La force déterminante du Nom1

Dans son exposé La contrainte exercée par le nom2, Stekel a souligné les relations secrètes entre le nom et la profession de même qu’entre le nom et la névrose. Comme l’auteur le montre par de multiples exemples, le nom agit souvent de façon contraignante sur celui qui le porte ou bien il sollicite certaines réactions psychiques (opposition, orgueil, honte). La question abordée par Stekel mérite certainement d’être considérée. Je voudrais contribuer ici à son éclaircissement.

Mon expérience des patients névrosés confirme les observations de Stekel. Je mentionnerai, par exemple, que chez deux obsédés, j’ai trouvé une conformité entre la signification de leur nom et le contenu de leurs idées obsessionnelles et que j’ai traité un homosexuel dont le nom concordait parfaitement avec son comportement féminin. J’ajoute que dans certaines familles se transmet un trait de caractère que le nom exprime. Ainsi je connais une famille qui se distingue par une fierté conforme à son nom. Dans de tels cas, un ancêtre a vraisemblablement obtenu ou pris ce nom en raison d’une telle caractéristique. Le trait de caractère aurait bien pu se transmettre à lui seul ; cependant il devient une obligation lorsque le nom donne aux descendants l’instigation précise à se montrer tels.

Un exemple classique de cette influence se trouve dans les Affinités électives de Goethe, 1ère partie, chapitre II :

« … Mittler parla de ses activités et de ses projets actuels. Ce curieux homme avait naguère été prêtre et s’était distingué au cours de son exercice ininterrompu par sa capacité à apaiser et à résoudre les dissensions intérieures aux familles, aussi bien que celles de voisinage, d’abord pour des habitants isolés, puis pour des communautés et plusieurs propriétaires terriens. Aussi longtemps qu’il officia, aucun couple n’avait divorcé et les cours locales de justice n’étaient dérangées ni par des disputes ni par des procès. Il s’avisa rapidement de la nécessité pour lui de connaître la juridiction. Il en fit le sujet de ses études et se sentit bientôt à la hauteur des avocats les plus habiles. Son rayon d'action s'étendit comme par miracle et on était prêt à l’attirer à la résidence afin qu’il achevât d’en haut ce qu’il avait commencé à la base. C’est alors qu’il gagna une somme considérable à la loterie, qu’il s’acheta une propriété, la mit en fermage et en fit son centre d’activité avec la ferme intention, ou bien plutôt selon une vieille habitude et prédilection, de ne demeurer dans aucune maison ou il n’y eut à soulager ou à aider. Ceux qui sont superstitieux quant aux significations des noms prétendent que le nom de Mittler3 l’avait contraint à saisir cette vocation originale entre toutes. »

On observe fréquemment qu’un garçon portant le même prénom qu’un homme célèbre s’efforce de l’imiter ou lui porte un intérêt particulier.Le prénom d’Alexandre pousse par exemple ceux qui le portent à consacrer un intérêt spécial à Alexandre le grand, à s’identifier à lui en imagination. L’historien Ottobar Lorenz en est un bel exemple, il rédigea l’histoire du roi Ottokar de Bohême.

Je puis encore confirmer avec Stekel le rôle souvent déterminant du nom dans le choix amoureux ; mais je dois renoncer à citer les exemples que je connais.

L’habitude de certains sujets de déformer leur nom sur le mode ludique est également intéressante. Stekel évoque Stendhal. La littérature allemande nous offre un curieux cas de ce genre, celui de Johann Fischart qui fit subir à son nom les transformations les plus extraordinaires et l’utilisa pour les représentations associatives les plus étranges.

J’élève cependant une objection contre le terme de Stekel ; la désignation de « contrainte exercée par le nom » ne me semble pas suffisamment claire et achevée sur le plan formel. Je recommanderai plutôt la dénomination que j’ai donnée comme titre à cette communication.


1 Zentralblatt f. Psych., vol. II, 1912, p. 133.

2 Zeitschrift f. Psychotherapie med. Psychol., vol. III, 1911, t. 2.

3 Mittler = médiateur.