
Comment les uns et les autres entendent-ils la nature de la
folie ?
Pour les institutionnalistes, un cadre (les institutions, c’est-à-
*
, i. Pierre Fedida, Critique, octobre 1968. « L’illusion d’un certain humanisme psychiatrique contemporain consiste, sous le prétexte d’un positivisme « scientifique » renouvelé, à substituer un savoir idéologique et technocratique de la maladie mentale, de la société et de la culture à la conscience historique et politique de la folie et de ses formes de répression. » dire le langage, la loi, les relations interpersonnelles, la structure familiale) est indispensable à la constitution d’une personnalité. C’est sur le cadre, dans lequel le patient se trouve « pris », qu’il faut agir ; d’où l’importance accordée à la mise en place, à l’intérieur de l’hôpital, de tout un réseau varié de rencontres (par le biais de clubs et associations diverses) ; d’où aussi l’attention apportée aux soignants, qui seront les supports de la folie ; laquelle nécessite, dès l’entrée dans l’institution, des conditions précises d’accueil.
L’anti-psychiatrie se place de façon exactement inverse. C’est en débarrassant le sujet de tout cadre qu’elle lui donne la possibilité de se retrouver, par un processus conçu comme intérieur et spontané (en fait, c’est d’un groupe qu’il s’agit, donc quand même d’un cadre, etc.).
La question que l’on pourrait énoncer sous les termes de Folie et Société, reçoit donc des réponses très diverses :
— pour la psychiatrie communautaire, la folie est l’anti-social ;
— pour la psychiatrie institutionnelle, la création d’une microsociété a valeur thérapeutique ;
— pour /’anti-psychiatrie, la folie est, contre la société, une protestation valable, mais manquée.
La visée révolutionnaire de l’anti-psychiatrie participe cependant d’une utopie Croire qu’avec la liberté il n’y aurait plus de folie, est faux. Il y a, ainsi, une certaine naïveté à penser que la révolution permettrait d’ouvrir les asiles comme les prisons.
Toutes les folies ne sont pas liées aux mêmes structures de la société. Le problème est peut-être social, mais non pas politique au sens où l’appel à la révolution permettrait de résoudre les questions posées par la folie 2. Les pays révolutionnaires ont souvent gardé à l’égard de la « maladie mentale » une attitude pour le moins conservatrice et ségrégative : comme si les hommes avaient besoin de désigner leurs sorciers et leurs fous, pour se mettre eux-mêmes à l’abri du danger.
En France, le problème posé par l’arriération et la folie est lié aux structures d’une société mécanisée prête à se défendre contre l’assimilation de ceux qui ne satisfont pas à ses critères de rendement x. C’est à déperfectionner la société qu’il faudrait s’employer, c’est-à-dire retrouver les formes archaïques selon lesquelles l’arriéré ou le fou avaient leur place dans le village.
Sont en question, finalement, la famille moderne et les formes spécifiques d’insécurité liées à la contraction 101
Les anthropologues ont renoncé à considérer notre famille conjugale comme un retour à la « famille » biologique. Elle est une réduction de la famille complexe de l’antiquité et des populations « primitives ». Sa nature, comme le souligne Lacan (Encyclopédie française sur la vie mentale, t. VIII), se comprend mieux par son rapport aux institutions anciennes que par « l’hypothèse d’une famille élémentaire qu’on ne saisit nulle part ».101 de l’institution familiale dans notre société détribalisée.
La folie et le champ du langage (Palo Alto, Lacan)
Les questions relatives à la nature de la folie restent donc obscures et confuses. Lorsqu’en partant du problème des psychoses chez l’enfant, on cherche à situer l’influence exercée sur lui par sa famille, on s’aperçoit que ce n’est ni en défendant les parents contre les extravagances d’un enfant (Lebovici), ni en normalisant la famille pour qu’elle ait une bonne influence (Oury), ni en éliminant toute influence éducative (Laing), qu’on arriverait à résoudre ou comprendre les problèmes de la psychose chez l’enfant.
Pour Lacan, le problème que l’enfant a à aborder, celui dâns lequel le psychotique a échoué, se pose d’une certaine façon dans le rapport de l’enfant à la parole des parents.
Le centre de l’interrogation de Lacan, ce sont les rapports du sujet au langage. Il pose que, le langage préexiste à l’apparition du sujet et, peut-on dire, l’engendre. Par exemple, l’enfant a sa place dans le discours des parents avant sa naissance, il a déjà un nom, il sera « parlé » tout autant qu’il sera l’objet de soins, et la carence de soins à quoi on a parfois attaché tant d’importance (les frustrations) est loin d’avoir autant d’effet que la nature et les accidents du discours dans lequel il baigne. Le milieu proprement humain n’est pas biologique, n’est pas social ; il est linguistique.
Cette attention portée à la parole des parents se trouve être au centre des principaux travaux américains ; mais faute de compétence linguistique, les recherches s’y trouvent exploitées selon des données empiriques, ce qui en limite aussitôt la portée.
Les travaux du groupe de Palo Alto 102
Paul Watzlawick, Janet Helmicfc Beavin, Don D. Jackson, Pragmatics of human communication, New York, Norton, 1967.
Les recherches du groupe de Palo Alto ont inspiré des travaux très pertinents sur la théorie des jeux. On y analyse les effets interpersonnels et sociaux d’attitudes inconscientes qui remontent à l’enfancé. (Eric Berne, Gamespeople play, Penguin Books, 1964).102 ont profondément marqué une nouvelle génération de psychiatres, psychologues et sociologues américains, lassés par une littérature analytique d’inspiration biologisante ou médicale.
La psychanalyse classique, en se confinant dans l’étude de la théorie des processus intra-psychiques, s’était en quelque sorte sclérosée. A centrer l’attention sur une « maladie » située « dans » un individu, on en était venu à négliger la dynamique d’une situation telle qu’elle pouvait apparaître dans le discours du « patient » (et au-delà).
Le groupe de Palo Alto (qui en cela rejoint Lacan) considère le patient non comme un être isolé, mais comme le lieu de relations, renouvelant ainsi les notions jusque-là en usage concernant Y environnement. Les auteurs substituent aux critères psycho-socio-logiques traditionnels des critères logiques en gardant cependant, dans leur méthode de travail, le recours à l’enquête psychosociologique. Les chercheurs de Palo Alto emploient des modèles dérivés de l’électronique pour expliquer en termes de lieux les problèmes de communication.
La notion de feedback, l’étude du sujet comme lieu d'input et output (concept de black box), la théorie de Carnap sur le langage ont permis le développement d’une recherche qui amène les psychiatres à réinterroger les théories scientifiques qui avaient jusque-là fourni leur support à la démarche clinique.
Anthony Wilden 103
Anthony Wilden, The language of the self, New York, John Hopkins, 1968.
Cet ouvrage situe l’œuvre de Lacan dans le mouvement de la pensée moderne. Destiné aux lecteurs de langue anglaise, il n’a pas d'équivalent.
Dans Qu'est-ce que le structuralisme ? (éd. du Seuil, 1968), François Wahl et Mustapha Safouan exposent chacun un aspect essentiel de la théorie lacanienne.
On trouve chez A. Wilden plutôt une explication de texte précieuse pour le lecteur de Lacan.103 a cru voir dans ce mouvement anglo-saxon une sorte de convergence avec les positions de Lacan. Les théoriciens de la communication devraient, nous dit-il, être prêts à interpréter les choses dans la perspective lacanienne des catégories du signifiant, du symbolique, de l’imaginaire et du réel.
C’est, en effet, autour de cet axe (et de son absence) que s’or-donne ce qui sépare la recherche américaine de la recherche française.
Car l’utilisation des mêmes repères logico-mathématiques (Frege, Boole, Godel, Russell, etc.) a abouti aux U.S.A. à une démarche différente de la démarche française.
Le sens de ces démarches respectives vaudrait la peine d’être approfondi.
Pouf les auteurs anglo-saxons, la logique se situe au niveau de la parole dite, le langage, réduit à la communication, est considéré par eux comme une variété de comportement. Ce qui les maintient dans une perspective béhavioriste. Ils postulent l’existence d’un code informulé, qui permettrait à la communication de fonctionner comme un ealculus dont les règles seraient observées dans toute communication réussie, et transgressées dans toute communication perturbée.
On postule, dès lors, qu’un ordre analogue au niveau structurel de la logique domine la conscience humaine et détermine la connaissance que l’homme acquiert de son univers. Dans cette perspective, la névrose et la psychose sont conçues comme effets d’une situation créée par une contradiction logique du discours dans lequel le sujet s’est trouvé pris. La réponse « folle » est étudiée comme réaction à un contexte « communicationnel » intenable pour le sujet. L’analyse de la situation est avant tout analyse d’un système de paradoxes. La thérapie, conçue comme stratégie, a pour visée la création de nouveaux paradoxes, par exemple « prescrire le symptôme ».
La faiblesse de cette théorie (par ailleurs pleine d’intérêt) repose sur la conception qu’ont les auteurs du langage.
En privilégiant au départ le comportement, dont le langage ne serait qu’un des aspects, ils manquent ce qui est en jeu dans le discours. D’où leur recherche axée sur les règles de la communication (du coup de pied au coup de sonnette) dans un registre qui ne tient pas compte de la fonction symbolique inhérente à tout discours.
Le système logique utilisé par le groupe de Palo Alto fonctionne au niveau d’une réalité perceptive (les paroles dites) qui ne renvoie à aucun non-dit ; le discours présent dans l’inconscient n’est à aucun moment interrogé. La méthode expérimentale utilisée aboutit à une simplification (réduction) dans les développements théoriques ; simplification qui n’est pas sans danger dans ses effets.
A mettre l’accent sur le paradoxe au seul niveau conscient, on risque de méconnaître l’importance de l’écart qui sépare le discours conscient du discours inconscient.
Lacan étudie, au contraire, le langage dans le rapport du sujet au signifiant. Ilr dégage une logique du signifiant qui s’articule dans la théorie du désir : à étudier le discours inconscient qui double le discours conscient, il met l’accent sur le rôle qu’est appelée à jouer l’alternance de la présence et de l’absence dans le monde de l’enfant. L’objet que l’enfant est amené à découvrir est un objet manquant, un objet absent.
Le discours, dans cette perspective, ne peut lui-même s’articuler que parce qu’il existe des brèches à colmater. Il est lié au manque.
La théorie anglo-saxonne, préoccupée par les seules données d’une réalité expérimentale, oscille entre la référence à des critères logiques et le recours à l’enquête psycho-sociologique. Le discours tenu par les auteurs privilégie l’ordre que nous disons imaginaire et méconnaît la vérité qui se dégage du symbolique.
Nous pourrons examiner à présent l’influence des travaux de
Palo Alto sur les groupes psychiatriques anglo-saxons les plus célèbres :
Le groupe de Gregory Bateson 104
G. Bateson, D. Jackson, J. Haley, J. Weakland, « Toward a theory of schizophrenia », in Behavioral science, I, 1956.104 (à qui les auteurs du groupe de Palo Alto dédient leur ouvrage) s’est rendu célèbre par sa théorie du double bind. Les auteurs mettent au jour dans le discours du patient et de sa famille, la façon dont le « futur schizophrène » s’est trouvé pris dans des ordres contradictoires, placé en situation conflictuelle continue de transgression.
La notion de double bind recouvre des conditions où l’apprentissage est lié à un cadre d’apparente liberté : liberté mystifiante, qui n’existe que pour mieux faire surgir la gravité de la faute du sujet. Tout se passe, dès lors, comme si le vœu inconscient de l’un des deux parents était de voir l’enfant transgresser l’ordre reçu, afin que l’adulte puisse mieux démasquer sa faute.
La problématique inconsciente des parents n’est toutefois guère approfondie par les auteurs, qui s’en tiennent surtout à un matériel d’enquête recueilli selon les données de la psycho-sociologie. Ce matériel vise seulement à nous situer au plus près de l’expérience vécue touchant ce qui est en jeu dans la famille du schizophrène 2.
Cette théorie de Bateson a été reprise par Laing et Esterson105
3- Laing et Esterson, Sanity, madness and the family, Tavistock, 1964.105. Rejetant l’idée d’une pathologie familiale entendue comme entité conceptuelle, les auteurs y substituent la notion de nexus familial : structure dans laquelle l’individu est appelé à se saisir. Ils montrent comment, à partir du double discours de l’enfant et des parents, une sorte de jeu dialectique se dégage, qui remet en cause la position du sujet.
Deux autres thèses relatives à la nature de la folie dominent le monde anglo-saxon, celle de Théodore Lidz et celle de Lymann Wynne 4.
Le groupe de Lidz se réfère aux travaux de Talcott Parsons et utilise des concepts psychanalytiques pour ce qui s’ordonne dans la structure familiale (tout ce qui a trait à l’Œdipe et à la castration se trouve néanmoins ignoré). Ce qui est mis au jour avec pertinence, c’est ce qui a trait au désir de meurtre et d’inceste des parents. Deux types de familles schizogènes sont ainsi décrites :
a) celle où domine une figure pathologique centrale (le père ou la mère),
b) celle où le père ou la mère se choisissent électivement un enfant contre l’autre conjoint.
Les auteurs mettent en évidence la façon dont l’enfant, futur schizophrène, se trouve être le support de ce qui chez les parents est resté dans le non-symbolisable.
La dimension historique (comme le fait remarquer Fedida)106
Pierre Fedida, loc. cit.106 est d’autre part, absente de ces travaux essentiellement centrés sur un schéma unificateur de type psycho-social.
Le groupe de Wynne étudie « la famille comme un système et le développement de la schizophrénie comme la résultante nécessaire d’un mode d’organisation dynamique de la constellation familiale ». Les auteurs montrent comment l’enfant n’a alors pas d’autre choix que celui de se conformer au système familial, toute ouverture vers l’extérieur lui étant interdite par les parents. Wynne écrit à ce propos : « Les familles dans lesquelles un descendant devient schizophrène tard dans son adolescence ou au début de sa maturité se sont généralement senties gravement menacées, à la'fois individuellement et collectivement, par certaines expériences humaines… présentant un impact destructif – telles la séparation, la solitude, le désir sexuel, la colère, la tendresse. P seudo-mutuality et pseudo-hostility sont des façons de se sentir en relation, qui réalisent ce que les défenses et ce que d’autres fonctions de l’ego n’ont jamais réussi à faire pour une ou plusieurs des personnes impliquées : elles protègent contre l’intervention ou la découverte d’une conscience et d’une reconnaissance de soi2. »
P seudo-mutuality et pseudo-hostility sont décrits par les auteurs comme des attitudes réactionnelles permettant au sujet de conti-ouer à vivre avec une personne aimée-haïe au sein de sa famille. Dès qu’il perd l’appui de la famille, le sujet se trouve sans défense, en danger très rapide de se « décompenser ».
Ce que l’on peut reprocher à ces travaux, c’est leur caractère descriptif. On ne voit pas toujours comment utiliser dans la dynamique d’une cure les éléments ainsi dégagés. Le souci de la plupart de ces chercheurs n’est d’ailleurs pas tant du côté de la cure analytique (située par eux sur les seuls rails de l’adaptation) que du côté d’une prophylaxie mentale ou d’un appel à la révolution K
L’attention est portée plus sur des rôles adoptés dans la réalité que sur la prise du sujet dans le langage. La relation parents-enfants est dégagée, dans la plupart des recherches psycho-sociologiques, en fonction d’un dire qui ne renvoie à aucune lecture d’un non-dit, dire coupé de toute référence à la structure inconsciente des parents.
On ne dégage pas ainsi une structure de l’organisation inconsciente de la psychose ; on donne seulement une vision dialectique de ce qui se passe dans une famille de schizophrènes (notamment chez Jules Henry 107
2' Jules Henry, Culture against mart, Tavistock, 1966.107). Et ces données très éclairantes demeurent éloignées de ce qui est mis en jeu, comme fait de structure, dans la démarche freudienne.
Le mérite de tous ces travaux est de libérer la psychiatrie d’une classification de type botanique ; mais les auteurs risquent d’y substituer une autre forme de classification ou d’idéologie.
C’est moins du comportement du psychotique (comme aussi du névrosé) que de sa parole qu’il s’agit. La Traumdeutmg, a rappelé Lacan, déchiffre l’inconscient comme un langage. Et Freud, à l’époque où régnait encore la « philologie », avait, pour faire une théorie de l’inconscient, anticipé sur la linguistique de Saussure.
L’inconscient n’a été conçu un moment comme réservoir de pulsions et d’instincts que dans la visée – qui s’est révélée stérile
— d’en faire le trait d’union de la biologie et de la psychologie. En fait, il est le sujet de la parole. Si cela est masqué chez le névrosé ou l’homme normal par le contrôle du moi cela se montre directement chez le psychotique. Le moi, comme on sait, a sa source dans l’imaginaire, ainsi qu’on le voit à considérer le stade du miroir.
Sur ces bases théoriques – que ce n’est pas le lieu de développer ici – nous avons montré ailleurs qu’on ne peut isoler le symptôme de l’enfant malade non seulement de son propre discours, mais du discours qui le constitue, essentiellement le discours parental. Le symptôme de l’enfant colmate, dans le discours familial, le vide qu’y crée une vérité qui n’est pas dite. Ainsi ce symptôme est-il nécessaire à ceux qui ont à se protéger contre le savoir de la vérité en question. A vouloir traiter le symptôme, c’est l’enfant que l’on rejette.
Ces constatations valent aussi pour l’analyse d’adultes et, en particulier, pour l’abord des psychoses (où elles sont cependant systématiquement méconnues).
Dans le rapport au psychotique, on tend à oublier un point essentiel : c’est devant un appel auquel le sujet ne peut plus répondre 1 qu’il fait surgir un foisonnement de modes d’être 2 que supporte un certain langage comme tel. Ce qui s’articule dans le délire constitue véritablement l’eros du psychosé. Il tient d’autant plus à la forme de la parole, au jeu avec les mots, que la parole, en fait, a disparu. Ce foisonnement imaginaire « antichambre de la folie » a besoin d’être entendu : il recouvre ce qui, chez le sujet, cherche désespérément à se faire reconnaître dans une articulation symbolique.
A contrer un délire, on le fixe irrémédiablement, ou plutôt on coupe au sujet la voie, voie dans laquelle seule une non-intervention (parce qu’elle laisse entière la possibilité d’une reconnaissance du sujet dans son authenticité symbolique) peut laisser le chemin libre à un processus restitutif de guérison.
D’où l’intérêt de lieux permettant, sans agression médicamenteuse, le développement d’un délire (la démarche clinique de Laing est en cela du plus haut intérêt).
« Dès qu’un type délire, le médecin prend peur ; pourtant il n’y a qu’à laisser courir, c’est ça le meilleur soin. » Ainsi s’exprimait encore récemment un interné à Ville-Evrard.
1. Thèmes développés par J. Lacan dans son séminaire du 16 novembre 1955-
2. Ibid.
Cette position, nous l’acceptons intellectuellement ; dans les faits, on chimiothérapise, en force. Le mérite de l’expérience anglaise est d’avoir pris, dans la réalité clinique, le dire de Freud à la lettre : « Le délire est un processus restitutif de guérison 108
Le problème que pose la paranoïa n’a cependant guère été abordé dans les travaux anti-psychiatriques. Cette lacune a son importance ; elle trace les limites de l’expérience anglaise.108. »
Si la tentative anglaise rencontre ses limites, si ses positions théoriques sont des plus discutables, elle n’en demeure pas moins précieuse au niveau d’une recherche clinique qui remet en cause le rapport de l’homme à la folie. C’est ce problème que je vais essayer d’examiner maintenant.
II. Confrontation clinique
Les communautés anglaises d'anti-psychiatrie
R. D. Laing a (nous l’avons vu plus haut) fait porter principalement ses efforts sur la recherche clinique en matière de psychoses (et en particulier de ce qu’on appelle la schizophrénie).
Il est membre fondateur de la Philadelphia Association, organisme qui a créé à Londres trois « homes », lieux dits d’anti-psy-chiatrie, accueillant chacun une dizaine de « malades mentaux » (entre 17 et 35 ans) sans surveillance médicale particulière.
Ces maisons se veulent lieux d'accueil de la folie. Le « malade » y entre pour que puisse s’y dérouler une crise qui ne serait tolérée en aucun autre milieu. Cherchant un terme pour définir cette crise par où passe le patient109
« Enfance aliénée II », in Recherches, décembre 1968. R. D. Laing, « Metanoïa, some experiences at Kingsley Hall ». Jacques Schotte, « Présentation des travaux du Congrès ».109, Laing propose celui de metanoïa (dans le sens de conversion, transformation).
Le délire (et toutes les manifestations qui apparaissent dans la schizophrénie aiguë) est considéré par lui comme un voyage (en ceci, il assimile la crise psychotique aux effets psychédéliques), voyage qui peut se révéler bon ou mauvais selon le cadre dans lequel il est amené à se déployer. Si le processus est considéré comme pathologique (donc relevant de « soins »), son issue risque de prendre un aspect psychotique définitif, le processus devenant chronique dans le milieu psychiatrique. D’après l’expérience de Laing il faut, c’est capital, s’efforcer de suivre et d’assister le mouvement d’un épisode schizophrénique aigu au lieu de l’arrêter. Il n’existe, ajoute Laing, rien de plus tabou dans notre société que certaines demandes régressives. Tout changement dans la personnalité d’un sujet est généralement interdit. Un changement dans la personne commande en effet un changement dans le rapport de cette personne à autrui, d’où la mise en place par autrui d’une stratégie d’exclusion, destinée à prévenir tout risque de changement.
Uaccueil, dans ces communautés anglaises, consiste (à ce que j’en ai pu ressentir au cours d’un trop bref séjour) en une mise en place qui évoque le psychodrame. .
C’est le mythe de la régression (mythe Laingien généralement connu par le malade, qui vient pour « régresser ») que le patient rencontre ; il va, au cours de la mise en acte de « sa » scène, l’utiliser comme recours à travers le défilé des demandes (dans lesquelles il épuisera ses rages).
Un public est nécessaire au patient, comme témoin et support de son délire (de ses hallucinations, de ses symptômes). Des jeux ou rites étranges se développent parfois dans ce milieu à la fois clos et ouvert aux visiteurs. Donne-moi ton angoisse est le thème que l’on serait tenté de proposer pour illustrer un de ces « jeux de vérité » qui s’improvisent parfois, jeux au cours desquels il s’agit, devant des témoins, de « rendre fou » son partenaire. Chaque spectateur s’engage à subir lui aussi l’épreuve qui consiste à arracher à l’autre l’insupportable de l’angoisse. C’est en quelque sorte le cri de l’autre, comme tel, qui est exigé.
Toute solution individuelle1 se trouve continuellement orchestrée pat un public. Le message qui cherche à se faire entendre est celui d’un sujet dans sa référence au registre de la vérité. Le regard
t. Le mécanisme de « rédemption » lorsqu’il s’opère au cours du séjour n’est pas sans rapport avec une identification idéale à l’objet déchet laissé par la vengeance divine.
de l’autre constitue l’organisation du monde de chacun. C’est à partir de là qu’une expérience privilégiée a lieu : expérience qui a un rapport à la castration, à l’objet du désir et au mirage du désir.
Une dramatisation de l’angoisse de castration, se référant à un champ où la mort et la vie sont étroitement liées, est mise en jeu continuellement, et avec elle se profilent des menaces ayant trait à tout ce qui demeure prisonnier du défendu.
L’entrée d’un nouveau « patient » à Kingsley Hall exige l’accord préalable dû groupe (des patients) dans son ensemble.
Cultes de possession et metanoïa
Les membres se prononcent par là sur leur tolérance au regard d’une intrusion dans leur jeu. Ce que le patient va acquérir à travers la maîtrise de crises successives, au cours desquelles finit par s’opérer une « conversion » ou « rédemption », est un certain savoir non seulement sur la folie, mais sur l’homme.
Ceci n’est pas sans évoquer certains rites de possession des sociétés africaines où, à travers un rituel d’expiation, nous voyons s’opérer le changement qui va permettre à l’individu de quitter le statut de « malade », pour celui de « thérapeute ».
Dans une étude sur la possession chez les Wolof et Lebou 110
Andràs Zempleni, Colloque C.N.R.S. sur Us cultes de possession, octobre 1968 (inédit).
Je suis reconnaissante à l’auteur de m’avoir communiqué son étude non publiée sur les cultes de possession. C’est à la lecture de cette étude que je dois la connaissance du cas de Khady.110, Andrâs Zempleni fait ainsi le récit de la conversion d’une malade en thérapeute. L’histoire telle qu’elle s’est trouvée reconstruite par la patiente (Khady) devenue guérisseuse s’ordonne à l’origine à partir d’un mythe qui va la gouverner a.
A l’intérieur de ce mythe, se dessine l’évolution d’une petite fille insupportable, en révolte contre le père, avant le moment où elle s’inscrira en tant que thérapeute dans la lignée paternelle.
Dans le cas de Khady, mais aussi dans celui de Mary qu’on verra plus loin, m’a semblé intéressante la coupure qui semble s’instituer dans le passage du plaisir pris dans la maladie à la maîtrise acquise sur la maladie.
Dans la monographie africaine, l’histoire de la « conversion » nous est donnée selon un développement qui suit la biographie de la patiente et qui est parent du destin, le mythe est inscrit au départ dans le « cadre » des structures sociales.
Mary, la malade de Laing, elle, donne à voir à travers l’épreuve de la folie non seulement ce qu’elle cherche à « retrouver » mais ce qui s’y trouve mis en jeu ; un mythe est posé là aussi, à l’origine, mais dans l’institution.
Laing raconte 1 l’histoire de cette infirmière-major rigide, organisée, toute dévouée à son travail, qui éprouva le sentiment qu’elle s’était un jour perdue à une certaine étape de sa vie. Il lui semblait nécessaire de revenir là où elle s'était perdue, afin de pouvoir à nouveau se retrouver et arriver ainsi à vivre d’une façon qui ne soit pas fausse. Quelques jours après son entrée à Kingsley Hall, elle se mit à « régresser » la nuit (devint incontinente et encoprétique), tout en gardant son travail de jour. Elle demanda ensuite aux autorités un congé de maladie, ce qui fut accepté. Dès ce jour, elle régressa d’une façon complète et se fit nourrir au biberon. Elle se couvrit de faeces, devint maigre, arrêta de parler, il ne lui fut bientôt plus possible de tenir debout. Elle était devenue extrêmement faible, eut une hémorragie utérine qui nécessita son transfert à l’hôpital.
Selon ses propres dires, ultérieurs, elle régressa à une époque d’avant sa naissance : elle avait envie de retourner avant même le moment de son incarnation. Elle abandonna son corps au médecin (Dr Berke). Et ce corps atteignit la limite de la mort physique.
Dans l’histoire de Khady, les troubles sont donnés dans l’ordre chronologique. Nous voyons son père s’employer durant sa première enfance à « réparer »' (par des offrandes aux dieux) les dommages causés par sa fille aux voisins et la guérir de toute une série de malaises. Le père rebaptise même sa fille, lui donnant le nom de la voisine lésée, afin d’apaiser le rab de cette dernière.
i. R. D. Laing, « Metanoïa », in « Enfance aliénée II », Recherches, décembre 1968.
Les rituels visent toujours à conclure une alliance avec les esprits ancestraux (extérieurs).
A l’âge de 16 ans, Khady se marie, les somatisations augmentent sans que le père y puisse quoi que ce soit. Le symptôme de la fille est, comme tel, le sacrifice exigé par les esprits ancestraux (paralysie, mutisme, anorexie). La mère de Khady va donner aux esprits sa vie, pour que sa fille ne meure pas – mais cela ne les contente pas, c’est bien à Khady qu’ils veulent avoir aflaire : c’est-à-dire à ce qui est du registre de sa propre castration. L’apogée des troubles et du délire se situe à 25 ans ; c’est aussi le début de l'initiation à son état de guérisseuse.
