Chapitre VIII. Le réflexe de l’orgasme et la technique de la végétotherapie caractéro-analytique

1. – Attitude musculaire et expression corporelle

Dans l’analyse caractérielle, nous essayons d’isoler les diverses attitudes caractérielles qui s’entrelacent, et de montrer au patient que chacune d’elles sert une fonction défensive définie dans la situation immédiate. En relâchant ainsi les incrustations du caractère, nous libérons les affects qui ont subi antérieurement une inhibition et une fixation. Toute dissolution réussie d’une incrustation caractérielle résulte en premier lieu dans une libération de colère ou d’angoisse. En traitant aussi ces affects libérés comme des mécanismes de défense, nous arrivons finalement à rendre au patient toute sa motilité sexuelle et toute sa sensibilité biologique. En d’autres termes, en relâchant des attitudes chroniques de caractère nous sommes capables d’induire des réactions dans le système neuro-végétatif. La brèche dans le végétatif est d’autant plus complète et puissante que nous traitons à fond non seulement les attitudes du caractère, mais – simultanément – les attitudes musculaires qui leur correspondent. Ainsi, une partie du travail se déplace du psychologique et du caractérologique à la dissolution immédiate de la cuirasse musculaire. Le fait que la raideur musculaire n’est d’aucune manière un « résultat », une « expression » ou un « accompagnement » du mécanisme du refoulement me paraissait évident depuis longtemps. Je ne pus éviter l’impression que la rigidité physique en elle-même représente la partie essentielle du processus du refoulement. Sans exception les patients racontent qu’ils apprirent au cours de certaines périodes de leur enfance à supprimer leur haine, leur angoisse ou leur amour au moyen de pratiques qui influencèrent leurs fonctions végétatives, par exemple, en retenant leur respiration, en tendant leurs muscles abdominaux, etc. La psychologie analytique concentra uniquement son attention sur ce que les enfants supprimaient et sur les raisons de cette suppression. Mais personne ne s’attarda sur la manière dont les enfants luttent contre leurs émotions. C’est précisément ce côté physiologique du processus du refoulement qui mérite notre observation la plus serrée. Il est frappant de noter comment la dissolution d’une rigidité musculaire non seulement libère l’énergie végétative, mais aussi ramène à la mémoire la situation infantile même où le refoulement eut lieu. Nous pouvons dire : Toute rigidité musculaire contient l’histoire et la signification de son origine. Il n’est donc pas du tout nécessaire de retrouver, grâce aux rêves et aux associations la manière dont la cuirasse musculaire se développa. La cuirasse elle-même est la forme sous laquelle l’expérience infantile continue d’exister comme un agent nocif. La névrose n’est pas seulement l’expression d’un équilibre psychique troublé. Plus exactement et plus significativement elle est l’expression d’un trouble chronique de l’équilibre végétatif et de la motilité naturelle.

Le terme de « structure psychique » prit un sens spécial pendant les années récentes de mon travail. Il prit le caractère de réactions spontanées d’un individu, sa condition typique qui est le résultat de toutes les forces synergiques et antagonistes en lui. C’est-à-dire qu’une certaine structure psychique est en même temps une certaine structure biophysique. C’est une représentation du jeu réciproque des forces végétatives chez un individu. Sans doute démentira-t-on un jour que la plus grande partie de ce qui est considéré aujourd’hui comme « Anlage », ou disposition instinctuelle, n’est qu’un comportement végétatif acquis. Le changement de structure que nous obtenons par notre thérapeutique n’est qu’un changement dans le jeu réciproque des forces végétatives dans l’organisme.

Les attitudes musculaires ont une signification particulière pour l’analyse caractérielle. En particulier, elles permettent, en cas de besoin, d’éviter l’approche détournée par la voie psychique, en faisant une brèche directe dans les affects par le moyen de l’attitude corporelle. Quand on pratique cette méthode, l’affect refoulé apparaît avant le souvenir correspondant. De cette manière la décharge de l’affect est assurée pourvu que l’attitude musculaire chronique soit bien saisie et convenablement dissoute. Si l’on tente de dégager les affects par l’approche purement psychologique, la décharge en est laissée au hasard. Le travail caractéro-analytique sur les couches des incrustations caractérielles est d’autant plus efficient qu’il apporte une dissolution plus complète des attitudes musculaires correspondantes. Dans un grand nombre de cas, les inhibitions psychiques cédèrent seulement devant le relâchement direct des tensions musculaires.

L’attitude musculaire est identique à ce que nous appelons l’« expression corporelle ». Très souvent on est capable de dire si oui ou non un patient est hypertonique musculairement. Néanmoins, on peut dire qu’il « exprime quelque chose », soit dans tout son corps, soit dans certaines parties de son corps. Par exemple, le front peut apparaître « perplexe », ou bien le pelvis peut exprimer l’incapacité sexuelle, la torpeur. Ou bien les épaules donnent l’impression d’être « raides » ou « veules ». Il est malaisé de dire ce qui nous permet d’avoir un tel sentiment immédiat de l’expression corporelle d’une personne, et de la qualifier d’une manière adéquate. On rappelle la perte de la spontanéité chez les enfants, le premier signe, et le plus important, de la suppression sexuelle finale à l’âge de 4 ou 5 ans. La perte de la spontanéité est toujours ressentie d’abord comme la structure de l’être « engourdi », « emmuré » ou « cuirassé ». Plus tard, le sentiment d’« être mort » peut être recouvert en partie par un comportement psychique compensateur, tel qu’une hilarité superficielle ou une sociabilité sans contact.

La rigidité de la musculature est le côté somatique du refoulement et la base de son maintien. Ce ne sont jamais des muscles isolés qui ont des spasmes, mais un groupe de muscles formant une unité fonctionnelle d’un point de vue végétatif. Par exemple, si l’on a supprimé une envie de pleurer, non seulement la lèvre inférieure devient raide, mais toute la musculature de la bouche, la mâchoire et la gorge, c’est-à-dire tous les muscles qui, en tant qu’unité fonctionnelle, deviennent actifs dans le processus de pleurer. On peut rappeler ici le phénomène bien connu : les sujets hystériques produisent leurs symptômes somatiques non pas sur une base anatomique, mais sur une base fonctionnelle. Ainsi une rougeur hystérique, par exemple, ne suit pas les ramifications d’une artère donnée, mais apparaît par exemple sur le cou ou sur le front. La fonction végétative ignore les démarcations anatomiques.

L’expression corporelle totale peut généralement être enfermée dans une formule qui, tôt ou tard, au cours du travail caractéro-analytique, apparaît spontanément. Assez curieusement, cette formule est généralement dérivée du règne animal : renard, cochon, vipère, ver, etc.

La fonction d’un groupe musculaire spasmé n’est pas révélée avant que le travail de démêlage l’ait atteinte « logiquement ». II serait inutile d’essayer par exemple de dissoudre une tension abdominale directement, dès le début. La dissolution du spasme musculaire suit une loi qui n’a pas été encore complètement formulée. Généralement, la dissolution de la cuirasse musculaire commence à des endroits qui sont le plus éloignés de l’appareil génital, le plus souvent à la tête. L’attitude faciale se présente d’abord à nous. L’expression du visage et le caractère de la voix sont aussi les fonctions dont le patient lui-même est sans doute le plus conscient. Il est rarement conscient des attitudes du pelvis, des épaules ou de l’abdomen.

Voici la description des signes et des mécanismes de quelques attitudes musculaires typiques. Naturellement elle est loin d’être exhaustive.

Tête et cou : Des maux violents sont un symptôme banal. Ils sont souvent localisés juste au-dessus de la nuque, ou au-dessus des yeux, ou à la hauteur du front. En psycho-pathologie, ces maux de tête sont généralement considérés comme des symptômes neurasthéniques. Comment se produisent-ils ? Si l’on essaie de tendre très fortement les muscles de la nuque pendant longtemps, comme si l’on se défendait contre un coup menaçant venant par derrière, on sent très vite une douleur occipitale. Elle apparaît au-dessus de la place où la musculature est tendue. Les maux de tête occipitaux sont dus à un hypertonus de la musculature du cou. Cette attitude musculaire exprime une peur continuelle d’un danger qui peut arriver par derrière (être battu sur la tête, etc.).

La céphalée frontale au-dessus des sourcils qui est sentie comme « une barre autour de la tête » résulte de l’acte chronique de lever les sourcils. Chacun peut faire l’expérience pour lui-même s’il veut essayer de tenir pendant un laps de temps les sourcils levés. Il s’apercevra alors que toute la musculature du front et même du cuir chevelu se raidit. Cette attitude exprime une anticipation d’angoisse dans les yeux. Pleinement développée, cette expression correspondrait à l’acte d’ouvrir très largement les yeux qui caractérise l’épouvante.

En réalité, les deux attitudes – tension dans le front et le cuir chevelu et sourcils levés – vont ensemble. Dans la peur soudaine, les yeux sont largement ouverts et, simultanément, les muscles du cuir chevelu sont tendus. Il y a des patients qui possèdent une expression du visage qu’on pourrait appeler hautaine. Quand cette expression est dissoute, on s’aperçoit que c’était simplement une défense contre l’expression d’une inquiétude ou d’une anxiété. D’autres patients présentent le front d’un « penseur sérieux ». Presque toujours, ils ont eu pendant l’enfance la fantaisie d’être un génie. Cette attitude s’est développée surtout contre l’angoisse, généralement une angoisse de masturbation. L’expression faciale apeurée a été transférée en « attitude pensive ». Dans d’autres cas le front est lisse, plat ou sans expression. Derrière cette physionomie, il y a toujours la crainte d’être frappé sur la tête.

Bien plus importants et fréquents sont les spasmes de la bouche, du menton et du cou. Chez beaucoup de personnes, l’expression du visage prend un air de masque. Le menton est poussé en avant et apparaît large. Le cou sous le menton est inanimé. Les muscles latéraux du cou qui vont vers le sternum sont saillants comme des cordes épaisses. Les muscles sous le menton sont raides. Les patients de ce genre souffrent souvent de nausées. Ils ont généralement la voix basse, monotone, « mince ». On peut également reproduire cette attitude soi-même. Il suffit d’imaginer qu’on essaie de retenir une envie de pleurer. On trouvera alors que les muscles de la partie inférieure de la bouche deviennent rigides, ainsi que les muscles de toute la tête ; le menton est porté en avant et la bouche se rapetisse.

Dans ces conditions, on essaiera vainement de parler à voix haute et sonore. Les enfants acquièrent cette disposition à un âge très précoce, quand ils sont contraints de refréner des impulsions violentes de pleurer. L’attention longuement concentrée sur une partie du corps y amène une fixation de l’énergie nerveuse. Si l’attitude prise est la même que celle qu’on aurait prise dans une situation affective différente, les deux fonctions peuvent se coupler. J’ai trouvé souvent l’association de la nausée avec l’impulsion de pleurer. Un examen plus poussé révèle que toutes deux correspondent à une attitude similaire de la partie inférieure de la bouche. Dans ce cas il est tout à fait vain de vouloir éliminer la nausée si on ne découvre pas la tension des muscles dans le bas de la bouche. Car la nausée est l’effet d’une contrainte sur l’impulsion de pleurer. Seule la complète libération de l’impulsion éliminera la nausée chronique.

Dans la région de la tête et du visage, les particularités de la parole ont une signification particulière. Elles proviennent pour la plupart des spasmes de la musculature de la mâchoire et de la gorge. Chez deux patients j’ai trouvé une réaction défensive violente qui apparaissait promptement dès qu’on touchait – fût-ce le plus doucement du monde – la région du larynx. Les deux patients voyaient dans leurs fantaisies leur gorge blessée, coupée ou étranglée.

Il faut observer aussi avec soin l’ensemble de l’expression du visage, indépendamment des parties isolées. Nous connaissons la face déprimée du mélancolique. Il est curieux combien l’expression de mollesse peut être associée avec une grave tension chronique de la musculature. Il y a des personnes dont le visage rayonne toujours artificiellement. Il y a des joues « raides » et des joues « pendantes ». Généralement, les patients trouvent l’expression correspondante eux-mêmes, quand on souligne d’une façon répétée leur attitude ou quand on les imite. Une patiente aux « joues raides » me dit : « Mes joues sont comme lourdes de larmes ». Les pleurs retenus mènent souvent à une raideur de masque dans la musculature de la face. Dans leur âge tendre, les enfants contractent souvent une peur des « grimaces » qu’ils aiment tant à faire. On leur a dit que « ça resterait comme ça toute la vie ». De plus, les impulsions qu’ils expriment dans leurs grimaces sont précisément des impulsions pour lesquelles on les a punis. Alors ils refrènent ces impulsions et gardent leur visage « rigidement sous contrôle ».

2. – La tension abdominale

Je donnerai la description des symptômes dans la poitrine et les épaules seulement après avoir traité les cas abdominaux. Il n’est pas de névrosé qui ne laisse apparaître quelque tension dans l’abdomen. Une simple énumération des symptômes, si l’on ne comprend pas leur fonction dans la névrose, ne serait d’aucune utilité.

Le traitement de la tension abdominale est devenu si important dans notre travail qu’aujourd’hui il me semble incompréhensible qu’on ait pu réussir même des cures partielles dans la névrose sans connaître la symptomatologie du plexus solaire. Les troubles respiratoires chez les névrosés résultent des tensions abdominales. Imaginez que vous êtes effrayé ou dans l’anticipation d’un grand danger, instinctivement vous retiendrez votre respiration et vous demeurerez dans cette attitude. Comme on ne peut continuer ainsi indéfiniment, on expirera bientôt à nouveau. Mais cette expiration sera incomplète et superficielle. On ne respire pas complètement en une seule respiration, mais en fractions. Dans un état d’attente de l’angoisse on met instinctivement les épaules en avant et on demeure dans une attitude rigide. Quelquefois on hausse les épaules. Si cette attitude est maintenue pendant quelque temps, une pression sur le front apparaît. J’ai connu plusieurs patients chez qui la pression sur le front n’a pu être éliminée que le jour où j’ai pu découvrir leur attitude d’anticipation anxieuse dans la musculature de la poitrine.

Quelle est la fonction de cette « respiration superficielle » ? Si nous regardons la position des organes intérieurs et leur relation au plexus solaire, nous voyons immédiatement de quoi il s’agit. Dans la peur on retient volontairement sa respiration, comme lorsqu’on se noie, par exemple, cette inspiration menant à la mort. Le diaphragme se contracte et comprime par en haut le plexus solaire. Cette action musculaire est aisément saisie dans les mécanismes infantiles. Les enfants luttent contre les états de douloureuse angoisse qui accompagne les sensations typiques dans l’estomac par la rétention de la respiration. Ils font de même lorsqu’ils éprouvent une « sensation de plaisir » dans l’abdomen ou dans les organes génitaux.

Retenir la respiration et contracter le diaphragme est un des premiers et des plus vieux mécanismes destinés à supprimer les sensations de plaisir dans l’abdomen autant qu’à surprendre l’angoisse à sa source. L’effet de ce mécanisme se double de l’effet de la pression abdominale elle-même. Tout le monde connaît ces sensations végétatives de l’abdomen, bien que chacun les décrive de façon différente. Les patients se plaignent d’une « pression »-intolérable de l’estomac ou d’une ceinture qui les « serre ». D’autres ont un certain point dans l’abdomen qui est très sensible. Tous craignent un coup de poing dans l’estomac. Cette peur devient le centre de fantaisies très riches. D’autres encore ont la sensation qu’« il y a quelque chose dans l’estomac qui ne peut pas sortir » ; « j’éprouve dans mon ventre comme des assiettes plates » ; « mon estomac est mort » ; « je dois me cramponner à mon ventre », etc. La plupart des fantaisies des petits enfants sur la grossesse sont centrées autour de sensations végétatives de l’abdomen.

