13. Ce qu’une mère sait et ce qu’elle apprend (1950)

Une jeune mère a beaucoup à apprendre. Les spécialistes lui indiquent quantité de choses sur l’adjonction des aliments solides dans le régime, sur les vitamines et sur l’emploi des feuilles de pesée. Quelquefois aussi, on lui parle d’une chose tout à fait différente, par exemple de sa réaction au refus du bébé de prendre de la nourriture.

Il me semble important que vous compreniez très clairement la différence entre ces deux sortes de connaissances. Ce que vous faites et ce que vous savez, simplement parce que vous êtes la mère d’un bébé, est aussi éloigné de ce que vous apprenez que la côte est l’est de la côte ouest de l’Angleterre. Je ne saurais exprimer cela trop fermement. Le professeur qui a découvert les vitamines qui préviennent le rachitisme a vraiment quelque chose à vous apprendre et, vous, vous avez réellement quelque chose à lui apprendre sur l’autre sorte de savoir, celui qui vous vient naturellement.

La mère qui nourrit son bébé au sein n’a pas à se soucier des graisses et des protéines pendant qu’elle se consacre aux premiers stades du développement de son bébé. Au moment où elle le sèvre, vers neuf mois à peu près, le bébé exige alors moins d’elle et elle a la liberté d’étudier les faits et les avis dispensés par les médecins et les infirmières. Il y a évidemment beaucoup de choses dont elle ne peut avoir une connaissance intuitive et elle a vraiment besoin qu’on lui parle de l’alimentation solide et de la manière d’utiliser les nourritures disponibles de façon que le bébé puisse grandir et demeurer en bonne santé. Avant de s’instruire, toutefois, il lui faut attendre que son état d’esprit soit devenu apte à recevoir ces connaissances.

Il est facile de voir que les conseils du médecin sur les vitamines se fondent sur des années de brillantes recherches. C’est avec respect que nous pouvons admirer le travail du chercheur scientifique et l’auto-discipline que ce travail implique, et c’est avec reconnaissance que nous accueillons les résultats de la recherche scientifique lorsqu’ils permettent d’éviter de grandes souffrances, quelquefois par un simple conseil comme celui d’ajouter quelques gouttes d’huile de foie de morue au régime.

En même temps, le chercheur scientifique peut, si cela l’intéresse, respecter la compréhension intuitive de la mère qui la rend capable de s’occuper de son enfant sans avoir appris à le faire. Je dirais, en fait, que la richesse essentielle de cette compréhension intuitive vient de ce qu’elle est naturelle et qu’elle n’est pas gâtée par le savoir.

La difficulté, en préparant une série de causeries et de livres sur la puériculture, est de savoir comment éviter de perturber ce qui vient tout naturellement aux mères, tout en les informant exactement des découvertes utiles de la science.

Je désire que vous vous sentiez confiante quant à vos capacités de mère, que vous n’éprouviez pas le sentiment que – parce que vous n’avez jamais rien su des vitamines – vous ne savez pas aussi, par exemple, comment porter votre bébé.

Comment porter votre bébé ? Il serait bon que je prenne cet exemple.

L’expression « porter un bébé » a un sens précis en anglais. Quelqu’un a coopéré avec vous, puis a disparu et vous êtes restée « avec le bébé sur les bras ». Nous pouvons en déduire que tout le monde sait que les mères ont un sens naturel des responsabilités et que si elles ont un bébé dans les bras, elles sont impliquées d’une manière particulière. Bien entendu, certaines femmes sont littéralement en train de porter leur bébé dans le sens où le père est incapable de tirer du plaisir du rôle qu’il doit jouer et incapable de partager avec la mère la grande responsabilité qu’un bébé représente toujours pour quelqu’un.

Ou peut-être n’y a-t-il pas de père ? D’habitude, cependant, la mère se sent soutenue par son mari ; elle est libre d’être vraiment mère et lorsqu’elle porte son bébé, elle le fait naturellement sans y penser. Cette mère sera surprise si je dis que porter un bébé est une tâche qui réclame des mains expertes.

