9. Le problème de la névrose

Dora, 18 ans, l’homme aux loups, 18 ans, Katharina 18 ans : l’adolescence contribue largement à travers les écrits de Freud aux premières découvertes de la psychanalyse. Ces patients sont présentés par Freud comme des exemples de névrose clinique, or aujourd’hui l’évolution constatée chez certains d’entre eux laisse à penser qu’il s’agissait de patients beaucoup moins « névrotiques » que Freud avait pu le penser au début : c’est le cas en particulier de l’homme aux loups.

Le statut de la névrose à l’adolescence nécessite d’être repensé. Pour certains auteurs ce statut a tendance à suivre la même évolution que celui de la névrose chez l’enfant : se plaçant sur un axe de réflexion ontogénétique ces auteurs, à la suite d’A. Freud considèrent que, d’une part, la névrose ne doit pas entraver le mouvement maturatif normal et que, d’autre part, les instances psychiques doivent être suffisamment différenciées les unes des autres pour pouvoir parler de structure névrotique. Pour ces raisons le diagnostic de névrose chez l’enfant doit en réalité être porté avec circonspection et beaucoup moins souvent qu’on ne l’imagine de prime abord. Ceci conduit les auteurs à distinguer la névrose infantile comme modèle de développement et la névrose chez l’enfant comme maladie clinique (voir à ce sujet la discussion, in Abrégé de Psychiatrie de l’enfant, p. 310-313). Selon le même modèle à l’adolescence, la névrose doit ainsi préserver les remaniements psychiques propres à l’adolescence et nécessite que l’idéal du moi soit suffisamment distinct du surmoi (Bios, Laufer).

L’autre angle de vue concerne la place de la névrose dans la pathologie de l’adulte. En effet, actuellement on assiste aussi à sa remise en cause chez l’adulte, du moins par certains auteurs : la névrose tend à apparaître comme une sorte de « maladie idéale », une maladie de la normalité dont il conviendrait de dégager les tableaux symptomatiques trop graves, lesquels renverrait en réalité à une pathologie dite « limite ». Le champ de la névrose devient, de ce fait, une véritable peau de chagrin largement grignotée par tous les tableaux sémiologiques intermédiaires décrits de nos jours (état limite, bôrderline, prépsychose, etc.). Plus qu’à tout autre âge de la vie, la médiocre corrélation entre une conduite symptomatique et une entité nosographique précise, la difficulté à établir un diagnostic structurel rigoureux conduisent les auteurs à une certaine réserve dans le diagnostic de névrose à l’adolescence. Cette prudence est renforcée par les études catamnestiques : elles révèlent en effet que les symptômes dits névrotiques graves s’inscrivent ultérieurement au sein d’organisation structurelle souvent plus proche de psychose ou du moins de caractéropathie grave que de névrose franche chez l’adulte.

I. – Étude clinique

Ce paragraphe sera très bref puisqu’il n’est pas question de reprendre ici le détail des conduites déjà étudiées au chapitre « Psychopathologie des conduites mentalisées ». Nous prions le lecteur de s’y reporter. En ce qui concerne l’aspect évolutif, nous dirons simplement que les symptômes névrotiques se présentent tantôt en continuité avec la symtomatologie de l’enfance, tantôt en rupture avec cette même symptomatologie.

1° La continuité symptomatique peut être le propre de certaines conduites présentes dès le plus jeune âge, au moins depuis la fin de la phase œdipienne : il en va ainsi de certaines conduites phobiques dont l’exemple est la phobie scolaire, mais surtout de conduites obsessionnelles ou plutôt compulsionnelles. L’inhibition, en particulier la timidité, est très souvent bien antérieure à l’adolescence. Dans quelques cas il existe une continuité mais avec changement de symptôme par exemple, disparition de conduite phobique et apparition à l’adolescence de traits obsessionnels (Lebovici).

