9. Psychopathologie des fonctions cognitives

I. – Généralités

L’expérience clinique montre combien il est artificiel de séparer ce qu’on appelle l’état affectif et les fonctions cognitives, car des perturbations dans un de ces domaines finissent habituellement par retentir sur l’autre : ainsi de graves perturbations affectives s’accompagnent toujours, à la longue, de troubles cognitifs. De même, il est exceptionnel que la déficience intellectuelle ne se complique pas de quelques difficultés affectives, d’autant plus graves que la déficience est profonde.

Néanmoins la clarté didactique rend nécessaire cette séparation que la réalité clinique justifie en partie : s’il est évident, comme nous venons de le dire, qu’un retentissement réciproque existe entre la lignée cognitive et la lignée affective, il est aussi évident que certains enfants présentent une déficience intellectuelle élective. Dans la dernière partie du paragraphe consacré à la débilité mentale, nous tenterons, à la suite de Misés, de proposer une analyse psychopathologique des rapports entres ces deux lignées.

Au préalable, il conviendrait de définir ces fonctions cognitives, termes que nous préférons à celui « d’intelligence ». Binet, promoteur du premier test d’intelligence, avait coutume lorsqu’on lui demandait « Qu’est-ce que l’intelligence ? » de répondre : – comme on le prétend – « c’est ce que mesure mon test » ! Il montrait par là son humour, mais surtout la difficulté à définir l’intelligence. À la suite de Dailly, nous dirons que l’intelligence est « cette activité qui permet à l’être humain d’apprendre, de connaître, d’utiliser son savoir, de créer, de s’adapter au monde et de le maîtriser ». De son côté, Piaget a bien montré qu’on ne pouvait se limiter à une simple étude quantitative de l’intelligence (le niveau des performances évalué par le Q.I.), mais qu’une étude qualitative prenant en compte les modalités du raisonnement, le type de structure logique sous-jacent, était indispensable. Enfin, des auteurs comme Zazzo ou Misés ont souhaité voir intégrer à la notion d’intelligence, non seulement l’efficience scolaire, mais aussi des valeurs telles que la capacité d’intégration sociale ou de compréhension des relations inter-individuelles.

Ces différentes approches des fonctions cognitives rendent compte de la multiplicité et de la variété des « tests » propres à en donner une évaluation. Depuis les travaux de Binet, de nombreux auteurs ont ainsi proposé des techniques d’évaluation qu’on peut très schématiquement répartir en deux types :

— la méthode psychométrique issue des travaux de Binet ;

— la méthode clinique issue des travaux de Piaget.

Avant de présenter brièvement ces différents tests, il est utile, parlant des tests cognitifs, de distinguer deux registres : celui des fonctions de réalisation et celui des fonctions appétitives. Par « fonction de réalisation », nous entendons l’ensemble de l’équipement neurophysiologique de base ainsi que l’évolution de la maturation de cet équipement. Ceci veut dire que la structure même du système nerveux central, l’équipement génétique qui la détermine, les aléas de son embryogénèse, sont des facteurs à prendre en considération. Mais dans cette fonction de réalisation intervient aussi le processus de la maturation individuelle. On sait maintenant que certaines acquisitions cognitives sont possibles, et d’autant plus aisées qu’elles correspondent à des stades génétiques de sensibilité particulière. Passé ce stade privilégié, l’acquisition devient impossible ou dénaturée. Ce processus a été particulièrement bien mis en évidence par les travaux de Piaget dont on peut rapprocher la découverte par les éthologues du processus de l’empreinte.

Nous ne reprendrons pas ici l’étude du développement normal de l’intelligence et de ses diverses phases, sensori-motrice, préopératoire, opératoire concrète, et formelle étudiées au chapitre du développement normal (v. p. 26), mais nous rappellerons que les théories de Piaget ont posé pour principe fondamental une succession strictement invariable de ces stades : l’accession au stade suivant nécessite l’intégration du stade précédent, toute perturbation de celui-ci entraînant des perturbations de celui-là.

Quant à la fonction « appétitive », elle représente l’énergie nécessaire au bon fonctionnement de la fonction de réalisation. En osant une analogie mécanique, nous dirions qu’une automobile ne peut avancer qu’avec un moteur et de l’essence, le moteur étant l’équivalent de la fonction de réalisation, l’essence celui de la fonction appétitive. Par quoi est sous-tendu cet investissement des fonctions cognitives ?

Pour Piaget lui-même, l’affectivité conçue comme intentionalité, pulsion à agir, fournit l’énergie nécessaire aux fonctions cognitives : « elle assigne une valeur aux activités et en règle l’énergie ». La théorie psychanalytique donne une large place à cette affectivité comprise dans son sens le plus large. Ainsi l’investissement des processus secondaires marqué par la capacité de différer la satisfaction, de la repousser à la fois dans le temps et dans l’espace (autre moment et/ou autre lieu), représente la base sur laquelle les processus cognitifs s’élaboreront. Toutefois, pour que le bébé, puis le jeune enfant investissent ces processus secondaires, il faut que, d’une part, au niveau de l’environnement l’espace et le temps soient régulièrement investis (il s’agit ici de la permanence des soins maternels qui seule permet au bébé d’accéder à la notion de permanence de l’objet : v. p. 22) et, d’autre part, que le moi de l’enfant trouve un plaisir accru à différer la satisfaction. Cette capacité à différer la satisfaction provient à la fois du plaisir à l’anticiper mentalement (plaisir hallucinatoire), et aussi du plaisir que retire le moi de l’enfant à planifier son action, à en devenir peu à peu le maître. C’est ainsi que peuvent être mis en place les mécanismes de déplacement et de sublimation, bases même de la distribution de l’énergie pour les processus cognitifs.

Ainsi, il est non seulement schématique, mais faux d’opposer une fonction intellectuelle et une fonction affective qui se développeraient chacune de façon quasi mécanique dans l’ignorance l’une de l’autre. Leur évolution et maturation ne peuvent être comprises que dans une dialectique d’échanges réciproques.

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II. – Évaluation des fonctions cognitives

À la demande du ministre de l’Instruction Publique, et pour élaborer le statut des arriérés mentaux au sein d’une scolarité devenue peu à peu obligatoire, Alfred Binet propose en 1905, une « Échelle métrique de l’intelligence » ancêtre de tous les tests d’évaluation ultérieure. Plusieurs fois complétée, cette échelle qui sera ensuite connue sous le nom de « test de Binet-Simon » introduisait deux nouveautés :

— la possibilité de situer les enfants pathologiques dans une hiérarchie « chiffrée » du déficit mental ;

— la possibilité de dépister dès le début de la scolarité certaines déficiences intellectuelles qui, jusqu’à l’entrée à l’école, étaient passées inaperçues.

Quelles que soient les critiques ultérieures faites à ce test et à ses suivants, il est incontestable qu’il apportait pour les éducateurs et les pédagogues un instrument fiable de mesure, ce qui en fit son succès avant même qu’on s’interroge sur la nature de ce qui était mesuré. Ultérieurement, divers tests ont été mis au point avec un double souci : pour les uns il s’agissait dans la même perspective que le test de Binet-Simon d’affiner l’évaluation soit pour une tranche d’âge, soit pour une aptitude particulière ; pour les autres, il s’agissait d’approcher la

nature des processus intellectuels (Piaget). Nous retrouvons ici la distinction entre les tests psychométriques et les épreuves cliniques.

Précisons qu’il s’agit dans ce paragraphe d’un bref aperçu des tests où nous donnerons leurs caractéristiques essentielles, leurs champs de validité et leurs limites. Nous n’envisagerons pas le détail de ces tests, ni leur technique de passation qu’on trouvera dans les manuels spécialisés.

A. – Évaluation psychométrique : le niveau de la performance

L’absence d’un langage suffisant avant 3-4 ans constitue une limite qui permet de distinguer les tests préverbaux fondés essentiellement sur l’étude du développement psychomoteur, des tests où intervient largement le langage lors de la seconde enfance.

1°) Tests préverbaux de développement psychomoteur

Les tests de Gesell, de Brunet-Lézine et de Casati-Lézine évaluent une série de performances motrices étalonnées pour chaque âge. À chaque série peut être attribué non seulement un âge de développement (A.D.), mais un quotient de développement (Q.D.), rapport de l’âge de développement sur l’âge réel.

Si ces « baby-tests », comme on les a appelés, permettent de situer le développement psychomoteur d’un nourrisson ou d’un petit enfant par rapport à une moyenne, ils ne constituent en aucun cas un équivalent du quotient intellectuel (Q.I.). Il existe en effet une faible corrélation entre le Q.D. de la petite enfance et le Q.I. de l’adolescence chez le même enfant.

