3. L’entretien avec l’adolescent

Entre l’interminable et fastidieux catalogue des diverses situations cliniques possibles d’un côté, l’exposé bref et aride des quelques grands principes dictant la conduite du consultant de l’autre, le chemin est étroit qui permet de rendre compte de la dynamique des premiers entretiens. Pourtant, de la qualité de ces premiers contacts peut dépendre la qualité de la relation thérapeutique future et la qualité de l’investissement mis par l’adolescent et sa famille dans la thérapie. Il est bien évidemment excessif de déclarer que tout dépend de ces premiers entretiens ; il est néanmoins vrai que la plasticité de l’organisation psychique de l’adolescent, son besoin avide d’une relation nouvelle et différente, font de ces entretiens des moments charnières. Le consultant est souvent animé du sentiment que le potentiel évolutif est très ouvert et dépend en partie de la qualité de l’interaction se mettant en place. Ce sentiment réflète l’une des données essentielles du travail avec l’adolescent : la massivité et l’immédiateté de la relation transférentielle, mais aussi contre-transférentielle. Si l’intensité de cette interaction apporte l’énergie nécessaire à la mise en place d’un programme thérapeutique pour l’adolescent, elle représente aussi de la part de celui-ci le moyen d’inclure ce nouvel adulte, le consultant, dans ses projections les plus pathologiques risquant d’aboutir à une impasse thérapeutique. Les premiers entretiens oscillent toujours entre ces deux pôles, oscillation qui définit également leur objectif essentiel : le dégagement possible puis la mise en place du cadre thérapeutique nécessaire.

Auparavant, le repérage du fonctionnement psychopathologique de l’adolescent et l’évaluation de la qualité des interactions familiales constituent les premières préoccupations du consultant. Mais il est bien difficile de dissocier, par souci de clarté pédagogique, ce qui relève de la démarche diagnostique et ce qui est déjà de l’ordre d’une préoccupation thérapeutique. Dans ce chapitre nous aborderons successivement les principes et objectifs qui sous-tendent la démarche du consultant puis la pratique clinique elle-même. Avant toute prise de décision concernant un adolescent et/ou sa famille, ce premier temps, que nous appelons entretiens d’évaluation, est nécessaire.

I. – Principes et objectifs des premiers entretiens

Au cours de ces premiers entretiens le consultant est d’abord confronté à la nécessité d’une évaluation diagnostique globale, évaluation qui prend en compte des données issues à la fois de la qualité de la relation entre adolescent-consultant ainsi que la dynamique de cette relation à travers les quelques entretiens initiaux, issues également des hypothèses psychopathologiques sur le fonctionnement intrapsychique tel qu’il peut être appréhendé à travers les conduites manifestes et la dynamique relationnelle, issues enfin de l’analyse des interactions familiales et sociales. À partir de ces données, le clinicien évalue dans l’après-coup de l’entretien, ce qui reste de ses préoccupations essentielles : diagnostique, pronostique et thérapeutique.

1 » La qualité de la relation avec l’adolescent et sa famille : le problème du diagnostic. – La préoccupation diagnostique a mauvaise presse, on ne cesse d’en dénoncer les écueils. Il est vrai que l’adolescence, par sa mouvance, son incertitude évolutive, le caractère volontiers bruyant et dérangeant de certaines manifestations banales, est une des périodes de la vie où l’établissement d’un diagnostic psychiatrique précis devient aléatoire. En outre formuler un diagnostic qui implique des contre-attitudes souvent très lourdes comme cela s’observait dans le cas de la « schizophrénie simple débutante » ou encore actuellement de la « psychopathie » risque de figer le processus évolutif de l’adolescence et au pire d’induire chez l’adolescent des contre-identifications négatives correspondant à ce diagnostic psychiatrique et venant fallacieusement le confirmer a posteriori. On peut résumer ainsi les écueils et les risques d’un diagnostic psychiatrique à l’adolescence :

— difficultés à faire coïncider une phase mouvante et évolutive de la vie et un cadre nosographique fixé, délimité beaucoup plus en fonction de la pathologie mentale de l’adulte ou à la rigueur de l’enfant que de l’adolescent lui-même ;

— risque d’attribuer à une conduite bruyante, inquiétante ou gênante pour l’entourage (famille, société) le pouvoir de rendre compte de l’ensemble du fonctionnement mental : une prise de drogue aboutissant au diagnostic de toxicomanie, un larcin à celui de délinquance, une aventure homosexuelle à celui de perversité, etc.;

— risque d’écran et d’ancrage opéré par le diagnostic posé et les contre-attitudes qu’il suscite, aussi bien chez l’adolescent que dans son environnement familial ou social ;

— fluctuations fréquentes des niveaux de fonctionnement psychique de l’adolescent, fluctuations qui dépendent en partie du moment et des circonstances ponctuelles où intervient l’entretien.

Néanmoins l’absence de toute démarche diagnostique comporte aussi des dangers propres. D’un côté on peut renoncer à toute tentative de synthèse des données et se contenter d’attitudes spontanées plus ou moins réfléchies : ceci aboutit à délaisser toute élaboration théorique, mais surtout tout projet thérapeutique. On se laisse alors porter par les événements. L’adolescent qui est précisément à la recherche de son identité et de ses limites ne pourra qu’être entraîné dans des conduites de plus en plus pathologiques face à cette absence totale de repère. D’un autre côté une conséquence fréquente consécutive à ce refus de toute démarche diagnostique est le recours à des catégories qui ne se désignent pas comme telles, non reconnues explicitement parce qu’elles restent sous la forme de notations impressionnistes, de références à l’expérience antérieure du consultant ou de l’institution (tel adolescent ressemble à tel ancien, celui-ci à l’air de…). Il s’agit alors d’une classification diagnostique empirique non reconnue, et totalement dépendante de la subjectivité individuelle.

