17. Troubles et organisations d’apparence névrotique

La névrose chez l’enfant a un destin particulier : il est probable que les psychiatres et psychanalystes d’adultes évoquent plus souvent « la névrose infantile » que les psychiatres ou psychanalystes d’enfants ne parlent de « la névrose d’un enfant ». Ceci nous introduit d’emblée à la double interrogation qui sera le fil conducteur de ce chapitre.

1°) Dans quelle mesure la névrose infantile est-elle une réalité de la clinique infantile ou une reconstruction théorique après coup chez un adulte névrosé ?

2°) La névrose de l’enfant possède-t-elle une autonomie distincte de la névrose de l’adulte, ou n’en est-elle qu’un simple calque ?

En effet le danger à propos de la névrose chez l’enfant est d’une part de se servir directement des reconstructions freudiennes sur la névrose infantile, et d’autre part d’adopter une attitude adultomor-phiste avec l’habituelle distinction névrose phobique-névrose hystérique – névrose obsessionnelle qui dans le champ de la pédopsychiatrie ne correspond pas à une réalité clinique dans sa double perspective synchronique et diachronique, sauf peut-être dans les derniers stades de l’adolescence. En dehors de cette dernière période, la névrose de l’enfant se caractérise par une variabilité des conduites psychopathologiques qui épousent à la fois les aléas des interactions vécues par l’enfant et les remaniements consécutifs à la croissance. Cette plasticité bien différente des névroses de l’adulte nous oblige à distinguer deux niveaux d’études :

— le niveau des principales conduites mentalisées pathologiques (les classiques symptômes phobiques, hystériques, obsessionnels, etc.) ;

— le niveau d’une éventuelle organisation structurelle sous-jacente avec toutes les conceptualisations théoriques qui la sous-tendent.

I. – Psychopathologie des conduites dites névrotiques de l’enfant

À la base de toute la symptomatologie de l’enfant, névrotique ou non, on rencontre le problème de l’angoisse, les conduites pathologiques n’étant, somme toute, que les diverses stratégies utilisées par l’enfant pour négocier celle-ci. C’est pourquoi, avant d’aborder les conduites névrotiques, nous évoquerons le vaste problème de l’angoisse ou de l’anxiété.

A. – Angoisse et anxiété chez l’enfant

Il est classique, mais quelque peu artificiel, de distinguer l’anxiété, affect pénible associé à une attitude d’attente d’un événement imprévu, mais vécu comme désagréable, de l’angoisse accompagnée d’un cortège de manifestations somatiques (neurovégétatives et viscérales) et enfin de la peur liée à un objet ou à une situation précise, soit du fait de l’expérience, soit du fait de l’éducation. En fait, un gradient continu relie angoisse – anxiété – peur où l’on va d’un état qui serait purement physiologique (la réaction de stress) à une mentalisation progressive de la conduite (place du fantasme).

1°) Clinique de l’angoisse

L’angoisse surgit lorsque l’équipement maturatif de l’individu ne peut répondre de manière adéquate à une tension vécue comme menaçante : que cette tension soit d’origine interne ou externe, que l’équipement maturatif soit défaillant ou encore inexpérimenté ne change rien à la nature de l’affect. On conçoit toutefois que les manifestations cliniques de l’angoisse soient variées, multiples et changeantes. En clinique infantile, il faut distinguer les manifestations d’angoisse préverbales de celles qui surgissent quand l’enfant peut exprimer en parole ce qu’il éprouve.

a) Angoisse préverbale du nourrisson

La constatation de cette angoisse dépend en grande partie des capacités d’observation et d’empathie de l’adulte. Chaque mère connaît le registre des cris de son bébé qui exprime la colère, le bercement-plaisir, l’appel, mais parfois aussi la panique : ces derniers la font venir rapidement auprès de lui. Ces cris de panique s’accompagnent le plus souvent de grandes décharges motrices, témoins du malaise du bébé. Winnicott pour sa part va jusqu’à considérer que certaines convulsions du petit enfant pourraient être la manifestation d’une angoisse non surmontable psychiquement.

Nous n’aborderons pas ici l’angoisse du visage de l’étranger, prototype de la réaction anxieuse à la base de l’organisation phobique (v. p. 21), mais qu’il suffise d’évoquer le visage perdu, les grands yeux hagards, les cris stridents et incessants de détresse, l’hypertonie générale avec l’agitation fréquente des membres inférieurs du nourrisson de 11-12 mois qui vient d’être hospitalisé pour une banale raison intercurrente, on peut comprendre alors que la réaction d’angoisse n’est pas une simple projection de l’adulte sur l’enfant.

Pour ce qui concerne les autres manifestations de l’angoisse chez le nourrisson, elles se traduisent avant tout par des conduites somatiques. Nous prions le lecteur de se reporter en particulier au chapitre consacré à la pathologie psychosomatique du nourrisson (colique idiopathique, spasme du sanglot par exemple).

b) Anxiété de l’enfant

L’enfant anxieux vit en permanence avec un sentiment vague d’appréhension, comme si quelque chose de terrible allait survenir. Sur ce « fond anxieux », qui rend l’enfant irritable, facilement inquiet pour sa santé physique peuvent survenir des épisodes aigus, véritables attaques d’angoisse, dont le déclenchement peut être dû à des facteurs externes (maladie, entrée à l’école, changement de classe, déménagement, colonie de vacances, etc.), ou internes.

