16. Psychoses infantiles

La psychose chez l’enfant occupe de nos jours, dans le cadre de la pédopsychiatrie, la place qu’y occupait la débilité mentale au début de ce siècle. D’abord ignorées, voire niées dans leur existence, les psychoses infantiles ont vu leurs fréquences croître parfois démesurément au point de constituer pour certains psychiatres la référence diagnostique la plus fréquente. Comme pour l’idiotie, l’imbécilité puis la débilité, la psychose a vu sa sémiologie évoluer, son cadre théorique changer. Certaines formes cliniques tendent à en être maintenant distinguées (prépsychose et parapsychose ; v. p. 358). En effet, le concept de psychose infantile a subi une évolution parallèle à celui de la démence précoce (Kraeplin), puis de la schizophrénie (Bleuler). Toutefois la translation simple du cadre sémiologique adulte à l’enfant buta sur deux points :

1°) la difficulté d’intégrer chez ce dernier le concept de démence qui suppose une organisation psychique préalable suffisamment développée ;

2°) la rareté, sinon l’absence du délire chronique chez l’enfant.

Ceci explique que les premières descriptions de psychoses infantiles (démence précocissisme de Santé de Sanctis en 1905, démence infantile de Heller en 1906 sur le modèle de la démence précoce, schizophrénie infantile de Potter en 1933 et de Lutz en 1936 sur le modèle de la schizophrénie de Bleuler) aboutirent à des impasses, car plus la rigueur calquée sur la pathologie adulte était grande, moins on retrouvait de cas cliniques. L’histoire récente des psychoses infantiles est marquée par l’introduction en 1943 de l’autisme de Kanner.

I. – Étude clinique des psychoses infantiles

Dans ce premier paragraphe nous étudierons les diverses conduites évocatrices d’une psychose infantile non pas par souci de privilégier le symptôme dans l’étude théorique, mais parce qu’en clinique, l’entourage, la famille, le médecin sont d’abord alertés par l’une ou l’autre de ces conduites. Aucune d’entre elles n’est pathognomonique ; certaines n’apparaissent pas dans un développement dit normal, d’autres ne sont que la persistance d’une conduite normale, caractéristique d’un stade plus précoce. Dans tous les cas, la persistance, l’aggravation, l’apparition des autres types de conduites pathologiques devront alerter le clinicien.

A. – Études des principales conduites

1°) Isolement – Autisme

Cette conduite s’observe avec une extrême fréquence dans les psychoses infantiles ; elle traduit l’incapacité de l’enfant à établir un système adéquat de communications avec son entourage. Particulièrement caractéristique de l’autisme précoce de Kanner, l’isolement peut exister dès le plus jeune âge.

■ Au cours de la première année, l’étude anamnestique retrouve souvent des traits de comportement dont l’existence doit de nos jours alerter précocement le clinicien. Les enfants autistes sont décrits par leur mère comme des bébés particulièrement calmes, voire « faciles » : ils ne demandent rien à personne, se manifestent peu, semblent heureux lorsqu’ils sont seuls. En présence d’un adulte ils sont indifférents. On a noté l’absence d’attitude anticipatrice : ne tournent pas la tête vers la mère qui rentre dans la chambre, ne s’agitent pas lorsqu’ils vont être pris dans les bras, ne tendent pas les bras. Le tonus dynamique est modifié, le « dialogue tonique » n’existe pas : impression d’un poids mort ou d’un sac de farine quand on les porte. Les principaux repères de l’éveil psychomoteur de la première année sont modifiés : absence de sourire (3e mois), absence de réaction d’angoisse devant l’étranger (8e mois).

■ Au cours de la seconde et de la troisième année l’autisme devient évident. Il n’existe pas de contact avec l’entourage y compris la mère qui a souvent le sentiment de ne pas être « reconnue » comme telle par son enfant. Le regard est vide, absent, difficile à accrocher.

Parfois au contraire on note une vigilence extrême, mais avec « un regard périphérique », c’est-à-dire que l’enfant autiste observe l’adulte « en coin », en particulier lorsqu’il ne se sent pas lui-même observé.

Le contact physique est refusé, ou lorsqu’il s’établit, il est d’une qualité bizarre ; l’enfant ne s’intéresse apparemment qu’à une partie du corps de l’adulte (cheveux, orifices du visage, genoux, pied) ou se sert de l’adulte comme d’un simple instrument (prend la main de celui-ci et la dirige vers l’objet désiré).

Il n’y a pas de réaction apparente au départ des parents (pas de pleurs) ni à la présence d’étrangers.

L’enfant autiste utilise les objets comme les personnes de manière partielle, bizarre, non symbolique, dans des manipulations répétitives et stéréotypées (mouvement de toupie). Les objets qui suscitent l’intérêt sont eux-mêmes bizarres : objets durs, bruyants, de forme complexe, morceau d’objet (pantin mécanique indéfiniment remonté, roue de poussette indéfiniment tournée, fil de fer, insecte ou ver de terre…). L’enfant peut s’attacher à un objet exclusif mais qui n’a rien à voir avec l’habituelle peluche que l’enfant normal serre contre lui pour dormir.

On a décrit « le signe du cube brûlant » : l’enfant approche lentement la main de l’objet et la retire soudainement dès qu’il le touche. Les poupées, les figurines humaines peuvent déclencher l’agressivité, être violemment désarticulées, les têtes arrachées.

Les relations avec les autres enfants sont nulles ou purement manipulatrices comme avec l’adulte. L’enfant autiste est indifférent aux jeux. Son absence de participation, son indifférence en fait un enfant « sage » qu’on oublie facilement dans son coin. Il n’est pas rare, du moins au début, que toute tentative de contact humain entraîne une recrudescence de l’autisme et des conduites bizarres, aboutissant même à des réactions de colère violentes, hétéro ou auto-agressives.

2°) Conduites motrices

Les anomalies tonico-motrices observées chez les enfants psychotiques sont très nombreuses et variées.

■ Anomalie tonique : hypotonie généralisée, en particulier posturale, avec absence de « dialogue tonique » entre l’enfant et sa mère. Dystonies et paratonies sont fréquentes. La catatonie est rare mais peut s’observer dans les psychoses de la seconde enfance.

■ Gestualité inhabituelle pour l’âge : l’exemple en est le jeu interminable avec les mains devant les yeux bien au-delà des 5-6 mois habituels, et qui peut persister longtemps. La marche peut être acquise dans les délais normaux, voire précocement. Dans quelques cas on note un retard qui reste souvent dans les limites du normal (18 mois-2 ans).

■ Comportements moteurs particuliers : les stéréotypies motrices sont très fréquentes. Ce sont des mouvements répétitifs, souvent rythmés dans lesquels l’enfant paraît s’absorber. Ils concernent le plus souvent les mains (mouvements fins des doigts ou des poignets), mais aussi la face (lèvre, langue), la marche (sur la pointe des pieds, mouvements de toupie), la tête (inclinaison, mouvement du cou), etc.

Parfois plus complexes, ces stéréotypies incluent un objet indéfiniment manipulé de la même manière ou l’ensemble du corps : déambulation, balancement debout d’un pied sur l’autre, ou allongé. Ces balancements sont toutefois plus fréquents chez les enfants abandonniques.

Notons une conduite particulière le flairage : l’enfant renifle les objets, les personnes, les aliments qu’il approche ou touche.

■ L’instabilité : fréquente, en particulier dans les psychoses précoces, non autistiques : enfant en perpétuel état d’agitation, grimpant sur les tables, les meubles, les radiateurs. On note parfois des heurts fréquents avec les meubles, les personnes, des chutes n’entraînant ni mouvement de défense, ni plainte. Ceci témoigne de la médiocrité de l’intégration du schéma corporel. À l’inverse, on peut noter une inhibition motrice massive parfois accompagnée de maladresse gestuelle, réalisant de véritables dyspraxies.

3°) Troubles du langage

Ils sont quasi constants dans les psychoses infantiles, d’autant plus qu’elles apparaissent précocement.

Le langage peut être totalement absent (autisme de Kanner), l’enfant est silencieux ou n’émet que des bruits bizarres et stéréotypés : grincement de dents, bruit de crécelle, cri aigu et déchirant. Son apparition est parfois très retardée, après 4-5 ans. Dans ce cas, il survient de façon anarchique : des blocs de phrases entières sont correctement articulés alors que l’enfant ne répète pas de simple phonème. De même on peut noter dans un premier temps l’apparition d’un néolangage incompréhensible. Le chantonnement est fréquent : l’enfant peut retenir parfaitement les paroles d’une chanson sans autre langage par ailleurs. L’écholalie caractérise la répétition systématique par l’enfant de phrase ou de mot qu’il vient d’entendre.

Lorsqu’un langage existe, on note des anomalies dans la mélodie avec un aspect chanté. Si le retard de langage, les troubles articulatoires ne sont pas constants, on note cependant une difficulté dans l’utilisation des pronoms (inversions pronominales) : le « je » est remplacé par « tu » ou « il » ou par le prénom. Le « oui » est rarement acquis.

On note aussi des stéréotypies verbales, des néologismes bizarres, un verbalisme solitaire. L’enfant psychotique peut utiliser des « mots-phrases » ou des « mots-valises » pour désigner tout un ensemble relationnel antérieurement perçu.

Lorsqu’un langage satisfaisant est apparu, on peut observer également des régressions : disparition de certains mots, pouvant aller jusqu’au mutisme secondaire, en particulier lorsque l’évolution psychotique survient dans la seconde enfance (6-12 ans). Dans d’autres cas plus rares, le langage paraît surinvesti : l’enfant fait preuve d’une extrême maîtrise verbale, apprend des pages de dictionnaire, voire des langues étrangères, vivantes ou mortes. Ce surinvestissement peut aller jusqu’à l’invention d’une langue nouvelle, avec une grammaire, une syntaxe, etc.

Dans tous les cas, l’élément significatif reste que le langage n’a pas une véritable fonction de communication avec l’autre ou, qu’à tout le moins, le plaisir ne réside pas dans cette communication. D’ailleurs, l’indifférence au langage de l’autre est habituelle : l’enfant ne répond pas à son prénom, semble indifférent aux bruits. Toutefois, une observation attentive peut révéler une « compréhension périphérique » (par analogie au regard périphérique) : alors que l’adulte adresse une demande ou une remarque à un autre enfant, il peut constater avec surprise que l’enfant psychotique réalise ce qui est demandé à un autre.