Si la continuité existe au plan symptomatique, on note généralement un changement de la fonction dynamique et économique de ces conduites. En effet celles-ci apparaissent fréquemment au cours de l’enfance comme syntones au moi de l’enfant lui-même, acceptées par l’environnement familial, lequel fait souvent preuve d’une grande compréhension, voire même d’une grande complaisance à l’égard de ces symptômes. L’adolescence marque habituellement une rupture dans cet équilibre économique et dynamique. Le mouvement de séparation-individuation aboutit à une réappropriation par l’adolescent de ces conduites symptomatiques : soudain elles deviennent source de tension psychique, de malaise ; elles sont ressenties comme une limitation, une entrave au moi. En un mot, égosyntonique dans l’enfance, la conduite devient égodystonique à l’adolescence. Ceci est particulièrement vrai pour les obsessions-compulsions, l’inhibition, les manifestations hypocondriaques. Les phobies en revanche ont une évolution moins tranchée. Toutefois ces dernières justifient généralement une protection de l’enfant par sa famille qui entretenait les conduites d’évitement. À l’adolescence, cette protection se fait moins efficace et l’adolescent ressent plus douloureusement les limitations que provoquent les phobies. Au plan économique, il n’est pas rare qu’on assiste à une accentuation des conduites symptomatiques lors de la préadolescence et/ou adolescence.

2° L’éclosion symptomatique constitue l’autre éventualité. Dans ces derniers cas deux traits semblent caractériser les conduites névrotiques à l’adolescence : 1) leur aspect protéiforme : le plus souvent on observe une multiplicité de conduites symptomatiques, parfois même tout le champ des conduites dites névrotiques peut apparaître chez le même adolescent ; 2) leur nature transitoire : ces conduites se modifient rapidement, disparaissent au bout de quelques semaines ou mois, laissent la place à de nouveaux symptômes, etc. En général l’angoisse est vive, l’adolescent exprimant le sentiment de n’être plus le même.

II. – Hypothèses théoriques

Dans l’étude théorique de la névrose à l’adolescence, nous distinguerons deux types de position en partie opposés. En effet d’un côté certains auteurs voient dans l’adolescence le moment privilégié de constitution de la névrose de l’adulte, ce qui se traduit dès l’adolescence par la survenue de symptômes névrotiques. D’autres auteurs, dans une perspective essentiellement ontogénétique, laissent une place restreinte à la névrose, selon une approche théorique similaire à ce qu’on observe chez l’enfant.

1° L’adolescence comme mise en place de la névrose. – Pour Freud, la caractéristique de l’adolescence est l’accession nouvelle au plaisir terminal, encore appelé plaisir de satisfaction. Ce plaisir terminal est défini, surtout chez l’homme, comme la réduction et même la disparition de la tension aussi bien physique que psychique consécutive à l’éjaculation. Cette maturité sexuelle nouvelle provoque un réaménagement des pulsions partielles propres à l’enfant : « un but sexuel nouveau est donné à la réalisation duquel toutes les pulsions partielles coopèrent, tandis que les zones érogènes se subordonnent au primat de la zone génitale ».

Ainsi les pulsions partielles, orales ou anales en particulier, doivent-elles être intégrées dans la sexualité génitale. Elles participent désormais à ce que Freud appelle « le plaisir préliminaire » : il s’agit de la phase précédent le plaisir terminal, phase où se trouvent activées les diverses pulsions partielles (caresse, baiser, regard…) qui ont pour rôle essentiel d’accroître la tension physique et psychique. L’excitation des diverses zones érogènes augmente cette tension et prépare le plaisir terminal. Selon Freud, chez le garçon l’organe par lequel est obtenu le plaisir terminal est le pénis : il s’agit d’une zone érogène déjà investie pendant l’enfance. Chez la fille en revanche, la zone érogène de l’enfance est le clitoris ; l’accession à la maturité sexuelle se marque chez celle-ci par un changement de zone érogène principale, car la zone érogène clitoridienne doit être abandonnée au profit de la zone érogène vaginale. Nous reviendrons sur l’importance de ce changement de zone érogène chez la femme.