L’analyse psychopathologique des conduites de l’adolescent nous paraît donc nécessaire, mais un second écueil dénoncé par Widlôcher (1978) consiste à distinguer artificiellement deux types de conduite, les unes qui seraient du registre du compréhensible, du vécu, en un mot du normal, les autres du registre de l’incompréhensible, du symptôme, en un mot du pathologique (voir à ce sujet la discussion sur le normal et le pathologique, p. 53). Ce n’est pas dans le repérage et l’étiquetage d’une série de symptômes que la démarche diagnostique sera fructueuse chez l’adolescent. En effet, à cet âge, il n’est pas de conduite qui puisse un jour, au moins une fois, advenir sans nécessairement traduire une organisation psychopathologique fixée. Plus que le repérage des conduites symptômes, le clinicien devra tenter d’analyser le fonctionnement psychique du patient, mais aussi de relier ce fonctionnement aux interactions familiales auxquelles cet adolescent participe.

a) L’analyse de la psychopathologie individuelle. – Compte tenu des remarques précédentes, le repérage des conduites doit prendre en compte des données à la fois diachronique et synchronique. Au plan diachronique, il importe d’évaluer dans quelle mesure la conduite de l’adolescent apparaît en rupture par rapport au passé de celui-ci, ou au contraire semble traduire une continuité soit symptomatique, soit structurelle avec l’enfance : l’existence d’un lien évident avec la symptomatologie de la petite enfance traduit en général une organisation plutôt fixée. Au plan synchronique, l’analyse en terme économique et dynamique de cette conduite est essentielle : quelle entrave à l’ensemble du fonctionnement psychique, quelle désorganisation dans le champ social provoque-t-elle ? Existe-t-il des investissements non conflictuels préservés ? Quelle est la part non pathologique de la personnalité ? Quels sont les mécanismes de défense prévalents ? Ces derniers permettent-ils une adaptation encore satisfaisante ou au contraire accentuent-ils la désadaptation à la réalité externe ?

Parfois un bilan psychologique peut être proposé, bilan dont l’intérêt consiste non seulement en une évaluation du fonctionnement psychique, mais aussi en une rencontre médiatisée par un matériel, celui du test, avec une personne dont l’intérêt se concentre sur le monde interne de l’adolescent. Toutefois le moment et les conditions où l’on propose ce bilan doivent être soigneusement pesés pour que clinicien et adolescent en tirent le maximum de profit : les données propres au bilan psychologique sont regroupées dans un paragraphe ultérieur (cf. p. 66).

b) L’évaluation des interactions familiales et sociales. – Individu vulnérable et sensible, l’adolescent dépend à l’extrême de son environnement. L’évaluation doit en tenir compte. Nous estimons que la rencontre entre le consultant et les parents représente un temps essentiel de cette évaluation. La qualité et le type des interactions familiales permettent de préjuger des possibilités qu’a l’adolescent de se constituer en tant que personne, avec ses limites propres, son histoire familiale et son projet existentiel. Là encore le repérage est double, à la fois synchronique et diachronique. L’évaluation syn'chronique consiste à appréhender le type actuel d’interaction entre l’adolescent et ses parents : la « crise » de l’adolescent entre-t-elle en correspondance avec une « crise du milieu de la vie » chez les parents ou encore avec une « crise parentale » ? (voir le chapitre L’adolescent et sa famille, p. 343). Observe-t-on des mécanismes pathologiques entravant le processus d’autonomisation de l’adolescent tel que des attitudes projectives répétées… ? L’évaluation diachronique consiste à reprendre l’histoire de l’adolescent et son inscription dans ce qu’on appelle le « mythe familial ». Une attention particulière sera portée au premier développement de l’enfant et aux premières difficultés qui ont pu apparaître. En outre, la personnalité et les images des grands-parents de l’adolescent, la nature des relations que ce dernier a établies avec ceux-ci représentent souvent un bon indice de la manière dont l’adolescent cherche à s’inscrire dans l’histoire réelle ou mythique de sa famille.

Le consultant pourra aussi prendre en considération la qualité du proche environnement social. À l’adolescence en effet, en raison de cette vulnérabilité déjà évoquée, il existe selon nous, un renversement de la mise en perspective de la psychopathologie individuelle et de la qualité du contexte environnemental. En effet dans l’enfance, face à une symptomatologie précise, la constatation de graves carences dans l’environnement représente un facteur minoratif d’évaluation de la pathologie. En revanche à l’adolescence, face à une symptomatologie précise, la constatation d’une désorganisation dans l’environnement constitue un facteur péjoratif de l’évaluation du pathologique. L’absence de cadre, de limite cohérente ne pourra que favoriser puis amplifier l’apparition de conduite de rupture.

2° La préoccupation pronostique. – Le second objectif de ces entretiens d’évaluation est pronostique. Deux séries de facteurs permettent d’étayer quelques hypothèses, bien que le pronostic soit toujours difficile et aléatoire.

Au plan de l’individu, l’évaluation de la fluidité des conduites ou au contraire de leur permanence à travers le temps et surtout de leur répétition est essentielle. La répétition d’une conduite, en particulier une conduite de rupture (prise de drogue, fugue, passage à l’acte…) signe toujours un processus pathologique débutant, traduit la tendance de l’adolescent à ne pas reconnaître en lui les conflits et à les projeter sur l’entourage, par conséquent accentue son incapacité croissante à élaborer et surmonter ses conflits.