En pressant lentement avec deux doigts le corps d’un patient à deux centimètres et demi sous le sternum, on note tôt ou tard une tension réflexologique ou une résistance constante. Le contenu abdominal est protégé. Les patients qui se plaignent d’une sensation chronique de pression ou d’une « ceinture » montrent une rigidité de planche dans la musculature du haut de l’abdomen. La musculature ici exerce une pression devant le plexus solaire de même que le diaphragme exerce une pression d’en haut. Par la pression directe autant que par une inspiration profonde, le potentiel électrique de la peau de l’abdomen tombe en moyenne de 10 à 20 MV24.

J’avais un jour une patiente qui était à la limite d’une grave mélancolie. Sa musculature était très hypertonique. Pendant une année entière elle ne put être amenée au point de montrer la moindre réaction émotive. Je n’arrivais pas à comprendre comment elle pouvait rencontrer les situations les plus graves sans réaction affective. Enfin la situation devint claire. Au moindre signe d’un affect elle « ajustait quelque chose dans l’estomac », retenait sa respiration et regardait par la fenêtre, au loin. Ses yeux semblaient vides, comme tournés à l’intérieur. Elle rentrait les fesses, et la paroi de son abdomen devenait rigide. Elle avoua elle-même : « Je rends mon ventre mort. Alors je ne sens rien. Autrement mon ventre a mauvaise conscience. » Ce qui signifiait : « Autrement il a des sensations sexuelles et à cause de cela mauvaise conscience. »

La manière dont nos enfants accomplissent ce « blocage des sensations du ventre » par la respiration et la pression abdominale est typique et généralisée. Cette technique de contrôle émotionnel, ou méthode de yoga universelle, la végétothérapie a beaucoup de difficulté à la combattre.

Mais comment ce mécanisme qui tend à retenir la respiration peut-il supprimer les affects ? La question est très importante. Il devenait clair que l’inhibition de la respiration était le mécanisme physiologique de la suppression et du refoulement de l’émotion et, par conséquent, le mécanisme fondamental de la névrose en général. La simple considération des faits parlait ainsi : La fonction biologique de la respiration est d’introduire de l’oxygène et d’éliminer de l’organisme l’acide carbonique. L’oxygène de l’air introduit accomplit la combustion de la nourriture digérée dans l’organisme. Du point de vue chimique la combustion consiste dans la formation de composés de substance corporelle avec de l’oxygène. Dans la combustion se crée une énergie. Sans oxygène il n’y a pas de combustion et, par conséquent, pas de production d’énergie. Dans l’organisme l’énergie se crée par la combustion des nourritures. Dans ce processus la chaleur et l’énergie kinétique se créent. La bio-électricité se crée également dans ce processus de combustion. Si la respiration est réduite, on introduit moins d’oxygène, juste assez pour le maintien de la vie et sans plus. Quand une moindre quantité d’énergie se crée dans l’organisme, les impulsions végétatives sont moins intenses et, par conséquent, plus faciles à maîtriser. L’inhibition de la respiration telle qu’on la trouve régulièrement chez les névrosés a, biologiquement parlant, la fonction de réduire la production d’énergie dans l’organisme et de réduire ainsi la production de l’angoisse.

3. – Le réflexe de l’orgasme. Histoire d’un cas

Pour présenter la libération directe des énergies sexuelles (végétatives) des attitudes musculaires pathologiques, j’ai choisi un cas où l’établissement de la puissance orgastique réussit particulièrement vite et avec aisance. Je voudrais souligner le fait que – pour cette raison – ce cas n’illustre pas les difficultés considérables qui sont communément rencontrées – un effort pour surmonter les troubles de l’orgasme.

Il s’agit d’un technicien de 27 ans qui me consulta pour son éthylisme. Il ne pouvait s’empêcher de s’intoxiquer chaque jour, non sans craindre de ruiner ainsi sa santé et sa capacité de travail. Son mariage avait été extrêmement malheureux. Sa femme était une hystérique plutôt difficile qui lui compliquait considérablement la vie. Il était facile de voir que la misère de son mariage avait déterminé dans une large mesure sa fuite dans l’alcoolisme. Il se plaignait de ne pas « se sentir vivant. » Outre ses malheurs conjugaux, il n’était pas capable d’établir un contact avec une autre femme. Son travail ne lui donnait aucun plaisir. Il l’accomplissait mécaniquement, sans y prendre aucun intérêt. « Si cela continue ainsi, disait-il, je vais m’effondrer complètement. » Cet état s’était prolongé durant plusieurs années, et il avait empiré au cours des derniers mois.

L’un des traits évidemment pathologiques était son incapacité de marquer la moindre agressivité. Il sentait en lui-même la compulsion à être toujours « gentil et poli », à donner son accord à tout ce qu’on disait autour de lui, même si sa propre opinion était diamétralement opposée. Cette manière de vivre à la surface des choses le faisait souffrir. Il était incapable de se livrer pleinement à une cause, à une idée ou à un travail. Il passait ses loisirs dans les salles de réunions, les restaurants, en de vaines conversations, et en s’adonnant à des plaisanteries stupides. Jusqu’à un certain point, il se rendait compte que c’était là une attitude anormale. Mais il n’avait pas encore pris conscience pleinement du caractère pathologique de ces traits. Il souffrait d’un trouble très répandu, d’une sociabilité sans contact.

Le patient donnait une impression générale marquée par des mouvements incertains. Il marchait à pas contraints, de sorte que sa démarche paraissait lourde et maladroite. Il ne se tenait pas droit et sa posture exprimait de la soumission, comme s’il était continuellement sur ses gardes. Son visage semblait vide. La peau en était plutôt luisante, tendue, et avait l’apparence d’un masque. Le front paraissait plat, la bouche était serrée, petite. En parlant, il remuait à peine des lèvres minces, comme pressées ; les yeux étaient sans expression.

En dépit de l’affaiblissement de toute évidence grave qu’avait subi sa motilité végétative, on sentait derrière tout cela un être intelligent, très vivant. Sans doute est-ce à ce fait que nous pouvons attribuer la grande énergie avec laquelle il s’efforçait d’éliminer ses difficultés.

Le traitement dura six mois et demi avec des séances quotidiennes. J’essaierai d’en montrer les stades principaux.

Dès la première séance je dus faire face à cette question : Fallait-il commencer avec sa réserve psychique ou avec sa très frappante expression du visage ? Je préférai la seconde manière. Je laissai à plus tard le soin de décider quand et comment je m’attaquerais au problème psychologique. Ma description répétée de l’attitude de sa bouche eut pour effet de faire apparaître dans ses lèvres un tremblement clonique, d’abord léger, qui s’intensifia peu à peu. Il fut surpris par le caractère involontaire de son tremblement et essaya de lutter contre lui. Je l’encourageai à s’abandonner à toute impulsion qu’il ressentirait. Après cela ses lèvres commencèrent à saillir et à se rétracter, puis restèrent pendant quelques secondes en saillie comme dans un spasme tonique. Au cours de ce phénomène, la figure du patient prit l’expression d’un enfant au sein. On ne pouvait s’y tromper. Il s’étonna et demanda anxieusement où tout cela le mènerait. Je le rassurai et l’engageai de nouveau à s’abandonner méthodiquement à chaque impulsion et à me faire connaître toute inhibition à une impulsion dont il prendrait conscience.

Au cours des séances qui suivirent, les diverses manifestations de son visage devinrent de plus en plus distinctes et éveillèrent progressivement l’intérêt du patient. II se passait là, pensait-il, quelque chose de très important, mais qui ne semblait pas le toucher. Après ces spasmes cloniques ou toniques, il continuait à parler avec moi calmement, comme si rien ne s’était passé. Lors d’une séance les crispations de sa bouche augmentèrent jusqu’à devenir l’ébauche d’une crise de larmes retenue. Il émit des sons qui ressemblaient à l’explosion de sanglots douloureux, longtemps réprimés. J’obtins qu’il se prêtât à chaque impulsion musculaire. L’activité sur son visage devint plus variée. Sa bouche, il est vrai, se trouva déformée dans un spasme de pleurs, mais cette expression aboutît, à notre grande surprise, dans une expression déformée de colère et non pas aux pleurs que nous attendions. Assez curieusement, bien qu’il sût qu’il exprimait de la colère, le patient n’éprouvait rien d’un tel sentiment.

Quand les phénomènes musculaires devenaient particulièrement intenses, de sorte que son visage en devenait bleu, le patient se montrait inquiet et angoissé. II continuait à demander où tout cela le conduirait et ce qui allait lui arriver. Je lui expliquai que cette peur d’un événement imprévu correspondait pleinement à son attitude caractérielle générale et qu’il était dominé par la crainte de l’inattendu, par la crainte d’un phénomène qui surviendrait brusquement.

Comme je ne voulais pas abandonner l’investigation méthodique d’une attitude somatique une fois saisie, il fallait que dans mon esprit tout fût clair, d’abord en ce qui concerne la relation entre les activités musculaires de son visage et les mécanismes de défense généraux de son caractère. Si la rigidité musculaire avait été moins nette, j’eusse commencé à travailler sur sa défense caractérielle qui se présentait sous la forme de réserve. Je fus forcé de conclure que son conflit psychique dominant était divisé de la façon suivante : La fonction défensive à l’époque se trouvait dans sa réserve psychique, tandis que l’élément contre lequel il se défendait, c’est-à-dire l’impulsion végétative, se révélait dans les activités musculaires de son visage. Je me rappelai juste à temps que l’activité musculaire elle-même contenait non seulement l’affect contre lequel on se défend, mais aussi la défense. La petitesse et l’étroitesse de sa bouche pouvaient n’être en effet lien d’autre que l’expression de l’opposé, c’est-à-dire de la bouche en saillie, crispée, pleurante. J’avais résolu de mener à bonne fin l’expérience qui consistait à détruire les défenses en les attaquant par leur côté musculaire et non pas psychique.

Ainsi je continuai à travailler toutes ces attitudes musculaires dans le visage que je tenais pour des contractions spasmodiques, c’est-à-dire pour des défenses hypertoniques contre des actions musculaires correspondantes. Au cours de plusieurs semaines, les activités des muscles du visage et du cou se développèrent suivant le tableau que voici : Le resserrement de la bouche fut remplacé d’abord par une crispation clonique, ensuite par la saillie des lèvres. Cette saillie se transforma en une expression de pleurs qui cependant n’éclatèrent pas complètement. Les pleurs à leur tour cédèrent la place à une expression faciale de colère extrêmement intense. La bouche se tordit, les mâchoires devinrent dures comme des planches, les dents grincèrent. Il y eut d’autres mouvements expressifs. Le patient s’assit à moitié, se secoua de colère, leva le poing comme s’il voulait asséner un coup, sans toutefois frapper réellement. Puis il retomba, épuisé, sur le divan. Le tout s’était dissous dans une sorte de pleurnichement. Ces actions musculaires exprimaient la « rage impuissante » que les enfants éprouvent souvent contre les adultes.

Lorsque cette crise fut terminée il en parla avec calme comme si de rien n’était. Il n’y avait aucun doute. Une interruption s’était produite quelque part entre ses impulsions musculaires végétatives et la prise de conscience psychique de ces impulsions. Naturellement, je continuai à discuter avec lui non seulement la séquence et le contenu de ses actions musculaires, mais aussi le phénomène particulier de son détachement psychique par rapport à celles-ci. Ce qui le frappa autant que moi fut le fait que – en dépit de son détachement psychique – il avait une saisie immédiate de la fonction et de la signification de ses crises. Je n’avais pas besoin de les lui interpréter. Au contraire, il me surprenait continuellement par les explications qui étaient immédiatement évidentes pour lui. C’était très satisfaisant. Je me rappelais les nombreuses années de travail que m’avait coûté l’interprétation des symptômes. Il fallait alors déduire la colère ou l’angoisse de symptômes et d’associations, essayer pendant des mois et des années de mettre le patient en contact avec eux. Il n’était pas possible alors – rarement et encore dans une petite mesure – d’aller au-delà d’une compréhension intellectuelle. J’avais donc de bonnes raisons d’être content de mon patient qui, sans la moindre explication de mon côté, avait le sentiment immédiat de la signification de ses actes. Il savait qu’il exprimait une colère intense refoulée depuis des années. Le détachement psychique disparut lorsqu’une des crises reproduisit le souvenir de son frère aîné qui le maltraitait horriblement quand il était enfant.

Spontanément, il comprit qu’à cette époque donnée il avait refoulé la haine contre son frère qui était le favori de sa mère. Pour surcompenser cette haine il avait manifesté une attitude particulièrement gentille et aimante envers son frère, une attitude en contradiction violente avec ses vrais sentiments. Il avait agi de la sorte pour rester en bons termes avec sa mère. Cette haine, qui n’avait pas été exprimée à l’époque, ressortait maintenant dans ses activités musculaires, comme si les lustres les avaient laissées inchangées.

À cet endroit de notre exposé, il serait bon de s’arrêter pour considérer la situation psychique que nous avons en face de nous. Avec la vieille technique de l’association libre et de l’interprétation de symptômes, ce serait une affaire de chance si, premièrement, les souvenirs décisifs des expériences infantiles apparaissaient ; et, deuxièmement, si les souvenirs qui apparaissent sont réellement ceux auxquels furent attachées les émotions les plus intenses et surtout ces émotions qui avaient un effet essentiel sur la vie future du patient. En végétothérapie d’autre part, le comportement végétatif ramène nécessairement à la surface ce souvenir qui fut décisif pour le développement du trait caractériel névrotique. Comme nous le savons, l’approche des souvenirs psychiques ne suffît à remplir la tâche que dans une mesure très incomplète. Lorsqu’on évalue les changements apportés chez un patient après des années de traitement, on doit admettre qu’ils ne valent pas le temps et les efforts dépensés. Enfin, les patients chez qui l’on parvient à atteindre la direction de la fixation musculaire de l’affect, produisent cet affect avant de savoir lequel est refoulé. Ajoutons à cela que le souvenir de l’expérience qui est à l’origine de cet affect apparaît ensuite, sans aucun effort, comme dans notre cas par exemple, le souvenir de la situation avec le frère aîné que sa mère lui préféra. On ne soulignera jamais assez ce fait – qui est aussi important que typique. Dans ce cas, ce n’est pas le souvenir qui – dans des circonstances favorables – produit un affect, mais le processus inverse qui a lieu : la concentration d’une excitation végétative et sa percée à la surface reproduisent le souvenir.

Freud à plusieurs reprises a insisté sur le fait qu’en analyse on n’a jamais affaire qu’à des « dérivés de l’inconscient », qu’on ne peut pas atteindre à l’inconscient lui-même. Cette affirmation est vraie, mais conditionnellement, c’est-à-dire qu’elle est vraie surtout pour la méthode pratiquée à l’époque. Aujourd’hui, par une approche directe de l’immobilisation de l’énergie végétative, nous pouvons saisir l’inconscient non plus dans ses dérivés, mais dans sa réalité. Notre patient, par exemple, n’a pas déduit sa haine pour son frère de vagues associations chargées de peu d’affects. Il s’est comporté exactement comme il se serait comporté dans la situation infantile si sa haine n’avait pas été réprimée par la peur de perdre l’amour de sa mère. Mieux que cela. Nous savons qu’il y a des expériences infantiles qui ne sont jamais devenues conscientes. L’analyse ultérieure de notre patient montra que, bien qu’il eût une connaissance intellectuelle de sa jalousie pour son frère, il ne soupçonnait pas l’étendue et l’intensité de sa fureur. Maintenant, comme nous le savons, les effets d’une expérience psychique ne sont pas déterminés par son contenu, mais par la quantité d’énergie végétative qui fut mobilisée par l’expérience et ensuite immobilisée par le refoulement. Dans une névrose obsessionnelle, par exemple, même les désirs incestueux peuvent être conscients. Et pourtant nous sommes en droit de les dire « inconscients », parce qu’ils n’ont pas perdu leur charge émotionnelle. Nous savons tous par expérience que la méthode usuelle ne permet pas de prendre conscience d’un désir incestueux excepté dans sa forme intellectuelle. Ce qui signifie qu’en fait le refoulement n’a pas réussi. L’illustration nous en sera fournie dans la suite du traitement de notre cas auquel nous allons revenir.

