17. La scolarité à l’adolescence

I. – Introduction

Ce chapitre est consacré aux interactions entre l’adolescent et sa scolarité. Cette dernière ne se résume pas à l’enseignement et à sa conséquence, l’acquisition des connaissances. En effet la scolarité se caractérise également par un lieu de vie ou une succession de lieux de vie, par des rencontres multiples avec des adultes qui sont autant de modèles identifica-toires ou contre-identificatoires, par la poursuite de buts personnels et sociaux dont l’intrication est le plus souvent complexe. Cette complexité amène parfois en retour des points de vue simplificateurs mais caricaturaux en particulier sur l’analyse des difficultés scolaires. En effet pour expliquer celles-ci, se renvoient volontiers dos à dos un point de vue moral (l’échec est dû à la paresse de l’adolescent), un point de vue médical (l’échec est dû à un trouble organique ou psychique) ou même un point de vue exclusivement social (l’échec est dû à la seule inadaptation des structures scolaires actuelles). Toute attitude simplificatrice à visée souvent polémique est dénuée de bon sens, et n’aide pas à trouver une solution.

Obligatoire jusqu’à 16 ans la scolarité des jeunes adolescents se réalise au collège. Ensuite elle se poursuit pour certains au lycée. Personne ne peut nier que les résultats scolaires obtenus à cette étape de la vie engagent l’avenir professionnel, social et éventuellement personnel. Le problème est d’autant plus sérieux que la nécessité d’une orientation surgit à une période où l’individu vit un moment de crise dont le devenir est quant à lui variable. En cas d’échec ou de fléchissement scolaire durable, il est donc utile mais parfois difficile de faire la distinction entre :

— les possibilités de réussite intellectuelle, les possibilités de réussite dans le domaine de la création et les possibilités de réussite manuelle ;

— les possibilités d’apprendre et le désir d’apprendre ;

— les projets familiaux et la participation des adolescents.

II. – La scolarité

L’entrée en sixième marque pour chacun un cap dont il se souvient. Si le changement de type d’enseignement est commun à tous, parfois s’y associe un changement de lieu. Parallèlement les premiers signes pubertaires apparaissent, certains vivant même le déroulement complet de leur puberté au cours de la classe de sixième.

L’entrée en quatrième succède à une orientation qui détermine, malgré les passerelles toujours possibles, le type d’enseignement et par là même le type d’activités professionnelles de toute une vie. Cette entrée en quatrième marque pour certains la continuité du type de scolarité qu’ils ont connu antérieurement. Pour d’autres, la première année de C.A.P. ou la classe préprofessionnelle de niveau sont une première transition vers leur vie professionnelle proche. Parallèlement tous les garçons et les filles sont généralement devenus des adolescents pubères à la fin de cette classe.

L’entrée en seconde succède à une nouvelle orientation et ne concerne plus qu’un nombre limité d’adolescents : les lycéens. De la scolarité obligatoire nous sommes passés à la scolarité « volontaire ». Ce « volontariat » soulève des questions où s’affronteront parfois les parents et leurs adolescents ; certains parmi ces derniers souhaiteront en effet changer d’orientation ou même interrompre leurs études pour des raisons souvent conflictuelles et affectives dont ils ne perçoivent pas toujours l’origine.

Enfin la première et la terminale restent en France deux années de scolarité ponctuées par un examen dont l’importance soulève une angoisse subjective qui survient à une période où le développement des potentialités affectives, relationnelles et sociales s’oppose à la nécessité de rétrécir son champ d’intérêt pour être reçu en fin d’année.

Comme le montre la succession des réformes, l’enseignement secondaire cherche à s’adapter à l’hétérogénéité des enfants, de leurs niveaux et de leurs intérêts. À ce noble projet, se heurtent d’une part les exigences et les inégalités sociales, d’autre part le processus intrapsychique que traverse tout sujet à cette période et dont l’instabilité, le tumulte et l’intermittence entravent un déroulement idéalement harmonieux où l’on pourrait répondre à tous les problèmes de formation et d’avenir.

A. – La place de la scolarité dans la vie de l’adolescent

Plusieurs enquêtes psychosociologiques nous permettent de situer la place de la scolarité dans la vie de l’adolescent. La Fédération nationale des écoles de parents et d’éducateurs a demandé à un échantillon d’adultes ce qui les préoccupait au moment de l’adolescence : les études viennent en seconde position (62 %), précédées par les relations avec les amis/amies (69 %), suivies par les loisirs-sorties (61 %), l’avenir professionnel (60 %), les conditions de la vie (53 %), les relations amoureuses (53 %), et enfin les relations avec les parents (48 %)… Cette même enquête a montré que, pour les parents, les sujets de discussion avec les adolescents portent essentiellement sur les résultats scolaires (n’en discute pas 1 %; en général d’accord 66 %; en général pas d’accord 31 %). Ceci est confirmé dans une autre enquête du même organisme auprès des adolescents eux-mêmes. À titre comparatif, les liaisons amoureuses semblent un sujet encore intime ou peut-être tabou (n’en discute pas 49 %, en général d’accord 34 %, en général pas d’accord 8 %).

Par ailleurs comme le montre une enquête de G. Vincent auprès de 4 000 lycéens, l’adolescent attend de l’école autant un développement personnel qu’une préparation à la vie professionnelle.

