Régis, Emmanuel (1855-1918)La folie à deux ou folie simultanée3PT9M6SJB. Baillière
Paris 1880
Lauréat de l’École de médecine de Toulouse,
Ancien externe des hôpitaux de Paris,
Lauréat de la Société médico-psychologique,
(Prix Esquirol 1879, prix des Annales médico-psychologiques 1880), Ancien interné de l’Asile de Ville-Evrard,
Interne de la clinique de pathologie mentale et des maladies de l’encéphale,
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Conclusions
103
0
101
Régis Emmanuel
La folie à deux ou folie simultanée
Avec observations recueillies a la clinique de pathologie mentale (Asile Sainte-Anne)
Table des matières
Table des matières
I. Cas où un aliéné fait partager ses conceptions délirantes à une ou plusieurs personnes de son entourage, sans que celles-ci puissent être considérées comme réellement atteintes de folie10
Observations. Première série21
Observation I (1)21
Observation II (1)22
Observation III (1)23
Observation IV (personnelle).26
Observation V (1)28
Observation VI (personnelle)30
Observation VII (t)32
Observation VIII (personnelle)34
II. Folie a deux36
1° Différences intellectuelles entre les deux sujets38
2° Existence d’un actif et d’un passif le premier, primitivement aliéné, communiquant à la longue son délire au second40
3° Intensité variable du délire, toujours plus marqué chez l’actif que chez le passif43
4° Guérison plus ou moins rapide de l’aliéné passif lorsqu’il se trouve soustrait à l’influence de son congénère44
Observations. Deuxième série57
Observation I (personnelle)57
Observation II (personnelle)66
Observation III (personnelle)73
Observation IV (personnelle)81
Observation V (personnelle)92
Conclusions101
Avant d’abdrder Fétude de lafolie à deux, îl nous paraît nécessaire d’en bien préciser la nature et de la séparer nettement des particularités morbides qui peuvent avoir avec elle une certaine analogie.
Ce n’est point la contagiosité de la folie en général et à plus forte raison la contagiosité des grandes névroses que nous nous proposons de discuter dans ce travail ; notre but est plus modeste, et notre sujet, s’il se rattache incontestablement à cette question capitale de doctrine, forme réellement un chapitre à part, ayant droit à une description spéciale.
Qu’un enfant devienne choréique ou épileptique au contact d’individus atteints de chorée ou de haut mal ; qu’un cas d’hystérie convulsive, de démonopathie, de folie religieuse, etc., survenu chez une femme, s’étende et se propage de proche en proche au personnel de tout un couvent ou même à l’élément féminin de toute une contrée ; que l’impulsion au suicide et à l’homicide se transmette d’individus à individus soit par voie héréditaire, soit par imitation, lectures ou simple audition d’un récit ; que des
cas multiples et dissemblables de folie se manifestent à intervalles très rapprochés chez plusieurs membres d’une même famille : enfin que, chez un être prédisposé, le germe de l’aliénation, jusqu’alors latent, éclate et se développe dans un milieu çt aliénés, sous T influencé de ce contact, en affectant un type morbide quelconque, peu nous importe ici : ce n’est point là de la folie à deux.
La Folie à deux est constituée par un délire similaire ; absolument identique, ou plutôt le même délire s’observant à la fois chez deux sujets vivant dans un contact intime et prolongé.
Ceci n’est poit une définition. C’est une simple explication permettant de bien délimiter la folie à deux* La vém table définition trouvera mieux sa place à la fin de ce travail. '
L’histoire de la folie à deux n’est ni longue ni bien ancienne ; elle peut se résumer en deux mots.
Quelques auteurs, parmi lesquels M. Moreau de Tours(i), et M. Dagron (2), avaient publié quelques rares exemples de délire similaire chez deux individus sans attacher d’importance à ces faits et sans en tirer aucune déduction.
Dans sa thèse inaugurale parue en 1868 (3), M. le Ï)T Maret signale le premier en passant le « délire en partie double, délire de persécution qu’on rencontre chez des époux ayant longtemps vécu ensemble dans les mêmes tourments de l’esprit. > ':'V, :
(1) La Psychologie morbide, p. t72.
(2) Archives cUnioues des maladies mentales et nerveuses, t. ï« q p. 29.
(3) Du délire dé$ persêcutrons, par le D* Maret. (Thèse de Paris, 1868.)
Mais 'a question n’a été réellement étudiée qu’en 1873, par MM, Lasègue et Faire !(1), et M. Legrand du Saulle(2), qui la traitèrent presque simultanément, et, les premiers, désignèrentsous le nom à&Folie à deux cette folie en partie double, qu’ils considérèrent comme le résultat de la communication du délire d’un aliéné à un individu sain d’esprit.
Leurs idées furent admises sans conteste. MM. Baülar-ger et Lunier seuls crurent devoir faire certaines réserves. Depuis, quelques courtes pages (3) ont été ajoutées aux. travaux des premiers auteurs, mais elles n’en sont pour ainsi dire que le reflet, et la plupart des aliénistes considèrent encore aujourd’hui comme acquises, les conclusions de MM. Lasègue et Falret sur la folie à deux.
Reproduire ces conclusions avec les réserves qu’elles provoquèrent, c’est donc exposer à la fois et l’historique et l’état actuel de la question. Les voici dans toute leur intégrité ; elles nous permettront ^de marcher plus à l’aise et d’aborder plus franchement notre sujet.
CONCLUSIONS DE MM. LASEGUE ET FALtlET,
4° Dans les conditions ordinaires, la contagion de la folie n’a pas lieu d’un aliéné à un individu sain d’esprit, de même que la contagion des idées délirantes est très rare d’un aliéné à un autre aliéné.
2° La contagion de la folie n’est possible que dans des conditions exceptionnelles que nous venons d’étudier sous lé nom de folie à deux.
(1) La folie à deux ou folie communiquée, par MM. Lasègue et Falret, (Annales méd, psych., novembre 1877.)
(2) Du délire de persécution, par le D ? Legrand éu Saulle (chapitre sixième).
……(3) De la folie communiquée ou du délire à deux du plusieurs personnes, par le Dr Macey. (Thèse de Paris, 1874).
3* Ces conditions spéciales peuvent être résumées ainsi : ; ; - :. ■ :,■ ■ ; ■'
a. Dans la folle à deux, Lun des deux individus est l’élé ment actif : plus intelligent que Tautre, il crée le délire et l’impose progressivement au second, qui constitue rélé-'
■. • • • ■ ■ • ■ •.1
ment passif. Celui-ci résiste d’abord, puis subit peu à peu la pression de son congénère, tout en réagissant à son tour sur lui, dans une certaine mesure, pour rectifier, amender et coordonner le délire, qui leur devient alors commun et qu’ils répètent à tout venant, dans les mêmes termes et d’une façon presque identique.
b. Pour que ce travail intellectuel puisse s’accomplir parallèlement dans deux esprits différents, il faut que ces deux individus vivent, pendant longtemps, absolument d’une vie commune, dans le même milieu, partageant le même mode d’existence, les mêmes sentiments, les mêmes intérêts, les mêmes craintes etles mêmes espérances, eten dehors de toute autre influence extérieure.
c. La troisième condition, pour que la contagion du délire soit possible, c’est que ce délire ait un caractère de vraisemblance ; qu’il se maintienne dans les limites du possible ; qu’il reposé sur des faits survenus dana/le passé, ou sur des craintes et des espérances conçues pour l’avenir. Cette condition da vraisemblance seule le rend communicable d’un individu à un autre, et permet à la conviction de l’un de s’implanter dans l’esprit de l’autre.
4° La folie à deux se produit toujours dans les conditions ci-desus indiquées. Toutes les observations présentent des caractères très analogues, sinon presque identiques, chez l’homme et chez la femme, comme chez l’enfant, l’adulte et le vieillard…………
5° Cette variété de la folie est plus fréquente chez la fejrime, mais on l’observe aussi chez l’homme.
6° On pourrait faire intervenir dans sa production l’hérédité, comme cause prédisposante, lorsqu’il s’agit de deux personnes appartenant à la même famille, comme la mère et la fille, les deux sœurs, le frère et la sœur, la tante et la nièce, etc. Mais cette cause ne peut plus être invoquéedans les cas où il n’existe entre les deux malades aucun lieu de
parenté par exemple lorsque la maladie se produit entre le mari et la femme.
T h indication thérapeutique principale consiste àsépa-rerl’unde l’autre les deux malades. Il arrive alors que l’un des deux peut guérir, surtout le second, quand il estprivé du point d’appui deceluiqui lui acommuniquéle délire.
8 Dans la plupart des cas, le second malade est moins fortement atteint que le premier. Il peut même quelquefois être considéré comme ayant subi une simple pression passagère, et comme n’étant pas aliéné, dans le sens social et legal du mot. 11 n’a pas alors besoin d’être séquestré, tandis que l’on fait enfermer son congénère.
9” Dans quelques cas rares, la pression morale exercée par un aliéné sur un autre individu plus faible que lui, peut s eiendre à une troisième personne, ou même, dans
une mesure plus faible, à quelques personnages de l’entourage. Mais il suffit alors presque toujours de soustraire l’aliéné actif à ce milieu qu’ila influencé à divers degrés, pour que l’entourage abandonne peu à peu les idées fausses
qui lui avaient été communiquées.
La lecture du mémoire de MM. Lasègue et Falret faite a la Société médico-psychologique dans la séance du 30
juin 4873, provoqua> de la part de MM. Baillargar et
Lunier, les réflexions suivantes ;
« M. Baillarger n’a pas l’intention d’entamer une discussion improvisée sur l’intéressant travail de M. J. Faire* ; toutefois il veut faire remarquer dès à présent que cette commun îcaiion soulève de très importantes questions de doctrine# notamment celle de la contagion de la folie# et celle du mode de développement et des rapports A » la fnlié contractée oarun individu sain au contact d’un
aliéné. En ce qui concerne notamment ce dernier point# il importe de distinguer les cas signalés par M. Falret, de ceux# beaucoup plus fréquents# où des gens faibles d’es
prit et vivant avec un aliéné finissent par se laisser persuader, partager ses convictions délirantes et croire à là réalité de ses hallucinations ou de ses conceptions maladives# sans toutefois devenir aliénés eux-mêmes, c’est-à-dire sans présenter aucun symptôme de délire et sans commettre aucun acte imputable à l’aliénation mentale. Tel est le cas observé par M. BuiUarger d’une femme aliénée qui était parvenue à faire partager ses idées fausses à son mari et à ses enfants, sans que ceux-ci aient été, atteints de folie le moins du monde.
M. Lunier cite un fait qu’il a observé à l’asile de Blois et qui offre une complète analogie avec ceux qu’a rapportés M. Faire*, fl s’agit d’un homme qui s’était porté à d« f, actes de violence sousl influence d un délire de persécution { : :
il parvint à inoculer, pour ainsi dire, son délire à sa femme qui devint folle à son tour* Mais, chez elie, 1 aliéoatîblL, mentale étant en quelque sorte accidentelle, ne prit pas de_ –, racines profondes ; elle guérit au bout de trois semaines, l ;
M. Lunier pense# comme M. Baillarger, qu’il faut d*»^ tinguer avec le plus grand soin les cas de cette espèce-#
tous les symptômes de la folie se manifestent » de ceux où les individus, tout en croyant auxidées fausses de l’aliéné, restent raisonnables et ne trahissent dans leurs actes aucun signe d’insanité d’esprit. »
Un mois plus tard, dans la séance du 28 juillet 1873, M* Baillarger insiste encore sur la distinction à établir entre les faits de crédulité et de délire vrai : « beaucoup d’aliénés influencent leur entourage et parviennent quelquefois à faire partager à leurs parents les idées fausses qu’engendre leur délire ; mais ce n’est point là de la folie, ce sont des faits de crédulité. Les croyances erronées, du reste, ne tardent pas à disparaître dès que l’éloignement de l’aliéné vient affranchir l’entourage de son influence directe. *
% ■ •.. ■. ■
C’était le cas de faire de nouvelles recherches, et d’éclaircir les points demeurés obscurs. Cependant, la question en resta là, et le problème, toujours en suspens, attend
encore sa solution définitive.
Ayant eu la bonne fortune d’observer quelques faits de ce genre, nous avons pu nous convaincre que les réserves émises au cours d’une discussion par MM, Baillarger et Lu nier » devenaient, dans la pratique, des vérités incontestables, et qu’il y avait lieu de distinguer, dans ce qui porte le nom de « folie à deux, » les cas où i’un des sujets est aliéné, l’autre ne dépassant pas les limites de la crédulité, de ceux, plus complexes comme aussi plus rares, où les malades sont réellement aliénés tous deux.
En pénétrant plus avant dans la question, nous nous sommes aperçu qu’il ne s’agissait point seulement ici de différences de détails, mais que ces deux variétés pathologiques se séparaient l’une de l’autre par leurs caractères
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les plus essentiels. Ce sont ces divergences, importantes au premier chef, que nous allons essayer de mettre en lumière.
I. Cas où un aliéné fait partager ses conceptions délirantes à une ou plusieurs personnes de son entourage, sans que celles-ci puissent être considérées comme réellement atteintes de folie
M. Baillarger affirme qu’il importe de distinguer les cas signalés par MM. Lasègue et Faîret, c’est~à-dire les cas de folie réelle à deux, de ceux, beaucoup plus fréquents, où * des gens faibles d’esprit et vivant avec un aliéné finissent par se laisser (persuader, etc., sans toutefois devenir allé- ; nés eux-mêmes, Qr, l’étude de MM, Lasègue et Faïret nous semble porter plus spécialement, on pourrait dire ; uniquement, sur ces derniers cas. Ecoutons-les plutôt :
« Le malade réel est resté le malade ; l’aliéné par reflet :
n’a pas réussi à dépasser les limites de l’absurde. Or, ;
l’absurdité, si loin qu’elle soit conduite, n’a – de commun avec la folie que les grossières apparences. Le contraste suffit pour établir entre les deux la ligne de démarcation la plus infranchissable : l’un est fou, au sens social et dical du mot ; l’autre ne l’est pas p. " fi
C’est bien là, à n’en pas douter, notre première variétév |j clinique ; la seconde, la plus importante, la vraie « folia en partie double >, celle où les sujets sont bien et dûment ;|
aliénés tous deux, ne nous paraît point avoir été abordée f
dans ce mémoire. Au reste, pou r ies besoins d e noire-cause# 3 et pour compléter cette démonstration, nous nous propcr i
80QS : dfR4joiû4re.4'.nosl'faït8.'për$on.]ielâ delà première série
quelques-unes des intéressantes observations du travail de MM. Lasègue et Falret.
Les cas où un aliéné en arrive à dominer une ou plusieurs personnes de son entourage et à les convaincre de la réalité de ses conceptions maladives, sans qu’ils devien nent pour cela aliénés eux-mêmes, ne sont pas si rares qu’il le paraît au premier abord. On pourrait même ajouter qu’ils sont fréquents. Si l’on en observe si peu dans les asiles, cela tient précisément à ce que dans ce groupe plus ou moins nombreux de délirants, un seul individu est aliéné, et qu’il se trouve, par conséquent, seul susceptible d’être séquestré. Cela explique aussi pourquoi nous n’avons encore par devers nous que quelques faits de ce genre. Dans le monde, au contraire, on a très souvent l’occasion d’en rencontrer, et il n’est peut-être pas d’aliéniste qui, dans le cours de sa pratique, n’en ait observé quelques exemples. Les cas de folie à deux confirmée sont beaucoup plus rares, on pourrait dire exceptionnels ; mais ils présentent cet avantage qu’on peut les étudier dans les asiles, les malades finissant presqüe toujours par être séquestrés, quelquefois même simultanément.
Etant admis que la transmission d’idées délirantes d’un aliéné à un autre individu qui reste malgré cela sain d’esprit est un fait assez fréquent, il y a lieu de se demander dans quels cas et sous quelles influences se produit cette transmission.
Nous examinerons donc successivement :
1° Les conditions intellectuelles et morales des deux individus, leur mode d’existence vis-à-vis l’un de l’autre, et l’influence des causes prédisposantes sur ia prudaeti m de leur délire ; 2° ja nature des idées communiquées, leur
mode de communication et les proportions variables dans lesquelles elle s’opère ; 3ft les différences psychologiques qui existent entre les co-délirants et l’effet produit sur chacun d’eux par la séparation ; 4° enfin, le nombre d’individus qui peuvent subir, à divers degrés, l’influence morbide d’un aliéné,
1° L’aliéné ou, pour mieux dire, le personnage actif dans ce drame pathologique intime est toujours plus ou moins intelligent. Feu importe d’ailleurs son degré absolu de culture intellectuelle, puisqu’en somme, il ne s’agit ici que d’une simple différence en sa faveur au point de vue de l’esprit. Qu’il soit bien ou mal doué, que son instruction ait été large ou incomplète, dans les deux cas la transmis sion des idées délirantes est possible, à la condition qu’il jouisse, sur l’être destiné à les recevoir, d’une certaine supériorité intellectuelle. Et encore, cette condition n’est-elle pas absolument indispensable ; dans certains cas, il n’existe entre les deux sujets aucune différence intellectuelle appréciable. La supériorité importante, celle qui prime toutes les autres, est incontestablement la supério-rite morale* St les faits observés se sont passés le plus souvent entre parents et enfants, entre maîtres et serviteurs, ce n’est point tant à la prééminence intellectuelle, qu’à l’autorité naturelle ou sociale des uns sur les autres, qu’il faut l’attribuer. Normalement d’ailleurs, ces deux influences ne sont point séparables, elles marchent de pair et, par cela même qu’elle est combinée, leur action n’en est à la fois que plus rapide et que plus efficace.
En ce qui touche le faux malade ou personnage passif, ces conditions d’infériorité morale et intellectuelle setroti* vent réunies au plus haut point chez les enfants, les faibles d’esprit, les domestiques et les vieillards. L’enfant, comme
an l’a dit » est une cire molle qui garde l’empreinte qu’on y : dépose ; de la part de ceux ; qui l’entourent, il accepte tout,
\ bon ou mauvais. Les influences saines ou fâcheuses qui agissent sur lui le trouvent également bien disposé à les recevoir, et c’est le plus souvent de la nature des ces influences que dépend son caractère à venir. Incapable d’un contrôle sérieux, il accueille ce que l’on lui transmet, et en vertu de cette puissance illimitée de mémoire qui lui est propre, il le conserve quelquefois indéfiniment. Qu’on se rappelle ces contes de fées ou de brigands dont on a bercé notre jeune âge. N’est-il pas vrai que ces souvenirs nous restent, qu’ils nous suivent en grandissant, et qu’ils éveillent parfois en nous une propension à la pusillanimité ou à la crédulité naïve qui ne s’efface jamais complètement ? Et pourtant ce sont là des erreurs. Qu’on suppose le conteur de ces récits monsongers pleinement convaincu lui-même, et l’on se trouve déjà en présence d’un vrai délire communiqué.
Quoi d’étonnant après cela qu’un enfant puisse adopter et partager de toutes ses forces les conceptions maladives d’un aliéné, alors surtout que cet aliéné est un être qui le domine, son père, sa mère, ou tout autre individu, qui en raison de son autorité morale et intellectuelle, tient en ses mains l’avenir de cette jeune intelligence i (d)
Chez les faibles d’esprit, les domestiques et les vieillards (2), la situation se trouve la même. Que sont-ils en somme, sinon de grands enfants ? Le vieillard toutefois, par le fait de son expérience et surtout de cet égoïsme sénile dans lequel lise replie, n’accueille que plus difficile-
(1) Voir observations 1, 2, 3 {!** série).
BJBÜO'ÏÏÆQUE
(2) Yoir observations 2, 4, 6, 7, 8 (lre série).
ment les idées des autres, ou^ s’il finit par les adopter, ne lé fait qu’avec réserve et presque défiance ; à l’encontre des vieux souvenirs qui persistent, les impressions tard reçues sont chez lui fugaces et mobiles, et privé des facultés imaginatives si puissantes de l’enfant, il se trouve incapable de les faire progresser.
Pans la plupart des’ cas observés, les sujets se trouvaient depuis longtemps en contact, et leurs rapports sociaux étaient des plus étroits ; Ils habitaient ensemble, vivaient d’une vie commune, partageaient les mêmes occupations, les mêmes craintes et les mêmes espérances ; ils pensaient et agissaient de même, ou plutôt, l’un des deux pensait et agissait pourTautre, et le traînait à sa suite en lui dictant pour ainsi dire scs actes aussi bien que ses pensées. On comprend toute la portée d’une domination aussi intime sur le développement ultérieur de la contagion. L’être actif, devenu aliéné, continue à exercer sur le passif son influence ordinaire, et celui-ci, par l’effet de l’habitude, s’assimile les erreurs de son congénère, comme il s’était assimilé j usque-là ses sentiments normaux. Toutefois, la solidarité entre les deux n’a pas besoin d’être aussi étroite, pour que îa transmission puisse s’opérer ; il suffit dans certains cas que le sujet influencé vive dans la sphère d’action de son dominateur et qu’il communique souvent avec lui, en dehors de toute autre pression extérieure, capable de neutraliser celle qu’il subit. Ce qu’on peut dire, c’est que plus les rapports sont intimes, plus l’influence est grande, et inversement ; de sorte que les êtres passifs les plus atteints, toutes autres condition# supposées les mêmes, sont toujours ceux qui se rapprochent le plus du foyer pathologique, c’est-à-dire de l’aliéné. Notre observation IV offre un exemple remarquable des
proportions graduées de la contagion, suivant le degré mêmé de ce rapprochement. ~
En dehors de cette pathogénie toute spéciale, que penser des influences étiologiques ordinaires, et en particulier de l’action de l’hérédité sur le développement de cette affection ? MM. Lasègue et Fairet estiment que, dans certains cas, lorsque les deux malades appartiennent à la même famille, on peut incriminer le vice héréditaire. Pour nous, cette cause n’est point indispensable et ne possède ici qu’une importance médiocre. Que l’organe actif puisse être un fils d’aliéné, rien de mieux ; peu nous importe au fond, puisqu’il est supposé déjà fou à l’heure où commence le drame ; quant à l’organe passif, c’est autre chose, il peut être indemne de toute tache originelle et subir quand même l’attraction pathologique. Les conditions de contact malsain et d’infériorité morale et intellectuelle dans lesquelles il se trouve suffisent amplement pour expliquer la contagion des conceptions délirantes.