Age d’application : pour la dernière version de Brunet-Lézine de quelques mois à 5 ans.

2°) Tests de la seconde enfance

a) Binet-Simon, Terman-Meriii, Nemi

Nous regroupons ces tests tous issus du test initial de Binet après diverses révisions. Citons :

— la révision américaine (1937) : Terman-Merill ;

— la révision française de 1966 : Nouvelle Echelle Métrique de l’Intelligence (NEMI) de Zazzo.

Ces tests regroupent diverses épreuves sans se soucier des fonctions intellectuelles auxquelles elles font appel. Les versions les plus récentes ont été étalonnées avec des enfants normaux : ainsi l’étalonnage de la NEMI repose sur 550 enfants des deux sexes « prélevés » sur le tout-venant de quatorze groupes scolaires de Paris (Zazzo 1966).

■ Résultats : ils s’expriment en référence à l’âge et traduisent le degré de dispersion par rapport à une moyenne d’âge. Il s’agit donc d’échelles d’âges qui, pour chaque enfant, traduisent le retard ou l’avance de développement intellectuel. Ainsi pour chaque épreuve est défini un âge mental, lorsque la majorité des enfants d’un âge précis réussit cette épreuve alors que la majorité des enfants de l’âge immédiatement inférieur y échoue.

Un enfant de 6 ans aura un âge mental de 6 ans s’il réussit les épreuves normalement réussies par la majorité des enfants de 6 ans, un âge mental de 4 ans et demi s’il ne réussit que les épreuves normalement réussies par la majorité des enfants de quatre ans et demi et échoue aux épreuves réussies par la majorité des enfants de 5 ans, etc. En réalité, il est rapidement apparu plus facile d’exprimer les résultats en terme de Quotient Intellectuel (Q.I.).

■ Quotient intellectuel : C’est le rapport

q j _ Age mental (A.M.)

Age chronologique (A.C.)

Ce Q.I. illustre immédiatement le degré de dispersion (retard ou avance) de l’âge mental d’un enfant par rapport à son âge chronologique ou, comme le dit Zazzo, par rapport à l’âge mental moyen des enfants de son âge. Pour cet auteur, on définit en réalité par cette méthode un « quotient d’âge ». Nous verrons à la fin de ce paragraphe les problèmes que soulève l’utilisation du Q.I.

■ Limites de validité : Pour beaucoup d’auteurs, ces tests donnent une place trop grande aux acquisitions scolaires, en particulier le Binet-Simon (rappelons que Binet a étalonné son test à la demande du ministre de l’Instruction Publique pour repérer les enfants inaptes à suivre cette instruction). Le rôle du milieu social, affectif et culturel est trop important et aussi le rôle du langage, surtout après 7 ans. Le Binet-Simon est utilisable entre 4 et 10 ans. Le Terrman-Merill peut être utilisé jusqu’à l’âge adulte.

b) W.I.S.C. et W.I.S.P.P.

Ces épreuves sont issues du Wechsler-Bellevue pour adulte qui n’est utilisable qu’à partir de 12 ans. Le W.I.S.C. (Wechsler Intelligence Scale for Children) est applicable à partir de 6 ans, et le W.I.S.P.P. (Wechsler Intelligence Scale for the Preschool Period) est applicable entre 4 et

6 ans. L’intérêt de ces tests est de faire une distinction entre les épreuves faisant appel au langage et les autres. Le W.I.S.C. comprend ainsi 6 subtests verbaux (information – compréhension – arithmétique – similitude – vocabulaire – répétition de chiffres) et 6 subtests non verbaux dits de « performance » (images lacunaires – classements d’images – cubes de Kohs – assemblage des puzzles – code – labyrinthe). En combinant ensemble les subtests de chacune des échelles on obtient une note verbale et une note performance dont la combinaison donne une note globale.

■ Résultats : ces tests sont construits de telle sorte que la notation des résultats obtenus par un enfant donne la dispersion en écart type qui sépare cet enfant de la moyenne de son âge. L’âge de référence n’est donc pas diachronique (dispersion par rapport à l’âge de développement), mais synchronique (dispersion par rapport à une moyenne relative dans un groupe d’âge).

■ Quotient intellectuel : il traduit l’expression statistique de la construction du test. Par définition le Q.I. de 100 correspond au percentile 50, chaque déviation standard (D.S.) traduisant un écart de 15 points par rapport à cette moyenne. Il s’agit donc d’un « Q.I. Standard » par opposition au « Q.I. d’âge » du Binet-Simon. On définit un Q.I. verbal (Q.I.V.) correspondant aux épreuves verbales, un Q.I. performance (QIP) et un Q.I. global (Q.I.G.) combinaison des deux précédents.

■ Limites de validité : Nous avons déjà donné les limites d’âge : W.I.S.P.P. 4-6 ans, W.I.S.C. 6-12 ans, Wechsler-Bellevue après 12 ans. L’existence de deux échelles, verbale et performance, avait pour objectif de tempérer la prépondérance du facteur verbal dans les tests précédents. En réalité, chaque série représente un test spécifique. L’avantage est de dépasser la notion d’un Q.I. global pour s’intéresser plutôt au profil obtenu à cette batterie de subtests : profil homogène ou au contraire hétérogène. Nous reverrons à propos de la débilité l’importance de ce facteur d’hétérogénéité.

C) Tests instrumentaux

Ils sont très nombreux, aussi nous citerons ici uniquement ceux qui sont les plus utilisés en clinique. Leur but est d’explorer un champ plus précis des fonctions cognitives centrées, soit sur le schéma corporel, soit sur l’organisation spatiale, soit sur le langage, etc. Citons ainsi :

■ test d’initiation de geste de Bergès-Lézine Pour explorer la connaissance du schéma corporel chez des enfants de 3 à 10 ans ;

■ test de Bender qui explore l’organisation graphoperceptive d’enfants entre 4 et 7 ans ;

■ figure de Rey (v. fig. 3) : on demande à l’enfant de reproduire le dessin en le gardant sous les yeux. Ce test explore l’organisation spatiale, la capacité d’attention et la mémoire immédiate ;

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Fig. 3. – Figure de Rey.

■ test de Benton : épreuve d’organisation visuo-motrice et d’évaluation de la mémoire dilférée (reproduction des figures géométriques après 10 secondes d’observation). Applicable après 8 ans.

Citons uniquement pour mémoire les nombreux tests de langage oral ou écrit (Borel-Maisonny, C. Chassagny, test de l’Alouette) qui ont été étudiés dans le chapitre consacré à la psychopathologie du langage (v. p. 112).

3°) Test faisant intervenir la socialisation

De nombreux auteurs se sont préoccupés de faire intervenir, non seulement les capacités intellectuelles en terme de performance individuelle, mais aussi ce qu’on pourrait appeler une « compétence sociale » caractérisée à la fois par la capacité d’autonomie des principales conduites socialisées et par la qualité des facteurs relationnels, sorte de maturité sociale. Ces recherches trouvent leur origine dans la constatation clinique fréquente d’un décalage entre un niveau intellectuel tel qu’on le définit par les tests classiques, et une capacité d’insertion sociale satisfaisante, du moins chez certains enfants débiles. On sait aussi qu’un nombre important d’enfants considérés comme débiles par l’Education Nationale, trouveront à l’âge adulte une insertion socioprofessionnelle tout à fait satisfaisante, et ne seront plus ensuite considérés comme débiles.

C’est contre la prépondérance d’une évaluation des performances individuelles au détriment de cette « compétence sociale » que des auteurs comme Zazzo ou Misés et Perron-Borelli, ont réagi en proposant de nouvelles échelles d’évaluation.

a) Échelle de développement psychosocial (D.P.S.) de Zazzo

Cette échelle comporte trois parties qui permettent de définir un niveau global de D.P.S., mais aussi un profil de développement :

— acquisition de l’autodirection : capacité de se suffire à soi-même, débrouillardise (repas, toilette, habillage, travail scolaire, déplacement, sortie) ;

— évolution des intérêts (intérêt pour les livres, la vie sociale : sport activité culturelle…) ;

— relations interindividuelles enfin (relations avec les parents, les autres enfants).

Elle a été étalonnée à partir de garçons normaux de 5 à 12 ans.

b) Échelle différentielle d’efficience intellectuelle (E.D.E.I.) de Misés et Perron-Borelli

Répondant à la nécessité d’établir un test permettant une discrimination plus fine dans les zones de la débilité profonde et sévère, l’ensemble des E.D.E.I. se compose de cinq échelles : Connaissances – Compréhension sociale – Conceptualisation – Analyse catégorielle – Adaptation concrète, et de deux échelles complémentaires de vocabulaire : dénomination d’image – définition. Les trois premières échelles sont constituées par des épreuves verbales, les deux suivantes par des épreuves non verbales.