Plus les activités musculaires devenaient intenses dans le visage, plus l’excitation somatique s’étendait à la poitrine et à l’abdomen. En même temps persistait le détachement psychique complet. Quelques semaines plus tard le patient signala de nouvelles sensations : au cours de crispations dans la poitrine, mais seulement lorsqu’elles cessaient, apparaissaient des « courants » dans la base de l’abdomen. À cette époque, il s’éloignait de son épouse, avec l’intention de nouer des rapports avec une autre femme. Cependant, au cours des semaines qui suivirent, il n’avait pas réalisé son intention. Le patient ne semblait même pas conscient de ce manque de logique. Ce n’est que lorsque j’attirai son attention sur ce point qu’il commença – après avoir donné d’abord un certain nombre de rationalisations – à manifester un certain intérêt pour ce problème. Il était clair qu’une inhibition intérieure l’empêchait d’approcher la question d’une manière vraiment affective. Comme il est de règle en analyse caractérielle de ne jamais soulever aucun sujet que le patient n’est pas capable de manier avec une pleine participation affective, même s’il paraît important pour l’immédiat, je remis à plus tard la discussion de ce sujet et continuai le cours indiqué par le développement de ses activités musculaires.

Le spasme tonique commença à s’étendre à la poitrine et au sommet de l’abdomen. Les muscles devenaient comme une planche. Durant ces crises il semblait qu’une force intérieure soulevait la partie supérieure de son corps, contre sa propre volonté, et le tenait dans cette position pardessus le divan. Une tension intense régnait dans la musculature de la poitrine et de l’abdomen. Il me fallut beaucoup de temps pour comprendre pourquoi l’excitation ne gagnait pas davantage vers le bas. Je m’étais attendu à ce que désormais l’excitation végétative s’étendît de l’abdomen au pelvis. Mais il n’en fut rien. Au contraire, j’observai des crispations cloniques violentes dans la musculature des jambes, avec une intensification extrême du réflexe rotulien. À ma grande surprise, le patient me dit qu’il ressentait les crispations dans les jambes comme extrêmement agréables. Ceci parut confirmer mon hypothèse antérieure suivant laquelle les crises épileptiques et épileptiformes représentent la libération de l’angoisse. En tant que telles, elles ne peuvent être qu’agréables. Il y avait des périodes dans le traitement de ce patient où je n’étais plus tout à fait sûr de ne pas avoir affaire à un cas d’épilepsie authentique. Au moins quant à l’apparence extérieure, ces crises, qui commençaient sous forme de tonus, et qui se résolvaient souvent en forme clanique, pouvaient à peine se distinguer des crises épileptiques.

À cette phase du traitement, après trois mois environ, la musculature de la tête, de la poitrine et de l’abdomen était devenue mobile, de même que celle des jambes, particulièrement à la hauteur des genoux et des cuisses. En même temps, le bas de l’abdomen et le pelvis demeuraient immobiles. Le détachement psychique des actions musculaires restait constant. Le patient connaissait ses crises. Il comprenait leur signification. Il sentait l’affect qu’elles contenaient. Et cependant, il semblait toujours ne pas être touché réellement par elles. La question principale restait : quel obstacle causait cette dissociation ? Il devenait de plus en plus clair que le patient se défendait contre la compréhension du tout dans toutes ses parties. Nous savions l’un et l’autre : il était très circonspect. Cette circonspection s’exprimait non seulement dans son attitude psychique ; non seulement dans le fait que son amabilité et sa collaboration dans le travail thérapeutique n’allaient jamais au-delà d’un certain point, et qu’il devenait quelque peu froid et distant lorsque le travail dépassait certaines limites. Cette « circonspection » s’inscrivait aussi dans son comportement musculaire. Il était ainsi maintenu doublement. Lui-même saisissait et décrivait la situation dans les termes d’un garçon qu’un homme poursuit pour le battre. En agissant ainsi, il faisait quelques pas de côté comme s’il voulait esquiver quelque chose, il regardait anxieusement derrière lui et portait ses fesses en avant, comme pour les mettre hors d’atteinte. Dans le langage psychanalytique usuel, on aurait dit que, derrière cette peur d’être battu, se tenait la peur d’une agression homosexuelle. En fait, ce patient avait été analysé pendant un an, et son homosexualité passive avait été constamment interprétée. « En soi-même », c’était exact. Mais du point de vue de notre connaissance présente, nous devons dire que cette interprétation était vaine. Car nous voyons ce qui empêcha le patient de saisir d’une façon réellement affective son attitude homosexuelle : sa circonspection caractérologique, autant que la fixation musculaire de son énergie. Ni l’une ni l’autre n’était dissoute.

J’entrepris d’attaquer la circonspection non pas du côté psychique, comme il est d’usage dans l’analyse caractérielle, mais du côté somatique. Par exemple, je m’employai à lui montrer que bien qu’il exprimât de la colère dans son action musculaire, il ne continuait jamais cette action, que bien qu’il levât le poing, il ne laissait jamais le coup tomber. Je lui montrai plusieurs fois qu’au moment même où son poing voulait frapper le divan, sa colère disparaissait. Dès lors, je concentrai mon travail sur l’inhibition qui l’empêchait d’achever l’action musculaire. Je me guidais toujours sur la supposition que c’était sa circonspection même qui s’exprimait dans cette inhibition. Après plusieurs heures de travail continu sur la défense contre l’action musculaire, il se rappela soudain l’épisode suivant de sa cinquième année. Quand il était un petit garçon, sa famille habitait au sommet d’une falaise abrupte sur le rivage de la mer. Il était occupé à faire un feu au bord de la falaise, et son jeu l’absorbait tellement qu’il se trouvait en grand danger de tomber à l’eau. Sa mère apparut à la porte de la maison, située quelques mètres plus loin. Elle eut très peur et tenta de l’éloigner. Elle savait qu’il était très vif et cela augmentait sa frayeur. Elle l’attira vers elle avec des paroles gentilles, en lui promettant du sucre. Et comme il lui obéissait en toute confiance, elle se mit à le battre furieusement. Cette expérience avait fait sur lui une impression profonde. Mais maintenant il comprenait qu’elle était à l’origine de son attitude de défense envers les femmes, et aussi de la circonspection dont il faisait preuve dans le traitement.

Néanmoins cette prise de conscience ne changea rien. La circonspection demeurait la même. Un jour, entre deux crises, il raconta avec humour l’incident que voici. C’était un pêcheur de truites passionné. D’une manière très impressionnante, il me décrivit le plaisir d’attraper le poisson. Il exécuta devant moi tous les mouvements du pêcheur, m’expliqua comment on apercevait brusquement la truite, et comment on jetait la ligne. En donnant cette démonstration, son visage avait pris une expression d’extrême avidité, presque sadique. Ce qui me frappa, ce fut que, bien qu’il eût exposé sa technique avec force détails, il en omit un, et précisément celui qui correspond au moment où la truite mord à l’appât. Je compris l’association, mais vis aussi qu’il ne se rendait pas compte de cette omission. Dans la technique analytique habituelle, on lui aurait souligné cette association, ou tout au moins on l’aurait encouragé à la trouver lui-même. Mais il me sembla plus important de lui faire prendre conscience de cette omission, et des motifs de cette omission. Il s’écoula quatre semaines avant qu’eussent lieu les faits suivants. Les crispations du corps perdirent de plus en plus leur caractère tonique spasmodique. Le clonus aussi diminuait et des crispations particulières apparurent dans l’abdomen. Celles-ci n’étaient pas nouvelles pour moi. Je les avais relevées chez d’autres patients. Mais je ne les avais jamais relevées dans le rapport où le patient les présentait maintenant. La partie supérieure du corps (épaule et poitrine) avait des saccades en avant, le milieu de l’abdomen restait calme, et la partie inférieure du corps (pelvis et hanches) partait en saccades vers le haut. Dans ces crises, brusquement, le patient se levait à demi, tandis que la partie inférieure du corps se soulevait. Le tout constituait un mouvement organique unitaire. À certaines heures ces mouvements avaient lieu continuellement et alternaient avec des saccades affectant le corps pris dans son ensemble. Il y avait çà et là des sensations de courant, particulièrement dans les jambes et l’abdomen, sensations ressenties comme agréables. L’attitude du visage et de la bouche changeait quelque peu. Au cours d’une de ces crises, la figure avait pris sans erreur possible l’expression d’un poisson. Avant même que je n’attirasse l’attention, du patient sur ce fait, il déclara spontanément : « Je me sens comme un animal primitif », puis : « Je me sens un poisson ». De quoi s’agissait-il ici ? Sans le savoir, sans avoir élaboré aucun lien sur la voie des associations, le patient, par les mouvements de son corps, s’identifiait à un poisson, apparemment à un poisson capturé et qui se débattait. Dans le langage de l’interprétation analytique, on eût dit qu’il « abréagissait » la truite prise à l’hameçon. Ceci s’exprimait de manière différente. La bouche était en saillie, raide et tordue. Le corps frétillait de la tête aux pieds. Le dos était raide comme une planche. Ce qui n’était pas tout à fait incompréhensible à ce stade était le fait qu’au cours de la crise il étendait les bras comme pour embrasser quelqu’un. Je ne me rappelle plus si j’attirais l’attention du patient sur l’association avec l’histoire de la truite, ou s’il la saisit spontanément, ceci n’ayant d’ailleurs qu’une très mince importance. De toute façon il eut le sentiment immédiat de cette association et ne douta pas le moins du monde du fait qu’il représentait à la fois la truite et le pêcheur de truites.

Naturellement cet épisode était immédiatement lié à ses déceptions filiales. En un certain sens, pendant son enfance, sa mère l’avait négligé, maltraité et fréquemment battu. Souvent il avait attendu d’elle quelque chose de beau et de bon, mais c’était exactement le contraire qui se produisait. Maintenant on pouvait comprendre sa circonspection. Il n’avait confiance en personne. Il ne voulait pas être pris. Ceci était l’ultime base de son côté superficiel, de sa peur de s’abandonner, de sa peur des responsabilités, etc. Lorsque cette association l’eût bien pénétré, il connut un changement très net. Son côté superficiel disparut. Il devint sérieux. Au cours d’une séance, le patient s’écria brusquement : « Je ne comprends pas. Tout à coup tout est devenu tellement sérieux ! » C’est-à-dire qu’il ne s’était plus souvenu de l’attitude affective sérieuse qu’il avait eue à une certaine période de sa vie d’enfant. Ou plutôt il avait réellement changé du superficiel au sérieux. Il devenait clair que son attitude pathologique envers les femmes, que sa peur d’entrer en contact avec une femme, de se donner à une femme, résultait de cette peur qui était devenue structurée. Il séduisait naturellement beaucoup de femmes mais ne faisait aucun usage de ce pouvoir de séduction. À partir de ce moment, il y eut une augmentation dans les sensations de « courant » d’abord dans l’abdomen, ensuite dans les jambes et dans la partie supérieure du corps. Non seulement il décrivit ces sensations comme des courants, mais il les qualifia de voluptueuses, de « fondantes », surtout après que les saccades abdominales devenues fortes et vivaces, se furent succédées à un rythme rapide.

Arrêtons-nous ici pour dresser le bilan de la situation où se trouvait le patient.

Les saccades abdominales exprimaient ce fait que la tension tonique de la paroi abdominale se relaxait. Le tout opérait comme un réflexe. Un coup léger sur la paroi abdominale avait une saccade pour effet immédiat. Après plusieurs saccades, la paroi abdominale devint douce et capable d’être facilement pressée avec les doigts. Auparavant elle était tendue et accusait une condition de « défense abdominale », ainsi que je la désignerai pour l’instant. On rencontre ce phénomène chez tous les névrosés sans exception. Lorsqu’on fait expirer profondément un patient et qu’on exerce ensuite une légère pression sur sa paroi abdominale, à deux centimètres et demi environ au-dessous du sternum, on sent une résistance violente à l’intérieur de l’abdomen, ou bien le patient éprouve une douleur analogue à celle qu’il éprouverait si l’on pinçait un de ses testicules. Un coup d’œil rapide sur la position des organes abdominaux et du plexus solaire du système neuro-végétatif – ajoutée à d’autres phénomènes que nous discuterons plus tard – nous montre que la tension abdominale a pour fonction d’exercer une pression sur le plexus solaire. La même fonction est remplie par un diaphragme tendu dans sa position de pression de haut en bas. Ce symptôme aussi est typique. Chez tous les névrosés, sans exception, on peut trouver cette contracture tonique du diaphragme, qui se révèle dans le fait que les patients ne peuvent expirer que d’une manière superficielle et saccadée. Dans l’expiration, le diaphragme est soulevé, et l’importance de la pression sur les organes situés au-dessous de lui – y compris le plexus solaire – diminue aussitôt. Lorsqu’au cours du traitement nous obtenons une diminution dans la tension du diaphragme et des muscles abdominaux, le plexus solaire est libéré de la pression auquel il était soumis. Ceci se vérifie par l’apparition d’une sensation de chute, de la sensation même éprouvée dans un ascenseur qui commence à descendre. L’expérience clinique nous a permis de mesurer l’extrême importance du phénomène. Presque tous les patients en arrivent à se souvenir que, pendant leur enfance ils s’exerçaient à supprimer ces sensations abdominales qui devenaient particulièrement intenses quand ils éprouvaient de la colère ou de l’angoisse. Ils avaient appris spontanément à réaliser cette suppression en retenant leur souffle ou en rentrant l’abdomen.

Une compréhension de ce mécanisme de pression sur le plexus solaire est indispensable pour saisir le cours ultérieur du traitement chez notre patient Les événements qui suivirent s’accordèrent à cette hypothèse et la confirmèrent. Plus intensivement le patient, sur mes injonctions, observait et décrivait le comportement de sa musculature dans le haut de l’abdomen et plus intenses devinrent les saccades et les sensations de « courants » après les saccades, et plus les mouvements ondulatoires serpentins du corps s’étendirent. Néanmoins le pelvis demeurait raide jusqu’à ce que je décidai de porter à la conscience du patient la rigidité de sa musculature pelvienne. Pendant les saccades, toute la partie inférieure du corps se mouvait en avant. Le pelvis cependant participait au mouvement des hanches et des cuisses, mais ne bougeait pas du tout comme une unité corporelle séparée des hanches et des cuisses. Je demandai au patient de faire attention à ce qui inhibait le mouvement du pelvis. Il lui fallut deux semaines avant de saisir complètement l’inhibition musculaire dans le pelvis et de la surmonter. Peu à peu il apprit à inclure le pelvis dans la contraction et une sensation de « courants » qu’il n’avait jamais connue jusqu’alors apparut dans les organes génitaux. Il eut des érections pendant la séance et une impulsion puissante d’éjaculer. Les contractions du pelvis, de la partie supérieure du corps et de l’abdomen sont identiques à celles que l’on éprouve dans le clonus orgastique. À partir de ce moment je me concentrai sur la description détaillée que le patient donna de son comportement dans l’acte sexuel.