Chez la patiente de Laing, c’est également à l’apogée de ses troubles que se dessine une possibilité d’entrée dans un autre statut (elle devient peintre de talent). Par une longue marche dans l’insensé, elle a fini par retrouver la « cause » d’un désir.
L’entrée dans la folie se fit, nous l’avons vu plus haut, à travers l’anorexie, l’encoprésie et l’incontinence ; il a fallu à Màry être prise dans la machine (du signifiant) comme morceau charnel coupé de son corps. A la limite de la mort physique, elle donna à voir que son désir était désir du corps de l’autre. Un jeu psychodramatique sauvage eut lieu entre elle et le médecin ; ce qui était requis par elle, c’était du même coup l’angoisse de l’autre.
Deux interventions semblent avoir joué de façon particulièrement décisive. D’abord l’interdiction qui lui fut faite un jour de déféquer n’importe où. Une aire d’odorat lui fut mesurée (pour le confort des autres pensionnaires). Dans cette aire, il lui fut donné tout loisir de jouer avec ses excréments, d’en badigeonner les murs.
L’autre intervention (qui ne fut pas sans rapport avec sa vocation de peintre) fut une simple remarque de Laing. Devant l’aspect des murs maculés d’excréments, il lui dit : c’est beau, mais ça manque de couleurs. Dès cet instant, la jeune femme eut recours à la peinture et exécuta des fresques murales de toute beauté. A partir de là, s’élabora dans le sujet un désir de peindre.
Il n’est pas exagéré de dire qu’à un premier niveau, c’est bien l’excrément en tant que tel qui joua le rôle de cause du désir x,
1 • J. Lacan, « L’excrément ne joue pas le rôle d’effet de ce que nous situons comme désir anal, il en est la cause. » Séminaire du 19 juin 1963.
et ceci à un moment crucial où ce qui était en jeu pour le sujet, c’était de pouvoir se constituer d’abord dans le signifiant.
L’excrément a joué chez la patiente dans une sorte de procès de subjectivation. Il y eut d’abord la demande la plus primitive : qu’on aille manuellement rechercher en elle ses excréments (demande à l’autre et demande de l’autre étant étroitement conjointes) ; et puis, à travers un refus (première intervention) qui lui fut opposé, mais ailleurs que là où se situa la seconde intervention (celle de Laing), il y eut création et expression dans la peinture de ce qui du registre des désirs impossibles cherchait à entrer dans le dire. Un lien indéniable existe entre le rapport établi par la patiente à cet objet perdu excrémentiel et la production artistique.
Dans un premier temps, la jeune femme avait perdu son identité confondue avec l’abandon de l’objet excrémentiel. C’est à partir de cette perte que le désir a pu naître pour ensuite donner quelque cohérence au niveau de la constitution du sujet.
L’existence d’un jeune frère schizophrène ne fut pas étrangère à la venue de l’infirmière à Kingsley Hall. Tout se passa comme si elle avait voulu s’initier à la « maladie » comme « malade » pour gagner ensuite une chance de sauver le frère.
Les étapes de « guérison » de la patiente, scandées par un rituel de demandes régressives autorisées et par des épisodes délirants, ont été reprises par le groupe tout entier. Le délire de la jeune femme a été en quelque sorte choyé par tous comme étant leur bien le plus précieux. Un acte de création a pu surgir de ce voyage dans l’insensé.
Si la malade de Laing atteignit la limite de la mort physique, chez Khady la mort est également présente : elle lui ôte sa mère et ses enfants. A l’apogée de son délire, nous voyons Khady osciller entre le refus et l’obéissance aux commandements des esprits ancestraux.
C’est dans un mouvement où elle s’efforce d’échapper à la magie, qu’elle accède au statut de thérapeute. Elle y accède à travers une série de rites sacrificiels, au cours desquels elle paye le droit à l’héritage paternel (quelque chose de l’ordre d’une identification signifiante se trouve réalisé ainsi, au-delà des luttes imaginaires).
A une époque où son ambivalence à l’égard du père était encore manifeste, un guérisseur lui fit cette remarque : « Les femmes ne doivent pas avoir de la connaissance. »
« J’ai hérité cette connaissance de mes ancêtres », répliqua Khady. Cet aveu eut pour effet de devenir parole d’engagement : parole qui fit basculer Khady de l’état de malade à celui de guérisseuse. Elle reçut alors comme part d’héritage paternel une pierre, une tête de vautour, instruments du culte (nécessaires à sa fonction) ; il faudrait cependant qu’elle gagne encore une lutte et arrache la « corne de Sajinne », avant d’arriver à la conquête d’une totale maîtrise.
La maîtrise de la folie, les hôtes de Kingsley Hall l’acquièrent à travers tout un jeu avec la mort et l’angoisse. Il y a cependant des victimes expiatoires : victimes qui se font rejeter du « home » selon le même processus répétitif qui les a fait exclure de leur famille. Celui qui, par contre, a la grâce d’émerger de l’enfer de la folie en émerge de façon créatrice, résultat difficilement possible en hôpital psychiatrique.
Ce qui m’a frappée durant mon court séjour, c’est la façon dont les « malades » avaient, à travers leur expérience personnelle, acquis une véritable compétence de thérapeute. L’accès à la connaissance à travers la maîtrise du mal a bien, comme arrière-plan, quelque rapport avec les rites de possession.
Dans l’histoire de Khady, de même, c’est la victime des maux qui acquiert la maîtrise du mal, par une série de retournements. Les « initiations » dans le monde des « tuur » et « rab 111
des rab et l’hommage assidûment rendu au rab identifié le hisse au rang du tuur. La différence réside dans le degré d’ancienneté de leur alliance avec les hommes. Mais, le rab n’est pas seulement un esprit ancestral similaire au tuur. Il est aussi partie constituante de la personne, le double (jumeau, com-
{>agnon) du nit visible. Tantôt il s’actualise, tantôt il reste une virtualité de a personne. S’il s’actualise (par la maladie) sa nomination (par les rituels dits ndüp et samp) entraîne son intégration dans l’univers des esprits reconnus par la collectivité. Cet univers est le doublet de la société officielle. Les rab et les tuur ont donc un nom, un sexe, une ethnie, une religion, une profession, une personnalité… » (A. Zempleni, Ibid.)111 » sont liées à des sanctions, des réparations exigées par les esprits ancestraux. Elles coïncident avec des ré-arrangements dans les structures familiales et tribales (et donc, dans ce pays, religieuses).
Une partie de la vie de l’ex-malade s’est ordonnée autour de la recherche d’une identité, la quête d’une place dans les lignées auxquelles elle appartient, et ceci à travers une oscillation continue entre le rejet des traditions familiales et la soumission aux esprits ancestraux. A travers une résistance à l’instance paternelle, elle arrive enfin à une prise en charge de son héritage de guérisseuse.
Ce qui est mis en lumière à travers toute une symptomatologie hystérique (paralysie, mutisme, anorexie), c’est la façon dont une pensée que l’on pourrait par moments appeler délirante est soutenue par les croyances du milieu qui favorisent le délire. La pensée de la malade trouve son support dans les croyances du groupe (notons que contrairement à ce qui se passe dans la tradition occidentale on ne cherche ici à aucun moment à chasser l’esprit, cause du mal ; c’est toujours une alliance que l’on s’efforce de conclure avec lui – et ceci à travers un rituel auquel le groupe participe). Le système de la malade est ainsi à la fois délire individuel et croyances communes. On est en présence de ce que serait une névrose obsessionnelle réussie : une guérison de l’hystérie à travers un délire admis par autrui (délire qui dans nos pays l’aurait condamnée à l’asile).
Ce qui compte d’ailleurs dans cette expérience, c’est non tant une hypothétique guérison, que l’accès de Khady à une voyance et à un savoir.
La connaissance a surgi au moment où le désir a pu animer la fonction de la connaissance, jusque-là emprisonnée dans le fantasme.
La racine de cette connaissance, c’est bien dans le corps souffrant qu’elle se trouvait ; il a fallu que ce corps s’engage dans toute une dialectique signifiante (se coupe d’enfants mort-nés, s’aliène dans différentes parties), avant de pouvoir se situer dans le champ du désir. Et la notion de sacrifice, de mutilation, a joué là comme vecteur, pour assurer la présence de l’autre dans le réseau du désir 112
A. Zempleni m’a fait remarquer que la coupure mise en évidence dans ce chapitre (mort-maladiè et renaissance-accession au pouvoir de guérison) se retrouve dans la biographie de toutes les sortes de guérisseurs. Chez les marabouts (Sénégal) cet élément est présent sous forme de retraites ascétiques appelées « xalwa », qui consacrent la carrière du guérisseur (au lieu de la conditionner au départ, comme la maladie et le rite thérapeutique dans le culte des rab).
Les renversements dialectiques qui s’opèrent sont, d’après Zempleni, incontestables dans toutes les cures animistes. Ces cures sont fondées suf des techniques de nomination et d’intégration, à l’opposé des cures islamiques qui s’opèrent, elle6, par purification et expulsion.
Le postulant malade (postulant au rôle de guérisseur) dans les cures animistes reçoit d’un coup le pouvoir de maîtriser les forces obscures (innommées) qui le tourmentaient.112. (Nous retrouvons la présence de ces mêmes mécanismes chez la malade de Laing, qui a dans un premier temps à se détruire dans son corps.)
C’est à travers une épreuve dans la réalisation de son désir que Khady est née à sa fonction de guérisseuse. C’est lorsqu’elle a pu s’y engager assez loin qu’elle a pu réintégrer le désir à sa cause.
Ce voyage dans la « maladie », avec comme support la croyance du groupe, n’est pas si éloigné de ce qui me semble être un des ressorts essentiels mis en mouvement à Kingsley Hall. Le patient, à travers une série d’épreuves, gagne non pas une santé, mais un savoir qui lui permet d’assurer à son tour un rôle de guide auprès de ceux qui se trouvent livrés à « la colère des esprits ».
La folie, avons-nous vu, n’est pas un mal à chasser, il s’agit de faire alliance « avec les esprits », de les entraîner, sans éveiller l’angoisse, dans le piège du désir.
Loin de moi, cependant, l’idée de vouloir réduire la psychose à quelque voyage métaphysique. Si j’ai fait état des expériences anglaises et africaines, c’est pour souligner l’originalité d’une recherche qui donne à la folie la possibilité de parler.
Recevoir la psychose
Ce qui parle ainsi, c’est une parole qui se présente comme telle au sujet, mais ce n’est pas lui. C’est parce que le patient, dans sa relation à l’autre, se cherche comme objet, qu’il en arrive à se perdre comme sujet113
J. Lacan, Séminaire du 27 juin 1956 (inédit) : « Il faudrait faire comprendre que dans cette relation c’est lui l’objet, en fin de compte, c’est même pour cela qu’il se cherche comme objet, qu’il s’est perdu comme sujet. »113. La parole qui surgit alors n’est plus la sienne, c’est le tu (qui parle dans une situation où l’autre comme tel ne peut plus être reconnu par le patient 114
J. Lacan, Séminaire du 27 juin 1956 (inédit) : « Pourquoi est-ce que pour le sujet lui-même ça parle, c’est-à-dire que ça se présente comme une parole, et que cette parole, c est ça ? ça n’est pas lui. Nous avons essayé de centrer cette question au niveau du tu… Le tu c’est un signifiant, une ponctuation, quelque chose par quoi l’autre est fixé en un point de la signification. »114).
Il y a dans ces conditions réduction de la situation à une pure relation imaginaire. Dans la relation affective ainsi créée, l’autre devient l’être de pur désir, mais aussi l’être de destruction : d’où la place tenue par le surgissement de l’agressivité dans le champ où se déploie la folie.
L’entrée dans la psychose, Lacan la cerne autour du moment où, du champ de l’autre, vient l’appel d’un signifiant essentiel qui ne peut être reçu 115
J. Lacan, Séminaire du 4 juillet 1956 (inédit).115. Des paroles surgissent de l’imaginaire, qui s’imposent au sujet, et ces paroles il s’y accroche, elles le rattachent à une « humanisation » qu’il est en train de perdre.
C’est dans ce registre que l’on peut situer les tentatives de « rédemption » (que nous voyons dans les cas rapportés par Laing). Ces tentatives viennent là pour protéger le sujet dans son narcissisme menacé.
Ce qui se déploie à ce moment-là sur la scène, comme absorption d’images terrifiantes, n’est en fait à saisir qu’en tant que relation du sujet par rapport au signifiant. C’est toujours au moment où la relation à l’autre imaginaire est devenue une relation mortelle, que le sujet met en place une reconstitution de tout le système signifiant comme tel, dégagée de la relation signifiée (et ceci s’accompagne d’une décomposition du discours intérieur). Ce que le sujet essaye de reconstituer, c’est ce qui n’a pu être assimilé lors du choc avec le signifiant.
Car nous ne le redirons jamais assez : c’est au moment où le psychotique est appelé à devoir s’accorder à des signifiants, qu’il fait dans des conditions précises un effort qui aboutit au développement d’une psychose 116
J. Lacan. Séminaire du 4 juillet 1956 (inédit) : <(…vous êtes tous, moi-même avec vous, insérés dans ce signifiant majeur qui s’appelle le Père Noël… le Père Noël, cela s’arrange toujours… et je dirai plus, non seulement ça s’arrange toujours, mais ça s’arrange bien… Eh bien, le psychotique a sur vous ce désavantage, mais aussi ce privilège, d’être dans un rapport diversement posé. Il n’a pas fait exprès, il ne s’est pas extrait du signifiant. 11 s’est trouvé placé un tout petit peu de travers ; il faut à partir du moment où il est sommé de s’accorder à ces signifiants, qu’il fasse un effort de rétrospection considérable qui aboutit au développement d’une psychose. »116.
Cette psychose n’a pas tant besoin d’être « soignée » (dans le sens d’un arrêt) que d’être reçue. Ce que cherche lé patient, c’est un témoin, et un support à cette parole étrangère qui s’impose à lui.
8. La psychanalyse didactique et la psychanalyse comme institution 117
Paru in bulletin d’information du syndicat des I.H.P.S., n° 4, avril-mai 1969.117
Nous allons voit, pour finir, comment le problème de l’institution s’est trouvé, par le biais de la didactique, posé à l’intérieur de l’analyse même.
I. Historique
L’analyse originelle
C’est, nous rappelle O. Mannoni118
O. Mannoni, « L’analyse originelle », in Clefs pour l’Imaginaire, éd> du Seuil, 1969.118, « l’analyse de Freud devant Fliess, au cours des dernières années du xixe siècle ». La décrire, amènerait à distinguer deux types de savoir, celui acquis par Freud auprès de ses maîtres (Charcot et Breuer) et fondé sur l’observation clinique ; et cette autre forme de savoir, plus difficilement communicable, portée non tant par le désir conscient que par les avatars du désir inconscient. O. Mannoni y voit la double origine de l’analyse, tant dans sa technique que dans ses rites d’initiation.
Ces deux savoirs se soutiennent, se complètent, mais ils peuvent aussi à certains moments entrer en conflit l’un avec l’autre. Le savoir acquis subit une modification en liaison avec la façon dont il est situé comme objet dans le champ du désir.
« Quelque chose, venu des profondeurs abyssales de ma propre névrose, s’est opposé à ce que j’avance encore dans la compréhension des névroses et tu y étais, j’ignore pourquoi, impliqué. L’impossibilité d’écrire qui m’affecte semble avoir pour but de gêner nos relations… quelque chose d’analogue s’est-il passé pour toi119
Jones, Freud life and Work, Londres, Hogarth Press, 1953-1957.119 ? »
L’amitié de Freud pour Fliess gêne les analystes, et lorsqu’ils en parlent, c’est toujours avec une certaine réticence. Le « transfert » de Freud sur Fliess est la plupart du temps réduit par eux à une pure dimension imaginaire.
C’est parce que Freud aurait découvert à travers Fliess l’universalité du thème du Père, qu’il a pu, dit-on 2, ne pas jouer le père autocrate avec ses malades, déjà écrasés par l’autocratie. On sait de fait que Freud, dans un rêve rapporté à Fliess, se rendit compte de son souhait irrationnel : celui de blâmer tous les pères pour les névroses de leurs enfants.
La question n’est pourtant pas tout à fait là. Ce qui importe, ce n’est pas tant que Fliess ait pu jouer pour Freud le rôle de père, de mère, de confident sur-estimé ; mais qu’il ait été d’abord et avant tout, comme dans une analyse, le support des doutes de Freud et de son savoir, le pivot autour duquel se sont ordonnées (à travers le discours symptomatique tenu dès 1894 par Freud à Fliess) les plus grandes de ses découvertes.
Freud appelait Fliess « mon autre moi-même », il lui confiait ce qui n’était pas encore assez mûr pour les autres. Au cœur de toute création, se trouvaient inclus les effets de son rapport irrationnel à Fliess.
« Pour qui dois-je maintenant écrire ? Si dès que l’une de mes interprétations te déplaît, tu es prêt à déclarer que celui qui « lit les pensées » ne perçoit rien et ne fait que projeter sur l’autre ses propres pensées. Tu cesses d’être vraiment mon public et, comme les autres, tu dois tenir l’ensemble de ma technique pour dénuée de valeur 3. »
Freud était engagé dans une relation imaginaire à Fliess, mais
t. Freud, Lettre 66.
2. Erik H. Erikson, Insight and responsability, Norton, 1964.
3. Lei/re 146.
il y avait dès le départ l’amorce d’un autre mouvement, mouvement par lequel c’est au-delà de Fliess qu’un message était envoyé par Freud, pour que, au-delà de l’autre imaginaire, depuis le champ où une articulation symbolique est rendue possible (ce champ appelé par Lacan : lieu de l’Autre), un sens lui soit rendu.
Cette vérité qui éclate entre Freud et Fliess ponctue les différents moments de ses découvertes. Freud découvre le poids des imagos parentales, le rôle joué par l’Œdipe, l’importance de la sexualité chez l’enfant, il pose le thème de la mort du père à l’origine de l’entrée dans un ordre symbolique : et nous savons que c’est après en avoir terminé avec la science des rêves, que Freud put mettre fin à son amitié avec Fliess, supporter enfin le poids de l’angoisse et de la solitude.
De ce qui, au cœur de cette relation, a pu jouer comme ouverture à la connaissance humaine (au prix de mille tourments, de luttes et souffrances somatiques), nous ne savons pas grand-chose – si ce n’est cette remarque de Freud : « J’ai réussi là où le paranoïaque échoue *. » De fait, il y a, semble-t-il, un rapport entre la connaissance paranoïaque, le savoir fondé sur le désir inconscient, et la création de l’objet (psychanalytique) qui est aussi pleine conscience de l’objet perdu : c’est toujours au moment où la recherche se dérobe que la découverte surgit. Comment s’instaure alors une relation analytique ?
Si Freud a demandé à Breuer qu’il l’instruise, à Fliess (comme le rappelle O. Mannoni) il a demandé un savoir que celui-ci n’avait pas. L’objet de sa recherche (la psychanalyse), c’est dans une relation fantasmatique au désir de l’Autre que Freud le situa, c’est sous cette forme que quelque chose, de l’ordre de la connaissance lui parvint au niveau de l’inconscient, et lui parvint à travers le vœu d’être reconnu.
Ce désir (la passion d’une recherche), Freud articule à partir de lui ce qui deviendra l’expérience analytique. Il le pose à la fois comme une interrogation et comme clef à tout accès au savoir et à la vérité.
Cette façon d’aborder l’expérience analytique, si présente déjà dans les rapports de Freud à Fliess, est bien éloignée de toute réduction à une réalité, réduction qui ramènerait la psychanalyse à cette forme de séparation médecin-malade qui prévaut en psychiatrie, et sur laquelle s’est fondée toute la nosographie classique. Dans cette perspective, l’analysand serait soumis au jugement de son analyste-psychiatre, dans une relation régie par un rapport à la norme – là où Freud soulignait très exactement que l’expérience morale ne doit pas être liée à la seule reconnaissance de la fonction du sur-moi, mais se résume avant tout en cet impératif posé à l'origine de l’analyse : « Wo es war soll ich werden. » Ce Je qui doit advenir est aussi ce Je qui s’interroge sur ce qu’il veut.
Dans leur fascination pour les filières institutionnelles, les analystes ont perdu de vue l’origine de l’expérience freudienne, expérience au cours de laquelle Freud avait occupé d’abord et avant tout la position de « malade » (c’est, répétons-le, un discours symptomatique qui s’est tenu avec Fliess, situé à la place d’un médecin idéalisé. C’est à travers cette relation et la plainte du transfert que s’est tissé le savoir de Freud sur la psychanalyse). La position de « malade », Freud ne l’a pas occupée seulement avec Fliess ; avant de le connaître, il s’était identifié aux malades hystériques de Charcot (nous en retrouvons les traces dans ses lettres à Martha).
La connaissance de la névrose, Freud l’a acquise par cette faculté qu’il avait de se mettre à la place du « malad », il était l’ignorant qui attendait de l’autre un certain savoir. En quelque façon, on peut dire que son analyse s’est confondue avec celle de ses patients : « Ce patient, se porte effrontément bien. Par un détour surprenant, il a réussi à me démontrer à moi-même la réalité de ma doctrine, et cela en me fournissant l’explication qui m’avait jusqu’ici échappé, de ma propre phobie des trains. »
Freud, grâce à Fliess, et à travers ses patients, s’est analysé « comme un autre » ; son savoir s’est trouvé continuellement modifié par les effets de la situation transférentielle. Il ne le comprit qu’après coup, une fois passé le moment où, selon la prédiction de Fliess, il devait mourir (1907) et (comme le rappelle O. Mannoni) il fallut attendre la fin de l’analyse de l'Homme aux rats pour que se rejoignent les deux savoirs venus, l’un des conceptions de Charcot et de Breuer, et l’autre de l’expérience du transfert sur Fliess.
Ainsi, répétons-le, c’est bien de la rencontre avec Fliess que le savoir théorique freudien a subi une mutation, et c’est en 1907, après la rupture avec Fliess, que Freud a pu pour un autre répéter la situation qu’il avait vécue d’abord pour lui-même.
Toute cette vérité a été perdue de vue par les analystes. La formation analytique a été axée non tant sur l’identification du candidat au « patient120
A « un malade » avec ou sans maladie, comme le souligne O. Mannoni.120 », que sur les performances à accomplir par lui dans la visée fantasmatique du « devenir psychanalyste ». On a oublié à quel point c’est l’analysand qui fait son analyse ; l’accent est mis sur le seul versant de l’analyste supposé « faire » un analyste, dans une tradition tout à fait cléricale. Selon cette perspective, l’analyste n’est plus le « sujet supposé savoir », il est celui qui sait pour le « bien » de son patient, d’un patient qui a le statut d’élève.
L’analyse didactique dans le mouvement
« A dire vrai, je n’ai rien à te raconter et si j’écris c’est parce que j’ai besoin de compagnie et d’encouragement121
Fieud, Lettre 74.121… » Cette nécessité de poser quelque part un interlocuteur à qui il livre le plus intime de son être, est une exigence que Freud va soutenir pendant près de quinze ans. Fliess constitue l’adresse d’un certain discours, il est le lieu à partir duquel une réponse se fonde ; à poser là sa question, Freud reçoit en retour des effets de sens de son propre message, et ceci constitue la marque par laquelle Freud est amené à faire œuvre de création.
Freud occupe les cinq années qui suivent la rupture avec Fliess à analyser cette tranche de sa vie ; mais il n’éprouve plus guère le besoin de se livrer. De ce second mouvement dans sa propre analyse, nous ne connaissons rien, si ce n’est cette confidence à Ferenczi : « Vous avez non seulement remarqué, mais vous avez compris que je n’ai plus maintenant aucun besoin de dévoiler complètement ma personnalité et vous avez correctement rapporté ce fait à sa cause traumatique. Depuis l’afiaire Fliess, que vous
m’avez vu récemment occupé à surmonter, ce besoin a été
supprimé 1. »
C’est à cette époque (après la perte de Fliess) que Freud aborde le problème de la sublimation et s’intéresse par ailleurs à ce qui est en jeu dans la psychose paranoïaque. (Nous avons rappelé plus haut cette autre confidence à Ferenczi : J’ai réussi où le paranoïaque échoue.) La doctrine de Freud, sa recherche se confondent donc toujours étroitement avec sa propre psychanalyse.
Mais c’est uniquement dans son œuvre que Freud va désormais s’exprimer, c’est là que va se continuer son analyse.
Or, dès 1902, Freud groupe autour de lui des disciples désireux de s’initier à ses découvertes. Des psychiatres, influencés par l’échec des autres formes de traitement des maladies mentales, le considèrent comme un chef. L’hostilité du public et celle du corps médical dans son ensemble aux idées de Freud, renforcent la solidarité des élèves à l’égard d’un maître incontesté, en butte incessamment aux attaques de l’extérieur.
« L’initiation à la psychanalyse » a lieu sous forme d’échange « didactique » : le temps d’un repas, d’une promenade, pour les hôtes de passage, de réunions de travail régulières pour les médecins et étudiants séjournant à Vienne.
Dès le départ, Freud souligne les difficultés d’un travail en commun, les tensions qui surgissent, les luttes de priorité. Il y a là tout un climat qu’il juge lui-même défavorable et qui le pousse souvent à se tenir à distance du groupe 2.
Si Freud estime que la meilleure préparation au métier d’analyste consiste à entrer soi-même en analyse, il est loin d’ériger cette vérité en dogme, et nous le voyons pendant de nombreuses années initier des médecins à l’analyse hors de toute formation analytique classique. Les rites d’initiation semblent avoir été marqués par la double expérience de Freud (le savoir reçu auprès de Charcot à travers un objet commun : le « malade », et le savoir élaboré dans le champ du transfert). Freud demeure sou-
it Jones, Freud life and rvork, Hogatth Press.
2. S. Freud, On the history of the psychoanalytic movement, Collected papers I, Hogatth Press.
M. Balint, « On the psychoanalytic training system », in International Journal °f psychoana/ysis, vol. 29, 1948* deux non tant d’institutionnaliser la psychanalyse, que de mettre la doctrine à l’abri de toute exploitation incorrecte.
Il aurait pu fonder un Groupe de recherches à l’image d’un groupe de mathématiciens, il a choisi de créer avec ses disciples (et à travers des ruptures successives) une Société de psychanalyse (1910). La psychanalyse est dès ce jour institutionnalisée : elle devient la condition d’accès à l’institution (sociale) des psychanalystes, elle est étroitement liée à elle. Les étapes de l’analyse du candidat se trouvent bientôt codifiées, ses « progrès » scandent son avancement dans l’institution sociale.
Freud, d’ailleurs, n’attendait pas beaucoup de la didactique. Il la considérait comme une méthode de sélection et d’enseignementx. L’analyse était pour lui un processus incomplet, qui demandait à être indéfiniment renouvelé.
L’aveu par Freud, en 1914 2, que ce sont les difficultés surgissant à propos de l’enseignement de la psychanalyse qui sont responsables des dissensions et des scissions, cet aveu est valable encore de nos jours. C’est, en effet, autour de la formation des analystes que se cristallisent depuis 1910 toutes les tensions et les désaccords les plus graves. C’est sur l’impasse de la didactique que s’était créée la première Institution de Psychanalyse, avec son corps de didacticiens. C’est à propos de la didactique que les analystes réunis en congrès à Amsterdam en 1965, ont fait l’aveu de leur échec – sans que pour autant l’institution psychanalytique (comme corps social) soit un instant mise en question. Les critiques à l’égard du système ne manquent pas cependant. En 1962, Bernfeld3 écrit : « Les écoles de psychanalyse sont fondées sur le principe suivant : l’existence d’instruments de mesure relativement simples et objectifs leur permettant de jauger si le candidat a atteint de façon satisfaisante les conditions requises. En l’absence de ces critères objectifs, l’admission, la promotion et les nominations seront influencées par des facteurs irrationnels.
ii Luisa X. Alvarez de Toledo, h. Grinberg, Marie Langer, contributions de Buenos Aires à Psychoanalysis in the Americas, New York, Int. Univ. Press, 1966.