Un autre facteur important du pronostic est représenté par la capacité de l’adolescent à s’intéresser à son monde psychique interne, à prendre conscience mais surtout à accepter de prendre conscience de l’origine intrapsychique des difficultés présentes, à développer une certaine sollicitude face à ses conflits internes. La confrontation de l’adolescent à ces conflits intrapsychiques et la réaction qui en résulte permettent d’apprécier dans quelle mesure un travail psychothérapique est possible.

Au plan familial, la possibilité de réaménagement relationnel constitue un élément important du pronostic. Très concrètement la capacité qu’ont les parents à se mobiliser pour aider leur adolescent (en particulier en acceptant les entretiens proposés) est un bon indice. Dans un registre moins concret, la possibilité qu’ont les parents de prendre quelques distances par rapport à l’actualité du conflit avec leur adolescent, leur possibilité de faire retour sur leur propre adolescence, de maintenir par-delà l’opposition actuelle un contact emphatique avec leur enfant, doivent être prises en compte. Les manifestations bruyantes représentent souvent pour l’adolescent un moyen plus ou moins conscient de tester ses limites propres, mais aussi de tester l’intérêt que peut avoir son entourage, surtout ses parents, à l’égard de son monde intrapsychique. Son apparente et fréquente opposition à une consultation médico-psychologique en même temps que son acceptation assez facile dès que ses parents insistent, illustrent ce double mouvement à la fois d’opposition et de quête de leur intérêt.

Aussi bien par rapport à l’adolescent que par rapport à sa famille, la manière dont le consultant est investi, les modifications secondaires, soit à ses conseils, soit plus directement aux interprétations d’essai qu’il a pu proposer, le travail intrapsychique effectué par l’adolescent d’une consultation à l’autre, tous ces éléments sont des indices précieux à la fois pour le pronostic et pour la motivation à engager, puis à suivre une thérapie ; mais nous rejoignons là le troisième axe de ces entretiens d’évaluation.

3° Les bases de l’approche thérapeutique. – Le but de ces deux à trois entretiens d’évaluation est de déboucher sur une proposition thérapeutique. Toutefois, dans un nombre important de cas, ces entretiens auront eu par eux-mêmes une valeur thérapeutique et auront permis une élaboration intrapsychique et/ou un réaménagement relationnel intrafamilial. Ces consultations thérapeutiques telles que les a définies Winnicot, sont possibles dans la mesure où comme cet auteur l’a précisé :

— il existe une profonde motivation parentale ;

— le symptôme présent n’est pas surdéterminé (plusieurs problèmes ou conflits sont représentés par cette conduite).

Dans la majorité des cas cependant, la mise en place d’un cadre thérapeutique est nécessaire. L’abord thérapeutique et les diverses stratégies possibles sont traités dans la cinquième partie de cet ouvrage (cf. p. 433).

II. – Les premiers entretiens : conseils pratiques

Après un bref aperçu des principes et objectifs sous-tendant la conduite de ces deux à trois entretiens d’évaluation, nous donnerons ici quelques recommandations pratiques. En aucun cas celles-ci ne doivent être comprises comme des recettes ou comme des règles intangibles : il s’agit de propositions vers lesquelles il nous a paru utile de tendre tout en laissant au clinicien la liberté de manœuvre, la possibilité souvent utile d’une surprise, la spontanéité indispensable. Nous aborderons brièvement deux points : 1) les relations entre le clinicien, l’adolescent et sa famille ; 2) la séquence de ces deux à trois entretiens.

1 » Les relations consultant-adolescent-parents. – Pour le consultant la particularité de son travail avec l’adolescent est que, d’un côté il établit avec celui-ci une relation assez proche de celle qu’il peut avoir avec un adulte, tandis que d’un autre côté, les relations nécessaires avec les parents rapprochent beaucoup la dynamique des consultations de la pratique de psychiatre d’enfants. En effet, dans l’immense majorité des cas, la rencontre entre le consultant et les parents est nécessaire, mais le moment de cette rencontre doit être soigneusement délimité.

Dans un centre de consultations externes pour adolescents (Genève), Ladame avance le pourcentage suivant de premiers contacts : dans 20 % des cas le contact est pris par l’adolescent seul, dans 37 % des cas par les parents, dans 22 % des cas par un médecin, un travailleur social ; dans 6 % des cas par l’école ou l’employeur (selon l’auteur le faible pourcentage des cas signalés par l’école tient probablement au fait que l’école possède son propre service social et psychologique).

Quel que soit le mode de contact initial, nous préconisons la démarche suivante : le premier entretien a lieu avec l’adolescent seul, surtout s’il s’agit d’un grand adolescent (plus de 16 ans). En pratique, deux problèmes se posent dans quelques cas : 1) parfois les parents occupent trop aisément le devant de la scène et ont tendance à anticiper sur la parole de leur adolescent ; 2) parfois l’adolescent refuse que le consultant rencontre ses parents ou refuse d’être présent à l’entretien avec ses parents.

