6. La fin du processus de digestion (1949)

Au cours de la dernière causerie, j’ai décrit ce qui arrive au lait qui est avalé, digéré et absorbé. Puis, dans les intestins du bébé, beaucoup de choses se passent qui n’intéressent pas la mère et, du point de vue du bébé, toute cette partie du processus est un mystère. Progressivement, toutefois, le bébé est à nouveau impliqué dans le dernier stade, que nous appelons l’excrétion. La mère l’est également et elle peut mieux jouer son rôle si elle sait ce qui se passe.

Le fait est que toute la nourriture n’est pas absorbée. Même un lait maternel parfaitement bon laisse une sorte de résidu et, en tout cas, il faut tenir compte de l’usure normale des intestins. D’une façon ou d’une autre, il y a beaucoup de restes dont il faut se débarrasser.

Les différents éléments qui entrent dans la formation des selles descendent vers la partie inférieure des intestins jusqu’à l’ouverture que nous appelons l’anus. Comment cela se passe-t-il ? Eh bien, les matières sont véhiculées par une série de contractions, ce qui les fait circuler tout le long des intestins vers le bas. Soit dit en passant, savez-vous que la nourriture doit passer à l’intérieur d’un boyau étroit qui, chez un adulte, a environ sept mètres de longueur ? Chez un bébé, les intestins ont une longueur d’environ quatre mètres.

J’entends quelquefois des mères me dire : « La nourriture ne fait que le traverser, docteur. » La mère a l’impression que dès qu’elle nourrit son bébé, la nourriture ressort à l’autre bout. Il semble qu’il en soit ainsi, mais ce n’est pas vrai. Ce qui se passe, c’est que les intestins du bébé sont très sensibles et que l’absorption de nourriture a une action sur les ondes de contraction intestinales. Lorsque celles-ci atteignent la partie inférieure, une selle est évacuée. Normalement, la dernière partie des intestins, le rectum, est plus ou moins vide. Ces ondes de contraction s’activent lorsqu’une grande quantité de matières circule, ou lorsque le bébé est excité, ou lorsque les intestins sont enflammés par une maladie infectieuse, peu à peu, et seulement peu à peu, le nourrisson arrive à les contrôler et je désire vous dire comment cela se passe.

Supposons, pour commencer, que le rectum se remplit tout simplement parce qu’une grande quantité de résidus est sur le point d’être évacuée. Le stimulus véritable des mouvements intestinaux vient probablement du processus de la digestion mis en route par la dernière tétée. Tôt ou tard, le rectum se remplit. Le bébé n’a pas ressenti l’existence des matières lorsqu’elles se trouvaient plus haut, mais le remplissage du rectum est à l’origine d’une sensation définie qui n’est pas désagréable et qui fait que le bébé désire avoir immédiatement une selle. Au début, il ne faut pas nous attendre à ce qu’il la conserve dans le rectum. Vous ne savez que trop bien que, dans les premiers stades des soins maternels, changer et laver les couches est un travail qui revient tout le temps. Puisque les bébés doivent être vêtus, il faut donc changer fréquemment les couches. Autrement, la selle qui reste longtemps en contact avec la peau provoque des rougeurs. Cela est particulièrement vrai si, pour une raison pu une autre, la selle est venue rapidement et est par conséquent liquide. Un apprentissage précoce de la propreté ne permet pas de se débarrasser de cette histoire de couches. Si vous continuez à faire ce travail et à patienter, des choses commenceront alors à se passer.