2. Herbert S. Strean, « Some psychological aspects of psychoanalytical training », in The psychoanalyst review, 1965-1966, vol. 52, n° 4.
3. S. Bernfeld, « On psychoartalytic éducation », in Psychoanalytic quarterly, vol. 31, 1962.
Les enseignants deviennent alors des personnages importants, la plupart des étudiants sont tentés de se concilier leurs faveurs, ils les confirment ainsi dans l’exercice de leur autorité et de leur pouvoir. Si la formation analytique est longue, l’École, bien qu’étant une École pour adultes, développe chez ses étudiants au moins temporairement des traits infantiles et puérils. »
La particularité des Écoles de psychanalyse est de s’être en effet peu à peu ramenées à un modèle d’enseignement médical ou universitaire. Leurs membres sont jaloux des prérogatives acquises à l’intérieur du cercle des initiés. La notoriété acquise à l’extérieur du cercle constitue parfois une entrave à une carrière au sein du groupe. Les luttes de prestige sont encore plus aiguës dans les pays où la Société de psychanalyse vit coupée de toute relation extérieure, de toute réalisation hospitalière satisfaisante. Un jeu compliqué d’intrigues constitue la toile de fond sur laquelle viennent se greffer des querelles idéologiques, des dissensions théoriques, formant souvent le prétexte « avouable » de règlements de compte qui le sont beaucoup moins.
C’est dans ce nœud de tensions, de rivalités, que se trouve pris le candidat analyste, et son analyse se trouve marquée par les effets en retour de ces querelles de fratrie, surtout si son analyste ne supporte pas qu’il mette en question ou qu’il agresse le cadre institutionnel auquel il appartient. S’il ne peut reprendre dans son analyse les effets de ces tensions, il lui reste la possibilité d’attendre, en se blindant, le jour qui marquera sa propre entrée officielle dans la communauté. L’analyse ne peut manquer d’être alors infléchie par le souci du candidat de se ménager une carrière – carrière d’autant plus aléatoire qu’elle se déploie pour une grande part dans l’arbitraire.
Si l’honnêteté de Freud est la base sur laquelle se fonde son rapport à la psychanalyse et à la recherche, ce souci de la vérité et de l’authenticité, nous ne le retrouvons pas toujours au sein de son entourage ni chez ses successeurs. Le « système » institutionnel dans lequel le candidat est pris, le pousse à des performances théoriques éloignées souvent de toute expérience clinique. L’expérience clinique se trouve elle-même faussée par les conditions de formation imposées aux candidats.
L’Institut psychanalytique de New York pénalise le candidat qui a été « lâché »… par son patient. Le mythe de la norme pèse dans les critères de sélection imposée, et entraîne avec lui son cortège de mensonges, de mauvaise foi. Un schéma de cure-type est le moule offert à l’étudiant. Toute originalité est suspecte, on appelle « adaptation » la soumission à une stéréotypie institutionnelle. Le candidat analyste est pris dans le carcan du formalisme. Bertram Lewin et Helen Ross122
B. Lewin et H. Ross, Psycboanalytic éducation, New York, Norton & C°j 1960.122 ont montré comment les idéaux bureaucratiques des Institutions de psychanalyse américaines ont compromis l’analyse didactique jusqu’à rendre celle-ci impossible. Anna Freud 123
Anna Freud, « Problems of the training analysis », in Max Eitingon, in Memoriam Jérusalem, Israeli psychoanalytic society, 1950.123 elle-même conclut son rapport sur la formation des analystes en affirmant qu’aucun candidat ne peut faire vraiment confiance à son analyste. A lire la littérature analytique sur le problème de la didactique, on s’aperçoit que l’analyse est à la limite devenue un prétexte ; elle est délibérément sacrifiée au profit de la didactique, c’est-à-dire au profit d’un corps constitué de didacticiens. L’objectif d’une formation n’a plus rien à voir avec la recherche d’un rapport au vrai, à travers un discours symptomatique tenu avec l’analyste ; pour le candidat qui tient à « arriver », la visée première de la formation est l’entrée dans la communauté des analystes. Ce n’est qu’après cette entrée que certains candidats se permettent d’effectuer, avec un autre, une « tranche » d’analyse dans laquelle ils pourront se laisser aller à occuper la place du malade-, dans la didactique, c’est la place de Vélève qu’il importe (en fait) d’occuper ; d’un élève déjà bien souvent fasciné par l’image du « Patron » analyste, qu’il sera appelé à devenir un jour à son tour.
Gitelson8 note l’interférence du « système » des Institutions psychanalytiques dans l’analyse des candidats ; il souligne le masque que constituent les traits « normaux » d’un candidat, moins libre qu’on ne le croit de jouer au névrosé. Les structures institutionnelles sont ainsi faites que « l’anormalité » est passible d’une pénalisation qui risque de peser sur l’avenir du candidat.
L’analyste intervient, dans la réalité, d’une façon cruciale, comme juge à différentes étapes du cursus du candidat. Cela ne peut manquer de créer une situation qui ne favorise guère (c’est le moins qu’on puisse dire) la sincérité. Ce qui domine alors c’est la compétition.
Les analystes s’interrogent depuis cinquante ans sur l’opportunité de la « didactique 124
Phyllis Gteenacre, « Problems of training analysis », in Psychoanalytic quarterîy, vol. XXXV, n° 4, 1966.124 ». N’y a-t-il pas lieu de revenir, à un moment ou à l’autre, à une analyse « personnelle » ? Certains Instituts commencent par elle, d’autres finissent par là ! La perplexité des auteurs qui ont abordé la question est totale.
C’est la psychanalyse elle-même qui est, à travers tout cela, en train de disparaître de la formation des candidats, si tant est qu’elle ait un jour pu valablement exister dans le système éducatif répressif des Institutions et Écoles de psychanalyse. Si la psychanalyse disparaît, le corps d’élite des didacticiens entend, lui, perpétuer ses privilèges. C’est bien parce que ce corps existe qu’il est le premier à résister à tout changement de structure dans les institutions. Les scissions n’ont jamais rien engendré de neuf sur le plan du système institutionnel. Chaque groupuscule nouvellement constitué se structure sur le modèle même de la Société dont il s’est séparé.
II. Le processus analytique
Mise en place de quelques notions clefs : psychanalyse américaine et enseignement lacanien
Freud, en 1913 125
Gregory Bateson, Perceval’s narrative, Stanford Univ. Press, 1961.25, compare la situation analytique au jeu d’échecs ; l’accent est mis ainsi sur le cadre d’un terrain de jeu et sur un processus, c’est-à-dire le mouvement (libre) qui en ce terrain se déploie.
La liberté de mouvement de l’analysand est, en fait, illusoire, et Freud nous montre comment dès le départ dans l’analyse, le
patient dévoile à travers ses premiers symptômes ses premiers actes, ses premières résistances, les lois qui gouvernent sa névrose.
Des conditions sont requises pour rendre opératoire ce qui se déploie dans le champ pathologique qui est celui de l’analyse.
Le patient, dès le départ dans la cure, va reproduire dans ses actes ce qu’il a rayé de sa mémoire ; c’est cette compulsion de répétition que Freud pose à l’origine de toute situation analytique.
Le fil directeur d’une analyse, il le résume d’autre part en cette formule : wo es war, soll ich werden. C’est-à-dire que ce qui est posé là à l’entrée de l’analyse se retrouve à la fin dans l’avènement d’un Je. Le sujet est porté par l’unique question : Qu’est-ce que ça veut de moi ? (de mon ça). Là où c’était dans un discours menteur, le Je d’une vérité doit être promu.
Dans son allusion au jeu d’échecs, Freud laisse entendre que, si l’on peut dans les livres apprendre comment déplacer les pièces au début et à la fin du jeu, il n’y a pas d’instructions efficaces permettant de gouverner l’étape intermédiaire. Et il laisse entendre que la direction de cette partie intermédiaire n’appartient peut-être pas plus à l’analyste qu’à Panalysand.
La suite du texte montre que si Freud fait référence à une stratégie, elle renvoie non à une lutte entre deux personnes (soignant/ soigné), mais à une structure qui est celle même de l’inconscient (de l’un et de l’autre). Les lois auxquelles Freud se rapporte sont les lois du langage dans lequel le sujet est pris dès avant son entrée dans le monde (elles président à son destin), ces lois qui le tiennent à son insu et gouvernent sa névrose.
Freud est ainsi à l’écoute d’un dire. Mais il note que le patient peut guérir d’une phobie ou d’une compulsion obsessionnelle sans avoir pour autant trouvé les mots qui ont laissé leur marque au niveau du corps. Le symptôme disparu, c’est alors vers la recherche des mots (signifiants) qui ont gouverné sa névrose que la cure doit être dirigée. Et cette recherche s’effectue à travers la résistance ; c’est dans ce second mouvement que le sujet apprend à reconnaître ce qui de lui parlait là (au niveau du symptôme) ; c’est cette opération seconde qui mérite le nom de psychanalyse et distingue celle-ci de la suggestion.
L’autre axe autour duquel s’ordonne le texte de Freud est celui du rapport à la réalité. Dans un exemple, il montre comment une
patiente fugueuse reproduit avec l’analyste son symptôme avant de lui donner le temps de placer une interprétation. Le symptôme (dans son insistance répétitive) était la réalité de la patiente, réalité soumise au principe du plaisir et non au principe de réalité. Qu’est-ce à dire ?
Dans la littérature analytique (nous y reviendrons plus loin), le rapport à la réalité apparaît comme quelque chose de tout simple, comme s’il suffisait de la toucher. Or, Freud continûment nous montre que tout rapport à la réalité se construit sur fond d’hallucination et vise la représentation d’un objet à retrouver (selon le principe du plaisir). Ce n’est qu’en empruntant à travers des signifiants la voie du frayage, que peut être mis en jeu ce qui est du ressort du processus secondaire (soumis au principe de réalité). Au décours d’une analyse, à travers une insistance répétitive, se dégage ceci : la réalité est ce qui dans l’expérience de l’homme revient toujours à la même place (Lacan). Tel est par exemple le rôle joué par les astres dans le système délirant de Schreber. On en retrouve l’articulation logique au niveau inconscient. Nous posons ainsi en principe (à la suite de Lacan) que la réalité est ce qui demeure pour l’homme précaire dans son accès ; elle n’est aperçue que sous forme tamisée. C’est le fantasme qui est le cadre de sa réalité.
L’homme est, en vertu du principe du plaisir, à la recherche de signes et c’est autour de l’organisation de la recherche de l’objet perdu, de l’objet originel, que se fait le choix de la névrose 126
J. Lacan, Séminaire du 18 novembre 1959 (inédit).
« C’est en tant que l’objet premier est objet d’insatisfaction que s’organise l ? expérience spécifique de l’hystérique, alors que, par une distinction que Freud a vue le premier et qu’il n’y a pas lieii d’abandonner, dans la névrose obsessionnelle, c’est un objet qui apporte littéralement trop de plaisir. Quant au paranoïaque, Freud nous dit qu’il n’y croit pas. Il ne croit pas à ce premier étranger par rapport à qui le sujet a à se référer d’abord. Nous pouvons voir avec quelle facilité se fait ici le lien avec la perspective qui est la nôtre, et selon laquelle ce qui fait le ressort de la paranoïa, c’est essentiellement le rejet d’un certain appui dans l’ordre symbolique, de cet appui spécifique autour de quoi se fait la division en deux versants de ce rapport au Nebenmensc/j. »126.
Une psychanalyse est, selon l’enseignement lacanien, la mise en place d’un fantasme dès l’entrée dans la cure.
Le rappel de ces principes avait pour but de fixer certains repères dans lesquels prennent place nos conditions d’écoute. Avant d’aborder ce qui est en jeu dans une analyse, je rappellerai brièvement les principes qui servent de support à la psychanalyse américaine 127
David Rappaport, « A historical survey of psychoanalytic ego psychology », in Psychological issues, vol. I, 1959, Int. Univ. Press.127 : ceci nous permettra de mieux situer ensuite le système dans lequel prend place une psychanalyse en l’un et l’autre cas.
C’est en 1937 que le principe de réalité de Freud, décrit par lui en termes de processus secondaire, a été transformé par les analystes américains en concept d'adaptation. Us élaborèrent à ce propos une théorie concernant le moi autonome.
x. Pour Hartmann, Kris et Loewenstein, le moi ne se développe pas à partir du ça, mais à partir d’une étape indifférenciée (postnatale).
2. Ce moi autonome qui existerait déjà à l’étape indifférenciée est tourné, avant toute émergence du conflit, vers l’adaptation.
j. Kris introduit la notion de régression au service du moi.
4. Hartmann, Kris et Loewenstein cherchent à inclure dans leur théorie de l’adaptation le rôle joué par les relations sociales, l’esprit d’une recherche psycho-sociologique.
Les partisans de cette ego psychology ont réduit le principe du plaisir, c’est-à-dire le processus primaire, à un ensemble de forces instinctuelles quasi biologiques ; et du principe de réalité, ils ont fait le principe de l’adaptation à la réalité – alors qu’à bien suivre les textes de Freud, on découvre que c’est l’impossibilité à se séparer d’une réalité gratifiante qui va avec le principe du plaisir, et que le principe de réalité est la capacité à supporter la frustration réelle. Cette capacité s’acquiert par la symbolisation, comme Freud l’a montré dans Au-delà du principe du plaisir. Ainsi, les analystes américains ont substitué l’adaptation comme but au principe de réalité freudien, et ils ont installé comme agent ou organe de cette adaptation un moi autonome dont on peut trouver la notion chez Freud, mais en oubliant que pour Freud le moi figure aussi dans l’ordre imaginaire, par exemple comme objet du narcissisme.
Les recherches concernant l'ego psychology coïncident avec la naissance d’une nouvelle génération de candidats psychanalystes, d’origine essentiellement médicale (les candidats « normaux » à-névrose-de-caractère et « inanalysables »). Le freudien Wo es par soll ich werden est alors sacrifié. Ce n’est plus le Je d’une parole que l’on cherche à promouvoir, mais la mise en place d’un « moi autonome » en bonne santé que l’on s’efforce d’assurer. On quitte le registre névrotique d’un sujet « malade », qui entre en analyse par une plainte, pour le registre adapté du futur Professeur de psychanalyse.
Qu’est-on censé amener en analyse didactique ? Est-ce l’histoire d’une biographie familiale, le compte rendu des étapes d’une maladie, éléments l’un et l’autre d’un dossier-pour-docteurs (ou pour l’Institut de Psychanalyse) ? Cette histoire que j’amène, vais-je ainsi apprendre avec mon moi sain à en repérer les accidents névrotiques ? Devenant mon propre psychiatre dans ma propre psychanalyse, jusqu’à ce que j’atteigne la « phase du milieu » de la cure, phase où enfin j’aurai accès non seulement aux séminaires de l’Institut, mais encore au travail clinique ? La visée d’une didactique réside-t-elle dans une connaissance « objective » du transfert ? Une didactique, est-ce l’application d’un manuel de psychanalyse, sous la forme de travaux pratiques ?
Freud, par sa référence à la théorie du jeu, parlait des coups du début et de la fin, et ajoutait que la variété infinie des coups se développant à partir de l’ouverture défiait toute description. Le champ dans lequel il situait le jeu était celui du fantasme.
Le champ de l’ego psychology est celui de la réalité, d’une réalité naïve (la « bonne » réalité est extérieure). Cette psychanalyse, loin de traquer le sujet là où il n’est pas, et d’où peut justement sortir une parole vraie, le cerne là où il se présente, c’est-à-dire au niveau du seul registre imaginaire. Le sujet, à l’abri derrière les défenses de son « moi fort », apprend à se méconnaître un peu plus. Le confort acquis dans son être est payé du prix d’un redoublement de méconnaissance.
Pour nous, la direction d’une cure s’ordonne non pas autour de l’axe du moi autonome (c’est-à-dire dans la seule dimension du leurre imaginaire), mais autour du statut d’un sujet divisé (division en laquëlle Lacan nous apprend à reconnaître, dans l’analyse du discours, la superposition d’un sujet de l’énonciation et d’un sujet de l’énoncé). A la racine, le sujet apparaît comme insaisissable ; c’est parce qu’il est le support d’un système signifiant que par la voie du discours quelque chose arrive à se frayer et à se faire reconnaître à la conscience, à travers un processus répétitif en vertu du fait que la réalité, dans l’expérience de l’homme, apparaît comme ce qui revient toujours à la même place 128
J. Lacan, Séminaire du 18 novembre 1959 (inédit).128.
Il existe un rapport étroit entre le phénomène de répétition et le problème de la structure du désir. C’est par le biais de ce rapport, en cernant ce qui est là en jeu, qu’on aura accès à la forme du désir de l’obsessionnel (ses mécanismes d’annulation), à la forme du désir de l’hystérique (ses identifications imaginaires), à la forme du désir du psychotique (les commandements qui chez lui viennent comme lois de la parole).
La mise en place de ces quelques repères nous aura renvoyé : d’un côté à une psychanalyse à visée adaptative, et il s’agit alors d’une idéologie – de l’autre, à une psychanalyse qui veut se définir par rapport à des critères scientifiques, et pour ce faire s’ordonne autour de l’étude du discours de l’inconscient.
Ce qui s’ordonne dans le processus analytique
1. Le sujet entre en analyse par une demande (demande de guérison ou demande de cure « pour devenir analyste » ; nous verrons
ultérieurement l’incidence de ces deux positions respectives) arti
culée à travers une plainte. Cette demande véhicule l’expression de besoins, mais laisse entrevoir ce qui peut s’y trouver piégé du sujet de la parole.
La psychanalyse de l'ego confond le registre du besoin avec celui du désir, et faute d’avoir à sa disposition les registres de l’imaginaire et du symbolique, elle se trompe sur la réalité qu’elle chosifie.
z. L’analysand emprunte la forme 129
J. Lacan, Séminaire du 28 janvier 1959 (inédit).129 de sa demande au langage ; il lui faut passe ? par le code de l’Autre, pour donner un sens à ce qu’il a à dire. Mais ce qu’il dit comme sujet de l’inconscient, il ne sait pas, enseigne Freud, avec quoi il le dit ; ça parle en lui, à travers lui, sans qu’il soit pour autant le Je d’une parole ou d’un vouloir. Ce n’est que petit à petit, à travers la question sur ce qu’il est, qu’il peut arriver à saisir ce que ça veut de lui, et le je veux est bien ce qu’au cours du procès analytique il a à retrouver à travers ce qui a été continûment perdu, englouti dans le leurre du besoin.
Le je veux (qui émerge comme effet de signifiant) est à l’opposé du moi veut (qui se rapproche du il veut d’une identification imaginaire).
3. C’est dans l’intervalle qui sépare le langage quésitif du langage articulé que se situe le désir.
Le désir peut se définir comme retour du sujet sur lui-même en un point où il se fixe en face d’un fantasme. Ce qu’il cherche à centrer est un objet. Ce n’est pas pour autant d’une relation objec-tale qu’il s’agit, ni d’un besoin, mais de quelque chose qui, par rapport à l’objet, va situer le sujet comme tel, entre la pure signification et ce qui est de l’ordre signifiant130
J. Lacan, Séminaire du 14 janvier 1959 (inédit).130 – le situer comme sujet en tant qu’être barré (marqué par la castration) ; le désir, l’analysand a à le situer à un certain point du discours de l’Autre. C’est à travers tout un cheminement qui le soustrait au piège du seul rapport imaginaire à l’autre, que l’analysand arrive à se constituer comme sujet parlant à partir d’un lieu où l’articulation de la parole lui a été rendue possible.
Faute d’établir deux niveaux dans le discours du sujet, la psychanalyse américaine se développe en pure situation duelle (forcément pédagogisante), d’où la croyance que la fin d’une analyse consiste pour l’analysand en l’échange de son moi avec celui de l’analyste (c’est-à-dire dans une forme d’aliénation).
4. Une des dernières réponses de l’analysand, au terme de son analyse, va s’articuler chez la femme autour du pénis neid, et chez l’homme autour de la castration, alors situés l’un et l’autre dans un rapport à la réalité en quoi se marque la limite de l’être humain et la détresse qui l’attend au carrefour de ce même chemin où, dans le transfert, il aura épuisé ses demandes et la vanité de ses dons. Cette détresse qui le saisit au terme de l’analyse, est parente de la solitude qui attend l’homme face à la mort ; elle est en deçà de l’angoisse : car l’angoisse, lorsqu’elle apparaît, vient comme défense et protection clore ce qui, au niveau inconscient, cherchait à s’ouvrir à une vérité et à un savoir sur le vrai (savoir que la névrose a pour fonction généralement d’occulter). Ce que le sujet conquiert dans le transfert, à travers le renoncement aux biens, c’est l’assomption de la connaissance par le biais de l’ambivalence, de la culpabilité et de l’interdit. Ce qu’il épuise, ce sont ses symptômes de défense (les bons et mauvais objets kleiniens) ; et c’est pourquoi le sujet né de l’analyse va pouvoir faire acte de création à travers un processus de sublimation (défini par Lacan comme la solution imaginaire d’un besoin de réparation symbolique par rapport au corps de la mère).
La fin d’une analyse est caractérisée, Freud l’a montré, par la mise en place d’un « second » mouvement, mouvement dans lequel l’analysand reprend ce qu’il avait jusqu’alors apporté à l’analyse. Une phrase clef résume parfois dans sa brièveté le drame d’une destinée, drame revécu dans le transfert (alors se dénoue, ce qui au niveau inconscient était emprisonné dans un verdict de condamnation à mort, une prophétie d’exclusion, une prédiction de maladie mortelle). Le sujet remanié par le langage apprend à reconnaître et à nommer ce dans quoi il s’était perdu.
Champ pathologique et transfert
Les tenants de l’ego psychology voient dans l’analyse une situation duelle, ils la décrivent en termes de relations inter-personnelles.
Pour nous, le tiers présent-absent est là d’emblée, dès l’entrée du sujet en analyse. Ce tiers présent-absent, c’est ce qui surgit comme vérité entre l’analyste et l’analysand, c’est aussi la reproduction d’une structure, celle même du triangle œdipien.
Le champ de l’analyse est, nous l’avons vu, un champ pathologique, champ qui n’échappe à la paralysie que dans la mesure où les défenses du patient ne viennent pas se cristalliser sur les résistances de l’analyste créant ainsi un bastion de protection mutuelle – ce bastion-là existe dans toutes les analyses qui « ne marchent pas ».
La complicité analyste-patient, dans les résistance et réponse à la résistance, a été particulièrement étudiée par les analystes
argentins, notamment par Pichon-Rivière qui a défini cette situation comme parasitage de l’analyste par le patient – situation qui voue l’analyste à l’impuissance.
L’analysand mène alors le jeu via d’autres personnes (entourage de l’analyste, famille, amis, médecins)… et ce jeu aboutit parfois à une demande d’internement effectuée par un tiers, demande que l’analyste aurait pu circonscrire s’il avait pu comprendre plus tôt sa façon de participer à un processus d’aliénation. Le patient peut, à son tour, se sentir parasité131
Lorsque la didactique n’a pas laissé de place à l’analyse (à savoir, à une certaine dramatisation vécue dans le transfert), c’est avec son premier patient que l’analyste effectuera sa propre analyse. Cette façon de conduire sa propre analyse à travers celle de son patient, ne met pas l’analyste à l’abri d’accidents dans le réel surgissant à la place de ce qui aurait dû être articulé à un niveau symbolique dans l’analyse dite didactique. Faute d’avoir pu amener dans le dire quelque chose touchant à un vécu corporel, l’analyste interpellé par la question posée par son patient, risque de la reprendre à son compte en y répondant par des accidents suicidaires, des somatisations, des passages à l’acte divers (payant à travers le risque réel de mort le droit à une maîtrise). Les analystes de ce type sont généralement très doués. Dans la majorité des cas, la didactique sans analyse ouvre sur une issue moins optimiste : loin de se réaliser comme analyste, le candidat s’engage dans le circuit administratif du pouvoir (calqué sur le « pouvoir » du Patron en médecine). Sa compétence scolaire le laisse généralement dans sa pratique analytique défendu contre tout risque d’interpellation de l’inconscient. L’orientation de sa recherche ira de même dans le sens d’un travail purement académique. Le candidat fera néanmoins une brillante carrière de super-psychiatre-analyste.131 par l’analyste qui perd son caractère d’ambiguïté 132
Mad. et Willy Baranger (Montevideo), « Insight in the psychoanalytic situation », in Psychoanalysis in A.mericas, New York, 1966, Int. Univ. Press.132, pour devenir un persécuteur ou un héros idéalisé. Une situation (celle que nous avons vu les Argentins qualifier de symbiotique) est ainsi créée, qui engendre un bastion des plus résistants – bastion sur lequel l’analyse vient faire naufrage.
Toute une tranche de vie de l’analysand se trouve à ces moments-là comme envahie par l’analyse ; le patient (en situation d’amour ou de persécution) agit comme s’il était manipulé ; il peut ainsi, dans un état quasi hallucinatoire, vivre hors de la séance cé qui en séance n’a pu être amené dans le dire (c’est par une succession d’acting out qu’est dès lors agi ce qui, du fantasme fondamental du sujet, n’a pu émerger dans le dire). Cette façon qu’a le patient de mener son analyse est désagréable à supporter pour l’analyste ;
plus ce dernier se sent culpabilisé, plus il entre lui-même en état de défense.
Le dépassement de la situation pathogène ne peut avoir lieu qu’à travers la maîtrise de ce que les Kleiniens appellent un split-ting au-delà de la position dépressive.
Un processus de réparation s’amorce alors, qui a pour fonction de permettre que s’instaure à nouveau un mouvement dialectique (avec son corollaire : renversements successifs des éléments d’un procès).
Le sujet, engagé d’abord dans une identification agressive morcelante, est conduit ensuite vers un autre objet (de désir) et sort de l’alternative dans laquelle il était piégé, par une 'maîtrise qui s’installe comme effet de signifiant. C’est là que s’introduit, comme dans tin éclair, le désir de connaissance.
Le terme d’une analyse, c’est la limite à laquelle le patient se heurte, limite qui est celle même où se situe toute la problématique du désir. Là où tant d’analystes voient en la fin d’une analyse l’aptitude au bonheur, nous verrions que ce que le sujet a à promouvoir, c’est plutôt l’acceptation à partir d’une expérience de désarroi absolu, d’un destin dans lequel il s’accepte comme lieu d’un manque. C’est là et non ailleurs qu’il est amené à faire l’expérience de son désir.
Les deux doctrines psychanalytiques (ego psychology de Hartmann et psychanalyse freudienne axée sur les effets du signifiant dans la structuration du désir) ouvrent sur une éthique. Dans la première, ce qui prévaut est le rapport à une norme morale, la nôtre, que nous cherchons à imposer au candidat psychanalyste ; dans la deuxième, ce qui est en jeu est de l’ordre d’un remaniement de l’être, il s’agit du rapport du sujet à la vérité. Cette vérité, nous l’avons vu, est étroitement liée à l’avènement d’un Je dans une certaine articulation symbolique : articulation qui est d’un autre ordre que celui d’une pure et simple soumission à un sur-moi.
Toute la conception de l’analyse est donc infléchie par le choix théorique du départ. Les critères de sélection, comme la visée même de l’analyse, sont fonction de ce qui au départ se trouve privilégié dans le désir de l’analyste. La suite du jeu dépend de ce que l’analysand va faire de ce désir-là.