De telles observations permettent, lorsqu’elles sont possibles, d’écarter l’hypothèse d’une surdité et de préjuger d’une compréhension supérieure à l’expression. Toutefois, l’apparente et habituelle indifférence de l’enfant psychotique aux bruits et à la voix humaine, peut faire évoquer le diagnostic de surdité. En cas de doute, les explorations sont nécessaires (v. p. 68). Signalons aussi la possibilité d’un handicap multiple associant psychose et surdité (v. p. 231).

4°) Troubles des fonctions intellectuelles

Un déficit intellectuel est de constatation fréquente, sinon constante. La profondeur de ce déficit est variable, de même que son évolution. Anthony a décrit des évolutions « émergentes » avec une amélioration du Q.I., des évolutions « régressives », « statiques » ou « symbiotiques » ; ces dernières sont caractérisées par une variabilité de niveau en fonction de l’examinateur et de la qualité du contact. À l’intérieur d’une même échelle, la dispersion des résultats est habituelle, de même que l’écart entre le niveau verbal et le niveau performance (v. tests p. 283) ;

Diverses fonctions spécifiques (organisation temporospatiale, rythmique…) peuvent être perturbées, mais là aussi de façon anarchique, avec des réussites parfois étonnantes en secteur (calculateur de calendrier). Signalons toutefois la difficulté d’intégration du schéma corporel dont témoigne la médiocre qualité du dessin du bonhomme : bonhomme têtard, bonhomme sans fond, corps morcelé, non respect des proportions compte tenu de l’âge…

Le problème essentiel reste l’articulation entre la déficience mentale et la symptomatologie d’allure psychotique conçue l’une et l’autre soit comme le témoin d’organisation antinomique (position initiale de nombreux psychiatres : seuls les enfants intelligents pouvaient être psychotiques, les autres n’étant que débiles), soit comme des conduites cliniques qui ne préjugent pas nécessairement d’une étiopathogénie propre. Nous reviendrons sur le problème de l’articulation entre psychose et arriération (v. p. 277).

5°) Troubles affectifs

En dehors de l’autisme que nous avons isolé par souci didactique, des troubles affectifs sont d’observation fréquente ; ont été ainsi décrites :

■ oscillations rapides d’humeur : enfants où alternent parfois, sans raison manifeste, des phases de tristesse, de pleurs, ou simplement d’allure sérieuse (serions babies Harms) avec une inhibition ou une prostration motrice, et des phases d’exubérance, de rire, d’agitation motrice (v. p. 334 la discussion de la psychose maniaco-dépressive chez l’enfant) ;

■ crises d’angoisse aiguë : elles peuvent être spontanées ou succéder à des frustrations minimes, un changement imprévu de l’environnement (changement de place d’un objet, changeaient de coiffure d’un adulte). Elles surviennent quand l’enfant est seul ou au contraire lorsqu’on tente de forcer son attitude de repli et d’établir un contact. L’angoisse est massive, entraînant une rupture dans la continuité psychique de l’enfant qui probablement éprouve alors un vécu d’éclatement ou d’anéantissement. Les crises d’angoisse s’accompagnent souvent de crises d’agitation et de manifestations coléreuses hétéro ou auto-agressives ;

■ crises de rire, proches du rire discordant de l’adulte, de cris ou de plainte brutale, sans lien apparent avec l’ambiance ;

■ crises de colère, intolérance aux frustrations, automutilations : ce sont des réactions fréquentes. Elles ont été décrites p. 201.

6°) Troubles des conduites mentalisées

Nous ne ferons qu’évoquer ici les phobies qui ont généralement un aspect bizarre (phobie des bruits), envahissant, changeant (voire phobie archaïque p. 305). Elles sont fréquentes dans les psychoses de la seconde enfance.

■ Les rituels sont parfois envahissants. Outre les conduites stéréotypées dans les manipulations d’objet qui peuvent se rapprocher des rituels, on a aussi décrit des rituels de coucher, de vérification, de toucher, de rangement, de nettoyage.

■ Le délire est rare chez l’enfant. D’observation exceptionnelle avant 10-11 ans, la constatation d’une production imaginative envahissante pose alors le problème de la perception de la réalité, de la reconnaissance de la vérité et du mensonge, de la place de la rêverie enfin (v. p. 175). L’existence d’un délire témoigne toujours de profondes distorsions dans la reconnaissance de soi et d’autrui, du monde réel et du monde imaginaire. La thématique délirante est centrée sur le corps (proche de préoccupations hypocondriaques délirantes) ou reprend des thèmes évoqués dans l’entourage (thèmes spatiaux, cosmiques, dont la base se retrouve dans les feuilletons télévisés). On note parfois des idées persécutives, d’autant moins construites et élaborées que l’enfant est jeune. Un délire de persécution peut reprendre la thématique délirante d’un adulte (délire induit v. p. 397).

■ Les hallucinations sont difficiles à affirmer : certains enfants paraissent avoir des attitudes d’écoute ou d’observation fixes, pouvant évoquer des hallucinations auditives ou visuelles. Différencier la véritable hallucination, perception sensorielle sans objet, d’une attitude de rêverie autistique, n’est pas facile chez un jeune enfant, et pose en réalité un problème plus théorique que pratique.

7°) Troubles psychosomatiques et antécédents somatiques

Nous regroupons dans ce paragraphe l’ensemble des conduites où le corps de l’enfant intervient, aussi bien les classiques troubles psychosomatiques que des épisodes organiques, dont la fréquence doit retenir l’attention.

■ Les troubles du sommeil sont très fréquents. Ils sont de deux sortes. Dans l’insomnie calme, le bébé garde les yeux grands ouverts dans le noir, sans dormir, mais sans manifester ni réclamer la présence maternelle. Cette insomnie calme est très particulière et évocatrice. Dans l’insomnie agitée, l’enfant crie, remue, hurle sans pouvoir être calmé pendant des heures, toutes les nuits. Ces insomnies surviennent dès le premier semestre de la vie, elles peuvent durer des mois, voire des années.

■ Les troubles alimentaires précoces sont eux aussi fréquents : défaut de succion, anorexie, refus du biberon ou du sein, vomissements répétés. Ils apparaissent également dès le premier semestre.

■ Les troubles sphinctériens (énurésie, encoprésie) peuvent être primaires ou secondaires, permanents ou intermittents rythmés par les moments évolutifs, les phases d’anxiété, les séparations. Le retard d’acquisition de la propreté est habituel, mais on note parfois à l’inverse une propreté acquise très précocement.

Quelles qu’elles soient ces difficultés de nature psychosomatique ne sont pas spécifiques, mais leur survenue à une période inhabituelle par rapport aux troubles banals, leur intensité, leur fixité et leur persistance, représentent des indices inquiétants.

■ Les antécédents somatiques : si certains enfants psychotiques semblent bénéficier d’une excellente santé physique, l’existence d’antécédents pathologiques est toutefois nettement supérieure à ce qu’on observe dans une population normale. Signalons en particulier la fréquence des déshydratations aiguës (Dardenne et coll.). En outre les facteurs de vulnérabilité sont fréquents : grossesse difficile, prématurité, pathologie néonatale, etc.

■ Le problème de l’épilepsie, association fréquente avec les psychoses infantiles, est étudié au chapitre consacré à l’épilepsie (v. p. 258).

B. – Regroupement des conduites

Le second plan d’étude des psychoses infantiles est le plan syndromique, c’est-à-dire l’étude des regroupements en des ensembles plus ou moins stables et cohérents de traits de comportement. À ce niveau, il convient de noter d’emblée la grande richesse terminologique qui masque fréquemment des réalités cliniques identiques. La difficulté de l’étude syndromique des psychoses infantiles tient certes en partie à leur extrême diversité, mais surtout à l’ambiguïté du repérage nosographique propre à chaque auteur. En effet, si un accord peut grossièrement se dégager entre les auteurs lorsqu’ils décrivent une conduite particulière (stéréotypie, automutilation, troubles alimentaires, etc.), en revanche dans le repérage et l’isolement d’un syndrome interviennent des données de niveau très inégal : si le syndrome n’est parfois, selon le modèle médical traditionnel, qu’un simple ensemble de conduites régulièrement corrélées les unes aux autres (autisme de Kanner), souvent en réalité, il traduit les hypothèses théoriques utilisées par l’auteur, si bien qu’on se trouve confronté à une sorte de tautologie où des explications théoriques rendent compte d’un syndrome qui lui-même a été isolé à partir des prémices de ces théories : la psychose symbiotique de M. Malher en est un exemple. De telles remarques n’impliquent pas que le modèle ainsi dégagé soit faux ; la valeur heuristique de la psychose symbiotique justifie à elle seule son isolement.

Toutefois, il importe de saisir l’artifice de toute discussion nosographique où il s’agirait de distinguer par exemple entre psychose symbiotique (Malher), autisme secondaire régressif (Tustin), psychose à expression déficitaire (Misés), psychose de développement (Duché), etc. En réalité ces cadres nosographiques sont en partie l’expression du point de vue de l’auteur qui privilégie certains axes de repérage (sémiologique, ou évolutif, ou psychopathologique, ou étiopathogénique…) afin de donner quelque cohérence à un champ sémiologique qui en a fort peu. Cette disparité même pourrait d’ailleurs être tenue au niveau épidémiologique pour une des caractéristiques des psychoses infantiles.

Ces réflexions nous ont amenés à présenter dans le précédent paragraphe les conduites les plus caractéristiques rencontrées dans la pathologie psychotique de l’enfant sans préjuger de leurs associations possibles. Le regroupement que nous proposons ici inclut nécessairement une part d’arbitraire qui, en clinique, se traduit par la multiplicité des formes frontières : dysharmonie d’évolution à versant psychotique, garapsychose, prépsychose, troubles graves de la personnalité, etc. Etant donné l’importance, au moins quantitative, prise par ces diverses entités, nous les avons regroupées dans un chapitre ultérieur (p. 355). En ce qui concerne les psychoses infantiles précoces (avant 5-6 ans), le tableau V donne une correspondance approximative des divers syndromes en fonction des auteurs. Il n’y a pas d’équivalence stricte possible étant donné que les références épistémologiques sont différentes, voire divergentes ; en outre tous les auteurs soulignent l’existence de formes intermédiaires au sein même de leur classification. C’est pourquoi les limites sont marquées dans notre tableau par des pointillés situés à des hauteurs différentes.