Il m’apparut alors que non seulement chez tous les névrosés, mais pour la vaste majorité des deux sexes les mouvements dans l’acte sexuel sont forcés artificiellement, sans que l’individu en soit conscient. Ce qui se meut en règle générale ce n’est pas le pelvis lui-même, mais l’abdomen, le pelvis et les cuisses comme une seule unité. Ceci ne correspond pas au mouvement végétatif naturel du pelvis dans l’acte sexuel. Au contraire il y a là comme une inhibition du réflexe de l’orgasme, un mouvement volontaire, en contraste avec le mouvement involontaire qui se dessine lorsque le réflexe de l’orgasme n’est pas troublé. Ce mouvement volontaire a pour fonction de diminuer ou même de faire disparaître complètement la sensation orgastique de courant dans les organes génitaux.

En outre, je trouvai que le patient tenait toujours les muscles de la base pelvienne remontés et tendus. C’est à partir de là que je pris nettement conscience de la lacune que comportait ma technique antérieure. En essayant d’éliminer les inhibitions de l’orgasme, il est vrai, j’avais toujours observé les contractions de la base pelvienne. Mais à de nombreuses reprises j’avais senti que par quelque côté le résultat restait partiel. J’avais négligé le rôle joué par la tension de la base pelvienne. Maintenant je me rendais compte que tandis que le diaphragme comprime le plexus solaire en haut et la paroi abdominale en avant, la contraction de la base pelvienne sert à diminuer l’espace abdominal en exerçant une pression du bas. Je discuterai plus loin la signification de ces découvertes pour le développement et le maintien des conditions névrotiques.

Après plusieurs semaines, la dissolution complète de la cuirasse caractérielle du patient fut couronnée de succès. Les contractions abdominales isolées diminuaient dans la proportion où augmentait la sensation de courant dans les organes génitaux. Avec elle le caractère sérieux de sa vie affective s’accroissait également. Mon patient se souvint alors d’une expérience datant de sa seconde année.

Il est seul avec sa mère en villégiature d’été. La nuit est claire et étoilée. Sa mère dort et respire profondément. Il entend les sons rythmiques des brisants sur la plage. Ce qu’il éprouve alors, c’est le même sérieux profond, la même humeur quelque peu mélancolique dont il a retrouvé la saveur aujourd’hui. Nous pouvons dire que maintenant il se rappelait une des situations de sa toute première enfance où il se permettait encore de ressentir ses tendances végétatives (orgastiques). Après la déception que lui causa sa mère quand il eut cinq ans, il lutta contre la pleine expérience de ses énergies végétatives et devint froid et superficiel. En un mot il se construisit le caractère qu’il présentait au début du traitement.

À partir de là, en cours de traitement, il éprouva dans une mesure toujours croissante le sentiment d’un « contact particulier avec le monde ». Il m’assura que la gravité actuelle de son sentiment était identique à la gravité de celui qui le liait à sa mère, lors de cette fameuse nuit d’été. Il le décrivit ainsi : « C’est comme si j’avais un contact total avec le monde. C’est comme si toutes les impressions s’inscrivaient en moi plus lentement-comme des vagues… c’est comme une couverture protectrice autour d’un enfant. C’est incroyable à quel point je sens maintenant la profondeur du monde ». Je n’avais rien à lui expliquer. Il comprenait spontanément : Le rapprochement de la mère est identique au rapprochement de la nature. L’identification de la mère et de la terre ou de l’univers a un sens plus profond si on la comprend du point de vue de l’harmonie végétative entre le monde et l’individu.

Au cours d’une des séances suivantes, le patient eut une grave crise d’angoisse. Il se redressa sur son divan avec brusquerie. Sa bouche était douloureusement tordue, son front couvert de sueur, toute sa musculature tendue. Il incarnait l’hallucination d’un animal, d’un singe. Sa main avait exactement l’expression du poing serré d’un singe. Il émettait des sons qui paraissaient issus du plus profond de sa poitrine, « comme s’ils avaient été en dehors des cordes vocales », expliqua-t-il plus tard. Il avait l’impression que quelqu’un s’approchait dangereusement de lui et le menaçait. Alors, comme dans une extase, il s’écria : « Ne vous fâchez pas ! Je veux seulement téter. » Puis il se calma. Dans les heures qui suivirent il repensa la scène. Il se rappela qu’à deux ans – (il put arrêter cette date grâce à une certaine disposition de l’appartement) – il avait feuilleté Tierleben de Brehm25, pour la première fois. Il ne se souvenait pas d’avoir éprouvé la même angoisse à l’époque. Mais il n’en était pas moins douteux que l’angoisse présente se rattachait à cette expérience. La vue d’un gorille lui avait causé une grande surprise et un grand sentiment d’admiration.

Bien que cette première angoisse n’ait pas eu de caractère manifeste, elle avait cependant dominé toute sa vie. Elle n’avait percé à la surface qu’aujourd’hui seulement. Le gorille représentait le père, la figure menaçante qui essayait de l’empêcher de téter. La relation à la mère s’était fixée à ce niveau. Elle était apparue au début du traitement sous la forme du mouvement de succion des lèvres. Mais elle n’était devenue spontanément évidente qu’après la complète dissolution de la cuirasse caractérielle du patient. Il n’était pas nécessaire de rechercher pendant des années son expérience de nourrisson qui tétait. Il était devenu réellement pendant la séance thérapeutique le bébé tétant le sein de sa mère. Il éprouvait réellement les angoisses infantiles, et l’expression de son visage était bien celle d’un nourrisson.

Le reste de l’histoire peut être conté brièvement. Après qu’il eut liquide la déception causée par sa mère et la peur de se donner qui en résulta, l’excitabilité orgastique s’accrut rapidement. Quelques jours plus tard il fit la connaissance d’une jolie jeune femme dont il devint l’ami facilement et sans conflits. Après le deuxième ou le troisième rapport sexuel qu’ils entretinrent, il revint pour me raconter avec une surprise heureuse que maintenant son pelvis se mouvait « si particulièrement par lui-même ». Une investigation plus serrée décela que le patient avait encore une légère inhibition au moment de l’éjaculation. Mais puisque le pelvis était devenu mobile, ce reliquat pouvait être facilement éliminé. Ce que le patient avait encore à surmonter, c’était sa tendance à se retenir au moment de l’éjaculation, au lieu de s’abandonner complètement aux mouvements végétatifs. Il ne doutait pas une minute que les contractions qu’il avait produites pendant le traitement ne fussent rien que des mouvements végétatifs de coït réprimés. Néanmoins, comme il apparut, le réflexe de l’orgasme ne s’était pas développé sans trouble. Les contractions musculaires dans l’orgasme étaient encore saccadées. Le patient bronchait encore fortement lorsqu’il lui fallait relaxer la nuque, prendre une attitude d’abandon. Très peu de temps après, le patient cessa sa résistance pour adopter une allure douce et harmonieuse des mouvements. À partir de là, le reste de son trouble – qui, auparavant, avait plus ou moins échappé à l’attention – disparut. L’allure dure et saccadée des contractions musculaires correspondait à une attitude psychique : « Un homme est dur et ne s’abandonne pas. Toute espèce de reddition est féminine. »

Après cette réalisation, un ancien conflit infantile avec le père fut liquidé. D’une part, le patient se sentait abrité et protégé par son père. Il pouvait être sûr que dans une situation difficile une « retraite » lui était assurée à la maison paternelle. Mais, en même temps, il voulait être indépendant de son père. Il sentait que son besoin de protection était féminin, et il désirait s’en libérer. Un conflit subsistait donc entre son désir d’indépendance et son besoin passif-féminin de protection. Chacune de ces tendances était représentée sous la forme de son réflexe orgastique. La liquidation de ce conflit psychique accompagna l’élimination de la forme dure et saccadée de son réflexe orgastique, après qu’eut été démasqué son caractère de défense contre le doux mouvement d’abandon. Lorsqu’il éprouva pour la première fois l’abandon dans le réflexe lui-même, il fut saisi de surprise. « Je n’aurais jamais pensé, dit-il, qu’un homme aussi put s’abandonner. Je croyais que c’était là un trait caractéristique de la sexualité féminine. » Ainsi sa propre féminité, dont il se défendait, fut liée à la forme naturelle de reddition orgastique et troublait par conséquent cette dernière.

Il est intéressant de noter combien la double norme sociale de moralité fut reflétée et ancrée dans la structure du patient. L’idéologie sociale officielle conduit à identifier l’abandon avec la féminité, et la dureté inflexible avec la masculinité. Selon l’idéologie sociale officielle, il est inconcevable qu’une personne indépendante soit capable de se donner, ou qu’une personne qui se donne soit capable d’indépendance. De même que les femmes (à cause de cette fausse association) protestent contre leur féminité et s’essaient à être masculines, de même les hommes luttent contre leur rythme sexuel naturel de peur d’apparaître féminins. Les conceptions différentes de la sexualité chez l’homme et chez la femme tirent leur justification apparente de ces tendances.

Au cours des quelques mois qui suivirent, le patient vit se consolider l’un après l’autre les changements qui se produisirent encore. Il cessa de boire en excès, mais il ne refusa plus de boire, de temps en temps, quand l’occasion s’en présentait dans une réunion. Il fut capable de situer ses relations avec sa femme sur une base rationnelle, d’avoir aussi des relations heureuses avec une autre femme. Mais, surtout, il entreprit une nouvelle carrière avec intérêt et enthousiasme. Son côté superficiel avait complètement disparu. Il n’était plus disposé à se perdre dans des conversations futiles au café ou au restaurant, ou à entreprendre ce qui ne pouvait avoir d’importance objective. Je voudrais mettre l’accent sur le fait que je n’aurais pas rêvé un instant de l’influencer ou de le guider d’aucune manière. Ce fut pour moi-même une surprise de constater le changement qui s’était opéré en lui, dans le sens de l’objectivité et du sérieux. Il avait saisi les principes fondamentaux de l’économie sexuelle, non pas tant à cause du traitement qu’il avait suivi – et qui, de toute façon, avait été de courte durée – mais à cause de la transformation de sa structure, du sentiment qu’il éprouvait de son propre corps, et de sa motilité végétative récupérée. Dans des cas aussi difficiles, il n’est pas banal de récolter le succès aussi rapidement. Pendant les quatre années qui suivirent – c’est-à-dire aussi longtemps que je continuai à avoir de ses nouvelles – le patient poursuivit la consolidation de ses gains : une égalité de caractère, une capacité pour le bonheur et un comportement rationnel dans les situations délicates.

Je pratique maintenant la végétothérapie sur des étudiants et des patients depuis six années. Elle représente un grand progrès dans le traitement des névroses caractérielles, et le temps nécessaire pour le traitement est plus court. Un grand nombre de médecins et d’enseignants ont déjà appris la technique de la végétothérapie caractéro-analytique.

4. – L’établissement de la respiration naturelle

Avant d’entrer dans les détails de cette technique, je veux examiner quelques faits fondamentaux. Leur connaissance expliquera la signification de chaque méthode technique individuelle qui sans cela apparaîtrait dénuée de sens.

Le traitement végétothérapeutique des attitudes musculaires est entremêlé d’une manière définie avec le travail sur les attitudes caractérielles. Il ne remplace pas le travail de la caractéro-analyse. Il le complète. Ou plutôt c’est le même travail, mais qui se situe dans une couche plus profonde de l’organisme biologique. Car, nous le savons maintenant, la cuirasse caractérielle et la cuirasse musculaire sont complètement identiques. Aussi pourrait-on dire à bon droit de la végétothérapie qu’elle est une « caractéro-analyse dans le domaine du fonctionnement biophysique ».

Néanmoins, l’identité de la cuirasse caractérielle et de la cuirasse musculaire a un corollaire. Les attitudes caractérielles peuvent être dissoutes par la dissolution de la cuirasse musculaire et, inversement, les attitudes musculaires peuvent être dissoutes par la dissolution des particularités caractérielles. Qui a fait l’expérience du pouvoir de la végétothérapie musculaire est tenté de renoncer en sa faveur au travail caractéro-analytique. Mais la pratique quotidienne apprend très vite qu’il n’est pas permis d’exclure une forme de travail aux dépens d’une autre. Chez un type de patient le travail sur les attitudes musculaires prédominera dès le début. Chez un autre type, ce sera au contraire le travail sur les attitudes caractérielles qui l’emportera. Chez un troisième type de patients, le travail sur le caractère aura lieu en même temps que le travail sur la musculature, ou bien il alternera. Toutefois, dans chaque cas, le travail sur la cuirasse musculaire s’accroît en étendue et en importance vers la fin du traitement. Son rôle est de rétablir le fonctionnement du réflexe orgastique qui est naturellement présent dans tout l’organisme mais qui est troublé chez tous les patients.

L’établissement du réflexe orgastique s’opère de nombreuses manières. En s’efforçant de libérer ce réflexe de l’inhibition, on relève beaucoup de détails qui vous font saisir la différence entre les mouvements naturels et les mouvements non-naturels, névrotiques. L’impulsion végétative et son inhibition végétative peuvent être localisées dans le même groupe de muscles. Par exemple, le geste qui consiste à baisser brusquement la tête, comme un canard, peut contenir l’impulsion de pousser la tête dans l’abdomen d’un autre aussi bien que l’inhibition de cette impulsion. Ce conflit entre pulsion et défense, si parfaitement identifié dans le domaine psychique, se retrouve dans le comportement physiologique. En d’autres cas, impulsion et inhibition se distribuent sur des groupes de muscles différents. Chez beaucoup de patients, par exemple, l’impulsion végétative s’exprime dans les contractions involontaires des muscles de l’abdomen supérieur. L’inhibition de l’impulsion végétative, cependant, peut se trouver dans un spasme de l’utérus. En pareil cas, l’utérus se laisse sentir au toucher, minutieusement pratiqué, comme une masse sphérique bien définie. Il s’agit de l’hypertonus végétatif de la musculature utérine. Lorsque le réflexe orgastique se développe, cette masse se résorbe. Il arrive même parfois que la masse apparaisse et disparaisse à plusieurs reprises au cours de la même séance.

Ce phénomène est extrêmement important, car l’établissement du réflexe orgastique a lieu essentiellement au moyen d’une intensification – temporaire – des inhibitions végétatives. Il ne faut jamais oublier que le patient ignore tout de ses inhibitions musculaires. Il doit les sentir avant même qu’il ne soit capable de tourner son attention vers elles. Il serait parfaitement inutile de tenter d’intensifier ces impulsions végétatives elles-mêmes avant d’avoir liquidé les inhibitions.

Pour plus de clarté, prenons un exemple. Un serpent, ou un ver, présente un mouvement rythmique uniforme, ondulatoire, qui engage tout le corps. Imaginons que certains segments du corps sont paralysés ou quelque peu freinés, de sorte qu’ils ne peuvent participer au mouvement rythmique du corps entier. Dans ce cas, les autres parties du corps – bien qu’elles ne soient ni paralysées ni freinées – seraient incapables de se mouvoir comme auparavant. Ou plutôt le rythme total serait troublé par l’élimination de groupes de muscles particuliers. La plénitude de l’harmonie et de la mobilité corporelles exige donc que les impulsions corporelles travaillent comme une unité non troublée, comme un tout. Si mobile que soit autrement une personne, si elle inhibe sa motilité dans le pelvis, toute sa motilité et toute son attitude en seront inhibées. Il est essentiel dans le réflexe orgastique qu’une vague d’excitation et un mouvement se propagent du centre végétatif à travers la tête, le cou, la poitrine, l’abdomen et les jambes. Si cette vague est bloquée en quelque endroit, retardée ou arrêtée dans sa course, alors tout le réflexe est « disloqué ». En général, nos patients présentent non pas un seul, mais beaucoup de ces blocages et de ces inhibitions du réflexe orgastique. Ils se situent à des régions diverses du corps, régulièrement en deux endroits : la gorge et l’anus. On peut conjecturer que le phénomène à quelque chose à voir avec le caractère embryonnique de ces ouvertures, puisque ce sont là les deux extrémités de l’appareil digestif primitif.