Outre cette explication qui utilise un modèle physiologique, et parfois quasi mécanique, l’adolescence se caractérise aussi par un nouveau choix d’objet sexuel : la libido d’objet était jusque là fixée au parent du sexe opposé, ce qui était à l’origine d’un sentiment tendre pour ce parent. L’adolescent doit trouver un autre objet à sa libido dès que sa maturité sexuelle lui interdit de focaliser sur l’image parentale des fantasmes et des désirs incestueux. Normalement les premiers choix amoureux de l’adolescent se feront par étayage sur les premiers objets d’amour infantile : « c’est, sans aucun doute, un retentissement de la phase initiale qui porte un jeune homme à choisir, pour ses premiers amours sérieux, une femme d’âge mûr, et une jeune fille à aimer un homme âgé. Ces personnes font revivre en eux l’image de la mère ou celle du père. On peut admettre que le choix de l’objet, en général, se fait en s’étayant d’une façon plus libre sur ces deux modèles. »

Toutefois il doit se produire un changement d’objet, même si, comme le signale Freud, un paradoxe préside à ce changement puisque « trouver l’objet sexuel n’est en somme que le retrouver ». Ce mouvement signe d’une part l’étayage de l’objet sexuel sur l’objet libidinal infantile, mais d’autre part la nécessité d’une perte : on ne peut « retrouver » un objet qu’après l’avoir préalablement perdu. Ce temps de la perte que Freud situe au moment de la période de latence correspond peut-être mieux à ce qu’on décrit maintenant comme la préadolescence ou première adolescence (A. Freud, Haim, etc.).

À partir de cette description brève de l’adolescence, l’origine de la névrose peut se situer à divers points conflictuels. Ceux-ci sont au nombre de deux chez le garçon auxquels on ajoute chez la fille un troisième. Ils sont à l’origine de difficultés névrotiques telles que des inhibitions sexuelles ou des névroses hystériques. Freud décrit d’abord le rôle pathogène que peuvent jouer des points de fixation au niveau des pulsions partielles : le plaisir préliminaire risque alors d’être excessif ce qui entrave la possibilité d’accéder au plaisir terminal. Ainsi la fixation à une zone érogène trop fortement liée à une pulsion partielle constitue l’origine possible de difficultés névrotiques.

La nécessité pour la libido de changer d’objet représente une autre source de difficulté : « une partie des troubles névrotiques s’explique par l’incapacité de l’adolescent à changer d’objet ». Ceci s’observe en particulier quand le lien au premier objet d’amour est d’une trop grande intensité, ou quand le nouvel objet d’amour présente des traits qui le rapprochent trop de l’objet d’amour infantile. Cette dernière éventualité exacerbe les craintes d’une relation incestueuse. Il se produit alors un refoulement massif, voire même une dénégation de la sexualité : « dans les cas de psychonévrose, l’activité psychosexuelle recherchant l’objet reste dans l’inconscient par suite d’une dénégation de la sexualité… On pourra avec certitude démontrer que le mécanisme de la maladie consiste en un retour de la libido aux personnes aimées pendant l’enfance ».

Chez la fille, à ces deux mouvements source de conflit névrotique, il s’en ajoute un troisième selon Freud : la nécessité de changer de zone érogène, source de plaisir terminal. Ce passage de la zone érogène clitoridienne où se localise la sexualité infantile de la fillette, à la zone érogène vaginale propre à la sexualité féminine adulte, ne va pas sans difficulté ; il constitue, selon Freud, une des causes de la prédisposition à l’hystérie.

Pour résumer, on peut dire que l’adolescence, sans qu’elle soit explicitement nommée comme telle par Freud, représente néanmoins un moment privilégié d’organisation ou de mise en place de trouble névrotique. L’apparition de difficulté névrotique s’explique par les remaniements physiques et psychiques de cette période : 1) émergence de la maturité sexuelle et accession au plaisir terminal ; 2) nécessité pour la libido de changer d’objet. Remarquons que Freud se réfère essentiellement au complexe d’Œdipe positif, c’est-à-dire à la relation affective entre l’adolescent et le parent de sexe opposé, ne faisant pratiquement pas mention de la position œdipienne inversée, position qui semble occuper une place de plus en plus importante dans les élaborations théoriques des auteurs contemporains (Bios, Jeammet).