Ce dernier point nécessite une définition de la scolarité plus large que celle d’une simple activité d’enseignement et d’acquisition des connaissances. La preuve nous en est fournie au niveau de l’école elle-même par l’intérêt pour les ateliers, les clubs ou les loisirs organisés ou prenant naissance dans le cadre scolaire. De même, le temps et l’espace qui se situent entre la maison et l’école, sur le chemin de l’école ou du lycée sont remplis d’activités, de rencontres et d’échanges qui entravent parfois l’acquisition des connaissances elles-mêmes, mais qui le plus souvent représentent une aire de transition indispensable entre deux modes de vie qui prennent à cet âge toute leur importance dans la dynamique du dedans et du dehors, du passé et du futur, du familier et de l’étranger, du groupe familial et du groupe social. Enfin la participation à son développement personnel qu’attend l’adolescent de l’école questionne l’enseignant confronté lui aussi à un individu en plein développement et en crise. Ce dernier pourra être le représentant de plusieurs fonctions vis-à-vis desquelles il aura parfois des difficultés à se situer ou à se dégager.

B. – Les conditions d’une bonne scolarité

Il est difficile voire même impossible de prévoir si la scolarité d’un jeune adolescent sera satisfaisante pour lui et pour son entourage, cette seule dualité étant source de point de vue divergent. Sans négliger ce qui s’est passé au cours de l’enfance nous pouvons évoquer les deux séries de facteurs auxquels toute scolarité est soumise au cours du C.E.S. et du lycée : ceux liés au développement de la scolarité, ceux liés au système scolaire lui-même.

À partir de la classe de sixième, période qui nous intéresse ici, les possibilités intellectuelles, psychomotrices et affectives de l’enfant se modifient profondément. Nous n’insisterons que sur les changements qui peuvent entraver le développement de la scolarité soit parce qu’ils ne se déroulent pas, soit parce qu’ils se réalisent trop brusquement ou trop intensément.

— Au point de vue de l’évolution intellectuelle, comme l’a montré

J. Piaget, l’enfant à partir de 12-13 ans devient capable d’abstraction. Il accède à la pensée dite formelle qui lui permet de déduire des conclusions à partir de pures hypothèses sans recours à une observation réelle ; les opérations logiques sont transposées du plan de la manipulation concrète au plan des idées seules ; il passe de la rédaction (raconter ses vacances) à la dissertation (qu’évoquent ces vacances ?) ; il passe du calcul au problème. Les difficultés d’accès à la pensée abstraite renforceront pour certains les difficultés d’attention et d’intérêt pour la scolarité.

Aux différences entre la pensée concrète et la pensée abstraite s’ajoutent celles plus récentes entre la pensée divergente et la pensée convergente mises en évidence par J.P. Guilford : « dans les tests de pensée convergente, il y a presque toujours une seule conclusion ou une seule réponse considérée comme valable, et la pensée doit être canalisée ou contrôlée pour arriver à cette réponse… Dans la pensée divergente d’autre part, la recherche se fait dans de nombreuses directions. On le remarque aisément quand il n’existe pas de solution unique. La pensée divergente… se caractérise… par une plus grande dispersion. Liberté est laissée d’aller dans différentes directions… Il est nécessaire d’abandonner les anciennes solutions et de se lancer dans une nouvelle direction, et un organisme plein de ressources aura plus de chances de réussir » (J.P. Guilford, 1957).

Ces différences ne se limitent pas au processus cognitifs (J.W. Getzels et P.W. Jackson, 1963) ; « les intelligents tendent à converger vers les significations stéréotypés, à imaginer leur réussite personnelle selon des critères conventionnels, à se rapprocher des modèles offerts par les professeurs, à rechercher des carrières qui se conforment à ce que l’on attend d’eux. Les créatifs tendent à s’écarter des significations stéréotypées, à faire preuve d’une imagination originale, à concevoir leur réussite personnelle d’après des critères originaux, et à rechercher des carrières qui ne concordent pas avec ce qu’on attend d’eux ».

— Au point de vue de l’évolution psychomotrice, les transformations corporelles sont intenses, l’image du corps et le schéma corporel se transforment et, par là-même, la représentation de l’espace et le contrôle tonico-moteur sont bouleversés. Le retentissement sur la scolarité est évident, aussi bien au niveau de l’exécution des tâches (écriture, travaux manuels, appropriation de l’espace) que de leur compréhension (une préoccupation corporelle trop grande démobilise l’adolescent pour ses opérations mentales). L’intérêt pour la gymnastique (contrairement à l’idée largement répandue) et les travaux manuels où le corps s’exerce et s’utilise, en sont un autre exemple. Ces transformations corporelles sont évidemment la conséquence physiologique de la poussée pubertaire qui a également un retentissement affectif et relationnel.

— La transformation des possibilités affectives et relationnelles retentit aussi sur la scolarité. Des intérêts nouveaux émergent : la quête de l’autre sexe dans l’histoire où la littérature est mieux comprise, les difficultés des problèmes et l’intérêt de les résoudre sont associés aux préoccupations internes de l’adolescent vis-à-vis de lui-même et de son entourage ; le souhait d’autonomie et d’indépendance vis-à-vis du milieu familial facilite l’exploration de champs d’intérêts personnels, de recherche d’identification à un auteur, à une idéologie à travers un leader, à une matière par l’intermédiaire d’un professeur. Mais ces nouvelles possibilités affectives et relationnelles sont aussi marquées par le poids de la révolte, de l’opposition ou de la transgression à l’égard des parents ou de leurs substituts : les professeurs peuvent apparaître comme ces substituts directs.

Nous voyons ainsi que les conditions d’une « bonne » scolarité à cet âge de la vie sont étroitement dépendantes des changements qui s’opèrent de l’enfant à l’adolescent ; il est nécessaire d’en tenir compte et d’en expliquer le déroulement aux parents inquiets ou parfois obnubilés sur les seules conséquences scolaires.