Ce test a été étalonné à partir d’une population de filles de 8 à 11 ans.

Les résultats sont exprimés en âge mental (A.M.) et en quotient de développement (Q.D.) soit global, soit par échelle. Comme ces épreuves (D.P.S. et E.D.E.I.) sont surtout destinées à l’analyse différentielle des enfants débiles, nous en donnerons les résultats dans le cadre du chapitre suivant (v. p. 163).

4° Réflexions sur le quotient intellectuel : les principes de son utilisation

Il est inutile de revenir trop longuement ici sur les nombreuses querelles que le Q.I. a suscitées, certains accusant même ces tests d’être principalement au service d’une société bourgeoise répressive (M. Tort). Sans entrer dans la polémique, nous voudrions donner les principes d’une utilisation correcte du Q.I. et de ses limites.

Tout d’abord le Q.I. doit être évalué en fonction du contexte clinique, une évaluation optimale nécessitant une bonne adéquation entre le sujet et les conditions de passation : ainsi le test pratiqué au cours d’un épisode délirant aigu, ou le premier jour de l’hospitalisation ou lors de situation angoissante (séparation parentale brutale, situation de stress renforcée par l’aspect examen) donnera des résultats tronqués et partiellement faux. En effet, il n’est pas rare qu’un écart de 10 à 15 points ou plus pour un même test sépare les passations effectuées l’une dans de mauvaises conditions, l’autre dans de meilleures conditions.

Il n’existe pas de Q.I. absolu mais, comme nous l’avons montré, chaque Q.I. doit être rapporté à un test précis et relié aux conditions d’étalonnage et à la définition qui lui sont propres : Q.I. traduisant un quotient d’âge (Binet-Simon, Terman-Merill) ou Q.I. témoin de la dispersion (W.I.S.C., W.I.S.P.P.). On note une grande variabilité d’un test à l’autre, non seulement entre « Q.I. d’âge » et « Q.I. standard », mais aussi entre divers Q.I. d’âge. La corrélation entre tous ces tests est par conséquent loin d’être toujours satisfaisante.

Constance du Q.I.

Au début de la psychométrie, ce Q.I. fut compris à tort comme étant le reflet d’une capacité intellectuelle, quasi-mesure physiologique de l’activité cérébrale. Binet lui-même avait émis l’hypothèse d’une constance du Q.I. chez les arriérés ; on en arriva dans les années 20 à considérer que le Q.I. était le témoin d’une capacité intellectuelle congénitale invariable. Depuis, le Q.I. a été ramené à une plus juste évaluation. En effet le Q.I. d’âge évalue beaucoup plus l’avance ou le retard d’une vitesse de croissance qu’une potentialité absolue. Or la vitesse de croissance est éminemment variable d’un enfant à l’autre, et chez un même enfant d’une période à une autre, sans préjuger nécessairement le but final. Zazzo a très justement fait les remarques suivantes : sur un plan statistique moyen « le Q.I. normal est constant, non par expérience mais par définition ou, ce qui revient au même, par construction ». En revanche pour un enfant particulier « le Q.I. n’est pas constant par définition, seule l’expérience peut répondre » (Perron-Borelli). Les études catamnestiques ont bien montré cette variabilité relative du Q.I. pour un même enfant. Enfin, pour chaque test, on note une variabilité de la valeur de la déviation standard (D.S.) en fonction de l’âge, si bien qu’à Q.I. égal, la répartition statistique d’un enfant n’a pas la même signification à deux âges différents (ceci est valable, tant pour les Q.I. d’âge que pour les Q.I. standards).

En conclusion, croire que le Q.I. conserve pour un enfant précis une valeur constante relève d’une mauvaise compréhension et d’une extension abusive du général au particulier. Il est en effet probable que la confusion a été entretenue par une vision statistique pure, dans laquelle par construction même le Q.I. devait être constant d’un âge à l’autre. Ce n’est jamais le cas pour l’individu isolé. Ceci est un facteur important à prendre en considération dans la discussion des facteurs héréditaires liés au Q.I.

Quotient intellectuel et hérédité

Dans le paragraphe précédent, on a vu qu’il existait une opposition entre le regard du statisticien et celui du clinicien à propos de la constance du Q.I. Pour un sujet particulier, le Q.I. est en réalité variable avec l’âge, le type de test, la situation du test, etc. La même opposition entre statisticien et clinicien s’observe sur le point de la nature héréditaire ou non du Q.I. Il va de soi que plus on donne au Q.I. une valeur relative, plus le poids de l’hérédité est lui aussi relatif, et inversement. Ainsi, dans les années 20 et 30, certains estimaient que l’hérédité intervenait pour 80 % dans la valeur du Q.I. Depuis, de nombreux auteurs ont aussi voulu quantifier le poids respectif de l’hérédité et des facteurs éducatifs au sens le plus large : ainsi l’écart est grand entre ceux qui s’attachent à une pure visée statistique et le clinicien confronté au cas individuel.

Auparavant, il convient de préciser que nous envisagerons dans un chapitre ultérieur les facteurs héréditaires pathologiques (aberration chromosomique, anomalies métaboliques diverses, etc.). On ne considérera ici que l’hérédité chez un sujet supposé biologiquement sain. L’importance des facteurs socioculturels n’est plus à démontrer : les enfants des classes socio-économiques aisées ont statistiquement un Q.I. plus élevé que ceux des classes défavorisées. Le Q.I. déterminerait-il ainsi la place sociale qu’occupe chaque sujet (Jensen) ? Toutefois, de nombreuses études ont montré, en particulier chez les enfants adoptés, que le Q.I. de l’enfant variait en fonction des conditions éducatives et socio-économiques du milieu où l’enfant est élevé, illustrant l’importance de l’environnement : des enfants de familles modestes adoptés par des parents vivant dans des situations économiques favorisées ont un Q.I. qui se rapproche des enfants biologiques issus de ce dernier milieu (Schiff).

La qualité des relations affectives joue également un rôle considérable. Dans leur grande majorité, les enfants gravement carencés (hospitalisme, enfants battus) ont fréquemment une efficience intellectuelle médiocre. La majeure partie des troubles affectifs s’accompagne de déficit mineur ou transitoire, ce qui a conduit certains auteurs à parler de fausse-débilité (v. le problème de l’inhibition intellectuelle p. 313) pour l’opposer à la « vraie débilité », celle où existerait une lésion cérébrale, même minime. Si une telle distinction apparaît trop artificielle au clinicien, elle répond toutefois en partie au vaste problème des débilités légères où aucune cause apparente n’est retrouvée. Nous verrons ce point particulier au chapitre suivant (p. 166).

En conclusion, l’intervention de facteurs héréditaires dans la détermination des capacités intellectuelles est très probable comme le montrent diverses études sur les jumeaux hétéro ou monozygotes. Cependant il s’agit à l’évidence d’une transmission polygénique complexe car aucune loi de transmission héréditaire simple n’a été vérifiée. Il serait d’ailleurs plus exact de parler d’héritabilité plutôt que d’hérédité (Roubertoux), mettant ainsi en évidence un degré variable de capacité à apprendre, plutôt qu’une valeur absolue de l’intelligence. Cette capacité à apprendre donne un rôle majeur aux facteurs de l’environnement comme le montre un nombre sans cesse croissant de travaux. La théorie de l’empreinte et des périodes critiques que l’éthologie a largement répandu illustre clairement le lien entre une certaine aptitude à apprendre génétiquement déterminée et l’apport de l’environnement. Dans cette perspective, il existe un retentissement étroit et constant entre les facteurs génétiques et les facteurs liés à l’environnement, rendant illusoire un partage trop rigoureux entre ces deux lignées.

B. – Évaluation clinique : le comment de la performance

Contrairement aux autres tests cités précédemment, l’objectif de l’évaluation clinique n’est pas de déterminer à quel niveau se situe une performance, mais quelle stratégie le sujet utilise pour y parvenir. Ainsi les épreuves (terme préférable à celui de test) que Piaget et ses continuateurs ont proposées, s’inscrivent dans un contexte clinique différent : une conversation avec l’enfant où s’échangent argumentation et contre-argumentation permet d’appréhender la structure même du raisonnement. Les notions de rendement ou de performance dont témoignent « la standardisation » la plus rigoureuse possible et la limitation, ou la mesure fréquente du temps de la passation habituelle aux tests psychométriques y sont en revanche, sinon étrangères, du moins secondaires. L’important est de situer le niveau du raisonnement en fonction des divers stades qui représentent autant de structures logiques différentes.