Lebovici se situe dans la même ligne théorique, considérant aussi que l’adolescence est l’âge privilégié de la mise en place d’une organisation névrotique. Toutefois cet auteur se détermine par rapport au problème de la névrose chez l’enfant, réalité clinique, qu’il ne nie pas complètement, mais qui lui paraît peu fréquente. Cette névrose clinique chez l’enfant s’oppose au modèle de la névrose infantile lequel permet de comprendre l’organisation de la névrose de transfert. L’adolescence représente l’un des moments privilégié où peut se mettre en place une organisation névrotique en raison de la signification traumatique « après-coup » que vient donner la sexualité nouvelle de l’adolescent au modèle de la névrose infantile. Cet « après-coup » rend compte de la possible structuration d’une névrose à l’adolescence : « l’après-coup » qui unit la névrose de transfert à la névrose infantile, c’est le processus de la sexualisation, historiquement daté de l’adolescence, organisé dans les représentations transférentielles » (Lebovici, 1979).

Laplanche et Pontalis définissent ainsi « l’après-coup » : « terme fréquemment employé par Freud en relation avec sa conception de la temporalité et de la causalité psychique : des expériences, des impressions, des traces mnésiques sont remaniées ultérieurement en fonction d’expériences nouvelles, de l’accès à un autre degré de développement. Elles peuvent alors se voir conférer, en même temps qu’un nouveau sens, une efficacité psychique ». L’adolescent accède, du fait même de sa maturité sexuelle, à un autre degré de développement ; ce nouveau degré donne une signification nouvelle, éventuellement traumatique aux expériences anciennes, aux traces mnésiques infantiles qui constituent le filigrane de la névrose infantile.

On pourrait, selon ce point de vue, avancer une métaphore : « l’après-coup » à l’adolescence représente le travail de « développement » de la pellicule photographique sur laquelle est inscrite la photo prise dans l’enfance. Chacun sait que, de la qualité du travail du laboratoire, dépend en grande partie la qualité de la photographie définitive. L’ « après-coup » vient ainsi amplifier, exacerber et révéler ou au contraire atténuer, estomper, maintenir dans l’ombre, les expériences de la petite enfance. D’autres auteurs n’utilisent pas explicitement la notion d’« après-coup », mais y font implicitement référence : ainsi pour Bergeret, l’adolescence est assimilée à un moment de bouleversement structurel transitoire au terme duquel l’organisation névrotique se trouve définitivement stabilisée. Spiegel (cité par Bios) propose une équivalence entre le concept de névrose actuelle et l’adolescence : « une partie de la symptomatologie de l’adolescence peut être considérée comme les séquelles directes des symptômes névrotiques actuels, du flux pulsionnel, que l’appareil psychique encore imparfait n’est pas capable de contenir au début de l’adolescence ». Il ne s’agit évidemment pas ici de la névrose actuelle au sens où l’entendait initialement Freud (c’est-à-dire des difficultés névrotiques directement liées à l’absence ou à l’inadéquation de la satisfaction sexuelle), encore que cette définition primitive ne soit pas dénuée de pertinence au début de l’adolescence, mais cette terminologie a plutôt l’intérêt de centrer l’attention sur l’actualité de la poussée pulsionnelle et sur l’incertitude évolutive des troubles de type névrotique : elle insiste en outre sur le besoin pour l’adolescent de trouver une réponse immédiate, voire urgente, grâce aux conduites symptomatiques, réponse au surcroît de tension instinctuelle, à la demande pulsionnelle. L’utilisation du terme « trouble névrotique actuel » a aussi l’intérêt de mettre en relief la temporalité de la conduite symptomatique.