■ L’épisode d’angoisse aigu : plus l’enfant est jeune, plus le contexte somatique est riche (vomissement, céphalée, douleur abdominale ou des membres). L’enfant paraît terrifié, en sueur, il est difficilement accessible « au raisonnement ». Jeune, avant 7-8 ans, seule la présence d’un parent, père ou mère, est susceptible de calmer réellement cet accès d’angoisse. L’exemple le plus typique en est la terreur nocturne (v. p. 84). Avec l’âge, l’enfant extériorise son angoisse, non pas en l’exprimant, mais le plus souvent en l’agissant : ainsi le corollaire de la crise d’angoisse devient vers 11-12 ans, le passage à l’acte sous ses diverses formes : crises de colère, attitudes d’exigences insatiables, fugues, troubles divers du comportement. Le risque est alors que l’anxiété de l’adulte provoque une spirale ascendante où l’angoisse de l’un majore celle de l’autre. La contention physique ferme, mais bienveillante, la limitation de la destructivité de l’enfant représentent les meilleures attitudes propres à calmer dans un premier temps cet accès aigu d’angoisse.

■ Les manifestations hypocondriaques : le recours au langage du corps est d’autant plus fréquent et normal que l’enfant est jeune. Cependant on observe avec le temps l’existence chez certains d’une fixation au niveau de plaintes somatiques. Ainsi, à partir de 7-8 ans, on observe les conduites suivantes :

— état d’inquiétude permanent sur la santé ou sur une maladie éventuelle ;

— vague fatigue qui empêche de travailler ou même de jouer (en particulier la pratique du sport) ;

— douleurs ou malaises de localisations diverses : céphalée, troubles visuels, plaintes abdominales, état nauséeux, mal aux jambes, au dos…

Un élément est quasi constant : l’existence d’un important contexte somatique dans la famille, soit réelle maladie somatique, soit le plus souvent une attitude hypocondriaque marquée des parents. Cette hypocondrie de l’un ou des deux parents peut porter sur leur personne propre ou inclure le corps de leur enfant. Ceci est particulièrement fréquent quand il s’agit de la mère. Au maximum une telle interaction peut aboutir à une véritable organisation psychosomatique (v. p. 337).

Signalons enfin qu’un élément culturel organise parfois le discours sur le corps, les plaintes hypocondriaques paraissant plus fréquentes chez les adultes comme chez les enfants et adolescents immigrés (v. Psychopathologie de l’adolescent, chap. 19, p. 407).

2°) Problèmes théoriques posés par l’angoisse chez l’enfant

Si tous les cliniciens s’accordent pour reconnaître et décrire certaines manifestations d’angoisse chez l’enfant, si tous s’accordent aussi pour déclarer que l’intensité de l’angoisse vécue par tel ou tel enfant varie beaucoup (ils se séparent quant à l’origine innée ou acquise de cette variabilité), en revanche la discussion reste ouverte sur la place qu’occupe l’angoisse dans le développement de l’enfant. Les deux positions extrêmes pourraient se résumer ainsi : à une extrémité les tenants d’une angoisse-réponse, signal qu’un danger, un malaise, une menace provenant en général de l’extérieur risque de compromettre l’équilibre intérieur. Cette conceptualisation répond aux premières théories de Freud (l’angoisse due à l’impossibilité de satisfaction de la libido), mais aussi aux théories béhavioristes ou comportementalistes (névrose d’angoisse expérimentale). À l’autre extrémité, l’angoisse est une donnée constitutive de l’émergence de l’individu qui ne peut assumer son autonomie progressive que dans une opposition conflictuelle angoissante, mais aussi maturante. Cette conceptualisation répond à la position qu’adopte Freud dans Inhibition, Symptôme et Angoisse (l’angoisse est primaire, c’est elle qui alerte le moi d’un danger potentiel et qui provoque le refoulement). M. Klein a poussé à son extrémité cette conceptualisation en marquant d’emblée la lutte interne chez le bébé entre la pulsion de vie et la pulsion de mort.

Dans un autre type de formulation, on peut distinguer d’un côté les auteurs qui s’intéressent avant tout aux manifestations neurophysiologiques ou neuropsychologiques d’un malaise et aux conduites propres à l’éviter pour retrouver l’état antérieur, d’un autre côté les auteurs qui mettent avant tout l’accent sur le vécu fantasmatique et conflictuel, source d’angoisse, mais aussi palier nécessaire et inévitable de la croissance.

Nous étudierons rapidement les points de vue théoriques des principaux auteurs qui ont abordé le problème de l’angoisse chez l’enfant, en priant le lecteur de ne pas oublier qu’ils se situent nécessairement dans l’un ou l’autre champ théorique défini dans le paragraphe précédent.

Nous l’avons vu, la position de S. Freud a varié concernant l’angoisse de l’enfant et celle de l’adulte. Dans une première théorisation : Trois Essais sur la Théorie de la Sexualité (1905), Le petit Hans (1909), l’angoisse résulte du refoulement de la libido lorsqu’elle ne trouve pas l’objet de sa satisfaction : l’angoisse est donc secondaire et représente une imperfection, une scorie d’un mécanisme psychique (le refoulement) imparfait. Ainsi lorsque la mère est absente, la libido n’ayant plus d’objet de fixation doit être refoulée, ce qui provoque l’angoisse. Lorsque l’excitation sexuelle et le désir masturbatoire ne peuvent être maintenus à la conscience (Hans) la libido doit être refoulée et se transforme en angoisse. Cependant Freud est amené à remanier profondément cette théorie. Ce mouvement est concomitant du remaniement qui s’impose à lui à propos de la réalité d’un traumatisme sexuel dans l’enfance des patients, en particulier des hystériques : renonçant, non sans difficulté, à l’existence d’une scène réelle, il met en place l’hypothèse d’un fantasme de séduction dont les effets traumatiques sont tout aussi perturbants. Ces modifications le conduisent à repenser le statut de l’angoisse. Ainsi dans Inhibition, Symptôme et Angoisse (1926), c’est l’angoisse qui constitue un signal d’alarme et qui pousse le Moi de l’enfant à utiliser les divers mécanismes de défense à sa disposition pour lutter contre ce qu’il pressent comme un danger. Il importe de bien saisir ici qu’on est passé d’une compréhension réflexologiste de l’angoisse à une hypothèse métapsychologique, l’angoisse devenant le précurseur d’une élaboration fantasmatique secondaire. En fonction du stade maturatif de l’enfant, le niveau d’angoisse fantasmatique évolue comme l’a bien montré A. Freud, passant par exemple de l’angoisse de perte d’objet, à l’angoisse de perte d’amour de l’objet, puis à l’angoisse de castration (« Le Normal et le Pathologique »).