Vous voyez, si au dernier stade la selle est retenue dans le rectum par le bébé, elle devient solide. L’eau est absorbée et les matières restent là. La selle se présente alors sous une forme solide et il se peut que le bébé éprouve du plaisir à son passage. Eu fait, il se peut que l’excitation soit telle juste au moment du passage que le bébé pleure parce que la sensation est trop forte. Comprenez-vous ce que vous faites en laissant le bébé décider (bien que vous l’aidiez dans la mesure où il ne peut faire cela tout seul) ? Vous lui offrez toutes les chances de découvrir, par l’expérience, qu’il semble bon d’amasser les matières et d’attendre un peu avant de s’en débarrasser. Vous lui permettez même de découvrir que le résultat est intéressant et qu’en fait la défécation peut être une expérience extrêmement satisfaisante si tout va bien. L’établissement de cette attitude saine du bébé à cet égard est le seul bon fondement pour tout ce que vous pouvez désirer entreprendre en matière d’apprentissage de la propreté à une date ultérieure.

Peut-être quelqu’un vous a-t-il dit de laisser régulièrement votre bébé à l’air après les repas, ceci dès le commencement, l’idée étant d’obtenir un apprentissage de la propreté aussitôt que possible. Si vous faites cela, vous devriez savoir que vous ne faites rien d’autre que d’essayer de vous épargner l’ennui de couches sales. Évidemment, il y a beaucoup à dire en faveur de cela, mais le bébé n’est pas encore prêt à apprendre la propreté. Si vous ne lui permettez jamais de se développer à son rythme, vous contrariez les débuts d’un processus naturel. Vous vous privez également de choses bonnes. Par exemple, si vous attendez, vous découvrirez tôt ou tard que le bébé, qui est couché là dans son berceau, trouve un moyen de vous faire savoir qu’il a eu une selle. Vous serez alors au début d’une relation nouvelle avec lui. Il ne peut communiquer avec vous à la manière d’un adulte, mais il a trouvé une façon de parler sans mots. C’est comme s’il disait : « Je crois que je vais avoir une selle. Cela t’intéresse-t-il ? » et vous (sans vous exprimer exactement ainsi), vous répondez « oui » et vous lui faites savoir que, si vous êtes intéressée, ce n’est pas parce que vous avez peur qu’il se salisse, ce n’est pas parce que vous avez le sentiment que vous devriez lui apprendre à être propre. Si vous êtes intéressée, c’est parce que vous aimez votre bébé de la manière dont les mères les aiment, de sorte que tout ce qui est important pour le bébé l’est également pour la mère. Aussi, ne vous inquiétez pas si vous n’arrivez que tardivement à cela, car ce qui importe ce n’est pas tant d’avoir un bébé propre que de répondre à l’appel d’un être humain qui vous est proche.

Plus tard, cet aspect de votre relation avec le bébé s’enrichira. Quelquefois, le bébé sera effrayé de la selle qui s’annonce, quelquefois il aura le sentiment qu’il s’agit de quelque chose de valable. Parce que ce que vous faites se fonde sur le simple fait de votre amour, vous deviendrez vite capable d’établir une différence entre les moments où vous l’aidez à se débarrasser de choses mauvaises et ceux où vous recevez des présents.

Un point pratique mérite d’être mentionné ici. Lorsqu’une belle selle satisfaisante est passée, il se peut que vous pensiez que c’est la fin, vous rhabillez le bébé et vous continuez à faire ce que vous faisiez. Le bébé, toutefois, peut manifester à nouveau un sentiment d’inconfort et salir aussitôt la couche propre. Il arrive très souvent qu’une première évacuation du rectum soit suivie presque immédiatement par un remplissage. Si vous n’êtes pas pressée et si vous pouvez vous permettre d’attendre, le bébé sera capable de l’évacuer également lorsque les prochaines ondes de contraction se présenteront. Cela peut se produire à plusieurs reprises. Si vous n’êtes pas pressée, vous laissez votre bébé avec un rectum vidé. Cela lui conserve sa sensibilité et la prochaine fois qu’il se remplira, quelques heures plus tard, le bébé reviendra à la même procédure d’une manière naturelle. Les mères qui sont toujours pressées laissent toujours leur bébé avec quelque chose dans le rectum. Les matières sont alors soit évacuées, salissant les couches plus que nécessaire, soit retenues dans le rectum qui devient moins sensible. Dans une certaine mesure, cela contrarie les débuts de la prochaine expérience. Des soins tranquilles, pendant une longue période, sont le fondement naturel d’un sens de l’ordre dans la relation du bébé à l’égard de ses fonctions d’évacuation. Si vous êtes pressée et si vous ne pouvez pas permettre une expérience totale, le bébé commencera dans la confusion. Le bébé qui n’est pas dans la confusion sera capable, plus tard, de vous suivre et d’abandonner peu à peu une partie du plaisir extrême qui est lié au passage d’une selle exactement au moment où l’envie se présente. Le bébé ne fait pas cela simplement pour satisfaire votre désir qu’il se salisse aussi peu que possible, mais à partir d’un désir de vous attendre afin d’entrer en contact avec votre amour lorsque vous vous occupez de tout ce qui le concerne. Beaucoup plus tard, il sera capable de se contrôler : il se salira lorsqu’il voudra vous dominer et il se retiendra jusqu’au moment convenable lorsqu’il voudra vous faire plaisir.