2° Ces conceptions, quelles sont-elles ? Offrent-elles le plus souvent une physionomie commune ou, subordonnées uniquement aux caprices du hasard, varient-elles dans la plupart des cas ? Sans traiter ici cette question, que nous nous réservons d’examiner plus tard lorsque nous parlerons delà vraie folie à deux, nous ferons remarquer, avec MM. Lasègue et Fairet, que, pour que ces conceptions soient communicables, elles doivent avoir un caractère de vraisemblance qui s’impose. Or ce caractère nous semble se retrouver surtout dans les délires partiels. Il n’est pas d’exemple qu’un maniaque ait fait des adeptes ou qu’il ait converti quelqu’un à sa loquacité incohérente ; si, au contraire, un aliéné ne déraisonne que sur un sujet plus ou rpoins restreint, si le champ de ses aberrations se trouve Régis. 2
taie » limité, il aura oeHainemirnt bien motet de-péifltf-è-to. inoculer aux êtres qui l’entourent. Les idées de persécu~,
tienyHl : M ;:/teêèi^
celles qui se çommuniquetttleptes aisément, lés premières surtout ; nos observations sont là pour le prouver. I*ès conceptions orgueilleuses ne sont te plus souvent que la terminaison du délire des persécutions, qu’elles viennent fréquemment compliquer, d’ailleurs. Quant aux idées religieuses, les faits dé communication qui s’y rapportent sont devenus très rares et tendent à diminuer de jour en jour, ce que Ton peut attribuer, au moins chez nous, à l*é-, – tat social du moment. Personnellement, nous n’en avons ; qy*un seul exemple : c’est le récit publié le 7 mai 1879 par ; le journal la France et relaté dans le numéro de novembre 1879 des Annales médico-psychologiques.
Quelles que soient d’ailleurs les idées communiquées, leur transmission s’opère toujours de la même manière, par une sortede contagion. Celle-ci est plus ou moins brus*». que. Tantôt, et cela a Heu surtout lorsque les deux sujets sont perpétuellement en contact, la Contagion est rapide, presque instantanée ; Porgane passif qui vit constamment dans cette atmosphère de délire exhalée paraôn congénère, ne tarde pas à subir l’influence de ce miasme intellectuel, et s’empoisonne rapidement ; tantôt, alors surtout que lès deuxsujeté tte – yjyà^: qu^à.: pr<^imlté ; ganè passif met un temps souvent assez long à conyàînçré %.qUéiquèfô^é11 m^ést-[■ :-;-v ?
.y'éétjgfdiisjÿîiês : d’ailleurs, suivant le solu de résistance qu’il peut opposer à la contagion* ; – ^
— Cellè-ci produiter deüx cas peuvent se présenter r pp^^^^^^^^^^^^^ faux malade se contente de croire plus ou moins àl’exf tence réelle des conceptions de l’aliéné, ou sa propre pér*
— âi —
sôhnaüté s® trouve prise dans l’engrenage et, sans être fou pour cela le moins du monde, il en vient à déraisonner pour deux, pour son propre compte en même temps que pour telui de son voisin. Dans le premier cas, il est simplement crédule ; dans le second, déraisonnable : ce sont là deux degrés qu’il importe de distinguer.
3« Mais quel que soit le degré d’aberration auquel il atteigne, l’individu influencé ne suit jamais son congénère jusqu’au bout de ses divagations. Crédule, il Test pour tout ce qui, dans les conceptions de l’aliéné, se rapproche le plus de la vraisemblance ; quant à la partie trop exagérée du délire, il ne l’accepte pas, ou, s’il l’accepte, il la modifie, la coordonne et l’adapte aux apparences de la réalité. Déraisonnable et atteint lui-même par contre-coup, il ne divague qu’à moitié ; ses idées sont vagues, indécises, et ses conceptions délirantes mal affermies ont peine à sortir de la sphère des choses possibles (1).
En somme, ce qui caractérise cette variété bâtarde de la folie à deux, c’est que l’individu influencé peut l’être à divers degrés, sans arriver jamais à l’aliénation proprement dite. Tantôt il est simplement crédule, il ajoute foi à Terreur d’un autre ; tantôt il est personnellement engagé dans le délire et s’assimile plus ou moins à son congénère ; parfois même H va très loin dans cette voie et reste pour ainsi dire comme suspendu entre la raison et la folie, Mais entre lui et l’aliéné existe toujours un abîme, une ligne de démarcation qu’il n’arrive point à franchir.
Au risque de com mettre une hérésie, nous avouons ne pas croireà la communication proprement dite de la folie. Pour nous, la folie communiquée de toutes pièces n’existe pas,
(tyValr observations 1, 3, 7 (tw série).
ainsi que nous essaierons de l’établir dans notre chapitre sur la vraie folie à ; deux.
Ce qui se communique, c’est“la” partie la moins invraï – semblable du délire ; aussi l’individu qui la reçoit n’est-il jamais aliéné, quoi qu’il fasse.
Est-ce à dire pour cela qu’il ne puisse pas le devenir et que cette espèce de baptême pathologique qu’il a reçu lui confère une immunité définitive à l’égard de la folie ? Ce serait une erreur de le penser ; Bien au contraire, cette fréquentation d’un aliéné, au contact duquel il a laissé une partie de sa raison, lui crée certainement une prédisposition fâcheuse pour l’avenir. Il est incontestable qu’un enfant qui, dans ! son jeune âge, aura joué dans ce drame à deux le rôle d’organe passif, sera plus tard singulièrement prédisposé à l’aliénation, en vertu de cette influeuce nocive qu’il a subie et qui ne s’efface presque jamais. Il serait certainement curieux de savoir ce que sont devenus les enfants qui ont été cités dans les observations rapportées jusqu’à ce jpur par les auteurs. Ce que nous voulons dirè, c’est que tant que dure le contact entre l’organe actif et l’organe passif, celui-ci né devient jamais aliéné, à moins qu’une influence toute personnelle ne vienne s’ajouter à celle que lui crée cette fréquentation. L’une le prédispose ; l’autre, toute particulière, achève l’œuvre commencée ; mais la première ne suffitijamais à elle seule pour faire de
Une différence capitale existe donc toujours entre le créateur du délire et celui qui le reflète. L^un est vraiment atteint de folie, l’autre seulement d’une espèce de subdéli-rium. L’hallucination est de règle chez Je premier, elle n’existe jamais chez le second. C’est là le critérium par excellence de cette variété morbide. Toutes les fois qqeJW se trouve en présence de deux individus délirant ensemble, dont Tun est franchement halluciné, à l’opposé de l’autre qui ne l’est pas, on peut affirmer dès l’abord qu’il ne s’agit point là d’un cas de folie à deux, telle que nous la comprenons et telle que nous la décrirons plus tard, mais bien d’un simple cas de délire communiqué. On comprend toute la portée de cette différence psychologique au point de vue médico-légal ; nous ne ferons que la signaler. Mais si le subdélirant n’est jamais halluciné, il peut avoir des illusions. Par ce fait même que la partie trop exagérée du délire de l’aliéné est modifiée, coordonnée et ramenée par lui aux apparences de la raison, il donne un corps à l’hallucination de son congénère et il en fait une illusion. L’un voit ses ennemis, il les entend marcher auprès de lui ; l’autre, à qui ces impressions sont communiquées, ne les voit, ni ne les entend, mais il croit à leur existence et interprète dans le sens de cette erreur toutes ses sensations. C’est ainsi que le bruit, du vent, la vue d’un objet quelconque, deviennent pour lui des choses extraordinaires, la voix et l’image des persécuteurs communs (1).
Le drame maintenant nous est connu ; il ne nous reste plus qu’à en décrire l’épilogue. Ici, tout est subordonné à l’organe actif. Dans certains cas, surtout lorsqu’on a affaire à un délire sénile, l’aliéné ne réagit pas, et son état, parfaitement compatible avec la vie sociale, lui permet de vaquer à ses occupations habituelles. Il continue alors à influencer son congénère, dont l’assujettissement devient chronique pour ainsi dire, et le lien morbide qui les unissait ne se brise qu’avec la mort de l’un d’eux. Il n’est point rare, en effet, de voir de vieux célibataires s’isoler entière, (1) Voir observations 2, 3, 8 4 p« série).
meflt du milieu ambiatit et ne plus ; consërvëivd’aùtres at* taches avec le monde que la présence d’un serviteur depuis longtemps identifié à leur propre existent S’ils deviennent aliénés » la transmission s’opère sans peine ; le maître et le valet délirent de compagnie » et par ce fait qü’aucup des actes d’insanité commis ne transpire au dehors » cette entente pathologique sè prolonge indéfiniment, pour ne se terminer qu’avec la mort. Alors, l’organe passif, s’il survit, ne tarde pas à reprendre l’équilibre et se débarrassé plus ou moins rapidement, en tout ou en partie, des conceptions délirantes qui lui avaient été communiquées, Lorsqu’au contraire l’aliéné réagît d’une façon activé et que, sous l’influencé de ses naltoci nations ou de son délire, il commet en publié des actes flagrants d’insanité, il subit forcément la loi commune et sa séquestration vient brusquement délivrée son cohgénëré de la prëssion néfaste qu’il subissait. Qu’amve-t-îl alors ? L’aliéné » lui, n’offre plus désormais aucune particularité intéressante ; il rentre dans le cadre ordinaire de la folie, au rang que lui assigne la nature de son délire. Quant au faux malade, au subdélirant, l’éloigne ment brusque du séquestré rompt tout à coup pour lui le charme, et il revient peu à peu à la réalité, comme s’il s’éveillait d’un rêve. On en a vu résister plus ou moins longtemps, mais tous finissent enfin par guérir, La conclusion de ces faits est facile à tirer, et nous dirons, avec MM. Lasègue et Falret, que la meilleure indU cation thérapeutique consiste à séparer l’un de l’autre îeé deux malades. ? – ' j.: l : V :. ■ ■. ; T
4® Ce q ue nous avons dit pour le drame à deux s’applique également au drame â plusieurs, c’estA-dire aux cas oit l’aliéné agit, non plus sur un seul sujet, mais sur plusieurs individus de son entourage. La seule remarque que noua
voulions faire à cet égard, c’est que les faits de ce genre sont assez rares, et que lorsqu’ils existent il s’établit pour ainsi dire comme une échelle graduée d’êtres déraison* nables, depuis le plus éloigné de lWgafte actif qui est le moins atteint, jusqu’au plus rapproché, qui se trouve être aussi le plus malade (1).
Et, maintenant, cette variété pathologique que nous venons d’esquisser à grands traits, mérite-t-elle réellement le nom de folie à deux ! Nous ne le pensons pas. Ce n’est point, en effet, la véritable folie qui se communique, et de Vaveu même de MM, Lasègue et Falret, il n*y a pas ici deux aliénés, il n’y en a qu’un seul. D’un autre côté » la contagion des idées délirantes peut s’étendre à plusieurs individus. Le terme folie à deux, appliquée à ces cas, présente dont une doublé inexactitude èt ne peut être conservé. Four nous, nous serions volontiers porté à réserver cette dénomination à la forme d’aliénation mentale dont nous allons bientôt aborder l’étude. Quant à la particula* rité morbide que nous venons de décrire, elle ne nous semble pas mériter une appellation scientiffquè spéciale et doit uniquement être considérée comme un phénomène psychologique curieux.
(1) Voir observatloû 4 (t« sérié).
Observations. Première série
Observation I (1)
Communication d’idées de persécution d’une vieille fille à sa nièce, âgée de 8 ans. La tante est placée dans un asile, la nièce guérit rapidement de sa maladie parasitaire. '
Beux vieilles tilles ont recueilli, comme Tunique héritage (Tune de leurs sœurs, une petite orpheline,; grêle, pâle, âgée de 8 ans.
La vie est diJfiîcUe et les ressources au-dessous des besoins, Une des sœurs vient à mourir et son travail manquant, l’exisience est encore plus étroite : l’autre sœur est prise d’un délire dé perséeu-tion vulgaire, à forme sénile. Les voisins se sont ligués contre elle ; des voix Tiiyurient ; des bruits auxquels elle attribue un sens me* naçnnt se produisent. L’aliénation avance par un progrès lent ; àu bout de quatre années, elle a pris de telles proportions que les habitants de la maison s’inquiètent, L’enfant, qui sort à peine pour les commissions urgentes, tandis que sa tante refuse de quitter sa : chambre où elle s’enferme, est questionnée. On apprend d’elle que de méchantes gens ont essayé de l’empoisonner, ainsi que sa tante ; toutes deux ont éprouvé de graves accidents ; des.ennemis sont entrés pendant la nuit pour l’arracher à la protection, parente ; à toutes les ; questions elle répond avec la lueidij# ^ enfants que la cohabitation des vieillards a mûris avant le temps.
Ses assertions sont d’autant plus plausibles qu’elles représentent £ folie de la malade absente, atténuée, émondée par la nièce ; qtil n’est pas une aliénée. /
; Il survient alors un fait curieux que nous avons vu se repro-; du ire bien des fois. Les conceptions délirantes, réduites à leur \ plus faible expression en passant par la filière d’une intelligence ; demi-saine, sont plus près de la raison qu’aucune idée engendrée ! dans le cerveau d’un aliéné. Les auditeurs ont moins de répu-gnanee à se rendre ; les objections qu’ils élevaient on été accueil-i lies ; l’enfant a renoncé à quelques-unes de ses énonciations, dont | on lui montrait l’impossibilité ; celles qui restent n’en ont que plus | de valeur. L’expérience est conforme à la règle déjà posée que :
! moins le délire est brutal plus il devient communicable.
| Les voisins prennent fait et cause pour ; ils en appellent à l’au-î torité, imaginant une fable romanesque de nature à justifier ces ! prétendues persécutions. L’enquête et l’examen auquel procède un \- de nous ne laissent subsister aucun doute. La malade est placée [dans un asile, et l’enfant dans un orphelinat, où elle guérit de cette | maladie pour ainsi dire parasitaire ; mais les gens du quartier ! conservent encore des soupçons et ne se déclarent pas satisfaits.
Observation II (1)
Communication d’idées de persécution d’une femme, aliénée, à sa fille, àgee de 16 ans et faible d’esprit, La mère est hallucinée, la fille a simplement des illusions.
| Il s’agit encore d’une jeune fille élevée cette fois par sa mère, et i que son père a laissée dans la misère pour s’enfuir on ne sait où.
La mère est persécutée, mais son délire, sans complication de sé-I nilité (elle a 40 ans), porte sur dés objets définis. Ce sont les prê-[très ; un surtout, qui se sont acharnés contre elle et l’empêchent de trouver du travail. La fille a 16 ans ; elle est scrofuleuse, chlorotique, de taille et de stature moyenne, à l’intelligence peu développée. Elle n’a appris que laborieusement à lire, a peu fréquenté l’école, n’a été astreinte à aucun apprentissage. La mère et la fille vivent dans une étroite communauté de la petite pension que leur fait un parent plus aisé ; elles habitent la même chambre, couchent
'; : voisins 1 es pï^pos d êijjraût& d © :||
prêtre vient ehefc elle de temps en toïpps, le $ôir quand elle ®lt couchée, Que les lumières sent éteintes èi Qu*il les menace* Sx mère l’entend ^ quoiqu’il parle à folk bâfcsé* et elle aussi, thaïs cou-fusêmént au matin sà mère lui répète tout, et èllé sè soutient
d’avoir bien entendu* ;
Les confidents se communiquent les détails de cette étrange aventure et y ajoutent des commentaires* Il leur plaît de dècou* : vrir que ce prêtre imaginaire en veut à la vertu de la Ulle et Ils le lui persuadent aisément* De là, plainte, examen médical et eonsta-talion de îa folie caractérisée de la mère.,
Observation III (1)
Communication d’idée* de persécution d’une femme à sa fille, âgée de. 13 ans et faible d’intelligence. La mèfè a des hallucinations mülti- ; pies, la fille a simplement des illusions,
La femme M… a B5 ans, sa fille en a 13, Le délire vulgaire date : environ de quatre mois et c’est sur les plaintes des voisins que la : mère a été soumise à un examen médical* Bile est de taille | moyenne, amaigrie, pâle et presque fébrile ; physiquement, elle se plaint de nausées fréquentes, d’insomnie, de fatigues sans maladies, Des troubles gastriques assez aeoèntués sont attribués par elle à des tentatives répétées d’empoisonnement* Bile sent dans la bouche comme un goût de safran qui l’abrutit et qui l’énerve ; elle a trouvé d’ailleurs du safran dans ses aliments. <* Ça a commencé, dit-elle, qu’on me suivait dans les rues ; les : Voisins s* an sont.mêlée et m’ont insultée. Il ^ a évidemment des personnes qui me sont étrangères et d’autres, que je connais) 11 faut qu’il y ait comme un complot, ;;; V., :.j :; : S■…, : ' y vV'; yyyvy
Depuis quelques Romaines on a fait la nuit des pesées â ma, porte »
Je me suis sauvée de chea-mol U y a huit jours pour aller coucher chez une ami© au milieu de la nuit. Là aussi on a frappé à la perte cochère et essayé de la soulever avec des pinces ; je l’ai entendu.
; Jeÿjr aut* çw restée et j’ai voulu rentier ches moi, mais il iu’a fallü m’enfuir et demander à coucher è une autre femme, M il à1 y
a rien eu.
Je suis revenue chefc moi ; on a essayé d’ouvrir la porte en mon absence On a changé ma clef. Bien des affaires ont disparu de ma chambre, des bandes de mérinos, de la laine, de la soie, etc.
C’est la nuit qu’on me tourmente et l’on s’en va à 7 heures du matin. Je les ai entendus remuer et me suis barricadée avec mon Ht, mais je ne les entends pas parler.
Les gens qui me persécutent sont les nommés V… et SU*, mes voisins. V… a dit devant moi : Il y a toujours ceci et cela. Sa femme a fait courir le bruit que j’allais tous les soirs livrer ma fille pour manger.
Je ne sais pas pourquoi on m’en veut ; mon mobilier ne doit pas faire envie ; c’est pure méchanceté. À l’église, on m’a déchiré ma robe on m’injuriant ; j’étais allé conduire ma fille et ne connaissais personne.
[Epuisée, ne dormant que le matin, j’avais résolu de mener ma | fille à la consultation de l’hôpital. Je suis descendue à deux heures ; du matin, du haut de la maison qui a plus d’un étage, avec une échelle, emportant mon enfant sur mon dos ; je ne sais pas eom-ment nous ne nous sommes pas tuées. Je me suis promenée toute la nuit avec l’enfant et le matin, on nous a renvoyées de la consultation. J’ai à Paris mon beau-père qui voulait bien nous recevoir, mais j’ai eu peur pour lui parce qu’il Ôtait seul. Puisqu’on me persécute, on le persécuterait aussi, »
La fille M…, 13 ans, est grêle et porte moins que son âge ; elle est vêtue d’une robe sale et en lambeaux ; ses réponses sont entrecoupées de sanglots. Je voudrais voir ma petite mère ; quand maman sortait pour travailler, il y avait un homme qui faisait houî hou 1 sous la porte, comme lé vent ; j’avais peur, je n’osais pas me coucher, j’étais malade. On faisait peur aussi à maman la nuit. C’était un homme qui retirait ses sabots ; on ne l’entendait pas marcher et il arrivait sous la porte, le matin, à midi ; le soir, je croyais qu’il y avait du monde caché sous le lit. On entendait comme si ça soulevait les meubles et la porte, nous étions obligées de nous barricader avec le lit. Nous avons entendu des coups sous le Ut ; on a arraché avec une pince un morceau delà porte. Jel’ai entendu
avant maman/mais je n’os&is pas lui dire, Je n’ai jamais rien vu,:; ^ mais j’entendais bien ! qu’on marchait et qu’on frôlait des papiers i
siur : iV-i y ; ;! ï
Maman m’a raconté que c’était une femme qui lui en Toidaîi
Observation IV (personnelle).
Délire de persécutions avec hallucinations et troubles de)a sensibilité : générale survenant cheas une vieille servante, ayant déjà eu un accès, du même délire. Sous son influence* trois personnes, d’intelligence bornée, s’associent è divers degrés à son délire, et croient à la ■ réalité de ses persécutions. Intervention médicale, L** trois per-
;*0mjÿ*; jtïfiuelçéer :^ l
vante ; ■ ; V': J ■!;^: V _■ ; ■ :■.J :^"Iv : :!
Voici un fait dont noua avons presque été le témoin et dont nous pouvons garantir, par conséquent, l’authenticité.
Un jeune homme de nos amis, venu de province pour étudier la médecine, habite à Paris chez un de ses oncles, déjà &gêf qui n a ni femme ni enfants, et vit fort retiré dans son intérieur. Son seul commensal était une vieille servante,; qui, déjà quelques années auparavant, s’était enfuie en Amérique pour se soustraire auxper-sécutions qui Vobsédaieni. L’arrivée de l’étudiant dans la maison ; ; fut un évènement considérable, qui vint rompre la monotonie de jL cette existence paisible. La domestique le considéra d’abord avec r curiosité. Malheureusement pour elle, il était studieux, et sa chambre ne tarda pas à se peupler d’ornements divers, parmi lesquels les accessoires d’anatomie reçurent une place dhonnjeur. Stupéfaction de la servante. Mais voilà que la physique et les essais récents d’éclairage par F électricité attirent plus spéciale^ ment l’attention du jeune homme. La bobine de Humkorff ej les tubes de Oessler sont mis en mouvement : la pauvre fille est fiffo-lée. Cette machine qui fait entendre un bruit étrange, et d bit se – dégagent des feux-follets, ces verres qui tournoient en produisant des flammes enroulées, tout cela dépasse sa raison et la glace d ef~ J
(toi. L’étudiant est uü être surnaturel et ses travaux des machina-tiens diaboliques,.