Il nous paraît préférable d’éviter une rencontre préalable avec les parents. Dans quelques cas les parents, ou parfois l’un d’eux, tiennent absolument à rencontrer préalablement le consultant. Chaque fois il nous a semblé que l’adulte cherchait d’emblée à inclure ce nouvel adulte dans sa propre zone de contrôle, que cette manœuvre avait tendance à rejeter l’adolescent dans le champ du pathologique en créant une coalition parents-consultant. Alors qu’en général, avec un enfant de moins de 12-13 ans, nous écoutons volontiers les parents d’abord en présence de leur enfant, à partir de 13-14 ans, il nous paraît souhaitable d’entendre d’abord l’adolescent. À noter que certains adolescents très perturbés ou qui maintiennent avec leurs parents un lien de dépendance agressif et parfois même haineux, cherchent à tout faire pour venir à la consultation sans y être vraiment, par exemple en étant ivres ou en ne se présentent pas au rendez-vous prévu dans la salle d’attente, ou assommés de médicaments : ils se dérobent alors par des phrases : « demandez à mes parents, ils vous expliqueront mieux que moi…; je suis fatigué, ils vont vous raconter, etc. ». De telles manœuvres vont dans le sens d’une accentuation de la passivité de l’adolescent, passivité dont il se servira ensuite face au consultant en évitant toute implication personnelle, et en renvoyant au discours parental.

À l’opposé, il est des adolescents, en particulier après 16 ans, qui refusent l’éventualité d’un entretien parents-consultant. Cela advient rarement, mais dans notre pratique, cette attitude témoignait en général d’interactions plutôt pathologiques et très stéréotypées entre parents et adolescents, ou encore s’observait quand l’un des parents présentait une déviance manifeste : maladie mentale, alcoolisme grave, débilité, etc. Par ce refus l’adolescent cherche soit à protéger l’image de ses parents, soit à masquer l’aspect pathologique de la relation. Dans les deux cas la réalité est pour l’adolescent une source de gêne, de honte narcissique ; ce dernier cherche à travers la relation avec le consultant une image parentale substitutive, idéalisée, qu’il craint de voir « contaminer » si ce consultant rencontre les parents réels ou encore de se sentir lui-même dévalorisé à travers la dévalorisation profonde qu’il porte à ses parents, et qu’il attribue aussi de façon projective au consultant.

Dans tous les cas, au cours de ces entretiens d’évaluation, il nous semble utile que le consultant marque sa volonté de rencontrer les parents, même si l’adolescent y est hostile. Il peut toutefois temporiser, mais après avoir clarifié avec celui-ci les motifs possibles de ce refus.

Le plus souvent l’adolescent accepte et semble même satisfait que le consultant propose un entretien avec les parents. Là encore, après l’avoir assuré du secret des informations échangées entre adolescent et consultant, il nous paraît souhaitable que le consultant ne rencontre les parents qu’en présence de l’adolescent. Lorsqu’il existe à l’évidence des problèmes graves chez l’un des parents ou une pathologie du couple évidente, le consultant devra choisir dans sa stratégie d’approche thérapeutique l’axe qu’il doit privilégier, en sachant qu’il ne pourra pas tout faire : être le thérapeute de l’adolescent, de l’un des parents, du couple parental et des interactions familiales, etc.

Lorsqu’il s’agit d’un problème complexe où se trouvent intriqués une psychopathologie inquiétante chez l’adolescent, des difficultés psychiques anciennes chez l’un des parents, un conflit latent, larvé, mais ancien dans le couple, des interactions familiales perturbées…, le consultant doit savoir qu’il a très peu de possibilité de se placer en thérapeute potentiel de l’un ou l’autre des membres de la famille. Le plus souvent, surtout s’il s’agit d’un premier contact psychiatrique, les risques de rupture sont grands, aussi bien chez l’adolescent que chez les parents. La préoccupation première du consultant nous paraît résider alors dans le souci de mettre en place des axes thérapeutiques ultérieurs avec d’autres thérapeutes : psychothérapie de l’adolescent, thérapie familiale, psychothérapie d’un parent, hospitalisation, placement en internat thérapeutique.

Cependant, lorsqu’on est confronté à l’habituelle situation de conflit aigu sans qu’une pathologie précise ne soit déjà figée, les entretiens d’évaluation avec les parents et l’adolescent fournissent à la fois des éléments d’informations synchroniques actuels et diachroniques historiques.

2° La séquence des entretiens d’évaluation. – Nous serons très bref, car bien évidemment la diversité est extrême d’une famille à l’autre. Avant d’avancer des propositions thérapeutiques, sauf cas d’urgence et d’évidence diagnostique (tel par exemple qu’un épisode psychotique aigu), deux à trois entretiens nous semblent nécessaires.

La dynamique du premier entretien est dominée par la nature du contact avec l’adolescent, et lorsque les parents sont présents, par l’évaluation du type d’interactions familiales. Très souvent cet entretien est pris dans l’actualité des conduites de l’adolescent, dans la pression exercée par le conflit entre les parents et leur enfant, par un certain climat d’urgence.

Les entretiens ultérieurs permettront une évaluation des capacités de mobilisation de l’adolescent lui-même et de sa famille, et une attention dans un climat de moindre urgence sur la petite enfance de l’adolescent, sur l’adolescence des parents, sur les relations avec les grands-parents, sur le mythe familial enfin… Tous ces éléments participent comme on l’a vu à l’établissement du diagnostic, mais aussi du pronostic ; en outre, le récit qu’en font parents et adolescent peut avoir une valeur thérapeutique quand il permet de révéler ou de retrouver la signification d’une conduite particulière, une identification redoutée ou espérée à un membre défunt ou caché de la famille, de rétablir une compréhension empathique entre l’adolescent et ses parents quand ces derniers évoquent leurs propres difficultés avec leurs parents (grands-parents de l’adolescent), etc.