Mais ces changements peuvent également avoir pour origine le système scolaire lui-même. L’entrée en sixième en constitue un exemple : changement de matières enseignées, responsabilité plus grande donnée à l’élève dans la conduite de ses études et de son emploi du temps, multiplicité des professeurs et disparité de l’organisation de l’espace, du temps et des repères humains. De même, l’orientation vers un enseignement spécialisé (SES) pour les enfants présentant un déficit intellectuel ou vers des classes aménagées pratiques ou d’apprentissage pour les enfants présentant un intérêt centré sur les matières concrètes peut être la source de changement de projets antérieurs établis par la famille ou l’enfant lui-même. Le bien-fondé ou l’acceptation de ces changements est plus ou moins bien assumé. L’arrêt de la scolarité à 16 ans ou sa prolongation met l’enfant dans deux situations tout à fait différentes ; dans le premier cas il rentre directement dans le monde du travail et des adultes ; dans l’autre, il poursuit souvent plus longuement son processus d’adolescence. S’il poursuit sa scolarité au lycée, le choix de la section et la possibilité de s’y maintenir dans le but d’obtenir un brevet ou le baccalauréat créent parfois des problèmes pour l’adolescent et pour la famille. Certaines sections seront valorisées par les parents et non pas par l’adolescent. Certaines sections selon les époques, seront plus valorisées par la société (actuellement les sections scientifiques). Les particularités du système scolaire induisent donc elles-mêmes une nécessaire et parfois arbitraire adaptation.

Ainsi, comme l’a montré une étude récente sur l’échec et la réussite scolaire, le médecin devra savoir que ces derniers dépendent d’un ensemble de facteurs et surtout de leurs interactions (niveau intellectuel, âge, origine socio-culturelle, aspects émotionnels personnels et surtout milieu familial qui semble très impliqué dans les cas d’échec scolaire par l’insuffisance ou l’erreur éducative, la pauvreté des échanges affectifs ou du climat d’épanouissement). Citons également une autre étude sur les relations entre intérêts, aptitudes et notes scolaires des élèves de terminale qui conclut : « Le succès de certaines disciplines scolaires (notamment le français, l’algèbre et la physique) est aussi fortement lié sinon plus aux intérêts qu’aux aptitudes ». Au cours du C.E.S. et du lycée, les « conditions » d’une bonne scolarité sont donc multiples, mais sont essentiellement marquées par les capacités de l’enfant et de son entourage à réagir favorablement aux changements et aux ruptures qui caractérisent cette époque.

III. – Étude clinique

Les difficultés scolaires à l’adolescence peuvent se présenter comme une suite « logique » des difficultés scolaires de l’enfance ou au contraire comme un problème nouveau surgissant à cette période. Elles sont isolées ou au contraire associées à d’autres types de difficultés, en particulier comportementales. Enfin, elles seront transitoires ou durables. Bien qu’une autre classification soit possible nous avons choisi de traiter en trois parties ce chapitre clinique des difficultés scolaires :

— les difficultés scolaires de l’enfance se perpétuant à l’adolescence ;

— les difficultés scolaires transitoires de l’adolescence ;

— les difficultés scolaires durables de l’adolescence.

A. – Les difficultés scolaires de l’enfance se perpétuant à l’adolescence

Il s’agit essentiellement de l’échec scolaire, terme réservé aux retards supérieurs à deux années. Les causes de cet échec sont variables :

1° La débilité mentale. – Comme pour l’enfant, la débilité mentale profonde ou moyenne entrave nécessairement la progression scolaire. En revanche, la progression scolaire dans le cas de débilité légère et surtout limite va dépendre d’une série de facteurs instrumentaux, affectifs, éducatifs et socio-culturels. Rappelons ici pour mémoire que toute difficulté scolaire n’est pas équivalente évidemment de débilité.

2° Les dysharmonies cognitives. – Elles constituent un tableau psychopathologique caractérisé par des troubles et des insuffisances graves dans les processus de symbolisation (dyspraxie, dysgnosie, dyschronie) et entraînant de sévères difficultés dans les acquisitions scolaires, mais aussi sociales et professionnelles. Elles surviennent essentiellement chez des enfants et des adolescents marginaux, non débiles, dits caractériels, psychopathes, prédélinquants ou délinquants. La compréhension psychopathologique de ces tableaux est différente selon les auteurs : « processus dépressif permettant d’échapper à des angoisses insupportables » (B. Gibello) ou, au contraire, « discontinuité dans la représentation mentale des objets, conséquence de la discontinuité brisante dans la qualité des relations affectives précoces » (H. Flavigny). Ces enfants et ces adolescents se rencontrent essentiellement dans les établissements spécialisés ou les SES, en raison de leurs difficultés comportementales et cognitives.

Mais, l’immense partie des échecs scolaires s’inscrit dans des perturbations dont l’origine est variée : carence socio-culturelle au sens large, carence familiale, mais aussi malmenage scolaire et inadaptation de l’école (incapacité ou difficulté des structures scolaires à s’adapter aux enfants et adolescents marginaux).

B. – Les difficultés scolaires transitoires

Il s’agit des manifestations révélatrices inhérentes aux difficultés spécifiques du développement à cet âge. Nous y reconnaîtrons systématiquement le poids des changements affectifs et relationnels du processus de l’adolescence. Elles peuvent se résumer en deux grandes catégories : les hyperinvestissements scolaires et le fléchissement scolaire.

1° Les hyperinvestissements scolaires. – Ils se manifestent par un intérêt quasi exclusif pour les activités scolaires et une réussite nettement au-dessus de la moyenne. Ils se distinguent en ce dernier aspect des fléchissements scolaires où certes l’adolescent paraît travailler beaucoup, mais sans aucune efficacité ; nous en reparlerons plus loin.