Pour M. Klein, le dualisme pulsionnel est constitutif de l’individu. Aussi le bébé, si jeune soit-il, doit faire face à l’antagonisme de ses pulsions agressives (qu’il projette) et de ses pulsions libidinales. Sans revenir ici sur ses principales élaborations théoriques (v. p. 18), nous dirons brièvement que les angoisses sont principalement persécutives à la phase schizoparanoïde : le bébé se défend de l’angoisse provoquée par ses pulsions agressives en projetant celles-ci sur les mauvais objets environnants (mauvais sein frustrant, puis mauvaise mère), en même temps que par clivage il protège l’image d’un bon sein gratifiant, puis d’une bonne mère. Ce clivage a toutefois pour conséquence de faire vivre le bébé, selon M. Klein, dans l’angoisse d’être « attaqué » par ce mauvais sein ou cette mauvaise mère (angoisse paranoïde). Un second palier est atteint lorsque se constituent les prémices de l’objet total où se trouve intériorisé la crainte de destruction du bon sein ou de la bonne mère. C’est alors que se déploient les angoisses dépressives, le bébé ayant le sentiment d’être mauvais envers des objets ou des personnes bonnes. Ce n’est que secondairement, passé le stade de la position dépressive, que par déplacement et condensation métonymique s’organisera l’angoisse de castration. À la lecture des œuvres de M. Klein, il est clair que l’angoisse est une donnée existentielle de base à laquelle nul enfant ne saurait échapper.

De nombreux auteurs se sont attachés à dater chronologiquement l’émergence de l’angoisse chez l’enfant, distinguant un avant et un après. Rank et le traumatisme de la naissance, prototype de toute angoisse ultérieure, Spitz et l’angoisse du visage de l’étranger, M. Malher et la phase de séparation-individuation en sont les exemples représentatifs.

Pour Spitz, le bébé ne connaît d’abord que des états de tensions physiologiques désagréables dans le premier semestre de sa vie. Au cours du second semestre, la reconnaissance progressive du visage maternel et la perception de son absence (peur du visage de l’étranger vers le huitième mois) constituent le second organisateur autour duquel l’élaboration psychique va se poursuivre. Nous reverrons ce point à propos des phobies.

Pour M. Malher, le point de départ est l’existence d’un état fusionnel entre mère et enfant totalement gratifiant d’où toute angoisse est exclue. L’angoisse apparaît aux premiers stades de la phase de séparation, à une époque où l’équipement maturatif de l’enfant a fait des progrès tels que, tant chez la mère que chez l’enfant, le fantasme d’une parfaite symbiose ne peut plus être maintenu. L’angoisse de séparation émerge alors autour de laquelle s’organiseront les étapes ultérieures.

Dans une perspective légèrement differente, Sandler et Joffe distinguent pour leur part deux états affectifs de base, l’un qui serait de souffrance (quasi physiologique) lorsque l’objet de la relation fusionnelle vient à manquer à l’époque où il est encore nécessaire, l’autre, véritable affect dépressif, qui apparaît dans un second temps, et se traduit par la nostalgie et la souffrance psychique secondaire à l’absence de l’objet, mais à une période plus tardive.

Bowlby considère que le besoin d’attachement du nourrisson à sa mère est un besoin primaire dont la non-satisfaction provoque l’apparition d’une « angoisse primaire ». Cette angoisse est toutefois comprise au début comme la résultante d’une impossibilité pour l’enfant à trouver son objet d’attachement normal. La réalité de l’absence directement inspirée des études éthologiques est plus importante ici que dans les travaux de Spitz où le décalage par rapport à un visage connu (celui de la mère) joue le rôle essentiel.

Sans prétendre épuiser la question de l’angoisse chez l’enfant et de ses origines, nous terminerons en évoquant Winnicott. Cet auteur reprend en partie les théories kleiniennes mais en y incluant la relation maternelle. La sollicitude maternelle primaire permet au nourrisson une gratification quasi complète de tous ses besoins. Les petites inadéquations progressives et inévitables entre mère et enfant vont peu à peu conduire le bébé à renoncer à ce sentiment illusoire de complétude et d’omnipotence, puis introduire la sensation d’un manque, source d’angoisse. Selon que la mère maintient ou non cet état de manque dans des limites acceptables ou non par l’enfant dépendra l’évolution maturative de ce dernier, et l’établissement d’une assurance suffisante ou, au contraire, l’apparition d’angoisse que Winnicott dans ses derniers travaux nommera la « crainte de l’effondrement », contre laquelle les défenses psychiques et somatiques sont élevées (v. p. 24).