Au terme de ces entretiens, s’il apparaît que l’adolescent présente des conduites témoins d’une organisation psychopathologique qui a toutes les chances d’entraver le déroulement normal du processus de l’adolescence, il est utile que le consultant fasse clairement part à l’adolescent lui-même et à ses parents, de la gravité de son évaluation et du traitement qui lui paraît nécessaire. Le mérite du point de vue génétique dans la compréhension de l’adolescence (l’adolescence comme processus de développement et plus précisément comme seconde phase de séparation-individuation) nous paraît être précisément d’avoir focalisé l’attention sur le devenir à l’âge adulte des conduites actuelles et leur potentiel d’entrave d’un tel développement. Ceci s’oppose au point de vue dynamique où le risque est de banaliser les manifestations en en faisant le simple témoin de la « crise d’adolescence » avec pour conséquence, « d’attendre et voir venir ». Laufer, qui adopte le premier point de vue, est très explicite lorsqu’il déclare « j’exige d’eux (les parents et l’adolescent) qu’ils réalisent une partie du déni de la gravité du problème qui peut avoir duré pendant un long moment avant le traitement, et peut-être avant que la pathologie ne soit reconnue ». Cette sorte de dramatisation du problème permet, selon l’auteur cité, la mise en place du cadre thérapeutique, favorise la mobilisation et la motivation au traitement de l’adolescent et de sa famille, et permet la poursuite de ce traitement, ce qui, in fine, constitue l’un des objectifs essentiels de ces entretiens d’évaluation.

III. – Le bilan psychologique à l’adolescence 3

Souvent mis au même rang que des techniques d’exploration en laboratoire, l’examen psychologique est assimilé par certains praticiens à un examen complémentaire permettant de cerner objectivement le fonctionnement psychique d’un individu à la fois dans ses dimensions intellectuelles, instrumentales, et affectives ; ce serait réduire l’examen psychologique à l’application d’un ensemble de techniques (les tests) ; ce serait oublier l’importance du cadre relationnel dans lequel cet examen se déroule et celui dans lequel cet examen est prescrit ou, préférerions-nous dire, proposé à l’adolescent.

En effet, la proposition d’un examen psychologique doit passer par l’acceptation du sujet et certaines conditions d’application ; ce qui pose souvent quelques problèmes pratiques au clinicien qui s’occupe d’adolescents.

1° Les difficultés de l’examen psychologique à l’adolescence : comment les résoudre ? – Les praticiens appréhendent souvent la rencontre avec un adolescent parce qu’ils ont en tête une sorte de portrait-robot d’un adolescent tantôt réticent, tantôt inhibé, ayant souvent du mal à traduire verbalement un malaise qu’il exprime plutôt dans de multiples passages à l’acte plus ou moins spectaculaires ou violents.

Nombre de praticiens, qu’ils soient médecins ou psychologues, redoutent donc de proposer à l’adolescent un examen psychologique que celui-ci risquerait de vivre comme une attaque en règle menaçant le précaire échafaudage que constituent par exemple les réactions de prestance ou l’inhibition.

Pourtant, il semble possible d’aménager la présentation de l’examen psychologique pour que l’adolescent ne le ressente pas comme une attaque intrusive.

a) Proposer un bilan psychologique. – Actuellement, la plupart des psychologues praticiens auprès d’adolescents souhaitent parler de bilan psychologique plutôt que d’examen psychologique. Le mot bilan implique l’évaluation d’une situation actuelle, avec la mise en évidence d’un passif, mais aussi d’un actif. Ceci engage la passation des tests dans une toute autre dimension que l’intraitable mise à l’épreuve des capacités. Ceci ouvre déjà la perspective d’une possibilité de changement par rapport à la situation de crise qui a souvent déclenché les premières consultations. Si le clinicien présente ainsi les objectifs du bilan psychologique, l’adolescent se sentira davantage invité à participer plutôt qu’obligé de subir un examen avec tout ce que cela sous-entend de performances à accomplir et d’intrusions dans son monde intérieur à supporter ; en proposant à l’adolescent de participer activement à un bilan de sa situation actuelle, le psychologue se dégage lui-même d’une image d’examinateur investi de qualités toutes bonnes ou toutes mauvaises, manipulant des outils dont la toute-puissance mythique lui permettrait à tout coup d’accéder à ce qui aurait été inaccessible au clinicien qui demande le bilan psychologique au terme d’un ou plusieurs entretiens préalables. Le psychologue et le clinicien donneront donc à l’adolescent une chance importante de bien investir le bilan psychologique en n’en négligeant pas la présentation. Le psychologue a une autre tâche à accomplir.

b) Comprendre la dynamique relationnelle dans laquelle la demande d’examen psychologique surgit. – S’il est nécessaire au psychologue de bien évaluer les charges affectives inhérentes à la situation dans laquelle il rencontre l’adolescent, il lui est également nécessaire de prendre conscience de l’enjeu que ce bilan représente pour tous ceux qui en attendent anxieusement les résultats. L’adolescent est, dans ce moment du bilan, objet de multiples inquiétudes. Le clinicien réclame parfois l’intervention du psychologue parce qu’il est confronté à un problème diagnostique. Les parents adhèrent facilement à la proposition d’examen psychologique parce qu’ils souhaitent être rassurés sur la normalité de leur enfant. La précipitation des adultes à conseiller à l’adolescent le bilan psychologique risque donc d’accroître le propre désarroi de l’adolescent face à sa vie intérieure, désarroi contre lequel il lutte soit par le déni de sa souffrance, soit par une quête anxieuse de celui qui le rassurera aussi sur sa normalité.