Lorsque des gens voient un bébé, ils adorent qu’on leur donne la permission de faire justement cela : porter le bébé dans leurs bras. Vous ne laissez pas porter votre bébé par certaines personnes si vous éprouvez le sentiment que cela ne signifie rien pour elles. En fait, les bébés sont très sensibles quant à la manière dont ils sont portés, si bien que, même tout petits, ils peuvent pleurer avec une personne et être contents avec une autre. Quelquefois, une petite fille demandera à porter le bébé nouveau-né et ce sera un grand événement. La mère avisée ne laissera pas toute la responsabilité à l’enfant et si elle donne la permission, elle sera tout le temps là, prête à reprendre le bébé sous sa sauvegarde. La mère avisée ne trouvera certainement pas naturel que ce soit de tout repos pour la sœur plus âgée que d’avoir le bébé dans les bras. Ce serait nier la signification de tout cela. Je connais des gens qui, toute leur vie, se souviennent du sentiment affreux de porter le petit frère ou la petite sœur et du cauchemar de ne pas se sentir en sécurité. Dans le cauchemar, on laisse tomber le bébé. Cette peur de lui faire mal qui peut se manifester dans le cauchemar fait que, dans la réalité, la grande sœur tient le bébé trop serré.

Tout ceci nous amène à ce que vous faites tout naturellement à cause de votre dévouement au bébé. Vous n’êtes pas angoissée et vous ne le serrez pas trop fort. Vous n’avez pas peur de le laisser tomber par terre. Vous adaptez simplement la pression de vos bras à ses besoins et vous marchez doucement, quelquefois en murmurant. Le bébé sent que vous respirez. Une certaine chaleur émane de votre respiration et de votre peau et il trouve bon d’être porté par vous.

Bien entendu, il y a toutes sortes de mères et certaines ne sont pas tout à fait à l’aise lorsqu’elles portent leur bébé. D’autres sont un peu incertaines : le bébé paraît plus heureux dans le berceau. Chez ces mères, il se peut que subsiste un peu de la peur qu’elles éprouvaient lorsqu’elles étaient petites et que leur mère les laissait porter un nouveau-né. Ou il se peut qu’elles aient eu une mère qui ne soit pas très apte elle-même à cette sorte de chose et qu’elles aient peur de passer à leur bébé quelque incertitude appartenant au passé. Une mère angoissée utilise le berceau autant que possible ou confie même le bébé à la garde d’une personne soigneusement choisie en fonction de la manière naturelle dont elle s’occupe des bébés. Il y a dans le monde place pour toutes sortes de mères et certaines seront bonnes pour une chose, d’autres pour une autre. Peut-être devrais-je dire que certaines sont mauvaises pour une chose et d’autres mauvaises pour une autre ? Quelques-unes portent d’une manière angoissée.

Cela vaut la peine de considérer ce travail d’encore un peu plus près car je désire que vous sachiez que vous faites quelque chose d’important en soignant bien votre bébé. Cela fait partie de la manière dont vous établissez la santé mentale de ce nouveau membre de la communauté.

Examinons les choses à l’aide de notre imagination.

Voici un bébé tout au début (à partir de ce qui se passe au début, nous pouvons voir ce qui ne cessera de se passer plus tard). Qu’on me permette de décrire trois stades dans la relation du bébé avec le monde (représenté par vos bras et votre corps qui respire), en laissant de côté la faim et les grands événements. Premier stade : le bébé communique peu. C’est une créature vivante, entourée par l’espace. Il ne connaît rien, sauf lui-même. Deuxième stade : le bébé remue une épaule, un genou ou s’étire un peu. L’espace est traversé. Le bébé a surpris l’environnement. Troisième stade : vous êtes en train de porter le bébé et vous sursautez un peu à cause d’un coup de sonnette à la porte ou de la casserole d’eau qui se met à bouillir. De nouveau, l’espace est traversé. Cette fois, c’est l’environnement qui surprend le bébé.