La majorité des auteurs, du moins de langue française, s’accorde pour distinguer ces psychoses précoces des psychoses de la seconde enfance (6-12 ans) encore appelées psychoses de la phase de latence ou de l’âge scolaire (latence n’étant pris ici que comme repère chronologique).

Nous étudierons successivement sur le plan clinique :

— les psychoses précoces :

. l’autisme précoce de Kanner,

. les « autres » psychoses précoces,

— les psychoses de la seconde enfance.

TABLEAU V. – Psychoses infantiles précoces :

TABLEAU COMPARATIF SELON LES AUTEURS

Malher

Tustin

Duche-

Stork

Diatkine

Mises

Lang

Autisme

infantile

pathologique

Autisme

primaire

anormal

Autisme

infantile

précoce

Autisme de Kanner

Psychoses

autistiques

 

Psychoses

précoces

Psychoses à expressions déficitaires

Autisme

secondaire

encapsulé

Psychoses

symbiotiques

Psychose de développement

Dyshar – / monie / évolu – ' tive /

/ Para-

/ psy-

/ choses

/

Dysharmonie évolutive de structure psychotique

Autisme

secondaire

régressif

Prépsychoses

1°) Psychoses précoces

a) L’autisme de Kanner

Décrit par Kanner dès 1943, sans préjuger de son étiologie, l’autisme précoce est le seul regroupement sémiologique admis par la quasitotalité des auteurs, et isolé comme tel.

■ Épidémiologie : l’autisme de Kanner reste une affection rare dont la fréquence est évaluée entre 0,5 à 4/10 000 selon la rigueur de la définition, avec une moyenne de 1/10 000. On note une prédominance de garçons : 3 à 4 environ pour 1 fille.

■ Clinique : le début est précoce, la mère signalant parfois des comportements déconcertants dès les premiers jours. Habituellement, le syndrome devient repérable au cours du 2e ou 3e semestre, et évident dans la seconde année. Il associe alors :

— l’autisme ou isolement ou solitude (aloneness) ;

— l’immuabilité (sameness) qu’on pourrait traduire par « identi-tude », c’est-à-dire le besoin impérieux de l’enfant d’avoir son environnement toujours identique ;

— l’absence de langage ;

L’autisme et l’absence de langage, puis les particularités de son apparition ayant déjà été décrits (v. p. 266), nous ne détaillerons ici que « l’identitude » {sameness) ou immuabilité.

L’immuabilité traduit le besoin anxieux et impérieux de l’enfant autiste de maintenir son environnement identique : les objets, les meubles doivent conserver la même place, le même aspect, le même ordonnancement. L’intérêt pour des collections d’objets disparates toujours réunis de la même manière, le goût pour la reconstitution des puzzles en sont des exemples. L’enfant fait preuve parfois d’une étonnante mémoire : ainsi après de longues interruptions de thérapies, de retour dans la salle, l’enfant va chercher l’objet à sa place, le manipule comme s’il l’avait laissé là la veille.

À ces signes fondamentaux Kanner avait ajouté que « le faciès frappe par son intelligence ». Un tel critère est certes subjectif, mais traduit Peumorphisme habituel de ces enfants qui jouissent aussi d’une bonne santé physique : ils sont rarement malades, ont un aspect bien portant et floride, un développement moteur satisfaisant qui contraste d’autant avec les difficultés de contact.

Parmi les autres manifestations particulières aux enfants autistes, signalons un seuil habituellement élevé aux stimulations douloureuses ou nociceptives dans certains domaines (en particulier au chaud et froid).

Kanner avait décrit dans ses premiers travaux une constellation familiale particulière : niveau socio-économique plutôt élevé, parents intellectuels plutôt froids, distants, avec des tendances obsessionnelles marquées. Il semble que ces caractéristiques tiennent en grande partie au biaisage introduit dans la population étudiée par Kanner.

En réalité l’autisme précoce s’observe dans tous les niveaux socio-culturels, et les caractéristiques des parents semblent plus incertaines, d’autant que l’enfant autiste est souvent le seul enfant si gravement perturbé parmi la fratrie, et que la précocité des troubles peut susciter des réactions déviantes dans l’entourage, en particulier chez la mère. Nous reviendrons sur ce point (v. p. 292).

■ Évolution : Deux facteurs présentent une valeur prédictive statistiquement vérifiée :

— l’existence d’un quotient intellectuel supérieur à 50 (Rutter) qui semble alors pouvoir se maintenir tandis que, dans le cas contraire, on observe habituellement une baisse progressive de l’efficience relative ;

— l’absence de langage au-delà de 5 ans (Kanner), qui risque de maintenir l’enfant dans son isolement autistique.

Dans l’ensemble l’évolution se répartit de la manière suivante :

— environ la moitié ou un peu moins des enfants n’évoluent pas : l’autisme reste intense, le langage n’est pas acquis, le fonctionnement cognitif n’est pas investi. Le tableau évolue avec l’âge vers un état d’arriération grave avec quelques traits particuliers : importance des stéréotypies, bizarrerie d’un trait de comportement, hyperinvestisse-ment d’un secteur très étroit ;

— les autres (50 à 60 %) acquièrent un langage ou un début de langage (v. p. 268) : un minimum d’investissement cognitif paraît éviter l’évolution déficitaire grave. La symptomatologie s’enrichit fréquemment : troubles du comportement, rituels… Il est alors difficile de distinguer ces autismes précoces des autres psychoses infantiles plus tardives ;

— rares sont ceux qui peuvent accéder à un niveau d’autonomie permettant une insertion scolaire puis professionnelle.

■ Les échelles d’évaluation : en raison de l’aspect clinique, assez stéréotypé, du grand nombre d’études et de recherches conduites sur l’autisme, certains auteurs ont cherché à construire des échelles d’évaluation de l’autisme infantile afin d’obtenir une plus grande uniformité de diagnostic et des possibilités de comparaison à la fois entre chercheurs d’équipes différentes et, pour le même enfant, des comparaisons dans le temps. Citons les échelles de Polan et Spencer, de Lotter, de Ruttemberg, de Lelord.

La plus connue et la plus utilisée est l’échelle de Rimland dont la version de 1972 comprend 80 questions ayant trait aux interactions sociales, à l’affectivité, au langage, à la motricité, au comportement avec les objets, à l’intelligence, aux caractéristiques familiales et à des données biologiques. Les réponses des parents aux questions sont affectées d’une note (+ 1 ou – 1). Les scores supérieurs à + 20 sont, selon Rimland, significatifs de l’autisme précoce.

b) Les autres psychoses précoces

(en dehors de l’autisme de Kanner)

Elles se distinguent de l’autisme de Kanner parce qu’elles surviennent après une période de développement apparemment normal. Le début se situe entre 2 ans 1/2 -3 ans et 5-6 ans. Elles sont plus fréquentes que l’autisme de Kanner, qui dans sa délimitation clinique stricte, ne concerne pas plus de 10 % des psychoses précoces.

■ Éléments cliniques : la variabilité sémiologique est extrême, les conduites décrites dans le paragraphe précédent pouvant s’associer diversement. Notons sans les décrire à nouveau ici :

— les crises d’angoisse ;

— les perturbations motrices (instabilité majeure ou inhibition) ;

— les rituels défensifs ;

— les troubles du langage et de la voix ;

— les troubles psychosomatiques ;

— la fréquente labilité affective ;

— enfin l’existence d’un investissement déficitaire des fonctions cognitives.

Chaque auteur propose un regroupement de ces symptômes qui privilégie l’une de ces lignées en les éclairant d’un point de vue psychopathologique qui lui est propre. À titre d’exemple, M. Malher décrit ainsi « la psychose symbiotique » : « les enfants du groupe symbiotique présentent rarement des troubles évidents de conduite pendant leur première année, sauf peut-être des troubles du sommeilles réactions (pathologiques) se manifestent pendant la troisième ou la quatrième année… il semblerait que la croissance maturadve de la coordination motrice qui porte inhérente en elle le défi de l’indépendance provoque une coupure de la réalité… (on observe) une irrégularité de croissance et une vulnérabilité du moi à toute frustration minime. Lanamnèse de ces enfants laisse voir avec évidence des réactions extrêmes aux échecs mineurs… par exemple, ils abandonneront la locomotion pendant des mois parce qu’ils sont tombés une fois ». (M. Malher : Psychoses infantiles, Payot éd. p. 76-77).

Nous citons ce passage comme illustration de la démarche théorico-clinique qui anime M. Malher. Le passage souligné par nous montre clairement combien les symptômes sont décryptés grâce au présupposé théorique, lequel sert ensuite à organiser le tableau clinique. Ainsi l’évolution des psychoses symbiotiques est décrite comme une succession de manifestations affectives ambivalentes, tantôt recherche impérieuse d’un contact affectif avec autrui qui prend vite une allure fusionnelle, tantôt réaction d’angoisse et de fuite devant la menace représentée par cet engloutissement fusionnel. L’ambivalence agie des affects est extrême : l’enfant peut mordre et étreindre en même temps, caresser et pincer…

De la même manière F. Tustin centre ses recherches puis ses classifications sur l’étude de la conduite autistique et de ses fonctions défensives. Elle décrit trois types d’autisme :

1°) l’autisme primaire anormal qui est la prolongation de l’autisme primaire normal : il se rencontre en particulier dans les cas de carence affective grave (proche de l’hospitalisme de Spitz) ;

2°) dans l’autisme secondaire à carapace (ASC) l’enfant semble construire une sorte de carapace autour de son moi à la manière d’un crustacé. La fuite du contact est extrême. L’expression clinique de l’ASC est proche de l’autisme infantile de Kanner typique ;

3°) l’autisme secondaire régressif (ASR) enfin se caractérise par une régression protectrice face à la terreur éprouvée devant le non-moi, l’inconnu. La fragmentation, la dispersion et le clivage sont les mécanismes prévalents. Le tableau clinique où domine la confusion dans les repères tant internes qu’externes est proche des « autres psychoses précoces » décrites ci-dessus ou encore de ce que L. Bender appelle la schizophrénie infantile.