Le psychologue incarne pour l’adolescent le représentant de tous les adultes inquiets à son sujet ; il risque donc de recueillir toutes les conséquences de ces substitutions, soit par l’exacerbation des défenses, soit par une exagération plus ou moins inconsciente de la part de l’adolescent de la morbidité des thèmes exprimés. L’interprétation des protocoles recueillis dans de telles circonstances doit tenir compte de cette dynamique compliquée. L’adolescent peut être conduit à se montrer encore plus « fou » que les adultes ou lui-même craignent qu’il soit.

La décision du bilan psychologique doit obéir à une réflexion commune de la part du clinicien et du psychologue plutôt qu’à une impulsion prise dans l’inquiétude.

c) Importance du moment où le bilan psychologique est proposé à l’adolescent. – La décision du moment où proposer le bilan psychologique est cruciale. Le psychologue doit se dégager de toute notion d’urgence qui ne ferait qu’accentuer les difficultés de l’examen et concourir à la dramatisation d’un climat général souvent suffisamment tendu. Son intervention ne s’avérera fructueuse que dans un moment où l’adolescent semble prêt à commencer à s’interroger sur lui-même, après avoir un peu mis à distance ceux qui ont fait pression pour qu’il consulte ou soit pris en charge. L’intervention du psychologue est assez différente en consultation et en hospitalisation.

1) En consultation. – Il est rare que l’adolescent demande lui-même à consulter ; il est souvent amené en consultation par ses parents ou bien ceux-ci sont eux-mêmes conseillés par un tiers (pédagogue, médecin scolaire, médecin généraliste, intervenant social…). Il est donc rare que l’adolescent soit d’emblée mobilisable pour participer à un bilan psychologique. Un « examen » psychologique imposé systématiquement dès la première consultation ne sera jamais aussi fructueux que le bilan proposé après quelques entretiens. Il faut laisser à l’adolescent la possibilité de s’individualiser sans réticence ni inhibition par rapport aux consultations ; dès lors clinicien et adolescent envisageront le bilan psychologique comme le moyen de s’apporter mutuellement des informations nouvelles. La perspective du bilan psychologique doit toujours s’inscrire dans une possibilité d’ouverture ou de changement et ne pas seulement se résumer à une contribution diagnostique dont les termes pronostiques souvent associés, sont trop figeants pour une telle période de mouvance.

2) En hospitalisation. – Le bilan psychologique pratiqué au cours d’une hospitalisation et qui aurait pour seul objectif d’établir un diagnostic achopperait sur les mêmes limites que le bilan systématique en consultation. L’hospitalisation et la maladie l’ayant nécessité représentent pour l’adolescent une expérience douloureuse à laquelle il serait inutile d’ajouter l’épreuve d’une investigation psychologique à seule fin diagnostique.

Le bilan psychologique sera proposé à l’adolescent plutôt en fin d’hospitalisation, comme l’occasion manifeste d’y faire la démonstration de son rétablissement après les bouleversements vécus lors de cette crise aiguë. L’évaluation du résultat des remaniements de l’équilibre psychologique de l’adolescent constitue d’ailleurs la partie la plus intéressante de l’analyse des données recueillies par le psychologue. Elle peut permettre au clinicien de mieux construire avec l’adolescent l’avenir à court et moyen terme, de l’inciter à envisager un type de prise en charge, par exemple soit institutionnelle, soit psychothérapique.

L’adolescence étant une période de changements incessants, les psychologues s’orientent d’ailleurs de plus en plus vers une interprétation dynamique des données du bilan psychologique, de préférence à une accumulation diagnostique de signes pathognomoniques de structures précises (psychotique, névrotique, pré-psychotique). Le bilan psychologique apparaît de plus en plus comme un moyen d’approche clinique avec des particularités très intéressantes.

2° Intérêts et nature du bilan psychologique à l’adolescence. – Il

n’existe pas de tests réservés aux adolescents : on utilise des tests applicables dès l’enfance moyenne pour les épreuves projectives et des tests psychométriques comportant des échantillons de référence.

a) Sens et nature des tests psychométriques. – L’utilisation de ces tests prend souvent un caractère critiquable lorsque le psychologue se contente d’une mesure du Quotient Intellectuel, sans approche clinique des possibilités de l’adolescent à investir les activités intellectuelles, soit pour ce qu’elles peuvent l’aider à se dégager d’une vie fantasmatique trop intense, soit pour ce qu’elles peuvent lui fournir des moyens de valorisation sociale et narcissique. L’inhibition ou le désinvestissement intellectuel ont souvent des conséquences catastrophiques quant au devenir d’un adolescent appelé rapidement à un choix professionnel et à une insertion sociale. Le psychologue ne peut donc en négliger l’éventuelle participation aux difficultés de l’adolescent en crise.

Les épreuves les plus envisagées sont les tests d’efficience intellectuelle de type Weschler (un même ensemble de sub-tests proposés à tous les âges, mais notés différemment selon l’âge). Il s’agit de la W.A.I.S. (Weschler Adults Intelligence Scale) à partir de 13 ans ou du W.l.S.C.R. (Weschler Intelligence Scale for children – Forme Révisée) jusqu’à 16 ans 1/2.

L’étude des variations de l’efficience (Scatter) aux divers sub-tests fournit des données cliniques intéressantes, notamment sur les décalages qui peuvent se produire entre certaines notes en fonction de troubles instrumentaux persistants à cet âge, de difficultés émotionnelles ou de troubles cognitifs proprement dits.