III. La psychanalyse, la didactique et l’institution
A la fin d’une analyse, le sujet est amené à reprendre les éléments qui furent en jeu dans les motivations présentées au départ de la cure. Il les reprend à partir d’une position qui a radicalement changé.
— Qu’est-ce que je suis devenu dans tout cela ?
— Où donc était ce Je de la plainte du départ ?
— Qui était malade ?
La question nous renvoie toujours à un autre qui, lui, était le sujet d’un discours dont le patient à travers sa plainte se faisait l’écho.
Ce qui s’ordonne au cours d’une analyse, c’est la mise en place des différents acteurs du drame, mise en place aussi des éléments d’un discours qui échappait au sujet. La condition pour que la question posée au départ de l’analyse demeure comme l’interrogation ultime de la fin, c’est que l’analyste ait pu accepter d’être le support d’une ouverture nécessaire (ceci n’exclut pas les cas où l’analysand, malgré l’analyste, mène l’analyse jusqu’à ce terme-là).
Répondre au discours symptomatique par une promesse de guérison, ne peut qu’amener un autre discours symptomatique. Si maintenant, à la place du symptôme, l’analysand apporte, comme seule motivation, son désir d’une analyse didactique, que va-t-il se passer, pour peu que l’analyste y réponde ? Il restera la chance qu’un autre discours symptomatique par cette raison même se tienne… et dans ce cas, l’analysand fera son analyse comme un patient qui souffre.
Le système institutionnel dans lequel le candidat est pris peut (nous l’avons vu plus haut) le rendre méfiant et lui ôter (pour les besoins de sa carrière) toute envie de rivaliser avec le névrosé. Son identification, au départ, ira alors à l’image du Patron qu’il se propose d’être un jour. Situati'on anti-analytique qui, pour se maintenir, exige la complicité d’un didacticien pris dans sa propre rêverie de toute-puissance, rêverie dans laquelle, à l’instar de la mère d’un curé, il « fait » un analyste.
La littérature analytique est assez abondante sur ce sujet, pour que nous ne nous étendions pas là-dessus.
Nous avons vu plus haut comment nous étions arrivés à une situation où subsistent la « didactique » et les didacticiens, la psychanalyse, elle, ayant disparu.
Une étude serait à faire concernant les candidats refusés par les Instituts de psychanalyse. L’expérience que j’en ai (et qui recoupe d’autres expériences à l’étranger) me permet d’affirmer qu’il s’agit très souvent de sujets doués, sincères, qui ont mené leur névrose avec l’Institution (corps social) sans que l’analyste y ait jamais rien compris. Pris lui-même dans le formalisme d’un système, il regrettait l’échec d’un élève, alors que la richesse de la névrose du patient aurait pu amener le didacticien (s’il avait su l’apprécier) à faire parcourir à l’analysand ce chemin de l’analyse jusqu’à son terme, c’est-à-dire en y incluant le désir de l’analysand d’être analyste. Ce désir, certains l’assument, mais pas à n’importe quel prix. Ce « n’importe quel prix » étant pour eux le système d’une Société de psychanalyse jugé à tort ou à raison absurde, et qu’ils rejettent délibérément, réussissant par la suite hors des filières traditionnelles une carrière d’analyste, carrière d’autant plus valable qu’elle est publique, hors des jeux d’intrigues d’une Société fermée comme le sont les Sociétés de psychanalyse.
Lors d’une des scissions d’une des Sociétés de psychanalyse de Paris, je fis à un collègue cette remarque :
— Ne croyez-vous pas que nous devrions penser aux effets de nos querelles sur les candidats ? certains en sont profondément marqués.
— Ce ne sont certainement pas mes élèves, me répondit l’honorable collègue. Et de poursuivre : Mes élèves sont des psychiatres, des gens posés, incapables de pareille émotivité.
Ainsi, je m’étais mise en faute, en faute de suspecter l’honorable collègue d’avoir des candidats tant soit peu névrosés. Non, les siens étaient normaux, et psychiatres de surcroît…
Le problème de la didactique, c’est bien ainsi que nous devons avoir l’honnêteté de le poser. Si la didactique est la mise en acte de la rêverie d’honorabilité ou de puissance du didacticien, il n’y a plus de place possible pour l’analyse.
IV. Psychanalyse, enseignement et sélection
Si le constat de faillite dans la formation didactique, fut en quelque sorte le thème autour duquel tourna le Congrès d’Amsterdam (1965), au pré-Congrès de 1967 (Copenhague) on eut le souci de faire le point des exigences des analystes non seulement sur le plan de la sélection (le critère idéal du « bon analyste ») mais encore sur une exigence voulue scientifique quant à la visée même de l’analyse.
Qu’est-ce qui, dans une analyse, est à promouvoir ?
Paula Heimann 1 (Londres) dégage en gros les données suivantes :
1. Le candidat analyste doit être capable « d’empathie ». Cette aptitude, nous dit-elle, consiste, pour un sujet, à pouvoir se mettre à la place de l’objet, c’est-à-dire qu’il doit être « capable de mettre ses pieds dans les souliers de l’autre », obtenant ainsi le maximum de connaissance interne de l’objet. Cela suppose une capacité d’identification projective.
2. Le psychanalyste (didacticien) doit en retour être capable d’effectuer, dans la séance d’analyse, « le travail d'une personne exceptionnelle ». Pour arriver à cette fin, il lui faut accéder à un work ego.
3. Citant Gitelson, Paula Heimann constate que les psychanalystes, dans le monde entier, traversent actuellement une crise d’identité (ils sont en pleine crise d’adolescence, avec ce que cela comporte comme danger de retour du refoulé). Les psychanalystes ont le culte du héros, des incantations rituelles, ils forment des cliques et se disputent.
4. Se référant aux travaux de Freud sur le narcissisme, l’auteur distingue un narcissisme tertiaire, celui de l’âge mûr ; ce narcis-sisme-là est utile au travail créateur et doit être encouragé. Il n’a pas les inconvénients du narcissisme secondaire (avec ses effets agressifs inattendus) ni du narcissisme primaire (narcissisme naïf du nourrisson).
, 1. Paula Heimann, « The évaluation of applicants for psychoanalytic train-lng », in International Journal of psychoanalysis, vol. 49, n° 4.
5. L’auteur, citant Solms : « Ce que nous devons attendre d’un candidat, – c’est qu’il ait bon cœur », termine son rapport sur un double vœu, quant aux buts à viser pour l’analyste : a) développement psychique (croissance psychologique du sujet), V) acquisition de nouveaux ego permettant à l’analyste d’être à la hauteur des découvertes freudiennes.
Ce résumé, caricatural dans sa forme, est cependant le reflet fidèle d’un travail important, nourri d’une bibliographie composée de quarante-trois ouvrages et articles concernant la didactique.
A la question sous-jacente : la psychanalyse est-elle une science ? on nous donne (dans les cinq points extraits ici), avec sérieux, des références qui ont trait soit à des notions vagues comme celles d’une norme de « l’empathie » et du « bon cœur », soit des références anecdotiques concernant les disputes des analystes (leur maintien dans la crise adolescente), pour terminer d’une façon péremptoire sur les nécessités « urgentes » du moment :
i. Revaloriser le narcissisme (à condition qu’il soit tertiaire). -2. Faire appel à la norme : l’analyste doit être adulte et en quête de nouveaux ego.
Le moi de l’analyste devient la norme d’une réalité à atteindre pour l’analysand (l’analyste se vit lui-même comme un personnage exceptionnel, même s’il dit ensuite qu’il n’en est rien, et qu’il « est comme tout le monde »).
L’accent n’est mis à aucun moment sur une dimension : celle de l’analysand ! Tout se passe comme si l’analysand n’avait aucun chemin à parcourir dans une certaine dimension de l’être. L’analysand est l’objet fabriqué en vue d’un avoir, avoir qui lui permettra de fonctionner d’une façon « autonome ».
A lire ce texte, on se sent pris dans l’univers moralisateur du dressage ou de l’acquisition d’automatismes. Nul étonnement dès lors, lorsque, quelques pages plus loin de la même revue, nous apprenons que les analystes utilisent actuellement la psychotechnique dans la sélection de candidats : psychotechnique-recherche pour les uns (Columbia University), psychotechnique-sélection pour les autres (Topeka Institute).
On en est là ; à l’époque de « l’essor » de la psychanalyse dans les faits, les psychanalystes sont démissionnaires. L’énorme appareil bureaucratique de l’Internationale a « fonctionnarisé » la psychanalyse au point de la rendre inodore et incolore. Les auteurs, tout en revendiquant une psychanalyse scientifique, sont dans les faits les premiers à freiner tout effort scientifique, jugé immédiatement suspect.
L’excellent rapport de Brian Bird 133
Brian Bird, « On candidate sélection and its relation to analysis », in International Journal of psychoanalysis, vol. 49, n° 4, 1968.133 (Cleveland) laisse entrevoir]a racine du malaise qui pèse actuellement sur la psychanalyse. Ce malaise est essentiellement américain, et la supériorité numérique écrasante des Américains dans l’appareil international est une des causes de cette sorte de désagrégation en chaîne dont souffre la psychanalyse.
Les critères scientifiques de l’Internationale sont, comme on le sait, ceux de Chicago – il n’y en a pas d’autres. Tel est le prix à payer pour un label de « reconnaissance ». C’est ce label que certains rêvent aujourd’hui d’imposer à la France : on rêve d’un monde régi par la Sécurité sociale, où le « droit à la psychanalyse pour tous les citoyens » serait octroyé contre remboursement… à travers les instituts de psychanalyse dont le label serait celui de Chicago (les critères scientifiques français n’ayant apparemment dans ce domaine pas droit de cité).
Ce rappel polémique est nécessaire pour souligner (et ceci est en filigrane tout au long du remarquable texte de Brian Bird) que ce sont les implications passionnelles, les intrigues de toutes sortes, qui actuellement tiennent lieu de critère scientifique.
La psychanalyse est revendiquée comme science. Mais dans les faits, il n’y a pas de place pour la science. L’organisation des institutions, de l’enseignement, les critères de sélection et de formation sont purement politiques. Certaines normes (la nécessité d’être médecin à l’institut de New York) n’ont rien à voir avec les exigences analytiques. Elles ne doivent leur existence qu’au poids de certains intérêts locaux (défense des privilèges des médecins analystes américains à l’époque de l’exode en Amérique des analystes juifs européens).
Brian Bird distingue avec pertinence deux étapes dans la psychanalyse :
1. la période antérieure à 1940 (particulièrement la période de 1920-1930), où il n’y avait pas de problème de sélection (sinon l’interrogation, dans l’analyse, de ce qui en est du désir d’être analyste).
Cette période, nous dit l’auteur, a produit les meilleurs théoriciens ; ce furent aussi les plus névrosés et les « enfants terribles » des Sociétés de psychanalyse.
Ces années (spécialement en Amérique), les analystes les passaient dans un certain isolement ; ils avaient le souci de la recherche et le désir de contribuer au développement de la psychanalyse comme science.
2. Puis vint la guerre : les psychanalystes américains découvrirent le monde. L’armée avait besoin de psychanalystes pour ses traumatisés de guerre. Pris par l’action, les analystes, de retour chez eux, ont répugné de plus en plus à exercer une pure pratique en cabinet privé. La vogue du mi-temps analytique s’est répandue, avec l’idée d’un autre mi-temps dans lequel on ferait tout, excepté de l’analyse. La vie d’un analyste n’a en effet rien de bien excitant, le cumul d’activités redonne à l’analyse son sel.
Très curieusement, le type des candidats analystes a radicalement changé (et cela coïncide avec l’obligation imposée au candidat d’être médecin). Aux analystes farfelus des années 1920, ont succédé des candidats « normaux » à-névrose-de-caractère ; bien que l’on déplore le surgissement épidémique de cette « normalité », on ne fait rien pour l’enrayer, au contraire. (Et cependant, note Bird, il est reconnu que ce type de candidats est inanalysable.) La psychanalyse, de scientifique, est devenue curative ; la visée du candidat est d’obtenir par une analyse une promotion dans sa carrière de médecin.
Analysé, il deviendra super-psychiatre, nanti de responsabilités hospitalières et d’une chaire en faculté de Médecine. Bird lie d’une façon pertinente l’éclosion de l’ego psychology avec la naissance d’une génération médicale de candidats « normaux ». Il ajoute que la « normalité », si elle prédispose le candidat à une brillante carrière académique, ne le prédispose nullement (au contraire) à devenir meilleur psychanalyste ; ces candidats sont même souvent perdus d’avance pour toute recherche désintéressée.
Les psychanalystes intéressés par la psychanalyse dite scientifique se font de plus en plus rares. Un pont n’a pas été jeté, nous dit
Brian Bird, entre les psychanalystes purs d’autrefois et les hommes d’action d’aujourd’hui, préoccupés plus par une pratique médicale que par une recherche analytique. Telle est du moins la situation aux Etats-Unis.
Quant à la sélection (désormais si étroitement liée à la carrière médicale), l’auteur se montre sceptique quant à ses résultats.
Quoi qu’on fasse, a-t-il l’air de dire, on risque de se trouver toujours à côté du problème. Aucun critère sérieux ne vient guider les analystes dans une sélection basée tantôt sur un examen psychiatrique classique (l’analyste s’effaçant derrière le psychiatre), tantôt sur des tests, tantôt sur des interviews à un ou plusieurs, tantôt sur des lettres de recommandation. Ce qui domine, c’est l’arbitraire.
Brian Bird n’est à aucun moment dupe du « caractère scientifique » de ces critères invoqués par ses collègues. Il souligne que la vogue actuelle de l'empathie est en réalité un « like me critérium » tout ce qu’il y a de plus contestable. Les analystes en sont arrivés là en effet : à jauger chez le candidat ce qui en lui les reflète, eux, comme analystes.
Faut-il que soit introduite une rupture entre la psychanalyse et la psychiatrie ? La question est posée en filigrane dans ce texte. L’auteur, dans la sobriété même de son exposé, nous donne un éclairage non équivoque des effets (méfaits) de l’introduction de la médecine et de la bienfaisance sociale sur l’évolution de la pensée analytique.
Dans cette situation-là, la psychanalyse, comme science, est appelée à disparaître. Elle ne devra sa survie qu’au prix d’une non-intégration à l’appareil administratif de l’État. C’est en vivant en marge de toute reconnaissance, dans un lieu où on la maudira comme la peste, qu’elle arrivera à retrouver la verdeur du début de l’ère freudienne (et à échapper à l’ère ménopausique dans laquelle aujourd’hui on l’entraîne).
Nous avons vu que le problème de l’enseignement de la psychanalyse (et de sa transmission) est un problème qui, dès l’époque de Freud, avait été la cause des ruptures et scissions. Ce qui dans ce problème est en jeu, c’est bien l’existence même de la psychanalyse : ramenée à une éducation de l'ego, ou bien restituée comme science par l’étüde de son rapport aü langage.
Que les divergences théoriques n’aient souvent servi qu’à masquer des conflits de prestige ou d’ambition, comme tout le monde le sait, n’empêche pas que ce soit du seul côté de l’approfondissement théorique qu’il est possible de remédier à l’impasse.
La mise en question des structures des Sociétés de psychanalyse est enfin inséparable de la mise en question du système (politique) dans lequel ces sociétés (comme toute institution) se trouvent prises. L’interrogation se porte alors sur la façon dont la psychanalyse a pu se trouver « récupérée », « métabolisée » par l’administration en place, faisant ainsi le jeu d’une idéologie dominante soucieuse de maintenir un discours académique gardien de l’ordre établi1.
Si j’ai fait une aussi large place à l’expérience américaine c’est bien parce que c’est sur ce modèle américain que la psychanalyse en France est actuellement en train de se développer et de se dégrader tout à la fois.
i. Le discours de Lacan s’oppose, en France, au discours académique en place. C’est parce qu’il met en question le savoir reçu qu’il inquiète. On cherche dès lors à l’exclure des Sociétés de psychanalyse ou de l’Université. La passion qu’on y met n’a d’égale que la passion qui s’exerce chez chacun au niveau de la censure.
Conclusion
La vérité est une chienne qu’on renvoie à la niche, il est fatal qu’elle soit chassée à coups de fouet. Le fou, in Le Roi Lear.
Shakespeare
Dans ce livre s’est poursuivie une double démarche : d’une part, l’étude de la « maladie » en elle-même ; d’autre part, l’étude du rapport que la société établit avec elle.
Dans ce dernier rapport se trouve impliqué, autant que le « malade » avec sa « maladie », le médecin et par là même la société qui juge et définit la « maladie ». Le risque d’objectivation 134
Franco Basaglia, l’Institution en négation, éd. du Seuil, 1970.134 (c’est-à-dire le risque pour le patient d’être traité comme un objet) n’est pas lié à la condition objective de « malade » ; l’objectivation peut être considérée comme un processus qui se développe à l’intérieur du rapport entre « malade » et thérapeute, et de là, à l’intérieur du rapport entre le « malade » et la Société qui délègue au médecin cure et tutelle à l’égard du « malade ».
On ne peut contester le niveau d’objectivation auquel le « malade » a été abandonné, sans en même temps mettre en question et en crise la psychiatrie, et les sciences auxquelles elle se réfère, et la société dans le représentant qu’elle délègue : le psychiatre.
La réalité de la folie n’est pas niée ; ce qui est mis en cause, c’est son assimilation à une maladie (mentale). Cette assimilation pousse le psychiatre à situer dans la personne un désordre qui est sans doute à repérer ailleurs : notamment au niveau des accidents symboliques qui ont marqué le discours familial présidant à la naissance du sujet.
Les conséquences et manifestations du « désordre » que dévoile la folie sont à considérer non pas tant comme le résultat de l’évolution directe d’une « maladie », que comme l’effet du rapport établi par le psychiatre (et la société) avec le fou.
La folie, accueillie dans un contexte correct, peut constituer une expérience positive ; mais elle ne saurait acquérir ce caractère positif dans une situation médicale traditionnelle. Car dans la situation médicale traditionnelle (comme le souligne la Philadelphia Association), dès qu’un individu viole les règles non écrites de son milieu familial, il se trouve devant l’alternative : les punitions ou les soins. Et les « soins » visent un retour du sujet à l’état antérieur aux violations du code de règles familiales. Les « soins » masquent ainsi l’expérience positive que peut constituer, en tant que telle, la violation de la règle (et l’épisode de décompensation psychotique que cette violation entraîne). En particulier, tout « apaisement » intempestif d’une crise risque d’aller dans le sens de l’objectivation du « malade » (dont le drame est justement d’avoir été toujours traité comme un objet).
Ce que j’ai essayé de mettre en question, c’est non tant la nature de la folie ou ses causes, que la façon dont elle est appréhendée dans le contexte social d’aujourd’hui.
Tantôt c’est la représentation collective du fou, conçu comme un être dangereux, qui doit être mise en cause ; tantôt ce sont les structures de la famille et de la société (et il s’agit alors d’un procès que fait la psychiatrie à la société…).
La psychanalyse, dans le rapport qu’elle institue avec le fou, rencontre des problèmes135
Dans une situation médicale traditionnelle, chaque « soignant » est à l’abri au poste hiérarchique qu’il occupe. Le « soigné » n’a d’autre fonction que de demeurer le garant du statut du « soignant ».
Lors d’une visite à l’école expérimentale de Bonneuil, lieu dit d’anti-psychia-trie, un directeur de stage chargé de la formation de psychologues, nous dit son regret de ne pouvoir nous confier ses psychologues : « Il n’y a pas de place pour un spécialiste chez vous ! » Cet universitaire fut, en effet, scandalisé par une situation où psychologues, internes, cuisinière et « fous » s’occupaient ensemble aussi bien de l’épluchage des légumes que de la confection d’un soufflé.
Où est le scandale ? N’est-il pas dans cette formation universitaire qui impose au psychologue de ne se rendre à son lieu de travail qu’avec ses outils de mesure et son habit de psychologue-praticien-diplômé ? Psychologue en détresse si on le prive de sa ration de tests, psychologue mutique s’il est « non analysé ». Plus la formation universitaire est poussée, plus elle institue une hiérarchie du savoir au service d’un monopole et d’une idéologie de caste. L’étudiant, pour conquérir son grade, doit s’entraîner à maquiller une vérité insupportable au maître. Les échecs de certains étudiants à la « dissertation » en psychologie, sont parfois ni plus ni moins des sanctions pour délits d’opinion. Tout étudiant anti-test est un suspect.135 qui ne sont pas étrangers à ceux qui se posent à la psychiatrie, on voit d’ailleurs le reflet de tels problèmes jusque dans le monde universitaire.
Si j’ai abordé dans ce livre la question de la formation des analystes, c’est qu’on aurait tort de dissocier la crise qui existe dans le monde psychanalytique, du malaise universitaire. Si l’adulte ne peut accepter l’Université que pour autant qu’elle demeure un champ vide fondé sur un langage rassurant, les structures des sociétés de psychanalyse participent d’un même souci de conformisme. Les rites qui président à la transmission d’un savoir semblent bien, dans l’un et l’autre cas, avoir comme unique visée le maintien de préjugés établis. Ce sont ces préjugés qui, en psychiatrie, commandent tout notre rapport à la folie.
Si Freud a inventé la psychanalyse en dénouant la situation psychiatrique, ce n’est certainement pas un progrès pour la psychanalyse de se rapprocher de nos jours de cette même situation (et tel est bien le cas en service public).
Paradoxe de notre époque : c’est au moment où la psychanalyse est en voie de perdre son originalité radicale, à quoi elle doit son efficace, qu’elle se trouve mise au service de tous. La psychanalyse subit de nos jours une mutation technocratique qui la lie au pouvoir qui la met en place. Des centres de « soins », à l’instar de certaines usines, forment actuellement leur propre personnel d’analystes, d’analystes à « qualification limitée » pour 1’ « usage exclusif des centres publics »… Cette formation d’une catégorie mineure infléchit l’analyse dans le sens d’une pédagogie normative 136
Une catégorie de psychothérapeutes de soutien est actuellement en cours de fabrication dans certaines Facultés. On y promeut – à l’instar des psychologue » d’usine – des « thérapeutes » de soutien… au pouvoir en place. Il s’agit de créer des cadres dociles, qui s’abstiendront de mettre en question le' structures actuelles des institutions pour débiles et psychotiques.
Les psychologues sont très conscients du conditionnement dont ils font l’objet et du scandale que constitue le caractère périmé de leur formation universitaire (formation partisane, soucieuse dé clore tout ce qui pourrait surgir comme vérité dérangeante). Les très rares assistants qui se distinguent par une compétence réelle (compétence qui dépasse de loin celle de tel professeur en titre) se voient accusés de démagogie et sont en danger de se trouver barrés dans leur avancement.136.
Le prosélytisme lié au dépistage des troubles dits psychologiques est ici le principal danger de notre époque : ce dépistage effectué dès le jardin d’enfants dans certaines écoles, aboutit à des conseils en vue d’une rééducation là où c’est justement l’éducation qui a brillé par sa carence.
Tout notre système médico-administratif est fondé sur la méconnaissance des critères scientifiques ; de telle sorte que la psychanalyse en service public risque de ne pouvoir subsister que sous la forme dégradée d’une psychotechnique. (Se trouve alors nié le danger que fait courir à l’enfant une forme de monopole de « soins » lorsque son « cas » se trouve précocement « psychiatrisé »).
Toutes ces questions ont été abordées – spontanément par les étudiants en médecine et en psychologie, en mai 1968 (étudiants de ire et 2e année non encore touchés par les effets d’une formation universitaire). La question de la rénovation de la psychiatrie s’est trouvée liée par eux à la contestation de la forme du régime.
C’est la politisation de l’action étudiante qui avait permis le dévoilement d’une vérité susceptible de promettre un progrès scientifique. Le mouvement de dépolitisation amorcé au bout de quinze jours proposa des réformes, dans l’espoir de mettre fin à la contestation. La contestation avait permis un mouvement massif de démythification du personnage médical et de son pouvoir. La dépolitisation fit le jeu de ceux qui ne renonçaient pas au maintien des privilèges. Le maintien des privilèges entretient chez le médecin une sorte de croyance mystique en sa « mission », mission qui ferait de lui de plein droit l’héritier d’une fonction sacrée. La demande sociale laisse une place pour le « personnage » du « Patron ». De la réponse du médecin : accepter ou non de se mettre à cette place-là (fût-ce sur le plan imaginaire) va dépendre le type de relation thérapeutique qu’il va instaurer avec le « malade », principalement en psychanalyse. Avant même son entrée dans les études médicales, l’étudiant risque de s’aliéner dans la fascination exercée sur lui par le statut de Patron (le danger est identique en psychanalyse), et ceci peut pervertir tout son rapport au travail.
Nous savons par Freud que la seule formation valable pour un analyste repose sur sa propre capacité d’identification au « malade », l’origine d’une instauration non ségrégative de rapports médecin-malade se situe là. Or, les études médicales sont conçues pour défendre l’étudiant contre ce genre d’identification. Que tous ces problèmes cruciaux aient été soulevés par les étudiants au cours des événements de mai, montre qu’ils s’étaient sentis directement impliqués dans ces questions.
Pris dans le processus dialectique de la contestation, le sujet (comme c’est le cas en analyse) s’est trouvé décentré par rapport à toute conscience de soi. Entrée dans une autre structure, c’est bien d’un autre lieu que sa parole a pu se libérer. Et les étudiants, dans leur contestation – de la psychiatrie, ont mis en avant (sans les connaître) les mêmes thèmes qu’avaient exposés en octobre
1967 à Paris137
« Enfance aliénée II », in Recherches, décembre 1968.137 Laing, Cooper et le groupe delà Philadelphia Association : l’effet de scandale avait alors amené le public (ou les autorités universitaires) à masquer une vérité insupportable 138
Par le biais de réformes dans le cas des étudiants ou par le rejet massif du dire anti-psychiatrique lors du Congrès. Voir aussi E. Copferman, Problèmes de la jeunesse, éd. Maspero, 1967.138.
La référence sociologique, voire « humanitaire », de certains anti-psychiatres américains, était on ne peut plus contestable ; mais la question n’était pas là. Psychiatres et psychanalystes français se sont abrités derrière des objections théoriques justes, pour mieux se refuser à l’écoute d’un matériel clinique rare (il s’y agissait de l’aveu, par les anti-psychiatres américains, du rôle tenu par la catégorie de la jouissance dans le rapport au « malade mental »).
Personne ne s’arrêta alors (excepté Lacan, dans son discours de clôture) à l’apport positif constitué par un témoignage dégagé de tout l’appareil conventionnel qui constitue notre protection face à la folie.
C’est là une question importante : elle touche aux questions les plus actuelles et les plus brûlantes concernant la transmission du savoir (et la façon dont, dans notre système, le savoir doit demeurer vidé de tout pouvoir de transformation réelle – ce qui n’est pas sans effet sur l’orientation académique donnée à la recherche).
Dans leur souci de changer le modèle médical auquel la psychiatrie se réfère, étudiants de mai et anti-psychiatres ont cherché à porter leur interrogation non tant sur le « malade », que sur le discours mutilant dans lequel il a été pris. La question qui s’est trouvée posée ainsi est celle des droits de l’individu. Faut-il continuer à défendre la société contre la folie, ou est-ce la liberté du fou qui demande à être défendue contre une société qui le tolère mal ?
Ce problème de la liberté s’est trouvé, au cours de l’histoire de la psychiatrie, abordé politiquement dans deux directions différentes, et nous sommes encore de nos jours tributaires de ces options.
1. Le jugement rendu par le tribunal de Dresde posait avec rigueur les rapports que la société devait entretenir avec la folie. Ce sont les droits bourgeois de la personne (ceux d’un éminent président du Sénat) que le tribunal défendait ici (le plaignant n’étant pas dépensier ne faisait courir aucun danger au patrimoine familial : ce qui facilita la tâche des juges).