Ces hyperinvestissements scolaires se rencontrent dans deux cas :

— Soit l’adolescent craint de sortir de son enfance, c’est-à-dire de la stabilité, de l’équilibre, de la bonne intégration et de la dépendance à l’égard des parents ; il contrôle puissamment son monde pulsionnel et manifeste des comportements enfantins pour son âge, il se réfugie dans une hyperactivité scolaire montrant dans ce domaine une hypermaturité qui n’est pas forcément de bon aloi à moyen terme. Les turbulences du processus de l’adolescence paraissent parallèlement gommées dans les différents registres de sa personnalité ; les enseignants les moins informés et les parents ne s’en plaignent généralement pas ; en revanche, le praticien s’il s’en rend compte doit en apprécier les risques. En effet, ces hyperinvestissements transitoires peuvent évoluer dans trois directions : soit parallèlement à l’absence de « crises », ils deviennent durables et ces adolescences « froides » ou « blanches » sont reconnues par leur caractère franchement psychopathologique ; soit ils s’inversent assez brusquement donnant l’impression d’une « lâchée » pulsionnelle où tout processus cognitif devient brusquement entravé ; soit heureusement ils s’allègent pour laisser apparaître progressivement un fléchissement transitoire commun à tout adolescent ;

— ailleurs l’adolescent réussit très bien sa scolarité mais présente des conduites psychopathologiques manifestes (drogue, gestes suicidaires, insomnie importante, anorexie, etc.) ; le décalage entre l’hyperinvestisse-ment avec la réussite scolaire et les signes de souffrance de la personnalité doit faire craindre d’emblée une dysharmonie du développement.

2° Le fléchissement scolaire. – Le fléchissement scolaire succède à une période de scolarité satisfaisante. À notre point de vue, il est présent dans le déroulement de la scolarité de tout adolescent. Dans la majorité des cas, il débute sans cause apparente si ce n’est les troubles que suscitent les différents éléments qui caractérisent le processus de l’adolescence : transformation corporelle, apparition des règles, survenue des premiers rapports sexuels, conflit identificatoire, etc. Parfois cependant il apparaît réactionnel à des difficultés externes (maladie ou séparation des parents, décès, etc.). Il est difficile de préciser une classe au cours de laquelle sa survenue est plus fréquente si ce n’est la classe de quatrième et celle de seconde où nous l’avons plus volontiers observé. Il n’est sans doute pas anodin de constater que ces deux classes coïncident volontiers avec la mise en place des différents facteurs intrapsychiques qui caractérisent la première partie puis la deuxième partie de l’adolescence selon la différenciation de certains auteurs (cf. p. 29).

La description de ce fléchissement scolaire peut se résumer ainsi ; sans raison apparente et de façon progressive, souvent au cours du premier trimestre de l’année scolaire, les résultats deviennent moins bons dans une matière ou dans plusieurs, sans pour autant que l’adolescent se plaigne concrètement d’un désintérêt pour sa scolarité. L’adolescent peut même, dans cette première phase, manifester un étonnement et une inquiétude vis-à-vis de ce fléchissement dont il a beaucoup de difficultés à exprimer l’origine ou les origines. Dans une seconde phase, ce fléchissement se modifie : il peut s’étendre à l’ensemble des matières ou, au contraire, concerner une seule matière, mais l’échec est alors massif dans celle-ci. De plus, ce fléchissement s’associe progressivement soit à un désintérêt manifeste à l’égard de la scolarité, soit à une fuite dans un travail qui est d’autant plus décevant qu’il paraît de moins en moins efficace.

Associé à ce fléchissement, un certain retrait du milieu familial, une certaine morosité impriment à la vie apparente de l’adolescent un aspect volontiers ralenti, entrecoupé de brèves réactions dans un domaine ou dans un autre dont la brusquerie étonne l’entourage. L’absentéisme scolaire peut se rencontrer, mais il est généralement modéré.

L’évolution de ce fléchissement scolaire est favorable dans la majorité des cas. Il est donc normalement transitoire. En revanche il risque de devenir durable lorsque l’adolescent focalise sur ce fléchissement l’image qu’il a de lui-même (risque d’entrer dans la névrose d’échec par exemple).

D’un point de vue psychologique, ce fléchissement apparaît comme la conséquence directe des différents changements caractéristiques de l’adolescence.

Le déplacement de l’érotisation du corps sur l’activité de pensée est un premier aspect. La surprise que constitue la puberté et l’érotisation du corps qui s’ensuit sont déplacés par l’adolescent sur l’activité de pensée et s’accompagnent d’une inhibition à l’activité intellectuelle et créatrice, associées à une inhibition sexuelle ou au contraire à une activité hautement proclamée, cherchant tout autant à éteindre la nouveauté et la surprise (E. Kestemberg, 1980).

Associée à des degrés variables aux précédents, la dimension dépressive (cf. p. 207) est une seconde cause de ce fléchissement. L’humeur dépressive, l’ennui ou la morosité vont retentir sur l’activité intellectuelle, la ralentir et être à l’origine d’un désintérêt grandissant. Le vide dépressif s’exprime clairement dans les difficultés que ressent l’adolescent à suivre une pensée dans un exposé, une lecture ou un exercice scolaire.

Enfin, la dynamique entre l’adolescent et ses parents s’exprime et s’organise parfois de façon privilégiée à propos de la scolarité : le fléchissement devient alors l’enjeu des différents conflits qui sous-tendent cette dynamique. Le fléchissement scolaire peut même avoir une fonction homéostatique conflictuelle.

C. – Les difficultés scolaires durables

Nous entrons ici dans un champ franchement pathologique : les difficultés durent et s’organisent en un système stable.