Dans la littérature de langue française le problème posé par les psychoses précoces, en dehors de l’autisme de Kanner, paraît être dominé par les relations entre l’organisation psychotique et les manifestations de la série déficitaire. Les travaux de Lang et de Misés, s’attachent particulièrement à éclairer ces rapports réciproques. Misés isole ainsi « les psychoses précoces à expressions déficitaires » marquées par un niveau d’efficience très bas. Toutefois, il ne s’agit pas là d’un critère distinctif d’avec l’autisme de Kanner, puisque l’efficience y est aussi très faible. L’importance de la prise en considération du déficit paraît avoir une double origine : d’un côté le mode de recrutement, essentiellement institutionnel, des populations étudiées, d’un autre côté la place considérable qu’a toujours occupé en France le problème de la débilité et l’écran que ce diagnostic place devant toute recherche psychopathologique en raison des fréquents présupposés organiques implicites.

D’une manière générale,-sans reprendre ici ce qui a déjà été décrit dans le chapitre consacré à l’étude du fonctionnement cognitif (v. p. 162), on peut considérer qu’existe une interaction étroite entre l’investissement des processus secondaires et l’investissement des processus cognitifs : toute entrave à l’évolution satisfaisante de l’une de ces lignées retentit nécessairement sur l’autre, et vice versa.

Ainsi l’angoisse extrême de morcellement ou d’anéantissement, l’incapacité à tolérer la frustration, l’utilisation de mécanisme mentaux défensifs de type primitif (clivage, déni, omnipotence, projection), la précession des processus primaires, tous ces facteurs ne peuvent aller de pair avec l’investissement du temps et de l’espace, avec la découverte par l’enfant du plaisir que peut prendre son moi à planifier et programmer l’action, c’est-à-dire à utiliser ses fonctions cognitives. Inversement, une entrave organique au fonctionnement cérébral risque de rendre peu efficient l’investissement de ces mêmes processus secondaires, avec le risque permanent d’un retour défensif à un fonctionnement plus archaïque, immédiat et pulsionnel. Le mérite d’auteurs tels que Misés ou Lang est d’avoir su éclairer cette réciprocité entre facteurs de la série déficitaire et facteurs de la série psychotique. La constatation d’un déficit mental ne doit pas stériliser la démarche du clinicien à la seule recherche étiologique, mais l’inciter à évaluer le rôle psychopathologique de ce déficit au sein du fonctionnement mental.

Au plan clinique, toutes les modalités d’aménagement symptomatique sont possibles, depuis le tableau dominé par le pôle déficitaire (v. p. 166) et, à l’autre extrémité, le tableau dominé par les perturbations relationnelles et affectives de type psychotique : l’isolement de cadre nosographique trop rigoureux devient alors factice et aléatoire.

c) Les formes « frontières »

Nous ne ferons que rappeler ici le vaste champ de la pathologie « intermédiaire » entre les organisations névrotiques et les organisations psychotiques : dans tous les cas, le rapport à la réalité semble partiellement préservé, mais la nature des relations établies, le mode d’aménagement défensif, le vécu fantasmatique rapprochent toutes ces formes de ce qu’on observe dans les psychoses infantiles.

Appartiennent à ce champ :

— les dysharmonies évolutives à versant psychotique (v. p. 166) ;

— les dysthymies graves (v. p. 334) ;

— les prépsychoses (v. p. 358) ;

— les parapsychoses (v. p. 358) ;

— les organisations caractérielles graves (v. p. 362).

Cette énumération n’est pas exhaustive.

2° Psychoses de la seconde enfance

Nous regroupons ici les psychoses de l’enfant dont les signes manisfestes apparaissent entre 5-6 ans et 12-13 ans. Elles sont beaucoup plus rares que les psychoses précoces. D’ailleurs, un certain nombre d’entre elles ne sont en réalité que la prolongation d’une forme précoce : nous avons déjà signalé les grandes lignes de l’évolution de l’autisme de Kanner et nous reviendrons sur l’évolution d’ensemble des psychoses infantiles ultérieurement (v. p. 284).

Dans quelques cas cliniques assez rares, les conduites psychotiques les plus manifestes surviennent après une petite enfance en apparence normale. Toutefois, il convient d’émettre certaines réserves quant à cette normalité et à l’acceptation d’un processus de déstructuration analogue à ce qu’on observe en pathologie adulte. En effet l’enquête anamnestique permet fréquemment de retrouver des signes témoins d’une distorsion précoce dans l’une ou l’autre des lignées maturatives : anorexie précoce et rebelle, troubles graves du sommeil, phase d’angoisse extrême lors de la mise en maternelle, docilité et soumission excessives, rituels obsessionnels persistants et envahissants… Il n’est pas rare que ces troubles aient été banalisés par la famille et le médecin consultant. D’autre part l’existence d’un événement interminent externe est souvent mis en avant par les parents comme facteur déclenchant, en même temps qu’une reconstruction idéalisée du passé efface toutes les difficultés antérieures. La « normalité » passée n’est souvent en réalité que la projection sur l’extérieur de l’angoisse parentale.

Toutefois, par rapport aux psychoses précoces, ces formes de la seconde enfance surviennent sur une personnalité beaucoup mieux structurée, ayant atteint un degré de maturation nettement supérieur. Ainsi le langage est déjà élaboré, les processus cognitifs ont été investis et commencent à se dégager de la pensée magique, le réel est perçu comme tel et bien distinct de l’imaginaire. Les manifestations psychotiques à cet âge apparaissent comme des conduites régressives, voire déstructurantes par rapport aux attitudes antérieures de l’enfant.

Étude clinique

a) Réaction de retrait

Elle est la traduction de l’autisme secondaire : peu à peu l’enfant perd tout intérêt, il rompt les relations avec ses amis, s’isole de plus en plus dans sa chambre, refuse de sortir, arrête ses activités sportives ou culturelles. L’isolement affectif peut devenir extrême avec indifférence, froideur de contact. Dans certains cas, l’enfant conserve longtemps une adaptation sociale de surface, mais des troubles de comportement apparaissent généralement : refus scolaire sans raison apparente, fugue non motivée en forme d’errance, crise de colère ou d’agressivité… Cette réaction de retrait peut aller jusqu’à l’apragmatisme le plus total et même l’autoséquestration, conduite toutefois plus fréquente chez l’adolescent ou le jeune adulte. Parfois les troubles sont moins bruyants, mais révèlent une rupture avec les modes de vie antérieurs : hyperinvestissement dans un secteur (collection forcenée, pratique intense d’un sport), modification des conduits alimentaires…

Le contact peut révéler d’emblée une discordance, d’autant plus rare toutefois que l’enfant est plus jeune : bizarrerie du contact, rire discordant, barrages.

b) Conduites motrices

Elles s’organisent selon deux pôles (Misés) :

■ L’inhibition et le retrait : Cette conduite témoigne du retrait autistique ; aspect figé, mimique pauvre. Des attitudes catatoniques peuvent s’observer, elles sont souvent transitoires et marquent les phases d’aggravation ;

■ l’instabilité et l’agitation psychomotrice peuvent à l’inverse être au premier plan. Dans certains cas il s’agit d’une instabilité ancienne qui n’a jamais pu être contrôlée par l’enfant. Sur ce fond d’instabilité surviennent fréquemment des épisodes aigus qui semblent décompenser le fragile équilibre antérieur : crise d’agitation aiguë ou crise de colère avec comportement hétéro ou auto-agressif, fugues incessantes ou incoercibles. Dans d’autres cas l’excitation motrice rompt avec la conduite habituelle de l’enfant : il s’y ajoute souvent des troubles de sommeil (insomnie), un refus alimentaire, des troubles sphinctériens.

On observe parfois une véritable désorganisation du comportement avec apparition de conduites très impulsives. Elles peuvent se limiter à des violences verbales (à l’encontre de la famille, des camarades, des enseignants), mais s’extériorisent parfois dans des conduites dangereuses : agressions violentes d’un tiers, pyromanie, conduite délinquante. Les passages à l’acte sont imprévisibles, incontrôlables : la rationalisation froide ou l’indifférence vis-à-vis de ces conduites est la règle.

L’excitation psychique est beaucoup plus rare. Dans tous les cas elle est très différente de l’excitation maniaque observée chez l’adulte maniaco-dépressif : elle a un aspect grinçant, sans l’exaltation thymique habituelle. Les thèmes prédélirants persécutifs sont fréquents.

c) Troubles du langage

Ils s’inscrivent parfois dans la continuité de troubles précoces, mais dans d’autres cas le développement du langage était jusque-là normal. On note alors :

■ la possibilité d’un mutisme secondaire qui va de pair avec l’aggravation du retrait autistique. Peu à peu l’enfant cesse de parler, souvent d’abord à l’extérieur du cercle familial, puis le mutisme peut devenir total. On observe parfois un maintien des activités graphiques et une possibilité de communication par l’écriture ou le dessin (Diatkine) ;

■ la régression formelle du langage traduit souvent un épisode aigu : déstructuration de l’organisation linguistique avec apparition d’anomalies identiques à ce qui s’observe dans les psychoses précoces (inversion pronominale) pouvant aller jusqu’à une désorganisation complète (retour aux lallations, langage auto-érotique). Dans d’autres cas, on observe l’apparition de néologisme, de maniérisme verbal ;

■ l’hyperinvestissement du langage paraît assez spécifique à certaines psychoses de la seconde enfance : recherche d’un langage adulto-morphe avec un contrôle et une maîtrise absolus. L’enfant peut se mettre à apprendre les définitions du dictionnaire, ou une langue nouvelle… Dans tous les cas ce langage hyperinvesti apparaît comme un obstacle supplémentaire à la communication et surtout à l’échange affectif.

d) Défaillances de l’investissement cognitif

En dehors des formes déficitaires qui accompagnent l’évolution d’une psychose précoce (p. 277) on observe parfois de brusques défaillances ou même des elfondrements des capacités intellectuelles. Ce sont ces formes qui faisaient classiquement évoquer les notions de débilité évolutive (Targowla) ou d’encéphalopathie évolutive masquée. Ce cadre rejoignait celui des « psychoses greffées » (débilité où seraient venus se surajouter des symptômes psychotiques). Le fondement théorique qui sous-tend toute cette terminologie est que le primum movens de l’ensemble des perturbations observées est lié à une étiologie organique menaçant l’intégrité du système nerveux central.