Ce qu’il y a de remarquable dans la compréhension dont le tribunal fit preuve, c’est la façon dont son choix se fit, en fin de compte, du côté de Vanti-social. Le tribunal décida que le plaignant était fou, mais que sa liberté de fou était à respecter. Les aboiements du plaignant, s’ils devaient importuner le voisinage, relevaient du délit de tapage nocturne, mais ne sauraient constituer un motif d’internement. Le jugement de Dresde (et le plaidoyer de Schreber) constituent le modèle même d’une revendication « anarchisante » – et c’est bien dans cette visée que se situe l’anti-psychiatrie (lorsqu’elle ne se laisse pas récupérer par une idéologie charitable).
2. L’autre revendication de liberté est révolutionnaire, mais elle ne peut être révolutionnaire sans avoir un souci social : celui de réformer la société au lieu de défendre l’individu. C’est dans cette perspective que se situeraient les recherches psychiatriques françaises.
Le problème n’est pas simple : devons-nous laisser à la folie la liberté de parler (tout en risquant de mettre en danger la société), ou devons-nous créer une société moins aliénante (tout en colmatant chez l’individu ce qui cherche à s’exprimer comme dire de vérité) ?
L’alternative est toujours en nous. Nous sommes tentés de rejeter notre folie, et c’est ce refoulé en nous qui nous interpelle dans le dire de la folie de l’autre. C’est bien pourquoi le mécanisme de censure (et d’exclusion) intervient de façon brutale.
Ces questions fondamentales, si elles ont pu être posées en mai
1968 (comme elles l’ont été dans les révolutions du passé), n’ont, depuis, reçu aucune suite. Les réformes introduites procèdent d’un souci de réglementation des études et de réglementation du réseau de soins, mais elles n’apportent aucun changement véritable dans l’esprit même de la psychiatrie.
Au lieu d’un examen de ce qu’est l’attitude de la société à l’égard de la « maladie mentale », nous nous trouvons devant des options administratives, qui tendent à la défense du monopole des soins et qui risquent d’apporter en particulier une aggravation du côté de la psychiatrisation des problèmes de l’enfance. Nous entrons dans l’ère des « soins psychiatriques obligatoires », à un rythme tel, qu’il serait étonnant qu’une « maladie psychiatrique », liée aux abus des dépistages et consultations d’hygiène mentale, ne vienne pas se superposer au malaise à vivre initial du patient.
L’inadaptation peut, dans certains cas, être facteur de santé. Que le dire vrai ne puisse, dans notre société, s’exprimer que dans la délinquance ou la folie, éclaire ce qui dans notre système se trouve faussé.
En particulier, la formation de « psychanalystes d’enfants » de plus en plus étrangers à toute pratique de l’analyse d’adulte n’orients. que trop souvent les cures autour du symptôme « enfant », sans qu’ait été mise en lumière la place occupée par l’enfant dans la problématique du couple parental. Psychanalyse et rééducation viennent alors perpétuer une aberration qui se situe ailleurs qu’au niveau de l’enfant. A s’occuper uniquement de l’enfant, on le rejette en tant que sujet.
— Mon enfant, me dit une mère (elle parle de son fils délinquant, âgé de 2 5 ans), m’a coûté une fortune. Nous avons matériellement tout fait pour lui : psychanalyse depuis l’âge de 4 ans, rééducations, écoles spécialisées, rien n’a eu de prise sur lui. Si on l’avait placé chez des paysans chaleureux sans scolarité, on n’aurait pas obtenu pire. Il aurait, qui sait ? échappé à la drogue et à l’influence du milieu.
Ce ratage, j’en porte l’entière responsabilité, poursuit la mère. J’ai utilisé la psychanalyse pour me donner bonne conscience. J’ai triché. J’envoyais se faire soigner un enfant qui avait toutes
les raisons de s’insurger contre l’enfer que je lui créais. Mon mari a été un saint. Nous sommes aux yeux des autres un couple parfait. Cependant personne n’a jamais soupçonné le quotidien de l’enfer que je fabriquais…
— Est-ce la faillite de la psychanalyse que vous cherchez à souligner ?
— Non, c’est le système. On a tous été (contre cet enfant) d’une complicité de flics…
Voilà qui devrait nous inviter à une étude systématique des échecs des cures entreprises. Seul ce travail pourrait éclairer ce qui aura été méconnu ou faussé au cours du procès analytique.
Dans ce cas exemplaire, ce n’est pas uniquement la famille qui fut en cause, mais également la société. Son réseau de « soins » contribua à la fabrication d’un délinquant, pure réalisation d’un univers kafkaïen jamais mis en question.
Le travail clinique du psychanalyste peut s’inscrire, de nos jours, dans un système médico-administratif qui participe d’une aliénation sociale. On « psychothérapise » en chaîne des enfants qui ne savent pas pourquoi ils sont amenés au dispensaire. Les pères se trouvent généralement placés hors-jeu ; les analystes, femmes pour la plupart, ont tendance inconsciemment à « rapter » l’enfant au « mauvais » parent, se substituant souvent au père (estimé trop faible, trop fort, trop absent, bref toujours trop quelque chose – c’est un gêneur). Toute indication de psychothérapie en service public serait ainsi à dégager dès l’abord de la demande sociale dans laquelle la demande de consultation se trouve au départ prise et pervertie.
Le cadre dans lequel la psychanalyse est amenée à se déployer compromet la plupart du temps les conditions nécessaires à son existence même. Cela est plus encore sensible dans le domaine des psychoses chez l’enfant. Car l’enfant est l’objet d’un monopole de « soins » qui, dans les faits, exclut la psychanalyse, puisque cette dernière n’est tolérée qu’asservie à un système qui l’aliène.
Dès qu’une société songe à mettre en place une organisation de « soins », elle fonde cette organisation sur un système de protection qui est avant tout rejet de la folie.
D ’une façon paradoxale, « l’ordre soignant » promeut ainsi la « violence » au nom de l’adaptation.
En guise d’appendice
I. Lettre d’une infirmière
Je sais qu’il est bien inutile de se plaindre des structures – hospitalières puisque j’ai choisi de participer à cette aberration.
Dans le service il y a un malade qui faisait auparavant beaucoup de peinture et, comme c’est un gars renfermé, le seul moyen d’approche était ses dessins. Et puis un jour il m’a appelée pour me faire part d’une démarche effectuée par lui afin d’obtenir le matériel nécessaire àü montage d’un atelier de peinture.
Le lendemain, j’en parle au « staff ». On m’a dit que cette demande n’était pas valable vu que c’était une « relation duelle »… Depuis, tous les soirs ce malade rentre complètement ivre et l’interne n’a pas tenté de parler avec lui.
Il y a un jeune, à la fois débile et psychotique, qui n’émet que des sons… Un vrai petit animal apeuré. Plein d’autres éthyliques plus le reste…
Des fois je me demande dans quel but je suis allée travailler en psychiatrie… Pour moi ou pour eux ? Je crois réellement que c’était pour eux, mais vu comment ça se passe,- on se trouve surtout face à face avec soi-même puisque l’on fait tellement peu pour eux. Alors est-ce valable ce jeu-là ?
Faire en sorte qu’ils n’existent plus ? Aller à l’hôpital général ? Ce ne serait pas la même comédie, en un sens ce serait pire, je serais incapable de me remettre au rendement automatique, et j’ai horreur de la hiérarchie.
Alors pourquoi le choix de ce métier d’infirmière au départ ? Choix très égoïste puisque je voulais faire quelque chose pour les autres afin d’être moi-même moins emmurée dans mon silence. Et dans ce rêve d’une nuit où je retrouve un malade mental qui emploie des mots pour d’autres et qui lèche le sang et le pus d’un blessé couché sur une civière : je ne puis que faire le lien entre la notion de réparation, de sacrifice, de bouc émissaire – et ce truc de sacrifice, de tête de Turc, c’est cette éducation religieuse de l’enfance.
Ici, c’est toute la société qui est remise en question… et je ne me veux plus infirmière.
Je me sens brusquement perdue, je ne sais plus comment voir les choses, j’évolue dans l’absurde.
Marie-France.
II. École expérimentale de Bonneuil-sur-Marne 139
Ce lieu dénoncé par les Italiens (Espresso, 21-12-1969) comme lieu aristocratique est en fait un Centre de formation (de dé-formation) qui s’inscrit dans un mouvement populaire de remise en cause des institutions, mouvement amorcé en France en 1920 par C. Frcinet et en U.R.S.S. par Makarenko. I/administration usa à l’époque de tout son pouvoir pour bloquer ce qui cherchait à s’ouvrir à des effets de vérité. Freinct et Makarenko se heurtèrent durant leur vie à l’incompréhension et à l’hostilité des maîtres en place. Ils ne furent reconnus qu’après leur mort. La reforme introduite de nos jours par les analystes qui récusent les structures traditionnelles des institutions est tout aussi mal tolérée.139
Le 12 septembre 1969 140
à son état antérieur, le mythe aussi d’une identité entre le malade, le primitif et l’enfant, mythe par lequel se rassure la conscience scandalisée devant 1* maladie mentale, et s'affermit la conscience enfermée dans ses préjugés culturels. »40, nous avons, avec l’aide d’amis, fondé dans le cadre de la loi de 1901, un Centre d’études et de recherches pédagogiques et psychanalytiques, qui s’est donné comme principale mission la création d’une école expérimentale ouverte à un certain type d’enfants en difficulté, dans une perspective de non-ségrégation. Nous ne voulons pas dépasser 15 enfants, pour une telle expérience de vie communautaire.
M. et Mme Guérin ont supporté seuls la charge financière que représentait l’achat d’une maison et son aménagement. Us assurent la direction de l’École dont ils ont permis la création.
Le Conseil d’administration est composé par la famille Guérin et par le père d’un enfant inscrit à l’école. Les conseillers techniques de l’association sont le Dr Lefort et moi-même. Nous ont dès le départ apporté leur soutien le Dr J. Ayme et M. Pierre Fedida. Le Dr F. Dolto s’est jointe à nous et nous pourrons ainsi bénéficier de son expérience.
L’équipe travaillant à Bonneuil se compose de trois personnes à plein temps (dont deux touchent un salaire) et de stagiaires vacataires bénévoles, au nombre de treke, en majorité des psychologues de la Sorbonne141
Catherine Bautruche, Jean-Jacques Bouquier, Agathe Biancheri, Micheline Fodor, Françoise Fort, Annie Grosser, Boris Koltirine, Marie-Françoise Laval, Annie Lohéac, Guy Sapriel, Ninette Succab, Florence Stevenin, Catherine Waysfeld.
z. Il y a peut-être une part de provocation dansia demande que nous avons faite de reconnaissance par l’Éducation nationale, puisque nous posons au départ le principe d’une absence de scolarisation. Ce que nous mettons par là en cause, c’est la façon dont la scolarisation obligatoire a été utilisée comme dressage pour que les individus ne se mettent pas un jour à penser en dehors des normes admises.
Notre souci est non pas d’apprendre la grammaire aux enfants de l’École expérimentale, mais de leur permettre d’abord de vivre, ensuite d’être créateurs selon leur génie propre. L’exigence d’un « scolaire », c’est toujours eux qui à un moment donné la formulent. Tout dans ce domaine est à repenser radicalement. L’éducation spécialisée telle qu’on l’enseigne est une absurdité.141.
Les stagiaires ne sont acceptés que s’ils acceptent d’abandonner leurs outils de mesure pour s’intégrer en s’y exposant à un style de vie. Us viennent à tour de rôle comme assistants, ou bien ils occupent une fonction propre dans des activités créées par eux : céramique, peinture, théâtre, marionnettes, expression corporelle, mime, contes de fées, chansons populaires, musique2. L’équipe se réunit tous les samedis pour l’analyse du travail effectué au niveau de l’institution. C’est l’organisation institutionnelle qui doit en effet fonctionner comme outil thérapeutique.
L'origine de l'institution
Certains ont connu le travail entrepris par certains d’entre nous à l’externat médico-pédagogique de Thiais. La rupture qui intervint entre l’équipe des analystes, médecins et éducateurs, et l’administration, se fit sur deux points précis :
1. Le problème de la réorganisation institutionnelle se posa avec acuité le jour où nous prîmes conscience qu’il était vain d’introduire, dans un établissement, des psychothérapies individuelles, lorsque le système répressif dans lequel adultes et enfants se trouvent pris provoque chez les éducateurs des dépressions, et chez les enfants des passages à l’acte agressifs. La hiérarchisation du personnel, le cloisonnement des activités, la non-insertion des enfants dans une réalité quotidienne provoquaient un blocage dans le circuit des échanges. Les travaux de C. Lévi-Strauss sont là pour nous rappeler que lorsqu’il y a un tel blocage le groupe dégénère et dans le groupe les individus se meurent littéralement de ne pouvoir se trouver en posidon d’être créateurs.
L’administration fit appel à la Sauvegarde de l’Enfance pour empêcher la subversion de s’installer dans son établissement. L’équipe démissionna en bloc, mais tout fut mis en œuvre pour que le scandale d’une démission collective soit étouffé. L’Externat médico-pédagogique de Thiais s’est depuis agrandi, il a été doté de nouveaux locaux, mais on n’y accepte plus de psychotiques. Et c’est bien là que se joue de nos jours une carte essentielle : les psychotiques, ou bien on les interne et ils deviennent à l’asile des « monuments pour psychiatres » – ou bien on cherche à les sortir d’affaire ; l’entreprise est longue, elle ne peut réussir qu’à travers me remise en cause radicale de l’institution.
2. L’autre motif sur lequel se fit notre rupture, fut notre position quant à l’orientation professionnelle. Nous étions persuadés que l’apprentissage chez un patron valait, pour tout un type d’enfants, bien mieux qu’un internat spécialisé, seule solution offerte après l’âge fatidique de 14 ans. Les faits nous donnèrent raison. Mais cette prise de position non ségrégative fut jugée inadmissible par l’administration.
Cet exemple de Thiais ne vaut la peine d’être cité que parce qu’il peut se multiplier par cent ou par mille. Mais c’est là toucher à une conception conservatrice des problèmes de la santé mentale.
Si nous avons contribué à la naissance de Bonneuil, c’est pour que puisse exister un lieu dit d’anti-psychiatrie, où les enfants réapprennent à vivre avant d’être écrasés par une demande d’adaptation (qui n’est que trop souvent adaptation à une stéréotypée institutionnelle).
Si nous faisons nôtre une attitude anti-psychiatrique, nous ne faisons pas pour autant nôtre la théorie qui la sous-tend. Nos références théoriques sont des références structurales. C’est autour de certaines lois (interdiction de parasitage, interdiction de l’inceste) que l’ordre humain, c’est-à-dire un ordre symbolique, trouve à s’installer, et que l’enfant pris dans cette machine signifiante en vient à retrouver une parole personnelle et à se situer différemment par rapport à son désir et au désir de l’Autre. Nous reprendrons ceci tout à l’heure, à travers des exemples vécus dans l’institution.
Le fonctionnement de l’institution
La naissance d’une institution 142
F. Tosquelles, J. Oury.142 a signifié pour nous : la naissance d’une chose (d’un travail) instituée par les enfants eux-mêmes, qui deviennent avec les adultes les gardiens des règles qui s’éla-borent pour que la vie en commun soit possible.
La chose instituée, c’est le Conseil de coopérative élu par les enfants, qui apprennent à gérer un budget (celui de la nourriture), qui disposent du programme de la journée et élisent les responsables des différentes activités (nous suivons ici Freinet, mais aussi Makarenko).
La vie à Bonneuil, avec des enfants dits psychotiques, mais aussi des débiles et des anorexiques scolaires, s’organise autour de deux axes : la cuisine et les courses (l’établissement d’un budget et les comptes) et la correspondance avec m ailleurs (échange avec d’autres enfants, d’autres écoles, à travers la peinture, un journal à imprimer (que l’on sache ou non lire ou écrire), l’enregistrement de messages afin que ne sipit par privilégiée la seule écriture).
A côté de ces activités de base, il y a les activités annexes :
1. Les causeries du matin, réunions où les enfants parlent de leur maison, de leurs projets, de ce qui ne va pas.
2. Les réunions du Conseil, deux fois par semaine (deux enfants assurent la présidence et la vice-présidence), réunions au cours desquelles on reprend tout ce qui s’est dit et s’est fait. Tout aussi bien dans les divers ateliers, que dans la rue lorsqu’il y a eu interpellation par la police143
Nous avons cherché à faire l’éducation de cette police, en provoquant une réunion avec le commissaire de police qui devait ensuite informer ses hommes du sens de notre position anti-ségrégative. La police a fini par renoncer à chercher les enfants en fuite chez les voisins. Elle leur donne notre numéro de téléphone et c’est nous qui nous dérangeons non tant pour récupérer l’enfant que pour « éduquer » le plaignant et l’introduire à des notions dites « d’anti-psychiatrie ».143. On y reprend tout ce qui a pu faire du tort à la réputation de Bonneuil, tout ce qui a été enfreint concernant les règles instituées. Il s’agit, par ces réunions, de faire entrer dans une articulation symbolique tout ce qui se figeait comme plaintes et revendications propres à l’ordre imaginaire. C’est là que se fait l’analyse de tout ce qui oblige 144
Ginette Michaud.144 (obligation de laisser au voisin le droit de vivre, obligation de rendre, de recevoir dans l’ordre des échanges). On se heurte à l’inconscient du groupe, à l’inconscient individuel avec tout ce que cela suppose parfois comme pression de la part d’un sur-moi menaçant et ravageant. C’est cette loi inconsciente du groupe qui structure ce que nous instituons.
De même que l’enfant doit pouvoir reconnaître dans la mère la parole du père, de même, dans une institution, ce qui doit venir au jour publiquement, est tout ce qui éclate à travers des conversations de type duel 145
j. Ginette Michaud, « Transfert et échange en thérapeutique institutionnelle », Revue de psychothérapie institutionnelle, n° 1. François Tosquelles, « Introduction au problème du transfert en psychothérapie institutionnelle », in Revue de psychothérapie institutionnelle, n“1.145 (conversations au cours desquelles il y en a toujours un qui se trouve exclu). Ce qui doit venir au jour, c’est tout ce qui a trait à la loi d’existence du groupe. Les réunions servent à mettre en scène tout ce qui se dégage comme demandes formulées dans le groupe.
En veillant à l’échange des informations (informations qui touchent aussi bien aux projets de construction qu’au problème des fugues), l’insdtution lutte contre la mort. Il est donc continûment fait référence à ce qui se passe à l’extérieur : le système des correspondants, les échanges de cadeaux sont des éléments essentiels à la vie du groupe.
3. Les autres activités concernent principalement l’expression corporelle, elles mettent en jeu ce qui se trouve parfois coincé dans un rapport de l’enfant à une partie de son corps considéré par lui comme objet étranger. Elles jouent de ce qui peut se dire dans le rythme mais qui échoue à entrer dans la parole. Il y a aussi ce que les mains peuvent fabriquer, dans le rapport très particulier que l’enfant établit avec la terre. Il y a ce que l’on crée seul, ce que l’on ctée collectivement. Et l’on crée d’autant plus volontiers que le diroit au relus est acquis. Ce qui ne peut se dire avec la terre se dit parfois à travers la peinture. Notre souci est d’ouvrir aux enfants au maximum une gamme étendue de possibilités de création artistique.
La vie dans les ateliers, c’est aussi la mise en place d’un champ de langage x. Une parole peut naître d’un champ de langage, elle ne peut naître d’une cacophonie.
Dans chaque groupe, il y a un responsable des règles instituées. Toutes les fuites individuelles sont permises, pourvu que soit assurée la permanence du travail collectif. La seule chose qui soit interdite, c’est d’empêcher le voisin de travailler ou de « vivre ». Les fugueurs reviennent d’eux-mêmes ou sont ramenés par la police. Très vite, ce symptôme comme les autres symptômes disparaît, car l’enfant découvre que c’est une monnaie qui n’a pas cours dans l’institution.
Tout enfant qui devient œuvrant de ses mains est un enfant qui a passé par des périodes de refus et d’évasion pleinement autorisées. Toutes ces crises se trouvent toujours reprises au conseil et commentées par les enfants, tour à tour juges et soignants :
— Ah ! disait Rémy à Charles, si tu pouvais dire ta colère dans les mots, tu m’embêterais moins et tu t’embêterais moins.
Ce qui se dit et se crée dans les ateliers se trouve ainsi toujours repris au conseil, afin que la maison vive des apports de chacun.
x. F. Tosquellcs, Structure et Rééducation thérapeutique, éd. Universitaires, Paris, 1967.
Nous avons d’une part des objets qui interviennent comme médiations dans la relation des individus entre eux – et d’autre part, le sujet, sujet qui selon l’enseignement de Lacan est un sujet vide, qui ne se définit que comme lieu de relations. Nous ne savons pas qui est le sujet, pas plus que nous ne savons ce qu’est un électron, mais nous savons comment il se comporte dans certaines relations. Pour que nous puissions saisir ce qui se passe, il nous faut délimiter un champ, et dans ce champ faire fonctionner un dit que non avec ses effets repérables.
Il arrive qu’un enfant dise à un adulte :
— Tu ne fais pas respecter la loi dont tu es le gardien.
Il dit une vérité, puisque c’est souvent à partir de là qu’il n’y a plus de parole possible.
Si l’enfant devient attentif à un corps de règles, c’est bien parce que ce corps de règles constitue le minimum sans lequel la relation des humains entre eux est vouée à la mort.
Et c’ost ici que nous allons parler de ce qui se dit au niveau des enfants dans l’institution mise en place. On comprendra par là ce qui se dégage de l’expérience, comme éthique.
Le vécu de l’institution
Au début les enfants nous demandaient :
— Est-ce qu’on est une école de dingues ?
Après deux mois de fonctionnement, la question a pu leur être renvoyée sous cette forme :
— Qui, ici, a besoin d’un dingue pour se sentir bien ?
Nous remarquions que tout scandale (irruption chez les voisins, conflit au marché, exhibition devant les passants) avait pour support un enfant qui, par ses paroles, en manœuvrait un autre pour le faire fonctionner comme fou. Ceci a pu être repris au Conseil à plusieurs reprises.
Nous avons eu comme hôte de passage un enfant très atteint, désigné par ses camarades comme étant « la bête humaine ». Nous avons dû nous séparer de lui momentanément, pour sa sauvegarde à lui, non pour celle des autres. Sa fonction dans le groupe était de demeurer, en tant que déchet, un exclu, un paria. C’est à partir de là que d’autres enfants ont pu effectuer des progrès spectaculaires, notamment dans l’acquisition du langage.
Une fillette jusque-là gaie et enjouée est devenue dépressive, puis insupportable, le jour où elle se rendit compte qu’elle avait bien perdu son « fou ». Il s’agissait d’un petit garçon qu’elle dressait comme un dompteur de cirque, l’obligeant à mettre en acte ses fantasmes à elle. Le jour où son protégé la quitta pour devenir le disciple d’un aîné garçon, signa l’amorce d’un mécanisme de deuil vécu sous forme agressive. La fillette chercha à nier tout ce qui pouvait avoir un rapport avec une dimension de manque à être. Elle exhiba sa nudité dans une sorte de tentative désespérée pour s’affirmer comme la plus phallique du groupe. En perdant son camarade, elle avait perdu la fonction d’occultation qu’il occupait auprès d’elle. La « folie » du petit garçon servait à masquer son angoisse à elle face à son corps de fille. Dominer le petit garçon, c’était s’assurer la possession de son être de garçon et s’affirmer à partir de là comme sujet invulnérable, non marqué par la castration.
La dépression, exprimée en crises d’agressivité, eut son corollaire de stabilité dans le travail, notamment à l’imprimerie.
Un autre enfant – appelons-le Jacques – posa au groupe deux ordres de questions :
— Je ne veux pas avoir d’enfants plus tard, car c’est trop dégueulasse de naître de ça. Je ne veux pas du nom de mon père (il signe ses œuvres d’un nom à consonance russe qui rappelle le nom du grand-père maternel).
Cet enfant a, à l’extérieur de l’établissement, un ami auquel son père n’a pas donné son nom. Et l’ami de dire : Comment vivre avec ces parents-là ?
Jacques répond en inventant un dieu qu’il situe dans la lignée maternelle de son ami. Aux esprits ancestraux, il érige un autel. Et c’est ainsi qu’à Bonneuil, une nouvelle religion est née, une messe est parfois célébrée en plein air. Tout visiteur est alors obligé de se soumettre au rite un instant mis en place.
Cela ne signifie pas que nous laissions cet enfant faire la loi. Les limites imposées sont celles définies au début : le tabou anthro-pophagique et le tabou de l’inceste.
Nous considérons que dans une institution, l’interdit sexuel doit régner entre garçons et filles. Nous disons aux garçons :
— Vous pouvez draguer toutes les filles de Paris et de Bonneuil, mais celles d’ici, c’est comme vos sœurs.
Et de leur rappeler que l’homme reçoit une femme d’un homme, à condition qu’il donne en échange la fille qu’il aura eue avec cette femme à un autre homme. C’est cet échange des femmes qui permet à la société une continuité dans le temps, et il se fonde sur la règle de l’interdit de l’inceste.
— Dans une maison, c’est le père qui possède la mère ; toi, il te faut chercher ailleurs. Il faut pouvoir la perdre pour gagner une fille ensuite.
— Je reste pour draguer les filles d’ici, nous répond Jacques ; d’ailleurs la loi est mal faite.
Et de disparaître pour offrir dans le jardin ses plaintes à son dieu, un dieu qui parce qu’il se situe hors la loi peut assouvir les désirs les plus pervers.
— C’est pour nous une perte si tu nous quittes, car on tient beaucoup à toi, mais pas au prix de ne plus nous soumettre, nous, à la loi des humains.
Jacques a renoncé à draguer. Puis autre chose est intervenu. L’arrivée d’un nouveau, appelons-le Pierre. L’enfant étiqueté dangereux est en fait traqué par l’angoisse. L’univers carcéral dans lequel il a été pris jusqu’alors le met en panique dès l’instant où la liberté lui est offerte. Pierre a besoin d’affection ; ce qu’il apprécie chez l’autre, c’est qu’on n’ait pas peur de lui. Rien ne le remplit plus d’effroi que l’intention meurtrière qu’on lui prête. A ce moment-là il s’enfuit, il se fuit, cherchant abri auprès d’une source de chaleur, dans l’escalier d’une H.L.M. toute proche.
Jacques a pris Pierre en haine. Ce qu’il a pris en haine, c’est l’affection dont l’autre a besoin pour vivre.
— Un dingue ça s’enferme, pas de pitié pour les dingues. D’ailleurs, c’est lui ou moi.
Jacques à nouveau nous place dans l’alternative : ou la vie ou la mort de l’un ou de l’autre.
— Ce n’est pas possible, lui répond-on, d’acheter sa vie au prix de la mort d’un autre. Ton marché n’est pas valable chez les humains.
Et de rappeler à Jacques que, dans cette maison, c’est M. Guérin qui est le gardien des lois ; nous acceptons que Jacques devienne l’assistant de M. Guérin, mais non qu’il fasse la loi à sa place.
Les enfants prennent tour à tour la défense de Pierre.
— Les psychiatres, c’est des cons, remarque René, ça donne des étiquettes et puis hop, c’est bon pour le fourgon cellulaire. Jacques n’en veut rien savoir, il fait le vœu que tous les anormaux soient exterminés.
Nous expliquons que Bonneuil, c’est pour Pierre la dernière chance, nous voulons lui éviter l’hôpital psychiatrique. Et de redire à Jacques notre peine à l’idée d’avoir à nous séparer de lui. Au bord des larmes, Jacques nous répond :
— C’est vous qui me renvoyez, j’aimerais rester ici.