Ces considérations rendent compte de la moindre standardisation de ces épreuves et de la nécessité d’une bonne connaissance des théories piagétiennes pour les utiliser au mieux.

■ À la période préopératoire : celle de l’intelligence représentative, entre 2 et 7 ans, ces épreuves reposent sur l’analyse génétique de figures géométriques simples (rond, carré, losange) puis complexes (drapeau de Gessel, figure complexe de N. Verda : v. fig. 4) et celle d’un personnage humain.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

a b

Fig. 4. – a) Drapeau de Gessel ; b) figure complexe de N. Verda.

■ À la période des opérations concrètes, entre 7 et 11 ans, les mécanismes opératoires portent avant tout sur des objets concrets, manipulables. Ils ont été en partie standardisés dans des « Epreuves de développement de la pensée logique » (voir ci-dessous).

■ La période des opérations formelles enfin correspond au développement de la structure de « groupe combinatoire » et débute à partir de 12 ans. Après le stade opératoire concret l’accession au stade opératoire formel se caractérise par la capacité du préadolescent (entre 12 et 16 ans) à raisonner par hypothèse, à envisager l’ensemble des cas possibles et à considérer le réel comme un simple cas particulier. La méthode expérimentale, la nécessité de démontrer des propositions énoncées, la notion de probabilité deviennent accessibles. Sur le plan pratique, la mise en place d’une possibilité de raisonnement hypo-thético-déductif se traduit par l’accession au groupe des opérations formelles de transformation : l’identique, la négation, la réciproque et la négation de la réciproque, c’est-à-dire la corrélative (I.N.R.C.). Ainsi, à titre d’exemple, au stade concret, l’enfant comprend que 2/4 est plus grand que 1/4 parce qu’il n’a à comparer que 1 et 2, mais c’est seulement au stade formel qu’il comprend l’égalité 1/3 et 2/6 parce qu’il peut établir un rapport entre la comparaison des numérateurs d’une part et la comparaison des dénominateurs d’autre part : il peut poser ces deux proportions et le rapport entre deux rapports.

L’évaluation de ces opérations formelles est devenue possible avec la mise au point de l’Echelle de Pensée Logique (E.P.L.) 1 étalonnée sur un groupe de garçons et filles âgés de 9 à 16 ans. Elle couvre donc une partie du stade opératoire concret et l’ensemble du stade des opérations formelles (Formel A et Formel B).

L’E.P.L. se compose d’une série de cinq épreuves :

— épreuve d’opérations combinatoires de type permutation ;

— épreuve de quantification des probabilités ;

— épreuve construite autour des facteurs qui modifient la fréquence des oscillations d’un pendule ;

— épreuve de coordination de deux systèmes de référence distincts dans la représentation de l’espace (courbes mécaniques) ;

— épreuve de conservation et de dissociation des notions de poids et de volume.

Les résultats permettent de situer le fonctionnement mental d’un enfant dans l’une des 4 classes : stade concret, intermédiaire, formel A et formel B.

Pour B. Inhelder, le niveau opératoire formel qui caractérise la pensée adulte n’est pas atteint par l’enfant débile. Celui-ci reste fixé au niveau des opérations concrètes.

La correspondance entre l’évaluation clinique et les tests psychométriques classiques est satisfaisante au niveau statistique, mais il existe de nombreuses discordances individuelles : « un Q.I. bas peut être compatible avec un niveau de raisonnement satisfaisant et inversement, un Q.I. satisfaisant peut se voir chez des sujets dont le niveau de raisonnement est insuffisant » (Dailly). Nous retrouvons ici l’écart entre une visée purement statistique et le point de vue du clinicien préoccupé avant tout par un individu.

III. – Déficience mentale

La pédopsychiatrie s’est constituée autour de la déficience mentale qui, à ses débuts, représentait pratiquement son unique objet d’étude. Les diverses entités nosographiques actuelles sont presque toutes issues du cadre de l’« idiotisme » où Pinel confondait « demeuré », déficience intellectuelle et état de stupeur. Esquirol distingue ensuite demeuré et idiotisme : « L’homme en démence est privé des biens dont il était comblé, c’est un riche devenu pauvre ! L’idiot, lui, a toujours été dans l’infortune et la misère ». Puis parmi les idiots, Esquirol sépare l’idiotie et l’imbécilité (sujet moins profondément atteint). Seguin, à la fin du xixe siècle, isole à nouveau l’idiotie et l’imbécilité dont il reconnaît l’incurabilité, de l’« arriération mentale » caractérisée par une lenteur plus ou moins récupérable du développement intellectuel. Binet enfin, au début du xxe siècle, introduit la psychométrie qui deviendra vite le critère de partage des diverses déficiences.

A. – Définition – Classification – Fréquence

■ Définition : s’il n’y a pas de doute quand il s’agit d’une déficience profonde, en revanche, il est malaisé de définir la limite supérieure de la déficience. L’exigence scolaire a été à l’origine de la création des tests avec pour souci de distinguer les enfants aptes à une scolarité normale et ceux qui ne le sont pas. Aussi a-t-on quasiment confondu, au début de la psychométrie, débilité et inaptitude scolaire. Or, en utilisant un tel critère, des travaux récents (Chiland) ont montré qu’un Q.I. > 96 était nécessaire pour poursuivre, de nos jours, une scolarité satisfaisante : selon ce critère, la débilité commence-t-elle à partir d’un Q.I. < 96 ? D’un autre côté, sur le plan statistique, la plupart des tests (en particulier le W.I.S.C.) sont construits pour que la majorité de la population (95 %) soit comprise entre – 2 et +2 déviations standards : dans cette optique statisticienne, la déviance anormale commence à un Q.I. < 70 car, quand le Q.I. est supérieur à 70, on se situe dans le champ de la répartition gaussienne normale. D’un point de vue pratique et empirique, de nombreux pédiatres et pédopsychiatres (Dailly) considèrent de leur côté que la débilité se caractérise par un Q.I. < 85. Enfin, en utilisant non plus une mesure psychométrique, mais grâce à l’étude des structures logiques, d’autres auteurs (Inhelder) caractérisent la débilité par l’impossibilité d’accéder aux structures de la pensée formelle. On le voit, définir une limite supérieure à la débilité est malaisé.

Ces incertitudes pèsent lourdement sur l’approche conceptuelle et théorique du problème de la débilité et expliquent en partie les divergences de point de vue. Quoi qu’il en soit, en utilisant la classification psychométrique, il est habituel de distinguer parmi les déficients mentaux :

— l’idiot : Q.I. < 20-25 ;

— l’imbécile : Q.I. < 40-50 ;

— le débile mental : Q.I. < 75.

■ La classification de l’O.M.S. et des États-Unis est la suivante :

— déficience mentale profonde : Q.I. < 25 ;

— déficience mentale sévère : Q.I. < 40 ;

— déficience mentale modérée : Q.I. < 55 ;

— déficience mentale légère : Q.I. < 70 ;

— déficience mentale limite : Q.I. < 85 ;

■ La fréquence de la déficience mentale dépend à l’évidence de sa définition (en particulier si on y inclut ou non la déficience limite). Elle varie, pour les enfants d’âge scolaire, entre 1,5 % et 5,5 % selon les études. La déficience mentale sévère et profonde est comprise entre 0,3 et 0,6 %. C’est la seule à être souvent dépistée avant la période scolaire. La déficience mentale légère ou limite n’est habituellement reconnue qu’à l’âge scolaire. Il existe un pic de fréquence entre 10 et 14 ans, puis une diminution brutale du nombre de débiles au-delà de cet âge : cette diminution épidémiologique montre combien la débilité mentale, en particulier limite, est liée à la situation scolaire. À tous les niveaux de la déficience mentale on note une prépondérance de garçons (60 %).

B. – Étude clinique

La référence au Q.I. ne doit pas, en dépit de sa facilité d’utilisation, faire oublier ses problèmes méthodologiques (v. p. 153) en particulier la variabilité fréquente de ce Q.I. C’est dire que les limites ici sont arbitraires, un enfant pouvant très bien évoluer dans un sens ou dans l’autre. Ces limites sont donc relatives, et n’ont de validité que statistiques.

1°) Niveau de développement et efficience sociale

■ Déficience mentale profonde : le niveau mental ne dépasse pas 2 à 3 ans. On note dans la petite enfance un retard massif de toutes les acquisitions, qui restent souvent incomplètes. L’autonomie des conduites de la vie quotidienne est partielle (alimentation, toilette, contrôle sphinctérien), mais peut toutefois être améliorée dans le cadre d’une bonne relation. Le langage est quasi inexistant, réduit à quelques mots ou phonèmes. Ces patients dépendent d’un tiers, le plus souvent d’une structure institutionnelle.