Dans quelques cas on constate, en particulier à la phase aiguë, un effondrement de l’efficience qui peut persister bien au-delà de cette période initiale. Il faut noter que cet apprauvrissement intellectuel apparaît bien souvent comme une défense contre un vécu psychotique de morcellement ou de déréalisation.

e) Troubles d’allures névrotiques

Nous ne ferons ici qu’évoquer la fréquence des phobies d’aspect archaïque et des obsessions. Les phobies peuvent être envahissantes, changeantes ou au contraire très fixées, rationalisées par l’enfant et par sa famille (p. 305). Les manifestations de la série obsessionnelle apparaissent comme très fréquentes et caractéristiques. Les rituels peuvent être anciens (rituels du coucher), mais s’enrichir de nouvelles manifestations : rituels de rangement, de nettoyage, de lavage (qui sous-tendent souvent des craintes hypocondriaques ou des idées délirantes de contamination), de vérification (électricité, gaz, porte…), rites conjuratoires de toucher, d’évitement (ne pas toucher telle marche).

Si l’idée obsédante est rare, en revanche l’investissement obsessionnel de la pensée peut aboutir à des intérêts exclusifs en secteur : intérêt pour la préhistoire ou l’ancien temps, pour tel personnage, pour les chiffres, pour la mécanique, pour le calcul (calculateur de calendrier…). L’abord psychopathologique de ces conduites est envisagé p. 310.

f) Manifestations de rupture avec la réalité

La distinction entre le fantasme, la rêverie et la réalité s’élabore progessivement chez l’enfant (v. p. 175). On peut considérer qu’en-dessous de 6 ans, la distinction est trop fragile, tant pour parler de mensonge que de délire. À partir de cet âge, le brusque envahissement de la pensée par des manifestations délirantes idéatives ou sensorialisées est possible, mais reste une éventualité rare. Au cours d’épisodes aigus marqués par une angoisse entrême on observe fréquemment :

— des bouffées d’angoisse hypocondriaques ou cénésthésiques : maux de tête, de ventre, impressions somatiques diverses, douleurs dans le dos, les membres, etc. Les angoisses hypocondriaques traduisent la fragilité du vécu corporel, le sentiment a minima de transformation ou la menace de morcellement ;

— des idées délirantes polymorphes souvent proches d’une fantasma-

tisation trop facilement extériorisée ; elles sont floues, labiles, peu construites. Les éléments de teinte persécutive sont les plus fréquents. L’organisation d’un délire construit, élaboré, est rare chez l’enfant, mais peut s’observer en particulier lorsque l’entourage familial joue un rôle facilitant ; \

— l’existence d’hallucinations (perception sensbrielle sans objet) reste discutable pour certains auteurs. Il est vrai que leur fréquence admise dépend beaucoup de la rigueur avec laquelle on les définit. La frontière avec la rêverie imaginative ou la fantaisie n’est pas toujours aisée à déterminer (v. p. 177). Les hallucinations sont le plus souvent auditives, puis visuelles et cénesthésiques. Assez caractéristiques lorsqu’elles s’accompagnent d’attitude d’écoute, elles sont en général peu élaborées (cri, craquement, ordre simple).

g) Évolution

L’évolution de ces formes de la seconde enfance est variable :

— évolution déficitaire ;

— stabilisation relative marquée par la permanence du retrait mais avec possibilité d’insertion sociale, scolaire ou professionnelle minimale ;

— évolution vers la dissociation schizophrénique adulte ;

— évolution vers un tableau de troubles graves du conportement de type psychopathique ou de troubles caractériels serrés.

3°) Psychoses de la préadolescence et de l’adolescence

Ces formes sont traitées dans l’Abrégé de psychopathologie de l’adolescent (chapitre 10, p. 327).

C. – Études psychométriques et test de personnalité

L’étude psychométrique ou de la personnalité à l’aide de tests se heurte dans un nombre important de cas soit à l’extrême faiblesse du niveau, soit au retrait autistique, à l’indifférence du patient face à la tâche qui lui est proposée et à la communication qui lui est imposée.

Lorsqu’une évaluation est possible, la grande diversité des résultats doit rendre prudent dans toute tentative d’uniformisation.

1°) Test de niveau

Il n’y a pas une efficience, ou un profil d’efficience caractéristique des psychoses infantiles. Dans toutes les études portant sur un grand nombre d’enfants, on relève :

— une dispersion des Q.I. globaux sans caractéristique propre à ce groupe au niveau des subtests. Notons toutefois le fréquent décalage dans l’efficience verbale supérieure à l’efficience performance (W.I.S.C. : Q.I.V. > Q.I.P.) en particulier dans les psychoses de la seconde enfance ;

— une dispersion des rendements aux divers subtests en fonction d’un investissement privilégié fluctuant qui dépend en grande partie de la qualité du contact entre l’enfant et l’examinateur.

L’application d’épreuves piagétiennes met en évidence la réticence de l’enfant psychotique à l’égard des phénomènes aléatoires, l’infériorité des opérations physiques par rapport aux opérations logicomathé-matiques, la difficulté à se placer au point de vue d’autrui, enfin la difficulté à établir une relation entre signifiant et signifié. On perçoit bien ici les difficultés rencontrées à la mise en place satisfaisante de la fonction symbolique.

2°) Test de personnalité

Le Rorschach a été particulièrement étudié. Là encore il est difficile de proposer un « profil » caractéristique des psychoses infantiles d’autant que l’évaluation des réponses doit aussi tenir compte de l’âge de l’enfant. Les éléments les plus évidents semblent être la massivité de la projection qui non seulement laisse aisément percevoir les fantasmes sous-jacents, mais qui aussi, de par son intensité, entrave l’acuité perceptive (transformation incessante des percepts, plaintes sur l’étrangeté ou la bizarrerie du matériel). Dans tous les cas l’organisation fantasmatique basale paraît renvoyer à une représentation parcellaire de l’image du corps, au sein d’une vive angoisse dont le sujet se défend, soit par la projection persécutive, soit par l’appauvrissement perceptuel (protocoles « désséchés »). En effet, sur le plan de la production « il est faux de faire coïncider le terme de psychose avec l’expression foisonnante de fantasme de niveau archaïque libéré sans retenue à la moindre sollicitation… Certains protocoles très peu fournis en expressions manifestes du fantasme, mais étonnamment désorganisés et illogiques peuvent témoigner d’une expérience psychotique » (Raush). L’évaluation doit donc prendre en considération et comparer l’expression formelle et l’expression fantasmatique.

D. – Évolution des psychoses infantiles

Etant donné la diversité sémiologique, les divergences psychopathologiques, la multiplicité des hypothèses étiopathogéniques, on ne s’étonnera pas de la variabilité évolutive des psychoses infantiles.

De l’ensemble des études consacrées à ce problème, nous ne retiendrons ici que les grandes lignes. Sur un plan purement descriptif on observe globalement les évolutions suivantes :

■ évolution vers la débilité profonde ou sévère, avec persistance ou aggravation du non-investissement cognitif initial. Ces cas évoluent vers le tableau des encéphalopathies infantiles en conservant parfois quelques traits spécifiques ;

■ évolution centrée sur l’autisme avec maintien de l’état initial « arelationnel ». Le langage peut être acquis, mais il reste bizarre, asyntaxique, l’inversion pronominale est de règle. L’intensité de l’autisme constitue une barrière aux tentatives de scolarisation ou d’insertion professionnelle malgré un investissement cognitif parfois partiellement conservé ;

■ amélioration partielle avec évolution de la symptomatologie ;

— soit vers des conduites mentalisées de type phobique ou surtout obsessionnelles plus ou moins handicapantes qui traduisent les tentatives d’enkystement et de contrôle interne par le sujet de la menace d’éclatement ;

— soit vers l’apparition de troubles majeurs du comportement de type caractériel grave ou psychopathique qui traduisent les tentatives de projection sur l’extérieur des mêmes pulsions destructrices.

Dans ces dernières formes le cap de l’adolescence paraît particulièrement difficile, mais constitue cependant par la réélaboration pulsionnelle qu’il suscite, une possible chance de remaniement. Il n’est pas rare que l’adaptation et la tolérance réciproque entre l’enfant et son milieu familial soient alors brusquement rompues. Signalons en particulier les fréquentes décompensations à l’adolescence de l’équilibre instauré dans des psychoses de type symbiotique entre mère et enfant, avec apparition de violence, agressivité directe sur la mère, de conduites sexuelles débridées, rendant soudain patente la relation quasi incestueuse passée jusque là inaperçue. Les épisodes psychotiques aigus de type « bouffée délirante » s’observent aussi fréquemment. Dans certains cas, ces évolutions temporairement chaotiques permettent toutefois une réélaboration de l’organisation fantasmatique, et un relatif dégagement par rapport au processus psychotique, aboutissant à des états « cicatriciels » autorisant une vie sociale au prix d’une discrète « bizarrerie ».

■ Évolutions favorables ; on observe parfois : régression relative de l’autisme, acquisition du langage, adaptation sociale suffisante pour permettre une scolarisation, puis une activité professionnelle. Ainsi sur les 11 patients décrits par Kanner en 1943, deux ont accédé à une insertion professionnelle et l’un des deux a fondé une famille. Ces cas restent toutefois largement minoritaires.

De l’ensemble des études catamnestiques (Kanner, Eisenberg, Rutter, Goldfarb, Bender, Lebovici, Duché, etc.), on peut isoler certains facteurs qui paraissent avoir une réelle valeur pronostique. Nous ne donnerons ici aucun pourcentage car ceux-ci dépendent trop de la rigueur avec laquelle l’échantillon étudié a été sélectionné. Comme cette rigueur varie beaucoup d’un auteur à l’autre, toute étude statistique comparative est largement entachée d’erreur. Néanmoins, sur le plan qualitatif, les auteurs retrouvent souvent les mêmes facteurs. Ainsi cinq types de facteurs responsables d’un pronostic défavorable se retrouvent régulièrement.

■ Facteurs de pronostic défavorable

1°) L’existence de facteurs organiques associés à la psychose infantile. Il s’agit non seulement d’une atteinte neurologique (Goldfarb), mais aussi de facteur de morbidité générale (prématurité, accouchement difficile) ou d’épisodes somatiques précoces (déshydratation : Rivière, Jeammet).