Par ce très bref rappel théorique, notre propos a été surtout de montrer que tous les auteurs qui se sont penchés sur les premiers stades évolutifs de l’enfant ont nécessairement abordé le problème de l’émergence de l’angoisse, et que se trouvent indissolublement liées ici l’observation de l’enfant, les hypothèses théoriques qui sous-tendent cette observation, la clinique pédopsychiatrique, et l’enfance normale. Ceci nous ramène au problème de la nature normale ou pathologique de l’angoisse. C’est une question qui ne peut jamais être tranchée dans l’instantané d’une observation clinique, mais qui nécessite constamment une perspective dynamique. Comme le dit A. Freud : « ce nest pas la présence ou l’absence d’angoisse, sa qualité ou même sa quantité qui permet de prédire l’équilibre psychique ultérieur, ou la maladie. Ce qui est significatif à cet égard, cest seulement la capacité du Moi de maîtriser l’angoisse ».

B. – Conduites phobiques de l’enfant

Les phobies sont des craintes non justifiées d’un objet ou d’une situation, dont la confrontation est pour le sujet source d’une réaction intense d’angoisse. Par rapport à la phobie, le sujet, adulte ou enfant, tend à utiliser une stratégie défensive, toujours identique ou variable dans laquelle on peut décrire les conduites d’évitement, l’utilisation d’un objet contraphobique ou la technique de la plongée en avant (immersion chez les comportementalistes, apprentissage pour les réflexologistes).

La distinction est loin d’être aisée entre peur et phobie, distinction où interviennent le stade de maturation du Moi, mais aussi l’expérience vécue, l’éducation, les capacités d’apprentissage : de l’ensemble de ces facteurs résulte l’élaboration fantasmatique qui organise la peur ou la phobie. Comme pour l’angoisse, il nous paraît artificiel et trop didactique de distinguer des « peurs ou phobies normales » et des « peurs et phobies pathologiques ». Seule l’évaluation économique et dynamique peut donner des éléments de réponse, et non pas un simple repérage sémiologique.

1°) Les peurs

Toutefois les peurs constituent de par leur fréquence un événement quasi constant au cours de la croissance : peur du noir, peur des petits animaux, peur des animaux qui mordent (le loup), peur des étrangers, peur des fantômes ou des ogres (condensation de la peur du loup et de l’étranger). À partir de huit ans environ, la crainte existentielle, la peur de la mort apparaît, parfois directement exprimée ou sous forme de crainte hypocondriaque (v. p. 300). Dans ces réactions de peur, plusieurs facteurs interviennent :

— l’émergence du sentiment d’individualité, d’un soi qu’il faut préserver : ceci s’observe a contrario chez certains enfants psychotiques qui paraissent n’avoir conscience d’aucune limite d’eux-mêmes, et se mettent ainsi dans des situations périlleuses de façon répétitive ;

— le climat familial : la peur des animaux (les chiens) peut être induite autant par une pusillanimité excessive des parents, terrorisés chaque fois que l’enfant s’approche d’un animal, que par une non-perception de la légitime inquiétude de l’enfant. Les parents veulent alors absolument le forcer ; ils augmentent sa peur et son angoisse en le confrontant à l’objet redouté. La peur de l’eau en est un autre exemple :

— l’apprentissage enfin joue un rôle non négligeable, prévalent même pour les théoriciens du comportement, en modulant plus ou moins l’état affectif qui a accompagné une première expérience vécue. La répétition de cette première expérience spontanée et active par l’enfant, ou contrainte et imposée par l’entourage, dégagée de son climat d’anxiété initiale ou majorée par la surcharge anxieuse de l’entourage, va peu à peu y lier ou délier une angoisse enclenchant un mécanisme de peur puis de phobie, ou au contraire une attitude adaptée et propice à la maturation. La phobie se constitue lorsque la peur envahit le Moi de l’enfant, et entrave ses capacités adaptatives et/ou évolutives. Toutefois, il convient de distinguer clairement les phobies dites archaïques ou prégénitales, des phobies de la période oedipienne : si le symptôme apparent est le même, le stade de muturation du Moi, les moyens de défense dont il dispose, la relation de dépendance à l’entourage sont tellement différents que les conséquences dynamiques de ces deux types de phobies sont totalement opposées.

2°) Phobies archaïques prégénitales

Il s’agit des peurs ou angoisses les plus précoces dont l’exemple le plus typique est l’angoisse du visage de l’étranger vers le huitième mois. Entre 6 mois et 18 mois, surviennent classiquement ces peurs du noir ou de l’inconnu. Spitz considère que cette réaction témoigne de la reconnaissance et de l’individualisation du visage de la mère par rapport aux autres visages humains, ce qui l’oppose au stade du sourire (2-3 mois) où le nourrisson perçoit un visage humain, non son individualité, puisqu’il sourit indistinctement à tout visage. Sur le plan théorique, on peut donc selon Spitz en inférer que le nourrisson perçoit l’absence, le manque, source de malaise, d’angoisse puis de peur.

Concernant ces phobies dites archaïques, nous remarquerons que seule la présence de la mère peut rassurer l’enfant, du moins avant qu’il atteigne la phase de prostration. Il n’y a ici aucun travail psychique d’élaboration symbolique : l’étranger est dangereux parce qu’il n’est pas la mère. La réalité devient dangereuse et persécutive dans une équivalence directe à peine symbolisée. Si on devait distinguer les phobies prégénitales des phobies dites oedipiennes, il serait à notre sens souhaitable d’insister sur cette équivalence symbolique directe dans les premières (bien mise en évidence dans les travaux de M Klein et repris dans ceux de Lacan), tandis que dans les secondes, c’est à un travail psychique de déplacement symbolique qu’on assiste.