Le procédé technique consiste à trouver le siège de l’inhibition du réflexe orgastique et à l’intensifier. Ensuite le corps cherche de lui-même le chemin prescrit par le cours naturel de l’excitation végétative. Il est frappant de voir avec quelle logique le corps rétablit l’intégrité du réflexe. Ainsi quand on a dissous une raideur dans le cou, ou un spasme dans la gorge ou le menton, une sorte d’impulsion apparaît presque régulièrement dans la poitrine ou dans les épaules qui, très vite, est freinée par l’inhibition correspondante. Dissolvons cette inhibition, et aussitôt se manifeste quelque impulsion dans l’abdomen, jusqu’au moment où à son tour celle-ci rencontrera une inhibition. De la sorte, on se convainc rapidement qu’il est impossible d’établir une motilité végétative dans le pelvis avant que la dissolution des inhibitions dans les parties supérieures du corps n’ait été accomplie.

Néanmoins, cette description ne doit pas être prise d’une façon schématique. Certes, chaque dissolution d’une inhibition rend possible une amorce d’impulsion végétative « plus loin ». Mais inversement un spasme de la gorge peut devenir accessible à la dissolution une fois seulement que des impulsions végétatives intenses ont fait leur percée à travers l’abdomen. À mesure que les impulsions végétatives se manifestent, des inhibitions demeurées jusque-là cachées viennent en évidence. Fréquemment, il n’est pas possible de découvrir de graves spasmes de la gorge avant que des impulsions végétatives ne se soient considérablement développées dans le pelvis. L’excitabilité accrue mobilise le reste des mécanismes inhibiteurs.

Dans ce système de connexions, les mouvements de substitution sont particulièrement importants. Très souvent, une impulsion végétative est seulement simulée par un mouvement acquis, plus ou moins volontaire. Il n’est pas possible de mettre au jour l’impulsion végétative fondamentale avant que le mouvement de substitution n’ait été dévoilé et éliminé. Beaucoup de patients souffrent par exemple d’une tension chronique de la musculature des mâchoires qui donne au bas de leur visage un « air mesquin ». En essayant d’abaisser le menton, on se rend compte qu’il existe une forte résistance, une rigidité. Quand on demande au patient d’ouvrir et de fermer la bouche à plusieurs reprises, il s’exécute mais avec hésitation, et au prix d’un effort visible. Cependant il faut d’abord que le patient se rende compte de cette façon artificielle d’ouvrir et de fermer la bouche, avant qu’il ne soit possible de le convaincre que la motilité de son menton est inhibée.

Alors, les mouvements volontaires de certains groupes de muscles peuvent servir de défense contre les mouvements involontaires. De même, les mouvements involontaires peuvent servir de défense contre d’autres mouvements involontaires : par exemple, un tic de la paupière comme défense contre la fixation du regard. Des mouvements volontaires aussi peuvent prendre la même direction que des mouvements involontaires. L’imitation consciente d’un mouvement pelvien peut induire un mouvement pelvien végétatif involontaire.

Le principe fondamental pour produire le réflexe orgastique consiste 1) à trouver les emplacements et les mécanismes des inhibitions qui contrarient le caractère unitaire du réflexe orgastique ; 2) à intensifier les mécanismes inhibiteurs involontaires et des pulsions involontaires telles que le mouvement en avant du pelvis, qui est capable d’induire l’impulsion végétative totale.

Le moyen le plus important d’établir le réflexe orgastique est une technique respiratoire, qui se développa à peu près spontanément au cours de mon travail. Il n’est pas un seul névrosé qui soit capable d’expirer en un souffle unique, profondément et également. Les patients ont élaboré toutes sortes de pratiques qui empêchent l’expiration profonde. Ils expirent d’une façon « saccadée » ou bien, aussitôt que l’air est sorti, ils remettent rapidement leur poitrine dans la position de l’inspiration. Quelques patients décrivent cette inhibition, lorsqu’ils en prennent conscience, de la manière suivante : « C’est comme si une vague de l’océan l’était heurtée à un roc. Ça ne peut pas continuer ».

Le sentiment de cette inhibition est localisé dans l’abdomen supérieur ou moyen. Avec une expiration profonde, apparaissent dans l’abdomen des sensations intenses de plaisir ou d’angoisse. La fonction du blocage respiratoire (inhibition de l’expiration profonde) consiste précisément à éviter l’apparition de ces sensations. Comme préparation au processus d’induction du réflexe orgastique, je demande à mes patients d’entrer dans le rythme respiratoire. Si l’on prie les patients de respirer profondément, ils forcent l’air à entrer et à sortir d’une manière artificielle. Ce comportement volontaire a pour unique résultat de gêner le rythme végétatif naturel de la respiration. On le démasque comme une inhibition. On enjoint au patient de respirer sans effort, c’est-à-dire de ne pas faire des exercices respiratoires, comme il le voudrait. Après cinq à dix souffles, la respiration devient généralement plus profonde et les premières inhibitions font leur apparition. Dans l’expiration profonde naturelle, la tête se meut spontanément en arrière à la fin de l’expiration. Les patients sont incapables de laisser aller leur tête en arrière de cette manière spontanée. Ils étirent leur tête en avant pour empêcher ce mouvement spontané en arrière. Ou bien ils ont des mouvements saccadés et violents vers un côté ou l’autre. De toute façon ils sont différents du mouvement qui se produit naturellement.

Dans la respiration naturelle, les épaules sont relaxées et se meuvent légèrement et doucement en avant à la fin de l’expiration. Nos patients serrent les épaules à la fin de l’expiration, les remontent ou les ramènent en arrière. Ils exécutent des mouvements d’épaules variés pour empêcher le mouvement végétatif spontané de se produire.

Une autre méthode d’induction du réflexe orgastique consiste en une douce pression sur l’abdomen supérieur. Je mets le bout des doigts des deux mains au milieu, entre l’ombilic et le sternum, et demande au patient de respirer profondément. Pendant l’expiration, j’exerce une pression sur l’abdomen, progressivement et doucement. Les réactions sont très différentes selon les individus. Beaucoup ont le plexus solaire très sensible à la pression. D’autres esquissent un contre-mouvement, arquent le dos. Ce sont les mêmes patients qui, dans l’acte sexuel, suppriment toute excitation orgastique en tirant le pelvis en arrière et en arquant le dos. Dans d’autres cas, la pression sur l’abdomen aboutit à des contractions ondulatoires dans l’abdomen. Ceci parfois induit le réflexe orgastique. Une profonde expiration continuée a toujours pour effet une relaxation de la paroi abdominale auparavant très tendue. La pression peut s’exercer plus aisément. Les patients affirment qu’ils « se sentent mieux » (il faut recevoir cette affirmation avec une douce ironie). J’ai adopté une formule que les patients saisissent spontanément. Je leur demande de « se rendre » complètement. L’attitude de donner est la même que celle d’abandon (Hingale) : La tête glisse en arrière, les épaules se meuvent en avant. Le milieu de l’abdomen rentre. Le pelvis est poussé en avant et les jambes se séparent spontanément. L’expiration profonde produit spontanément l’attitude de l’abandon (sexuel). De cette manière nous pouvons expliquer que chez les individus incapables d’abandon, l’inhibition de l’orgasme soit obtenue par la rétention du souffle quand augmente l’excitation dans l’acte sexuel jusqu’à l’acmé.

Beaucoup de patients voûtent le dos de sorte que le pelvis se rétracte et que l’abdomen supérieur est en saillie. Si l’on place une main sous le bas du dos arqué et si l’on demande au patient de « se laisser aller », on remarque alors qu’il éprouve une certaine répugnance à s’exécuter. Cet abandon dans la posture exprime la même chose que l’attitude de reddition dans l’acte sexuel ou dans un état d’excitation sexuelle. Une fois que le patient a saisi l’attitude d’abandon et qu’il est capable de l’accepter, la condition préliminaire pour l’établissement du réflexe est donnée. Pour induire l’attitude d’abandon, une ouverture de la bouche relaxée est souvent utile. Au cours de ce travail, de nombreuses inhibitions qui étaient Testées cachées apparaissent. Par exemple beaucoup de patients froncent les sourcils, ou étendent leurs jambes ou leurs pieds d’une façon spasmodique, etc. Il n’est donc pas possible d’éliminer les inhibitions « nettement, l’une après l’autre », pour trouver ensuite le réflexe orgastique installé. C’est seulement dans le processus de ré-unification du rythme organique désorganisé du corps total que se révèlent toutes ces actions et inhibitions musculaires qui avaient auparavant freiné le fonctionnement sexuel et la motilité végétative du patient.

Au cours de ce travail furent mises au jour les méthodes que les patients pratiquèrent lorsqu’ils étaient enfants pour maîtriser les impulsions et les « angoisses du ventre ». Aussi héroïquement qu’ils avaient jadis combattu le « diable », le plaisir sexuel en eux-mêmes, ils combattent maintenant avec une égale absurdité leur capacité de plaisir, c’est-à-dire la chose même qu’ils désirent. Je mentionnerai seulement quelques-unes des formes les plus typiques des mécanismes de refoulement somatiques. Quand, en cours de traitement, leurs sensations abdominales deviennent trop fortes, beaucoup de patients commencent à fixer d’un regard vide et lointain un coin du cabinet ou la fenêtre. L’analyse de ce comportement conduit les patients à se souvenir que, pendant leur enfance, ils agissaient ainsi consciemment chaque fois qu’ils devaient maîtriser leur colère contre les parents ou les éducateurs. Le fait d’être capable de retenir son souffle pendant un temps assez long était un fait héroïque de self-control. Le langage décrit clairement ici ce processus somatique de maîtrise de soi. Certaines phrases entendues communément dans l’éducation quotidienne représentent exactement ce que j’ai décrit sous le nom de cuirasse musculaire : « Un homme doit se gendarmer », « Un grand garçon ne pleure pas », « Ne te laisse pas aller », « Tu ne dois pas montrer que tu as peur », « il faut passer la tête haute », « serre les dents et encaisse », etc., etc. Ces exhortations typiques sont d’abord rejetées par les enfants, puis adoptées à contre-cœur et enfin exécutées. Elles diminuent la résistance de l’enfant, brisent sa volonté spontanée, détruisent la vie qui est en lui, et en font une marionnette « bien » élevée.

Une mère qui avait quelques clartés en psychologie me parla de sa fillette dont l’éducation jusqu’à l’âge de cinq ans avait comporté un interdit sévère de la masturbation. Un jour, à l’âge de neuf ans, elle vit un spectacle pour enfants où il y avait un magicien aux doigts, artificiellement allongés, mais de longueurs inégales. Elle fut très excitée à la vue de l’énorme index et à partir de là, très fréquemment, le magicien apparut dans ses états d’angoisse. « Tu sais, dit-elle à sa mère, lorsque je suis prise de peur, ça commence toujours dans le ventre. Alors, je ne dois bouger aucune partie de mon corps. C’est seulement avec cette petite partie-là, disait-elle en montrant son clitoris, que je peux jouer. Je tire comme une folle, en avant et en arrière. Le magicien dit : Tu ne dois pas bouger. C’est seulement là en bas que tu peux bouger. Quand j’ai de plus en plus peur, je veux allumer la lumière, mais alors il me faut bouger avec de grands mouvements, et cela me donne encore plus d’effroi. Ça va mieux quand je fais seulement de petits mouvements. Mais une fois que la lumière est allumée et que j’ai assez tiré là, en bas, alors je deviens plus calme et tout est fini. Le magicien est comme Nana. Elle aussi dit tout le temps : Ne bouge pas, reste tranquille (En disant cela, elle prenait un visage sévère). Si j’avais simplement mes mains sous la couverture, elle viendrait et elle les mettrait dehors. »

Comme elle tenait toute la journée ses mains à la hauteur de son organe génital, sa mère lui demanda les raisons de son attitude. Il se trouva qu’elle n’avait pas conscience de le faire aussi souvent. Elle décrivit alors ses différentes espèces de sensations. « Parfois, je sens comme si je voulais jouer, et alors je n’ai pas envie de tirer. Mais quand j’ai très peur, alors j’ai besoin de tirer et de déchirer en bas comme une folle. Quand tout le monde est parti et qu’il n’y a personne avec qui je puisse parler de ces choses, alors il faut que je fasse quelque chose là en bas tout le temps. » Un peu plus tard, elle ajouta : « Lorsque j’ai très peur, je deviens têtue. Je voudrais combattre quelque chose, mais je ne sais pas quoi. Ne crois pas que je veux battre le magicien (La mère n’en avait pas du tout parlé). J’ai beaucoup trop peur de lui. C’est quelque chose d’autre, mais je ne sais pas quoi. »

Cette enfant donne une très bonne description de ses sensations abdominales et des moyens par lesquels – avec l’aide de la fantaisie sur le magicien – elle essaie de les contrôler.

Un autre exemple illustrera la signification de la respiration pour l’activité des ganglions végétatifs abdominaux. Chez un patient, au cours de profondes respirations répétées, survint une sensibilité marquée de la région pelvienne. Il réagissait en retenait son souffle. Quand on touchait sa cuisse ou son abdomen inférieur, même très doucement, il se ressaisissait dans un sursaut. Toutefois, quand il avait expiré profondément à plusieurs reprises, il cessait de réagir à ce contact. S’il retenait de nouveau son souffle, l’irritabilité de la région pelvienne réapparaissait promptement. Cette expérience pouvait être répétée à volonté.

Ce détail clinique est des plus révélateurs. L’inspiration profonde (retenir son souffle) retient l’énergie biologique des centres végétatifs et augmente ainsi l’irritabilité des réflexes. L’expiration profonde répétée réduit la stase, et avec elle l’irritabilité anxieuse. L’inhibition de la respiration – spécifiquement de l’expiration profonde – crée ainsi un conflit. L’inhibition sert à refroidir les excitations agréables de l’appareil végétatif central. Mais ce faisant, elle crée une susceptibilité accrue pour l’anxiété, et augmente l’irritabilité réflexe. Un autre élément du problème de la conversion de l’excitation sexuelle en angoisse devient alors compréhensible. Nous saisissons également la découverte clinique suivant laquelle dans nos tentatives de rétablir la capacité pour le plaisir, nous nous heurtons d’abord à des réflexes d’angoisse physiologiques. L’angoisse est le négatif de l’excitation sexuelle, mais en même temps, identique à elle du point de vue de l’énergie. La prétendue « irritabilité nerveuse » n’est rien d’autre qu’une série de courts-circuits dans la décharge de l’électricité des tissus. Elle est causée par la rétention de l’énergie à laquelle la décharge orgastique est refusée.