Les épreuves inspirées des théories piagétiennes comme l’E.P.L. (Echelle de Pensée Logique de Longeot) constituent un complément fructueux à l’examen cognitif dans les cas où ces décalages dans les différents secteurs du fonctionnement intellectuel s’observent (dysharmonie cognitive) et permettent de tester l’homogénéité des niveaux de développement de la pensée logique. Les travaux effectués par B. Gibello et coll. sur des enfants et des adolescents en situation d’échec scolaire ont montré que nombre de ceux-ci raisonnent à des niveaux différents de pensée (stades concret, opératoire, pré-formel ou formel) selon les épreuves qui leur sont proposées (cf. p. 32).

b) Sens et nature des tests projectifs. – Les test projectifs sont utilisés depuis une quarantaine d’années. Il s’agit de proposer au sujet un matériel suffisamment informel pour qu’il y projette sa personnalité selon sa propre manière de percevoir la réalité et d’organiser son expérience émotionnelle face à ce réel. Les psychologues se sont souvent interrogés sur la nature même de ce processus projectif. Pour D. Anzieu, il s’agit d’une œuvre créatrice qui fait appel à la perception, à l’imagination, à l’association d’idées et à l’expression verbale. C’est une œuvre d’expression qui n’est pas totalement libre puisque sollicitée par un matériel pré-existant, mais c’est aussi une expresion dépendante du lien établi entre le psychologue et le sujet. C. Chabert et N. Rausch de Traubenberg y voient l’effet d’une rencontre entre le psychologue et le sujet « médiatisée par l’existence matérielle d’un objet tiers (le matériel du test) » et établissent une parenté entre le fonctionnement sollicité par les épreuves projectives et l’aptitude à jouer (au sens du « playing » de Winnicott). Cette rencontre se développe dans un espace transitionnel entre réel et imaginaire. Pour d’autres psychologues, la situation projective est une situation non de paradoxe, mais de conflit, puisqu’elle invite le sujet à l’expression de soi tout en respectant la réalité. Dans tous les cas, la situation projective est une invitation faite au sujet à construire un aménagement entre réalité et fantasme. Cet aménagement se situe dans la zone de la normalité lorsqu’il s’établit selon une souplesse de fonctionnement mental alliant la réalisation des potentialités intellectuelles, l’expression fantasmatique sans débordement désorganisant l’adaptation au réel et l’intégration sociale, sans répression excessive de la vie affective et sans réduction des capacités créatives.

Les psychologues abordent désormais les réponses proposées par le sujet comme la résultante du compromis entre exigences de la réalité extérieure et exigences intérieures.

C’est dire l’intétêt d’application de ces épreuves en une période comme l’adolescence qui met justement en cause les possibilités de l’adolescent d’établir un équilibre entre sa vie intérieure renouvelée et les exigences sociales, dans un mouvement dialectique entre progression et régression.

Le test de Rorschach est une épreuve invitant à la fois à une activité perceptive créative et à une expression imaginaire personnelle. Ce test est particulièrement sensible à la projection de l’image du corps et à celles des images parentales support d’identification (travaux de N. Rausch de Traubenberg). C’est dire l’intérêt des données recueillies grâce à la passation de ce test sur l’intensité des perturbations et les possibilités de réorganisation de l’image corporelle dans ce temps de remaniement pubertaire. Les protocoles de Rorschach d’adolescents permettent de repérer rapidement les problèmes d’identification sexuelle et leur type. C’est également un outil capable d’aider à détecter un risque suicidaire ainsi qu’un risque d’évolution vers un processus dissociatif chez les adolescents ayant présenté un épisode délirant aigu ou s’enlisant dans l’apragmatisme, la désinsertion scolaire et/ou sociale.

Le T.A.T. (Thematic Aperception Test) est une épreuve thématique qui offre la possibilité de cerner les capacités de l’adolescent à conflictualiser les situations duelles ou triangulaires présentées sur les images du test, à s’en dégager sans trop entamer ses besoins personnels fondamentaux. Cette dynamique relationnelle est perceptible à la lecture des récits proposés par l’adolescent pour chaque image, sans que les mécanismes défensifs nuisent à l’expression de sa problématique personnelle. Les travaux de V. Shentoub visent à une analyse des mécanismes de structuration verbale des récits qui témoignent des capacités d’élaboration mentale ; ils visent aussi à une technique d’évaluation de la résonnance fantasmatique, c’est-à-dire de la possibilité de l’adolescent à « jouer » les niveaux divers de sa vie affective (génitaux et pré-génitaux).

Le test du Village, rarement utilisé, sauf auprès des jeunes délinquants (travaux de M.T. Mazerol) est cependant une épreuve « déréalisante », bien acceptée par les adolescents ; on propose un matériel ludique susceptible de les inciter à la régression, mais aussi à une activité créatrice originale (construire un village à son idée). Les travaux de M. Monod ont permis de repérer, à travers l’analyse symbolique de l’espace de construction du village une zone représentative de l’investissement du Moi et de sa cohérence interne.

Malgré l’absence des travaux proposant des données normatives stables pour l’ensemble des tests projectifs à l’adolescence, leur application est d’un grand intérêt clinique. Les épreuves projectives permettent de saisir quelques instants de la mouvance extrême des adolescents et peuvent apporter à l’adolescent lui-même les moyens de se percevoir fugitivement, soit dans ses contradictions, soit dans la permanence de certaines préoccupations.