À partir de ce jour, elle le tient en respect et le regarde de travers, Bientôt, elle est tourmentée, obsédée, par ce qu’elle a vu ;
■ Ï0S appréhensions se succèdent et s’augmentent chaque jour ; elle ne dort plus, elle n’a plus aucun repos, on la persécute constamment. Tous ces appareils sont des instruments de supplice et de ; torture ; on l’électrise pendant son sommeil, elle entend le bruit strident de la machine, elle eü voit les étincelles*, on en veut à, sa I vertu ; toutes les nuits, le jeune homme s’introduit clandestinement dans sa chambre, et à la faveur de ses passes magnétiques, n’a aucune peine à la violer.
Toutefois, en raison de l’effroi que lui inspire son persécuteur, la malade n’ose parler ni se plaindre à son maître ; mais elle connaît une vieille dévote de ia maison, femme à intelligence à peu près nulle, et lui raconte le sombre drame. La conversion ne fut pas longue. Le récit de ces machinations sataniques épouvanta ' d abord la confidente ; au bout de quelques jours elle n’eut plus au** cun doute, et pleinement convaincue, considéra la domestique comme une pauvre martyre. Bientôt, le terrible secret fut communiqué à deux autres personnes de l’entourage ; – avec des femmes il ne pouvait on être autrement. *— Mais ces demi-confidentes restèrent toujours à l’arrière plan ; elles ne furent jamais qu’à moitié convaincues.
| Sur cçs entrefaites, 1 étudiant retourne en province poury passer ses vacances, Lui parti, la domestique se décide à parler ; elle va trouver son maître, et lui raconte dans tous ses détails l’infâme persécution dont elle est l’objet de la part de son neveu. Nous disons dans tous ses détails ; elle alla même jusqu’à dire en effet qu’elle éprouvait toutes les sensations de l’acte sexuel, et qu’après chaque attentat, elle se trouvait mouillée. L’oncle, ahuri, rit au nez de sa servante ; mais celle-ci maintient son dire, et à l’appui de son récit, ramène triomphalement ses confidentes, qui conûr-ment à l’unisson le récit de la pauvre folle. L’oncle ne sait plus que penser ; l’idée lui vient que peut-être en effet son neveu taquine la vieille servante, et s’amuse à l’effrayer au moyen d’un fil : électrique attaché à son lit. Pour éclaircir ses doutes, il mande un
autre de ses neveux » médecin aliéniste ; celui-ci, mie au coursai des faits » lui explique ce cas pathologique. : i :
L’étudiant est de retour aujourd’hui ; U habite encore avec sos oncle. La vieille servante n’a point été séquestrée, parce que sqs état mental, partiellement lésé, n’est point incompatible avec llexerciçe régulier de ses fonctions culinaires* mais elle n’ést poi|$ revenue de son effroi, et a quitté la maison, ne voulant plus demeurer sous le même toit que son persécuteur. Quant aux prosélj* tes qu’elle avait faites, elles n’ont ou aucune peine à renier ieu$ fausses croyances. La vieille dévote, un peu plus atteinte sans toutefois avoir été folle » a seule opposé quelques velléités de résî stance à la lumière qu’on lui apportait.
Observation V (1)
0.,.vnévr0j^tbevombrageux^
à sa jpère qui lié*; croit tlle-irvémç atteinte. St* queitrationy ^a mère^^ le récléme, affirmant qu’il eat saiQ que tout ce qu’il dit est vrai. Finalement le SU refuse de voir n* mère, prétendant qu’elle le méprise ; comme tout le monde.
O. E…, 31 ans, célibataire, serrurier % entre à 1-asile h.iiçyrîl ; ;!^
O.,, est un névropathe. Il a toujours été timide, réservé, défiant, sujet à des accès de somnambulisme. C’est un ouvrier laborieux qui n’a jamais fait d’excès d’aucun genre.
En 1871, il a été Victime d*un grave accident, dont ÎZ porte en* core la marque : upe large cicatrice avec dépression osseuse à là région temporale gauche. Cet accident lui est arrivé en Angleterre, où il s’était rendu avec sa famille pour fuir la guerre civile, dont Paris était le théâtre. Une nuit, dans un accès de somnambufîsmé, H est tombé d’un troisième étage. À la suite de cette chute, ilM resté pendant huit jours sans connaissance dans un hôpital de Londres, d’où il n’est sorti qu*au bout de neuf semaines..
Depuis, il s*est toujours bien porté.
: ■(1) Communiquée par notre collège* M, VaflOB, i
;:.y. ■Z – Zv.; – ^ z ; 44 : zzz ;: ■ y^ y ; z : zy : v zZz,:,.
Au mois d’octobre 1877, O,.*, a commencé à se croire empoisonné. Il avait acheté une casserole dans laquelle il préparait lui-même ses aliments. Un peu plus lard, il s’est cru le jouet de plusieurs personnes ; il disait qu’on faisait un journal de toutes ses actions. Il avait fini par communiquer toutes ses idées à sa mère, qui les partageait de sou mieux, ayant en lui toute confiance. Fiuale-mentj il est allé porter plainte à la préfecture de police, où on l’a gardé.
À son entrée, le malade, fort calme et même un peu déprimé, nous raconte qu’on l’empêche de travailler, qu’on Ta renvoyé de tous les ateliers. On le méprisait, on l’appelait « Anglais », on mettait des substances malfaisantes dans ses aliments, on lui enle-Ysdt’sea forces. J1 a comme un épuisement do gosier.
Au mois de mai, le malade, en état de rémission légère, commence à fréquenter râtelier de serrurerie ; il y a travaillé régulièrement jusqu’au mois d’octobre, ■
À dater de ce moment, U retombe dans son humeur noire, et en arrive à s’imaginer que sa mère le méprise. Aussi ne veut-il plus lavoir, et demande, dans ce but, à être transféré en province,
La mère, mandée 4 l’asile, réclame la sortie de son fils : on a beau lui faire observer qu’il est encore malade, qu’il est dominé par des idées fausses et se croit en butté à des persécutions imaginaires, elle ne veut 'rien entendre, so récrie, et affirme que tout 4 $ que dit son fila est vrai* Ces persécutions l’ont elle-même atteinte* £>n reste, les médecins le savent bien, et lorsqu’elle est allée voir M, Lasègue, lors de l’arrestation de son fils, celui-ci a dit d’un air entendu i « Ce n’est pas à tout le monde que eea choses-là arrivent* »
Lepuis cette époque^ le malade a constamment refusé de recevoir en mère. GeiU-ci a’est lassée à ia ân et n’a plus reparu*
O,** est sorti guéri le Ib novembre 1&79*
Observation VI (personnelle)
Communication d’idées de persécution d’un ! vieux commerçant à sa ; vieille bonne, son seul compagnon d’existence. Le vieux combler » | çant est halluciné, il croit qu’on veut le voler et rcmpoisohner. La servante croit à toutes ses idées fausses. Son maître mort, laser – j vante dépose une plainte au parquet, affirmant que te défunt a été empoisonné par son dis. Exhumation du cadavre. Constatatioh du
Un jour, iljr-a.de cela quelques années, le procureur de la ville de X… reçoit une lettre lui apprenant que M. H.,., vieux corn-merçantdu pays, à été empoisonné par son fils, qui a voulu entrer sans retard en possession de l’héritage paternel. Cette lettre, cbn* tenant des détails circonstanciés * était éignée de la propre servante du défunt, qui vivait seuîé avec son maître, dont elle partageait depuis longtemps toutes les : idées. : " !
Le parquet s’émeut, et ordonne l’exhumation, qui donne un ré- ; suitat négatif. Le fils de M. H.,, est mandé par le tribunal et n’a aucune peine à se disculper. * L’affaire est éclaircio : on était en. présence d’un cas de délire à deux.
Voici comment les choses s’étaient passées. ;
M. E.veuf depuis longtemps et déjét avancé en étgè, s’était retiré des affaires pour venir habiter avec sa domestiqué Une maison solitaire où il ne voyait plus personne. Entre-elleet lui s’était depuis longtemps établie une communion d’idées parfaite ; elle pensait et agissait toujours comme lui.
Sous l’influence de la vieillesse et de l’isolement absolu dans 1er quel il vivait, M. H… ne tarda pas à se croire persécuté. Les idées de vol dominaient dans son délire. Il croyait que plusieurs per* sonnes, et surtout son fils, en voulaient à son bien ; aussi le cachait-il avec le plus grand soin, aidé en cela par sa servante qui n’avait pas tardé à le suivre dans ce nouveau courant d’idées. Le délire augmentant, M. R… devient halluciné ; la nuit, il entend les voleurs qui pénètrent dans la maison, il croit qu’on veut l’empoisonner ; tous lés soirs, sa bonne et lui se barricadent dans leur de – I meure ; ils font changer toutes les serrures, mettent triplé cadenas, 1
surveillent avec le plus grand soin leur nourriture, s’isolent de plus en plus et ne voient personne. La domestique n’est point hallucinée ; elle se contente de croire à la réalité des conceptions de son maître, et ne dépasse point, pour son compte, les limites de l’effroi. ■■ ■ ' -. ■ : ■ ■ '
Ce délire & deux durait déjà depuis longtemps, lorsque M. R… meurt le plus naturellement du monde. Se sentant malade, il s’était cru empoisonné par son dis. La servante, absolument convain-eue, écrit aussitôt au procureur, et demande une enquête.
Ou sait de quelle façon elle se termina.
La servante, qui n’était pas aliénée, n’a point été séquestrée. Nous ne savons si elle s’est complètement débarrassée des idées fausses qu’elle avait contractées au contact de son maître ; ces idées étaient si ancrées chez elle quV.lle a dû, croyons-nous, les conserver longtemps encoreysinon eu totalité, au moins en partie.
Observation VII (t)
Communication d’idées de persécution d’une dame à sa servante, faible d’intelligence et sans instruction. La dame est réellement aliénée, la servante est simplement crédule. Séquestration de la maîtresse, renvoi de ia domestique dans son pays.
Le délire des persécutions peut se communiquer en dehors de tout lien de parenté et de maîtresse à domestique, par exemple, comme j’en ai observé un cas en 1868. Je donnais à ce moment des soins à une dame d’Aüteuil, qui n’avait jamais voulu sortir de chez elle depuis plusieurs années, pour éviter « qu’on ne fît dos cancans sur elle.; que la bouchère d’à côté ne lui lançât un chien dans les jambes, que les voisins ne l’appelassent la Suissesse, et que l’Observatoire irenregistràfc ses pas et ses démarches, et n’en prévînt les membres de la corporation du soleil. » Cette dame avait d abord habité assez près de l’Observatoire, et elle avait c*ui remarquer que les astronomes pointaient leurs lunettes sur elle.
Extraite du Traité du délire de persécution de M, Legrand du Saulle.
3
Régis.
Elle avait déménagé, car elle supposait que les membres de la cor* poratïon du soleil, avaient intérêt à la « moucharder* v et ils faisaient savoir à Borne à quelle heure elle se le vait, ce qu’elle avait mangé à son déjeuner, etc., etc. Sous l’empire de cette com victipn. délirante, elle avait pris l’habitude de n’exonérer sa vessis et son intestin que la nuit. À Auteuil, elle oublia un peu l’Obser*-vatoire, et elle se croyait d’abord à l’abri, parce qu’elle avait choisi un appartement a dans une maison qui faisait le renfoncement ; » mais elle se figura, au bout de quelque temps, que les astronomes disposaient d’instruments très puissants, et qu’ils avaient notamment des télescopes marins et électriques qui perçaient les mu* railles à une distance énorme. Elle ne sortit plus et passait toutes ses journées à – tricoter « et à se tirer les cartes. » Un jour que j’entrais dans sa chambre, elle vint à moi d’un air triomphant et me dit : a Les chapeaux pointus ne se sont pas levés assez matin, l’as de trèfle et le sept de carreau ont opéré leur rencontre sept fois de suite ! | La corporation du soleil est cubalistisée, les Aragotisteè vont me Je payer. » ^ :
Cette : malade avait depuis neuf ans une domestique, originaire du PuyMÎe-pôme, âgée alors de 3o ans, sachant à peine lire, mais n’ayant jamais appris à écrire, et qui, sans être absolument dêuuée d’intelligence, était d’une crédulité enfantine. La domestiqué avait connu sa maîtresse saine d’esprit, elle avait vu progressivement naître et grandir toutes les vexations de l’Observatoire, et cite s’était assimilé une à une toutes les observations dont on l’entretenait sans Cesse. Sans doute ! elle n’était qu’un écho affaibli de la malade, sans doute l’initiative délirante ne lui appartenait pas, sans doute elle ne faisait qu’accepter avec docilité une systématisation pathologique créée de toutes pièees, mais enfin on retrouvait chez la domestique les mêmes erreurs, les mêmes craintes et ;
le mêmes absurdités que chez sa inaitresse. : ■■■ i. ■ m
La malade avait pour médecin ordinaire M. Samazeuilh. Je priai ce confrère d’intervenir auprès de la famille, de faire placer Mme X… dans un établissement d’aliénés, et de faire renvoyer la domestique en Auvergne, dans son village. Mon conseil fut ponctuellement suivi, et je n’ai plus jamais entendu parler de ces deux femmes
Observation VIII (personnelle)
M, P..*, célibataire, vit très retiré » n’ayant auprès de lui qu’unç vieille servante crédule, depuis longtemps identifiée à sa propre existence. M. P… est alcoolique, il est pris d’un délire de persécution avec hallucinations 11 fait part de ses conceptions délirantes à sa servante qui les partage » et qui, sans devenir aliénée est pleine d’effroi, croit qu’on médit d’elle et a des illusions. Séparation des deux ma. lades. La servante guérit très rapidement et rit de ses erreurs. – M. P… reste aliéné.
M, P…, disciple do Bacchus et d’Epicure, est un vieux célibataire, qui boit et mange intégralement tous ses revenus et commet de fréquents excès alcooliques. Il vit très retiré à la campagne, n’ayant pour tout compagnon d’existence qu’une vieille servante dévote et sans instruction, qui croit tout ce que lui dit son maître, et l’écoute toujours avec le plus profond respect.
Il y a quelques années, M, P… eut un accès de folie alcoolique, avec hallucinations et idées de persécution. Sa maison était conti
guë au cimetière. Aussi, les morts sortaient la nuit de leur tombeau pour venir lui faire des grimaces sur les murs de sa chambre à coucher. Quand il rentrait chez lui le soir, les arbres du chemin prenaient des formes fantastiques et le suivaient.
Les gens du village lui en voulaient et le poursuivaient en Vinjuriant. On l’accusait de promiscuité avec sa servante, on le montrait du doigt, on l’appelait saleté, etc. Tout effrayé, il confia ses terreurs et ses appréhensions à sa servante qui ne tarda pas à les partager. À son tour, elle s’imagina que les gens du village la méprisaient, ^accusaient de coucher avec son maürc ; on disait des mots à double entente, on se taisait dès qu’elle approchait d un groupe, etc. Bientôt, M. P… et sa servante croient qu’on veut les voler, ils se barricadent tous les soirs dans leur demeure et ne se mettent au lit qu’a près avoir fait une perquisition minutieuse jusque dans les moindres recoins de la maison.
Au bout de deux mois environ, la servante, ennuyée de tout ce qui se passait, alla confier ses peines à un curé du voisinage qui lui conseilla de retourner dans sa famille. Là, ses idées de perséeu-
lion disparurent très rapidement, et elle fut bientôt la première à rire de ses erreurs. v-v ■ :■ ■..
Quant a M. P…, son déliré finit par s’amender un peu, mais il ne fut jamais bien guéri, et continua à croire à l’animosité des gens In village. Il vit toujours retiré, et se barricade plus que jamais lu nuit dans sa demeure.
II. Folie a deux
Nous voici arrivé maintenant au point capital de notre étude, à la vraie folie à deux.
Nous avons examiné jusqu’ici les cas où deux individus déraisonnent ensemble, Fun étant aliéné, l’autre demeurant en deçà de la folie. Il nous reste à décrire les cas, plus complexes et plus rares, où les sujets sont réellement fous tous deux.
Pour la plupart des aliénistes, on pourrait dire même pour tous, il n existe entre ces deux particularités pathologiques aucune différence de fond réelle, et elles ne se séparent que par une simple question de degré, relative à Fin-tensité du délire chez l’être récepteur. Elles reconnaissent toutes deux pour cause la contagion ; dans Fune comme dans l’autre, on retrouve les mêmes éléments essentiels du problème : 1° différences intellectuelles entre les deux malades ; 2* existence d’un actif et d’un passif, le premier, primitivement aliéné, communiquant son délire au second ; 3° intensité variable du délire, toujours plus marqué chez Vactif que chez le passif ; 4° guérison plus ou moins rapide de ce dernier, lorsqu’il se trouve soustrait à Vinfluence de son congénère.
C’est ici que nous nous séparons complètement de Fécole. Ainsi que nous l’avons dit dans la première partie de notre travail, nous ne saurions croire à la communication de la folie proprement dite. Pour nous, la folie a deux et par folie à deux nous désignons spécialement les cas d’aliénation confirmée chez les deux sujets, est essentiellement caractérisée par un délirepartiel, ordinairement de persécution, survenant
simultanément chez deux individu s franchement héréditaires ou simplement prédisposés, et cela, en vertu : i° de cette prédisposition morbide ; 2Ù du contact intime et perpétuel dans lequel ils. vivent ; 3° d’influences occasionnelles qui agissent à la fois sur eux, et jouent, à l’égard de la production
de leur délirey le rôle de causes déterminantes.
On le voit, la différence est grande entre ces deux opinions* L’une, ayant pour principe la communication du délire, s’appuie, pour la démontrer, sur un certain nombre de conditions spéciales, toujours les mêmes ; l’autre, niant, l’existence de cette communication, admet simplement la simultanéitéâu délire, en raison de trois causes particulières, agissant à la fois sur les deux sujets ; 1° prédisposition morbide ; 2° contact ; 3° influences occasionnelles.
Discuter la première et exposer la seconde, tel est l’objet de ce chapitre.
1° Pour que la théorie de la folie à deux généralement admise soit exacte, il faut que chacun des termes sur lesquels elle repose soit luLméme indiscutable, c’est-à-dire que dans tous les cas ; 1* Ton des individus soit plus intelligent que l’autre ; 2° que le premier, primitivement aliéné, ait, à la longue, communiqué son délire au second ; 3Ûque celui-ci soit toujours moins atteint que son congénère ; 4Ô qu’il ait guéri rapidement, lorsqu’il s’est trouvé soustrait à son influence. L ; h : :;';-j :; ■■■:: :
Or, nous allons montrer qu’il n’en est pas toujours ainsi, en nous appuyant à la fois sur nos propres observations et sur les observations parues jusqu’à ce jour.
1° Différences intellectuelles entre les deux sujets
a. – Dans notre observation des frères G./, M. Lasègue déclare que le plus jeune, faible d’intelligence, et sachant
tout au plus lire et écrire, est influencé par son frère, qu’il reflète mot à mot. M. le docteur Magnan confirme le fait. Or, le frère aîné, le supposé actif, a été envoyé ultérieurement à l’asile de Vaucluse, où une note médicale le déclare également atteint de « débilité intellectuelle. >
Les renseignements très complets que nous possédons à cet égard nous permettent d’affirmer que cet individu, ayan t d’abord voulu entrer dans les ordres, avait effectivement reçu plus d’instruction que son frère, mais qu’il n’avait jamais pu arriver à terminer ses études, et qu’après avoir été garçon élève en pharmacie, il en était venu à exercer le métier de colporteur. Il était donc plus instruit, mais certainement aussi peu intelligent que son frère.
b. – Dans notre observation des époux T…, aucun des deux ne sait ni lire, ni écrire ; lorsqu’ils ont adressé leurs réclamations à la justice, ils ont eu recours à une tierce personne, et tant bien que mal, ont apposé leur signature au bas des lettres ; iis se valent tous deux au point de vue de l’esprit.
c. ;—Dans notre observation des sœurs F…, les deux malades sont également héréditaires, et également faibles d’esprit.
d. – Dans notre observation des époux R…, nous avons un certificat de M. Legrand du Saulle sur le mari portant ces mots : « Conceptions délirantes similaires communiqué s à sa femme ». Or, notre excellent chef de clinique, M. Bou-trebente, dont la compétence, en pareille matière, ne saurait être douteuse, après avoir longuement et séparément interrogé les deux malades, sans avoir eu connaissance du certificat de M. Legrand du Saulle, écrit textuellment ces mots que nous retrouvons aujourd’hui dans ses notes : « La femme est fort intelligente et un peu excitée : organe actif. »
On peut aisément se faire une idée de nôtre embarras, en présence d’un jugement si différent. Nous allions de l’un à l’autre malade, essayant de démêler l’actif du passif, et chaque fois, les deux notes médicales se dressaient devant nous, semblant nous dire ; ;
« Devine si tu peux et choisis si tu l’oses ! »
e ; – Dans son traité du délire des persécutions, à la page 232, M. Legrand du Sauiie cite l’observation de deux femmes persécutées, la mère sous l’influence de sa fille* « dont elle répète les récits, les cris, les violences, les accusations mensongères, > ainsi que le constate M. Lasègue dans son certificat,
D’après la théorie, la fille devait être incontestablement plus intelligente que la mère. Or, M. Moreau de Tours, dans le service duquel ces deux femmes furent placées à la Salpêtrière, déclare, dans deux certificats différents, que la fille, en dehors de ses idées de persécution, était atteinte de« fai blesse in te 11 e et u el le congéni ta I e », tand i s q u'il se borne à constater un délire de persécution analogue chez la mère. Ce fait ne laisse pas qüed’embarrasserun peu M. Legrand du Saulle ; aussi s’empresse-t^il d’ajouter à l’observation, sous forme de commentaire :.« La fille est une pauvre d’esprit, el cependant, dans ce cas de délire à deux, elle est la persécutée active. La mère, complètement placée sous l’influence de sa fille, devait être d’une extrême débilité intellectuelle.