Au début, le bébé peu communicatif est dans l’espace qui est maintenu entre lui et le monde, puis il surprend le monde. Troisièmement, le monde le surprend. C’est si simple que je pense que cela vous apparaîtra comme une séquence naturelle et donc comme une bonne base pour l’étude de la manière dont vous portez votre bébé. Tout cela est très évident, mais l’ennui, c’est que si vous ne savez pas ces choses, il se peut que votre immense habileté soit gâchée parce que vous ne saurez pas comment expliquer aux voisins et à votre mari combien il est nécessaire que vous, à votre tour, ayez un espace à vous dans lequel vous pouvez faire démarrer votre bébé avec des bases solides pour la vie.

Je peux m’exprimer d’une autre manière : le bébé dans l’espace devient prêt, le temps passant, à faire le mouvement qui surprend le monde et le bébé qui a découvert le monde de cette manière devient prêt, plus tard, à accueillir les surprises dont le monde est rempli.

Le bébé ne sait pas que l’espace autour de lui est maintenu par vous. Vous avez soin que le monde ne le heurte pas avant qu’il ne le découvre ! Avec un calme plein de vie, vous suivez la vie chez le bébé et en vous et vous attendez les mouvements qui viennent de lui, les mouvements qui conduisent à votre découverte.

Si vous tombez de sommeil et, surtout, si vous êtes déprimée, vous mettez le bébé dans son berceau parce que vous savez que votre sommeil n’est pas assez vivant pour que se conserve chez le bébé l’idée d’un espace qui l’entoure.

Si j’ai parlé particulièrement des petits bébés et de la manière dont vous vous en occupez, cela ne veut pas dire que je n’y inclus pas les enfants plus âgés. Naturellement, la plupart du temps, l’enfant plus âgé a évolué vers un état de choses beaucoup plus complexe et il n’a pas besoin des soins très particuliers que vous donnez naturellement lorsque vous portez votre bébé qui n’a que quelques heures. Mais il arrive souvent que l’enfant plus âgé, pendant quelques minutes seulement ou pendant une heure ou deux, ait besoin de revenir en arrière et de retrouver le terrain qui appartenait aux stades les plus primitifs. Peut-être votre enfant a-t-il eu un accident. 11 court vers vous en pleurant. Il se peut que cinq ou dix minutes se passent avant qu’il ne retourne jouer. Entre-temps, vous l’avez pris dans vos bras et vous avez permis que se reproduise exactement cette même séquence dont je vous ai parlé. Tout d’abord, vous le portez calmement, mais d’une façon vivante, puis, lorsque ses larmes sèchent, il peut bouger et vous découvrir. Et, enfin, vous êtes capable de le reposer à terre tout à fait naturellement. Il se peut aussi qu’un enfant ne soit pas bien, qu’il soit triste ou fatigué. Quoi qu’il en soit, l’enfant est un bébé pendant un petit moment et vous savez qu’il faut lui laisser le temps de revenir naturellement d’une sécurité essentielle vers des conditions ordinaires.

Bien entendu, j’aurais pu choisir beaucoup d’autres exemples de la manière dont vous connaissez les choses, simplement parce que vous êtes spécialiste de ce sujet particulier : les soins donnés à votre propre enfant. Je veux vous encourager à garder et à défendre ce savoir spécialisé, qui ne peut être enseigné. C’est seulement si vous pouvez conserver ce qui est naturel en vous que vous pourrez sans danger retirer quelque chose de ce que les médecins et les infirmières peuvent vous apprendre.

On pourrait penser que je viens d’essayer de vous apprendre comment porter votre bébé. Cela me semble loin de la vérité. J’essaie de décrire différents aspects des choses que vous faites naturellement, afin que vous puissiez comprendre ce que vous faites et sentir votre aptitude naturelle. Cela est important parce que certaines personnes, sans y penser, essaieront souvent de vous apprendre à faire des choses que vous pouvez faite mieux que si vous appreniez à les faire. Si vous êtes sûre de cela, vous pouvez commencer à accroître votre valeur de mère en apprenant les choses qui peuvent être apprises, car le meilleur de notre civilisation et de notre culture offre nombre de choses valables, à condition que vous puissiez les intégrer sans perdre ce qui vous vient naturellement.