L’existence d’anomalies morphologiques, de troubles neurologiques, de crises épileptiques associées est fréquente.

■ Déficience mentale sévère et modérée : ces sujets ne dépassent pas un âge mental de 6-7 ans. Le retard de développement psychomoteur est fréquent. Une certaine autonomie dans les conduites sociales est possible, surtout si l’enfant évolue dans un cadre stimulant et chaleureux, mais un encadrement protecteur reste nécessaire. Le langage reste asyntaxique, quoique son niveau dépende beaucoup du degré de stimulation de l’entourage. La lecture, en revanche, est impossible ou reste au niveau d’un déchiffrage rudimentaire ; la scolarisation est impossible. La pensée se maintient au stade pré-opératoire.

■ Déficience mentale légère et limite : la scolarité devient un critère fondamental : l’échec scolaire caractérise ces enfants qui, jusqu’à l’entrée à l’école, ont eu le plus souvent un développement psychomoteur normal. Le langage ne présente pas d’anomalie grossière, l’insertion sociale extrascolaire (avec la famille, les autres enfants) est souvent satisfaisante. Il est rare de trouver des anomalies somatiques associées. En réalité ce sont donc les exigences d’une scolarité obligatoire qui conduisent à isoler ce groupe. L’incapacité d’accéder à une structure de pensée formelle représente une limite à la progression dès les premières classes de la scolarité primaire.

C’est dans ce groupe que l’équilibre affectif, la qualité des relations avec l’entourage, le poids des facteurs socio-économiques et culturels semblent jouer un rôle fondamental sur lequel nous reviendrons (p. 167).

2°) Troubles affectifs, des conduites et du comportement

La présence de ces troubles est sinon constante, du moins très fréquente. Leurs manifestations cliniques dépendent en partie de la profondeur du déficit cognitif : on peut décrire deux extrêmes entre lesquels tous les intermédiaires peuvent se rencontrer.

■ Dans la déficience mentale profonde et sévère, on rencontre fréquemment des perturbations relationnelles massives : isolement, voire véritable retrait affectif, stéréotypies fréquentes sous forme de balancement, décharges agressives et grande impulsivité, en particulier en cas de malaise ou de frustration, automutilations (v. p. 203) plus ou moins graves. L’ensemble de ces symptômes n’est pas sans évoquer ce qu’on observe dans certaines psychoses infantiles précoces, ce qui a fait discuter la possibilité d’une organisation psychotique conjointe dans ces déficits massifs (Misés).

■ Dans la déficience mentale limite ou légère, les perturbations affectives sont très fréquentes (50 % des cas selon Heuyer) et s’organisent selon deux lignées :

1°) le versant des manifestations comportementales : instabilité, réaction de prestance pouvant aller jusqu’aux réactions coléreuses devant l’échec, troubles du comportement en particulier chez l’adolescent entraîné par ceux de son âge (petit délit, vol…). À ces conduites s’associe souvent une organisation très rigide marquée par des jugements à l’« emporte-pièce », excessifs, sans autocritiques ;

2°) l’autre versant est représenté par l’inhibition, la passivité, l’abattement, une soumission extrême à l’entourage des adultes comme des enfants. Les possibilités intellectuelles peuvent, elles aussi, subir le poids de cette inhibition : les tests mettent alors en évidence des échecs répétés qui entravent l’efficience intellectuelle.

L’existence de ces perturbations affectives traduit pour Misés le caractère dysharmonique de l’organisation de la personnalité de l’enfant débile dont la baisse de l’efficience doit être comprise comme une manifestation symptomatique au sein d’une organisation psychopathologique à évaluer. Nous reverrons ce point dans le chapitre consacré à l’étude psychopathologique.

Chez d’autres enfants, en revanche, on ne note pas de troubles affectifs particuliers en dehors d’un certain infantilisme ou puérilisme : il s’agirait ici, selon certains auteurs, de la débilité « harmonieuse, simple ou normale ». Dans cette optique, la débilité normale ne serait que le témoin de la répartition gaussienne du Q.I. (v. p. 150).

3°) Troubles instrumentaux

L’existence de troubles instrumentaux est fréquente, sinon constante, y compris dans la débilité légère ou limite. Nous ne ferons que les citer brièvement ici, en priant le lecteur de se reporter pour chaque conduite au chapitre qui lui est consacré. On note entre autres :

— des troubles du langage : outre l’habituelle constatation d’un niveau inférieur aux épreuves verbales par rapport aux épreuves non verbales, on note fréquemment l’existence de médiocres niveaux phonématiques, grammaticaux et syntaxiques (Garrone) ;

— des troubles du développement moteur et des praxies, d’autant plus évidents que les épreuves proposées sont complexes. Des troubles du schéma corporel, des dyspraxies sont souvent retrouvés (Bergès). La « débilité motrice », concept forgé par Dupré et qui peut s’associer à la débilité mentale, est envisagée p. 95.

En réalité tous les types de troubles instrumentaux peuvent s’observer. Le problème est d’apprécier leur relation avec le déficit intellectuel, ce que nous reverrons dans les paragraphes suivants.

C. – Analyse discriminative des fonctions intellectuelles et abord psychopathologique

1°) Analyse discriminative

L’étude de la débilité a suivi en grande partie une évolution parallèle aux recherches psychométriques : ainsi lorsqu’on a considéré au début que le Q.I. reflétait une capacité intellectuelle globale, la débilité fut elle aussi considérée comme une baisse globale de l’efficience. De même un quotient de développement abaissé témoignait d’un simple ralentissement du développement intellectuel : ainsi un enfant de 7 ans, dont le Q.I. était de 70 avait, estimait-on, un niveau identique à un enfant de 5 ans.

En réalité, avec la multiplication des échelles psychométriques, leur dégagement progressif de l’apport scolaire, la meilleure connaissance des divers secteurs du développement de l’enfant, une telle conception a rapidement révélé ses limites : l’utilisation des batteries de tests a montré d’une part que le niveau de performance variait en fonction du test utilisé (ce qui relativisait déjà la notion d’un niveau global), d’autre part que les divers résultats obtenus par un enfant de 7 ans avec un Q.D. de 70 au Binet-Simon, par exemple, n’étaient en rien superposables à ceux obtenus par un enfant de 5 ans de développement normal ; enfin qu’à l’intérieur d’un groupe d’enfants débiles de même niveau global, on notait de grandes différences dans cette hétérogénéité. Devant ces résultats, l’hypothèse d’une débilité unique, monomorphe, simple ralentissement du développement n’était plus plausible : le cadre de la débilité mentale devait être démembré. Ainsi, dès 1929, dans un travail prémonitoire, grâce à l’utilisation d’une large batterie de tests,

Vermeylen proposait déjà de distinguer des débilités « harmoniques » et des débilités « dysharmoniques ».

En effet, dans une seconde période, renonçant à l’unité du cadre de la débilité, les auteurs cherchèrent à distinguer deux classes parmi les débiles, en se fondant en particulier sur la recherche étiologique. C’est ainsi que furent isolées la débilité exogène et la débilité endogène (Strauss – Chiva – Dailly). La première, dite exogène, correspondrait aux cas où une étiologie organique, quelle qu’en soit la nature (malformative, infectieuse, toxique…) a entraîné une perturbation au niveau du S.N.C., tandis que dans la seconde, dite endogène, on ne retrouve aucune étiologie évidente : cet état est alors attribué à l’hérédité polygénique dont témoigne la répartition gaussienne du Q.I. Dans ce cadre, la débilité exogène – pathologique –, se distingue par l’importance :

— des troubles perceptifs ;

— des troubles du rythme et de l’organisation spatio-temporelle ;

— de la pensée purement concrète avec un aspect « rigide », peu évolutif, peu adaptatif ;

— des troubles affectifs associés : impulsivité, agressivité.

Ainsi, dans cette conception, si la débilité exogène est bien dysharmonique, il existerait à l’opposé une débilité endogène, dite normale, qui reviendrait à la constatation d’un ralentissement homogène du développement intellectuel génétiquement déterminé.

Toutefois les travaux les plus récents portant sur l’analyse du fonctionnement cognitif, non seulement en termes de performance, mais aussi en termes d’opérativité (épreuve piagétienne) ou en termes de compétence sociale (D.P.S., E.D.E.I.) ont montré combien l’existence de cette débilité normale, homogène, était hypothétique. En effet, chez pratiquement tous les enfants débiles on constate une hétérogénéité de leurs résultats. Si des variations individuelles sont toujours possibles sur le plan statistique on constate toujours que :

— le niveau des épreuves verbales est inférieur au niveau des épreuves non verbales ;

— les épreuves perceptivo-motrices sont moins bien réussies, de même que les tests d’exploration du schéma corporel ;

— en revanche, les épreuves d’intelligence psychosociale (D.P.S. – E.D.E.I.) sont d’un meilleur niveau. Ainsi à la D.P.S. : l’autodirection est supérieure à la relation interindividuelle, supérieure aux intérêts, supérieure aux échelles non verbales classiques, supérieure aux échelles verbales.