2°) L’absence de langage au-delà de 5 ans (Kanner, de Myer) ou son apparition très retardée.

3°) La profondeur du retard intellectuel lors de la première évaluation (Rutter) : plus le déficit initial est profond, plus le pronostic est sombre.

4°) La précocité d’apparition des troubles. Plus la psychose est reconnue tôt, en particulier avant 2-3 ans, plus l’évolution vers la persistance de l’autisme grave ou l’évolution profondément déficitaire est à craindre (Bender). Toutefois, il semble que cette évolution globalement progressive et régulière mette l’enfant à l’abri de décompensations aiguës plus fréquentes dans les psychoses d’apparition plus tardive (Rivière et coll).

5°) La qualité de la famille enfin (Bender). L’existence d’une pathologie psychiatrique parentale, des parents séparés ou absents, en particulier l’absence de soutien maternel, sont des facteurs de mauvais pronostic.

Les facteurs de pronostic favorables s’inscrivent en opposition aux précédents, en particulier le délai retardé d’apparition. Certains auteurs (Lébovici) ont souligné que l’existence de phobies ou de manifestations obsessionnelles pouvait apparaître comme un facteur de pronostic relativement bon, évitant en particulier l’évolution déficitaire.

II. – Abord génétique et hypothèses à prédominance organique

A. – Abord génétique

À la suite de Carlier et Roubertoux, nous distinguerons les facteurs génétiques trouvés dans les psychoses précoces et ceux propres aux psychoses de la seconde enfance.

1°) Génétique des psychoses précoces

À partir d’un enfant autiste, l’étude du risque chez les parents ou dans la fratrie est variable. Selon Roubertoux, le risque de schizophrénie chez les antécédents serait nul. Notre expérience personnelle, certes limitée à quelques cas, va à l’encontre d’une telle affirmation (un garçon autiste avec un père schizophrène, un garçon autiste avec un père schizophrène et une grand-mère paternelle schizophrène.).

Quant aux risques encourus par la fratrie, ils oscillent entre 1,6 et 2,8 % nettement supérieur (Xl88) aux risques de la population générale (8,6 X 10~5). Toutefois, l’évaluation statistique est affectée par de nombreux biais, en particulier enfant encore jeune, fréquence des avortements spontanés chez les mères d’enfant autiste.

L’étude sur les jumeaux (Rimland 1964, Folstein et Rutter 1977) met en évidence une concordance plus élevée d’autisme chez les jumeaux monozygotes (100 % chez Rimland, 36 % chez Folstein et Rutter) que chez les jumeaux dizygotes. Ces résultats sont en faveur de l’intervention de facteurs génétiques, mais la méthode ne permet pas de trancher en faveur d’un mode de transmission.

2°) Génétique des psychoses de la seconde enfance

Les études génétiques tendent à prouver que le groupe des psychoses infantiles tardives est distinct du précédent.

Le risque chez les ascendants est très variable selon les auteurs puisqu’il va de 0 % (Rutter) à 43,3 % (Bender). Toutefois, les catégories nosographiques adoptées par L. Bender sont très souples [schizoïdie probable ?]. Lorsqu’on adopte un critère plus strict et quantifiable (existence d’une hospitalisation psychiatrique chez les ascendants), le risque est de 2,5 % environ. Ce risque est supérieur au risque moyen de la population générale (0,8 %).

Le risque de la fratrie varie aussi entre 0,67 % et 9 %, mais la majorité des auteurs ne précise pas l’âge de la fratrie, ni lors de l’examen, ni lors de l’entrée dans la maladie.

De l’ensemble de ces études sur le risque de morbidité, on peut dire qu’elles « tendent à confirmer le caractère familial des psychoses infantiles autre que l’autisme, sans qu’il soit possible de dire si ce caractère est imputable à des facteurs génétiques ou à des facteurs d’environnement communs » (Carlier et Roubertoux).

L’étude des jumeaux repose essentiellement sur le travail de Kallmann et Roth, sur 52 paires. La concordance de psychoses infantiles tardives est de 70 % chez les monozygotes et de 17 % chez les dizygotes, taux analogue à ce qui s’observe en pathologie adulte, et suggérant l’hypothèse d’une continuité pathogénique entre psychoses infantiles tardives et psychoses de l’adulte.

3°) Conclusion

Carlier et Roubertoux concluent leur étude par les remarques suivantes :

— l’analyse génétique montre que l’autisme infantile est une entité nosographique dilférente des autres psychoses de l’enfant ;

— les psychoses tardives présentent probablement une hétérogénéité étiologique. L’hypothèse d’une hétérogénéité génétique doit être retenue (mode de transmission différent aboutissant à un même phénotype).

Les auteurs se montrent dans l’ensemble extrêmement prudents, se gardant de toute affirmation intempestive en matière de psychoses infantiles et de génétique : l’origine génétique est une hypothèse probable, mais non unique ni certaine dans ses modalités.

B. – Hypothèses à prédominance organique

1°) Résultats des recherches

La série de travaux consacrés à la recherche d’une anomalie organique dans les psychoses infantiles est impressionnante. Il ne saurait être question de les reprendre ici. Nous donnerons très succinctement les axes de recherche dans lesquels se sont dirigés les auteurs :

— l’E.E.G. des enfants autistes a été l’objet de nombreuses études. En dehors de l’existence d’une épilepsie associée, aucune anomalie spécifique n’a été démontrée ;

— les dosages biologiques divers (sérotonine, trytophane et leurs catabolites) n’ont donné aucun résultat constant et probant ;

— les dosages enzymatiques (mono-amino-oxydase, D.B.H., pé-roxydases diverses) donnent des résultats aléatoires et discordants ;

— la recherche d’une déficience sensorielle minimum n’a jamais, en dehors des cas bien connus d’association psychose-surdité ou psychose-cécité (v. p. 231, 235), mis en évidence le moindre indice quand les explorations ne font pas intervenir la participation active du sujet ;

— les explorations neuroradiologiques n’ont jamais révélé d’anomalies patentes. Les possibilités nouvelles et l’inocuité de la tomodensitométrie incitent à envisager des études sur de grandes séries. Les quelques résultats parcellaires obtenus actuellement vont dans le sens de la normalité ;

— une dernière hypothèse biochimique ou enzymatique constitue une intéressante voie de recherche : constatant la fréquence des fausses couches chez les mères d’enfant autiste, certains auteurs ont avancé l’hypothèse d’une anomalie portant sur un enzyme fœtal (molécule indispensable pendant la vie fœtale, mais devenant inutile après la naissance ou peu après).

2°) Hypothèses organiques avancées

En dehors de ces travaux, de nombreux auteurs avancent des hypothèses étiologiques : dans la majorité des cas l’objectif est de délimiter une éventuelle anomalie qui serait responsable du développement de psychoses infantiles, celles-ci étant conçues sur le modèle médical : étiologie —> anomalie cérébrale —* syndrome —* symptôme. Il est évident que l’autisme de Kanner, malgré sa rareté, se prête particulièrement bien, en raison de son tableau clinique stéréotypé à un tel modèle. Nous passerons rapidement en revue les principales hypothèses en soulignant qu’aucun élément de certitude n’a pu les étayer.

L’existence de perturbations sensorielles constitue le fondement étiologique proposé par certains. Ainsi Goldfarb et Pronovost estiment que l’enfant psychotique évite l’emploi de ses récepteurs à distance (vue, ouïe) et privilégie les récepteurs proximaux (toucher, odorat, goût). Rimland pense que les enfants autistes sont inaccessibles aux stimulus externes, peut-être en raison de lésion siégeant dans le système réticulé. À l’opposé, Bergman et Escalona estiment que l’enfant psychotique se défend par sa réaction de retrait contre une sensibilité exacerbée aux stimulis externes, notamment auditifs et visuels.

D’autres auteurs situent préférentiellement l’anomalie non pas dans le domaine sensoriel, mais au sein des processus cognitifs. Ainsi Goldstein suppose une agénésie du support de la pensée abstraite. Rutter, de son côté, considère que les enfants autistes ont un désordre primaire central du langage, impliquant à la fois la compréhension et son utilisation.

À ces théories qu’on pourrait dire purement constitutionalistes, s’ajoutent des hypothèses où un défaut d’équipement va entraîner des distorsions relationnelles, expliquant l’autisme. Ainsi pour L. Bender, il existe un défaut d’équipement dans les fonctions neurovégétatives et dans la régulation du tonus qui empêche l’enfant d’établir une communication satisfaisante avec sa mère, et empêche la mère d’adapter correctement son attitude à l’enfant. Le défaut d’équipement serait à l’origine du caractère progressivement pathogène de la relation mère-enfant. Anthony émet également l’hypothèse d’une telle distorsion relationnelle soit à cause d’une « barrière » dont l’épaisseur est excessive, empêchant toute information satisfaisante (autisme primaire idiopathique), soit au contraire à cause d’une « barrière » insuffisante rendant le bébé trop vulnérable à la moindre stimulation. Dans le premier cas si la mère n’est pas assez aimante, la barrière se solidifie, dans le second cas, le bébé élève sa barrière défensive devant des stimulations excessives, perçues comme douloureuses.

III. – Abord psychopathologique et hypothèses à prédominance psychogénétique

A. – Abord psychopathologique

S’il existe de grandes variations sémiologiques d’un enfant psychotique à un autre, variations encore renforcées par les écarts d’âge importants, à quelques détails près toutefois, une certaine similitude psychopathologique apparaît. Nous décrirons ici la nature du fonctionnement mental (le « comment » de la psychose), sans préjuger du processus initiateur (le « pourquoi »).