Tout d’abord il peut s’agir d’une évolution défavorable des difficultés transitoires évoquées précédemment. Un hyperinvestissement scolaire qui se perpétue envahi souvent le fonctionnement psychique de l’adolescent dont l’activité scolaire mobilise tous les mécanismes de défense vis-à-vis de son monde pulsionnel. Il s’agit souvent des adolescents chez lesquels le processus de l’adolescence peut lui-même être absent, ce que le sujet risque de payer fort cher à un moment ou à un autre de sa vie.

De même, un fléchissement scolaire qui dure peut se transformer en un réel échec scolaire avec toutes les conséquences qui s’ensuivent pour l’avenir du sujet. Sur un plan psychopathologique le fléchissement durable est surtout le signe d’une entrave beaucoup plus profonde au déroulement du processus de l’adolescence. La preuve en est, au point de vue symptomatique, qu’à ce fléchissement scolaire durable s’associent quasi systématiquement des symptômes dans d’autres registres du fonctionnement : registre corporel avec apparition de conduites anorectiques ou boulimiques, registre comportemental avec d’éventuelles conduites toxicomaniaques, délinquantielles ou même suicidaires, enfin registre névrotique ou même psychotique.

Nous rencontrons ici des adolescents dont les attitudes d’échec, les sentiments dépressifs ou les difficultés importantes à supporter les différentes angoisses propres à cet âge, envahissent leur fonctionnement psychique.

Associée ou non à l’état précédent, les difficultés scolaires peuvent prendre des formes plus spécifiques : rupture scolaire, phobie scolaire, ou processus de détérioration.

1° La rupture scolaire survient dans deux circonstances différentes. Il peut s’agir d’un souhait brutalement exprimé par l’adolescent sans que des éléments franchement alarmants l’aient précédée. La gravité de ce souhait réside dans la conviction exprimée : l’adolescent semble en effet tenir, dans ce cas, fermement à interrompre ses études, il exprime toute une série de raisons dont la logique est parfois difficile à entamer. Cet aspect logique, brutal, rigide donne souvent l’apparence d’une réaction d’allure paranoïaque dont on comprend, au point de vue psychopathologique, la construction. En effet, une dépression sous-jacente est toujours le moteur de cette réaction. Celle-ci peut, du reste, survenir à la suite ou précéder un état dépressif passé inaperçu ou apparent. L’accès à la dimension dépressive de cette réaction représente la possibilité de s’en dégager.

Ailleurs, la rupture scolaire s’inscrit dans le prolongement d’un fléchissement scolaire auquel s’est associé un absentéisme de plus en plus important, parfois même des fugues du milieu familial. Ici, le risque est l’escalade vers des formes plus graves avec une succession de passages à l’acte, l’apparition d’un désœuvrement, de passivité. La vulnérabilité aux rencontres de hasard représente un facteur de risques non négligeable. La dimension interactive entre la rupture scolaire et les autres conduites d’une part, l’environnement familial et social d’autre part, prend toute son importance. Nous ne nous trouvons plus comme dans le cas précédent, dans une situation de polarisation des conflits intrapsychiques sur un domaine donné, mais beaucoup plus dans un mode de fonctionnement où cette rupture scolaire s’articule avec d’autres éléments qui la renforcent. L’articulation devient alors assez organisée pour que la rupture se réalise réellement et définitivement.

2 » La phobie scolaire a été traitée dans le chapitre « Psychopathologie des troubles de la mentalisation » (cf. p. 160).

3° Les processus de détérioration sont toujours associés à un état psychotique. Il s’agit ici des troubles de la scolarité qui vont être les premiers signes d’un état schizophrénique débutant ou bien la conséquence d’un état psychotique aigu dont le mode de sortie, en ce qui concerne les capacités de scolarisation, sera toujours progressif. Dans ce dernier cas, l’entrave à la capacité d’attention, le « parasitage » par les processus primaires et l’envahissement de la pensée par un contenu archaïque et angoissant sont directement liés à l’organisation psychotique de la personnalité.

IV. – De l’école au travail

Le passage de la vie familiale et scolaire à la vie professionnelle est une étape importante et souvent difficile dans la vie de nombreux individus. L’accession à un emploi professionnel marque l’accession à l’indépendance financière ce qui est le critère adopté par les sociologues pour ponctuer la fin de l’adolescence. Quitter l’école, le lycée ou l’université pour entrer dans le monde du travail prend une signification surdéterminée dans nos sociétés occidentales complexes. Il n’est pas question dans ces quelques lignes d’aborder cette complexité dans tous ses aspects économique, culturel, sociologique, psychologique familial et individuel, psychopathologique, etc. Toutefois en période d’expansion économique, l’arrivée des jeunes sur ce qu’on appelle le « marché du travail », ne pose pas trop de problème car l’expansion assure par elle-même la création nécessaire de nouveaux postes de travail ; lors de ces périodes d’expansion l’incapacité d’un jeune à trouver du travail relève avant tout de son propre malajustement (qu’il soit personnel ou familial). En revanche plus la société traverse une période de stagnation, voire de régression économique, moins de nouveaux emplois sont créés, plus le dégagement des postes de travail dépend du départ des adultes proches de la retraite, plus les jeunes se trouvent pénalisés dans leur recherche d’emploi ; lors des périodes de stagnation ou récession économique, l’incapacité d’un jeune à trouver du travail a toutes les chances de relever avant tout du malajustement social.

Cependant, que les motifs ayant abouti à un échec dans la recherche du premier emploi soient d’origine individuelle ou au contraire d’origine économique, les conséquences sur l’équilibre affectif, sur les espoirs et attentes de l’adolescent risquent d’être identiques : sentiment d’échec, de rejet de la part de la société, impression d’inutilité du temps passé à la formation scolaire, risque de marginalisation sociale… Pour l’adolescent lui-même la recherche et l’occupation d’un emploi concrétisent en général une série d’aspirations plus ou moins réalistes, mais dont la réalisation représente, dans un premier temps, une gratification rassurante et stimulante pour l’image sociale qu’il cherche à acquérir ou à confirmer. Inversement l’échec dans la recherche de l’emploi est fréquemment vécu comme un échec dans sa propre image sociale.