De la même manière, l’évaluation du niveau opératoire (Inhelder) des enfants débiles semble montrer l’existence d’une constante fluctuation entre des niveaux de fonctionnement très différents : niveaux préopératoire, opératoire concret, voire stade sensori-moteur se chevauchent et s’entrecroisent lorsque l’enfant débile est confronté à un problème. Il paraît incapable de développer une stratégie opératoire cohérente et présente de brusques ruptures dans l’organisation de la pensée. Dans tous les cas, l’accession au stade de la pensée formelle semble bloquée.

S’il est vrai que l’hétérogénéité des niveaux est habituellement plus grande dans le cas de la débilité dite exogène, il restait cependant à expliquer pourquoi la débilité endogène présentait aussi une telle hétérogénéité. Les auteurs ont alors cherché à mettre en évidence ou à hypostasier l’existence d’un facteur responsable de cette hétérogénéité. C’est ainsi que Zazzo et coll. ont proposé le concept d’hétérochronie qui « exprime d’abord tout simplement un fait : l’enfant débile type se développe à des vitesses différentes suivant les différents secteurs de la croissance psychobiologique ». L’hétérochronie n’est pas une simple collection de vitesses disparates. Elle est un système, une structure. Cette hétérochronie est pour Zazzo la caractéristique du débile et trouve son origine dans un facteur de maturation neurophysiologique déficient génétiquement déterminé.

De son côté, Inhelder, pour rendre compte de la fluctuation constatée dans les niveaux opératoires, avance l’hypothèse d’une « viscosité génétique » responsable de la lenteur du développement cognitif qui entraînerait des fixations à des niveaux d’organisations archaïques.

Quelle que soit leur formulation, ces travaux, conduits par des statisticiens ou des épistémologues plus soucieux de définir une classe que de se pencher sur un individu, aboutissent à isoler un trait qui spécifierait la débilité, trait le plus souvent inscrit dans le patrimoine génétique (débilité normale, hétérochronie, viscosité, inertie oligophrénique de Luria, rigidité mentale de Lewin). Toutefois, cette perspective a permis de passer d’un concept global de débilité envisagé sous le seul angle du manque, à une conceptualisation dynamique, diachronique de la débilité, comme structure en cours de création à cause d’une maturation défectueuse.

C’est contre de telles conceptualisations que de nombreux travaux récents sur les enfants débiles s’élèvent : leur point commun est de resituer le facteur « efficience intellectuelle » au sein de l’ensemble de l’organisation psychopathologique d’un individu. Dans cette optique la déficience mentale n’est plus une caractéristique d’une classe structurelle unique (souvent inscrite dès l’origine dans le patrimoine génétique) mais n’est qu’un symptôme témoin de structures mentales sous-jacentes, pouvant être très différentes les unes des autres, sans être nécessairement reliées à une étiologie organique précise. Lorsqu’une origine organique est repérable, elle n’est plus dans ce contexte l’élément déterminant et explicatif unique de la débilité.

Ainsi, en conclusion d’une importante recherche qui conduit Garrone et coll. à réfuter l’habituelle distinction entre débilité exogène et endogène, les auteurs déclarent : « la débilité mentale pourrait être comprise comme l’aboutissement d’un processus ou d’une série de processus de nature ou d’origine diverses […] La forme du dysfonctionnement et donc du symptôme clinique serait déterminée par le moment du trauma et par l’histoire du développement, plutôt que par l’étiologie ». De la même manière, Gibello, utilisant les références piagétiennes définit la dysharmonie cognitive comme « une anomalie permanente de la pensée rationnelle servant de défense contre les angoisses archaïques ». Ainsi les aléas de l’investissement cognitif témoignent-ils de l’organisation psychopathologique sous-jacente.

2°) Abord psychopathologique

Pour le clinicien, confronté à l’individu, la démarche psychopathologique consiste après l’évaluation globale du Q.I., l’étude discriminative des fonctions cognitives et des divers troubles instrumentaux associés, la recherche étiologique enfin, à évaluer la place de cette atteinte des fonctions cognitives en tant que symptôme au sein d’une organisation mentale particulière.

Sans nier l’importance de ce que nous avons appelé la fonction de réalisation (v. p. 147), il s’agit ici de prendre en considération la fonction appétitive d’où la dimension du désir et du plaisir ne peut être exclue, ainsi que les diverses stratégies utilisées par l’enfant pour y faire face (en particulier investissement réciproque des processus primaires et/ou secondaires). Certains auteurs considèrent d’ailleurs que la fonction appétitive et l’organisation fantasmatique jouent un rôle prévalent. Ainsi pour M. Mannoni, l’enfant débile est pris dans une relation duelle qui lui interdit l’accès à la position du sujet : « même dans le cas où un facteur organique est en jeu, un tel enfant n 'a pas seulement à faire face à une difficulté innée, mais encore à la manière dont la mère utilise cette défectuosité dans un monde fantasmatique qui finit par leur être commun à tous les deux ». Dans cette relation duelle la fonction paternelle organisatrice de l’ordre symbolique ne peut trouver sa place. Toutefois, cette position extrême reçoit de nombreuses critiques : celle d’une confusion entre la genèse même de la maladie et les réaménagements psycho-affectifs qui lui succèdent (Lébovici), ou celle d’une attitude antinosographique, d’une unification excessive des mécanismes (Misés).

En revanche, l’interaction entre fonctions de réalisation et fonctions appétitives, est au centre des réflexions d’auteurs tels que Lang, Misés, Perron, Garrone. Pour Misés, « les atteintes organiques réintroduisent nécessairement les perturbations relationnelles et réciproquement à partir de troubles graves d’ordre affectif, naissent parfois des distorsions durables qui laissent des empreintes définitives dans l’organisation des grandes fonctions ». Il est essentiel, dans ces conditions, d’évaluer face à chaque enfant « la place qu’'occupe l’atteinte des fonctions cognitives vis-à-vis des autres dysharmonies de la personnalité ». C’est dans cette perspective qu’ont été élaborées les échelles différentielles d’efficiences intellectuelles (E.D.E.I. v. p. 153). Dans une tentative de regroupement psychopathologique tenant compte à la fois de la nécessaire description synchronique (organisation structurelle actuelle de l’enfant et place du déficit dans cette organisation) et de la visée diachronique propre à l’enfance (potentiel évolutif ouvert ou fermé de cette organisation), Misés propose de distinguer :

■ les déficiences dysharmoniques : on note une concomitance de facteurs déficitaires, de troubles instrumentaux divers (troubles du langage, dyspraxies importantes), de troubles affectifs variables. Au sein de ce groupe Misés isole :

— les dysharmonies à versant psychotique où les performances intellectuelles sont souvent très limitées et s’accompagnent d’une angoisse profonde qu’expriment cliniquement les conduites d’agitation ou de retrait, les bizarreries de comportement, et qui se traduit aux tests de personnalité par une vie fantasmatique très primitive, crûment exprimée avec une médiocre distinction entre le réel et l’imaginaire. Toutefois, « il n’y a pas pour autant ici instructuration globale ni coupure totale dans l’adaptation à la réalité » ;

— les déficiences dysharmoniques à versant névrotique : le déficit intellectuel y est habituellement moins sévère, associé à des symptômes variables, identiques à ceux rencontrés chez des enfants non déficitaires : phobie, obsession, conduite d’échec, inhibition. L’absence d’une prise en considération de cette organisation psychopathologique peut conduire à une aggravation, puis à une fixation du déficit ;

■ les déficiences harmoniques : elles se caractérisent par la prévalence de la lignée déficitaire, non pas en fonction de sa profondeur, mais plutôt en fonction de son rôle dynamique ; toute l’organisation mentale paraît structurée autour du déficit qui permet en quelque sorte une « abrasion », une disparition des autres symptômes. Ces déficiences harmoniques constituent le risque évolutif majeur des organisations dysharmoniques, le déficit s’aggravant avec l’âge.

On le voit, dans cette optique, la déficience mentale n’est pas le résultat d’un manque initial, mais représente « une structure historique construite » (Ajuriaguerra) dont le déterminisme est nécessairement plurifactoriel.