Cet ensemble de traits psychopathologiques pourrait constituer ce que certains auteurs appellent le « noyau psychotique », terminologie à laquelle nous souscrirons à condition toutefois qu’elle ne sous-entende pas l’hypothèse d’un processus pathogène quelconque (au même titre que l’anomalie enzymatique de la phénylcétonurie par exemple). Par noyau structurel psychotique, nous faisons référence à un ensemble de mécanismes psychopathologiques aboutissant à des conduites mentalisées ou agies, dont le regroupement ou l’association s’observent fréquemment dans ce type de patient. Parler de « noyau psychotique » implique donc qu’on ne se situe pas dans l’axe étiologique, mais uniquement dans l’axe psychopathologique. De ce point de vue, le « noyau structurel psychotique » fait référence à :

— l’existence d’une angoisse primaire d’anéantissement, de morcellement ou d’engloutissement, impliquant la dissolution ou la destruction complète de l’individu. En clinique, les crises d’angoisse des enfants psychotiques peuvent atteindre des degrés extrêmes ;

— la non-distinction entre le soi et le non-soi, la non-reconnaissance de ses limites et des limites de l’autre. La traduction clinique peut en être l’absence de sourire au visage humain, la non-apparition de l’angoisse de l’étranger ou des réactions paradoxales, la manipulation du corps propre ou du corps d’autrui comme un instrument externe, i’inattention portée aux limites du corps avec une grande fréquence de chute, blessure, accident, sans attitude protectrice ;

— la rupture d’avec la réalité, conséquence de l’absence de délimitation précise du contour de soi : la réalité externe est incluse dans le soi, et menace en permanence son existence. En clinique, on observe le plus souvent la défense contre cette rupture d’avec la réalité, illustrée par le besoin impérieux d’« identitude » (v. p. 274) ou par le repli autistique et les attitudes qui l’accompagnent. De minimes changements externes peuvent ainsi susciter l’apparition d’une réaction de catastrophe : changement du décor, nouvelle coiffure de la mère ou du soignant… ;

— la prévalence des processus primaires sur les processus secondaires : le non-investissement du temps et / ou de l’espace, associé aux caractéristiques précédentes, maintient l’enfant psychotique dans le registre des processus primaires où tout affect doit être évacué à l’instant, sans quoi il risque soit d’anéantir le sujet, soit d’être lui-même anéanti. Cette prévalence des processus primaires rend compte des divers mécanismes défensifs utilisés par l’enfant psychotique, en particulier le rôle joué par la décharge motrice externe : importance des passages à l’acte, des hétéro ou auto-agressions, des troubles comportementaux, des stéréotypies ou balancement, surtout lorsque l’enfant est envahi par un affect ;

— l’absence de liaison entre les pulsions libidinales et les pulsions agressives ou pour certains auteurs entre les pulsions de vie et les pulsions de mort aboutit à un état de désintrication pulsionnelle et à une prééminence fréquente des pulsions agressives ou pulsions de mort. Les fantasmes sont envahis par ces pulsions mortifères : fantasmes d’engloutissement, d’anéantissement, de morcellement, de dévoration, d’explosion, etc., sans que les pulsions libidinales ne puissent « lier » ou « secondariser » de tels fantasmes, d’où les particularités de l’angoisse.

— l’utilisation de mécanismes de défenses archaïques. Face à cette absence de cohérence et de limites du moi et de la personne, face à cette vie fantasmatique dominée par les processus primaires, l’angoisse archaïque et les fantasmes destructeurs, le fonctionnement mental utilise des mécanismes de défenses particuliers qu’on nomme volontiers archaïques. Nous les évoquerons succinctement :

. l’identification projective est cause et conséquence de l’indistinction soi non-soi. Particulièrement étudiée par les auteurs kleiniens, l’identification projective pathologique maintient l’enfant dans un univers cahotique. On peut en trouver l’illustration clinique dans l’inversion pronominale si fréquente (l’enfant psychotique répète les mots entendus, sans être capable de se constituer comme sujet de son discours, n’étant jamais que le porte-parole d’autrui ;

. le clivage présente de nombreuses conséquences : la vie affective, intellectuelle, l’environnement sont sans cesse l’objet d’une fragmentation rendant difficile l’acquisition d’une expérience vécue dans sa continuité. Le plus souvent il s’agit d’un clivage qualitatif aboutissant à un monde manichéen : bon-mauvais, bien-mal, fusion-abandon, amour-haine, sans continuité, sans passage possible de l’un à l’autre ;

. Vintrojection, le déni, l’idéalisation, l’omnipotence (ces derniers faisant partie de ce qu’on appelle « les défenses maniaques ») sont aussi décrits. Ces mécanismes sont corrélés aux précédents dont ils renforcent parfois les effets. Ainsi l’idéalisation aboutit à construire un objet magnifique, tout puissant, mais en même temps redoutable (souvent l’image de la mère) dont il faut obtenir la protection, mais au prix du renoncement à son individuation.

Cette première ligne de défenses représente, dans l’ensemble, ce que M. Klein a appelé la position schizo-paranoïde qu’elle a décrite à partir d’enfants psychotiques en analyse avec elle (v. p. 19). De nombreux auteurs émettent maintenant l’hypothèse d’un état encore plus archaïque, la position autistique (Marcelli) qui se caractériserait par l’utilisation de mécanismes de défenses plus spécifiques. D. Meltzer a proposé les processus suivants :

— l’identification adhésive qui produit une dépendance absolue en se collant, dans laquelle il n’y a aucune existence séparée, aucune limite entre l’objet et la personne. L’identification adhésive entraîne une dépendance extrême à la surface des objets, à leur apparence avec une sensibilité aux trous, aux déchirures. En revanche, l’intérieur, l’état affectif interne des objets est en général ignoré. La conduite si caractéristique des enfants autistes de prendre la main d’autrui pour s’en servir comme d’un prolongement de soi peut être considérée comme un exemple d’identification adhésive d’autant que s’y associe en général un absence de pointing (v. p. 34, D. Marcelli) ;

— le démantèlement est un processus passif, qui consiste à se laisser aller, à découper l’expérience selon les lignes de la sensorialité pour aboutir à une collection dispersée d’objets unisensoriels, c’est-à-dire porteurs d’une seule et unique qualité : le voir, le toucher, le sentir, l’entendre, sont des sensations démantelées les unes des autres auxquelles s’attachent un fragment d’objet, ou un objet perçu dans un seul registre sensoriel ; l’expérience émotionnelle est aussi dispersée selon les lignes de la sensorialité. En clinique, l’utilisation des objets autistiques (v. p. 191), pantins mécaniques désarticulés, roues qui tournent indéfiniment, illustrent le rôle du démantèlement.

Ainsi décrit succinctement le « noyau psychotique » qu’il s’organise autour de la position schizo-paranoïde ou de la position autistique (ou encore, cas le plus fréquent, qu’il oscille entre ces deux positions) s’observe dans les diverses formes cliniques des psychoses infantiles avec quelques variantes qui traduisent en réalité la prévalence d’un de ces mécanismes sur les autres. D’ailleurs il n’est pas rare d’observer, au cours de la croissance chez le même enfant, des changements de conduites qui traduisent des évolutions dans l’aménagement défensif. Il nous paraît ainsi exister une continuité structurelle au sein de l’ensemble des psychoses infantiles, ce qui n’implique pas, répétons-le, une identité étiologique.

B. – Hypothèse psychogénétique centrée sur l’environnement : rôle des parents

Nous regroupons ici certaines propositions théoriques ou descriptions cliniques dans lesquelles l’entourage, au sens le plus large, joue un rôle important dans l’apparition, puis le maintien de la psychose de l’enfant. Ces hypothèses étiologiques ne sont pas toujours exclusives : d’autres facteurs constitutionnels, héréditaires, acquis, psychogénétiques ou organiques peuvent s’y associer.

La littérature sur les parents d’enfants psychotiques est riche, mais en réalité orientée presque exclusivement sur l’étude des parents d’enfants autistes. Peu de travaux ont été consacrés au contexte familial entourant les psychoses de la seconde enfance, qui sont généralement regroupées avec l’étude des familles de schizophrènes adultes. Nous ne ferons que citer les points qui paraissent les plus pertinents pour les psychoses infantiles.

Kanner a été le premier à décrire un certain profil psychologique chez les parents des 11 enfants autistes, objets de ses premiers travaux. Rappelons que ces parents se caractérisaient selon lui, par leur niveau intellectuel et socio-culturel élevé, par une froideur, une mécanisation et une obsessionalisation de surface : parents polis, dignes, froids ; ils observent leurs enfants plus qu’ils ne les aiment. « Les enfants étaient l’objet d’observation et d’expériences, élevés d’un œil critique, plutôt qu’avec une chaleur authentique et avec joie de vivre ».

En réalité, il semble que ces caractéristiques, certes fréquentes, ne soient pas constantes, elles résulteraient en partie du mode de recrutement de la population étudiée par Kanner.

À partir des études plus récentes (Rutter, Goldfard et Meyers, Ackerman), on peut retenir :

— une origine et un niveau socio-culturel variable, mais qui paraît se répartir plutôt vers les deux extrêmes : un pôle de niveau très défavorisé et un pôle de niveau culturel supérieur ;

— la sur-représentation des situations difficiles (divorce, couple incomplet, placement en institution) ;

— une atmosphère et une organisation familiale souvent confuses : les rôles parentaux sont peu différenciés ou changeants, l’écart des générations est mal précisé et incertain. Certains auteurs considèrent d’ailleurs qu’il faut trois générations pour « fabriquer » une psychose infantile (Bowen, Lébovici) ;

— les situations de drame (Ackerman), de désarroi parental (Goldfard et Meyers), de mystification (Lang) sont habituelles : l’enfant psychotique est souvent l’objet d’intenses et contradictoires projections fantasmatiques parentales, sans rapport aucun avec sa réalité existentielle propre. De même les frontières entre la réalité et les fantasmes familiaux sont floues ;

— enfin des modèles particuliers de communications intra-familiales rencontrés dans les familles de schizophrènes ont été décrits par le groupe de recherche de Palo Alto (Bateson, Watzlawick, Beavin). On les retrouve aussi dans les familles d’enfants autistes.

Ainsi le « double lien » ou « double impasse » (double bind) est un mode particulier de communication imposé par l’un (la mère ou un autre membre important de la famille) et auquel l’autre (l’enfant) ne peut échapper. L’émetteur adresse un double message contradictoire dans son contenu mais émis à des niveaux differents : par exemple message verbal associé à un message analogique (mimique, inflexion de la voie, etc.) de signification opposée. Placé dans cette situation dont il ne peut se dégager en raison de l’importance vitale où il est de maintenir le lien, le récepteur (l’enfant), est dans l’impossibilité d’assigner des « types logiques » aux percepts et aux messages, et de donner une réponse adaptée. La réponse « folle » n’est que la tentative désespérée pour satisfaire ce « double lien ».