Les phobies dites archaïques correspondent ainsi à l’incapacité du nourrisson d’élaborer mentalement l’angoisse. Les réactions de détresse et d’hospitalisme (v. p. 382) pouvant mettre sa vie en danger montrent combien le nourrisson n’a pas encore l’équipement maturatif nécessaire pour symboliser cette angoisse. On retrouve chez certains enfants psychotiques des phobies archaïques de ce style : la massivité de l’angoisse, la sidération habituelle de l’ensemble des capacités d’élaboration mentale, l’absence de contre-investissements efficaces (évitement, objets contraphobiques), la fréquence de la décharge motrice (grande crise d’agitation, d’automutilation ou de colère) comme seule issue possible à l’angoisse. Tous ces éléments caractérisent les phobies de type psychotique.

3°) Phobies de la période œdipienne

Il n’y a bien évidemment aucune rupture brutale, ni temporelle, ni structurelle entre ces deux types de phobies. Toutefois, l’apparition des peurs de la seconde enfance (entre 2-3 ans et 6-7 ans) semble correspondre à d’autres mécanismes mentaux. À cet âge, la nature des objets et situations phobiques est quasi infinie : animaux (souris, rat, araignée, serpent, loup…) ; éléments naturels (eau, orage, tonnerre, éclairs), paysage urbain (ascenseur, grue, voiture ou camion) ; personnages (étranger, barbus, médecin) ; personnages mythiques (monstre, fantôme, ogre) ; situation (solitude ou agoraphobie, le noir, une pièce de l’appartement, le couloir, les hauteurs ou le vide) ; la crainte de maladie (peur de la saleté, des microbes souvent précurseur de rituels obsessionnels) ; l’école enfin (nous étudierons l’ensemble des phobies scolaires au chapitre consacré à l’école).

4°) Fonctions psychopathologiques

Cette énumération pourrait se poursuivre, mais ne doit pas faire oublier l’élément d’évaluation essentielle selon nous : le poids de l’investissement économique de l’objet ou de la situation phobique. Aussi, tous les intermédiaires existent entre l’enfant qui, la nuit, traverse en courant le couloir pour aller faire pipi au w.-c., avec un léger pincement de cœur, et celui qui hurle dans sa chambre, paralysé entre sa crainte d’uriner au lit, et sa terreur de devoir traverser ce même couloir. Dans le second cas, la réaction de la famille peut être déterminante en contraignant l’enfant (soit à cause de la propre attitude phobique des parents, soit par réaction teintée d’agressivité sadique), ce qui risque d’aboutir à une extension de l’angoisse phobique.

L’exemple le plus célèbre de la littérature pédopsychiatrique concernant les phobies œdipiennes est bien sûr « le petit Hans », cas rapporté par S. Freud en 1909 sur lequel il reviendra souvent : Hans vers 5 ans 1/2 se met à avoir peur de sortir dans la rue car il craint d’être mordu par un cheval. Au cours de l’analyse, il apparaît que cette peur du cheval est un déplacement de la peur du père et de la punition que celui-ci pourrait lui infliger en raison des désirs tendres qu’il ressent pour sa mère. Cette crainte d’être mordu se transforme secondairement en peur de voir les chevaux tomber, c’est-à-dire en une représentation substitutive de l’agressivité à l’égard du père. De même la peur de voir l’attelage lourdement chargé (la charrette) sortir du garage est le déplacement symbolique en son contraire du plaisir pris à exonérer avec la mère dans les w.-c., plaisir d’autant plus coupable qu’une petite sœur est née récemment. Dans ce très bref résumé, qui ne remplace en rien la lecture du texte, on voit clairement le travail psychique répété du déplacement symbolique et d’encastrement successif aboutissant à la surdétermination du symptôme. Il ne faut pas oublier les bénéfices secondaires de la phobie : rester à la maison près de sa mère, pouvoir maintenir la relation avec le père et même susciter son intérêt.

Ces opérations mentales : refoulement puis déplacement, surdétermination, contre-investissement et possibilité de bénéfice secondaire, témoignent d’une part de la mise en place des principales instances psychiques (Moi et Surmoi en particulier), d’autre part de leur relative efficacité à lier l’angoisse à des représentations symboliques, enfin de la possibilité de maintenir un cadre maturatif et évolutif. On le voit, ces éléments distinguent nettement les phobies dites œdipiennes des phobies archaïques.

5°) Évolution des phobies

Dans la majorité des cas, les phobies s’atténuent vers 7-8 ans, voire disparaissent du moins en apparence. Quelques enfants, en dehors des cas de psychose, conservent des conduites phobiques relativement fixées jusqu’à l’adolescence et au-delà. Il paraît indiscutable que l’attitude de l’entourage joue un rôle prépondérant dans la fixation ou non de ces conduites. L’un des parents est souvent phobique lui-même. Par sa compréhension excessive ou son attitude provocatrice, il semble organiser la conduite pathologique de l’enfant. Ceci apparaît de façon assez caricaturale dans la relation mère-fille phobique. Signalons également le cas des phobies de l’école dont certaines paraissent quasi immuables (v. p. 423).

C. – Conduites obsessionnelles de l’enfant

1°) Définition

L’obsession est une idée qui assiège (obsidere = assiéger) le patient avec un sentiment de malaise anxieux, dont il ne peut se défaire. On décrit aussi des rituels ou des compulsions à agir (rite du lavage, de vérification, de toucher, etc.) contre lesquels le patient lutte plus ou moins avec angoisse. Cette définition qui concerne aussi bien l’enfant que l’adulte met en évidence les deux versants des conduites obsessionnelles, mentalisées (obsessions) ou agies (rituels, compulsions). Cependant il est difficile de distinguer clairement chez l’enfant le rituel marqué par la répétition d’un même comportement ou ensemble de comportements (dont le type même est le rituel de vérification : du contenu du cartable, des objets nécessaires à l’endormissement, etc.) et la compulsion dominée par un sentiment de contrainte parfois précédée d’une lutte anxieuse. De nombreux rituels apparaissent chez l’enfant comme syntone au Moi (contrairement à la phobie), sans lutte anxieuse, du moins au début. Il existe ainsi une véritable ligne génétique allant de la simple répétition, à la ritualisation, au rituel, à la compulsion, jusqu’à la stéréotypie.