Une nouvelle fois, un pacte a été conclu, et tout pacte passe par la médiation de la parole.
Nous avons eu ici pour souci de présenter le fonctionnement d’une institution conçue pour échapper à un redoublement d’aliénation.
Le mythe de la norme, le poids des préjugés scientifiques jouent comme une autre forme de l’aliénation sociale, non seulement pour celui qu’on dit « malade », mais encore pour les soignants et les parents. Nous devons avoir pour souci d’analyser les raisons pour lesquelles nous demeurons parfois sourds au message de l’autre
— cherchant à nous débarrasser de la vérité de ce message par l’exclusion du sujet.
Le problème de la ségrégation n’est pas un problème purement politique. Au cœur de chacun de nous, il y a place pour le rejet de la folie, c’est-à-dire pour le rejet de notre propre refoulé.
Rien de plus raciste que les enfants eux-mêmes. C’est Pintroduc-tion d’un ordre symbolique qui permet d’éviter la constitution d’une communauté de justiciers et l’envoi sacrificiel d’un des leurs à l’asile.
III. Un congrès à Milan
13-14 décembre 1969
Invitée à Milan pour y ouvrir un Congrès international ayant pour thème « Psychanalyse – Psychiatrie – Anti-psychiatrie », j’y ai exposé une mise en question radicale des idées reçues en psychanalyse.
Des étudiants m’ont reproché de m’appuyer sur une psychologie bourgeoise pour faire le procès de l’idéologie qui en est le support.
On m’a opposé le politique, pour réfuter tout ce qui ne pouvait être traduit en langage marxiste révolutionnaire. J’aurais dû, d’après les orateurs, me soucier davantage du sujet prolétarien qui, dans la société nouvelle, remplacerait le sujet de l’inconscient.
Une psychanalyste a été jusqu’à expliquer comment la révolution pouvait constituer l’antidote de l’angoisse de castration et de mort. Dans une société heureuse où les individus édifient le socialisme, point d’angoisse. On n’y parlera plus $ adaptation, mais d’intégration à la collectivité. Les « malades mentaux » dans la société nouvelle pourraient être conviés à effectuer un mi-temps à l’usine, le « soignant » ayant alors pour mission de les convaincre du tort causé par leur « maladie » à la communauté 146
Lacan n’utilise pas a notion de travail comme prémisse dans la dialectique analytique. Il montre comment l’obsessionnel utilise le travail pour se maintenir dans sa condition d’esclave. Pour le psychotique, son rapport au travail est lié à la façon dont tout appui dans l’ordre symbolique lui fait défaut. L’introduction du travail peut ainsi jouer comme élément de libération ou d’aliénation selon la fonction qu’il occupe dans la dialectique du désir.146. Les enfants psychotiques devraient subir un même conditionnement moral pour arriver à s’ouvrir aux bienfaits d’une collectivité heureuse.
Une société révolutionnaire prolétarienne devrait ainsi favoriser la réconciliation du sujet avec lui-même, ainsi que la réconciliation de l’individu dans sa relation au groupe auquel il est lié par un rapport d’où serait banni tout risque d’identification inter-agres-sive de type maître-esclave.
Ce qui nous était ainsi proposé par les étudiants « révolutionnaires » c’est le fantasme du retour àl’Ûnité. Toute la relation sujet-objet se trouvait par eux figée dans l’ordre imaginaire et n’avait d’autre fonction que de masquer la vérité de la question sans réponse de Freud : Qui suis-je ?
Cette question, nous a-t-on répondu, n’est pas une question qui se pose en société révolutionnaire prolétarienne, puisque la société a pour fonction d’y apporter justement la réponse en protégeant le sujet de l’angoisse à laquelle l’expose la société capitaliste, mais aussi la psychanalyse.
Or, c’est du joint entre vérité et savoir que surgit toute remise en cause de la position du sujet (de l’inconscient), et partant toute entreprise authentiquement subversive.
Les tenants de la psychanalyse révolutionnaire opposent à cette thèse celle du sujet prolétarien, de ce sujet non marqué par la castration, à l’abri de l’angoisse de mort. L’abolition de l’individualisme dans une collectivité heureuse devrait en effet aboutir à la suppression de toute interrogation angoissante.
Si, dans ce livre, j’ai souligné l’apport positif de la politisation du mouvement étudiant qui permit, en mai 1968 *, le dévoilement d’une vérité, garante du maintien de positions scientifiques libérées de tout préjugé, je crains que l’on ne soit actuellement, avec l’aide des analystes (les mêmes qui naguère se firent les défenseurs du moi fort 147
Tout en se réclamant en d’autres lieux, abusivement, de Lacan.147), en train de colmater la vérité insoutenable que l’analyse a pour fonction de maintenir à l’état de perpétuel dévoilement.
Que des analystes puissent proposer du politique, à la place d’une mise en question de leur insuffisance dans leur discipline, me semble une position insoutenable – puisqu’elle a comme corollaire la démission de l’analyste dans son métier (métier qu’il continue néanmoins à exercer « pour gagner sa vie »). Si un choix se pose, c’est alors celui de l’engagement immédiat dans l’action révolutionnaire ; mais non un compromis qui a pour effet de produire un arrêt dans toute la recherche scientifique par la récupération du discours analytique dans le « politique ».
La fonction du politique à ces Journées de Milan a bien été de rendre impossible toute discussion au niveau d’une praxis, de rendre impossible toute confrontation au niveau de la conduite d’une cure. Les tenants de l’analyse du moi fort, évitent la mise en question d’une théorie analytique décadente, en mettant à la place un discours de politicien148
Discours stéréotypé et vide, produit inoffensif d’un langage publicitaire.148.
Un discours à caractère scientifique se tient sous n’importe quel régime. S’il a des effets subversifs, il peut être ou non accepté, tout comhie il peut être récupéré par une idéologie de classe qui tente de rendre inoffensifs ses effets. Le discours lacanien n’a pas la prétention de venir en lieu et place d’une action révolutionnaire, mais il a, dans le secteur qui lui est propre, sa propre cohérence. Coiffer le discours de l’analyste d’un discours politique, c’est le pervertir et le rendre inopérant (par une opération visant à clore ce qui dans le savoir doit demeurer ouvert à des effets de vérité).
On m’a demandé quelles seraient mes positions d’analyste dans une société révolutionnaire prolétarienne.
Je n’en sais rien. J’inventerai ce qu’il y a lieu de faire à ce moment-là 149
Rejoignant ainsi la position prise par E. Fachinelli au cours de son excellent rapport.149. Mon combat demeurera le même : un combat contre la manipulation de l’individu, manipulation qui est violence, quelle que soit l’idéologie qui la sous-tend.
Une position analytique correcte ouvre à des effets de subversion d’autant plus réels que le patient ne s’est pas trouvé manipulé au départ pour qu’il y vienne ainsi. L’histoire de la psychanalyse est là pour nous montrer la faillite de toute entreprise moralisatrice qui en visant le moi du sujet s’oppose à l’émergence du Je d’une parole personnelle s.
La psychanalyse en tant que discours scientifique n’est pas liée à des conditions politiques. Son rôle ne consiste pas en effet à privilégier une classe sociale mais à permettre au « patient » de se dégager des obstacles intérieurs qu’il rencontre dans son accès au désir et à la vérité (obstacles qui se présentent sous un aspect différent dans la névrose obsessionnelle, l’hystérie ou la psychose). La validité des repères scientifiques dont le psychanalyste dispose demeurera toujours la même question ouverte, qui se posera dans les mêmes termes dans une société prolétarienne ou dans une société bourgeoise.
Par contre, la psychanalyse comme institution est sujette à subir de sérieux bouleversements, aussi bien dans l’organisation des sociétés de psychanalyse, que dans son utilisation par des organismes de « soins » ; trop souvent organisés comme si leur fin était de masquer ce qui pourrait valablement y fonctionner.
Index
Index analytique
AGTE : 60.
ACTING OUT : 81, 92, 213. ACTION : 154, 220-221, 228, 246. ADAPTATION : 15, 21, 26, 41,
51, 59, 6i, 63-64, 87, 98, 108, 131, i72 » 174. 183. 2°4, 20*. *37. *44-normes adaptatives : 10, 26, 30, 168. AGRESSIVITÉ (agression, hostilité, etc.) : 32-33, 58, 69, 80, 84, 86-88, 92-94, 102, 105, 114, 117-
118, 126, 150, 155, 171, 182, 194,
241.
ALIENATION : 40, 53-54, 59, 64,
67, 83, 86, 90, 120, 124, 129, 131-134, iJ6. I48. 15°. *57, 167, 172, 174. 2“, 213 » 243-mentale : 34, 108, u6, 124. sociale : 14, 90, 108, 131, 232, 243. AMBIVALENCE : 191, 212. AMBIGUITÉ (situation d’) : 92, 94. 108. iji, 135. 213-AMOUR : 83, 107, 122, 126, 136, 158, 162, 183, 213. ANALYSAND : 129, 199, 200,
205-206, 210-215, 218. ANALYSTE (formation de 1’) : 200-205, 213-221, 227, 228, 231. ANGOISSE (panique) : 15, 23-24, 26-27, 29> 33-34, 38, 58, 66, 68, 76, 80, 88-89, 93-94. 103-104, 123, 127, 130-131, 136, 139, 186, 191, 211, 241, 242, 244-245. angoisse dépressive (v. dépression) : 88, 130.
angoisse persécutive (v. persécution) : 88, 94, 104.
Je remercie Marie-Antoinette Poisson d’avoir bien voulu se charger de la confection de l’index.
ANXIÉTÉ (raptus anxieux, v. angoisse).
ANOREXIE MENTALE : 49, 130, 139-162, 189, 192.
ANORMAL (v. aussi normalité) : 173, 175. 204, *43-
ANTI-PSYCHIATRIE : 9-11, 35,
48, 51, 67, 130, 165, 168-169, T72'
176, 226, 229, 237, 244.
APPEL : 112, 137-138, 184, 194.
rituel d’appel : 105-106.
APPRENTISSAGE : 236.
AVOIR (et être) : 218, 229, 241.
ARRIERATION (débilité…) : n,
13, 27-28, 177, 234, 237.
ASILE : 21, 30-31, 35-37, 40-41, 43-46, 48, 54-56, 58-61, 64-65, 91-93, 100, 108-109, 112, 114,
117-122, 129, 132.
AUTISME (v. mutisme).
AUTRE (lieu de l’Autre ; lieu du code) : 20, 25, 33, 38, 52, 89, 115,
133. I38. 153. 157-158, 160, 198, 210-211.
autre imaginaire et autre réel : 29, 33-34, 68-69, 80, 83-84, 105-106, 127, 134-135. 162, 194, 198-199, 211, 231.
désir de l’Autre : 157, 162, 198, 237.
BESOIN (à distinguer de la demande et du désir) : 82, 121, 138, 161-162, 210, 211.
BOULIMIE : 49, 141, 159.
ÇA (»'</.) : 194, 208-211.
CADRE (analytique) : 75-81, 84, 86-89, 92 » 105-106, 138-139, 145-146, 150, 162.
CASTRATION : 51-52, 86, 127, 135 » 145 » 159-161, 182, 187, 189, 211, 241, 244-245.
CHAMP PATHOLOGIQUE (voir
aussi transfert) : 131, 134, 206, 212. CHOSE (das ding) : 125-126, 1*7. CLASSIFICATION : 55, 65-66,
112, 183.
COLLECTIF (de « soins ») : 62, 90-
91, 171.
COMMANDEMENTS (voilés de l’obsessionnel et manifestes du psychotique) : 33, 113, 127, 141, 144,
146, 153. T57. 159. 19°. 2I°-COMMUNAUTÉS ANTI-PSYCHIATRIQUES : 172, 185. CONDUITES (comportements, désordres de…) : 40, 47, 56, 59, 66-67, 77, 79, i°7, 166. conduites de défense (v. défense). CONFLIT : 23, 47,59,122-127, 208. CONNAISSANCE (v. aussi savoir) : *8,4*, 5°. 54,179,191-195,198,214-connaissance paranoïaque : 198. CONTESTATION : 169-170, 172, 228-229.
CONTRAT : 52, 75, 79-80, 87, 90,
92, 108, 150, 243.
CORPS : 19-20, 32-33, 48, 50, 53,
78, 81, 84, 114, 116, 129, 133, 139-140, 144-146, 148, 151-154, 157-158, 161, 188-189, 2°6> 239-corps morcelé : 39, 69, 81, 85, 112, 123, 126, 139, 162. image du corps : 76, 81, 83, 139. corps partiel : 117, 120. moi corporel : 75. corps de la mère : 82, 125, 133, 212. schéma corporel : 131. structure du corps propre : 84. CRISE (d’angoisse, psychotique, Me-) : 33, 35, 3*‘39, 47, 5*, 55,
98, 115-116,119,185,226,239, 241. CROYANCES : 29, 37, 51, 63, 169, 192-193, 228.
CULPABILITÉ : 153, 212-213. CURE (conduite et direction d’une) : 86-87, *3°, I3(5, 138-139, 150, 158, 160, 183, 193, 206, 213-216, 232, 245. cure ambulatoire : 135, 142-145. DANGER : 38, 43, 55, 101-102,
128, 168, 177, 226, 228, 230, 242.
DÉCOMPENSATION PSYCHOTIQUE : 43-49,117,183,195, 226.
DÉFENSE (mécanisme de) : 23,
75, 80, 88-89, 108, 116-117, 126, 130-131, 135, 148, 182-183, 209,
211, 212.
défenses autistiques : 119, 135.
mécanismes obsessionnels d annulation : 153, 155, 210.
DÉLIRE : 10, 29, 32, 42, 56, 58-59, 63, 69, 81, 93, 104-106, m, 116,
119-121, 126, 145, 159-
160, 165, 184, 192.
DÉLIRE : « processus restitutif de guérison » : 124, 159, 184-185.
DELINQUANT : 55, 87, 131, 231-232.
DEMANDE (orale, etc.) : 22, 28, 86, 90, 105, m, 127, 136-138,
153, 159-161, 186, 190, 210.
DÉPRESSION (v. aussi position dépressive) : 48, 112, 139, 149, 236, 240-241.
DÉPENDANCE : 80-81, 115, 125,
DÉPSYCHIATRISATION : 62, 144, i74, 231-
DÉSIR (wunsch) (registre du, lieu de, etc.) : 10, 14, 20-21, 23-24, 28, 52, 82-84, 86, 90, 104, m, 120, 121, 125-127, 135-138, 148,
152-154, 156-157, 160-161, 162, 180, 187, 189-193, 210-211, 237.
désir de mort : 33, 152-153, 158,
182.
désir sexuel : 58, 158, 182.
non-désir : 119, 122, 124, 128.
DESTIN (v. aussi oracle), destin familial : 26, 30, 32, 40, 44, 82,
124, 133, 144-145, 147, 157, 188, 214.
DESTRUCTION : 32, 34, 38, 107, 109, 116, 120, 149, 153, 182, 194.
DETTE (réelle et symbolique) : 51-
52, 79-80, 101, 106.
DEUIL (travail de deuil, deuil non fait, etc.) : 88, 119, 123, 128, 158,
241.
DIABLE : 38.
DIAGNOSTIC : 13, 19, 22-25, 34, 43, 54, 56, 108, 128, 143, 165, 167,
242.
DIALECTIQUE : 23-24, 33-34, 39,
90, 92, 106-107, 130, 181, 183, 193, 214.
DISCOURS : 10-11, 20, 24, 52, 60-
61, 63, 66, 69, 71, 88-89, 92, 95.
103, 105, 108, 119, 139, 160, 178-l80, 184, 2I0-2IJ, 245-246. discours symptomatique : 138, 197-198, 204, 215.
DOUBLE BIND (théorie du) : 181. DOULEUR : 19-20, 103.
DRAME (dramatisation, etc.) : 23, 32, 41, 43. 47. 50, 52> 84, 86, 127, 129, 151-153, 157, 160, 162, 212. ÉDUCATION : 22, 52, 64, 90, 113,
177. 221, *34-236.
EGO (spéculaire) : 77, 81, 83-84, 86, 133, 135. non ego : 78-79, 81.
EGO-PSY CHOLOGY : 208-210,
212, 214, 220-221.
ENCOPRESIE : 188-189. ENFANCE-ENFANT : 33, 35, 37,
52, 66, 77, 79, 84-85, 115-118,
120-122, 133, 141, 174, 177, 181-
182, 184, 228, 231-232, 236-238. ÉNURESIE : 188-189. ENVIRONNEMENT (milieu, entourage) : 37, 40-41, 49, 51-53, 58, 60, 62-63, 114, 148, 160, 173,
178, 186, 226, 232. ERGOTHÉRAPIE : 41, 60-61, 64,
99, iJ6.
ESPRITS ANCESTRAUX : 189-192, 241.
ÉTUDES-ÉTUDIANTS : 27, 202-203, 227-230, 234, 244.
ETRJE (et avoir, etc.) : 32-34, 38-39, 114, 119-121, 124, 184, 214, 218.
ÉVÉNEMENT : 59, 87-88. EXPERTISE : 94, 98-99, 103, 165-166.
EXCRÉMENTS : 34, 189-190. EXTERNAT MÉDICO-PÉDAGO-GIQUE : 15, 236.
FAMILLE (milieu, discours familial, v. aussi institution familiale),
12, 22, 25, 31, 33, 42, 44, 47, 53-54. 57, 62, 95, 98, 104, 109, 113,
115, 118, 121-122, 127-129, 139, 142-144, 147, 169, 171, 175, 177 178, 181-182, 184, 192, 232.
FANTASME : 13, 38, 68, 77, 79, 81-82, 87, 125-126, 130, 136-138,
151, 153, 192, 207, 209, 241, 244.
fantasme originaire : 104, 213.
FOLIE (fous) : 9-10, 13, 17, 21, 23-26, 29, 47, 49-51, 53-58, 62, 67-
68, 70-71, 87, 113, 116-120, 122-125, 128, 138, 141-142, 168-177,
185, 225-226, 229-231.
FORCLUSION (verwerfung) : 86,
104, 107, 126, 158, 161, 176.
FRUSTRATION : 38, 51, 125, 178, 208.
GUÉRISON : 19, 21, 25, 34, 40-41, 54, 62, 67, 85, 87, 93, 112,
119, 161, 192.
GUERISSEURS : 187, 189, 191-193.
HAINE : 69, 114, 119, 122, 136,
158, 162, 183, 242.
HALLUCINATION : 48, 52, 82, 83, 112, 116, 125, 136, 168, 207.
HÔPITAL PSYCHIATRIQUE : 21, 26-27, 30, 41-42, 45. 47. 56, 60, 63, 89, iio-iii, 115-116, 128, 139, 143-144, 149, 157, I9I-
HOSPITALISATION (v. aussi internement) : 21-22, 33, 47, 49,
54, 59, 98, 108, 118, 135, 139-140,
144, 146.
HYSTÉRIE : 116, 122-123, 135. 139. 157, 160, 192, 199, 210.
IDENTIFICATION-' (conflit iden-tificatoire, méconnaissance imaginaire du moi, etc.) : 28, 35, 44 47-49, 68, 79-80, 83-85, 88, 104, 106, m, 123, 133-134, 155, IJ8-161, 190, 210.
jeu identificatoire : 44, 49, 160.
identification narcissique : 43, 83,
104, 160.
identification à l’objet perdu : 32.
repères identificatoires : 117, 119.
IDENTITÉ (dissolution d’identité) : 23, 29, 40, 69, 105, 116-117, 123, 131, 136, 152, 192.
IDÉOLOGIES : 9, 51, 60, 63, 169-170, 175-176, 183, 203, 210, 222,
227, 230, 244, 246.
IMAGE SPÉCULAIRE : 83, 85, 127, 134-
IMAGO : 76, 82, 84-85. IMAGINAIRE (à distinguer du réel et du symbolique) : 23, 51-
53, 60, 66, 68-69, 77*85,
153-J34. I56, 159. 179-180, T94, 197, 209.
cataclysme imaginaire : 69, 107. espace imaginaire : 76. substitutions imaginaires : 66. INCESTE (v. aussi désir) : 51, 123, 127, 161, 182, 237, 241-242. INCONSCIENT : 14, 31, 34-35, 39, 66, 85, 160, 180, 182, 210,238. combinaisons inconscientes : 81.
INDIFFÉRENCIATION PRIMITIVE : 75, 82, 133-135, ! 38-INITIATION (rites d’) : 42, 189, 191, 196.
INSTITUTION : 10, 14, 22-24,
35, 42, 56-57, 60-62, 67, 69, 75-
76, 78-81, 86-92, 130-132, 134, 136, 149-150, 152, *62, 171, 173, 176, 196, 234-240. institution asilaire, psychiatrique : 17, 67, 73-74, 86, 89, 92-95, 103, 108, 132, 170-171. institution sociale : 76, 82, 88, 91, 13°,.*34, 138-139, 202. institution psychanalytique : 75-78, 81-82, 87-89, 91-92, 94-95, 108, 13°, 134, 138-139-INTERDIT (v. aussi tabou) : 32,
38, 41-42, 88, 101, 126-128, 149,
153, 182, 187, 189, 212, 239,
241.
INTERNEMENT (interné) : 17, 21, 3°, 43, 5°, 54-55, 59-63, 67, 70, 100, 108, 111, 113-114, ix6,
120, 123, 166, 213.
JALOUSIE : 44, 47, 58, 109.
JE (à distinguer de moi) -. « 8, 133-
134, 199, 206, 209, 211, 215, 246. JOUISSANCE : 10, 19, 30, 32-33,
54, 96, 100, 114, 120, 122-123, 125-127, 229.
JUGE (jugement, juridiction) : 21,
55, 60, 66, 100, 102, 108, 152, 165-168, 230.
LANGAGE : 20, 28-29, 32, 52, 66, 69, 79, 91, 117, i26, 133, 159, 166, ! 75> 177-^80, 183-184, 206, 210, 239.
LIBERTÉ (libération) : 50-51, 69, 98, I03, II5, 110, 128, I}2, 144-
145, 147. 149, I°I, 168, 170, 175-176, 181, 205, 230, 242.
LINGUISTIQUE (linguistes) : 77, 91, 178, 183.
LOI : 38, ioj, 125-127, 151, 171,
237-238, 240-242.
MAGIE : 39, 80, 116, 128, 146-147, 155, 190.
MAITRISE (de l’angoisse, de la folie, etc.) : 47, 58-59, 68, 84-85, i°9, 143, 155, i65, 187-188, 191, 213-214.
MALADIE : 9-13, 22-27, 31, 34, 39-40, 43, 54, 61, 65-66, 99, 108,
116, 120-122, 139, 141, 143, 147, 154, 156, 161, 174, 178, 190, 225.
maladie mentale : 12, 21-22, 24, 26-
29, 34, 4i, 47-51, 54, 57-58, 62, 65-66, 70, 98, 108, 125, 165-166,
174-176, 225, 231.
maladie physique : 20, 22, 174.
MALADE (v. aussi patient) : 9-10, 21-22, 24-25, 40-42, 56-58, 61, 66, 79, 96, 99, 111-112, 115-116, 123-124, 129, 166, 169, 192, 243.
MANIAQUE (crise) : 23, 53, 146.
MANQUE : 79, 83, 137-138, 180, 214, 241.
MASQUE (de la folie) : 45-46, 50.
MÉDECINE (médecin, médical, etc.)
9, 19-21, 23-24, 30-31, 34, 42, 56, 59-60, 64, 108, 116, 123, 129, 142-143, 160, 169, 184, 220-221.
MÈRE (v. aussi corps de la mère) : Ï3, 33-34, 38-39, 49-5°, 77, 82, 84-85, 95, 105, 113-114, ti6, 118-123, 125-126, 136-138, 140, 151,
154, 157-159. i6ï-
METANOIA : 185, 187-188.
MÉTAPHORE PATERNELLE (v. nom du père).
MILIEU (v. environnement).
MOI : 68, 76, 78-80, 83-84, 86, 125, 133. 134, 183-184, 208, 211, 218, 246.
moi autonome : 208-209.
moi idéal : 133.
moi fort : 86, 209, 245.
moi « sain » : 79, 209 :
MORT : 25, 28-29, 31, 42, 50, 58,
69, 95. 98.”5. 118-120, 122, 128-
129, 134, 139, 145-146, 149. 151-
152, 154, 157-159, 160-161, 162, 187-193, 211, 213, 238, 244-245. mort du père : 95, 106, 119, 198. fascination meurtrière : 118-119. vœux de mort : 39, 115, 118, 145, 161, 182.
MUTISME : 29, 36, 188-189, 192. MYTHES : 24, 28-29, 33, 37, 5*, 58, 65-66, 82, 124, 127, 129, 152, 158-159, 187-188. mythe familial : 43, 121, 128, 159-
160.
NAISSANCE (renaissance) : 42, 86, 151, 161, 188, 193. NARCISSISME (v. aussi relation narcissique) : 83, 133, 137, 194, 208, 217-218.
NÉVROSE : 32, 44, 51, 68, 79, 85, 125, 137, 179, 183, 206-207, 209. NEXUS FAMILIAL : 181.
NOM, NOM-DU-PÈRE : 102, 107,
178, 241.
NORME (normatif) : 10, 14, 40,
56, 60, 89, 138, 168, 199, 204,
214, 218-219, 235> 243-NORMALITE (v. aussi anormal) :
14, 34, 38, 42-43, 89, 108, 115,
143, 22°-
NOSOGRAPHIE (classification) : 23-24, 27, 66, tos. NOURRITURE (v. aussi anorexie) :
49, 96, 105, 121, 142, 144, 149-150, 154, 157, 188, 237.
OBJET (objet partiel, etc.) : 34, 38, 51, 79, 82-84, 86, 120, 126, 134. objet de désir : 122, 130, 187, 214. objet idéal : 38, 51, 105, 109. objet perdu : 32, 79, 82, 85, 123,
125, 135, 19°, *98, 207' relation (d’) : 79, 135. bons et mauvais objets (persécutifs) : 88, 125, 129, 212. objet dans le fantasme : 125, 137-138, 207. objets substitutifs : 137-138. objets médiation : 239.
ŒDIPE : 3-3, 51-52, 104, 107, 126,
159, 174, 182, 198, 212.
OBSESSIONS (symptômes obsessionnels, névrose obs.) : 135, 157,
160, 192, 207, 210.
ORACLE (appareil du destin) : 159-
161.
PARANOÏA (-que) : 23, 29, 47,
53, 81, 92, 94-108, 125, 128, 185, 198, 201, 207.
PARENTS : 14, 25-26, 33-34, 40,
53, 115-118, 128, 136, 140, 146, 149, 153, 158, 174, 177, 181-183, 198, 231, 243.
PAROLE : 14, 19-20, 23-24, 28, 31, 37-42, 44-45, 49, 52-53, 56, 60,
62, 69-70, 79, 86, 93, 95, 113, 115-
117, 119-123, 129, 132, 134, 138, 148, 151, 153, 169, 177, 179, 181,
183, 194, 195, 209, 237, 239, 246.
parole maternelle : 41, 49, 160, 238.
parole : le non-dit, ce qui a été dit ou tu : 66, 143, 160.
PASSAGE A L’ACTE : 45, 102,
213, 236.
PASSION : 69, 84-85, 87, 109, 120, 198, 222.
PATIENT (v. aussi malade, analy-sand) : 9-10, 19, 21, 24, 29, 40,
42-43, 59-6o, 66, 75-76, 93, 127,
130, 136, 178, 195, 200.
PATRON : 27, 204, 213, 215, 228.
PÉDAGOGIE : 13, 82, 94,174, 211,
227, 234-235.
PENIS NEID : 211.
PERSÉCUTION (réactions persé-cutives, objet de –, v. aussi angoisse persécutive) : 81, 92, 94, 96, 104, 106, 108, 116-117, 128, 148-149, 213.