En dehors de ce « double lien », Watzlawick décrit d’autres modes de communication pathologique (« tangentialisations », « disqualifications », « paradoxe ») qui semblent surtout repérables dans les familles de schizophrènes adultes.

Quelle que soit la valeur donnée à ces hypothèses étiologiques, il apparaît de nos jours artificiel de vouloir définir une typologie caractérielle des parents d’enfants psychotiques, d’autant qu’il est habituellement impossible de faire le tri entre les réactions parentales à la psychose de leur enfant et la causalité parentale de la psychose de l’enfance.

Certains travaux tendent à montrer l’intense désarroi que la réaction d’un enfant autiste peut susciter chez sa mère, modifiant ainsi ses conduites habituelles : le non-accrochage du regard, l’absence de toute attitude anticipatrice, le dialogue tonique perturbé ou inexistant, sont autant d’attitudes qui n’apportent à la mère aucune des satisfactions attendues du maternage, et ne peuvent la gratifier. Ces attitudes de l’enfant, parfois très précoces, peuvent entraîner chez la mère un désarroi, puis une mise à distance, une conduite apparemment mécanisée ou un rejet. Ainsi pour Soulé, la mère de l’enfant autiste ne peut faire le deuil de son enfant imaginaire (l’enfant fantasmatique de la nuit ou de l’imaginaire) étant donné son impossibilité ou incapacité à établir une communication mutuellement satisfaisante avec l’enfant réel (l’enfant autiste du jour et du quotidien). Dans une telle dialectique, et sachant l’importance cruciale des premiers échanges mère-enfant, il devient vite difficile et arbitraire de faire la part de ce qui est cause ou conséquence dans le comportement du parent et de l’enfant.

C. – Hypothèses psychogénétiques centrées sur l’enfant ou sur l’interaction parent-enfant

■ L’apport de M. Klein, quelles que soient les controverses qu’il suscite, reste essentiel. Rappelons que pour cet auteur, le développement de l’enfant normal passe par des phases archaïques, les premières angoisses vécues étant de nature psychotique : les défenses organisées contre ces angoisses psychotiques caractérisent la « position schizopa-ranoïde » propre aux tous premiers mois de la vie. La psychose infantile ne serait en quelque sorte que la persistance, au-delà de la période normale de cette phase. Toutefois, M. Klein ne fait pas la confusion qu’on lui attribue souvent à tort entre le développement normal du bébé, et l’état d’un malade avéré : dans le cas d’un psychotique enfant ou adulte, la persistance et l’exacerbation des modes de défenses archaïques sont dues à l’intensité des pulsions agressives et destructrices qui n’ont pu de ce fait autoriser le plein épanouissement des pulsions libidinales.

En fait, pour se défendre contre l’agressivité primaire ressentie comme dangereuse et mortifère, le sujet psychotique morcelle, clive, et projette ses affects sur les objets environnants : ainsi par clivage et identification projective, les objets environnants perdent leurs caractéristiques propres, deviennent persécuteurs et dangereux. Pour s’en défendre, le sujet psychotique introjecte les bonnes parties des objets et du soi en un ensemble confus, mais qui doit être omnipotent et omniscient (défense maniaque) pour lutter contre les mauvais objets externes.

Tandis que chez l’enfant normal l’épreuve de réalité, les progrès de la maturation, la permanence de la pulsion libidinale, permettent de surmonter la position schizoparanoïde, d’affronter la position dépressive et d’accéder à l’ambivalence névrotique, chez l’enfant psychotique, l’intensité des pulsions agressives (qu’elles soient d’origine congénitale ou acquises en raison d’un maternage inadéquat) interdit toute réification de l’objet et du soi, accentue le clivage et l’identification projective, maintient le sujet dans cette position archaïque.

Sans reprendre les fondements de cette théorie, les continuateurs de M. Klein portent leur attention sur certains points particuliers. Ainsi H. Segal s’attache à décrire l’émergence de l’organisation symbolique. Chez l’enfant psychotique, du fait en particulier de l’identification projective, il existe ce qu’elle appelle une « équation symbolique » : l’objet originel et le symbole ne sont pas différenciés dans la pensée du psychotique. Des permutations sont incessantes entre des fragments d’objets et des fragments du moi qui estompent le contour de la réalité, et entravent toute accession à un maniement satisfaisant du monde symbolique, donc de la pensée.

■ F. Tustin de son côté, reprenant en outre certains travaux de Winnicott, axe ses recherches sur la « dépression psychotique », sentiment de rupture dans la continuité, créant un « trou noir effrayant » contre lequel l’enfant lutte par des mécanismes archaïques de type enkystement ou repli autistique ou par l’identification projective ou maniaque. Ainsi l’enfant cherche à nier toute différence, toute discontinuité entre son corps et l’environnement, afin de préserver, autant que faire se peut, un sentiment de continuité minimum.

■ Margaret Malher étudie l’évolution de la relation mère-enfant sous l’angle particulier de l’autonomisation progressive de ce dernier. À la lumière des travaux de psychologie génétique (Spitz) et de leur théorisation (Hartman), M. Malher décrit plusieurs phases et sous-phases dans cette autonomisation.

Dans la « phase autistique initiale » ou « autisme normal », le bébé n’a conscience ni de son individualité, ni de celle de sa mère : il oscille entre des phases de satisfaction et des phases de besoin. Il est alors dans un état de « désorientation hallucinatoire primaire », la satisfaction de ses besoins relevant de sa seule toute-puissance autistique. Peu à peu, l’enfant accède à la « phase symbiotique » lorsqu’il devient « capable d’attendre et d’anticiper avec confiance la satisfaction », ceci grâce aux traces mnésiques laissées par le plaisir de la gratification. Le pur besoin physiologique devient « désir », un début de moi et d’objet symbiotique apparaît. Ayant d’abord une conscience confuse du « principe maternant », l’enfant se vit initialement comme uni à la bonne mère au sein d’une membrane symbiotique, tandis que les mauvais objets sont projetés à l’extérieur de cette membrane sur le monde environnant. À ce stade le danger extrême est celui d’une perte de l’objet symbiotique qui équivaut à une perte d’une partie du moi lui-même.

Une troisième phase, dite de séparation individuation (de six à trente mois) apparaît « lorsque l’enfant est très près de par son développement, au fonctionnement autonome, et y prend plaisir » : l’explosion motrice de l’enfant lui permet de s’écarter de la mère, tout en continuant à utiliser celle-ci comme « balise externe d’orientation ». Peu à peu, l’intériorisation des objets et l’acquisition de la notion de permanence de l’objet donnent l’assurance nécessaire pour l’autonomisation. Toutefois il existe un décalage entre la notion de la permanance de l’objet (selon Piaget) et l’acquisition d’une permanence de l’objet libidinal : cette dernière est beaucoup plus progressive « grinçante, cahoteuse, et plutôt instable jusqu’à trente mois ». À ce stade, le risque majeur est celui d’une perte de l’objet.

La psychose infantile est conçue par M. Malher comme le résultat des échecs dans le processus d’individuation dont l’origine se trouve aussi bien chez l’enfant (« incapacité innée du moi à neutraliser les pulsions, défaut de la capacité perceptive primaire du moi, effets désorganisateurs de la panique organismique de l’enfant sur un moi fragile ») que chez la mère. Ainsi dans le développement de l’enfant certaines phases ne peuvent être dépassées en raison de l’angoisse massive que suscite l’accession au palier suivant. Pour s’en défendre l’enfant utilise ce que M. Malher appelle des « mécanismes de maintien » qui s’opposent à la progression du développement. Les organisations pathologiques ne sont donc pas simplement des fixations à un stade normal du développement ; il s’y ajoute toujours des mécanismes spécifiques tendant à bloquer la fluidité structurelle habituelle.

Dans le cas des psychoses autistiques, le mécanisme de maintien est une conduite hallucinatoire négative qui annule toute perception du monde externe, y compris la mère. Dans le cas des psychoses symbiotiques, le principe maternant est reconnu, mais l’enfant oscille entre un désir de fusion absolu au bon objet partiel, et la crainte du réengloutissement ou de l’anéantissement en cet objet. Les mécanismes de maintien s’organisent autour du clivage, entre une unité toute-puissante mère-enfant, et une projection persécutive sur le monde extérieur. La psychose devient patente lorsque l’illusion de l’unité mére-enfant ne peut plus être maintenue face au progrès de la maturation neurophysiologique (vers 3-4 ans).

En réalité, cette opposition tranchée entre psychose autistique et psychose symbiotique deviendra au fil des travaux de M. Malher, beaucoup moins nette, l’auteur reconnaissant l’existence de nombreuses formes de transition.

■ Pour Winnicott, l’origine de la psychose infantile est à chercher dans les avatars de la relation d’adaptation réciproque entre une mère et son enfant, en particulier au temps où l’enfant éprouve une « désillusion » à l’égard de celle-ci. Jusque-là l’enfant vit dans « l’illusion de toute-puissance » parce que la mère suffisamment bonne, soutient l’enfant (holding), le soigne (handling) et lui présente les objets (object-presenting) de telle sorte qu’il a le sentiment d’en être lui-même le créateur. Si la mère fait alors défaut, le nourrisson peut éprouver des « angoisses impensables » ou « agonies primitives » telles que le retour à un état non intégré, la sensation de ne pas cesser de tomber, la faillite de la « résidence dans le corps » ou la perte de sens du réel. Le nourrisson se défend contre ses angoisses par diverses défenses : la désingration, la dépersonnalisation, l’état autistique, l’exacerbation du narcissisme primaire, etc. La maladie psychotique est ainsi une défense contre ces sensations d’agonie déjà éprouvées : pour Winnicott, il ne s’agit donc pas, contrairement à M. Klein, et dans une moindre mesure à M. Malher, de fixation à des stades normaux du développement, mais d’une organisation déviante, pathologique et spécifique.

Nous limiterons arbitrairement à ces auteurs les hypothèses théoriques concernant les psychoses infantiles. Nous eussions pu citer aussi Bettelheim (notion de situation extrême), Lébovici, Diatkine et surtout Lacan et son école. Toutefois, il conviendrait alors de reprendre la totalité de leur élaboration théorique car la psychose infantile y occupe toujours une place importante. Il nous a paru plus utile pour le lecteur de donner un repère simple des principales théories concernant ce domaine si vaste.

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