Devait être,…, oui, pour les besoins de la cause, mais l’était-elle réellement ? – Il est permis d’en douter. —
M. Moreau de Tours, qui a noté cette débilité mentale chez la fille, l’aurait certainement signalée chez la mère, s’il y avait eu lieu ; à plus forte raison, si elle avait été plus mar-
lui transmettra à un degré plus avancé. Sans cela, la proposition devrait être renversée : au lieu d’une dégénérescence progressive » on aurait une régénérescence progressive ; au lieu d’un simple névropathe finissant par engendrer, par
filiation* des êtres absolument dégénérés, com me les idiots,
on aurait des idiots en arrivant à produire, après quelques générations* des hommes de génie !
2° Existence d’un actif et d’un passif le premier, primitivement aliéné, communiquant à la longue son délire au second
a. – Dans l’observation des frères G…, l’aîné, nous l’avons vu, a été considéré comme l’organe actif. Il a donc dû, suivant la loi* être aliéné le premier. Et de fait, le plus jeune, d’après un certificat de le Dr Magnan, aurait avoué, lors de son entrée à l’asile, que les persécutions avaient commencé contre son frère. Or le malade, aujourd’hui sorti dé l’asile et guéri de son accès de délire, affirme que les persécutions l’ont atteint en même temps que son aîné. Il ne saurait en avoir été autrement d’ailleurs. Ces deux individus étaient colporteurs, ils habitaient le même logis, ne se quittaient pas d’un seul instant et parcouraient ensemble les faubourgs et la banlieue de Paris pour vendre leurs marchandises de porte en porte. Les affaires vont mal ; ils tombent dans la misère, n’ont plus de pain, deviennent tristes. Il faut noter que le plus jeune, le supposé passif, avait déjà eu, lors de la mort de sa mère, un premier accès dé folie, pour lequel il avait été traité à Bi-cètre et que, par conséquent, si 1 un des deux avait dû tomber malade avant l’autre, en raison de cette infortune commune, c’était assurément lui. – Qu’arrive-t-iü Désespérés tous deux, ils se demandent d’où provient leur insuccès. Ils s’imaginent qu’on les empêche de travailler et que « la ville de Paris veut supprimer les colporteurs pour ne plus avoir que des boutiquiers (sic). » Sur ce terrain qui lésait l’un, lésait l’autre, et la persécution devait les atteindre tous deux en même temps, au même degré. Alors même que Tua des deux eût le premier émis ses appréhensions, il n’aurait certainement eu besoin ni de grands efforts, ni d’un long temps pour convaincre son frère, dans l’esprit duquel dormaient certainement déjà les mêmes
pensées, ^ i-y, L ■ ! | y : y'-: y ■ ; y ;:-s’v : y :-y
b,-_ En ce qui concerne les époux T…, la preuve est
encore plus convaincante. La femme se trouve dans le service d’un de nos collègues, M. Briand qui, sachant que nous étions â la recherche d’observations de ce genre, nous a mis en communication avec elle, en nous disant que, dans sa pensée, le mari avait dû être aliéné le premier. Dès rabord, nous avons mis le fait en doute, et pour l’éclaircir entièrement, nous nous sommes rendus tous deux auprès de la j malade. Notre collègue l’a interrogée ; lui-même et lui a demandé lequel, d’elle ou de son mari, s était aperçu le premier qu’on leur en voulait. La femme a répondu textuellement : « Nous nous en sommes aperçus tous deux à la fois. » Notre collègue insiste et ajoute : « Mais on m’avait dit que c’était votre mari qui s’en était aperçu le premier et vous avait éclairée consécutivement ; » et la malade répond ; « Mais-non, Monsieur, nous avons sis prlnirés tous deux ensemble : cela devait être forcément d’ailleurs, puisque nous ne nous quittions pas et que nous avions les mêmes pensées et les mêmes intérêts. » Notre collègue a été convaincu, C’est bien là, en effet, le vrai mot de la situation dans la folie à deux.
c. * Dans l’observation des époux R,..t le mari a été considéré parM. Legrand du Saulle comme ayant communiqué ses conceptions délirantes a sa femme. Or, les deux malades interrogés à fond, et poussés sur ce point jusque dans leur derniers retranchements, ont constamment fait la même réponse : « On nous en a voulu à tous deux à la fois, et nous nous sommes aperçus en même temps de ces misères. > Si l’on veut bien se reporter à cette observation, on verra, en effet, que les choses se sont passées de la façon suivante : les époux H… prétendent qu’ils étaient déjà persécutés depuis plus d’un an, sans qu’ils en eussent rien su jusque-là ; c’est une fille du nom de Leopoldine qui leur a ouvert les yeux. Or, lorsque cette Leopoldine a parlé, ils sc trouvaient ensemble ; elle s}est adressée a tous deux, et c’est à partir de ce moment que le délire mutuel a commencé. '■ '
à, _ Dans l’intéressante observation des deux sœurs
X…, publiée par M. le Dr Dagron, dans les Archives cliniques, il n’avait d’abord été nullement question d’aliénée active et passive, ces expressions n’ayant point cours encore dans la science à cette époque* M.. le DrDagron, à qui nous nous sommes adressé pour obtenir des renseignements complémentaires, a bien voulu nous répondre ainsi qu’il suit : « Je ne sais laquelle des deux a perdu la tète la première ; mais je crois que c est Mlle X,… qui, à la mort de son neveu, mort à laquelle elle ne voulait pas croire, a fait
partager ses idées à la pauvre mère. >
Nous nous permettons d’enregistrer le doute qui existe encore à cet égard dans l’esprit de M. le Dr Dagron.
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Saulle, nous lisons, à propos d’ùn cas de folie à deux chez une femme et son mari : « La femme a d’abord ete mise en traitement, mais il est ttès probable que le mari a été atteint le premier, et a rempli Je rôle, dans ce malheureux
ménage, de persécuté actif. »
Encore des probabilités ! Fst-ce parce que la femme a d’abord été mise en traitement que le mari a dû être atteint le premier V Cela nous semble une raison peu convaincante,
3° Intensité variable du délire, toujours plus marqué chez l’actif que chez le passif
a. Dans l’observation des frères G…, les certificats constatent qu’ils délirent tôus deux exactement de la même façon, et qu’ils ont îes mêmes hallucinations.
b. Dans l’observation des époux T…, le mari et la femme
sont aliénés au même degré. La femme est séquestrée, le. mari ne l’est point. Mais le dernier est aussi malade que la première ; nous n’en voulons d’autre preuve que la suivante : notre collègue le croyait l’organe actif. i
c. Nous en dirons de même en ce qui concerne les époux F,; M, Legrand du Saullé affirme que le mari est l’organe : actif ; M. Doutrebente a pu penser que c’était la femme.
d. Dans l’observation des deux sœurs H…, il est facile. de constater qu’à l’heure actuelle elles sont toutes deux au
même point malades. -
e. Nous pourrions en dire autant des deux frères dont
parle M. Moreau, de Tours, dans son observation.
f. II en est de même de l’observation de M. Legrand du.
Saulle (mère et fille) dont nous avons parlé plus haut ! i
g. Après nous avoir dit, dans ses renseignements com – – pîémentaires, que, sans pouvoir l’affirmer au juste, Mlle X. – avait dû perdre la tête avant sa sœur, M. le Dr Dagron ajoute :* À partir de ce moment, elles ont déliré à qui « mieux mieux, se soutenant l’une l’autre, éprouvant les « mômes sensations, etc, »
, les deux mala
h. Dans notre observation des sœurs I
des, lors de leur séquestration ^étaient toutes deux au même point atteintes ; à l’heure actuelle, l’aînée, signalée comme passive, paraît plus malade que sa sœur.
4° Guérison plus ou moins rapide de l’aliéné passif lorsqu’il se trouve soustrait à l’influence de son congénère
a. Dans notre observation des frères G…, nous voyons, en effet, le suppose passif guérir, tandis que son frère meurt aliéné dans l’asile où il est séquestré. Remarquons seulement que le passif est demeuré neuf mois en cours de traitement, qu’il avait déjà guéri d’un premier accès, et qu’il se trouve actuellement encore sous l’imminence d’un troisième.
b. Dans notre observation des époux T…, le mari, depuis que sa femme est séquestrée, ne va pas mieux ; il ressemble à quelqu’un à qui il manque tout à coup une partie de son être. Il fait démarches sur démarches, et aujourd’hui même vient d’envoyer à notre collègue un volume de
paperasses relatives aux persécutions communes.
c. Dans notre observation des époux R…, l’état de la femme, depuis la séquestration de son mari, semble avoir empiré ; elle a des discussions quotidiennes, écrit lettres sur lettres à l’autorité, se plaint qu’on l’appelle femme publique, femme de trottoir, etc.; elle réclame un jugement, et ne tardera pas, croyons-nous, à subir le sort de son mari.
d. Depuis la séquestration de sa cadette, rainée des sœurs F… est devenue tellement malade qu’on a été obligé
■. – 48 — : ^ [4
de l’enfermer également. Actuellement elles se trouvent réunies toutes deux dans lé même asile ; elles sont incu-râbles.
e. Dans l’observation de M, Moreau de Tours, aucun des frères n’a guéri ; l’un est mort en cours de traitement, l’autre est resté aliéné.
f. Dans l’observation de M. Legrand du Saulle (mère et fille)* au contraire, les malades ont guéri toutes deux, à deux reprises différentes.
g. Dans l’observation de M. le Dr Dagron, nous voyons que Mlle X…, la supposée active, sort de l’asile à peu près guérie, emmenant sa sœur dans une maison de santé* où elle est morte.
h. Dans l’observation des sœurs L,.., nous voyons que les deux malades* quoique séparées, sont devenues l’une et l’autre incurables.
i. Le plus bel exemple nous est encore fourni par M. Legrand du Saulle.
À la page 234 de son ouvrage, il est dit :
« Madame F… était beaucoup plus exaltée que son mari, et sort exaspération allait jusqu’à la folie furieuse. Les certificats médicaux concernant F… établissent « qu’il est « sous l’influence d’idées de persécution qui lui sont sus-« citées par sa femme, et qu’elle semble beaucoup plus « malade que lui. Elle a quitté l’asile depuis longtemps,
€ vient assez souvent visiter son mari, et parait avoir pour « lui la plus grande affection. Je la crois revenue à la rai-a son, mais je n’ai jamais osé l’entretenirde l’ancien sujet « de ses diagrins, » ^
* Ici, dit M ; Legrand du Saulle, il n’est pas douteux que les deux époux avaient le même délire, et il est « probable « que c’est la femme qui a imposé sés idées au mari •Celui-
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« ci les a encore toutes à l’béure actuelle, et il est bien im-€ possible de le faire sortir de son système de persécution. » En voilà assez, croyons-nous.
! Qu’on nous pardonne ces longues citations et le travail : aride de remarques que nous avons faites à leur égard ;
; cela nous semblait nécessaire. Ainsi il est bien prouvé que dans plusieurs cas de folie à deux, il n’existe aucune différence intellectuelle entre les deux individus, qu’ils sont at-I teints au môme moment, au même degré, et que leur ma ; ladie suivant la même marche, se termine de la même façon. Bien plus, il est constant que dans quelques cas le supposé actif est moins intelligent que son congénère, qu’il peut être aussi moins atteint, enfin qu’il peut guérir, le supposé passif restant aliéné.
; 2® Si la communication des idées délirantes n’existe pas
dans la folie à deux, quelle est la cause de sa produc-[tion ?
[C’est ici que nous allons développer notre pensée au
f,
moyen d’une observation hypothétique.
Voici deux individus, un homme et une femme, tous deux I atteints de prédisposition héréditaire. L’un est le fils d’un persécuté, l’autre doit le jour à un alcoolique. Cette prédisposition morbide s’est révélée de bonne heure chez cha-| cun d’eux par des anomalies de caractère ; l’homme est concentré, taciturne, porté à Thypochondrie ; la femme est défiante, ombrageuse ; elle se croit à charge à ses parents et abandonnée d’eux, parce qu’elle est laplus jeune de la fa
I mille. Les tendances pathologiques de ces deux êtres vont croissant de jour en jour ; ils s’acheminent insensiblement vers la folie.
Si le hasard veut qu’ils ne se rencontrent jamais dans la
vie, chacun ira de son côté eh quête d’une influencé occasionnelle qui, s’ajoutant à la tare indélébile qu’il a reçue dès sa naissance, achèvera l’œuvre commencée. Dès lors les voilà fous tous deux. Ce sont des fous ordinaires, à délire quelconque, qui ne présentent rien de particulier.
Mais – qùe 'lè ; hasàtd>.'iu lieu de séparer ces deux individus les rapproche, lés mette en contact, les unisse par les liens sociaux les plus étroits ; qu’il fasse deTun le mari de Tau-tre, par exemple, que va-t-il advenir ?… Ici la scène change. Une solidarité intime, constante, s’établit entre les époux, qui mettent en commun, en même temps que leurs aspira-^ tions et leurs intérêts, le triste héritage paternel qui leur est échu. Leurs chances pathologiques, au lieu de rester isolées, vont se fusionner, s’accroître, se confondre ; leurs prédispositions individuelles vont former une prédisposition unique. Il n’y a plus ici deux êtres prédisposés, il n’y en a qu’un seul, n’attendant qu’une occasion favorable pour verser dans le domaine de la folie ;.
L’occasion survient. Ce sont des embarras d’argent, des revers de fortune, des malheurs de toute sorte qui, en raison de la fusion de ees deux esprits, identifiés l’un à l’au^ tre, vont les atteindre à la fois, au même moment, au même degré…
Le choc reçu, l’effet se produit, d’autant plus rapide et d’at tant plus puissant que 1* impression morale subie par Pun, se double de l’impression subie par l’autre. Le pas est désormais franchi. Atteints tous deux, les époux déraisonnent, puis délirent simultanément, progressivement, identiquement, ne différant pas plus sur le terrain pathologique qu’ils n’avaient différé jusqu’alors sur le terrain normal. Comme autrefois leurs idées saines, leurs conceptions maladives sont aujourd’hui de tous points
■ :.. ■ ■ '
i analogues* Le même travail morbide s’opère à la fois en eux, ils passent par les mêmes phases, ils subissent les mêmes fluctuations. Tristes aujourd’hui, sombres demain,
; les voici bientôt persécutés ; de jour en jour leur délire s’accroît, s’étend, se complique d’idées d’orgueil, et chaque fois, à chaque impulsion nouvelle, les deux époux, toujours unis, font un pas de plus en avant, en se tenant pour ainsi dire par la mab. Une idée délirante germe-t-elle chez l’un ? L’autre aussitôt la fait sienne, et réciproquement,
! chacun apportant ainsi sa pierre à l’édifice qui est leur oeu-| vre commune/le fruit commun de leurs efforts. Et de même (qu’il n’y a point là deux êtres séparés, il n’y a pas non plus : deux délires, il n’y en a qu’un seul, produit de la fusion
! de deux délires individuels* Qu’à l’élaboration de cette i œuvre pathologique l’un ait contribué plus puissamment ! que l’autre, qu’il soit plus ardent, plus imaginatif, qu’importe au fond, puisque l’action de l’un sur l’autre est réciproque, et que c’est de cette action combinée que résulte ce tout commun, qu’on appelle « folie à deux. »
Aussi, est-ce chose impossible que de distinguer, dans ce délire, la part qui revient à chacun des époux. Interro-gez-les séparément, vous serez surpris, stupéfaits, de la concordance de leurs réponses ; l’analogie est frappante, ils emploient les mêmes mots, les mêmes termes, les mêmes expressions stéréotypées, ce vocabulaire spécial des folies partielles devenues chroniques, au point qu’on croirait avoir affaire à une histoire apprise en commun par cœur. Le mari dit : « Le concierge nous a annoncé que la franc-maçonnerie nous poursuivrait jusqu’à ce que nous soyons réduits à la misère, au désespoir et au suicide. » Et la femme, interrogée à son tour, répond : « Le concierge nous a annoncé que la franc-maçonnerie nous poursuivrait Régis. * 4 jusqu’à ce que nous soyiohs réduits à la misère, au désespoir et au suicidé, » Chercher le véritable auteur de Ces phrasés typiques, élaborées en commun, est chose inutile, c’est en vain qu’on le tenterait..
L’analogie d’ailleurs est aussi parfaite dans les actes que dans le langage, Sous l’influence de leur délire et de leurs hallucinations, les deux malades réagissent activement ; les voici qui changent de domicile et courant de quartier en quartier, sans jamais se croire à l’abri ; ils font plaintes sur plaintes, démarches sur démarches, importunant toutes lesautorités de leurs réclamations, et cela d’un commun accord, sans se quitter jamais. Et lorsqu’un de ces actes morbides ne nécessite que l’intervention d’un seul,: comme ia rédaction d’une pièce écrite, par exemple, on est sûr, ou que les époux apposeront tous deux leur signature, ou que celui qui tient la plume s’inspirera de son congénère et n’écrira que fort de son consentement, de son approbation tacite. Ce qui îe prouve, c’est que si le scribe, en raison même de ces écri ts com promettants, vient à être séquestré, l’autre aussitôt prend la plume, et recommence la campagne, comme il prendrait l’épée d’un frère d’armes hors de combat.
Si le langage et les actes sont les mêmes, les hallucinations ne diffèrent pas davantage ; ceci est une conséquence de cela.
Quelle que soit en effet îa pathogénie exacte de ce dernier phénomène, il est certain qu’il est toujours en rapport avec l’essence même du délire ; le persécuté entend, et voit parfois ses persécuteurs ; le mégalomane vit avec les puissances de la terre et du ciel ; nos époux sont en rapport tous deux avec les personnages qui tiennent le premier, rang dans leur comman déliré, – Cela est logique, – Si
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l’on admet au contraire la théorie de la contagion, l’analogie des éléments hallucinatoires ne laisse pas que d’embarrasser.
Jusqu’à un certain point, on peut comprendre qu’un individu, primitivement aliéné, communiqué une partie de ses conceptions maladives à un autre individu de son contact ; mais qu’il lui communique en même temps ses hallucinations, cela est à peu près inadmissible.
Et maintenant, lorsqu’on sépare ces deux êtres si intimement unis, que survient-iH Sur ce point, aucune règle fixe ne peut être posée. Qu’ils guérissent, restent aliénés tous deux, ou qu’un seul en arrive â se débarrasser de son délire* peu importe. Dans la plupart des cas d’ailleurs, cette brusque séparation, loin d’amener un résultat favorable, est suivie d’un fâcheux effet. Chacun des époux, privé de son soutien, de son sosie, semble avoir perdu une partie de son être ; il semble qu’il manque à son existence un élément essentiel, et souvent, quoi que l’on fasse, il revient auprès de son compagnon, mû par une force invincible qu’il est incapable de dominer.
Cette observation hypothétique que nous venons d’exposer paraît-elle plausible 1 Peut-il se faire que la folie survienne ainsi simultanément chez deux individus placés dans les conditions spéciales que nous venons d’énumérer ?
Si oui, notre cause est gagnée, car cette observation hypothétique est une observation réelle ; c’est, jusque dans ses moindres détails, l’observation des époux R…, que nous rapportons plus loin ; et celle-ci elle-même, comme on peut s’en convaincre, est 1 analogue de toutes nos autres observations.
La simultanéité d’éclosion du délire est-elle donc plus
difficile à admettre que la contagion chez deux êtres également prédisposés et simultanément soumis aux mêmes
Nous ne le pensons pas. Que 3irait-on de deux individus prédisposés aux affections des voies respiratoires et
qui, vivant ensemble et soumis en même temps aux mêmes
influences morbides accidentelles, contracteraient simulta* nément ou à peu près une pneumonie à caractères identiques ? Dirait-on que Fun de ces individus a communiqué sa maladie à l’autre ? N’est-il pas évident plutôt que la même phlegmasie a éclaté simultanément chez les deux individus en raison : 1° de leur prédisposition ; 2° de leur rapprochement ; 3# de la simultanéité d action de mêmes : causes occasionnelles ?
Ce qui est vrai pour la phlegmasie du poumon n’est pas inadmissible, on en conviendra, pour les perturbations de ; : Vintelligence, alors surtout que dans tous les cas on retrouve les mêmes éléments du problème : 1° prédisposition morbide chez les deux sujets ; 2° contact intime.et prolongé ; 3* simultanéité d’action des mêmes causes déter-
nantes.: ■ j.:|-Vÿ■ – ÿj
On comprend maintenant pourquoi nous avons défini la. folie à deux : « une folie partielle, ordinairement de persé^ cution, survenant simultanément chez deux individus franchement héréditaires ou simplement prédisposés, et cela en vertu : 1° de cette prédisposition morbide ; 2° du contact intime et perpétuel dans lequel ils vivent ; 3* d’influences occasionnelles, qui agissent à la fois sur eux, et jouent, ; à l’égard de la production de leur délire, le rôle de, causes déterminantes.
Il ne nous reste plus maintenant qu’à faire quelques remarques de détail sur chacun de ces points.
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Si Ton veut bien se repotter plus bas à nos observations, on verra que dans tous les cas, les deux sujets en cause étaient héréditaires à un degré quelconque.