Si chez l’enfant l’existence de rituels est fréquente, les véritables, pensées obsédantes sont plus rares. Toutefois, l’anamnèse des patients obsessionnels adultes révèle que 20 % d’entre eux ont commencé à avoir des idées obsédantes vers 15 ans, et 50 à 60 % avant 20 ans (Freedman). En revanche, il est rare d’évoquer de véritables symptômes obsessionnels avant 10 ou 12 ans environ, c’est-à-dire au décours de la période de latence. Les parents présentent fréquemment des traits obsessionnels ou un caractère obsessionnel marqué (rigueur, ordre, méticulosité, propreté, etc.). Quelques-uns sont psychotiques (Freedman).

2°) Rituels obsessionnels

Ils représentent le premier stade génétique d’apparition des conduites obsessionnelles. Il existe un lien direct entre les premières interactions du bébé avec son entourage, la répétition et l’apprentissage qui en résultent pour aller jusqu’au rituel lui-même. La « réaction circulaire » de Piaget peut être comprise comme l’ébauche d’une ritualisation. Le jeu de la bobine décrit par Freud nécessite la répétitivité du rejet (for) et de la récupération (da).

A. Freud a bien montré que le stade anal avec l’investissement de la maîtrise, du contrôle, de la propreté, de la rétention, toutes conduites qui traduisent fréquemment le contre-investissement du désir de salir (le jeu dans la gadoue), de se souiller (les fréquentes échappées encoprétiques transitoires), de détruire, représente en réalité une phase obsessionnelle transitoire et banale. Les exigences familiales ne vont pas sans influencer les exigences pulsionnelles internes : se laver les mains, bien se tenir, ne pas prononcer de « gros mots », ou, à l’opposé, laisser s’exprimer la crudité du langage et du comportement. Cette attitude éducative module la période anale, source de possible fixation ultérieure. Au décours de la phase anale et lors de la période oedipienne, si la conduite phobique est la plus fréquente, la tentative de maîtrise de l’angoisse par la ritualisation, est, en fréquence, la seconde issue choisie par l’enfant. Les rituels du coucher en sont un exemple : rite de rangement des pantoufles, d’arrangement de l’oreiller, histoire à raconter… Là encore, comme pour les phobies, la réponse de l’entourage peut orienter cette conduite dans un registre pathologique lorsqu’on ne permet pas à l’enfant de calmer son angoisse. À l’opposé, raconter l’histoire, placer les chaussons à leur place, rassure l’enfant qui désinvestira peu à peu ce comportement à mesure que la maturité du Moi lui fournira d’autres systèmes défensifs.

Les rituels représentent donc des conduites banales, souvent associées aux phobies ou y succédant. Comme elles, ils disparaissent habituellement vers 7-8 ans. Chez certains enfants persistent des rituels particuliers qui s’organisent le plus souvent autour de la propreté : lavage des mains, des verres, besoins répétitifs et conjuratoires de toucher auxquels s’associent alors des pensées obsédantes et conjuratoires, rites de vérifications divers (gaz, porte, électricité…). On observe ces conduites chez les enfants plus âgés, autour de la période de latence. Pour un certain nombre d’entre eux, ces conduites ritualisées s’intégrent dans un environnement familial très obsessionnalisé où elles sont souvent tolérées sans problème, sinon même favorisées. Il est rare, dans ce cas, qu’elles suscitent gêne et tension chez l’enfant. Elles s’accompagnent alors d’un ensemble de traits de comportement fortement évocateurs d’une organisation obsessionnelle.

Dans d’autre cas, les rituels obsessionnels paraissent représenter des tentatives plus ou moins désespérées de contention des pulsions vécues comme dangereuses et destructrices. La signification de ces rituels semble être avant tout de maintenir un environnement identique et invariable, et d’assurer cette immobilité. On est proche ici d’orgnisations psychotiques où les conduites ritualisées sont fréquentes (v. p. 270).

Signalons enfin que certaines conduites motrices particulières telles que les tics ont été assimilées aux symptômes obsessionnels. Sans aller jusqu’à une telle équivalence (tic = névrose obsessionnelle comportementale), l’association de tics et de traits de comportement obsessionnels est une observation fréquente, surtout lorsqu’une lutte anxieuse précède la décharge motrice.

3°) Les idées obsédantes

On les rencontre chez le préadolescent ou l’adolescent. Il s’agit parfois de pensées conjuratoires ou de véritables idées obsédantes. Mais plus souvent ces adolescents présentent un investissement obsessionnel de la pensée avec doute, rumination, pensée répétitive sur la mort, sur des thèmes métaphysiques ou religieux.

4°) Étude psychopathologique des conduites obsessionnelles

De même que nous avons distingué les phobies archaïques des phobies œdipiennes, il importe de distinguer le niveau économique et dynamique auquel se situe les conduites obsessionnelles observées chez un enfant.