2° La mise en cause de la névrose à l’adolescence. – À l’opposé des auteurs précédents, nombreux sont ceux, surtout lorsqu’ils se placent dans une perspective développementale ontogénétique, pour lesquels la névrose occupe une place restreinte à l’adolescence premièrement parce qu’il est difficile à cet âge de poser un diagnostic structurel précis, deuxièmement parce que la névrose ne doit pas bloquer totalement le processus même de l’adolescence, troisièmement parce que la névrose devient une sorte de maladie-modèle d’une personnalité parvenue à sa maturité.

Caricaturale à cet égard est la position de Ladame, auteur qui adopte un point de vue développemental proche de Malher et de Bios : « l’intallation d’une phobie ou de symptôme obsessionnel, voire de symptôme de conversion peuvent être aussi la traduction d’une maladie dépressive. Je doute fort de la nature réellement névrotique (authentiquement induite par un conflit intrapsychique) de tels symptômes pendant l’adolescence. La méfiance s’impose avant de se rassurer à l’idée qu’on a affaire à une « personnalité névrotique », car je ne pense pas qu’une telle organisation soit possible avant le début de l’âge adulte » (Ladame F., 1981). En effet, pour Ladame, nombres de manifestations symptomatiques chez l’adolescent ne traduisent pas un conflit intériorisé intrapsychique, mais constituent l’expression de manœuvres projectives sur la scène familiale : les mécanismes de défenses qui sous-tendent les conduites symptomatiques appartiennent le plus souvent au registre archaïque (clivage, identification projective), mécanismes qui estompent les limites du moi de l’adolescent et entravent le processus d’autonomisation.

Sans être aussi tranchée, l’opinion d’un auteur comme Laufer, n’est pas très éloignée de celle de Ladame. Laufer considère en effet qu’on peut parler de troubles névrotiques uniquement si ces troubles « préservent la capacité de répondre à tout ou partie des exigences déterminées intérieurement et extérieurement ; l’adolescent se montre encore capable de réussir à l’école ou au travail, mais ses aptitudes sont amoindries. Il sait faire la différence entre ce qui se situe hors de lui-même et « les créations de son esprit » ». Reprenant le concept de ligne de développement proposé par A. Freud, Laufer parle de « névrose simple » lorsque le conflit intérieur ne perturbe pas la vie de l’adolescent, mais on assiste à une réduction de ses fonctions. Au plan symptomatique le registre de l’empêchement, de l’inhibition (cf. p. 173) est prévalent. Au plan métapsychologique, ces difficultés sont, selon Laufer, directement liées à l’incapacité chez l’adolescent de se dégager du lien œdipien infantile : « nous pensons à l’adolescent pour qui il s’avère difficile et même impossible de modifier la nature de ses relations avec ses parents et qui atteint l’âge adulte sans avoir pu établir avec qui que ce soit aucune autre relation d’intimité ». En réalité pour Laufer, la majorité des troubles de l’adolescent sont l’expression d'« un effondrement dans le processus d’intégration d’un corps ayant accédé à la maturité physique et qui fera partie de la représentation de soi-même ». Une telle hypothèse montre que la majorité des troubles à l’adolescence se situent essentiellement sur l’axe de l’image de soi, de la constitution de l’individu, et en fin de compte de l’établissement du narcissisme.