Aussi avons-nous été fort étonné de lire dans le mémoire de MM. Lasègue et Fairet le passage suivant :
* On pourrait faire intervenir dans sa production l’hérédité comme cause prédisposante, lorsqu’il s’agit de deux personnes appartenant à la même famille, comme la mère et la fille, les deux sœurs, le frère et la sœur, la tante et ta nièce, etc. Mais cette cause ne peut plus être invoquée lorsqu’il n’existe entre les deux malades aucun lien de parenté, par exemple lorsque la maladie se produit entre le mari et la femmei »
Nous avouons ne point comprendre ces derniers mots. Les auteurs ont-ils voulu dire que deux étrangers en contact ne pouvaient être héréditaires, chacun du chef de sa famille ? Cela nous semble peu admissible. Il n’est malheureusement pas rare de voir les prédisposés s’allier entre eux, fondant ainsi ce type d’hérédité à facteurs convergents dont ont parlé Morel et son élève M. Doutrebente. Ont-ils simplement voulu parler d’hérédité similaire, c’est-à-dire d’un délire de persécution chez les ascendants, se transmettant de toutes pièces aux descendants ? Mais, dans ce cas même, l’hérédité est possible entre deux époux, qui peuvent parfaitement tous deux être issus de persécutés.
Quoi qu’il en soit, dans la folie à deux, l’hérédité, à un degré quelconque, est un fait constant.
Nous disons à un degré quelconque.
Il est rare en effet que les deux sujets soient également héréditaires, également prédisposés, et c’est là peut-être ce qui explique que dans certains cas, le délire, étantmal-gré tout le même, et étant survenu simultanément, l’un
des malades réagisse plus activement, plus rapidement que l’autre, sons l’influence, des conceptions délirantes communes. Quelquefois même un élément nouveau, une névrose quelconque, épilepsie ou hystérie, vient s’ajouter chez F un à sa prédisposition vésanique, établissant ainsi, entre lui et son congénère, une certaine différence pathologique qui Se retrouvera dan » les manifestations délirantes.
Nous avons dit, ô propos du délire communiqué, qu’il n’était paè besoin d’une union intime entre l’aqtif et le ; passif pour que la contagion puisse s’opérer >- Ici, au con- ; traire, cette union doit être constante, prolongée, et des 1 plus'étroites. S’il en était autrement :, si les deux sujets se ! trouvaient plus ou moins rapprochés sans être absolument j
compagnons d’existence, leurs prédispositions ne pour-; – raient plus se füsionhér d’une façon ausi complète, et cer- : taihes causés occasionnelles pourraient agir sur l’un sâns : agir en meme temps sur l’autre. Il faut donc qu’il existé i, entré eux une solidarité extrême ; il faut, qu’assimilés et \ ne faisant qu’un, pour ainsi dire, ils sè suffisent,1’un à l’autre et vivent en égoïstes, en dehors de toute autre
Et qu’on le sache bien, socialement, cette fusion de deux êtres en un seul n’est pas si rare qu’on pourrait lé croire au premier abord. Si, dans certaines classes de la société, les époux, esclaves de traditions surannées ou de Convenances poussées à l’excès, restent pour ainsi dire étranger* l’un à, ij l’autre, ayant chacun dés habitudes et des intérêts à part, il en est d’aptres en revanche où le mari et la femme s’unissent de corps et d^âme et en arrivent réelle ment è ne 1 former qu’un a>eul individu, à s’incarner Fun dans l’autre. _ ^________________
Explique qui voudra le fait, mais tout le monde a pu
j voir deux époux, après de longues années d’une vie com : mune, en arriver à s’identifier tellement l’un à l’autre que
| sur tous points ils pensaient et agissaient de même, qu’ils ; tenaient le même langage, les mêmes propos, avaient le i même timbre et les ïnêmes inflexions de voix, et parfois ; aussi la même expression de figure, les mêmes gestes et la i même physionomie 1
[■; Cette assimilation se retrouve plus complète encore s’il est possible chez les prédisposés, chez les candidats à la i folie* Morel et M. Doutrebente avaient déjà signalé cet i instinct qui pousse les héréditaires à s’unir entre eux soit ; par une espèce d’attraction inconsciente, soit comme des parias bannis du reste de la société.
Aussi, chez eux l’un ion est-elle intime, profonde, rd’autant plus intime et d’autant plus profonde qu’eu général ils sont ; égoïstes à l’excès et que, par conséquent, ils se suffisent à ; eu^-mêmes et vivent en dehors de tout contact extérieur, circonstances bien propres à favoriser chez eux l’éclosion simultanée d’un même délire.
Cette assimilation intime, compliquée d’un isolement ; presque complet, se retrouve dans toutes nos observations.
Nous voyons les époux R… vivre constamment ensemble. Le mari est casanier, misanthrope, il n’aime que son chez ! lui, et ne quitte pas sa femme* Chez les époux T,.* il. en est de même ; le mari est également casanier, peu sorteur ; s’il prend un plaisir, il le prend avec sa femme, et celle-ci dit en propres termes : * Il ne ferait pas un seul pas sans moi. » R en est de même pour les frères G…, les sœurs F… et les sœurs L… ; ils travaillent ensemble, etne se quittent pasd’uu momenl.
C’est ce contact intime et perpétuel qui permet aux deux
sujets de subir simultanément l’influence des mêmes çaur ses occasionnelles.
Ces causes occasionnelles peuvent évidemment varier ;; nous devons remarquer cependant que dans toutes les observations, elles ont été de nature dépressive. Dans î’ob – \ servation de M, le Dr Dagron, c’est îa mort d’un parent 1 rapproché ; chez les époux R..,, ce sontdes pertes d’argent, des revers de fortune ; chez les époux T..,, des procès longs, embrouillés, qui se terminent contre eux ; chez les frères G… et les sœurs F…, le manque de travail, la ; misère, etc. ;
Ces causes sqnt toutes à peu près les mêmes, et c’est là un point à noter.
Un fait également bien digne de remarque, c’est que dans tous les cas c’est le délire de persécution qui est survenu.
Y compris les nôtres, nous connaissons une dizaine d’observations bien avérées de folie à deux.— Il est bien entendu que nous ne parlons ici que dés faits réels de folie à deuk, s telle que nous Pavons décrite, et que nous en excluons par conséquent tous les faits de folie suicide simultanée dans une famille, cas complexes où l’on peut invoquer l’hérédité similaire, et les cas de folie religieuse multiples (démono-pathîe, lycanthropie, etc.)» cas encore plus complexes, où en même temps que le contact interviennent dés éléments aussi nombreux que disparates » névroses, épidémie,; imi-talion, simulation, etc.—
Or, dans tous les faits avérés de folie à deux que nous ! connaissons, c’est le délire de persécution qui a existé ; il : n’en est qu’un seul qui fasse exception à la règle : C’est l’observation de folie similaire publiée par M. le Or Màret dans les Annales médico-psychologiques de Pannée r
observation où l’on rencontre la monomanie des grandeurs.
Et encore cette exception est-elle plus apparenté que réelle. Remarquons en effet qu’au moment où M. Maret les a observés, les deux frères Dégaspéri étaient déjà malades depuis plusieurs années. Or, il est constant que la monomanie des grandeurs est constituée par un délire chronique, exceptionnellement primitif et qui succède presque toujours au délire des persécutions. Il est donc permis de penser que les malades observés par M. Maret ont commencé par être persécutés, et, qu’à l’époque relatée dans l’observation, ils se trouvaient à une période déjà très avancée le leur maladie, à la période de mégalomanie terminale du délire de persécution.
Ainsi tous les faits s’accordent ; dans tous on retrouve le même délire.
Quelle est la raison de cette particularité ?
Ici nous avouons notre embarras. Le terrain purement psychologique n’est point un terrain sans dangers, et, sur les conseils éclairés de nos maîtres, nous nous sommes promis de ne point l’aborder de sitôt. Aussi nous contenterons-nous de mentionner à ce propos le caractère partiel du délire de persécution qui le rend plus apte à éclore à la fois chez deux individus, et, en second lieu, le rapport évident entre la nature dépressive de ce délire et la nature des influences occasionnelles, que nous avons vues également être, dans tous les cas, dépressive. Faut-il ajouter enfin que, suivant nous, la tendance à l’idée de persécution est innée chez l’homme, et qu’elle se développe avec la plus grande facilité, sous l’influence des événements malheureux, chez deux individus surtout profondément égoïstes, qui n’aiment qu’eux, vivent en dehors du monde et sont portés par conséquent à ne voir autour d’eux que des ennemis ? Mais en insistant sur ce point, nous tomberions
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infailliblement dans l’écueil que nous voulons éviter ; aussi bornons-nous là nos réflexions, laissant à des esprits plus autorisés et plus compétents le soin de mettre le fait complètement en lumière-
Une simple remarque en terminant. Il résulte des trois éléments spéciaux dont nous avons fait les conditions sine qua non de la folie à deux, que ce genre de folie ne peut éclater à la fois chez trois, quatre… individus. Comment pourrait-on retrouver chez plusieurs sujets, en même temps qu’une prédisposition héréditaire, un contact absolument intime, une identification telle, que les influences déterminantes pourraient agir à la fois et au même degré sur eux tous ? Cela ne saurait être. Aussi, tandis qu’il est souvent donné d’observer des cas de communication d’idées délirantes à plusieurs, ainsi que nous l’avons vu dans la première partie de notre travail, on en est encore, croyons-nous, à trouver un cas bien avéré de folie réelle à trois. Nous savons bien qu’on cite de par le monde des observations de folie à cinq, six et même sept individus ; mais lorsqu’on se rend compte de tous ces faits, lorsqu’on pénètre au fond des choses, on voit qu’il ne s’agit là que d’uné simple coïncidence. La folie a éclaté à intervalles plus ou moins rapprochés chez plusieurs membres prédisposés d’une même famille et a revêtu chez chacun d’eux une forme quelconque. Ce n’est point là de la folie à deux, c’est simplement de l’hérédité » 1 ;:. :^-^'4
Le mémoire de MM. Lasègue et Faîret a pour titre ; « De la folie à deux ou folie communiquée. » N’admettant pas cette communication, nous avons cru devoir supprimer ce sous-titre dans notre thèse. Si tant est que la folie à deux dût en porter un, on pourrait, croyons-nous, lui donner celui de simultanée. »
Observations. Deuxième série
Observation I (personnelle)
Mari et femme. Prédisposition héréditaire chez chacun d’eux. Vie en commun, complètement isoiêe du monde. Revers de fortune et ruine complète quelque temps avant l’invasion du délire. Idées de persécution survenant simultanément chez les deux époux, et suivant, chez chacun d’eux, les mêmes gradations. Analogie absolue des conceptions délirantes. Folie confirmée. Généralisation du délire, auquel viennent s’ajouter petit à petit des idées orgueilleuses.
‘ Plaintes à l’autorité, à la justice. Séquestration du mari. Peisis-tance complète du délire chez la femme. ‘
M. H… est âgé actuellement de 54 ans. Il est né à N… Son père ôtait un soldat du premier empire fait prisonnier en 1812, pendant la campagne de Russie, et transporté en Sibérie où il eut beaucoup à souffrir du.froid, et des privations. Revenu d’exil, il se maria peu après, et eut deux enfants, M. R.,., notre malade, né en 1825, et un frère de notre malade, aujourd’hui commissaire-priseur à N…, né en 1828.
Les fatigues, la misère, le désespoir, et surtout les rigueurs d’un long exil, avaient agi sur l’esprit du soldat ; la chute de l’empire et les événements dramatiques qui suivirent l’assombrirent davantage encore ; il devint triste, méfiant, ombrageux, et, vers la fin de sa vie, fut en butte à des idées de persécution qui dégénérèrent bientôt en véritable délire. Il mourut à Fàge de 82 ans,
Son unique frère était mort du choléra en 1832,
La mère du malade était d’un tempe ram ment faible et délicat ; à la suite d’une couche malheureuse, elle tomba malade et resta souffrante pendant 25 ou 30 ans ; son intelligence s’était affaiblie en même temps que son corps. Elle mourut en 1858, à l’âge de 70 ans, Bans avoir jamais perdu complètement la tête. Le frère
du malade ne jouit pas non plus d’une excellente santé. Il a eu la fièvre typhoïde et souffre de la pierre depuis de longues années. À l’époque de la guewe, il a eu un accès de délire ; de temps à autre il a des moments d’absence. Il habite N,.*, sa ville natale. ^.;^: ï, – > ■■ÿ---
M. R…, notre malade, tient de sa mère ; il est blond comme elle, il en a le tempérament lymphatique et délicat ; jusqu’à l’âge de 7 ans, il est resté presque constamment au lit, malgré qu’on l’eût envoyé à la campagne pour le fortifier ; il a eu le eroup dans son enfance ; tous les hivers il avait des engelures tellement fortes qu’elles s’ulcéraient profondément, laissant les os à découvert. D’une intelligence au-dessus de la moyenne, et doué d’aptitudes diverses, M. R.a manifesté, dès le début, un caractère triste, concentré, réfléchi ; il prenait à peine part aux jeux de ses camarades ; s’isolant d’eux, se complaisant dans là solitude, il n’avait guère qu’une préoccupation, sa santé. Déjà au collège, tourmenté par ses engelures, il compulsait tous les journaux pour y trouver des indications de traitement, qu’il mettait aussitôt en usage. À l’heure actuelle, il nous raconte que l’eau de Ooulard qu’il a employée en excès dans sa jeunesse contre les engelures, l’a empoisonné et que c’est là le point de départ de ses souffrances physiques, des maladies dont U souffre encore. L’oxyde de plomb pénétrait parles ulcères et s’est répandu dans le sang, qu’il a altéré pour jamais.
Au sortir du collège et avec des dispositions hypochondriaques aussi accusées, M. R… était évidemment incapable d’embrasser avec ardeur une carrière quelconque ; U s’occupa de divers métiers, fit de la peinture, de la photographie, travaillant peu, beaucoup ou point, suivant l’élut mental du moment ; toujours triste, concentré* réservé, sortant à peine et ne voyant personne. À l’àge de 27 ans ; cependant, il fit la connaissance de Mlle X…, aujourd’hui sa femme, avec laquelle il ne tarda pas à se lier.
Celle-ci est âgée de 45 ans, Elle est née à M…y elle est la dernière de 14 enfants, Son père, menuisier-ébéniste, faisait, en même temps, le commerce des vins, ce qui explique les excès cle boisson qu’il commettait assez fréquemment, 11 était d’un caractère vif, emporte, violent ; dans ses accès de colère, lorsqu’il avait bu surtout, il lui arrivait parfois de briser des meubles, de battre sa
[' et ses enfants ; U est mort il y a quelques années sans
[■ avoirétépositivenient aliéné ; il ôtait sourd depuis longtemps.
i Sa femme était robuste et bien portante ; ses quatorzes grossesses f ne Paient que médiocrement affaibae ; elle est morte à un âge I assez avancé, indemne de tonte affection mentale.
Des quatorze enfants issus de ce mariage, dix sont morts en bas âge, quelques-uns de convulsions, les autres d’affections diverses. Des quatre qui seuls sont arrivés à l’âge adulte, l’un, clerc de notaire, est mort il y a un an ; une seconde, mariée à un maître de : Pe »sion, a eu neuf enfants et est morte également il y a quelques ; lunées ; une troisième, mariée, ayant des enfants, vit encore ; on ne connaît pas son état mental. Enfin la quatorzième, la plus jeune, jj est àfme H.,.,1a femme de notre roulade.
S M * R… a toujours été robuste, vive, enjouée, énergique, intel-j ligente ; son père touchait à la cinquantaine lorsqu’elle est née. j Elle prétend qu’on s’est peu occupé d’elle parce qu’elle était la î plus jeune, qu’on l’a toujours négligée, rudoyée même ; c’est à S Peine si on Ta envoyée quelque temps à l’école ; elle*a été obligée
j. de terminer elle-même son instruction. Les soins que l’on prodi-j guait à ses aînés Dont aigrie de bonne heure ; elle se plaignait de [8on abandon, elle manifestait hautement sa jalousie. Ses senti-| mente d’aigreur ont persisté jusqu’à l’âge de W ans ; à* cette [époque, n’y tenant plus, et se trouvant à charge, elle a quitté sa | famille et est venue se fixer à N…, pour y exercer le métier de brodeuse, emmenant avec elle une de ses cousines.
Bientôt après, elle entra en relation avec M. B…
Ils sympathisèrent presque aussitôt. L’un était maladif, eon-centré, mélancolique, hypochondriaque, aimant l’inaction, le repos, les petits soins ; I autre était robuste, active, alerte, enjouée ; ce contraste plaisait à M. B… Il ne fut d’abord nullement question de mariage entre eux ; ils se lièrent à l’amiable, et ce n’est que depuis peu de temps qu’ils ont fait donner à leur union la sanction : ^gale. Au bout de quelque temps, le séjour de N… déplaisant à : M< B. *., il eut 1 idée de venir à Paris pour y exercer la profession de photographe ; il n eut aucune peine à décider sa maîtresse y à le suivre. Elle laissa sa cousine à N…
i À partir de ce moment, leur vie devint commune, ils ne se, quittèrent plus d’un instant » M. B.v. n’aimait que son chez lui ; il
sortait à peine, ne, voyait personne et vivait dans un téte-à-téte perpétuel avec sa femme. Cela ne les empêchait pas de s’entendre ;, au contraire, ik s’aimaient chaque jour davantage, leurs caractèr res semblaient faits pour se compléter l’an l’autre. lis partageaient les mêmes idées, les mêmes sentiments sur tous lés, points ; leur ? occupations étaient les mêmes ; les joies et les peines leur étaient ; communes ; ils ne se quittaient jamais ; on pourrait dire qu’ils agis* saiont, qu’ils pensaient en mémo temps de la mémo façon. L un ; était-il plus intelligent que l’autre, le dominait-il, pesait-il sur ses actes, sur ses décisions, sur ses pensées ? Quel était îe maître ? A : cette question, bien des fois posée, aussi adroitement qu’il si été, j possible, aucun des deux n’a répondu d’une manière affirmative. • Ils ne savent pas, il n’y avait pas de maître, ils n’ont jamais pensé ; à ça ; ce queTun voulait, l’autre le voulait aussitôt, ou plutôt, iis
le :\y rjï^v
En 1859, ils se fendent en Angleterre, oh M. H… veut faire de la photographie ; ils y restent environ six mois. L’entréprise ne réussit pas, M. B… est souffrant ; ils reviennent à Paris, les idées
un peu tournées au noir. j
En 1860, nouvelle perte d’argent, cette fois plus considérable, qu’ils chiffrent tous deux à 30,000 francs environ, c’est-à-dire toute : leur fortune. Recrudescence de tristesse chez tous deux. Les voilà désormais à point, en état de réceptivité, mûrs pour la folie, qui va : trouver là un terrain tout préparé, et pourra se développer à Taise, : Bientôt en effet les idées erronées surviennent ; ils se croient
persécutés. ■ :: ' ■ ■■■■ ■■■: ■;-r : ' -■ ■ ' ■ : i
Qu’on nous permette de remonter à l’origine du délire, d’enmar – ' quer les étapes, les phases diverses ; on verra comme tout est logique, comme tout s’enchaîne, comme tout grossit peu à peu, enfin et surtout comment les malades se laissent glisser tous deux sur cette pente de la folie, progressivement, simultanément, en se te- ; nant pour ainsi dire par la main. ;
M. et Mme R.., tristes tous deux, découragés par leur insuccès ; et la perte de leur fortune, en étaient arrivés à se demander quelle ; était la cause de leur revers, à quoi ils pouvaient l’attribuer. Sur :
vient une querelle entre concierge et locataires, leurs voisins ; c’en est assez, ce sera là lé point de départ de leur délire, le dondenrent ;
bien fragile sur lequel ils vont étayer l’édifice do leurs conceptions
délirantes, Remarquons à ce propos qu’il n’est point rare, qu’il est mèmè très fréquent de voir les voisins et les concierges jouer un rôle important dans le dramatique délire des persécutés ; nous avons eu bien des fois l’occasion de constater ce fait.