En revanche l’application des épreuves de type questionnaire comme le M.M.P.I. (Minnesotta Multiphasic Personnality Inventory) se heurte à certaines difficultés. L’adolescent les vit souvent comme des épreuves très fastidieuses. En outre, le M.M.P.I. ne peut pas être proposé avant 16 ans puisqu’il n’a pas été validé pour les jeunes adolescents. D’autre part cette épreuve exige un bon niveau de compréhension verbale, sinon un bon niveau culturel : les questions sont posées fréquemment sous une forme verbale doublement négative, leur traduction de l’américain est parfois trop littérale et l’adolescent se désintéresse vite de questions qui lui paraissent très éloignées de son monde quotidien actuel.

c) Apports du bilan psychologique dans le vécu des adolescents : la médiatisation et l’apport narcissique. – Le matériel des tests médiatise l’expression en ce sens qu’il offre un support aux projections qui ne sont plus vécues par l’adolescent comme le fruit de sa « folie », mais comme celui du matériel lui-même. La parole perd alors souvent de ce caractère persécuteur et angoissant qu’elle suscite parfois chez les adolescents qui préfèrent l’agir. Le matériel autorise l’adolescent à penser et surtout à exprimer sa pensée sans qu’elle soit dangereuse pour ceux à qui elle s’adresse puisque cette pensée est justifiée par l’existence même du matériel.

Enfin le bilan psychologique à l’adolescence peut devenir l’occasion d’une mise à l’épreuve narcissique qui n’aboutit pas forcément à un constat d’échec et d’anormalité. L’adolescent peut au contraire y trouver un moyen de valorisation narcissique et de constitution de soi hors le regard des parents, des éducateurs ou des congénères, pourvu qu’il se sente soutenu plutôt que mis en cause.

Le bilan psychologique se révèle parfois être le levier d’une demande d’aide psychothérapique chez un adolescent intrigué par ses interactions qui deviennent pour lui, dans la confrontation au réel, objet de travail interne.

Conclusion

Il appartient donc au psychologue de se situer dans une relation de confiance avec l’adolescent, de profiter du caractère unique et momentané de cette rencontre pour donner à l’adolescent les moyens de se reconstituer narcissiquement (comme dans un travail de création artistique ou littéraire) face à un ensemble d’épreuves projectives et psychométriques présentées à lui comme moyen d’expression.

Il appartient au clinicien de ne pas demander à l’adolescent la passation d’un bilan psychologique comme il lui prescrirait un examen complémentaire pour l’aider dans son diagnostic. Cette attitude renforcerait l’adolescent dans un vécu purement persécutif des tests.

Psychologues et cliniciens ont ensemble à résister aux pressions anxieuses de ceux qui entourent l’adolescent dans sa vie quotidienne, mais aussi à résister à leur propre désir d’investigation et à leur propre inquiétude sur l’état psychique de l’adolescent afin de mieux différer la décision du bilan jusqu’au moment où l’adolescent pourra y voir une occasion d’ouverture, de changement et de réassurance narcissique au décours d’une crise plus ou moins déstructurante pour lui, le déplacement devant s’opérer de la curiosité du clinicien et du psychologue à celle de l’adolescent à son propre égard.

Bibliographie

Anzieu D. : Les méthodes projectives. P.U.F., Paris, 1965.

Braconnier A. : Hygiène mentale de l’adolescent. Encycl. méd.-chir. : Psychiatrie, 1982, 37960. D 50.

Brusset B. : La démarche diagnostique dans la pathologie de l’adolescent. Rev.

Neuropsychiat. Infant., 1978, 26, 10-11, 559-567.

Chabert C., Rausch de Traubenberg N. : Tests de projection de la personnalité chez l’enfant. Encvcl. méd.-chir. Psychiatrie, 1982, 37190, B 10-2.

Gibello B. : Dysharmonie cognitive. Rev. Neuropsychiat. Infant., 1976, n“9.

Gibello M.L., Gibello B., Sanglade A. : L’examen psychologique de l’enfant : les tests d’intelligence, d’aptitude et de raisonnement. Encycl. méd.-chir. Psychiatrie, 1983, 37180, C 10-2.

Kaplan A.H. : Joint parent-adolescent interviews in the psychotherapy of the younger adolescent. In : Adolescence : psychosocial perspectives (G. Caplan, S. Lebovici, Ed.). Basic Books. New-York, 1969.

Ladame F.G. : Conception et fonctionnement du service de psychiatrie pour adolescents de Genève. Rev. Neuropsychiat. Infant., 1978, 26, 10-11, 571-579.

Laufer M. : Psychopathologie de l’adolescent : quelques principes d’évaluation et de traitement. Adolescence, 1983, 1, 1, 13-28.

Mazerol M.T. : Contribution à l’étude des personnalités délinquantes : Apport du test du Village. Annales de Vaucresson, 1969, n° 8, 1966, n° 4.

Mazet Ph., Braconnier A. : Adolescence et examen de l’adolescent. Encycl. méd.-chir. : Psychiatrie, 1979, 37102, E 10.

Monod M. : Le test du Village : Technique projective non verbale. Manuel d’Application. Delachaux et Niestlé, Neuchâtel, 1970.

Rausch de Traubenberg (en collaboration avec M.F. Boizon et C. Chabert) : Représentation de Soi. Identité. Identification au Rorschach chez l’enfant et l’adulte. Psychologie Française, 1978-1979, XXXII, n“3 à 7.

Shentoub V. : T.A.T. Test de Créativité. Psychologie Française, 1981, 26, n° 1.

Shentoub V., Debray R. : Fondements théoriques du processus T.A.T. Bull. Psychol., 1970-1971, 24, n 292.

Widlocher D. : La question du normal et du pathologique à l’adolescence. Rev. Neuropsychiat. Infant., 1978, 26, 10-11, 533-537.