Chez un de mes patients, la résistance caractérielle centrale se manifesta longtemps par sa loquacité. Simultanément, il ressentait sa bouche comme « étrangère », « morte ». Elle semblait ne pas lui appartenir. De temps en temps, il passait sa main dessus, comme s’il voulait s’assurer qu’elle était toujours là. Il vérifia que la joie qu’il éprouvait à raconter des potins et des histoires constituait en fait une tentative destinée à surmonter le sentiment qu’il éprouvait d’avoir une bouche morte. Quand cette fonction défensive fut dissoute, sa bouche commença à prendre une attitude infantile de succion, qui alterna avec une expression de visage mauvaise et dure. En même temps, sa tête était tournée obliquement vers la droite. Un jour, je touchai le cou du patient pour vérifier la tension musculaire. À ma grande surprise, le patient prit immédiatement l’attitude d’un pendu. Sa tête retomba mollement sur le côté, la langue fit saillie, la bouche demeura ouverte et rigide. Tout cela était arrivé sur un simple contact. De là, nous parvînmes en droite ligne à sa peur infantile de la mort, à sa peur d’être pendu pour les péchés qu’il avait commis, pour le péché de masturbation. Ce réflexe n’opérait que lorsqu’en même temps le souffle était retenu et l’expiration profonde évitée. Il disparut dès que le patient commença à surmonter sa peur de respirer profondément.

Donc, l’inhibition névrotique de la respiration est une partie centrale du mécanisme névrotique en général, et cela de deux manières. Elle bloque l’activité végétative normale de l’organisme, et crée ainsi la source d’énergie pour toutes sortes de symptômes et de fantaisies névrotiques. Parler est un des moyens utilisés le plus fréquemment en vue de supprimer les excitations végétatives. Ceci rend compte du bavardage « compulsif » de la « logorrhée névrotique ». En pareil cas, je fais cesser le bavardage du patient jusqu’à ce qu’il manifeste des signes d’inquiétude.

Un autre patient souffrait d’un « sentiment d’indignité » extrême. II sentait qu’il était un « cochon ». Sa névrose consistait surtout dans les efforts – toujours voués à l’échec – qu’il déployait en vue de surmonter son sentiment « d’indignité » et l’impression qu’il éprouvait de se sentir importun à tous. Son comportement névrotique incitait continuellement les hommes à l’humilier, ce qui, par voie de conséquence, lui confirmait son sentiment d’indignité et aggravait son manque de confiance en lui-même. Il commença à ruminer : que disaient les gens de lui-même, pourquoi le traitaient-ils si mal ? Comment pourrait-il améliorer les choses ?, etc. En même temps, il sentait une pression sur la poitrine, qui devenait d’autant plus intense qu’il essayait de surmonter son sentiment d’indignité par une rumination obsessionnelle. Il nous fallut un long moment avant que nous ne découvrîmes la liaison entre la rumination obsessionnelle et la « pression sur la poitrine ». Cette trouvaille fut précédée par une sensation corporelle dont il n’avait jamais été conscient jusque-là : « Quelque chose commence à remuer dans ma poitrine, puis se précipite dans ma tête. C’est comme si ma tête allait éclater, comme si un brouillard couvrait mes yeux. Je ne suis plus capable de penser. Je perds le sentiment de ce qui se passe autour de moi. Je suis submergé. Je me perdrai et tout autour de moi. » Ces états-là s’installent toujours lorsqu’une excitation ne passe pas par l’organe génital et qu’elle est détournée vers le « haut ». C’est la base physiologique de ce que les psychanalystes nomment « déplacement d’en bas vers le haut ». Dans cette condition névrotique naissent des fantaisies sur le génie, des rêveries relatives à un avenir brillant, etc. qui sont d’autant plus absurdes qu’elles ne correspondent en rien aux réalisations de l’individu.

Il y a des sujets qui prétendent n’avoir jamais éprouvé le sentiment rongeur bien connu ni le désir dans l’abdomen supérieur. Leur caractère est généralement dur et froid. Chez deux de mes patientes une obsession pathologique de nourriture se développa pour supprimer les sensations abdominales. Aussitôt que l’angoisse ou la dépression se faisait sentir, elles s’employaient immédiatement à remplir leur estomac jusqu’au point d’éclater. Beaucoup de femmes (jusqu’ici je ne l’ai pas encore observé chez des hommes) doivent « pousser quelque chose dans l’estomac » après un acte sexuel insatisfaisant, comme une de ces patientes me l’expliqua. D’autres ont la sensation d’« avoir quelque chose dans l’estomac qui ne peut pas sortir ».

5. – La mobilisation du « pelvis mort »

Le réflexe de l’orgasme n’apparaît pas immédiatement sous sa forme complète, mais se développe, pour ainsi dire, par une intégration de ses parties. Au début, il n’y a qu’une vague qui descend du cou à travers la poitrine et l’abdomen supérieur vers l’abdomen inférieur. Beaucoup de patients la décrivent ainsi. « C’est comme si la vague s’était trouvée brusquement arrêtée à un certain point, là, en dessous ». Le pelvis ne participe pas à ce mouvement ondulatoire. En essayant de localiser cette inhibition, on trouve généralement que le pelvis est fixé dans une position rétractée. Quelquefois, une épine dorsale arquée va de pair avec cette « rétraction », l’abdomen est poussé en avant. Une main peut être facilement placée entre le bas du dos et le divan. L’immobilité du pelvis donne une impression de « mort ». Dans la majorité des cas, les sujets le sentent comme un « vide dans le pelvis » ou une « faiblesse dans les organes génitaux ». C’est vrai spécialement dans les cas où les sujets souffrent de constipation chronique, et nous comprenons pourquoi lorsque nous nous rappelons que la constipation chronique correspond à une hypertonie du sympathique, de même que la rétention dans le pelvis. Les patients sont incapables de bouger le pelvis. S’ils essaient, ils déplacent l’abdomen, le pelvis et les cuisses en une seule pièce. Ainsi la tâche thérapeutique consiste d’abord à faire prendre pleinement conscience au patient du vide végétatif que le pelvis présente. D’une façon générale, il lutte intensément contre le phénomène de la mobilisation du pelvis par lui-même, et particulièrement contre le fait de le bouger en avant et en haut. En comparant les cas de frigidité génitale, on relève que l’absence de sensation, le sentiment de vide et de faiblesse sont d’autant plus intenses que le pelvis a perdu de sa motilité naturelle. Ces patients-là souffrent toujours d’un trouble grave dans l’acte sexuel. Les femmes restent couchées sans mouvement. Ou bien elles s’efforcent de surmonter le blocage de leur motilité végétative par des mouvements du tronc et du pelvis réunis. Chez les hommes le même trouble prend la forme de mouvements rapides, hâtifs et volontaires, de toute la partie inférieure du corps. Dans aucun de ces cas, la sensation orgastique végétative de courant n’est présente.

Certains détails de ce syndrome méritent une mention spéciale. La musculature génitale (bulbo-cavernosus et ischio-cavernosus) est tendue, de sorte que les contractions qui ont lieu normalement comme une réponse à la friction, ne peuvent se produire. La musculature des fesses est également tendue. La non-réactivité de ces muscles peut être fréquemment surmontée par les tentatives des patients en vue de produire en eux des contractions et des relaxations volontaires.

La base pelvienne est remontée. Ce mécanisme fait obstacle à un libre courant végétatif dans l’abdomen. De même, une fixation abaissée du diaphragme gêne le courant par en haut et la contraction de la musculature de la paroi abdominale par-devant.

La position typique du pelvis décrit ci-dessus a toujours une origine infantile et naît consécutivement à deux troubles typiques du développement. Le terrain est préparé par l’éducation brutale de la propreté, lorsqu’on exige d’un enfant en bas âge de contrôler ses sphincters. De même la punition sévère du bébé qui mouille son lit conduit également à cette contracture du pelvis que l’enfant installe quand il commence à supprimer les excitations-génitales aiguës qui donnent le départ de la masturbation infantile.

Car il est possible d’étouffer toute sensation de plaisir génital par une contracture chronique de la musculature pelvienne. La preuve en est dans le fait que les sensations génitales de courant apparaissent dès qu’on réussit à produire une relaxation de cette contracture pelvienne. Afin d’y parvenir, le patient doit avant tout sentir la façon dont il tient son pelvis, c’est-à-dire qu’il doit avoir le sentiment immédiat qu’il « tient son pelvis tranquille ». De plus, il faut mettre au jour tous les mouvements volontaires qui empêchent le mouvement végétatif naturel du pelvis. Le plus important et le plus commun de ces mouvements volontaires est celui qui consiste à bouger l’abdomen, le pelvis et les cuisses d’un seul geste. Il est tout à fait inutile que le patient fasse des exercices avec son pelvis, ainsi que le conseillent intuitivement beaucoup de professeurs de gymnastique. Tant que les attitudes, les actions défensives et cachées n’ont pas été découvertes et éliminées, le mouvement pelvien naturel ne peut pas se développer.

Plus intensément on travaille l’inhibition du mouvement du pelvis et plus complètement le pelvis commence à participer à la vague de l’excitation. Il se meut alors – sans aucun effort de la part du patient – en avant et en haut. Le patient sent que le pelvis est comme attiré vers l’ombilic, par une force extérieure, dirait-on. En même temps, les cuisses demeurent immobiles. Il est très important de distinguer nettement entre le mouvement végétatif naturel du pelvis et ces autres mouvements qui constituent une défense contre lui. Aussitôt que la vague descend du cou à travers la poitrine et l’abdomen droit vers le pelvis, le caractère du réflexe total subit un changement. Alors que jusqu’ici le réflexe était essentiellement déplaisant, parfois même douloureux, il commence à devenir agréable. Alors que jusqu’ici se dessinaient des mouvements défensifs (la poussée en avant de l’abdomen, la courbure du dos, etc.), tout le tronc est arqué en avant et rappelle les mouvements d’un poisson. Les sensations de plaisir dans les organes génitaux et les sensations de courant dans tout le corps qui accompagnent maintenant les mouvements d’une façon croissante, ne laissent pas de doute : nous avons affaire à des mouvements coïtaux, végétatifs, naturels. Leur caractère diffère fondamentalement des réflexes antérieurs et des réactions corporelles. La sensation de vide dans les organes génitaux est remplacée plus ou moins rapidement par une sensation de plénitude et de besoins urgents. Ainsi se développe spontanément la capacité d’expérience orgastique dans l’acte sexuel.

Les mêmes mouvements qui, lorsqu’ils apparaissent dans des groupes musculaires individuels représentent les réactions pathologiques du corps au service de la défense contre le plaisir sexuel, constituent – dans leur totalité, en forme de mouvement ondulatoire du corps total – la base de la capacité végétative spontanée de plaisir.

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Ainsi nous comprenons la nature de l’arc de cercle, ce symptôme hystérique où la poitrine et l’abdomen sont rejetés en avant, alors que les épaules et le pelvis sont tirés en arrière. C’est l’opposé exact du réflexe orgastique.

Avant que je ne connusse ces faits, je fus obligé de laisser les patients surmonter leur inhibition du mouvement pelvien, particulièrement par la voie des « exercices ». L’imperfection des résultats me fit renoncer à des mesures aussi artificielles et me conduisit à rechercher plutôt dans les inhibitions de la motilité naturelle. La défense contre le réflexe orgastique cause une série de troubles végétatifs, la constipation chronique, le rhumatisme musculaire, la sciatique, par exemple. Dans beaucoup de cas, la constipation bien qu’installée depuis des lustres disparut dès que le réflexe orgastique fut établi. Son développement complet est souvent précédé de nausées, de vertiges, de spasmes dans la gorge, de contractions isolées dans la musculature abdominale, le diaphragme, le pelvis, etc. Tous ces symptômes néanmoins, disparaissent, aussitôt que s’établit le plein développement du réflexe orgastique. Le pelvis « raide, mort, rétracté » est un des désordres végétatifs les plus communs chez l’homme. Il rend compte du lumbago et des hémorroïdes. Je montrerai par ailleurs sa relation avec le cancer de l’utérus chez les femmes.

Le mécanisme qui « rend mort le pelvis » a une fonction identique à celui qui « rend mort le ventre » : celle d’éviter les sensations, en particulier les sensations de plaisir et d’angoisse. Il est produit par une circonvallation serrée du « centre végétatif ». Au cours du traitement, le centre végétatif est libéré par une relaxation de cette circonvallation serrée.

À cette époque, lorsque devint clair le rapport entre les formes variées et les manifestations de l’attitude corporelle et l’expression, d’une part, et le réflexe orgastique et la défense contre lui d’autre part, beaucoup de phénomènes obscurs observés préalablement dans le travail thérapeutique devinrent également compréhensibles.

Je me rappelai le cas26 d’un tic du diaphragme chez une femme de 45 ans que j’avais traitée à la clinique psychanalytique de Vienne quatorze ans auparavant et que j’avais guérie partiellement en lui rendant la masturbation possible. Depuis le temps de sa puberté, c’est-à-dire pendant 30 ans, cette patiente avait souffert d’un tic très perturbateur du diaphragme. Ce tic était accompagné de sons perceptibles. Lorsqu’elle put enfin se masturber, le tic diminua à un degré extraordinaire. Aujourd’hui, il est clair pour moi que cette amélioration fut due à une dissolution partielle du spasme du diaphragme. À cette époque, je pouvais dire seulement d’une façon générale que la satisfaction sexuelle avait partiellement supprimé la stase sexuelle et avait ainsi diminué le tic. Mais je ne savais pas alors de quelle façon la stase était devenue permanente, à quel endroit elle avait trouvé une décharge, ou de quelle manière la satisfaction sexuelle avait réduit la stase. Le tic respiratoire correspondait à une contraction involontaire du diaphragme qui représentait une tentative névrotique de réduire le spasme.

Ces nouveaux aperçus me rappelèrent aussi les cas d’épilepsie avec aura abdominale où je n’avais pas su déceler exactement où les convulsions s’opéraient, ni quelles étaient leur fonction et leur relation avec le système neuro-végétatif. Il devenait clair maintenant que les crises épileptiques représentaient des convulsions de l’appareil végétatif dans lequel l’énergie bio-psychique retenue se déchargeait exclusivement par les voies de la musculature, celle des organes génitaux mise à part. La crise épileptique est un orgasme musculaire extra-génital27.

De même s’éclairaient maintenant les cas où l’on observe, au cours du traitement, des spasmes incoordonnés, involontaires de la musculature abdominale : ce ne sont que des efforts auxquels l’organisme se livre en vue de relaxer la tension abdominale.

Chez beaucoup de patients, j’avais eu le sentiment d’une misère cachée qui ne venait jamais au jour. Je n’aurais pu dire où cette misère était localisée. Le traitement du comportement végétatif, néanmoins, permet de localiser cette misère dans l’une ou l’autre partie du corps. Quelques patients expriment de l’amitié dans leurs yeux et dans leurs joues, alors que l’expression du menton et de la bouche est en contradiction flagrante avec elle. L’expression dans le bas du visage est entièrement différente de l’expression de la partie supérieure. L’analyse de l’attitude musculaire de la bouche et du menton libère une quantité incroyable de colère.

Dans d’autres cas, on flaire la politesse conventionnelle du malade. Elle recouvre une malice astucieuse qui peut s’exprimer dans une constipation qui dure depuis des années. Les intestins ne fonctionnent pas et ne peuvent s’ouvrir qu’à l’aide de purgatifs. Ces patients-là, quand ils étaient enfants, devaient contrôler leurs explosions de colère et « emprisonner leur méchanceté dans le ventre ». La manière dont les patients décrivent leurs sensations corporelles, rappelle presque toujours les phrases entendues dans la nursery. Par exemple, « le ventre est méchant lorsqu’il fait un pet ». Quand l’enfant est « bien élevé », grande est la tentation de répliquer à ces tentatives d’éducation par un « pet ». Mais bientôt l’enfant doit briser cette tendance et la seule façon de le faire est d’« emprisonner le pet dans le ventre ». L’enfant ne peut y arriver sans supprimer toutes les excitations qu’il éprouve dans l’abdomen, y compris les excitations sexuelles génitales. L’enfant aboutit à cette suppression en se retirant en lui-même et en « rentrant son ventre en lui-même ». L’abdomen devient dur et tendu. Il a « emprisonné sa méchanceté ».