Voici ce qui s’était passé dans la maison qu’iis habitaient, ün jour, une de leurs voisines, une femme publique du nom de Ga-brielie, avait réuni deux de ses amies, et toutes trois s’étaient assises complètement nues sur le palier ; M. et Mme R… étaient sortis en promenade. 0ne locataire de la maison, du nom de Léo-poldine/témoin de cette scène scandaleuse, était allée en cachette
\ prévenir le concierge, qui, au nom de la morale et de ses hautes [fonctions dans la maison, avait vertement réprimandé les coupa ; blés et les avait fait rentrer dans l’ordre. Mais voici que ces trois ! femmes, dépitées, et ignorant l’absence de M. et Mme H…, s’ima-; ginent que ce sont eux qui les ont dénoncées au concierge. À pari tir de ce moment, 'elles s’acharnent contre le pauvre couple, lui ; font mille tracasseries, et s’ingénient à lui créer des embarras ;
! tantôt ce sont des cancans, de mauvais bruits qu’elles font courir ; sur son compte ; monsieur est ci, madame est ça ; tantôt on en vient aux actes. Ce sont des morceaux de bois, de la ferraille, de vieilles j chaussures qu’on échelonne sur l’escalier pour faire tomber ma-j dame ; tantôt, c’est du bruit, du vacarme qu’on fait la nuitpourem-pécher monsieur de dormir. Les pauvres gens ne savent que penser, ils ne comprennent rien à ces persécutions ; enfin, Léopoldine, prise de remords, leur vient avouer qu’on les accuse à sa place, et qu’on les tient pour dénonciateurs. Ils veulent prouver leur innocence, peine perdue l La persécution a déjà pris des proportions plus grandes. Le concierge est contre eux, Léopoldioe est du complot,
: on a séduit un employé des postes qui se met de la partie ; les tra-f casSerieS ; deviennent intolérables, on chuchote dans la rue, on les insulte ouvertement ; madame est une femme publique, monsieur un calomniateur, un misérable ; ils ne peuvent ni dormir, ni s’occuper. On ameute tout le quartier contre eux, on les regarde de travers ; on fait circuler dans les environs une pétition tendant à les chasser de la maison, ils ont vu tous deux le brocanteur qui la signait. Le concierge et l’employé des postes sont francs-maçons ; iis les calomnient auprès de leurs frères, qu’ils décident à inter ; venir ; voilà la Franc-maçonnerie tout entière à leurs trousses ;
« Il y a eu, disent les malades, deux congrès de francs-maçoni, l’un tenu à Versailles, Tautre à Paris ; on s’est oécupé de noué dans ces deux assemblées. » Ce n’est point tout ; le concierge les dénonce, à la police* et celle-ci entre à son tour en scène, C’en est fait : ils. ; n*y peuvent plus tenir, ils vont changer de domicile pour se sous- ; traire à ces poursuites. Mais au moment du départ, le concierge j est là qui leur dit à tous deux en ricanant : « Vous avez beau faire, la Franc-maqormerie vous poursuivra jusqu’à ce que vous soyer réduits à la misère, au désespoir et au suicide. » Les deux malades : interrogés séparément, répètent ; tous deux et mot pour mot cette : phrase. Ici commence une véritable course au clocher. Le mal-~ heureux couple va et vient de logement en logement, de la rue Saint-Honoré aux Ternes, des Ternes aux Batignolles, etc,, pour ; se soustraire aux insultes et aux tourments de ses persécuteurs,] Vains efforts 1 La menace du concierge est toujours là comme une] épée de Damoclès suspendue sur leur tête ; elle ; les suit partout, ? lils la commentent, ils se la disent avec effroi, et elle se réalise ; sans cesse ! Enfin, ils se décident à se plaindre ; c’est le mari qui] prend la plume et se fait l’écho des injures et des tourments subie ensemble. La femme est 1 fi j le conseillant, l’approuvant, l’encou – J rageant ; mais déjà les idées orgueilleuses commencent à germer dans les deux têtes ; ils se demandent qui ils sont pour qu’on les] persécute ainsi ; sur ce terrain, ils en arrivent bientôt à se croire] des personnages ; aussi s’adressent-ils successivement, pour porter : plainte, au commissaire, au préfet, au procureur, aux ministres, au président de la Bépublique, gravissant chaque fois un échelon] de plus, se donnant chaque jour une importance plus grande* Oui leur en veut parce qu’ils sont au-dessus des autres, qu’ils ont des] idées, des projets, des combinaisons qui feraient leur fortune et celle de là France ; on les empêche de travailler pour la prospérité publique Aussi, aux plaintes se mêlent bientôt les plans de conceptions gigantesques quils envoient aux ministres, aux Chain*] bros, etc. Ici, M. R… prend la part la plus active ; sa femme le conseillé, mais c’est lui qui écrit. Il traite la question des omnibus] couverts, la question des cimetières, celle des égouts, d’un grand ; boulevard d’enceinte, de l’Exposition universelle avec bâtiments permanents ; celle de la Seine avec canaux de dérivation, celle des j chemins de fer suburbains, des hôpitaux, des maisons de santé, de : ia Bibliothèque nationale, etc.; il est en relations d’affaires avec les puissances étrangères ; c’est lui qui a empêché la guerre d’éclater il y a cinq ans. La femme ost là, partageant ses idées, le soutenant, croyant à tout, approuvant et développant ses projets les plus orgueilleux et les plus insensés ; finalement une de ces lettres, adressée au procureur, amène M. R… devant le commissaire de police, et de làà FasiJo Sainte-Anne, où il entrele 13septembre 1879.
Le point le plus important pour nous était de savoir lequel des deux avait été persécuté le premier, ou s’était aperçu le premier des tracasseries qu’on leur faisait subir. Nous avons obtenu de chacun d’eux la même réponse, n on a commencé par tous deux, et nous nous en sommes aperçus ensemble, puisque nous ôtions réunis lorsque Léopoldino est venue nous dire qu’on nous en voulait parce qu’on nous croyait les dénonciateurs. »Nous avons interrogé séparément M. et Mme R,..; nous les avons poussés jusque dans leurs derniers retranchements et – il nous a été impossible de leur faire dire autre chose que ces mots : « On nous a persécutés tous deux à la fois, nous l’avons appris ensemble, on en voulait autant à l’un qu’à l’autre. »
En présence de ces faits, nous pouvons affirmer qu’il n’a jamais existé chez les deux malades d’organe actif et d’organe passif. Au surplus, voici qui le prouvera mieux que nous ne saurions le faire.
M. R… nous arrive avec le certificat suivant :
« Délire dea persécutions. Hallucinations de l’ouïe. Récriminations contre le gouvernement, les hauts fonctionnaires de l’Etat, les francs-maçons et les filles publiques. Interprétations erronées. Complot contre lui. Propagation de fausses nouvelles pour le perdre. Menaces de mort. Désir de faire un exemple afin d’être écouté, et protégé par lapolice. Lettres àTautorité. Conceptions délirantes similaires commtmiquées à sa femme. Legrand du Saudle. »
Certificat immédiat.
« Délire chronique avec idées de persécution et idées ambitieuses : on l’injurie, il y a un complot contre lui ; la franc-maçonnerie le poursuit ; il a un nouveau mécanisme financier qui produira des milliards ; inventions nombreuses. Magnan. »
Ainsi, M. Legrand du SauÜes constate que le mari a communiqué son délire à sa femme, qu’il est l’organe actif ; or, dans les »o-Régis. 5
■ : ; “v”: ■■ ; t :: v ;! ‘ j, 7 ;; î-
.. •, V| J – '“A”./.! V ;.. V-.,.• ; r ' !: '• '.'i. a
tes prises quelques jours après par notre médecin en chef, qui a [examiné séparément les doux malades, nous trouvons textuellement ces mots ; « La femme est fort intelligente et un peu excitée ; organe actif, » – Y a-tUi une preuve plus concluante pour établir ! qu’il n’y eh avait pas ? j[
Au rosie, voici ce qui est advenu depuis, Le mari est séquestré ; il est à la fois hypochondrieque, persécuté, mégalomane ; il est incurable. La femme vit àu dehors, réclamant sans cesse contre la séquestration du mari, qu’elle trouve évidemment injuste et crîmb nelie. Les persécutions continuent contre elle ; elle change toujours d’appartement ; toutes les fois qu’elle veut louer, on ia pré ; I vient et on entre après elle pour diré qu’elle n’a pas d’argent, * qu’elle est femme publique et qu’elle fait le trottoir. Ou la traite ; de toquée ; il 7 a quelques jours, elle a eu une altercation avec uü i commissaire de police, qui lui a dit qu’elle était : folle, ;
Loin de s’améliorer, depuis que son mari est enfermé, son délire ; paraît empirer de jour eu jour ; elle veut obtenir de force un jii-; j gement et, dans ce but, adresse des plaintes à l’autorité ; elle vient j d’écrire au commissaire, etc. îi est probable qu’elle ne tardera pas j à partager le sort de son mari. Elle est intelligente et très vive ; s’anime avec facilité, garde utic attitude un peu hautaine, et paraît J toute fiôre d’être la femme d’un si grand inventeur* 1
Elle a les oreilles plates et déformées des héréditaires.
Observation II (personnelle)
Père alcoolique, mort de diabète ; grand-mère maternelle excentrique ;! mère morte de phthisie pulmonaire. 14 frftrea ou sœurs dont 1Û morts en bas ége. Ressemblance physique, intellectuelle et morale, : chès les deux frères malades. Même insuffisance Intellectuel le, – même versatilité d’humeur, même dégoût des professions embrassées, même penchant léger pour l’alcool. Instruction plus grande ; r.he* Patné, Les deux frères vivent d’abord séparés, Le jeune, lori » de la mort de sa mère ; est pris d’un détire religieux pour lequel ïf ; est traité à Bicètre pendant trots ou quatre mois. Le » deux – frères ; s’associent pour exercer le métier de colporteur. Grande intimité,; fusion complète entre eux. Au bout de six ans, mauvaises affaires, pertes d’argent, misère, Invasion simultanée d’un délire de persécution accompagné d’hallucinations de l’ouïe qui les amène tous
deuxèFasilele même jour. Séparation. LAttoé meurt aliéné après ua an de traîteiïïentv Le jeune guérit au bout de neuf mois ; mais U sa trouve encore sous Fitamiueace d’une rechute.
Les frères G,.. entrent tous deux à Fasile S&inté-Anne, le 1§ novembre 1877.
Voici les renseignements que nous avons pu recueillir sur leur iamilîe et sur leur vie antérieure.
Le père, d’un caractère sombre et concentré, était sujet à de violents accès de colère. Son métier de courtier en crins eten lai* nés l’obligeait à boire outre mesure, et, comme tous les gens de sa profession, il ne traitait les affaires qu’entre deux brocs de vin. En 1867, il a cédé son commerce à son gendre, et s’est placé dans une compagnie d’assurances. Des soucis d’argent sont survenus, qui l’ont beaucoup affecté. Atteint de diabète sucré, il a vu son mai empirer rapidement, et U est mort à l’âge de 76 ans, en état de cachexie, avec prostration intellectuelle et morale des plus manifestes.
La grand’mère maternelle est morte en enfance, à l’âge de 69 ans. Elle était peu intelligente, et avait toujours eu des manies,
La mère est morle de la poitrine à Fige de 53 ans. Elle toussait depuis fort longtemps, avait maigri, et perdu beaucoup de ses forces, Son caractère était très doux.
Quatorze enfants (1), Dix sont morts, en bas âge, d’affections diverses, sur lesquelles il nous a été impossible de nous renseigner.
Des quatre survivants, Faînée, intelligente et instruite, est mariée depuis longtemps. Elle n’a jamais eu d’enfants.
La seconde est religieuse. Elle a la constitution faible et délicate de la mère.
Les deux derniers sont les deux frères qui font l’objet de l’observation présente. Comme ils ne se sont mariés ni l’un ni l’autre, cette nombreuse famille se trouve aujourd’hui déjà près de s’éteindre. : ::. 1
Barnabé, je plus âgé, a reçu une certaine instruction. Comme il avait manifesté de bonne heure une sorte de vocation religieuse, ses parents n’avaient rien négligé pour lui faciliter les moyens d’étude, Mais il était capricieux, bizarre, morose ; et son humeur fantasque ne lui permettait point une application soutenue ; avec cela, les aptitudes inteïlec tu elles lui faisant défaut, il n’apprenait qu’à grand’peine. Aussi n’a-t-il pas terminé ses classes : un jour, ü a jeté brusquement le froc aux orties* et est entré dans une pharmacie, en qualité d’élève. Après avoir erré quelque temps d’officine en officine, il a de même abandonné le pilon pour le colportage, et s’est associé, dans ce nouveau métier, avec Claude, son jeune frère.,
Celui-ci est à peu près dénué de toute instruction. Il sait à peine lire et écrire ; il est peu intelligent d’ailleurs, et le parait d’au- ; tant moins à côté de son frère, que celui-ci possède tm certain ■] vernis, résultat des études tronquéesjqu’il a faites. Claude a tou – ■. \ jours été ouvrier. Il a d’abord travaillé chez son père ; mais les affaires ne marchant pas, il eStvenu à Paris, où il est resté six mois environ dans une quincaillerie : après quoi, il s’est fait garçon marchand de vins. Il a contracté là quelques habitudes de boisson qui n’ont cependant jamais été excessives. C’est à ce moment, en i 1867, qu’est survenue la mort de sa mère. Claude n’a pu supporter '? ce coup et a été pris d’un accès de délire religieux, pour lequel il il a été traité pendant trois ou quatre mois à Bicêtre. Il avait des visions célestes, entendait la voix de Dieu ; ü se comparait à Marie Alacoque. L’accès guéri, Claude, lassé de 1-existence parisienne, ■'■■■$ retourne dans sa famille ; mais là encore ü ne peut se plaire, et re – i vient bientôt à Paris pour s’associer à son frère dans le métier de ; colporteur.
Comme on le voit, les deux frères, à part ie degré d’instruction : plus grande de l’aîné, se Ressemblent irait pour trait, : même in – j suffisance intellectuelle, même versatilité d’humeur, même dégoût 4 ' rapide des professions embrassées. La ressemblance d’ailleurs : n’est pas moins frappante au physique qu’au moral ; ils ont tous ; deux la tête petite et le front aplati, ;
Voilà donc Barnabé et Claude réunis, faisant un métier commun, l habitant ensemble, voyageant de compagnie, ne se quittant pas – j d’une seconde, partageant les mêmes joies et les mêmes peinés,..■!
gais ou trigtes tous deux, suivant que le commerce est plus ou moins prospère* On était en 1869. Tout alla bien jusqu’à Tannée suivante, À cette époque, la guerre survient ; les deux frères, forcés de quitter Paris, vont chercher de Fourrage enprovince. Bar-nabé entre de nouveau comme élève dans une pharmacie. Claude se place en qualité d’infirmier dans un hôpital de la même ville.
La guerre finie et Paris devenu libre, les deux frères reprennent leur métier de colporteur ; iis parcourent la ville et la banlieue, vendant leurs marchandises dé porté en porte. Ils restent six ans ainsi, étroitement confondus, ayant les mêmes goûts, les mêmes désirs, les mêmes craintes et les mêmes espérances, ne faisant qu’un pour ainsi dire. Ce que Fun voulait, l’autre le voulait, disent-ils tous deux. Ils ne fréquentaient personne, etvivaient fort retirés, ne s’énivrant même jamais qu’en tête à tête. Tout d’abord, le commerce va bien, on travaille, on met quoique argent de côté ; mais à partir de 1876, il se produit dans leur commerce une baisse subite et progressive, qui absorbe en peu de temps les économies déjà faites, et amène un état voisin de la misère. On ne vend plus, il faut faire face aux obligations d’achats, il faut vivre, et l’argent manque complètement. Les deux frères s’attristent, et leur peine s’accroît par cela même qu’elle leur est commune, qu’ils la subissent en même temps. Sombres, désespérés et réduits aux expédients pour vivre, ils en arrivent à se demander si leur insuccès est bien le fait du hasard, ou s’il n’est pas dû plutôt à des influences étrangères, à un mauvais vouloir systématique. Cette idée est à peine éclose, qu’ils l’adoptent avec ardeur et s’y cramponnent en désespérés. Aussi fait-elle des progrès rapides. On les empêche de travailler, on nuit à leur commerce ; « c’est la Ville de Paris qui veut supprimer les colporteurs pour ne plus avoir que des boutiquiers. » Voilà le délire de persécution organisé ; à deux il va marcher plus vite. Bientôt, les ennemis augmentent, les mauvaises influences s’étendent, tous les gens sont contre eux et s’accordent pour les faire disparaître ; on les regarde de travers dans la rue, on les insulte ouvertement, on les accuse de pédérastie, etc. Les deux frères délibèrent ; la vie n’est plus tenable, il faut réagir contre ces persécutions, il faut aller se plaindre à l’autorité. Et de fait, le 6 novembre 1877, Barnabé et Claude se rendent tous deux chez le commissaire do police du quartier ; là, ils expliquent si bien
leurs peines qu’ils sont envoyés à la Préfecture* d’où ils sortent quelques jours après pour entrer ù Tasile Sainie-Ahne, !
Les certificat » qui les accompagnent sont ! ainsi conçus : :
O… (Barnabé).
« Délire de persécution, début remontant i un an ; on l’accuse de pédérastie, on l’empêche de faire son commerce de colporteur ; ancien élève en pharmacie* bizarre, quelques idées mystiques, »
: D' Làsbüub.
Certificat immédiat.
« Délire de persécution avec hallucinations ; oti l’injurie, on fait courir de faux bruits sur son compte, on Tempêche de gagner sa
/Vie ;:>^4 ji – – f
« Délire de persécution, faible d’intelligence, sait tout au : plus lire et écrire ; réflète mot à mot son frère ; on les accuse : et on les empêche de gagner leur vie. »
Certificat immédiat. ;
« Délire de persécution avec hallucinations, il entend des insultes, les injures ont commencé, dit-il, contre son frère ; il ne peut plus gagner sa vie ; influencé par son frère. »
:. : /J JJ ; j :.;;.J » IJ : JJ ;. ; J ; J / ; J : D*1 MÀGKaN. : J ;. J » JJ '
Comme on le voit, les deux frères ont absolument le môme dé* lire et les mêmes hallucinations ; ils emploient les mêmes termes et font identiquement les mêmes réponses.
Après quelques jours passés à Sainte-Anne, les deux frères sont séparés et envoyés, Barnabé à l’asile de Vaucluse, Claude à l’asile de Ville-Evrard. ;
Le premier reste quatorze mois à l’asile dé Vaucluse et meurt, non guéri, le lw janvier 1879.
Les notes médicales suivantes donnent une idée assez exacte de son état pendant son séjour à l’asile.
Le 27 novembre 1879*
« Est‘dans un état d’aliénation mentale, caractérisée par un dé*
lire de persécution à avec hallucinations de Tome ; on l’empêche de travailler, de gagner sa vie, on l’accuse de pédérastie. »
Br Bu/lod.
Décembre 1877, Lypémanie ; idées de persécution ; halluciné* tions de rouie.
Juin 1878. Lypémanie ; hallucinations.
Décembre 1878. Bébüitéintellectuelle ; manie religieuse ; délire de persécutions ; hypochondrie ; santé physique très altérée. Abus de ligueurs alcooliques.
Décédé le 1er janvier 1879, à onze heures du soir, d’une hémorrhagie intestinale.
Claude entre à l’asile de Ville-Evrard le 25 novembre 1877.
10 décembre 1877. Son observation porte : qu’il est atteint de délire deLperséçution*' Il entend les voix des personnes qui l’insultent, ainsi que son frère, et les menacent tous deux. Des épithètes grossières lui sont adressées. Il souffre de ces sottises qui r&ttoignent ainsi que son frère, pour lequel il manifeste le plus grand attachement.
5 juillet 1878. 11 avoue aujourd’hui comprendre sa situation et se rend compte de son état.
Juillet 1878. Amélioration notable ; nous espérons bientôt le rendre à la liberté, nous lui conseillons de retourner dans son pays, le milieu parisien ayant été funeste à sa santé,
3 août. Claude reçoit sa sortie définitive ; il est embauché aussitôt comme gardien dans l’asile. Il reste sept mois ainsi, et de temps à autre va visiter son frère qui, lui, est resté aliéné. Au mois de janvier 1879, Barnabé meurt ; Claude tombe dans une grande tristesse et éprouve le besoin de retourner dans son pays. Il part le 15 février, essaye de travailler, mais ne trouve pas d’ouvrage. Au mois de septembre, il revient à Paris où il se trouve encore.
Nous le voyons de temps en temps. Il ne s’est point encore bien consolé de la mort de son frère ; soit chagrins, soit misère, il a énormément vieilli en quelques mois ; ses cheveux sont presque blancs. Il est triste et déprimé ; nous croyons qu’un rien suffirait pour amener une rechute.
Observation III (personnelle)
Deux sœurs héréditaires ; Palnée Adèfé-Btisé, peu intelligente ; ma ! conformée, épileptique ; la jeune, Louise-Julie, peu intelligente, mal conformée, hystérique* Grande intimité entre les deux sœurs, qui ont toujours vécu ensemble, ayant tout spontanément les mêmes pensées, les mêmes sentiments, sans domination aucune de l’une h l’autre. Sous l’influence d’une cause occasionnelle, le manqué de travail, des idées de persécutions surviennent simultanément chez les deux sœurs. Le délire s’accroît rapidement et se complique d’hallucinations multiples. Adèle-Eliseet Louise-Julie restent quatre ans ainsi, délirant ensemble} sans jamais réagir trop activement. Au bout dé quatre ans, Louise-Julie, après dés accidenta hystériques multiples, est prise d’une violente excitation, qui amène sa séquestration dans un asile. Adèle-Elise, séparée de sa sœur, reste six. ans encore dans le même état de persécutée passive. Au bout de six ans, sa mère meurt ; deux jours après elle est prise h son tour d’une violente excitation, qui ramène bientôt dans le même asile que sa sœur. —* Etat actuel : Délire chronique et systématisé chez les deux sœurs. Crises d’agitation plus fréquentes lorsqu’on les aê~ pare. Louise-Julie commence à devenir incobérente, ; ^
F,.. (Adèie-EIise) et F… (Louisê-Julie), tel est le nom des deux malades qui font l’objet de cette observation.
Nous savons d’elles, que leur mère était nerveuse, impressionnable, et leur père fortement congestif. Mais nous avons tout lieu de penser que les accidents nerveux ont dû être plus marqués chez les ascendants que neTavouent les deux malades. Il suffît pour cela de les soumettre elles-mêmes à un examen physique et intellectuel (1)* i ;;,; vv – r■ ! :-v :.V-; : ■ ^
L’ainée,'Adèle-Elise, est microcéphale ; elle présente un aplatissement bilatéral des os du crâne ; le front est étroit et un peu bas, la colonne vertébrale légèrement déviée, Louise-Julie présente avec elle une grande ressemblance ; les mêmes particularités se re* 2
trouvent dans sa conformation crânienne, à un degré un peu moindre, cependant* En revanche, chez elle, la voûte palatine est en ogive.
Au point do vue intellectuel, elles se valent toutes doux, c’est-à-dire que leur intelligence est bien uu>dessoiis de la moyenne ; elles ont reçu la môme instruction, et en ont aussi peu profité, Dans ces conditions, une domination de f une à l’antre était chose impossible, Au reste, M. Gérente, notre collègue de Ville-Evrard, auquel nous nous sommes adressé pour obtenir sur ce point des renseignements complets, nous répond ainsi :
« Des deux sœurs ont toujours vécu ensemble, ayant tout spon~ tanément les mêmes pensées, les mêmes sentiments ; aucune d’elles ne parait avoir, dans les actes ordinaires de la vie, eu d’influence sur l’autre. Elles s’entendaient toutes deux, mais paraît-il, sans jamais se dominer réciproquement. U y avait entre elles gronde intimité.