S. Freud puis A. Freud ont bien montré qu’une des sources de l’organisation obsessionnelle est représentée par une maturité du moi en avance sur ses besoins pulsionnels que ce moi reprouve : il utilise alors des mécanismes de contrôle et d’isolation caractéristiques auxquels s’ajoute le mécanisme d’annulation. Cette situation est particulièrement fréquente en période de latence où le Moi connaît une poussée maturative considérable en même temps qu’il se plie aux exigences de la socialisation, tandis que les exigences pulsionnelles internes sont moins intenses. C’est pourquoi de petits traits obsessionnels sont fréquents chez l’enfant à cet âge (rangement du cartable, collections diverses, accumulation d’objets divers…), tous fréquemment associés d’ailleurs avec des traces de rejetons pulsionnels opposés (fouillis, refus de se laver…) ; tout cela montre que les traits obsessionnels ne compromettent pas l’évolution maturative normale. Sur cette lignée évolutive où les traits obsessionnels, voire les petits rituels sont quasi normaux, peut venir se greffer une fonction défensive névrotique surinvestissant secondairement ces conduites (Widlocher) et les fixant.

Très différentes économiquement sont les conduites obsessionnelles qui paraissent pour l’enfant le seul moyen d’assurer la permanence, la cohérence d’un environnement et d’un sentiment d’individualité toujours prêt à voler en éclat. Dans ces cas, comme pour les phobies, la massivité des conduites obsessionnelles, leur caractère désadapté, surtout la désadaptation croissante qu’elles provoquent par rapport à la maturation, le manque de contre-investissement positif, témoignent de l’organisation prégénitale sous-jacente (v. les chapitres sur les psychoses et les états prépsychotiques).

D. – Conduites hystériques de l’enfant

Parce que la terminologie clinique prête encore plus à confusion que pour les phobies et les obsessions, il convient, parlant de l’hystérie, de distinguer clairement les symptômes hystériques (conversions, crises, fugues ou état crépusculaire, etc.) des traits de personnalité dite hystérique dont la délimitation chez l’enfant, la fillette en particulier, est pour le moins imprécise. Après une brève introduction d’épidémiologie, nous étudierons donc les principaux symptômes, puis le problème des traits de personnalité dite hystérique.

1°) Généralité : Épidémiologie

Si l’on excepte l’adolescence, les symptômes hystériques sont rares chez l’enfant, de l’ordre de quelques cas par an dans les services hospitaliers. Chez l’enfant de moins de 10 ans, il ne semble pas y avoir une prévalence certaine pour un sexe. La fréquence augmente à partir de 11-12 ans, en particulier chez la fille. À partir de 14-15 ans, on peut rencontrer des symptomatologies hystériques proches de celles observées chez l’adulte. Plusieurs observations classiques ont fait état d’« épidémie » de manifestations hystériques dans des classes ou des internats. De telles observations deviennent plus rares.

2°) Symptômes hystériques

Les conversions représentent les symptômes typiques de la pathologie adulte. Rares chez l’enfant, lorsqu’elles existent il s’agit toujours de conversions touchant l’appareil locomoteur, en particulier la marche : boiterie, attitude ébrieuse, incapacité de marcher. Le handicap est toujours grossier, peut céder quand l’enfant est couché ou n’est pas observé. Les troubles de la sensibilité sont rares, voire inexistants. Les autres symptômes durables décrits chez l’enfant sont représentés par l’hypoacousie, l’amaurose ou la cécité, l’aphonie ou le mutisme. Le plus souvent on les observe chez des enfants plus grands ou les adolescents.

Un élément paraît d’autant plus important que l’enfant est plus jeune : on retrouve de façon quasi constante un symptôme moteur identique dans le proche entourage : boiterie d’un parent, hémiplégie récente d’un grand-parent, accident avec handicap moteur d’un oncle… Si l’interrogatoire familial ne retrouve pas un tel contexte, si le symptôme paraît bizarre ou fluctuant, s’il n’est pas massif et fortement évocateur, s’il s’accompagne de petits troubles de la sensibilité ou d’autres signes généraux, nous ne saurions trop recommander la plus extrême prudence au clinicien avant de centrer son attention sur les « bénéfices secondaires » du symptôme. Tout enfant malade tire des bénéfices d’une maladie qui induit toujours, pour peu qu’elle se

prolonge, d’importants réaménagements familiaux. Le diagnostic de conversion hystérique du petit enfant (moins de 10-11 ans) ne doit être accepté qu’après un bilan somatique avisé.

3°) Manifestations aiguës

Elles sont variables et plus fréquentes que les conversions, mais leur délimitation sémiologique dépend en partie de la rigueur ou de la facilité avec laquelle on évoque l’hystérie : les crises d’agitation, sans atteindre la grande crise en opisthotonos, les crises de tétanie normocalcémiques, les fugues, les états dits crépusculaires, le somnambulisme, les amnésies d’identité ou les dédoublements de personnalité sont tour à tour rattachés, parfois sans rigueur et par simple analogie avec la clinique adulte, à l’hystérie. Là encore de tels diagnostics doivent être acceptés avec réserve.

4°) Traits de personnalité hystérique

L’adulte hystérique est souvent traité d’infantile. Est-ce à dire que l’enfant est par nature hystérique ? Si l’on veut dire par là que l’enfant a besoin d’être aimé, besoin d’être regardé, besoin d’être objet d’admiration, qu’il aime se mettre en scène ou faire le pitre, qu’il passe vite des rires aux larmes, qu’il sait être tyrannique et exigeant, effectivement tout enfant entre 3 et 5 ou 6 ans est hystérique. Mais il y a là une confusion entre la structure psychopathologique de l’hystérie, une sémiologie purement descriptive de l’adulte, et enfin une méconnaissance de la position réelle de l’enfant dont le narcissisme ne peut se nourrir au départ que du narcissisme parental.