Il serait utile de présenter en détail, d’un point de vue historique et fonctionnel, le développement compliqué des attitudes corporelles pathologiques qu’on trouve dans divers cas. Je me contenterai d’indiquer quelques faits typiques.

Une brillante lumière éclaire ces phénomènes lorsque nous voyons comment le corps – alors qu’il peut fonctionner comme un organisme total – est aussi capable de se diviser en parties, l’une fonctionnant dans le sens du parasympathique, et l’autre dans le sens du sympathique. Une de mes patientes montra le phénomène suivant dans une certaine phase du traitement : l’abdomen supérieur était déjà complètement relaxé. Elle éprouvait les sensations typiques de courant. On pouvait facilement exercer une pression sur la paroi abdominale, etc. Il n’y avait plus d’interruption dans les sensations de l’abdomen supérieur, de la poitrine et du cou. Néanmoins, l’abdomen inférieur, comme si une ligne de démarcation avait été tracée, se comportait d’une manière tout à fait différente. Ici, une masse dure de la grandeur d’une tête de nourrisson, pouvait être palpée. Il serait impossible d’expliquer anatomiquement ce qu’était cette masse, de déceler les organes qui avaient participé à sa formation. Mais il ne pouvait y avoir le moindre doute sur la masse elle-même. Lors d’une phase ultérieure du traitement, il y eut des jours où cette masse apparaissait et disparaissait, alternativement. Elle apparaissait toujours quand la patiente avait peur d’une excitation génitale commençante et la supprimait. Elle disparaissait quand la patiente permettait à l’excitation génitale de se faire sentir.

Je discuterai ailleurs les manifestations somatiques de la schizophrénie, surtout de la catatonie. Les stéréotypies, les automatismes de toutes sortes dans la schizophrénie résultent de la cuirasse caractérielle et de la brèche faite par l’énergie végétative. Ceci ressort avec évidence surtout dans la crise catatonique de rage. Dans une névrose ordinaire, l’inhibition de la motilité végétative est seulement superficielle. Sous cette cuirasse superficielle existe toujours la possibilité de l’excitation intérieure et d’une certaine décharge énergétique dans la « fantaisie ». Si néanmoins, comme dans la catatonie, le processus « cuirassant » s’étend à des couches plus profondes de façon à bloquer les parties centrales de l’organisme biologique, s’il s’étend à toute la musculature, seules demeurent la possibilité d’une percée violente de l’énergie végétative (attaque de rage qui est éprouvée comme un soulagement) ou la détérioration progressive et complète de l’appareil vital.

D’autres problèmes qui devront être revus à partir de là s’inscrivent dans une série de maladies organiques : ulcère d’estomac, rhumatisme, cancer.

Les psychothérapeutes peuvent aisément observer un grand nombre de ces symptômes dans leur travail clinique quotidien. Néanmoins, ces symptômes ne peuvent être analysés ou compris individuellement, mais seulement par rapport au fonctionnement biologique du corps pris comme un tout, et par rapport aux fonctions de plaisir et d’angoisse. Il est impossible de venir à bout des problèmes qui se posent dans les attitudes corporelles et l’expression somatique, si l’on considère seulement l’angoisse comme la cause de la stase sexuelle, et non d’abord et par-dessus tout, comme un résultat de la stase sexuelle. La « stase » n’est rien d’autre qu’une inhibition de l’expansion végétative et un blocage de l’activité et de la motilité des organes végétatifs centraux. Dans ce cas, la décharge de l’énergie biologique est bloquée, et l’énergie devient liée.

Le réflexe orgastique est une contraction unitaire du corps pris comme un ensemble. Dans l’orgasme nous ne sommes qu’une masse convulsive de protoplasme. Après quinze années d’études sur le problème de l’orgasme, j’avais enfin trouvé le cœur biologique des troubles psychiques. Le réflexe de l’orgasme se trouve dans tous les organismes copulants. Dans les organismes plus primitifs, tels que les protozoaires, on le rencontre sous forme de contractions du plasma28. Le niveau le plus bas où on le trouve se situe dans le processus de la division cellulaire. Des difficultés s’étaient présentées quand on s’était demandé ce qui, dans les organismes d’une structure plus complexe, remplace la contraction à forme sphérique qui est caractéristique des protozoaires. À partir d’un certain stade de l’évolution, les métazoaires possèdent un cadre osseux qui les empêche de produire le mouvement caractéristique des mollusques et des protozoaires, notamment la forme sphérique prise dans la contraction. Imaginons qu’une vessie biologique s’est développée dans un tube élastique. Supposons que ce tube contienne une baguette longitudinale, représentant la colonne vertébrale, qui ne puisse plier que dans le sens de la longueur. Si maintenant le tube élastique est mû par l’impulsion de se contracter, nous voyons – puisqu’il doit se contracter en dépit du fait qu’il ne peut prendre une forme sphérique – qu’il n’a qu’une possibilité de le faire : c’est de plier aussi rapidement et complètement que possible.

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Biologiquement parlant, l’orgasme n’est rien que ce mouvement. L’attitude corporelle correspondante apparaît chez beaucoup d’insectes et dans l’attitude de l’embryon.

Chez les individus hystériques, les spasmes musculaires ont lieu avec une prédilection particulière dans les parties de l’organisme qui ont une musculature annulaire, spécialement la gorge et l’anus. Du point de vue embryologique, ces deux emplacements correspondent aux ouvertures de l’appareil gastro-intestinal primitif.

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D’une importance semblable est la musculature annulaire à l’entrée et à la sortie de l’estomac. Ici des spasmes hystériques, entraînant de graves conséquences pour la condition de l’ensemble du système, se rencontrent fréquemment. Ces régions du corps qui ont une disposition spéciale à des contractions durables et qui correspondent à des niveaux très primitifs de développement, sont le plus souvent le siège de spasmes névrotiques. Lorsqu’il existe un spasme à la gorge ou à l’anus, la contraction orgastique devient impossible. La « rétention » somatique s’exprime dans une attitude qui est à l’opposé de celle de l’orgasme : le dos est arqué, le cou raide, l’anus serré, la poitrine bombée, les épaules tendues. L’arc de cercle en hystérie est l’opposé exact du réflexe orgastique et le prototype de la défense contre la sexualité.

Toute impulsion psychique est fonctionnellement identique à une excitation somatique définie. La conception selon laquelle l’appareil psychique fonctionne par lui-même et influence l’appareil somatique – qui lui aussi fonctionne par lui-même – n’est pas en accord avec les faits. Tout bond du psychique dans le somatique est inconcevable, l’hypothèse suivant laquelle existeraient deux domaines séparés étant fausse. Pas davantage il n’est possible à une idée, celle d’aller dormir par exemple, d’exercer une influence somatique, à moins qu’elle ne soit déjà elle-même l’expression d’une impulsion végétative. Le développement d’une idée à partir d’une impulsion végétative est un des problèmes les plus difficiles auxquels la psychologie ait à faire face. L’expérience clinique ne laisse aucun doute sur le fait que les symptômes somatiques aussi bien que l’idée inconsciente sont les résultats de conflits dans l’innervation végétative. Cette découverte ne contredit pas le fait qu’on puisse éliminer un symptôme somatique en rendant consciente sa signification psychique. Car n’importe quel changement induit dans le domaine des idées psychiques est nécessairement identique aux changements dans l’excitation végétative. C’est-à-dire que ce n’est pas la prise de conscience de l’idée elle-même qui guérit, mais le changement que cette prise de conscience apporte dans l’excitation végétative.

Ainsi trouvons-nous la succession suivante de fonctions au cours de l’action exercée par une idée dans le domaine somatique :

  1. L’excitation psychique est identique à l’excitation somatique.
  2. La fixation d’une excitation psychique résulte de l’établissement d’un état défini d’innervation végétative.
  3. Le changement de l’état végétatif modifie le fonctionnement de l’organe.
  4. La « signification psychique du symptôme organique » n’est rien d’autre que l’attitude somatique dans laquelle s’exprime la « signification psychique ». (La réserve psychique s’exprime dans une rétention végétative, la haine psychique s’exprime dans une attitude végétative définie de haine. Les deux symptômes sont identiques et ne sauraient être séparés).
  5. L’état végétatif établi agit à son tour sur l’état psychique.

La perception d’un danger réel fonctionne identiquement avec une innervation sympathicotonique. Celle-ci à son tour augmente l’angoisse. L’angoisse accrue appelle un processus de cuirassement qui est synonyme de la liaison d’énergie végétative dans la cuirasse musculaire. Cette cuirasse à son tour restreint la possibilité de décharger l’énergie et augmente ainsi la tension, etc.

Le psychique et le somatique opèrent du point de vue de l’énergie bio-psychique comme deux systèmes qui sont unitaires aussi bien que se conditionnant l’un et l’autre.

Le cas clinique suivant peut servir d’illustration.

Une jeune femme extrêmement jolie et sexuellement attirante se plaignait du sentiment qu’elle avait d’être laide, car elle n’éprouvait pas de sentiment unitaire de son corps. Elle décrivit son état de la façon suivante : « Chaque partie de mon corps agit pour elle-même. Mes pieds sont ici et ma tête est là, et je ne sais jamais réellement où sont mes mains. Je n’ai pas mon corps ensemble. » Autrement dit, elle souffrait du trouble bien connu de l’auto-perception dont la forme extrême est la dépersonnalisation schizoïde. Pendant le travail végétothérapeutique, elle montra une liaison très particulière entre les diverses fonctions des attitudes musculaires dans son visage. Dès le début du traitement l’expression « indifférente » de son visage apparut. Cette expression « d’indifférence » devint si intense que la patiente commença à en souffrir vivement. Lorsqu’on lui parlait, même de choses sérieuses, elle regardait fixement dans un coin de la pièce ou à travers la fenêtre. Son visage portait une expression indifférente, et ses yeux avaient un regard vide et « perdu ». Une fois que cette expression fut complètement analysée et dissoute, son visage prit une autre expression dont on n’avait jusqu’alors que soupçonné l’existence. La bouche et le menton se distinguaient par l’expression des yeux et du front. Quand elle devint plus discernable, il apparut que la bouche et le menton étaient « en colère », tandis que les yeux et le front restaient « morts ». Tels étaient les mots propres à exprimer la perception intérieure que la patiente avait de ses attitudes. Je commençai à travailler séparément l’expression de la bouche et du menton. Au cours de ce travail, se manifestèrent des réactions incroyablement violentes d’impulsions inhibées à mordre. Elles s’étaient développées envers le père et le mari, sans cependant avoir été vécues. Les violentes impulsions de colère qui s’étaient exprimées ainsi, dans l’attitude de la bouche et du menton, avaient été recouvertes par une attitude d’indifférence sur tout le visage. C’est seulement après l’élimination de cette indifférence que l’expression coléreuse de la bouche fut mise au jour. L’indifférence avait pour fonction de préserver la patiente contre le danger continuel d’être exposée à la perception de la haine qui eût été exprimée par sa bouche. Après deux semaines de travail dans la région de la bouche, l’expression coléreuse disparut complètement, à la suite de l’analyse d’une réaction de déception très intense. Un de ses traits caractériels les plus saillants était l’obsession de demander constamment de l’amour, et de se mettre en colère lorsque ses exigences impossibles n’étaient pas satisfaites. Après que l’attitude de la bouche et du menton fut dissoute, apparurent des contractions pré-orgastiques dans tout le corps, sous la forme d’un mouvement ondulatoire serpentin qui se propagea jusqu’au pelvis. Cependant l’excitation génitale était inhibée en un endroit défini. Pendant que l’on se livrait à la recherche de ce mécanisme inhibiteur, l’expression des yeux et du front devint peu à peu plus prononcée. Elle consistait dans un regard fixe, coléreux, observateur, attentif et critique. C’est alors seulement que la patiente prit conscience de son attitude qui consistait à paraître « ne jamais perdre la tête » et à être toujours « sur ses gardes ».

La façon dont les énergies végétatives émergent et se font plus « distinctes est un des phénomènes les plus curieux que nous puissions voir en végétothérapie. Il ne peut être réellement décrit. Il faut le vivre cliniquement.

Chez cette patiente, le front « mort » avait recouvert le front « critique ». La question suivante était de connaître la fonction de ce front « critique et coléreux ». Une analyse détaillée du mécanisme d’excitation génitale révéla que le front « regardait attentivement ce que faisaient les organes génitaux ». Historiquement, l’expression sévère des yeux et du front découlait d’une identification avec le père, homme très moral et d’un ascétisme rigoureux. Encore très jeune, la patiente avait entendu à maintes reprises son père insister sur le danger qu’il y avait à s’abandonner aux plaisirs sexuels. En particulier, il avait fait un tableau très sombre des ravages exercés sur le corps par la syphilis. Ainsi le front avait pris la place du père pour mettre la patiente en garde contre la tentation de l’abandon aux désirs sexuels.

L’interprétation suivant laquelle elle s’était identifiée avec son père n’était en aucune façon suffisante. Il fallait maintenant savoir a) pourquoi l’identification eut lieu à cet endroit, c’est-à-dire sur le front, et non pas ailleurs, et b) ce qui maintenait cette fonction dans le présent immédiat. Nous devons faire une discrimination sévère entre une explication historique d’une fonction et son explication dynamique en termes de présent immédiat. Ce sont là deux choses entièrement différentes. Nous n’éliminons pas un symptôme somatique en le rendant historiquement compréhensible. Nous ne pouvons nous passer de la connaissance de la fonction qu’une attitude sert dans le présent immédiat. (Il ne faut pas confondre ceci avec le conflit présent). Le fait que le front vigilant découle de l’identification avec le père sévère n’ébranlerait pas le moins du monde le trouble orgastique.

Le cours ultérieur du traitement montra l’exactitude de cette vue. Car dans la mesure même où l’expression « morte » fut remplacée par l’expression « critique », la défense contre la génitalité s’accentua. Après quoi l’expression critique et sévère se mit à alterner avec une expression gaie et enfantine dans le front et les yeux : à un moment donné, la patiente se sentait en harmonie avec son désir génital, à un autre moment, elle avait envers lui une attitude critique et défensive. Quand l’attitude critique eut entièrement disparu du front et fut remplacée par une attitude joyeuse, l’inhibition de l’excitation génitale disparut également.

J’ai présenté ce cas en détail, parce qu’il est propre illustrer un certain nombre de désordres du processus de tension et de charge dans l’appareil génital. L’attitude défensive qui consiste à « tenir sa tête froide », par exemple, que cette patiente montra si clairement, est un phénomène banal.

La patiente avait le sentiment que son corps était divisé, non intégré et non uni. Voilà pourquoi la conscience de sa grâce sexuelle et végétative lui faisait défaut.

Comment est-il possible qu’un organisme qui, après tout, est un ensemble unitaire, puisse dans ses perceptions se sentir divisé ? Le terme « dépersonnalisation » ne signifie rien. Il doit lui-même être expliqué. Comment est-il possible, devons-nous nous demander, que des parties de l’organisme en viennent à fonctionner pour leur propre compte, comme si elles étaient séparées de l’organisme lui-même ? Les explications psychologiques ne nous mèneront pas loin, car le psychique dans sa fonction émotionnelle dépend complètement des fonctions d’expansion et de contraction dans l’appareil vital végétatif. Cet appareil est un système non-homogène. Le témoignage clinique et expérimental montre que le processus de tension et de charge peut avoir lieu dans le corps pris comme un tout, aussi bien que dans les groupes d’organes particuliers. L’appareil végétatif est capable de présenter, une excitation parasympathique dans l’abdomen supérieur et, simultanément, une excitation sympathicotonique, dans l’abdomen inférieur. Semblablement, il peut se produire une tension dans les muscles des épaules, et en même temps un relâchement ou un état flasque dans les jambes. Un tel phénomène est possible, comme il est dit plus haut, pour l’unique raison que l’appareil végétatif n’est pas une structure homogène. Chez un individu engagé dans l’activité sexuelle, la région de la bouche peut être excitée, tandis que la région génitale ne l’est pas du tout, ou se trouve dans un état négatif, ou inversement.