Mais il n’y a pas que les problèmes inhérents à la difficulté de trouver un premier emploi. Certains auteurs ont aussi décrit les difficultés rencontrées par les adolescents et les jeunes adultes pour s’adapter au monde du travail dont les caractéristiques diffèrent sensiblement du monde de l’école. En d’autre terme, il s’agit d’une question maintes fois posée et longuement débattue : l’adolescent est-il bien préparé à accéder au monde du travail ? Là encore les réponses sont multiples selon qu’on met en avant le contexte culturel, le problème pédagogique, le contexte familial, le système de motivation individuelle, etc.

D’une manière générale, dans les actuelles années 80, tous les travaux portant sur cette question font deux constatations :

— l’importance numérique du chômage des jeunes ;

— la médiocre préparation au travail de ces mêmes jeunes.

Face à l’ampleur pris par ce problème certains gouvernements ont tenté d’adopter une politique concertée. Ainsi à titre d’exemple, un programme communautaire européen prolongé sur cinq ans (1977-1982) s’est donné comme objectif d’élaborer des projets d’études portant plus précisément sur six axes :

1) les besoins d’éducation et de formation des jeunes qui ont quitté l’école ;

2) les problèmes liés à la médiocre motivation de nombreux jeunes ;

3) la définition et la mise en place d’action portant sur des groupes cibles ;

4) le développement de services permanents de conseil (guidance) et d’orientation ;

5) l’amélioration des conditions faisant naître des vocations dans les dernières années de la scolarité et de la période post-scolaire ;

6) la promotion de mesures pour améliorer la formation et le recyclage des enseignants.

On le voit, de telles mesures s’adressent tout autant à l’individu et à son proche environnement qu’à la société en général. De plus il faut noter que toutes les enquêtes effectuées auprès des jeunes, soit dans les dernières années de leur scolarité, soit au début de leur emploi, traduisent l’insatisfaction de ces derniers à l’égard des services de guidance, d’orientation, de conseil, etc. Dans l’ensemble le pourcentage de jeunes recourant à de tel service est toujours faible et ceux qui y ont recours déclarent n’avoir obtenu que des informations peu utiles, tant pour trouver un emploi que sur la nature même de cet emploi. À travers cette insatisfaction on peut certes dénoncer une carence des services publiques ou l’ignorance plus ou moins grande des personnes chargées de renseigner les jeunes sur la réalité du monde du travail, mais on peut y voir aussi une ligne de partage très fondamentale entre la vie à l’école d’un côté et la vie au travail de l’autre. Certes une telle coupure ira probablement en s’atténuant avec l’évolution de la société. Le changement d’emploi devient de plus en plus fréquent : l’alternance entre des périodes de plein emploi, des périodes intermittentes de formation ou de recherche d’emploi et des périodes d’emploi partiel ou occasionnel est de plus en plus fréquente. Dans ces conditions il est possible que l’accession au travail ne soit plus porteur de la lourde signification symbolique qui lui était jusque-là attribuée. Cependant à notre époque, l’accession au travail reste encore un moment charnière qui peut être vécu par l’adolescent comme un moment de rupture, et non comme un passage préparé et progressif. Ce vécu de rupture est d’autant plus grand que le jeune n’a pas acquis la formation professionnelle nécessaire.

Après ces indispensables précisions dont le but est de montrer la multiplicité des facteurs intervenant dans ce moment particulier que représente le passage de l’école au travail, nous nous centrerons de façon privilégiée, sinon exclusive, sur les déterminants individuels et familiaux. Notre préoccupation concerne en effet l’individu et son équilibre interne, même si nous n’ignorons pas l’importance du contexte social.

Il est évident que l’obtention d’un emploi ne représente que le dernier maillon d’un long enchaînement où le problème de la vocation, le choix d’un travail, le désir d’ascension sociale, l’identification à une image sociale, etc. interviennent diversement. I. Marcus propose d’utiliser le concept de ligne de développement d’A. Freud, considérant que l’accession au travail prend en compte à la fois le problème de la vocation avec ses implications tant au niveau de l’idéal du moi que des instances surmoïques et celui du « concept de soi » (self-concept). Il s’agit d’une transition progressive où de multiples points de vue psychologiques, psychiatriques, sociologiques, doivent être envisagés. Cette transition demanderait huit à dix ans commençant vers 10 à 12 ans pour s’achever vers 20 ans. Ginzberg (cité par Marcus) distingue trois périodes : 1) une période de fantaisie entre 10-12 ans qui est une phase d’exploration de soi-même, de ses propres désirs, sans que l’enfant tienne compte de la réalité ; 2) une période d’essais allant de la puberté (12-13 ans) jusqu’au milieu de l’adolescence (16 ans), durant cette période le préadolescent commence à prendre en considération ses propres capacités et intérêts en particulier dans les diverses matières scolaires, en passant progressivement du seul plaisir et intérêt suscités par une matière à une évaluation de plus en plus réaliste de ses propres capacités ou compétence dans un domaine particulier, pour établir peu à peu les premiers compromis ; 3) une période réaliste qui va du milieu de l’adolescence à l’âge adulte : cette période s’achève selon Ginzberg par un choix professionnel précis. Pour Marcus, ce choix d’un travail représente aussi un compromis entre les pressions surmoïques issues des exigences ou désirs parentaux et la recherche de satisfaire l’idéal du moi.

