Chapitre II – Les perspectives psychanalytiques

Pour comprendre les écrits psychanalytiques, il est utile de savoir que, dans l’étude des « phénomènes mentaux », Freud s’est placé à divers points de vue ; selon lui, la description la plus complète est la métapsychologie, parce qu’elle se place à la fois au point de vue dynamique, au point de vue économique et au point de vue structural.

Selon le point de vue dynamique, la psychanalyse ne se contente pas de décrire les phénomènes mentaux ; elle les explique par des interactions et des oppositions de forces, autrement dit en termes de conflit ; par exemple, du fait d’une humiliation, une personne ressent un mouvement de colère ; elle le retient par crainte d’une contre-agression ; cette rétention modifie l’état de l’organisme et ses relations avec l’entourage. Schématiquement, les forces en présence dans le conflit sont les pulsions d’origine biologique (pulsions sexuelles, pulsions agressives), et des contre-pulsions d’origine sociale.

Le point de vue économique met l’accent sur l’aspect quantitatif des forces en présence dans le conflit. Par exemple, l’individu peut avoir, de naissance, une agressivité ou une sexualité plus ou moins puissante ; l’énergie pulsionnelle est modifiée à certaines époques critiques (puberté, ménopause). La force relative des pulsions et des contre-pulsions est décisive dans l’évolution du conflit. Cette énergie peut se déplacer ; pour reprendre l’exemple de la colère, l’agressivité bloquée en face d’un adversaire plus fort peut être libérée dans une autre situation, avec un partenaire moins redoutable. Les possibilités de mesure sont limitées pour la psychanalyse, discipline essentiellement clinique ; c’est un domaine où elle est avantageusement complétée par l’expérimentation sur l’animal (mesure des tendances, étude expérimentale du conflit).

Le point de vue topique ou structural met en cause la structure de l’appareil psychique. On a vu que Freud avait substitué à l’opposition du Préconscient et de l’Inconscient la distinction de trois systèmes, le Ça, le Surmoi, le Moi, qui interviennent de diverses façons dans le conflit. Ces « instances de la personnalité » se distinguent également par leur force relative et par leurs origines.

La combinaison des perspectives dynamique, économique et structurale ne donne pas encore une idée très claire de ce que Freud entend par métapsychologie. L’analogie du terme avec « métaphysique » et « métapsychique » risque d’égarer. Les travaux publiés sous la rubrique « métapsychologie » sont assez variés : principes du fonctionnement mental, refoulement, inconscient, narcissisme, transformation des pulsions, théorie des rêves, théorie de la mélancolie. On ne peut se faire une idée qu’en opposant la métapsychologie à une psychanalyse clinique, définie par une collection ordonnée d’histoires de cas et de leur interprétation. Au contraire, c’est à quelque distance des faits que la métapsychologie s’élabore comme une conceptualisation théorique qui raisonne sur des modèles en visant à l’explication causale et à la formation d’hypothèses, dans un esprit généralement naturaliste c’est en somme une psychanalyse générale.

Freud comprend avec le point de vue dynamique, le point de vue génétique. Hartmann et Kris ont proposé à l’en distinguer (1946). Le point de vue génétique explique les traits personnels et les modes de conduite en termes de développement ; Freud a décrit de bonne heure des stades du développement des pulsions et des relations avec l’objet ; une conduite, un trait personnel, un symptôme peuvent toujours être caractérisés en termes de progression ou de régression. La psychopathologie analytique a cherché à rattacher les névroses et les psychoses à des points de fixation prédominants, par exemple la névrose obsessionnelle à une fixation sadique anale, la mélancolie à une fixation orale.

Une autre perspective a pris une importance croissante depuis vingt-cinq ans, celle des « relations d’objet ». Ce terme ne désigne pas autre chose que les divers modes de relation d’un sujet avec les objets. Les objets ne sont pas seulement les choses, mais les personnes. Les relations d’objet comprennent ainsi toute la gamme des relations avec autrui. Les identifications à autrui jouent un rôle capital dans la structuration de l’appareil psychique. Ainsi, à côté des objets externes, les vues psychanalytiques courantes font jouer un grand rôle aux objets « intériorisés ».