PERVERS : 44, 54, 160, 232.
PÈRE (v. aussi nom du père) : 28, 47-48, 95, 104, 107, 112-113, 117-123, 128, 140, 149, 151, 157-158,
161, 188, 190-191, 197, 238, 241.
PHALLUS : 104, 107, 158, 161.
PLAINTE : 19-21, 24-25, 29, 54, 106, m, 116-117, I56, 238.
du transfert : 199, 210, 215.
POLICE : 21, 47, 57, 101, 103, 114, 116, 166, 168-169, 174, 258-239.
POLITIQUE : 12, 31, 67, 169, 176,
222, 230, 243-247.
POUVOIR (judiciaire, policier, médical, etc.) : 9, 40,56,58-60, 93, 167,
169, 213, 228.
POSITION :
paranoïde schizoïde : 78, 117. dépressive : 78, 83, 88, 214. persécutive : (v. persécution). PROCESSUS : 69-70, 205, 210. PROJECTION (imaginaire, agressive) : 53, 78, 123, 130-131, 148,
162.
PROVOCATION : 167, 169, 173. PRÉDICTIONS (prophéties) : 112,
Il8, 121, 142, I57, l6o, 212. PSYCHANALYSE (v. aussi formation analytique) : 24-25, 28, 51 » 63, 70-71 » 75. 77-79. 82, n8,
127. 139. 141, 163, 174, 198-199,
215, 219-221, 231-232, 243-246. PSYCHIATRIE-PSYCHIATRE :
19, 21-23, 29. 35. 45. 55. 6°. 63, 67-70, 92, 108, m, 124, 166, 168,
170, 174, 225, 227, 231. psychiatrie communautaire : 173,
175-176-……
psychiatrie institutionnelle : 61, 90, 171-172, 175-176. PSYCHOLOGIE-SOCIOLOGIE :
70, 132, 173, 178, 180-183, 208, 218, 226-227, 229, 234-235, 244. PSYCHOSE-PSYCHOTIQUE (v. aussi décompensation psychotique) : 11, 27-28, 32, 34, 37-40,
43-44, 48-54, 66, 68, 70, 125, 128, 232.
PULSIONS (trieb) : 90, 125, 183. RACISME : 57, 96, 103. RÉADAPTATION : 99, IRRÉALITÉ (exclusion de, négation de) : 42, 68, 82, 206-210. réalité psychique : 68. RÉÉDUCATION : 15, 28, 132,
228, 231.
RÉEL (registre du réel, à distinguer de l’imaginaire et du symbolique) : 51. 77, 79. I07> 126-127, T45. *79-
REFOULEMENT (et retour du refoulé) : 55-56, 84-86, 106, 126,
129. i ? 7. 153. I75. 207> 231. REGARD : 19, 44, 110, 112-113,
117, 119, 123, 161.
RÈGLES DU JEU : 65, 115, 149-J5°-
RÉGRESSION : 66, 82, 114, 136,
162, 186, 188, 190, 208.
REJET : 24, 26, 32, 34, 40, 55, 58, 83, 100, 104, 113, 115, 120, 191, 232.
RELATION (duelle, interpersonnelle, de désir, etc.) : 34, 45, 68-69, 79-80, 126, 131, 171, 182, 211,
238-239.
relation érotique : 68, 86, 105, 149,
171.
relation sexuelle : 68,86,105,149,161. relation narcissique : 80, 87, 125,
158, 171.
relation mortelle : 69, 115, 194, 240,
242.
RÉPÉTITION (compulsion de) : 60, 86, 120, 125, 138, 155, 162,
206-207, 209.
RÉPRESSION (forces répressives) : 11, 22, 31, 58, 89, 91-92, 103, 115, 131, 150, 168-169, 205, 236. RÉSISTANCE (du patient, de l’analyste) : 14, 87, 206, 212-213. RÉVOLUTION (de mai, révolte) :
10, 32, 55, 63, 103, 108, 110, 115,
118, 120, 122-123, 172, 174, 176,
183, 228-231, 244-246.
RITES, RITUEL : 60, 186, 189-190, 192, 227. rituel hospitalier : 59, 64-65, 105. RITES DE POSSESSION : 187,191. SANTÉ MENTALE : 29, 31, 51, 66, 148, 167, 169, 173-175, 193, 231. 237.
SAVOIR (et non-savoir) : 9-11,
13. 24. 27-28, 33-34, 37, 57, 61-
62, 67, 71, 159, 162, 169, 192-193.
196-201, 212, 222, 227, 229, 245-246.
SCÈNE PRIMITIVE : 3}, 104, 106,
158.
SCIENCE : 14, 24, 27-28, 56-57,
63. 67, 70-71, 169, 174, 179, 219, 221, 245.
SCHIZOPHRÉNIE : 23, 29, 42, 44. 5°. 52-53, 7°. 85, 89, 98, 108, m,
116, 122-123, I72, 181-182, 185-186, 190.
SÉGRÉGATION : 25, 34, 57, 64-65, 70, 92, 94, 129, 167, 171-172, 176, 234-236.
SÉLECTION : 202-203,214, 217-221. SEXE : 30, 48, 69, 101, 104, i12,
117, 119-120, 126, 129, 153, 158,
161, 198, 241.
SIGNES : 82, 135, 207. SIGNIFIANT : 10, 24, 69, 79, 84-85, 90-91, 104, 107, 129-130, 135, 137-138, 153, 157-161, 180, 189-190, 194-195, 206, 211. articulation signifiante : 51,66,79,127. effet du signifiant : 84, 91, 214. marques signifiantes : 84-85, 138. SITUATION (et position, v. aussi angoisse, persécution) situation psychanalytique : 75-76,
78-79, 81-82, 84, 91, 93-94, 106, 205-206.
SOCIÉTÉ : 21, 25, 30, 35, 41, 244. société ségrégative : 55, 58, 60, 115, 129, 132, 230. société de psychanalyse : 202-203,
216, 220, 222, 227.
SOIGNANT : 14, 22, 24-25, 34,
36, 40, 43, 48, 56-57, 60-64, 69,
91, 94, 101, 103, ni, 120, 129, 136, 162, 226.
SOIGNÉ : 14, 22, 24, 60, 94, 101, 136, 162.
STADE DU MIROIR : 68, 83-84, 132-134, 161, 184.
STATUT : 21, 37, 44, 54-55, 93. Io8.
131, 147, 187, 189-190. statut de la folie : 9, 37, 43*44. 49.
54, 166, 187. statut de colonisé : 124. statut de sujet : 209.
STRATÉGIE : 41, 90-94, 171, 180
186, 206.
STRUCTURE : 19, 23, 52, 84, 179, 206, 209, 212, 237-238.
SUJET (en proie au désir, place du sujet, rapport du sujet à l’autre) : 10, 19-20, 23, 25, 35, 40, 43, 45, 51-
54, 66, 68-69, 76-77, 81-84, *9-90, 113, 117, 127, 134-138, 153-
154, 158, 178-180, 183-184, 189-190, 194, 209-212, 239, 244-245.
SUR-MOI : 117, 214, 238.
SYMBIOSE (liens symbiotiques) :
39, 75-76, 81-82, 134-136, 160,
162, 213.
SOINS (dualité soins-punition) : 61-63, 167-169, 226.
SYMBOLIQUE (dimension du, fonction du, symbolisation) : 33, 43, 50-5 3, 61, 66, 69, 76-80, 85, 88, 90, 104-106, 126-127, 133,
136, 145,-.158-159, 161, 179-180,
184, 208, 238.
SYMPTÔME (sens du, traitement, déguisement symptomatique) : 19-
20, 23, 39, 65, 76, 85, 87-88, 125,
129, 132, 147, 149. 151. 154. 156,
159, 161, 180, 184, 189, 192, 206, 2i5. 23I. 239-
TABOU (v. aussi interdit) : 51, 53, 101, 105, 129, 131, 186, 241.
TOUTE-PUISSANCE (sentiment de) : 38, 78-80, 88, 109, 145, 150, 158-159, 215.
TRACES : 38, 83, 85, 135, 137.
TRANSFERT (situation de, étapes du) : 22, 24, 68, 78, 80, 84-85, 90,
105, 129, 134-135, 147. 161-162,
197-199, 209, 212-213, 238.
TRAVAIL : 26, 30-31, 40-41, 64-65, 98-99, 108-110, 150, 237, 239.
UNIVERSITÉ : 221, 226-227, 229.
VÉCU psychotique : 42, 69, 81, 112.
VIDE (sentiment de) : 42, 66, 68-
69, 104, 106-107, 114, 119-120.
VÉRITÉ : 10, 15, 19, 27-30, 33-34, 46, 54, 57, 62, 68-71, 88, 93, 103,
105, 108, 113, 134, i58, 162, 168,
170, 173, 180, 186, 198, 206, 214,
223, 229-230, 243-245.
VOIX : 29, 96, 112, 145, 152, 154,
159, 167, 173-
VIOL : 81, 120, 155.
Violence •. 31, 34, 37. 56, 78,
94, 104-105, 108, 114-115, 117,
128, 134, 170, 232, 246.
VOYAGE (assimilé aux effets psychédéliques) : 52, 152, 185-186, 190, 193.
Abraham (K.) : 51.
Index des noms propres
Alvarez de Toledo (L. C.) : 202. Aulagnier (P.) : 133, 161.
Aubry (J.) : 174.
Ayme (J.) : 14, 235.
Balint (M.) : 201.
Baranger (M. et W.) : 78, 213. Basaglia (F.) : 56, 62, 67, 225. Bateson (G.) : 42, 62, 181. Bautruche (C.) : 235.
Beaudoin (H. et J.-L.) : 168.
Berk (J.) : 188.
Berne (E.) : 178.
Bernfeld^ (S.) : 202.
Bertherat (Y.) : 71.
Bettelheim (B.) : 114.
Biancheri (À.) : 235.
Bion (W.) : 88.
Bird (B.) : 219-221.
Bleger (J.) : 75-81, 84, 131-132, 134-155, 158-139-Boole : 179.
Bouhour 0 – P-) : 146-148, 151-152, I54-I57-Bouquier (J.-J.) : 235.
Breton (A.) : 163.
Breuer 0.) : 196, 198.
Carnap (R.) : 178.
Castel (R.) : 64.
Chaigneau (H.) : 14, 60, 171. Charcot : 196, 199, 201.
Coat (M.) : 42.
Cooper (D.) : 11, 62, 89-90, 115, 170, 183.
Copferman (E.) : 229.
Cornelison (A. R.) : 181.
De Foe : 35.
Dolto (F.) : 20, 38, 235.
Dupont de Nemours : 22.
École expérimentale de Bonneuil-sur-Marne : 234-243.
Enfants malades (hôpital des) : 11, 174-Ey (H.) : 168.
Erikson (Erik H.) : 197.
Fachinelli (E.) : 246.
Fedida (P.) : 68, 170, 182, 235. Fenichel (O.) : 76.
Ferenczi (S.) : 200-201.
Fleck (S.) : 181.
Fliess (W.) : 85, 196-201.
Fodor (M.) : 235.
Fort (F.) : 235.
Foucault (M.) : 22, 31, 54-55, <5-66,
70, 124.
Frege : 179.
Freinet (C.) : 234, 237.
Freud (A.) : 204.
Freud (S.) : 31-36, 65-66, 68-69, 77, 82, 85-86, 106-107, 124-126, 133, 136, 183, 185, 196-203, 205-210,
228, 245.
Geahchan (D. J.) : 173.
Gitelson (M.) : 204, 217.
Goffman (E.) : 63-64.
Greenacre (P.) : 205.
Grinberg (L.) : 87-88.
Grosser (À.) : 235.
Guérin (R.-M. et Y.) : 235, 243. Haley (J.) : 181.
Hartmann (H.) : 208, 214. Heimann(P.) : 217.
Helmick Beavin (J. ; : 178.
Henry (J.) : 18}.
Jackson (Don D.) : 178, 181.
Jaques (È.) : 75, 130.
Jacobson (E.) : 136.
Jones (E.) : 198, 201.
Kingsley Hall : 70, 187-191, 193. Klein (M.) : 78-79, 88, 125, 135, 214. Koltirine (B.) : 235.
Kris (E.) : 208.
La Borde : 64, 172. iLacan (J.) : 11, 32-33, 44, 68-69, 7*>-
77, 79-8°, 82-87, 107, 125*1^7, 132-135, 159-160, 177-179, 183-
184, 189, 194-195, 207, 209-211,
229, 245-246.
Laing (R. D.) : io-ii, 70, 116, 128, 181, 184-190, 193-194, 229. Laing et Cooper : 128, 229.
Laing et Esterson : 116, 181, 184. Langer (M.) : 87, 202.
Laval (M. F.) : 235.
Lebovici (S.) : 177.
Lefort (R.) : 235.
Lewin (B.) : 204.
Libetman (D.) : 87.
Loewenstein (R.) : 208.
Lohéac (A.) : 235.
Lévi-Strauss (C.) : 115, 236.
Lidz (Th.) : 44, 181.
Macalpine (I.) : 165.
Malinowski (B.) : 14, 27.
Makarenko (A.) : 234, 237. Mannoni (M.) : 20, 91, 245. Mannoni (O.) : 35, 43, 53, 57, 159, 174, 196, 198-199.
Michaud (G.) : 238.
Nassif (J.) : 88.
Ortigues (E.) : 52.
Oury (J.) : 14, 60, 89-90, 171,172, 177. 237-Palo Alto : 177.
Parsons (T.) : 181.
Perceval (J.) : 42.
Pichon-Rivière (E.) : 213.
Pinel (C.) : J9, 64.
Pirandello : 44-4 ;.
Poisson (M.-A.) : 248.
Rabinovitch (S.) : 58.
Racamier (P.-C.) : 173.
Raimbault (G.) : 89-90.
Rappaport (D.) : 208.
Reider (N.) : 78.
Rodrigué (E. et G. T.) : 78, 87. Ross (H.) : 204.
Sade : 126.
Safouan (M.) : 179.
Saint-Just (A. de) : 31, 176.
Sapriel (G.) : 235.
Sartre (J.-P.) : 124.
Saussure (F. de) : 183.
Scheff (Th.) : 43-Schmideberg (M.) : 88.
Schotte (J.) : 185. '
Schreber (D. P.) : 165-166, 230. Searles (H.) : 136.
Shakespeare : 223.
Singer (M.) : 182.
Solms (W.) : 218.
Stevenin (F.) : 235.
Strean (H.) : 202.
Succab (N.) : 235.
Szasz (Th.) : 29.
Tosquelles (F.) : 14, 60, 67, 90, 237-239.
Tuke : 59.
Ville-Evrard : 117, 120-121, 184. Wahl (F.) : 179-Wallon (H.) : 133.
Watzlav/ick (P.) : 178.
Waysfeld (C.) : 235.
Weakland (J.) : 181.
Weber (Dr.) : i6j.
Wilden (A.) : 179.
Winnicott (D. W.) : 114.
Wynne (L.) : 181-182.
Zempleni (A.) : 187-193.
* Arthur : 26, 40.
Index des cas cités (* cas suivis par l'auteur)
Béatrice : 44-46.
* Bernard : 56.
* Charles : 122-123.
* Charles (enfant) : 239,
Ciampa : 44-46.
Doudou : 109-m.
* Edmond : m-113, 128.
* Emmanuelle : 50.
* Frank : 32-34, 38-39.
* Francine : 47-49.
* Georges : 25-26, 30-31, 73, 95-108.
* Gilles : 58.
Homme aux Rats : 133, 199. Homme aux Loups : 106, 107.
* Jacques : 25, 121-122, 128.
* Jacques (enfant) : 241-242.
* Joe : 109-m.
* Jean-Marie : 66.
* Joelle : 48-49.
Khady : 187-193.
* Laurent : 17, n6-i 18,123-124,
* Marcel : 118-119, I28.
* Martin : 113-115.
Mary 187-190, 193.
* Pierre : 242-243.
* Rémy : 239.
* René : 120-121.
* Robert : 58.
Robinson : 35-36.
* Rudolph : 109-110.
Schreber : 165-168, 207, 230.
* Sidonie : 49-50, 139-162.
* Vincent : 57-58.
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— « La Dimension thérapeutique du culte des rab, Ndop, Tuuru et Samp, rites de possession chez les Lebou et les Wolof », Psychopathologie africaine, 1966, III.
1
L’administration a mis fin à certaines recherches en prenant (pour des raisons politiques) des mesures d’exclusion contre certains analystes dont la valeur clinique était par ailleurs unanimement reconnue. Les enfants ont fait alors les frais du départ d’équipes entières de spécialistes, comme ce fut le cas à l’externat médico-pédagogique de Thiais, mais aussi à l’hôpital des Enfants malades où le démembrement d’une équipe se fit au mépris de la recherche collective en cours ; ailleurs, ce sont des mesures individuelles qui sont prises contre tel analyste réputé. Un règlement administratif est chaque fois invoqué pour masquer l’arbitraire de la mesure de répression. Une certaine forme de recherche concernant l’arriération mentale et la psychose se trouve ainsi de plus en plus menacée de censure en France.
2
Tout est en place dans notre société (notamment le corps enseignant et la presse) pour que le problème de l’arriération (comme naguère celui de la schizophrénie) demeure soustrait à toute mise en question. Il semblerait qu’on ne puisse mettre en cause la notion de vraie débilité sans menacer de bouleversement l’appareil médico-administratif traditionnel.
3
Cf.- travaux de J. Ayme, H. Chaigneau, J. Oury, F. Tosquelles. Le développement de ces idées se trouve dans différents textes individuels ou collectifs de « Enfance aliénée », septembre 1967, « Enfance aliénée II », décembre 1968, in Recherches. Voir aussi Bronislaw Malinowski, Une théorie scientifique de la culture, éd. du Seuil, coll. « Points », 1970, p. 19.
4
Les externats médico-pédagogiques prennent le relais des familles de psychotiques lorsqu’ils mettent en place une organisation de méconnaissance des problèmes institutionnels ou lorsqu’ils reprochent à l’analyste de ne pas adapter l’enfant à son inadaptation (I).
5
A paraître dans un ouvrage collectif au Panthéon Books, New York.
6
J. Lacan : « Toute parole, en tant que le sujet y est impliqué est discours de l’Autre, part de l’Autre. » « Le désir et son interprétation », in Bulletin de psychologie, 5 janvier 1958, P.U.F.
7
J. Lacan : « C’est en déchiffrant cette parole que Freud a retrouvé la
8
langue première des symboles, vivante dans la souffrance de l’homme de la civilisation (hiéroglyphes de l’hystérie, blasons de la phobie, etc.) ». « La
9
« Hôpital psychiatrique » est le terme par lequel on désigne de nos jours ce qui s’appelait naguère « asile » – mais, comme me le faisait remarquer un interné (paranoïaque) « ça donne meilleure conscience, c’est plus joli… pour nous, ça change rien, la réalité de notre condition est demeurée la même ».
10
Lacan, « La science et la vérité », in Écrits, éd. du Seuil, 1966 : « Le Sujet de la psychanalyse est le même que le sujet de la science. »
11
Thomas Szasz, « The myth of mental illness », in The american psycho-logist, vol. 15, n° 2, février i960.
12
Saint-Just, Histoire parlementaire, in Bûchez et Roux, t. XXXV, p. 296, cité par Michel Foucault in Naissance de la clinique, P.U.F., 1963.
13
Développé par Michel Foucault in Naissance de la clinique.
14
S. Freud, Civilisation and its discontents, Hogatth Press.
15
z. J. Lacan, Séminaire de mars i960 (inédit).
16
J. Lacan : « La structure fondamentale de la folie est inscrite dans la nature même de l’homme, dans une discordance primordiale entre le moi et l’être qui exige de l’homme qu’il choisisse d’être homme. » Psycbogénèse des névroses et psychoses, Desclée de Brouwer, i950.
17
O. Mannoni, Prospéra and Caliban, Praeger, New York, 1956.
18
Texte des sérieuses réflexions de De Foe : « J’ai entendu parler d’un homme qui, pris d’un dégoût extraordinaire pour la conversation insupportable de certains de ses proches, dont il ne pouvait pas éviter la société, décida brusquement de ne plus parler. Pendant plusieurs années, il tint sa résolution
19
Astérix, éd. Dargaud.
20
F. Dolto, « Le Diable chez l’enfant », in Études carmélitaiws, P.U.F., mai 1945.
21
Le « pire », c’est la mise en acte de paroles adultes : c’est ainsi qu’ont pu être repérés les divers accidents, se lancer en dessous d’une voiture, déféquer dans les escaliers, uriner sur le tapis (sous l’œil de l’adulte qui l'accompagne)…
22
Cf. premier chapitre de ce livre.
23
Thomas Scheff, Being mentally ill, Weidenfeld & Nicolson, 1966.
24
Gregory Bateson, Perceval’s narrative (1830), Stanford Univ. Press., 1961. Morag Coate, Beyond ail reason, Londres, Constable, 1964.
25
Gregory Bateson, Perceval’s narrative, Stanford Univ. Press, 1961.
26
Jacques Lacan, « Les complexes familiaux dans la formation de l’individu », in 'Encyclopédie française sur la vie mentale, t. VIII.
27
Th. Lidz & collaborateurs, Schi^ophrenia and the family, Int. Univ. Press, New York, 1966.
28
Pirandello, Il berretto a sonagli (1917), Mondadori, 1954.
29
La traduction exacte serait : « Si je pouvais le faire moi, ça me plairait. Il y a toutes les bouchécs amères, les injustices, les infamies, les violences qu’il nous faut supporter et qui nous gâtent l’estomac parce qu’on ne peut pas s’en debarrasser, parce qu’on ne peut pas ouvrir les soupapes de la folie. »
30
Le problème de la castration se classe (comme nous le montre Lacan) dans la catégorie de la dette symbolique. L’objet de la castration est un objet imaginaire. Il importe de distinguer la castration de la frustration (l’objet est Ieel) et de la privation (l’objet est symbolique).
Le psychotique rejette la castration du domaine symbolique, elle reparaît (comme nous le montrons dans le chapitre 5) dans le réel sous forme d’hallucination.
31
Michel Foucault, Histoire Je la folie, Pion, 1961.
32
îbid.
33
Franco Basaglia, l'Institution en négation, éd. du Seuil, 1970.
34
O. Mannoni, « Schreber aïs Schreiber », in Clefs pour l’Imaginaire, éd.
Seuil, 1969.
35
Créer par le biais de clubs, etc., des possibilités techniques de symbolisation dans l’enceinte même de l’asile. Cf. « Enfance aliénée II », in Recherchesf décembre 1968.
36
La sectorisation (projet psychiatrique visant à remplacer le système traditionnel de l’internement pjrr un ensemble de mesures psycho-sociales) peut avoir deux aspects.
Si elle aborde la maladie mentale en tenant compte du milieu du malade, de sa famille, de son entourage, de ses employeurs, elle va dans le sens d’une appréhension plus vraie de la nature du trouble, elle peut dans certains cas dénouer, hors de l’hôpital, des situations pathogènes.
Mais si elle porte l’interrogation psychiatrique traditionnelle dans un milieu où les troubles existants sont souvent compensés, amortis ou simplement tolérés par l’entourage, si des préoccupations de prévention et de dépistage se font jour dans un tel milieu, elles ne peuvent y avoir d’effet que pathogène. Il ne peut en résulter que l’aggravation de l’état existant.
Les pensionnaires des hôpitaux psychiatriques ne sont pas le plus souvent en état d’être repris dans un système de sectorisation. La tâche utile – qui consisterait à modifier les préjugés et les ignorances du milieu social, à lui faire retrouver les moyens de compensation et de tolérance qu’il a perdus – n’est pas du tout à la portée de la psychiatrie telle qu’elle existe.
37
Casimir Pinel, « De l’isolement des aliénés », in journûl de médecine mentale, 1.1, 1861, p. 181, cité par Robert Castel dans sa préface au livre de Goffman, Asiles, éd. de Minuit, 1968.
38
La non-ségrégation malades-soignants n’est à ma connaissance réalisée en France qu’en un seul endroit : la clinique de La Borde à Cour-Cheverny.
39
Michel Foucault, Maladie mentale et 'Psychologie, P.U.F., 1954.
40
à son état antérieur, le mythe aussi d’une identité entre le malade, le primitif et l’enfant, mythe par lequel se rassure la conscience scandalisée devant 1* maladie mentale, et s'affermit la conscience enfermée dans ses préjugés culturels. »
41
J. Lacan, Séminaire du 4 juillet 1956 (inédit) : « Ce qu’il y a de tangible dans le phénomène même de tout ce qui se déroule dans la psychose, c’est qu’il s’agit de l’abord par le sujet d’un signifiant comme tel, de la mise en jeu d’un processus qui dès lors se structure en relation avec lui, ce qui Constitue ordinairement les relations du sujet humain par rapport au signifiant, la mise en jeu d’un processus qui comprend ce quelque chose, première étape que nous avons appelée cataclysme imaginaire, à savoir que plus rien ne peut être amodié de cette relation mortelle qu’est en eUe-mêrtie la relation à l’autre, au petit autre imaginaire chez le sujet lui-même ; puis le déploiement d’une force séparée de la relation signifiée de la mise en jeu de tout l’appareil signifiant comme tel, c’est-à-dire de ces phénomènes de dissociation, ae morcellement, de la mise en jeu du signifiant en tant que parole, que parole jacula-toire, que parole insignifiante, ou parole trop signifiante, lourde d’insignifiance, inconnue, cette décomposition du discours intérieur qui marque toute la structure de la psychose. »
42
*. S. Freud.
43
Michel Foucault.
44
Yves Bertherat, « Fteud avec Lacan », in Esprit, décembre 1967.
45
José Bleger, « Psychoanalysis of the psychoanalytical frame », in International Journal of psychoanalysis, vol. 48, n° 4, 1967.
46
Le cadre est constitué par les règles que l’on se donne dans le contrat analytique (heures des séances, payement, etc.). Il constitue la permanence à l’abri de l’inattendu.
47
E. Jaques, « Social systems as a defence against persccutory and depreë-sive anxiety », in New directions in psychoanalysis, Tavistock, 1955.
48
O. Fenichel, The psychoanalytical theory of neurosis, New York, Norton, *945-
49
). Rupture qui peut survenir à l’occasion des vacances ou d’une maladie de l’analyste.
50
C’est, nous dit-il, par la porte d’entrée du symbolique que nous arrivons à pénétrer cette relation de l’homme à son corps qui caractérise le champ réduit, irréductible de ce qu’on appelle chez l’homme l’imaginaire. Et cette fonction imaginaire se saisit dans l’expéricnce analytique toujours à la limite de quelque participation symbolique (Séminaire du 16 novembre 1955, inédit).
51
E. Rodrigué, G. T. Rodrigué, El contexto del processo analitico, Buenos Aires, Paidos, 1966.
52
W. Baranger et M. Baranger, « La situacion analitica como campo dinamico », in Rev. Vrug. Psicoanal. 4, 1961-1962. « El insight en la situacion analitica », in Rev. Urug. Psicoanal. 6.
53
C’est par la voie de la relation narcissique, nous rappelle Lacan, que se fait toute identification érotique. Il s’agit d’une saisie par l’image de l’autre dans un rapport de capture érotique. Cest ce phénomène qui se trouve être à la base de toute tension agressive. La synthèse du moi, nous dit Lacan par ailleurs, ne se fait jamais. Tout équilibre purement imaginaire à l’autre est frappé d’instabilité fondamentale (Séminaire du iS janvier 1956).
54
Acting out = agir dans un fantasme.
55
Les premières expériences du bébé se soutiennent du besoin insatisfait. C’est de là que s’origine le champ de l’imaginaire qui va servir d'appui au sujet. Cet imaginaire est étroitement lié au principe du plaisir. Le désir se présente à cette étape comme morcelé.