Cet auteur distingue d’ailleurs l’idéal du moi véridique, prenant en compte la réalité et n’imposant pas à l’individu une pression irréaliste et le pseudo idéal du moi dont les exigences sont grandioses, irréalistes, jamais satisfaites, faisant que l’individu ne tire aucune satisfaction de son image de jeune adulte au travail. Un tel pseudo idéal risque d’ouvrir la voie à une insatisfaction chronique, à une inadaptation croissante et à une dépression narcissique (cf. p. 273).

Dans ce passage de l’école au travail, McFarlane trouve des différences selon qu’il s’agit de garçons ou de filles. Dans l’ensemble les filles obtiennent un travail qui est moins directement lié au niveau atteint à la fin de leurs études que les garçons, et elles conservent ce premier emploi jusqu’à ce que leur mariage et/ou une grossesse l’interrompent. Les garçons changent plus souvent d’emploi et ont des périodes plus fréquentes d’inemploi. Mais il est possible que le poids des facteurs d’environnement soit plus important que le poids des facteurs individuels dans ces différences en fonction du sexe.

Par ailleurs le système de motivation individuelle dépend en grande partie de l’environnement familial. Rousselet signale l’importance de la guidance parentale telle qu’elle a pu apparaître à travers les résultats d’une enquête : les adolescents qui s’adaptent mal au monde du travail, manquent d’intérêt et de motivation, avaient souvent des parents qui eux-mêmes montraient peu d’intérêt pour les études ou le choix professionnel de leurs enfants. Les adolescents jeunes travailleurs exprimaient fréquemment une certaine amertume de n’avoir pas été guidés ou conseillés par leurs parents dans leur choix. En outre nombre de parents, soit parce qu’eux-mêmes ont subi de fortes pressions de la part de leurs propres parents, soit parce qu’ils se croient coupables de désirer quelque chose pour leur enfant, ont tendance à éviter de formuler un choix professionnel pour leur adolescent. Quand on pose à des parents d’adolescent)a question : « quel métier aimeriez-vous que votre fils/fille fasse plus tard ? » la réponse quasi constante est la suivante : « ça m’est égal, ça n’a pas d’importance, qu’il fasse ce qu’il veut, l’important c’est qu’il/elle soit heureux ». Certes cette réponse contient une part défensive avec la crainte de passer pour un parent autoritaire, imposant un choix ; mais cette défense même montre combien l’expression d’un souhait parental pour l’adolescent ne va plus de soi. Fréquemment cette réponse parentale témoigne d’une profonde incertitude dans les meilleurs cas, indifférence dans les pires, face au choix professionnel de l’adolescent. Ceci s’observe peut-être plus souvent dans les classes moyennes du secteur tertiaire, classes qui sont en rupture par rapport à leur ancienne origine sociale (paysanne, ouvrière…) sans avoir accédé à un statut social satisfaisant et gratifiant.

Enfin le cursus scolaire est à la jonction entre le système de motivation individuelle, la qualité de l’environnement familial et le contexte socioculturel. Nous ne reviendrons pas dans ce dernier paragraphe sur toutes les causes inhérentes à l’échec et aux difficultés scolaires au sens large. Nous dirons simplement ici qu’on observe une spirale de renforcement négatif concernant le passage dans le monde du travail : les adolescents en situation d’échec et de rejet scolaire idéalisent fortement le temps où, enfin, ils pourront travailler dans l’espoir de se dégager d’un tel sentiment d’échec. Or, comme ils ne sont en aucune manière préparés à une telle insertion professionnelle, ils ne rencontrent que des refus ou des propositions d’emploi ressenties comme dévalorisées et dévalorisantes. De plus ces jeunes en situation de rupture scolaire sont beaucoup plus jeunes (entre 16 et 19 ans) que ceux qui ont accompli leur cursus scolaire, et sont par conséquent en proie aux difficultés psychoaffectives de l’adolescence. Tout concourt ainsi pour faire de ce passage un échec supplémentaire. À l’inverse le maintien prolongé dans le système scolaire ou universitaire n’est pas sans poser de difficiles problèmes de dépendance sociale et financière à de nombreux étudiants, tout en leur évitant une confrontation réaliste aux exigences de la vie professionnelle. Certains adolescents trouvent à travers une scolarité interminable un refuge à leur propre difficulté (cf. p. 381).

Les multiples relations entre le contexte socio-économique, la qualité du cursus scolaire et des compétences personnelles, l’intérêt pris par les parents au choix d’un métier chez leur enfant, et enfin la motivation individuelle sont schématisés dans le tableau p. 380. Dans ce tableau on peut distinguer quelques grandes catégories en fonction de ces divers critères. Nous énumérerons brièvement les quatre groupes les plus typiques : le groupe 1, où se retrouvent les adolescents qui bénéficient à la fois d’une bonne formation scolaire et préprofessionnelle et du choix d’une vocation : le passage de l’école au travail est en général aisé à moins d’un contexte socio-économique très défavorable. Dans le groupe 2, se retrouvent des adolescents qui ont une formation scolaire et/ou professionnelle satisfaisante, mais qui n’ont aucun désir personnel, une indifférence à l’égard du travail, un manque de motivation. Ce groupe comprend entre autre les problèmes de psychopathologie individuelle tel que la dépression à l’adolescence. Au groupe 3 appartiennent les adolescents qui ont une forte motivation à intégrer le monde du travail mais qui n’ont pu acquérir une formation satisfaisante soit à cause des carences du système d’éducation,

AXE DE L’ASPIRATION AU TRAVAIL-VOCATION

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minimum-nulle soit pour des raisons plus spécifiques. À titre d’exemple, les adolescents de famille migrante ou les adolescents issus de milieu socio-culturel frustre peuvent appartenir à ce groupe. Il est évident que ces adolescents dépendent à l’extrême de la qualité des conditions économiques présentes. Le groupe 4, enfin, associe à la fois le manque de motivation ou des motivations totalement irréalistes et une médiocre préparation scolaire et professionnelle. Quelles que soient les conditions économiques les adolescents de ce groupe présentent en général d’extrêmes difficultés à intégrer le monde du travail. Pourraient faire partie de ce groupe les adolescents psychopathes (cf. p. 285) et marginaux qui, soit refusent le travail, soit expriment des choix irréalistes. À l’évidence tous les intermédiaires existent entre ces quatre groupes, mais ce schéma a le mérite d’illustrer le poids relatif des variables les plus importantes.