D. – Facteurs étiologiques

1°) Facteurs organiques

Toutes les atteintes du S.N.C. quelle qu’en soit la cause, sont susceptibles d’entraîner une diminution des capacités intellectuelles. Sur un plan statistique, il existe une corrélation entre la profondeur du déficit intellectuel et l’existence d’une étiologie organique : plus le déficit est profond, plus la probabilité de trouver une cause organique est grande. Toutefois, au niveau des cas individuels, des exceptions sont possibles, des déficits profonds peuvent ne s’accompagner malgré toutes les recherches, d’aucune étiologie organique évidente.

Les diverses étiologies possibles seront envisagées au chapitre consacré à la défectologie (v. p. 226).

2°) Facteurs psychosociaux

Contrairement aux facteurs organiques, les facteurs psychosociaux apparaissent d’autant plus importants qu’on se situe dans le cadre de la débilité légère et limite. Toutes les études épidémiologiques et statistiques s’accordent à reconnaître que la débilité légère est d’autant plus fréquente que les conditions de vie socio-économique sont basses, que la stimulation culturelle fournie par l’environnement familial est médiocre. Ainsi, comparant un groupe d’enfants débiles avec des manifestations neurologiques associées à un groupe d’enfants débiles sans étiologie organique manifeste, Garone et coll. trouvèrent qu’il existait une concordance constante et forte entre la débilité légère, « sans cause organique » et des conditions socioculturelles défavorables ; en revanche les enfants présentant des troubles neurologiques associés appartiennent à toutes les couches socioculturelles. Cette concordance est si forte que ces auteurs n’ont trouvé, sur une plus vaste enquête parmi les cas de débilité légère, aucun enfant issu de couches socioculturelles favorisées ou moyennement favorisées. Tous les enfants débiles légers sont issus, sans exception, de classes sociales défavorisées, bien que les conditions économiques de ces familles ne soient pas trop mauvaises : ils concluent à la prévalence de la pauvreté culturelle, de la pauvreté des échanges entre les individus, de la médiocre stimulation par les parents, de leur indifférence et passivité face aux échecs de leurs enfants.

Outre les facteurs socio-économiques, le climat affectif joue un rôle fondamental : on sait depuis Spitz et ses observations sur Phospitalisme les effets désorganisants des carences affectives graves. Le tableau de carence affective, de dépression anaclitique s’accompagne fréquemment d’une baisse de l’efficience intellectuelle qui s’intégre alors dans un ensemble sémiologique plus vaste (v. p. 380).

E. – Attitudes thérapeutiques

Tout ce qui a été dit précédemment avait pour but de montrer qu’il n’existe pas une débilité en général, mais de nombreux enfants débiles, différents, tant par la profondeur de leur handicap que par les troubles associés, l’organisation psychopathologique sous-jacente, les diverses étiologies possibles. Ainsi, il n’existe pas une attitude thérapeutique commune, mais une série de mesures dont l’utilisation dépendra de chaque cas individuel. Nous n’envisagerons pas ici les thérapies propres à une étiologie particulière (antiépileptique, extrait thyroïdien, régime sans phénylalanine, etc.) qui sont étudiées dans d’autres chapitres. D’une façon générale, les axes thérapeutiques s’organisent autour de trois directions :

— l’abord psychothérapique de l’enfant et/ou de sa famille ;

— les mesures pédagogiques ;

— les mesures institutionnelles.

Ces diverses mesures ne sont certes pas incompatibles entre elles, mais l’utilisation privilégiée de l’une ou de l’autre dépend avant tout, et nous semble-t-il dans un ordre d’importance décroissant :

— de l’évaluation psychopathologique de l’enfant et de la dynamique familiale ;

— des possibilités socio-économiques de la famille (par exemple, les deux parents travaillent-ils ? L’un d’eux a-t-il la possibilité ou le désir de s’arrêter ?) et des capacités d’accueil local (existence d’un hôpital de jour pour enfants débiles, de classes spécialisées à distance raisonnable du domicile) ;

— de la profondeur du déficit enfin.

1°) Abord psychothérapique

Il peut s’agir de psychothérapie de soutien ou de psychothérapie d’inspiration analytique (v. p. 473). Son indication dépend de la place de la symptomatologie déficitaire au sein de l’organisation psychopathologique : plus le déficit apparaît comme le symptôme d’une souffrance psycho-affective dont témoignent l’angoisse ou diverses conduites pathologiques associées, plus la psychothérapie paraît indiquée.

L’abord familial, sous forme de guidance, de psychothérapie familiale ou de thérapie couplée mère-enfant, ne doit pas être négligée. L’enfant débile suscite toujours des difficultés relationnelles au sein de sa famille : tendance au rejet ou à l’hyperprotection, démission devant la profondeur du handicap ou refus de celui-ci. Dans le couple lui-même, M. Mannoni a bien montré comment l’enfant débile s’interposait entre son père et sa mère, le père réagissant souvent par la résignation ou l’ignorance, tandis que la mère se trouve consciemment ou non prise dans une relation trop étroite avec son enfant, oscillant entre des attitudes de dressage ou un comportement de soumission face à ses exigences.

La prise de conscience progressive de ce lien fortement teinté de sado-masochisme, la réintroduction du père ou d’un équivalent symbolique dans un climat ni culpabilisant, ni agressif, peuvent aider les parents et l’enfant. Lorsque prévalent de médiocres conditions socio-économiques, une aide plus concrète de la famille (travailleur social, aide familiale) peut être temporairement utile si elle ne se transforme pas en une assistance chronique.

2°) Mesures pédagogiques

Elles représentent parfois le seul abord possible lorsque l’enfant semble s’organiser totalement autour du symptôme déficitaire (déficience harmonique ou fixée). Elles constituent fréquemment le premier temps du traitement.

D’une part on peut proposer une rééducation individuelle (orthophonique, « psychopédagogique ») lorsqu’un secteur paraît particulièrement déficient. D’autre part existe le vaste champ des diverses classes et établissements spécialisés. Nous n’en ferons pas ici le détail (d’autant qu’il change fréquemment !). Citons les classes de perfectionnement, d’adaptation, les sections d’éducation spécialisée, les écoles nationales pour débiles moyens ou légers (v. les chapitres sur l’école et sur les institutions sociales). Nous ferons simplement deux remarques d’ordre général :

— il y a un grand écart entre la théorie administrative et la pratique : l’équipement local est souvent déficient, si bien que l’indication par l’école de tel ou tel type de pédagogie spécialisée dépend plus souvent des structures localement existantes que des besoins propres de l’enfant ;

— quelles que soient les bonnes intentions affichées (possibilité de rattrapage pour une insertion future dans le circuit scolaire normal, meilleure prise en considération du cas individuel, etc.), ces structures ont fonctionné jusque-là plutôt comme des facteurs d’exclusion que comme des possibilités de réinsertion. C’est pourquoi, en pratique, il nous semble que tout doit être raisonnablement tenté au niveau de l’enfant et de sa famille, avant d’accepter ces solutions.

3°) Mesures institutionnelles

Les placements institutionnels en externat (E.M.P. hôpital de jour) présentent l’avantage de regrouper sur le même lieu des possibilités d’action psychothérapique et des mesures pédagogiques adaptées.

Quant aux placements en internat, c’est une mesure qui doit être envisagée en particulier lorsque l’enfant est en situation de rejet, lorsque sa présence permanente au foyer est la source d’un grave conflit non mobilisable dans l’immédiat, lorsque la profondeur du déficit aliène totalement un membre de la famille au service de cet encéphalopathe profond.

IV. – Les enfants surdoués

L’intérêt porté aux enfants surdoués connaît une extension récente, quoique la principale étude statistique de Terman et coll. sur ce sujet ait commencé en 1925.

L’existence d’enfants surdoués n’est pas contestable, en revanche les critères distinctifs sont variables. Généralement le niveau élevé des performances intellectuelles sert de repère avec sa traduction en Q.I. Sisk parle de surdoués quand le Q.I. est supérieur à 120-130. Pour d’autres, le Q.I. doit être au moins de 135-140. Chauvin de son côté estime que l’apprentissage spontané, sans forçage familial de la lecture, dès l’âge de 4-5 ans, est un bon élément de repérage de l’enfant surdoué. Cependant le critère intellectuel ne devrait pas être exclusif, d’autres secteurs de la personnalité étant tout aussi valables. Ainsi aux États-Unis une étude se propose de prendre en considération les secteurs suivants : 1°) les capacités intellectuelles générales ; 2°) l’aptitude scolaire spécifique ; 3°) la pensée créative ou productive ; 4°) l’art visuel ou d’expression ; 5°) les qualités de meneurs ; 6°) les capacités psychomotrices.