56
Lorsque se produit l’hallucination, le processus primaire est seul en jeu. Pour que le besoin soit satisfait, il faut qu’il y ait intervention d’ua processus secondaire soumis au principe de réalité. Freud a mis l’accent sur le fait que la réalité chez l’homme se construit toujours sur fond d’hallucination. z. J. Lacan, « L’agressivité en psychanalyse », in Écrits, p. 104.
57
La réaction de l’enfant devant le miroir ne se retrouve pas telle quelle dans le monde animal. Ce n’est que chez les humains qu’on note cet instant ue jubilation intense. Pour Lacan, l'avènement de l’image spéculaire signifie pour l’enfant la récupération d’une image du corps dans sa totalité. 11 y a à rÇ moment-'ù pour le sujet une tendance à se refermer sur lui-même qui facilite l’intrusion d'autrui.
58
J. Lacan, « Les complexes familiaux dans la formation de l’individu », in Encyclopédie française sur ta vie mentale, t. VIII.
59
J. Lacan, Écrits, p. 107.
60
J. Lacan, Écrits, p. 108. Lacan cite le cas d’une jeune fille atteinte d’astasie-abasie. L’imago sous-jacente était celle de son père, dont il suffit que l’analyste lui fît remarquer que l’appui lui avait manqué, pour qu’elle se trouvât guérie de son symptôme, sans que la passion morbide vécue dans le transfert se trouve pour autant affectée.
61
concerne les enregistrements des perceptions à des étapes successives de la vie. Et, nous dit Freud, c’est à la limite de deux étapes que se situe la traduction des matériaux psychiques. Freud lie la particularité de certaines psychonévroses à une absence de traduction, aucun enregistrement nouveau ne peut alors se produire. Lorsque le matériel psychique ne peut plus se traduire dans un enregistrement correspondant à l’étape suivante, il se produit un refoulement. Ce refoulement a lieu sous l’effet du déplaisir.
Cette notion du refoulement en tant qu’absence de traduction telle qu’elle fut élaborée par Freud en 1896 devait l’amener plus tard à la notion de forclusion (présente dans les psychoses).
1. Jacques Lacan, « Remarques sur le rapport de Daniel Lagache », in Écrits, p. 683.
62
Jacques Lacan, Écrits, p. 113.
63
Jacques Lacan, Séminaire 1955-1956 (inédit).
64
Jacques Lacan, Écrits, p. 118.
65
4- Léon Grinberg, Marie Langer, David Liberman, Emilio et Geneviève Rodrigué, « The psychoanalytic process », in International Journal of psychoanalysis, 1967, vol. 48, n° 4.
66
E. Jaques, « Social systems as a defence against persecutory and dépressive anxiety », in New directions in psychoanalysis, Tavistock, 1955.
67
Nassif, Congrès de l’école freudienne, Strasbourg, octobre 1968.
68
Tosquelles, Congrès sur les psychoses, Paris, octobre 1967.
69
G. Rimbault, loc. cit.
70
David Cooper, Psychiatrie et Anti-Psychiatrie, éd. du Seuil, 1970.
71
Les effets des réunions de groupe mériteraient quelque analyse : les règlements de comptes post-séance ne sont pas rares. Cela situe le cadre dans lequel un discours « libre » est appelé à se tenir.
72
a. Jacques Lacan, Séminaire du 4 juillet 1956 (inédit) : « L’entrée dans la psychose c’est la rencontre du sujet dans des conditions électives avec le signifiant comme tel. »
73
Le psychotique en écartant les opinions convenues pose le problème de la vérité pour tous, qui nous effraye comme le risque que nous avons toujours essayé de nous masquer.
74
Cf. B. Bettelheim, la Forteresse vide, Gallimard, 1969. D. W. Winnicott, Congrès sur les psychoses, Paris, 21 octobre 1967, n° spécial Recherches, décembre 1968,
75
David Cooper dans son livfe Psychiatrie et Anti-Psychiatrie, éd. du Seuil, *970, fait les remarques suivantes, à propos de cas analogues : « Nous pouvons mettre cela dans les termes suggérés par Claude Lévi-Strauss in Tristes Tropiques (195 5). Il y a des sociétés qui avalent les gens, c’est-à-dire des sociétés d’anthropophages et des sociétés qui vomissent les gens – des sociétés anthro-poémiques. On voit donc une transition d’tfn côté entre la façon dont au Moyen Age la personne de l’enfant était avalée dans la communauté, un mode d’acceptation assimilante qui se rattachait au cannibalisme rituel qui est celui des sociétés primitives, dans lequel le rituel permet aux gens d’accepter l’inacceptable – en particulier la mort – une transition de l’autre côté, la société moderne anthropoémique qui rejette d’elle-même tous ceux qu’elle ne peut pas amener à accepter les règles ingénieusement inventées de son jeu. Sur cette base cette société exclut les faits, les théories, les attitudes et les gens – gens de la classe qui ne convient pas, de la race qui ne convient pas, de l’école que ne convient pas, de la famille qui ne convient pas, de la sexualité qui ne convient pas, de la mentalité qui ne convient pas. Dans l’hôpital psychiatrique traditionnel d’aujourd’hui, malgré la proclamation du progrès, malgré le progrès dont elle se vante, la société gagne des deux côtés dans les deux mondes. La personne qui est « vomie » de sa famille, de la société, est « avalée » par l’hôpital et alors digérée et métabolisée hors de son existence de personne identifiable. Ceci je pense doit être considéré comme violence. »
76
Cf. Laing & Esterson, Sanity, rnadmss and tbt family, Tavistock, 1964.
77
Michel Foucault, Histoire de la folie, Pion, 1961.
78
Cf. travaui de R.D. Laing et D. Cooper, Tavistock, 1964.
79
S. Freud, l'Interprétation des rêves, P.U.F.
80
Ce que Lacan reprend lorsqu’il étudie « l’objet tel qu’il est structuré par la relation narcissique et das ding en tant qu’il est seulement cerné par le réseau f^fs. Pulsions ». Das ding, c’est l’objet perdu. Lacan montre la portée des idées kleiniennes « selon lesquelles la sublimation est une solution imaginaire d’un besoin de réparation symbolique par rapport au corps de la mère (le corps roystique de la mère étant ce qui est mis par cette doctrine à la place de ls. chose) ». Séminaire 1959-1960 (inédit).
81
3- J. Lacan, Séminaire 1959-1960 (inédit).
82
J. Lacan, Séminaire 1959-1960. Ces thèmes ont été développés par lui dans son séminaire consacré au problème de l’éthique en psychanalyse.
83
J. Lacan, Séminaire 1959-1960.
84
Ibid.
85
José Bleger, Psicohigiene y psicologia institucional, Buenos Aires, Paidos,
1967.
86
Bleger oppose ce qu’il appelle groupe primaire (dans lequel existe une ambiguïté de rôles et de statuts) au groupe stéréotypé (dans lequel s’installe comme formation réactionnelle un formalisme qui aboutit à un manque de communication).
Les institutions, d’après Bleger, tendent à modeler leurs membres dans une SOfte. de stéréotypie contagieuse, ceci aboutit à un appauvrissement des relations interpersonnelles.
87
Lacan montre comment à l’étape du stade du miroir il y a rencontre du corps de l’enfant et du corps de l’Autre (la mère qui le regarde). L’image de l’Autre va lui garantir la réalité de son corps entier et indépendant. Ce qui permet à l’enfant cette reconnaissance de son corps distinct de celui de l’Autre « c’est ce mouvement où l’enfant se retourne vers celui qui le soutient pour appeler son assentiment » (Séminaire du 28 novembre 1962). L’enfant va donc reconnaître dans l’ego spéculaire (investi par la libido maternelle) son Moi idéal (objet du narcissisme primaire).
Chez le psychotique, il en va tout autrement : « Ce que le miroir lui renvoie indéfiniment, c’est lui en tant que “lieu de la castration”, et cette image, il ne peut que la fuir tout aussi indéfiniment. Ce qui se reflète dans le miroir en tant qu’ego spéculaire (l’Autre devenant agent de castration) ferme à tout jamais au psychotique toute possibilité et toute voie à l’identification… Tout rapport imaginaire à l’Autre, pour autant qu’il prend support sur l’ego spécu-laire, devient impossible. » (Piera Aulagnier, la Psychanalyse, n » 8.)
88
J. Bleger, Symbiosis y ambigrtedad, Buenos Aires, Paidos, 1967.
89
Voir chapitre 4 de ce livre.
90
José Bleger, « Psychoanalysis of the psychoanalytic frame », in International Journal of psychoanalysis, vol. 48, n° 4, 1967.
91
la profession. L’équipe favorisa cette identification en lui confiant un certain nombre de tâches. Dans la deuxième, se manifesta une opposition à moi qui incarnais le personnage autoritaire dans l’institution, j’endossais volontairement ce rôle qui se traduisait par des exigences d’horaires précis, par le travail à l’atelier qu’elle n’aimait pas, par la limitation des visites.
Elle y répondait en me présentant avec une agressivité doucereuse tout un cahier de doléances et de requêtes que nous discutions point par point aussi longtemps qu’il le fallait. Il n’y avait pour elle d’autres possibilités que d’en passer par ma loi, mais au travers d’un dialogue. Je crois que pendant cette période elle admit que je sois le maître à la clinique et que vous soyez l’analyste, et qu’aucun rapport de dépendance ne me liait à vous.
92
J. Lacan, Séminaire du 8 février 1956 (inédit) : « Le psychotique est un témoin ouvert ; or c’est précisément dans ce sens qu’il semble fixé, immobilisé dans une position qui le met hors d’état de restaurer authentiquement le sens de ce dont il témoigne, et aucune façon de partager ce dont il témoigne avec le discours des autres. »
93
Piera Aulagnier, « Remarques sur la structure psychotique », in la Psychanalyse, n° 8, P.U.F.
94
Cité par H. Beaudouin et J.-L. Beaudouin, in le Malade mental dans la cité, 1967.
95
David Cooper, Psychiatrie et Anti-Psychiatrie, éd. du Seuil, 1970.
96
Pierre Fedida, ioc. cit.
97
J. Oury, « Quelques problèmes théoriques de psychothérapie institutionnelle », « Enfance aliénée », in Recherches, septembre 1967. H. Chaigneau, « Prise en charge institutionnelle des sujets réputés schizophrènes », in Confrontations psychiatriques, n° z, décembre 1968.
98
Association fondée à Londres en 1965. 20 Fitzrey Square, London W.I. Elle groupe des psychiatres, des universitaires, des travailleurs sociaux.
L’association cherche à promouvoir une recherche concernant la maladie mentale (et en particulier la schizophrénie), tant sur le plan clinique (création de lieux d’accueil anti-psychiatriques) que sur le plan théorique (séminaires et cours).
Son but est d’arriver avec l’aide de chercheurs étrangers à promouvoir un véritable mouvement anti-psychiatrique (avec création de « homes ») en Europe et aux États-Unis.
Quelque chose dans la position des parents à l’égard de la « maladie » de leur en&nt doit pouvoir être touché, avant que le symptôme de l’enfant en se figeant, vienne colmater définitivement la question ouverte au niveau des parents (et qui renvoie à tout ce qui dans leur propre problématique œdipienne est demeuré dans le non symbolisable).
99
1. O. Mannoni, Freud, coll. « Ecrivains de toujours », éd. du Seuil, 1968. « Le fait que la psychanalyse ait eu son origine officielle dans le souci de « guérir » certaines maladies « nerveuses » couvre encore de son ombre tout ce que, depuis, elle s’est révélée être. Car ce fait impliquait que la « santé mentale » (fâcheuse alliance de mots) ressemblait à la santé physique, qu’elle allait de soi et que le rôle du psychanalyste était d’y ramener ceux que quelque accident en avait écartés. Voir les choses ainsi, c’est tout simplement enrôler l’analyste lui-même parmi les diverses puissances de refoulement.
« … l’homme est exposé à s’aliéner tout autant dans les barrières protectrices de la « santé » que dans les vagabondages de la « folie »..
100
Que nous trouvons déjà dans les écrits de Saint-Just.
101
Les anthropologues ont renoncé à considérer notre famille conjugale comme un retour à la « famille » biologique. Elle est une réduction de la famille complexe de l’antiquité et des populations « primitives ». Sa nature, comme le souligne Lacan (Encyclopédie française sur la vie mentale, t. VIII), se comprend mieux par son rapport aux institutions anciennes que par « l’hypothèse d’une famille élémentaire qu’on ne saisit nulle part ».
102
Paul Watzlawick, Janet Helmicfc Beavin, Don D. Jackson, Pragmatics of human communication, New York, Norton, 1967.
Les recherches du groupe de Palo Alto ont inspiré des travaux très pertinents sur la théorie des jeux. On y analyse les effets interpersonnels et sociaux d’attitudes inconscientes qui remontent à l’enfancé. (Eric Berne, Gamespeople play, Penguin Books, 1964).
103
Anthony Wilden, The language of the self, New York, John Hopkins, 1968.
Cet ouvrage situe l’œuvre de Lacan dans le mouvement de la pensée moderne. Destiné aux lecteurs de langue anglaise, il n’a pas d'équivalent.
Dans Qu'est-ce que le structuralisme ? (éd. du Seuil, 1968), François Wahl et Mustapha Safouan exposent chacun un aspect essentiel de la théorie lacanienne.
On trouve chez A. Wilden plutôt une explication de texte précieuse pour le lecteur de Lacan.
104
G. Bateson, D. Jackson, J. Haley, J. Weakland, « Toward a theory of schizophrenia », in Behavioral science, I, 1956.
105
3- Laing et Esterson, Sanity, madness and the family, Tavistock, 1964.
106
Pierre Fedida, loc. cit.
107
2' Jules Henry, Culture against mart, Tavistock, 1966.
108
Le problème que pose la paranoïa n’a cependant guère été abordé dans les travaux anti-psychiatriques. Cette lacune a son importance ; elle trace les limites de l’expérience anglaise.
109
« Enfance aliénée II », in Recherches, décembre 1968. R. D. Laing, « Metanoïa, some experiences at Kingsley Hall ». Jacques Schotte, « Présentation des travaux du Congrès ».
110
Andràs Zempleni, Colloque C.N.R.S. sur Us cultes de possession, octobre 1968 (inédit).
Je suis reconnaissante à l’auteur de m’avoir communiqué son étude non publiée sur les cultes de possession. C’est à la lecture de cette étude que je dois la connaissance du cas de Khady.
111
des rab et l’hommage assidûment rendu au rab identifié le hisse au rang du tuur. La différence réside dans le degré d’ancienneté de leur alliance avec les hommes. Mais, le rab n’est pas seulement un esprit ancestral similaire au tuur. Il est aussi partie constituante de la personne, le double (jumeau, com-
{>agnon) du nit visible. Tantôt il s’actualise, tantôt il reste une virtualité de a personne. S’il s’actualise (par la maladie) sa nomination (par les rituels dits ndüp et samp) entraîne son intégration dans l’univers des esprits reconnus par la collectivité. Cet univers est le doublet de la société officielle. Les rab et les tuur ont donc un nom, un sexe, une ethnie, une religion, une profession, une personnalité… » (A. Zempleni, Ibid.)
112
A. Zempleni m’a fait remarquer que la coupure mise en évidence dans ce chapitre (mort-maladiè et renaissance-accession au pouvoir de guérison) se retrouve dans la biographie de toutes les sortes de guérisseurs. Chez les marabouts (Sénégal) cet élément est présent sous forme de retraites ascétiques appelées « xalwa », qui consacrent la carrière du guérisseur (au lieu de la conditionner au départ, comme la maladie et le rite thérapeutique dans le culte des rab).
Les renversements dialectiques qui s’opèrent sont, d’après Zempleni, incontestables dans toutes les cures animistes. Ces cures sont fondées suf des techniques de nomination et d’intégration, à l’opposé des cures islamiques qui s’opèrent, elle6, par purification et expulsion.
Le postulant malade (postulant au rôle de guérisseur) dans les cures animistes reçoit d’un coup le pouvoir de maîtriser les forces obscures (innommées) qui le tourmentaient.
113
J. Lacan, Séminaire du 27 juin 1956 (inédit) : « Il faudrait faire comprendre que dans cette relation c’est lui l’objet, en fin de compte, c’est même pour cela qu’il se cherche comme objet, qu’il s’est perdu comme sujet. »
114
J. Lacan, Séminaire du 27 juin 1956 (inédit) : « Pourquoi est-ce que pour le sujet lui-même ça parle, c’est-à-dire que ça se présente comme une parole, et que cette parole, c est ça ? ça n’est pas lui. Nous avons essayé de centrer cette question au niveau du tu… Le tu c’est un signifiant, une ponctuation, quelque chose par quoi l’autre est fixé en un point de la signification. »
115
J. Lacan, Séminaire du 4 juillet 1956 (inédit).
116
J. Lacan. Séminaire du 4 juillet 1956 (inédit) : <(…vous êtes tous, moi-même avec vous, insérés dans ce signifiant majeur qui s’appelle le Père Noël… le Père Noël, cela s’arrange toujours… et je dirai plus, non seulement ça s’arrange toujours, mais ça s’arrange bien… Eh bien, le psychotique a sur vous ce désavantage, mais aussi ce privilège, d’être dans un rapport diversement posé. Il n’a pas fait exprès, il ne s’est pas extrait du signifiant. 11 s’est trouvé placé un tout petit peu de travers ; il faut à partir du moment où il est sommé de s’accorder à ces signifiants, qu’il fasse un effort de rétrospection considérable qui aboutit au développement d’une psychose. »
117
Paru in bulletin d’information du syndicat des I.H.P.S., n° 4, avril-mai 1969.
118
O. Mannoni, « L’analyse originelle », in Clefs pour l’Imaginaire, éd> du Seuil, 1969.
119
Jones, Freud life and Work, Londres, Hogarth Press, 1953-1957.
120
A « un malade » avec ou sans maladie, comme le souligne O. Mannoni.
121
Fieud, Lettre 74.
122
B. Lewin et H. Ross, Psycboanalytic éducation, New York, Norton & C°j 1960.
123
Anna Freud, « Problems of the training analysis », in Max Eitingon, in Memoriam Jérusalem, Israeli psychoanalytic society, 1950.
124
Phyllis Gteenacre, « Problems of training analysis », in Psychoanalytic quarterîy, vol. XXXV, n° 4, 1966.
125
S. Freud, On beginning the treatment (1913), Recollectiou répétition and wor-king through (1914), in Collected Papers II.
126
J. Lacan, Séminaire du 18 novembre 1959 (inédit).
« C’est en tant que l’objet premier est objet d’insatisfaction que s’organise l ? expérience spécifique de l’hystérique, alors que, par une distinction que Freud a vue le premier et qu’il n’y a pas lieii d’abandonner, dans la névrose obsessionnelle, c’est un objet qui apporte littéralement trop de plaisir. Quant au paranoïaque, Freud nous dit qu’il n’y croit pas. Il ne croit pas à ce premier étranger par rapport à qui le sujet a à se référer d’abord. Nous pouvons voir avec quelle facilité se fait ici le lien avec la perspective qui est la nôtre, et selon laquelle ce qui fait le ressort de la paranoïa, c’est essentiellement le rejet d’un certain appui dans l’ordre symbolique, de cet appui spécifique autour de quoi se fait la division en deux versants de ce rapport au Nebenmensc/j. »
127
David Rappaport, « A historical survey of psychoanalytic ego psychology », in Psychological issues, vol. I, 1959, Int. Univ. Press.
128
J. Lacan, Séminaire du 18 novembre 1959 (inédit).
129
J. Lacan, Séminaire du 28 janvier 1959 (inédit).
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J. Lacan, Séminaire du 14 janvier 1959 (inédit).
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Lorsque la didactique n’a pas laissé de place à l’analyse (à savoir, à une certaine dramatisation vécue dans le transfert), c’est avec son premier patient que l’analyste effectuera sa propre analyse. Cette façon de conduire sa propre analyse à travers celle de son patient, ne met pas l’analyste à l’abri d’accidents dans le réel surgissant à la place de ce qui aurait dû être articulé à un niveau symbolique dans l’analyse dite didactique. Faute d’avoir pu amener dans le dire quelque chose touchant à un vécu corporel, l’analyste interpellé par la question posée par son patient, risque de la reprendre à son compte en y répondant par des accidents suicidaires, des somatisations, des passages à l’acte divers (payant à travers le risque réel de mort le droit à une maîtrise). Les analystes de ce type sont généralement très doués. Dans la majorité des cas, la didactique sans analyse ouvre sur une issue moins optimiste : loin de se réaliser comme analyste, le candidat s’engage dans le circuit administratif du pouvoir (calqué sur le « pouvoir » du Patron en médecine). Sa compétence scolaire le laisse généralement dans sa pratique analytique défendu contre tout risque d’interpellation de l’inconscient. L’orientation de sa recherche ira de même dans le sens d’un travail purement académique. Le candidat fera néanmoins une brillante carrière de super-psychiatre-analyste.
132
Mad. et Willy Baranger (Montevideo), « Insight in the psychoanalytic situation », in Psychoanalysis in A.mericas, New York, 1966, Int. Univ. Press.
133
Brian Bird, « On candidate sélection and its relation to analysis », in International Journal of psychoanalysis, vol. 49, n° 4, 1968.
134
Franco Basaglia, l’Institution en négation, éd. du Seuil, 1970.
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Dans une situation médicale traditionnelle, chaque « soignant » est à l’abri au poste hiérarchique qu’il occupe. Le « soigné » n’a d’autre fonction que de demeurer le garant du statut du « soignant ».
Lors d’une visite à l’école expérimentale de Bonneuil, lieu dit d’anti-psychia-trie, un directeur de stage chargé de la formation de psychologues, nous dit son regret de ne pouvoir nous confier ses psychologues : « Il n’y a pas de place pour un spécialiste chez vous ! » Cet universitaire fut, en effet, scandalisé par une situation où psychologues, internes, cuisinière et « fous » s’occupaient ensemble aussi bien de l’épluchage des légumes que de la confection d’un soufflé.
Où est le scandale ? N’est-il pas dans cette formation universitaire qui impose au psychologue de ne se rendre à son lieu de travail qu’avec ses outils de mesure et son habit de psychologue-praticien-diplômé ? Psychologue en détresse si on le prive de sa ration de tests, psychologue mutique s’il est « non analysé ». Plus la formation universitaire est poussée, plus elle institue une hiérarchie du savoir au service d’un monopole et d’une idéologie de caste. L’étudiant, pour conquérir son grade, doit s’entraîner à maquiller une vérité insupportable au maître. Les échecs de certains étudiants à la « dissertation » en psychologie, sont parfois ni plus ni moins des sanctions pour délits d’opinion. Tout étudiant anti-test est un suspect.
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Une catégorie de psychothérapeutes de soutien est actuellement en cours de fabrication dans certaines Facultés. On y promeut – à l’instar des psychologue » d’usine – des « thérapeutes » de soutien… au pouvoir en place. Il s’agit de créer des cadres dociles, qui s’abstiendront de mettre en question le' structures actuelles des institutions pour débiles et psychotiques.
Les psychologues sont très conscients du conditionnement dont ils font l’objet et du scandale que constitue le caractère périmé de leur formation universitaire (formation partisane, soucieuse dé clore tout ce qui pourrait surgir comme vérité dérangeante). Les très rares assistants qui se distinguent par une compétence réelle (compétence qui dépasse de loin celle de tel professeur en titre) se voient accusés de démagogie et sont en danger de se trouver barrés dans leur avancement.
137
« Enfance aliénée II », in Recherches, décembre 1968.
138
Par le biais de réformes dans le cas des étudiants ou par le rejet massif du dire anti-psychiatrique lors du Congrès. Voir aussi E. Copferman, Problèmes de la jeunesse, éd. Maspero, 1967.
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Ce lieu dénoncé par les Italiens (Espresso, 21-12-1969) comme lieu aristocratique est en fait un Centre de formation (de dé-formation) qui s’inscrit dans un mouvement populaire de remise en cause des institutions, mouvement amorcé en France en 1920 par C. Frcinet et en U.R.S.S. par Makarenko. I/administration usa à l’époque de tout son pouvoir pour bloquer ce qui cherchait à s’ouvrir à des effets de vérité. Freinct et Makarenko se heurtèrent durant leur vie à l’incompréhension et à l’hostilité des maîtres en place. Ils ne furent reconnus qu’après leur mort. La reforme introduite de nos jours par les analystes qui récusent les structures traditionnelles des institutions est tout aussi mal tolérée.
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12 septembre 1969. Déclaration à la préfecture de police. Centre d’études et de recherches pédagogiques et psychanalytiques. But : promouvoir une recherche pédagogique et psychanalytique à propos des problèmes posés par l’arriération et ia psychose chez l’enfant ; créer une école expérimentale pour fournir une possibilité d’accueil à un certain type d’enfants en difficulté ; favoriser les contacts avec les enfants « normaux » par des activités de loisirs dans une perspective de non-ségrégation ; compléter la formation des éducateurs, psychologues et internes en leur offrant des possibilités de stage ; promouvoir des séminaires, conférences et congrès ainsi que des voyages d’études des échanges avec les collègues étrangers (enseignants et psychiatres). Siège social : 63, rue Pasteur, Bonneuil-sur-Marne.
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Catherine Bautruche, Jean-Jacques Bouquier, Agathe Biancheri, Micheline Fodor, Françoise Fort, Annie Grosser, Boris Koltirine, Marie-Françoise Laval, Annie Lohéac, Guy Sapriel, Ninette Succab, Florence Stevenin, Catherine Waysfeld.
z. Il y a peut-être une part de provocation dansia demande que nous avons faite de reconnaissance par l’Éducation nationale, puisque nous posons au départ le principe d’une absence de scolarisation. Ce que nous mettons par là en cause, c’est la façon dont la scolarisation obligatoire a été utilisée comme dressage pour que les individus ne se mettent pas un jour à penser en dehors des normes admises.
Notre souci est non pas d’apprendre la grammaire aux enfants de l’École expérimentale, mais de leur permettre d’abord de vivre, ensuite d’être créateurs selon leur génie propre. L’exigence d’un « scolaire », c’est toujours eux qui à un moment donné la formulent. Tout dans ce domaine est à repenser radicalement. L’éducation spécialisée telle qu’on l’enseigne est une absurdité.
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F. Tosquelles, J. Oury.
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Nous avons cherché à faire l’éducation de cette police, en provoquant une réunion avec le commissaire de police qui devait ensuite informer ses hommes du sens de notre position anti-ségrégative. La police a fini par renoncer à chercher les enfants en fuite chez les voisins. Elle leur donne notre numéro de téléphone et c’est nous qui nous dérangeons non tant pour récupérer l’enfant que pour « éduquer » le plaignant et l’introduire à des notions dites « d’anti-psychiatrie ».
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Ginette Michaud.
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j. Ginette Michaud, « Transfert et échange en thérapeutique institutionnelle », Revue de psychothérapie institutionnelle, n° 1. François Tosquelles, « Introduction au problème du transfert en psychothérapie institutionnelle », in Revue de psychothérapie institutionnelle, n“1.
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Lacan n’utilise pas a notion de travail comme prémisse dans la dialectique analytique. Il montre comment l’obsessionnel utilise le travail pour se maintenir dans sa condition d’esclave. Pour le psychotique, son rapport au travail est lié à la façon dont tout appui dans l’ordre symbolique lui fait défaut. L’introduction du travail peut ainsi jouer comme élément de libération ou d’aliénation selon la fonction qu’il occupe dans la dialectique du désir.
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Tout en se réclamant en d’autres lieux, abusivement, de Lacan.
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Discours stéréotypé et vide, produit inoffensif d’un langage publicitaire.
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Rejoignant ainsi la position prise par E. Fachinelli au cours de son excellent rapport.