« Voilà du moins ce qu’elles m’ont dit toutes deux. »
La réponse nous semble concluante,
Àdèle-Elise a eu pendant toute son enfance des accès très nettement épileptiques. À 18 ans, ils devinrent de plus en plus rapprochés. On la soigna, et peu à peu ils s’éloignèrent. Mais depuis cinq ou six mois ces accès se sont reproduits, presque toujours nocturnes (morsure à la langue, grands bruits dans les oreilles, inconscience complète de l’accès,. etc,),
Louise-Julie, elle, est une hystérique renforcée. Cette névrose s’est manifestée chez elle à l’âge de V6 ans, époque où elle a été abondamment réglée et a persisté depuis. Toutes les notes médicales la concernant font mention d’accidents hystériques anciens, avec vertiges épileptiques. Pour ce qui est de ces derniers, nous devons dire que nous ne les avons jamais bien réellement observés chez elle.
Ainsi, Adèle-Elise peu intelligente, mal conformée, épileptique ; Louise-Julie peu intelligente, mal conformée, hystérique ; tel est le bilan pathologique des deux sœurs,
La prédisposition à la folie était évidente. Notons, en outre, qu’elles ne se sont jamais quittées, qu’elles exerçaient toutes deux le métier de giletière, qu’elles habitaient ensemble, et que, suivant leurs propres expressions, elles avaient tout spontanément
les mêmes pensées* les mèmès sentiments » et vivaient dm*8*; uA#
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Il suffira donc que la même cause occasionnelle agisse à la fcii ;: sur les deux sœurs, pour qu’elles deviennent simultanément &Üé » ; nées. C’est ce qui a eu lieu. En 1868, le travail chôme, les soucia ; de l’existence surviennent, on est dans la misère. Les deux sœur* sont tristes, tourmentées ; elles s’imaginent qu’on leur eh veut et ; que les voisins leur font des misères, Bientôt, le délire s étend stÿ, se complique d’hallucinations ; ou les fait suivre dans lès rués, oûj les insulte, on les menace de les empoisonner ; elles sentent d<r odeurs de suie dans la maison, elles éprouvent des tremblemonU ^ nerveux et des secousses qu’elles attribuent à l’électricité ; on agH sur elles au moyeu élu magnétisme, on change leur personnalité^ leur sexe, on les violé toutes les nuits, etc., etc. Elles ont le nxénM> délire, elles éprouvent les mômes sensations,; ce sont les 1
individus qui leur en veulent., |!
Les deux malades délirent ainsi pendant quatre années environ,; j se confiant mutuellement leurs peines, leurs tortures, se souté|^ nant Tune l’autre, mais sans rien dire à personne de ce qu’ete éprouvent, sans réagir en aucune fanon, paraissant à leur familh ;:, aussi paisibles et aussi raisonnables qu’auparavant.,■
En 1872, Louise-Julie est prise coup sur coup d’accidents hyst&| riches multiples ; sous leur influence, survient un état d’excitatio# violente, qui provoque en peu de jours sa séquestration. À. son dé*; lire de persécution, qu’elle partagé avec sa sœur, sont venues sa ; joindre des complications do nature hystérique. Elle entre à l’asîU. de Ville-Evrard le 13 juin 1872, accompagnée des certificats mé-;
dicaux suivants : ;
7 juin 1872. – <* Manie hystérique. Hallucinations multiples*
Idées de persécution, Délire datant de 4 ans. » '
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8 juin 1872. – « Excitation maniaque. Délire de persécution*! Idées hypochondriaques. Hallucinations* Troubles de la fiensibi^. lité. Anciennement, accidents hystériques. Paraitayoirdes vqrtigôi. :
épileptiformes. » -
Dr Bouohereàü.
14 juin 1872. —- « Excitation maniaque avec hallucinations et troubles de la sensibilité générale. Quelques vertiges épileptiformes. Accidents hystériques anciens. »
i Dr Daghon.
| 28 juin 1872, – « Manie hystérique, clou hystérique très accentué* Mlle P… serait homme et femme ; la partie supérieure du.corps serait d’une femme, la partie inférieure d’un homme. Santé physique délicate* Anémie. [Amélioration légère.
! Dr Dagron.
I L’observation médicale porte en effet que la malade accuse très ^ nettement la sensation du clou et de la boule hystériques. Elle prétend avoir, été étudiée par des médecins et des pharmaciens qui se livraient sur elle au somnambulisme. Bien que ces personnes ne se soient jamais montrées, elle est persuadée qu’elle a été endormie* Sous l’influence magnétique de ces fascinateurs, elle a pu être changée ; elle a*une connaissance parfaite d’avoir été transformée partiellement en homme, et d’en avoir eu tous les caractères. La partie supérieure de son corps appartient à la femme ; l’inférieure était de l’homme et en (possédait tous les organes. Elle entend des voix qu’elle connaît et ne voit pas les personnes ; cela est surnaturel et la fatigue.
14 décembre 1872.— Elle déclare qu’elle ne peut s’asseoir, parce qu’on profite du moment où elle est assise pour se livrer sur elle à des attouchements.
15 décembre 1872. – Elle croit que des individus, cachés peut-être dans le jardin, lui touchent la poitrine, la rendent inerte, rient avec son visage, veulent entrer dans sa tête.
2i décembre 1872. – Elle se tient debout toute la journée, affirmant qu’elle ne peut s asseoir parce qu’elle sent quelqu’un au-dessous d’elle.
28 octobre 1873. – La malade reste constamment debout pour manger, travailler, etc. Il est absolument impossible de la faire asseoir. Ce qui 1 en empêche, c’est qu’elle se figure qu’un homme i esk toujours assis sous elle et se livre sur elleàdes actes indécents. Elle se sent constamment violée par cet individu. « C’est en-
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l »ouïe, fausses interprétations, troubles de la sensibilité générales Action de l’électricité. Odeurs infectes. Coup de foudre dans U cœur. Irritabilité turbulente par intervalles. Déviation de la coi lonne vertébrale. Hérédité morbide. Sœur à Ville-Evrard, b j
Dr LBORÂNi) UC SaULLE. !{
Dr Bouchbrkau.
riuyeux, dit-elle, quand je m’assieds pour manger, il faut passer
par dos cochonneries avant et après. » ^ j
Louise-Julie mange très peu, elle a peur d’ôtre empoisonaê& Elle éprouve toujours les mêmes sensations électriques ; on 1^
jette de mauvaises odeurs, etc. >
Pendant ce temps, Adèle-EIise était restée seule au doînicüfe commun, absolument dans le môme état qu’avant la séquestration de sa sœur. Elle avait conservé son délire, ses hallucinations, soi. fausses interprétations, ses troublés de la sensibilité général^ mais elle était restée persécutée passive, ne réagissant pas active* ment. Le point curieux, c est qu’aprés sept ans de ce délire cob,? centré, il va se produire chez elle le môme phénomène de réactîo| violente que chez sa sœur, et cela, sous l’influence d’une caa«|
analogue* ; ■ – F■'^ :-v – v ;■ – vi.1 ! U1 : ^-r-^; I – Il
Louise-Julie, nous l’avons vu, délirait.tranquillement dcpu| quatre ans, lorsqu’elle est prise coup sur coup d’accidents hystéjf riques multiples ; ' l’agitation • survient,' elle est enfermée ; si cette ? complication toute personnelle n’ëtait point survenue, il est pro*. bablo qu’elle serait restée passive, comme sa sœur. Celle-ci ; ; après la séquestration do Louise-Julie, continue à rester calme pendant sept ans ; puis, un beau jour, sa mère meurt ; les crise* épileptiques qui avaient à peu près cessé sc reproduisent, elfêj réagit, s’excite, et deux jours après, le 20 mai 1879, elle est séquestrée, d’abord à Sainte-Anne, puis à Vauclpse, eqfip, 1| 7 août 1879, elle rejoint sa sœur à l’asile de Ville-EVrard. ^ ^
Les certificats médicaux qui l’accompagnent sont les suivants | 20 mai 1879. – « c Délire de persécutions, hallucinations déj
21 mai 1879. —- « Délire de persécutions avec hallucînationr ; m parle d’elle dans les rues. On la menace, on J’injurie, on agit suïj elle durant la nuit ; troubles delà sensibilité.générale et spé*; Claie. » ■. : ■' – ', V ' : : : ‘ ?
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Vaucluse, 5 août 1879* – « Délire partiel avec prédominance 'd’idées dô persécutions et en particulier de celle qu’on l’électrise, qu’on lui fait respirer des odeurs infectes ; interprétations délirantes ; hallucinations de l’ouïe et de l’odoi'at ; troubles de la sensibilité générale et spéciale. »
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A. son arrivée à l’asile de Ville-Evrard, Adèle-Elise fut placée dans le même quartier que sa sœur. Gomme à cette époque nous étions très orthodoxe sur la question de la folie à, deux, que nous ne connaissions encore que d’après ce qui en avait été dit, nous demandâmes à ce que l’on séparât T une de l’autre ies deux sœurs, espérant, que de par la loi posée, la passive s’améliorerait rapidement. ■
Après trois mois de cette séparation, nous dûmes rapprocher de nouveau les deux sœurs ; leurs accès d’agitation étaient devenus plus fréquents depuis qu’elles étaient isolée l’une de l’autre.
À l’heure actuelle, leur délire à toutes deux est complètement devenu chronique ; elles commencent à être incohérentes, Louise-Julie surtout.
Elles sont évidemment toutes deux incurables.
Observation IV (personnelle)
Mari et femme. Tous deux héréditaires, inintelligents et sans instruction. Embarras d’affaires, procès long : et embrouillé, se, terminant à leur désavantage. Délire de persécution survenant simultanément chez les deux époux. Ils croient que le Jugement rendu est faux et en inventent un de toutes pièces qu’ils croient le vrai. Réclamations à ce sujet aux magistrats, aux autorités. La femme, d’accord avec son mari, imagine de se faire arrêter pour vagabondage, afin de pas. ser devant les juges, et réclamer le jugement supposé soustrait. Sé-quesfration de la femme. Persistance et analogie complète du délire chez les deux époux.
Julie S… entre à l’asile Sainte-Anne le 20 décembre 1879 (1).
Son père, Fiémontais d’origine, exerçait le métier de fumiste.
Il avait dés habitudes alcooliques et s’enivrait assez ment U). H est mort à Mge de 6 ?.« Aï, des suites d’un tr&tjia
Sa mère, d’un tempérament éminemment congestif, a eu, il f quelques années, une attaque apoplectique, probablement uneif morrhagîe cérébrale. Bile est morte paralysée, gâteuse, démenls Peu de temps avant son attaque, elle avait éprouvé de violé&l chagrins.
De ce mariage étaient nés quatre filles et deux garçons, de ces derniers s’est noyé par accident en se baignant. Le seèôÉi est tombé du haut d’un escalièr ; à la suite de cette chute, il'# resté longtemps malade, et a fini par mourir. La plus jeune t filles est morte phthisique a l’âge de 15 ans. La cadette, qui Tarii constamment soignée pendant sa longue maladie, a éprouvé chagrin de cette perte qu’elle est tombée dans un état de i »éî#$& lie profonde, refusant de manger, pariant â peine, ne voulant pli voir personne, etc. Bile est morte de tristesse au bout de
Les deux seuls survivante sont deux filles ; Time, veuve, sas enfants, a aujourd’hui 41 ans. Elle est robuste, mais peu intei gente. La secondé n’est autre que J. S…
Celle-ci n’a jamais eu de maladies graves dans le cours de saut elle prétend n’ayoir jamais été souffrante. Bile est assez bien formée, mais sa tête est peu volumineuse, et ses oreilles, dépott vues de lobules, sont directement appliquées sur la joue. Son in ligence est très médiocre, et son instruction à peu près nullè ; td au plus peut-elle apposer un semblant de signature au bas d’ùij pièce écrite. Elle avoue, du reste, qu’àTécole elle ne pouvait apprendre, malgré toute la bonne volonté qu’elle apportait
l’étude. V,, ■: ■ r o-./:--: '■ ■!> ■ h-'r ; vVK ;'-:'',
Mise de bonne heure en apprentissage chez une couturière, e|
a mis en rapport avec la malade, placée dans « On « ervice, et nous ! ; ainsi fourni le sujet de cette intéressante observation…… !
(1) En feuilletant ces jours derniers les registres de l’asile Seintfe Anne, nous avons vu que le père de notre malade avait été traité) : l’asile, au mois d’août 1875, pour un accès de délire alcoolique a-fô idées de persécution. La malade nous avait caché ce fait ».
$ n’a pas tardé à la quitter, pré tend au t que sa patronne était dure et u s violent®. EUe s’est placée chez une fabricanie de corsets qu’elle a quittée de même au bout de peu de temps, pour entrer comme ouvrière dans 'un atelier do confection de robes. Elle n’a jamais pu 4 rester longtemps d&Qs la même maison. Depuis de longues années lé olle a cessé tout travail au dehors, et vit très retirée chez elle.
& ; À. i’àge do SO ans, Julie SL,, s’est mariée avec un jeune ouvrier,
; originaire du Piémont, qui est mort au bout de neuf ans, des suites sa d’un traumatisme du crâne. Elle a eu six enfants de lui, deux sont w morts en bas-âge d’accidents dentaires, les quatre autres sont si vivants et bien portants.
Içi Un an après la mort de son premier mari, Julie S… s’est rema-ai riée avec un marchand forain, T…, son voisin de domicile, te Les renseignements que nous avons demandés sur la famille et fe les ascendants de oé dernier ne nous sont point encore parvenus. : i Mais d’après les quelques mots échappés à la malade, nous avons * tout iiéu de croire que c’est également un héréditaire. Son intellî-
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gencc d’ailleurs est des plus médiocres, et son instruction vaut celle de sa femme ; il peut à grand’peine écrire son nom. Il présente au surplus des signes physiques bien manifestes de dégénérescence ; il est petit, microcéphale, prognate, et ses oreilles sont plates et déplissées.
Cet individu est ce qu’on appelle vulgairement un casanier. Il n’aime que son chez lui, et ne quitte pas d’un instant sa femme, pour laquelle il paraît avoir la plus vive affection. Son métier l’oblige bien à courir çà et là dans les foires pour y débiter en plein air ses marchandises, mais sa femme l’accompagne partout. Sobre et rangé, il est de plus profondément égoïste, et n’a pas d’amis. Toutes les fois qu’il quitte son domicile, sa femme l’accompagné ; « il ne ferait pas un pas sans moi, »dit celle-ci, qui ajoute avec un air de candeur parfaite : « Je n’étais pas si bien tombée avec mon premier mari, w
Un seul enfant est issu de ce mariage, mais il est mort à 3 mois, nous ne savons de quelle affection,
Quelques années après l’union des époux T.,., alors qu’ils étaient déjà assimilés Tua à l’autre et ne faisaient plus qu’un pour ainsi dire, surviennent des affaires embrouillées d’intérêt, et, à la suite* de vives préoccupations, qui, agissant à la fois sur ces deuxintelli '
genees, les conduisent progressivement à la folie. Ces affaireif d’intérêt qui jouent ici le rôle de causes occasionnelles, constituai £ le point capital et sam* contredit le plus intéressant de Lôbser-
Elles méritent d’être exposées tout au long, :.y T
Malheureusement, il 7 a eu ici de longs procès, des compilé j(tions juridiques interminables. Or, les questions do procédure soïC &j le plus souvent si complexes et si embrouillées, qu’il est presq^ impossible d’y rien comprendre, à moins d’une compétence tout| spéciale. Nous avons en main le dossier complet des époux T.^ ^ ot ce n’est qu’après de longs efforts de patience et d’une attentif très soutenue que nous avons pu arriver à débrouiller le fll de codé ;
Nous allons l’exposer de notre mieux : ; é
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Le père de Julie S… possédait en bien-fonds, à sa mort, un ^ pital de 45,000 francs, grevé ^hypothèques, II. n’y eut point to^j^ d’abord de règlements de compte, et la veuve eut la jouissance dr biens du défunt Bientôt,’tous les enfants moururent, à Fexce^ }< tion de deux, Julie S..,, notre malade, et sa sœur ; dont nos| }{ avons parlé. Elles empruntèrent chacune 11,000 francs à. leüt ; |(mère sur la succession à venir, d’où nouvelle inscription d’hypôrj ^ thèque. Un peu plus tard, les deux sœurs donnèrent quelques mit liorsde francs à leur mère, à titre de*pension alimentaire. 14 mère morte, les immeubles furent vendus par licitation et produis sirent une somme de 45,000 francs. Les créanciers arrivent. L| chiffre des hypothèques dépassant celui de la succession, le tribut nal fut saisi du cas et on dut plaider le différend. Tout se – bornait évidemment à établir l’ordre de priorité des inscriptions hypothéi caires, et en ce cas, les deux sœurs n’avaient qu’une somme d<$|f plus minimes à toùcher. La sœur de Julie£L..abandonna laparfci^ mais celle-ci, d’accord avec son mari, voulut lutter contre le| créanciers, et faite valoir ses droits. Dès lors, les deux époux en| trent en relations d’affaires avec des avoués, dos avocats, d-huissiers ; pendant les longs mois que dura l’instruction, ils n| cessèrent de fréquenter le prétoire, calculant, supputant leufô| j chances, ne songeant plus à rien qu’à leur procès, subissant peu â| £ peu l’influence de co milieu de chicane, inconnu pour eux jusqu’à* j lors ; ils assistaient à toutes les séances, s’enivrant de toutes te*j]
péripétie# du débat, écoutant les plaidoiries et finissant par considérer la partie adverse comme une association d’ennemis qui voulaient les dépouiller de leurs biens. On comprend toute l’influence qu’a pu avoir sur ces deux intelligences déjà si faibles une pareille vie se prolongeant pendant si longtemps. Les doux époux, toujours unis, toujours confondus, toujours ensemble, font démarches sur démarches ; ils attendent avec anxiété le prononcé du jugement ; mais déjà les idées de persécution étaient écloses, Us ne voulaient plus simplement entrer en possession de l’héritage qui leur revenait, il s’agissait désormais pour eux de l’arracher des mains d’ennemis acharnés à leur perte.
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Au mois de janvier 1870, le jugement est rendu ; les créanciers rentrent dans, leurs fonds par ordre de priorité d’inscriptions ; les époux T… sont déboutés, et renvoyés de leurs fins. ■..,
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Ge futlètle coup de foudre. Les époux 'T… restèrent atterrés. Aussi, en quelques jours, le délire prit-il des proportions incroyables. Le jugement que vient de leur apporter un huissier n’est point le vrai ; celui qui a été rendu était tout en leur faveur, et celui-ci les dépouille complètement. C’est la partie adverse qui a soustrait le jugement réel pour lui eu substituer un de sa fabrication. Pleins de cette idée, les époux T… se rendent au tribunal et demandent copie du vrai jugement ; on leur donne celui qu’ils ont déjà reçu ; ils sont furieux ; les bureaucrates qui le leur ont livré sont de con-nivenceavecieursennemis, il faut aller plus haut. Ils s’adressent au président du tribunal lui-même qui les écoute et les éconduit poliment ; – le président est un coquin. -— Ils vont alors aux archives, chez le procureur, importunant tous les gens qu’ils rencontrent, et réclamant à grands cris la pièce soustraite. Bientôt, ils font écrire des lettres de réclamations à la chambre des avoués, au bâtonnier des avocats, au garde des sceaux, au président de la République. Même résultat partout. Tout le monde est contre eux, on ne se contente plus de les voler, on les insulte, on chuchote quand ils passent, on les traite de malhonnêtes, de voleurs, de fous, etc. Ils entendent tous deux ces épithètes grossières, etc. Lassés un moment de ces démarches innombrables, les épouxT… en arrivent à se dire qu’ils pourraient bien, de mémoire, reconstituer Je vrai jugement. Cela leur sera facile, malgré qu’à l’audience, lors de la lecture de l’arrêt, l’avoué de la partie adverse ait fait Régis. 6
faire du bruit dans la salle pour las empêcher d’entendre* – Ici, s’opère parallèlement dans les deux esprits un travail psycbçïà gique bien curieux ; ils se mettent è constituer de toutes pièces % iugeraeiH imaginaire qu’ils croient le bonnet à l’élaboration d quoi ils travaillent tous deux, simultanément, dans les mêmes pm portions.
Ce jugement âctif, courre pathologique faite en collaborai^ par deux aliénés étroitement confondus, nous le possédons ; Ieinij Ta dicté à son neveu qui nous en a donné copie. C’est muni de ctâj pièce curieuse que nous avons interrogé la femme, en traitement ! l’asile. Or, lorsque nous en sommes arrivé à ce point de Thistolîsi, elle nous a récité, phrase par phrase, et mot pour mot, le jüg^
Nous croyons que c’est lé une des particularités les plus intï ressentes qu’il soit donné d’observer en| aliénation mentale. : ^ On ne nous en voudra pas, pensons-nous, de transcrire ici cefe pièce fictive de procédure ; elle en vaut la peine. On y voit, aecolf les uns aux autres, des termes juridiques d’une exactitude irrépi^ chable, bribes de droit saisies au vol par les époux processifs, ! des expressions hétéroclites, d’une naïveté qui fait sourire. —| est bien entendu que nous en respectons autant la forme que li fond, jusqu’aux lacérations de la grammaire. |
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE. S
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■ ■■■■■. » ■.■ Àü NOM DU PEUrLS FRANÇAIS… ■ ■■ ■
Le 9. janvier 1879* à 8 heures, 5 minutes, justice a été rejujj d’un jugement d’attributions h la loi des titres, 63,000 francs ojj été reconnus aux débats à la caisse des consignations. ï ;
Les frais sont à payés de moitié entre les deux adversaires pt| danta. 1 – y ' ■/ h':/. v : –, ■■
M. G… M… A… vicomte de L… C… est colloqué en prerai&î ligne d’un passif de 45,000 francs, et comme Mme Yve L.. ayâij un droit de prélever un passif detMïQO^raftes, cela ne fait rien qf M. le vicomte de L… C… touche en première ligne le passif ê 8,000 francs ce qui fait 53,000 francs, d’autant plus que le notai !
