Introduction

Ce livre se fonde sur une série de cours faits pendant plusieurs années à l’Institut de Psychanalyse de Londres. Comme mes élèves m’ont souvent priée de leur en fournir les notes, j’ai conclu qu’il serait utile de les éditer en les présentant sous forme de livre.

Les cours étaient destinés à familiariser les étudiants avec les contributions de Melanie Klein à la théorie et à la pratique de la psychanalyse. Ces leçons faisant partie de la troisième année de leur formation analytique, une connaissance approfondie de Freud est considérée comme allant de soi. Huit leçons seulement ne suffisent qu’à donner une description plutôt simplifiée et schématique des contributions de Melanie Klein, mais comme les théories psychanalytiques ressortent de l’expérience clinique et sont conçues pour éclairer le matériel s’y référant, je compte sur mes exemples pour mieux les faire comprendre.

Ces leçons sont données comme une introduction ; elles ne sauraient remplacer l’étude de la littérature qui s’y rapporte. Elles peuvent servir de guide pour la lecture. Le texte même ne contient pas de références bibliographiques, qui seraient beaucoup trop nombreuses. Par contre, une liste d’écrits se trouve à la fin de chaque chapitre1. Une seule exception est faite dans le chapitre sur « La psychopathologie de la position paranoïde-schizoïde », car la contribution du Dr W. Bion occupe ici une place de choix, et j’y ai employé sa propre terminologie.

Les chapitres se succèdent dans l’ordre même que j’ai été amenée à suivre dans mes leçons. En un sens, le développement de la théorie psychanalytique est l’inverse de celui de l’individu. L’étude des névrosés adultes avait conduit Freud à des découvertes portant d’abord sur l’enfance, ensuite sur les tout premiers mois de la vie ; ainsi, chaque découverte à propos des stades antérieurs du développement enrichissait et éclairait la connaissance des stades ultérieurs. De même, dans son travail avec des enfants, Melanie Klein a été amenée à découvrir qu’aussi bien le complexe œdipien que le surmoi se manifestent déjà à un âge beaucoup plus tendre qu’on ne l’avait supposé ; en poussant plus loin son exploration elle est arrivée aux premières racines du complexe œdipien, puis à ses formulations sur la position dépressive et finalement sur la position paranoïde-schizoïde. Si l’on suivait l’ordre chronologique des contributions de Melanie Klein, on saisirait plus nettement le lien de son œuvre avec celle de Freud, et on pourrait accompagner l’évolution de ses théories étape par étape. J’ai décidé pourtant, d’après mon expérience d’enseignante, d’abandonner cet ordre et, vu les grands avantages de la méthode, de commencer par les tout premiers âges de la vie et d’essayer de décrire la croissance psychologique de l’individu telle qu’on l’observe actuellement. La difficulté de présenter le matériel dans ce nouvel ordre consiste en ce qu’il me faut commencer par ces phases du développement où les phénomènes psychologiques sont les plus éloignés de notre expérience d’adultes, fort difficiles à étudier et par conséquent, ce qui ne surprend nullement, plus sujets à controverses. Mais si je me suis décidée à cet abord c’est que je pense que nous avons accumulé assez de connaissances et que notre théorie est suffisamment complète pour permettre une tentative de la présenter comme un tout.

Sauf le dernier, tous les chapitres sont consacrés à un exposé des phénomènes dans les positions paranoïde-schizoïde et dépressive, et je crois qu’il serait utile d’essayer dès le début de définir le mot « position ». En un sens, les positions paranoïde-schizoïde et dépressive sont des phases de développement. Elles pourraient être considérées comme des subdivisions du stade oral, la première s’étendant sur les trois ou quatre premiers mois de la vie et la seconde se plaçant dans la deuxième moitié de la première année. La position paranoïde-schizoïde se caractérise par le fait que le nourrisson n’est pas attentif aux « personnes », ses relations se limitant à des objets partiels, et que chez lui prédominent les processus de clivage et l’angoisse paranoïde. Le début de la position dépressive est marqué par l’identification de la mère comme un objet total et se caractérise par une relation à des objets saisis dans leur totalité et par la prédominance de l’intégration, de l’ambivalence, de l’angoisse dépressive et de la culpabilité. Mais si Melanie Klein a choisi le terme de « position », c’était pour souligner le fait que le phénomène qu’elle décrivait n’était pas simplement une « phase » ou un « stade » passagers comme, par exemple, la phase orale ; son expression implique une forme spécifique de relations objectales, d’angoisses et de défenses qui persistent tout au long de la vie. La position dépressive ne remplace jamais pleinement la position paranoïde-schizoïde ; l’intégration obtenue n’est jamais complète et des défenses contre les conflits dépressifs amènent une régression à des phénomènes paranoïdes-schizoïdes, si bien que l’individu peut à tout moment osciller entre les deux. Tous les problèmes rencontrés à des stades ultérieurs, comme par exemple le complexe œdipien, peuvent être abordés dans un schéma paranoïde-schizoïde ou dépressif de relations, d’angoisses et de défenses, et des défenses névrotiques peuvent se développer chez une personnalité paranoïde-schizoïde ou maniaco-dépressive. La façon dont les relations objectales s’intègrent dans la position dépressive reste comme la base de la structure de la personnalité. Ce qui arrive dans le développement ultérieur, c’est que les angoisses dépressives se modifient et deviennent peu à peu moins graves.

Certaines angoisses paranoïdes et dépressives gardent toujours leur activité à l’intérieur de la personnalité, mais lorsque le moi est suffisamment intégré et a établi avec la réalité une relation suffisamment sûre pendant l’élaboration de la position dépressive, les mécanismes névrotiques prennent peu à peu la suite des mécanismes psychotiques. Ainsi, aux yeux de Melanie Klein, la névrose infantile est une défense contre les angoisses paranoïdes et dépressives sous-jacentes et une façon de les lier et de les élaborer. À mesure que se poursuivent les processus d’intégration ayant commencé dans la position dépressive, l’angoisse diminue et la réparation, la sublimation et la créativité remplacent largement les mécanismes de défense psychotiques aussi bien que névrotiques.


1 Elle se réfère uniquement aux travaux concernant l’œuvre de Melanie Klein, puisque la littérature classique a été étudiée par les élèves dans les premières années de leur formation.