Je pourrais vous parler de nombreux bébés qui n’ont jamais eu la chance de découvrir par eux-mêmes cette affaire importante du passage des selles. Je connais une mère qui n’a pratiquement jamais laissé un de ses bébés avoir une selle naturelle. Sa théorie était qu’une selle dans le rectum empoisonne le bébé d’une façon ou d’une autre – ce qui n’est tout simplement pas vrai. Les bébés et les petits enfants peuvent retenir leurs selles pendant des jours sans être réellement en danger. La mère ne cessait d’intervenir dans le rectum de chaque bébé en se servant de bouts de savon et de lavements et le résultat était plus que chaotique. Elle n’espérait certainement pas pouvoir en faire des enfants heureux qui puissent facilement l’aimer.

Vous vous attendez sans doute à ce que je vous parle aussi de l’autre type d’excrétion, le passage de l’urine. Les principes généraux sont les mêmes dans les deux cas.

L’eau est absorbée dans le sang et la quantité qui n’est pas nécessaire est rejetée par les reins du bébé. Elle passe dans la vessie avec des produits résiduels qui s’y trouvent dissous. Le bébé ne sait rien jusqu’à ce que la vessie commence à se remplir et que se manifeste alors un besoin d’éliminer l’urine. Au début, cela est plus ou moins automatique, mais peu à peu le bébé s’aperçoit qu’il est récompensé s’il la conserve un peu. Il trouve alors du plaisir à s’en débarrasser. Cet autre petit plaisir qui se développe enrichit sa vie. Il a le sentiment qu’elle vaut la peine d’être vécue et qu’il fait bon vivre dans son corps.

Le temps passant, vous pouvez utiliser cette découverte du bébé que l’attente est payante, parce que vous apprenez à reconnaître les signes qui vous indiquent que quelque chose va se passer. De plus, vous pouvez enrichir l’expérience du bébé par l’intérêt que vous portez à toute la procédure. Il en viendra à aimer l’attente, à condition qu’elle ne soit pas trop longue, simplement dans le but de conserver tout cela dans le cadre de la relation affectueuse qui existe entre vous deux.

Vous voyez que la mère du bébé est nécessaire pour s’occuper de ses excréments, tout comme elle est nécessaire pour sa nourriture. Seule la mère a le sentiment que cela vaut la peine de suivre en détail les besoins de son bébé, permettant ainsi aux expériences excitantes du corps de devenir partie d’une relation d’amour entre deux personnes, le bébé et elle-même.

Lorsque cela arrive et dure assez longtemps, ce que nous appelons l’apprentissage de la propreté peut suivre sans grandes difficultés, car la mère a gagné le droit à des exigences qui ne dépassent pas les possibilités du bébé.

Nous avons là, à nouveau, un exemple de la manière selon laquelle les fondements de la santé sont établis par une mère normale au cours des soins normaux et aimants qu’elle donne à son bébé.