Si l’intention peut paraître louable, il reste en revanche à définir sur quels critères on évaluera, par exemple, la « pensée créative » ou l’« art visuel ».

Enfin, il faut distinguer l’enfant habituellement surdoué de l’enfant trop stimulé et forcé, cas bien plus fréquent. La compétition sociale des parents à travers leur enfant, des contraintes d’apprentissage excessives et très précoces peuvent lui donner une apparente précocité qui s’estompera rapidement.

A. – Abord épidémiologique

La fréquence d’enfants surdoués par rapport à l’ensemble de la population préscolaire et scolaire dépend évidemment du seuil inférieur retenu : dans l’ensemble les évaluations oscillent entre 2 et 5 %, l’enfant supérieurement doué (Q.I. > 160) étant exceptionnel (Davis 0,001 %).

Les quelques enquêtes portant sur un nombre élevé de surdoués (Terman : 1 500 cas, G. Prat : 141 cas) donnent les caractéristiques suivantes :

— sexe : pourcentage supérieur de garçons ;

— fratrie : fréquence d’aîné au sein d’une fratrie moyenne ;

— niveau socio-économique : fréquence de familles de niveau supérieur, vivant dans des conditions d’aisance matérielle et de bon niveau culturel. Cependant les enfants surdoués peuvent provenir de toutes les couches sociales ;

— origine ethnique : fréquence d’enfants d’origine juive ;

— développement physique : dans l’ensemble ces enfants présentent une bonne santé physique, leur développement staturo-pondéral les situe à la limite supérieure (Terman) ;

— aptitude scolaire : il semble exister une répartition bifocale. D’un côté de nombreux enfants présentent une avance scolaire, sautent des classes, de l’autre il existe une forte proportion d’entre eux qui connaissent des difficultés, pouvant aller jusqu’à l’échec scolaire paradoxal ;

— intérêts, caractères : quoique cette variable soit difficile à évaluer, il semble que les diverses études s’accordent sur certains points :

la grande appétence à la lecture : outre l’apprentissage précoce, ces enfants sont tous de grands lecteurs ;

la fréquence de l’isolement : ils aiment être seuls, préférant les jeux de construction, d’élaboration. Toutefois, il ne s’agit pas d’un retrait social car cet isolement est intermittent.

■ Évolution au long cours : pour Terman et coll. (étude catamnestique pendant 35 ans), les enfants conservent leur bonne capacité intellectuelle. Le niveau de leur situation dépend autant de la situation sociale de leur père que de leur propre aptitude. Ce maintien des capacités intellectuelles n’apparaît pas dans l’étude de G. Prat : au contraire, de nombreux enfants ont une diminution de leur efficience quand ils sont placés dans de mauvaises conditions.

B. – Difficultés de l’enfant surdoué

L’intérêt porté aux enfants surdoués entraîne une attention accrue sur leurs difficultés. Dans l’ensemble, ces difficultés sont dues au décalage qui existe entre une maturité intellectuelle trop précoce et les autres secteurs.

■ Décalage social : l’enfant surdoué, en particulier dans le domaine intellectuel, est en constant déséquilibre par rapport à sa classe d’âge : ses goûts et intérêts intellectuels le conduisent à s’intégrer à un groupe d’enfants plus âgés, tandis que sa maturité physique et affective le rapproche plus souvent de ceux de son âge. Au sein de sa famille, le même décalage est fréquent entre la maturité de l’enfant et le niveau d’exigence ou de dépendance demandé par les parents.

■ Décalage interne : de même que pour l’étude de l’enfant débile, l’étude des diverses capacités de l’enfant surdoué met en évidence une hétérogénéité de niveau que Terrassier propose d’appeler dyssynchro-nie. Ainsi, « globalement les enfants surdoués au plan intellectuel n’ont pas la même précocité au plan psychomoteur ». S’ils peuvent apprendre à lire dès l’âge de 4-5 ans, l’apprentissage de l’écriture est difficile en raison de la relative maladresse motrice, si bien que l’enfant peut développer une réaction d’intolérance à l’égard des modes d’expression écrite. On note également un décalage entre le niveau des épreuves verbales et le niveau des épreuves non verbales, en faveur de ces dernières. Enfin, le décalage est fréquent entre une maturité intellectuelle en avance et une maturité psycho-affective plus proche de l’âge chronologique.

Manifestations psychopathologiques

Le décalage interne et social de l’enfant surdoué peut être source de souffrance, mais il ne doit pas être considéré en soi comme anormal.

En revanche, il peut susciter l’apparition de conduites plus pathologiques : les enfants surdoués paraissent ainsi sur-représentés dans une population d’enfants à problème (G. Prat). Les symptômes le plus souvent rencontrés sont l’instabilité et l’échec scolaire paradoxal, cet échec scolaire dont le risque est évoqué par tous les auteurs, tient tantôt au désintérêt ou à l’inapétence envers les activités scolaires, en particulier lorsque l’enfant est maintenu dans la classe correspondant à son âge réel, tantôt à des mécanismes plus pathologiques : inhibition intellectuelle, attitude d’échec.

Ces manifestations peuvent être rattachées à l’existence fréquente d’une importante angoisse : les surdoués sont des enfants facilement anxieux : l’angoisse existentielle (questions sur la mort, sur Dieu), l’angoisse névrotique peuvent d’ailleurs aboutir à constituer de véritables organisations pathologiques, en particulier névrotiques : l’apparition des conduites obsessionnelles en raison de cette extrême maturité du Moi est aussi fréquente (v. p. 310).

C. – Conduites pratiques

En dehors des conduites psychopathologiques qui nécessitent des mesures thérapeutiques adaptées (en particulier psychothérapie), la principale question est celle de la pédagogie, particulière ou non, à offrir à ces enfants. Dans certains pays, des mesures ont été prises à l’échelon national depuis quelques années. Elles se répartissent ainsi :

— création de classes spéciales pour enfants surdoués (États-Unis, Israël) ;

— maintien de l’enfant surdoué dans sa classe d’âge, mais supplément pédagogique adapté, soit dans l’école même, soit dans un autre lieu, en dehors des heures scolaires (Israël, Grande-Bretagne) ;

— absence de mesure particulière (France), sinon, au niveau individuel, le saut de classe.

Chaque mesure a ses avantages et ses défauts, ses détracteurs et ses fanatiques, car derrière le problème posé par les enfants surdoués, se profilent aussi les problèmes de la génétique, de l’intelligence et de la morale politique des individus (égalitarisme ou élitisme, etc.). Maintenu dans sa classe d’âge, l’enfant surdoué s’étiole souvent, se désintéresse de l’école, souffre de son décalage intellectuel. La création de classes spéciales leur donne certes une pédagogie adaptée, stimule leur créativité, permet une meilleure insertion dans le groupe, mais en même temps cela revient à favoriser ceux qui sont déjà les plus favorisés (renforcement de l’inégalité sociale), à donner un sentiment de supériorité, à entrer dans une compétition néfaste.

D’une manière plus générale, les méthodes adaptées répondent soit à une accélération, soit à un enrichissement de l’enseignement. Nous retrouvons là ce que tout jeune lycéen apprend : « Mieux vaut une tête bien faite qu’une tête bien pleine » (Montaigne 1533-1592).

Bibliographie

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Mannoni (M.) : L’enfant, sa « maladie » et les autres. Seuil, Paris, 1967, 1 vol.

Mises (R.) : L’enfant déficient mental. P.U.F., Paris, 1975.

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Terman (L.) et coll. Génétic Studies of genius. Stanford University Press, California, Vol. I, 1925 ; Vol. II, 1926 ; Vol. III, 1930 ; Vol. IV, 1947 ; Vol. V, 1959.

Terrassier (J.-C.) : Le syndrome de dyssynchronie. Neuropsych. de l’enfance, 1979, 27 (10-11), p. 445-450.

Zazzo (R.) et coll. : Manuel pour l’examen psychologique de l’enfant. Delachaux et Niestlé, Neuchâtel, 1969, 3e édition.

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Numéros spéciaux : Médecine Infantile : 3 numéros avec des articles de : Dailly, Plantade, Rondil, Fessard, Lefort, Blondet, Wolf, etc. 1 1976, 83 (8), p. 881-1010 ; 2 1978, 85 (3), p. 301-413 ; 3 1978, 85 (4), p. 419-559.

Numéros spéciaux : Revue de Neuropsychiatrie, puis Neuropsychiatrie de l’Enfance : Articles de Lang, Gibello, Mises, Kholer, Tomkiewicz, etc. 1974, 22 (1-2), p. 1-150 ; 1979, 27 (1-2), p. 3-124 ; 1981, 29 (1-2), p. 1-122.

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