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était garant du dernier hypothèque, et les intérêts de cinq pour cent à partir du.20. janvier.1877 jusqu’au jour dit, l’année de 1876 a été rejetée, et n’ayant pas une somme suffisante au dépôt des consignations pour les deux autres somme qui sont une de 15,000 francs et l’autre de 2,000 frans, ça lui est défendu par la loi de
n’en faire aucun usage ni d’en tirer aucun profit, et M. le vicomte de L..\ O,*, est prié à l’instant même de retirer son argent du dépôt des consignations.
Ayant renoncé pareillement h la succession de Mme Vve L… leur mère et restant pures et simples créancières et gardant le sous^bénifice d’inventaire.
L’une d’elles ayant renoncé le 21 décembre 1878 et l’autre le 23 décembre de la même année, une étant honnête et Vautre ne f Ûant pas, donc Mme Vve L… est condamnée à payer la durée des usures des meubles et du linge, elle et la personne arec laquelle èlle vit en commun*
L’hypothèque T… étant reconnue honnête par M. O… mandataire de le vicomté de L..< G… est nommée supériorité^ majorité du terrain, du bien et de la concession, M. L… est reconnu adjudicataire des deux propriétés sises à C..,, l’une faisant 1 angledela rue de la C… et impasse du P…f n° 2, l’autre, rue delà Ç… n° 1, pour un passif de 59,600 francs, qui a été déposé le 26 octobre 1877, M, S.-, est adjudicataire de ces deux propriétés de ce jour dit,
M. H… successeur de M. P… est condamné à rembourser un passif de 11,000 francs, ce qui pourrait manquer au dépôt des consignations, comme étant garant du dernier hypothèque, et il est condamné à payer les intérêts du 5 du cent par an du montant à la somme de 11,000 francs pour avoir enregistré un an après à partir du 9 juillet dé l’année 1876 jusqu’à le jour et l’ouverture de la caisse et à présent^ ; :. : ■ ', ■ ■
Tout, tout ce qui reste à la caisse appartient seule, seule à l’hypothèque T… : ■
Justice était rendue le 9 janvier à 3 heures 5 minutes.
Faitet jugé parM*M. Q* *> président, de B,.., G… et B..^juges, et de la G…, substitut.
Voilàt Monsieur, le véritable jugement que vous trouverez à la dernière minute expéditive, dite par la bouche même de M. le pré* sident et face à son assemblée.
On voit moelle imprèssion profonde avait en sur le pauvre cou-pie ces longs tourments d’affaires, ces préoccupations incessant^ d’intérêt ; sous leur influence, ces deux prédisposés étaient dev^
nus deux aliénés. T
Les voilà donc délirant ensemble, faisant démarches Sur démarches, rébutés partout, essuyant chaque fois un affront nouveau. Outrés de cette injustice et de cette animosité qui toujours s’accroissent, ils cherchent un moyen d’arriver à leurs fins, d’obtenir copie légale de ce fameux jugement qui est leur planche de salut.
Après des combinaisons mutuelles multiples, ils s’arrêtent m pian suivant. La femme va se faire arrêter la nuit pour vagabondage : une fois arrêtée, elle passera nécessairement devant le tribunal ; le mari sera là, et à tous deux, ils sauront bien se faire ; ;
Ce plan, combiné et arrêté entre eux, est mis à exécution. Le 19 décembre 1879, la femme T… s’installe devant le palais de jus-; tice, et s’accroupit a terre : dans l’attitude d une dormeuse. À 11 : heures iin gardien de la paix arrivé, lui conseille de s’en aller si elle ne veut point être arrêtée* et passe outre. :
À minuit, le gardien reparaît : « Hé, la mère, vous dormez ? – Dam, Monsieur, je n’ài point d’asile ! – « Venez avec moi, on va vous en fournir un gratis, ï> Mme T..radieuse, est conduite aH| poste. Bientôt, hélas, toutes les combinaisons s’évanouissaient, et ! elle entrait comme malade à Taèüe Sain te – Anne. : j
Les certificats médicaux suivants l’accompagnent : _ |
<t Manie subaiguë. – Tendance à la démence. – Arrêtée surj sa demande pour vagabondage ; récriminations incohérentes ; idées confuses de persécution organisée par les avocats. —- Elle veut qu’on lui rende justice et ne peut dire de quoi, ;)> J
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« Délire de persécution avec excitation passagère ; on veut s’em*| ;
parer dé ses biens ; on distribue de faux écrits ; les avocats s«;
liguent contre elle. ».
Dr Maonan.
Dix jours se sont passés depuis l’arrivée à l’asile de Mme TW elle est dans le même état, protesté vivement contre sa séquestra-- :
tien, et y voit une manœuvre de plus, organisée par ses persécuteurs, Son mari est déjà venu îa voir plusieurs fois ; il est désespéré^ il proteste de toutes ses forces, il veut se plaindre, etc. ; il pourrait bien venir rejoindre sa femme un de ces jours, nous n’en serions certainement pas surpris.
Nous ayons conté plus haut comment un de nos collègues, qui avait cru tout d’abord que le mari avait été persécuté avant sa femme* était pleinement revenu de son erreur après l’interrogatoire fait par lui en notre présence. Les deux époux en effet affirment de leur mieux qu’aucun n’a jamais dominé l’autre, qu’on les a persécutés tous deux à la fois, que ce qui atteignait l’un atteignait l’autre. Et la femme, nous l’avons dit, ajoute en propres termes : « Noua avons été éclairés tous deux ensemble ; cela devait être forcément d’ailleurs, puisque nous ne nous quittions pas, et que nous avions les mêmes pensées et les mêmes intérêts. >>
La malade a été transférée depuis à l’asile de Vaucluse.
Observation V (personnelle)
Peux sœurs, filles d’aliénée (mère à Charenton depuis 21 ans), ayant toujours^ habité ensemble, dans la plus grande intimité, dans le plus grand isolement, sans aucune domination de l’une à l’autre. Délire dé persécution survenant simultanément chez elles et s’accompagnant d’hallucinations multiples. Séparation des deux sœurs. Pas d’amélioration sensible dans leur délire. Etat chronique.
Le 29 mars 1880… les deux sœurs L… entrent à l’asile Sainte-Anne, venant du dépôt de la préfecture de police. Elles sont accompagnées des certificats médicaux suivants :
1° L… (Célestine).
« Imbécile. Parleàpeine, subit l’influence de sasœur persécutée active, placée en même temps qu’elle. Type de délire à deux. »
■ ' ; ■. ■■■ Dr Lasègue.
2° L,.. (Hortense).
u Délire de persécution. Lettres écrites MivmeaautorHés pour ee plaindre de violence*, de menacés, d’injures dentelle est vio time. Exaltée (délire à deux)* Influence délirante sur sa sœur im- ; bécilCj placée en même temps qu1elle.ïï
D' Lasègue. ;
Le lendemain, 2T mars, M. Magnan qui les examine dresse les deux certificats suivants :
1« L*.. (Célestine).
*< Délire de persécution arec hallucinations et troubles de la sensibilité générale. On l’injurie, on lui envoie des vapeurs d’acide par la fenêtre ; on veut lui voler un héritage (délire à deux). »
Dr Magnan.
2° II.-,. (Hortense)……
« Délire de persécution avec hallucinations ; on l’injurie, onia suit dans la rue, on pousse les fournisseurs à l’exploiter (délire à ; deux).* ;
Dr Magnan. ;
On remarquera tout d’abord que tandis que M. Lasègue distingue nettement citez les deux malades active de la passive t M. Magnan se borne à constater leur délire de persécution et fait de ce cas une folie à deux sans regarder comme acquise la, communication des idées délirantes de l’une àTauire.
Le 30 mars, Célestîne est envoyée à Pasile de Vaucluse, et Hortense, le 2 avril, à Facile de Ville-Evrard.,
Nous n’avons pu voir les deux « cours pendant leur séjour à Sainte-Anne, u ayant été informé de leur passage qu’a près leur départ. Quoi qu’il en soit, nous avons appris de la religieuse qui les avait surveillées pendant ce séjour, qu’elles sTaimaient beaucoup et cau-“
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j « aient souvent entre elles. Elles s’entendaient à merveille sans ; Que l’une parût subir 1’inttuence de Tautre ; Célestine avait quelque 1 argent et faisait bourse commune avec sa sœur.
_ Avant de pousser plus loin l’observntion des deux malades, nous : avons tenu a prendre quelques renseignements sur leur famille et ; sur leurs antécédents.
Le père, bijoutier de profession, est mort il y a vingt-deux ans.
1 C’était un homme sobre, rangé et d’une bonne santé habituelle. La mère est internée à Vasile de Charenton depuis 21 ans, c’est-à-dire presque depuis là mort de son mari.
'Les deux sœurs sont les seuls enfants de la famille ; elles ne se sont jamais quittées. Depuis la mort de leur père et la séquestration de leur mère, elles habitent ensemble, exercent toutes deux le métier de lingères et vivent très isolées, presque en sauvages dans, leur chambre. En lb7Q, elles ont eu simultanément la variole et > portent toutes deux sur leur visage Ips stigmates de cette affection. Eiles sort peu intelligentes Vune et Vautre ; Célestine l’est peut-être un peu moins que sa sœur, mais c’est entre elles une simple question de degré et la différence n’est certainement pas grande entre les deux.
Ainsi, sur deux points déjà, le cas des deux malades venait cor-{ roborer les déductions que nous avions tirées des observations pré-t cédentes. Elles étaient héréditaires et vivaient depuis de Iongucs, années ensemble, très unies, dans un isolement à peu près complet. ; i Restait à éclaircir le point le plus délicat, la possibilité de lacom-! niunîca'ion du délire de Tune à l’autre.
Au mois de mai dernier, nous nous sommes rendu à l’asile de Ville-Evrard pour y interroger Hortense. Voici le résultatde notre. examen.
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^ La malade a 97 ans. Son signalement inscrit dans son dossier, est ainsi conçu : taille 1 m. 56, visage ovale, teint pâle, front bas, _ ycrx bruns nez aquilin, bouche moyenne, menton rond, cheveux 1 noirs, marquée de variole ; sait lire et écrire.
■ ' Hortense prend dés l’abord à notre vue une attitude défiante. Ce n’est qnaVgrand’pome que nous parvenons à ia faire parler et en-^ core nous répond-elle par cette phrase typique, habituelle à cm*- tain# persécutés : « Vous la savez mieux que moi. *>
Nous constatons cependant chez elle Inexistence d’un délire de
persécution des : mieux caractérisés. Il y a cinq ans qbê ça à c6 m-iïiencé ; on la regardait de travers elle èt sa sœur ; on leur en voulait. Les locataires, surtout celle du troisième, étaient contre elles ; on leur envoyait dé mauvaises odeurs, on îesempêchait dé dormir, on voulait leur voler ce qui leur revenait de leur père ; ori les ijp sultait dans la rue ; on 1 appelait « chameau » et sa sœur aussi §a sœur a eu une inflammation des bronches li y a cinq ans. Le médecin qui l’a soignée.tout d’abord était un excellent homme ; mais leurs ennemis Font fait mourir au bout de trois ans, ils Vontcow^ pour empêcher sa sœur de suivre un bon traitement et forcer & bronchite à devenir chronique. : !■
Malgré les réticences de la malade, il nous est facile de voir qu’elle a toujours dos hallucinations dé. Fouie.
Nous tenions surtont à savoir si Hortense avait conscience d’avoir exercé sur sa sœur une Supériorité quelconque. ^-Quelle était la, maîtresse, dans le ménagé, jui avons-nous dit ? – Autant l’uné comme Fautre, – Qui est-ce qui tenait les cordons de la bourseî – r Toutes les deux. — ; Y en avâit-il une qui dirigeait l’autre, la conseillait, avait de Finfluence sur elle ? – Non, monsieur, nous étions toutes deux autant, nous faisions toujours pareil, et jamais nous n’avons eu de raisons ensemble. – Contre qui les misère ont-elles commencé et laquelle de vous s’en est aperçu la première ! – On a commencé pal* toutes deux et nous nous en sommes aper » çues ensemble, puisqu’on voulait nous prendre l’héritage.— Aimez-vous beaucoup votre sœur ? – Beaucoup, et je ne sais pas pourquoi on m’a séparé d’elle, ce sont nos ennemis qui Font fait.
Gomme renseignements complémentair esvnous avons appris qoê la malade, excitée à son arrivée à Fasüe de Ville-Evrard, était devenue plus calme au point qu’on a pu la placer dans un quartier de tranquilles oh elle travaille à la couture assez régulièrement ; Les nuits sont plus tranquilles, elle paraît se complaire dans l’iso* lemont et parle très peu. Elle est réglée tous les mois et Fa to^ jours été très régulièrement. Sa mère, dit-elle, avait ses affaîrei deux fois par mois ; c’est là ce qu’elle appelle, sans que nous sachions pourquoi <t le signe de la maladie ». r
M. Millet, interne de l’asile de Vaucluse, que nous avions prié d’interroger Célestine, nous-a adressé la_4 juillet, la réponse suivante :
* La malade a 40 ans, Taille I m, 54* visage ovale, teint pâle, front bas, yeux bruns, nez aquilin, grosses lèvres, menton rond, cheveux bruns, marquée de variole : sait lire et é mire.
Depuis son entrée à l’asile, cette malade est tranquille, n’est pas agitée, né parle pas seule et se rend utile autant qu’elle le peut.
Sa mère est à Charenton où elle est enfermée depuis longtemps, parce qu’elle est hallucinée. Qn lui a dit que sa sœur était à Ville-Evrard probablement, pense-t-elle, pour le même motif qui l’a fait retenir elle-même à Vaucluse, parce qu’elles faisaient ensemble leurs réclamations au préfet de police et au ministre de la justice.
JS lie a toujours vécu avec sa sœur et n’a jamais eu de contrariété avec elle. Malgré des questions réitérées sous diverses formes, onnépeut lui faire dire qu’elle avait de lin fluence sier sa sœur, oùqm sa sœur en avait sur elle. Elles sont complètement solidaires Isme de Vautre. Tout ce qu’elles faisaient, tout ce qu’elles voulaient y c’était ensemble et d’un commun accord. Elles étaient presque toujours renfermées ensemble et sortaient peu. Elles ont toutes deux refusé de se marier, parce qu’elles voulaient qu’on leur assurât auparavant les biens de leur père. Elles aimaient mieux ne jamais se marier que de prendre des maçons qui se saoulent ou des gens sans conduite. Mais si les biens de leur père leur avaient été assurés, elles auraient pu facilement choisir des maris à leur convenance.
Elles ont été élevées ensemble dans l’idée de réclamer l’héritage le plus tôt possible dès qu’elles en entendraient parler. Elles sont restées longtemps sans rien faire pour entrer en posession de ce bien, parce qu’elles ne savaient comment trouver les hommes d’affaires de Rouen, jusqu’à ce qu’elles aient eu Vidée de consulter l’Almanach du commerce pour y trouver les adresses. Elle ne se rappelle pas laquelle d’elle ou de sa sœur a songé la première à voir l’Almanach du commerce ; elles y ont pensé en même temps. Elle sont ensuite allées ensemble à la recherche de cet almanach, et c’est elle qui l’a trouvé la première ; elle y a pris les adresses et c’est sa sœur qui a écrit, au nom de toutes les deux, parce qu’elle se sentait malade à ce moment. N’ayant pas reçu de réponse, elle a écrit au ministre de ia justice dans le même but et aussi pour faire assurer sur sa tête les biens du père qui sont au moins de cent mille francs. Puis elles ont écrit au préfet de police, mais à tort, dit-elle, parce que c’est à la suite dé cette ; lettre qu’elles ont
été arrêtées au mois de mars dernier* Aussi à l’avenir, ce n est plus ; i au préfet de policé, mais au ministre dé la justice qu’elles ieront ;
leurs réclamations. i. '. ■. r
Ï1 y a cinq ans » elïe a eu une maladie des bronches dont elle se v dit à peine guérie aojourd’ïmL Son premier médecin est mort après, lui avoir donné des soins pendant trois ans. On l’a fait nqourir, on ; l’a coups* Le médecin qui l’a traitée ensuite lui a donné des potions qui lui ont « démn nché tous les os, toutes les jointures des membres : et du dos ; elle était devenue sèche comme un morceau do bois et ^ cotte potion lui donnait des cidres de bronches (?). ^
Dans le dernier automne qu’elle a passé avec sœur avant d être arrêtée et au printemps suivant, elles sentaient souvent dans leur appartement des odeurs dé poison, odeurs qu’elle ne peut définir, qu’elle comparé à celle du genêt qu’on brûle. Elle a souvent fait des reproches à la locataire du troisième qui.demeurait au-dessous : d’elles. Celle-ci ne répondait pas, mais elle se vantait de produire j cette infection dans le but d’eropoisonner l’étage où elles se trou- : valent. Sa sœur a aussi bien qu’elle ressenti ces odeurs, Go les insultait aussi toutes les deux, on lés appelait « chameau »». ■ !.
Sommeil bon actuellement ; seulement avant son entrée, on faisait du bruit autour de sa cahmbre par jalousie, pour 1 ennuyer,.. pour l’cmpêither de gagner sa vie., ;
Réglée à 15 ans ; tous les mois régulièrement. »,
Voilà textuellement les, renseignements qui nous sont fournis sur la malade de Vaucluse* Ils sont tellement nets et tellement pré- : cis que pas n’est besoin, ce nous semble, d insister pour établir que _ le cas des deux ternira U., est un type de folie à deux telle que nous l’avons décrite et définie. Loin de voir en Célestine une per- ; sécutée passive, une imbécile complètement placée sous ^ induence de sa sœur dont elle refléterait le délire, il ressort clairement de sou interrogatoire qu’elle a eu une part des plus actives dans 1 édî – ■ fication de ce délire commun. Il semble même qu’elle soit plus ! j avancée que sa sœur. Son délire se tient mieux, il est plus correct, ; plus suivi ; et dû plus, elle se trouve déjà avoir fait un grand pas vers la mégalomanie. L’héritage dont on les a frustrées dépasse.
cent mille francs !, ______… 1 ;-----1 T – r s
Je demande si c’est là le délire d’un® imbécile qui se contente ;
de répéter comme tin miroir ou comme un écho affaibli les idées d’une speitr qui.la domine.
D niîléurâ, et ü est facile de le voir d’après les symptômes observés, Gélesline ne guérira probablement jamais, pas plus que sa smur. Filles d’aliénée, élevées ensemble, devenues folles simultanément, elles sont aujourd’hui atteintes d’un délire de persécution chronique, systématisé, qui ne peut guère rétrograder, et elles s’achemineront sans doute peu à peu vers la mégalomanie avec la démence comme aboutissant final.
Conclusions
Ainsi que Vont fait observer MM. Baillarger et Lunier, il importe de distinguer dans ce qu’on a décrit sous le nom de « folie à deux », les cas où un seul des sujets est aliéné » Vautre ne dépassant pas les limites d’une crédulité plus ou moins absurde, de ceux, plus rares, où les sujets sont tous deux franchement aliénés.
La différence capitale qui existe entre ces deux ordres de faits est la suivante : *
1° Dans les premiers il y a communication des idées délirantes d’un sujet à 1-auire.
Ces cas se résument ainsi :
a. Un individu jouit normalement sur un autre individu d’une autorité intellectuelle et morale incontestable,
b. Ces deux individus vivent en contact plus ou moins intime.
c ; L’organe actif, devenu aliéné, communique une paitie de son délire à Vorgane passif.
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,' e. it’orgape : pi »s« if ta©'tarât pai : i se '^éinrpMè-idées fatum, dès qu’il aé troiixe « ou, strati à l’influencé d| celui qui les lui avait communiquées. ? 1 1 ; I
2 » Dans les seconds, il, n’y a point communication, il y | simultanéité du délire chez les deux sujets. ;
Ces cas se résument ainsi :, w
o. Deux individus sont héréditaires, c’est-à-dire prédüj posés à la folie. ’♦ 1 "
: Ils vivmt en contatf mthne eipe.rpêtuel. y ! ^
à la fois, àu même moment deli » raèiine façonsur ces deux individus, Lés : rëhd« jàt 'fè>i$-éi0Ufrnéfaè$t : <■ ■ – i ;/ ;■ 1,
d. Ils sont ordiôaireméntttttèintsau mèmè degré ;. Ils oü| axactemérit jiie délire,'; Mllùèinatiqtté,,’ Jj|
même langage V V ** ■.. " i, '
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• é. lia.' sépatâtioA nîigÿnèli-ÀièMent jïtscûüfe : infiueiiéé b« s ! u| reusesiir leur état mental. ; 1 :;, 'V :"1 '. 1 ~ '■, 'j ;/s ;
/. : Ges : dern : îèts ! cés'c : onatjtuehtseuls la‘“ivràiꔓMiié”i'deiÉk| qui peut en conséquence être.définie ainsi : ;.,
Une folie partielle, ordinairement dé persécution, sur*; venant simultanément cher deux individus prédisposés, et cela en vertu : 1° de cette prédisposition oiorbide ; âu
cônïact'mtiroé^fc dW^lé^Uèl'^'d-1^
fluences occasionnelles qui agissent à la fois sur eux et^ puent, à1 l’égard d ; é Iaf rddùctio“hdei”
causes déterminantes. : 1 ' l :;'i ÿ ' ''
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Coïncidence à signaler. Dans l’observation précédente, nous Favons vu, Mme R… est la 14* enfant de sa famille. Sur les 14, 10 sont morts en bas âge. tel les frères G… sont les derniers de 14 enfants, dont 10 sont morts également en bas Age.
2
Depuis la rédaction de cette observation, nous avons appris que la bisaïeule maternelle des malades était morte aliénée.
3
Nous tenons à remercier ici notre collègue |M. Briand, qui nous