Ces faits assurent une base solide pour l’évaluation de ce qui est « sain » et de ce qui est « malade » du point de vue de l’économie sexuelle. Il n’est pas douteux que le critère de base de la santé psychique et végétative est la capacité de l’organisme d’agir et de réagir, en tant qu’unité et totalité, en termes de fonctions biologiques, de tension et de charge. Inversement, nous devons considérer comme pathologique tout absence de participation d’organes particuliers ou de groupes d’organes dans l’unité et la totalité de la fonction végétative de tension et de charge, si cette absence de participation est chronique et représente un désordre durable dans le fonctionnement total de l’organisme.

De plus, l’expérience clinique montre que les troubles de l’auto-perception ne disparaissent réellement qu’après le plein développement du réflexe orgastique. Alors tout se passe comme si tous les organes et les systèmes d’organes étaient rassemblés en une seule unité expérientielle par rapport à la contraction comme à l’expansion.

De ce point de vue, on peut saisir la dépersonnalisation comme une absence de charge, c’est-à-dire comme un trouble de l’innervation végétative d’organes individuels ou de systèmes d’organes, des bouts des doigts, des bras, de la tête, des jambes, des organes génitaux, etc. L’absence d’unité dans la perception de son propre corps est également causée par l’interruption dans telle ou telle partie du corps du courant de l’excitation. Ceci est particulièrement vrai de deux régions : le cou, où un spasme bloque la progression de l’onde d’excitation de la poitrine vers la tête, et la musculature du pelvis, qui, lorsqu’elle est spasmée, interrompt le cours de l’excitation de l’abdomen dans les organes génitaux et les jambes.

Tout trouble dans la capacité de ressentir pleinement son propre corps attaque la confiance en soi, aussi bien que l’unité du sentiment corporel. Il crée en même temps le besoin de compensation. La perception de sa propre intégrité végétative, qui est la seule base sûre et naturelle pour une robuste confiance en soi, est troublée chez tous les névrosés. Le trouble se manifeste de manières fort diverses. Son degré extrême est la complète dissociation de la personnalité. Il n’y a pas de différence fondamentale entre une simple sensation d’être affectivement froid et raide d’une part, et la dissociation schizophrénique, manque de contact et dépersonnalisation d’autre part. Il n’y a là qu’une différence quantitative, bien qu’elle apparaisse aussi qualitativement. Le sentiment de l’intégrité est lié au sentiment d’un contact immédiat avec le monde. Quand, au cours de la thérapeutique, l’unité du réflexe orgastique est établie, le sentiment de la profondeur et de la gravité qui avait été perdu depuis longtemps se récupère. Dans ce domaine, les patients se rappellent la période de leur petite enfance lorsque l’unité de leurs sensations corporelles n’était pas encore affectée. Sous le coup d’une émotion profonde, ils racontent comment, étant tout petits, ils se sentaient à l’unisson avec la nature, avec tout ce qui était autour d’eux, et combien ils se sentaient vivants, et comment par la suite tout cela s’est disloqué et détruit sous l’effet de l’éducation. Cette rupture de l’unité des sentiments corporels par le refoulement sexuel et le désir continuel de rétablir le contact avec le soi et avec le monde, est la base subjective de toutes les religions qui nient le sexe. « Dieu » est l’idée mystique de l’harmonie végétative du moi avec la nature. Et lorsque Dieu ne représente rien d’autre que la personnification des lois naturelles qui gouvernent l’homme et en font un élément du processus naturel universel, alors seulement la science naturelle et la religion se réconcilient.

L’homme a fait de grands progrès dans la construction et la maîtrise des machines, mais il y a quarante ans à peine qu’il essaie de se comprendre lui-même. La peste psychique qui caractérise notre époque ne pourra être surmontée si l’on omet d’établir une économie planifiée de l’énergie biologique humaine. La voie de l’investigation scientifique et de la maîtrise de questions vitales est longue et dure. C’est l’opposé exact de l’impertinence du politicien basée sur l’ignorance. On peut espérer qu’un jour la science réussira à manier l’énergie biologique comme elle manie aujourd’hui l’énergie électrique. C’est alors, mais alors seulement, que la peste psychique trouvera son maître.

6. – Maladies psycho-somatiques typiques. Résultats de la sympathicotonie chronique

Nous possédons maintenant des lumières suffisantes sur la sympathicotonie pour entreprendre la revue rapide d’une série de maladies organiques qui doivent leur existence à l’impuissance orgastique de l’homme. L’angoisse d’orgasme crée une sympathicotonie chronique. Celle-ci à son tour crée une impuissance orgastique. Et cette dernière maintient dans un cercle vicieux la sympathicotonie. La caractéristique fondamentale de la sympathicotonie est l’attitude chronique du thorax dans l’inspiration et la limitation de la pleine expiration (parasympathique). La fonction de cette attitude inspiratoire sympathicotonique est essentiellement de prévenir la manifestation de ces affects et de ces sensations corporelles qui apparaissent dans une respiration normale.

Voici quelques-uns des résultats de l’attitude chronique de l’angoisse :

  1. Hypertension cardio-vasculaire : Les vaisseaux sanguins de la périphérie sont chroniquement contractés et leur amplitude d’expansion et de contraction est limitée. Ainsi, pour faire circuler le sang à travers des vaisseaux sanguins rigides, le cœur doit continuellement accomplir un travail excessif. La tachycardie, la haute pression sanguine, les sentiments d’oppression dans la poitrine, et même la pleine angoisse cardiaque sont aussi des symptômes d’hyperthyroidie. On peut se demander si le trouble de la fonction thyroïdienne est primaire, ou si, et dans quelle mesure, il ne constitue qu’un symptôme secondaire d’une sympathicotonie générale. L’artériosclérose, où les vaisseaux sanguins subissent une calcification, apparaît également avec une fréquence surprenante chez les sujets qui ont souffert auparavant d’une déjà ancienne hypertension fonctionnelle. Il est hautement probable que même les maladies valvulaires et les autres formes de maladies cardiaques organiques représentent une réaction de l’organisme à l’hypertension chronique du système vasculaire.
  2. Rhumatisme musculaire : L’attitude inspiratoire chronique du thorax se montre à la longue insuffisante pour maîtriser les excitations biologiques dans le système autonome. Elle est aidée par la tension chronique des muscles, la cuirasse musculaire. Si l’hypertension des muscles s’installe pendant de longues années, elle mène à une contracture chronique et à la formation de nodules rhumatiques qui résultent d’un dépôt de substances solides dans les faisceaux de muscles. Dans ce dernier stade le processus rhumatisant est devenu irréversible. Pendant le traitement végétothérapeutique on trouve que le rhumatisme atteint d’une manière typique ces groupes de muscles qui jouent un rôle prépondérant dans la suppression des affects et des sensations corporelles. Il est souvent localisé dans le cou (« se monter le cou », en anglais : stiffnecked) et entre les omoplates où l’action musculaire typique consiste à redresser les épaules en arrière. Au point de vue de l’analyse caractérielle, c’est un geste de « self-control » ou de « retenue ». Nous le trouvons également dans les deux muscles épais de la nuque qui vont de l’occiput à la clavicule (les muscles sterno-cléidomastoïdes). Ces muscles sont dans un état d’hypertension chronique lorsque la suppression inconsciente de la colère est chronique. Un patient rhumatisant appela ces groupes de muscles des « muscles de rancune ». Il faut ajouter à ceux-ci les masseters dont l’hypertension chronique donne au bas du visage un air d’entêtement et d’amertume.

    Dans les parties inférieures du corps, les muscles qui sont le plus fréquemment affectés sont ceux qui tirent en arrière le pelvis. Comme nous le savons la rétraction chronique du pelvis a pour fonction de supprimer l’excitation génitale. Sous ce rapport le syndrome du lumbago exige une investigation détaillée. On le diagnostique très fréquemment chez les patients qui tiennent les muscles fessiers dans une hypertension chronique pour supprimer les sensations anales. Un autre groupe de muscles atteint souvent de rhumatisme est celui des adducteurs. Ils sont responsables du geste qui consiste à « presser les jambes ». Leur fonction, plus facile à observer chez les femmes, est de supprimer l’excitation génitale. Dans le travail végétothérapeutique, leur fonction est si évidente qu’on les a définis comme « des muscles de moralité ». Tandler, l’anatomiste viennois, les appelait en plaisantant « custodes virginitatis ». Chez les patients rhumatisants, mais aussi chez un grand nombre de névrosés du caractère, ces muscles apparaissent au toucher comme des rouleaux épais, sensitifs, qu’on n’arrive pas à relaxer. Les muscles fléchisseurs du genou qui vont de la surface inférieure du pelvis à l’extrémité supérieure du tibia appartiennent à la même catégorie. Ils sont chroniquement contractés si l’individu supprime les sensations de la base pelvienne.

    Les grands muscles pectoraux sont dans une hypertension chronique, durs et proéminents, si l’attitude inspiratoire de la poitrine est maintenue chroniquement. Il en résulte souvent des névralgies intercostales qui disparaissent en même temps que l’hypertension du thorax.

  3. Il y a de bonnes raisons de croire que l’emphysème pulmonaire qui s’accompagne d’une poitrine cintrée provient d’une attitude inspiratoire chronique du thorax. Il faut tenir compte du fait que toute fixation chronique d’une certaine attitude musculaire diminue l’élasticité des tissus. C’est vrai dans le cas de l’emphysème en ce qui concerne les fibres élastiques des bronches.
  4. Les connections entre l’asthme et la sympathicotonie ne sont pas encore claires.
  5. Ulcère de l’estomac. Selon le tableau de la p. 1, supra, la sympathicotonie chronique est accompagnée par une prépondérance des acides, qui se reflète dans l’excès d’acidité gastrique. L’alcalisation diminue. La muqueuse de l’estomac est exposée aux effets des acides. L’ulcère de l’estomac se localise typiquement au milieu de la paroi postérieure de l’estomac, juste en face du pancréas et du plexus solaire. Tout indique que les nerfs végétatifs de la paroi postérieure se réfractent dans la sympathicotonie et réduisent ainsi la résistance de la muqueuse contre les attaques de l’acide. On a si souvent reconnu que l’ulcère de l’estomac accompagne les troubles affectifs chroniques qu’il n’est plus possible aujourd’hui de douter de Sa nature psychosomatique.
  6. Spasme des muscles annulaires de toute sorte.
    1. Les attaques spasmodiques à l’entrée de l’estomac, le cardiospasme, et à la sortie de l’estomac, le pylorospasme.
    2. La constipation chronique, résultant de la diminution ou de la cessation de la fonction de tension et de charge dans les intestins. Elle est toujours accompagnée d’une sympathicotonie générale et d’une attitude inspiratoire chronique de la poitrine. C’est une des maladies chroniques les plus répandues.
    3. Les hémorroïdes résultent d’un spasme chronique du sphincter anal. Le sang, dans les veines de la périphérie de l’anus, est mécaniquement endigué et les parois des vaisseaux se dilatent par endroits.
    4. Le vaginisme provient de la contraction de la musculature annulaire du vagin.
  1. Une série de maladies du sang (chlorose, certaines formes d’anémie) sont décrites par Müller (Die Lebensnerven) comme des affections sympathicotoniques.
  2. Excès d’oxyde de carbone dans le sang et dans les tissus. Si l’on approfondit l’œuvre fondamentale du savant viennois Warburg, sur l’excès de CO₂ dans les tissus du cancer, il devient clair que l’expiration chroniquement réduite, due à la sympathicotonie, représente un aspect essentiel de la prédisposition au cancer. La respiration externe réduite mène à une respiration interne pauvre. Les organes, avec une respiration chroniquement pauvre et une charge bio-électrique insuffisante sont plus susceptibles aux stimuli carcinomateux que les organes qui respirent bien. L’association entre l’inhibition expiratoire du névrosé caractériel du type sympathicotonique et la découverte de Warburg du trouble respiratoire des organes cancéreux fut le point de départ de mon étude sur l’économie sexuelle du cancer. Je traite ce sujet ailleurs29. Néanmoins je voudrais signaler ceci : chez les femmes, le cancer est surtout localisé dans les organes sexuels. Le rapport avec la frigidité qui est évident est connu de beaucoup de gynécologues. Quant au cancer du tube digestif il a en général pour arrière-plan la constipation chronique.

Il va sans dire que cette énumération rapide n’a pas la prétention de remplacer un travail minutieux auquel un individu seul ne pourrait se livrer, et qui exige la collaboration de nombreux médecins et la formation d’une équipe de recherche scientifique. Mon intention était uniquement de signaler un vaste champ de pathologie qui est intimement lié à la fonction de l’orgasme. Je voulais mettre l’accent sur les rapports qui avaient été négligés jusqu’ici et en appeler à la conscience de la profession médicale pour qu’elle prenne au sérieux – comme ils méritent de l’être – les troubles sexuels. Il est aussi d’une grande importance que les étudiants en médecine puissent obtenir une connaissance exacte de la théorie de l’orgasme – et de la sexologie générale pour répondre aux besoins du public.

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Troubles somatiques

Impuissance et frigidité

Névrose de symptômes

Névrose de caractère

Perversion

Psychopathie

Pseudo-débilité

Psychose

Criminalité névrotique

Troubles psychiques

Disposition au cancer (excès de CO₂)

Hypertension cardio-vasculaire

Hyperthyroïdie

Emphysème

Rhumatisme

Constipation, hémorroïdes

Désordre général de l’équilibre végétatif.

Chorée

Épilepsie

Maladie de Raynaud

Chlorose

Ulcère de l’estomac

Tic

Obésité

Les causes sociales de la maladie par le trouble de la fonction de tension et de charge

Il ne faut pas que le médecin demeure uniquement absorbé par l’objectif du microscope. Il doit être capable de placer ce qu’il voit grâce au microscope dans la juste relation de la fonction de la vie autonome de l’organisme total. Il devrait maîtriser cette fonction totale dans ses composantes biologiques et psychiques. Enfin il devrait comprendre que l’influence que la société exerce sur la fonction de tension et de charge de l’organisme et de ses organes a une signification décisive pour la santé ou la maladie de ceux qu’il doit soigner. Alors la médecine psychosomatique aujourd’hui le fief de quelques spécialistes deviendra bientôt ce qu’elle promet d’être : le cadre général de la médecine de l’avenir.

Il va sans dire qu’on ne pourra aboutir à ce cadre tant que la fonction sexuelle normale de l’organisme vivant continuera à être confondue avec les manifestations pathologiques des névrosés et les productions de l’industrie pornographique.


24 Voir le prochain chapitre, p. 1, infra.

25 Livre d’images classique sur la vie des animaux.

26 Cf. Wilhehn Reich, « Der Tic als Onanieäquivalent » in Ztschr. f. Sexualwissenschaft, 1924.

27 Cf. Wilhelm Reich, « Ueber den epileptischen Anfall », in Internai. Zeitschr. f. Psychoan. 17, 1931.

28 Cf. Wilhelm Reich, Die Bione, Sexpol-Verlag, 1938, p. 205.

29 Cf. Wilhelm Reich : The cancer biopathy. Orgone Institute Press, 1948.