Nous terminerons cette brève discussion théorique en évoquant les travaux de Bios (cf. p. 28). Pour cet auteur la névrose, en tant que structure psychique définitivement organisée, ne peut se mettre en place qu’au terme de l’adolescence. En effet, il faut attendre l’adolescence tardive pour que le complexe d’Œdipe puisse être résolu dans sa totalité, en particulier le complexe d’Œdipe négatif. Bios est tout à fait catégorique : « j’affirme ici, que la névrose infantile acquiert la structure de la névrose adulte définitive uniquement après que se soit produit une résolution pathologique du complexe d’Œdipe négatif au cours de l’adolescence tardive » (après que : souligné par l’auteur lui-même). En somme les troubles de type névrotique apparaissant à l’adolescence ne constituent qu’un « en deçà » de la névrose adulte, de la même manière que les troubles transitoires et évolutifs propres à la névrose infantile. Une des tâches, sinon même la tâche essentielle de l’adolescence constitue, selon Bios, en la résolution du complexe d’Œdipe négatif. C’est la raison pour laquelle on peut considérer que la majorité des symptômes à l’adolescence traduisent une lutte contre la passivité inhérente à la position de soumission homosexuelle propre à l’Œdipe négatif (Jeammet). À partir du moment où le conflit œdipien n’est pas totalement résolu, avant la fin de l’adolescence, il est logique dans une perspective structurelle rigoureuse, de mettre en doute l’existence d’une névrose typique avant cette résolution, donc avant l’âge adulte. Selon ce point de vue, pendant l’adolescence, comme pendant l’enfance, ces symptômes représentent uniquement des compromis ou des aménagements actuels et momentanés, sans être nécessairement liés à une ligne structurelle précise.

3° Conclusion. – Ce bref chapitre sur les approches théoriques de la névrose à l’adolescence illustre combien la compréhension théorique de cette période de la vie, la compréhension des conduites symptomatiques, et surtout les conséquences sur l’approche thérapeutique sont étroitement liées. À travers les divergences ponctuelles selon les auteurs il nous semble possible d’avancer les propositions suivantes :

— plus qu’à tout autre âge de la vie, le lien entre une conduite symptomatique et une structure psychique est particulièrement lâche à l’adolescence. Ce manque de corrélation provient du fait que toute conduite est, à cet âge, largement surdéterminée. Sa compréhension renvoie toujours à des axes multiples : conflit œdipien direct et inversé, préœdipien, archaïque, conflit entre les investissements libidinaux et narcissiques, problématique de l’image du corps, interaction actuelle avec l’entourage, etc. Cette surdétermination doit rendre prudent dans l’établissement d’un diagnostic structurel.

— il nous paraît utile de distinguer à l’adolescence, d’un côté les aménagements névrotiques de loin les plus fréquents, et de l’autre les quelques cas de névrose apparente constituée. Le terme d’aménagement névrotique a, selon nous, l’intérêt de mettre en relief l’aspect temporaire de ces conduites, sans préjuger de leur devenir en terme structurel. L’expérience clinique montre que ces conduites névrotiques propres à l’adolescent évoluent avec le temps : fréquemment elles s’estompent, disparaissent pour laisser la place chez l’adulte à quelques traits de personnalité (personnalité dite phobique ou obsessionnelle, etc.) plus qu’à une véritable névrose.

Les névroses monosymptomatiques graves de l’adolescent ont en réalité un destin beaucoup plus ouvert, illustrant a contrario l’absence de lien entre symptômes névrotiques graves et une structure névrotique. Certaines de ces névroses finissent par se décompenser avec l’apparition de manifestations psychotiques franches. Ainsi les obsessions-compulsions graves et envahissantes à l’adolescence évoluent souvent, en l’absence d’approche thérapeutique, vers des états schizophréniques. À noter aussi que ces névroses obsessionnelles graves de l’adolescent peuvent constituer une sorte de guérison ou d’enkystement d’une psychose infantile stabilisée (Lebovici). Il importe dans ce cas de préserver le secteur adaptatif à la réalité, et de ne pas trop remettre en cause les compromis défensifs établis. De même, comme nous l’avons déjà signalé (cf. p. 163) les phobies scolaires graves de l’adolescent risquent d’évoluer vers des états de marginalisation sociale, de délinquance, voire des organisations perverses ou psychopathiques plus que vers des névroses typiques.

Dans quelques cas seulement ces états névrotiques graves de l’adolescent semblent se maintenir inchangés pendant la vie adulte, ou au mieux évoluer en des organisations caractéropathiques graves et figées.

Bibliographie

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