Face à la situation individuelle, le clinicien est confronté à deux grands types de problèmes où le passage de l’école au travail semble jouer un rôle important, sinon déterminant : 1) d’un côté on rencontre des adolescents qui manifestent des difficultés à achever leurs études, ou à sortir du système scolaire et universitaire ; 2) d’un autre côté le clinicien est confronté aux adolescents qui ont interrompu précocement leurs études.

1° La difficulté à sortir des études. – Le plus souvent il s’agit d’adolescents qui jusque-là ont poursuivi une scolarité satisfaisante, parfois même brillante. Ils ont été de bons élèves, ils ont parfois commencé des études universitaires ou sont rentrés dans des « grandes écoles ». À l’approche de la fin des études, ils sont pris d’une inquiétude qui n’est pas une vraie phobie des examens car le plus souvent ils peuvent les passer, ou du moins n’éprouvent pas l’angoisse phobique caractéristique, en revanche ils avancent des considérations qui toutes aboutissent à la nécessité de parfaire leur formation dans un secteur particulier, d’enrichir leur connaissance dans un domaine parallèle ou franchement même d’entreprendre d’autres études. Par-delà ces rationalisations, ces jeunes adultes expriment souvent des craintes sur leur capacité à faire face au monde professionnel, craintes reflétant des exigences élevées, surmoïques d’abord, parentales ensuite. Une telle incapacité à assumer un statut social ou professionnel, peut aussi résulter d’une névrose d’échec ou d’une dépression d’infériorité (cf. p. 220). Dans des cas plus graves, un tel atermoiement peut refléter l’incapacité de l’adolescent à investir pour son propre compte une activité professionnelle et traduire le fait que, jusque-là, les études n’ont représenté qu’une soumission superficielle à un désir ressenti comme externe, celui des parents. Des effrondrements psychiques graves, en particulier des épisodes psychotiques aigus peuvent ainsi survenir au moment où les études doivent normalement prendre fin ou lors des premiers mois d’activité professionnelle. Cela s’observe en particulier chez des jeunes adultes qui ont traversé leurs adolescences sans conflit apparent, sans avoir eu à faire face aux difficultés psychoaffectives habituelles. On pourrait reprendre ici les concepts d’« adolescence avortée » ou d’« adolescence abrégée » de P. Bios, ou encore parler d’« adolescence blanche ». Enfin dans d’autres cas, la prolongation des études peut matérialiser et symboliser le besoin de maintenir un lien de dépendance infantile entre l’adolescent et sa famille, ce besoin peut siéger aussi bien du côté de l’adolescent que du côté des parents (cf. l’adolescent et ses parents, p. 343).

2° L’interruption précoce des études. – À travers la question de l’interruption précoce des études se trouve posé le vaste problème de l’échec scolaire et de ses multiples déterminants, familiaux, institutionnels (rôle de l’école), culturels, etc. De fait très souvent se trouvent étroitement mêlées des difficultés inhérentes à la psychopathologie de l’adolescent lui-même, à

la carence familiale, à une pédagogie médiocre, enfin à une origine socio-culturelle très défavorisée.

Il est évident qu’en période de stagnation ou régression économique, les jeunes qui débouchent ainsi sur le marché du travail, cumulent tous les risques d’échec et de rejet. Ainsi dans un travail où ils comparent un groupe de jeunes ayant quitté l’école et ayant un travail et un groupe de jeunes sans travail, Donovan et Oddy constatent que les jeunes sans travail présentent plus souvent des traits dépressifs et anxieux, une plus mauvaise estime de soi, que ceux qui ont trouvé du travail. Il risque donc de se développer une spirale d’échec allant de l’échec – rejet scolaire à l’échec – rejet professionnel jusqu’à l’échec social plus ou moins global. Toutefois l’interruption précoce des études ne s’accompagne pas systématiquement d’un échec à l’entrée dans la vie professionnelle. Dans certains cas le jeune adolescent rebuté par les abstractions scolaires qu’on lui propose, recherche une activité pratique concrète lui donnant des gratifications plus immédiates et plus aisément perceptibles. Certains adolescents pourront même après une période professionnelle transitoire reprendre des études dans une perspective pratique et avec un degré de motivation supérieur. Il ne faut pas négliger l’intérêt qu’un adolescent peut prendre à de tels emplois, y trouvant une insertion sociale échappant à la spirale de l’échec, acquérant une autonomie de vie par rapport à ses parents ou du moins participant au soutien financier de la famille. L’interruption précoce des études ne doit pas être assimilée à un échec professionnel inéluctable ; il est même parfois néfaste de vouloir maintenir dans un système scolaire classique un adolescent qui semble le refuser profondément tout en ayant une motivation réaliste et intense à un travail particulier. En revanche, pendant une longue période, et pourquoi pas à vie, l’individu devrait avoir de plus grandes facilités pour reprendre un cycle d’enseignement de quelque niveau que ce soit, passant ainsi tantôt du travail à l’école, tantôt de l’école au travail, ce qui aurait le mérite d’atténuer cette coupure entre deux mondes trop souvent étrangers l’un à l’autre.

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