Ainsi ce qu’on nomme la labilité affective, l’égocentrisme, le théâtralisme, le besoin d’être aimé, ne saurait avoir la même signification chez l’adulte que chez l’enfant. Il conviendrait d’ailleurs de distinguer plus rigoureusement chez l’adulte, névrose hystérique, personnalité infantile et organisation narcissique et d’en différencier clairement le narcissisme normal du petit enfant. Toutefois, en dehors de ces traits de personnalité, certains auteurs ont voulu voir dans la tendance à la simulation, au mensonge et à la mythomanie, dans la rêverie fabulante pouvant aller jusqu’au délire imaginatif de Dupré, des signes précurseurs d’une organisation hystérique, ce que l’évolution ultérieure de ces enfants est loin de confirmer.

Dans ces conditions, comme le signale Lebovici, le diagnostic d’hystérie chez un enfant, traduit plus souvent une contre-attitude agressive d’un adulte, qu’une réalité clinique.

5°) Hypothèses psychopathologiques

Freud a émis l’hypothèse que la prédisposition à la névrose obsessionnelle reposait sur une avance de développement du moi face à des pulsions libidinales inacceptables et inacceptées, ce qui déclenche leurs régressions. La même hypothèse inverse a été avancée pour une prédisposition à l’hystérie : il y aurait des pulsions libidinales trop intenses face à un moi encore immature, incapable ni de les contrôler, ni de les canaliser, de telle sorte que l’ensemble du corps et des conduites de l’enfant sont saturés d’investissements libidinaux.

Cette hypothèse se trouvait renforcée par les descriptions que les hystériques adultes font de leurs parents : ce père volontiers séducteur et dangereux, tenu à distance par une mère agressive et sévère, avec des souvenirs d’une sexualité infantile souvent exacerbée. Si dans la clinique on observe des enfants dont le vécu pulsionnel paraît proche, qui s’excitent avec une extrême facilité, dont la jouisance masturbatoire paraît intense (on évoque d’ailleurs plus dans ce cas une fillette hystérique et un garçon caractériel), il est rare que de tels enfants présentent une symptomatologie hystérique et il est rare que leurs parents offrent le profil décrit ci-dessus. En réalité, comme le souligne Lébovici, il semble que la mise en place du noyau hystérique faisant le lit d’une névrose hystérique de l’adulte s’organise dans l’après-coup de la phase de latence et corresponde à la névrose infantile en tant que modèle et non comme réalité clinique (v. p. 318). C’est le travail de réélaboration mentale, la reconstruction fantasmatique du passé qui donne une signification hystérique aux relations de l’enfant à ses images parentales. En ce sens « l’hystérie dans les formes classiques n’appartient pas à la pathologie de l’enfant. L’adolescent la construit et la révèle après coup ».

Comment comprendre dans ces conditions les rares conversions de l’enfant jeune ? Pour notre part, il nous semble que la relation réelle à l’entourage joue un rôle primordial, le corps de l’enfant étant certes sa propriété, mais appartenant aussi à la mère. D’ailleurs la distinction entre symptôme psychosomatique, plainte hypocondriaque et conversion hystérique est le plus souvent incertaine chez l’enfant. L’exemple de la céphalée est à cet égard typique. La complaisance familiale à l’égard du corps de l’enfant est toujours grande, l’anxiété vite excessive, les bénéfices dits secondaires trop massifs : tout cela ne correspond pas au travail de déplacement et de symbolisation observé dans la clinique adulte. L’évolution vers de graves organisations hypocondriaques ultérieures représente en réalité une issue plus fréquente chez les enfants qui présentent précocement cette symptomatologie d’allure hystérique que la constitution à l’âge adulte d’une névrose hystérique.

E. – L’inhibition

Bien que, par définition, elle ne fasse pas parler d’elle, l’inhibition est cependant un des symptômes les plus souvent rencontrés dans le cadre d’une consultation médicopsychologique. L’inhibition scolaire en particulier, représente un des motifs les plus fréquents de consultation d’un enfant entre 8 et 12 ans. L’inhibition peut toucher tous les secteurs de la vie de l’enfant, aussi bien les conduites socialisées que les conduites mentalisées.

1°) Inhibition des conduites externes et socialisées

Tous les degrés d’inhibition peuvent se voir dans le comportement. Il y a ainsi des enfants toujours calmes, facilement soumis, ne faisant jamais parler d’eux, qu’on qualifie volontiers de trop sages, mais qui conservent cependant une possibilité de contact avec les autres enfants : ils jouent ou travaillent avec plaisir.

On peut rencontrer des inhibitions plus importantes : enfants toujours isolés, n’osant pas, malgré leur désir parfois avoué, s’approcher des autres aussi bien des adultes que des enfants ; ils ne jouent pas dans la cour de l’école, restent chez eux pendant les jours de congé, refusent les activités de groupe. Leur attitude est parfois contrastée avec leur propre entourage (parent ou fratrie) où ils peuvent dans un cadre protégé se montrer autoritaires et dominateurs. Au maximum se trouve réalisé le tableau du mutisme extrafamilial (v. p. 118). Dans la majorité des cas la famille parle de timidité qui, lorsqu’elle devient trop importante, peut entraver les processus de socialisation de l’enfant.

L’inhibition peut toucher aussi le corps de l’enfant : peu mobile, peu actif, la mimique pauvre. Au maximum il s’agit de maladresse gestuelle, voire de véritables dyspraxies (v. p. 95) qui ne font qu’aggraver le cercle vicieux de la timidité.

2°) Inhibition des conduites mentalisées

L’inhibition porte ici soit sur l’organisation fantasmatique elle-même, soit sur le fonctionnement intellectuel. L’inhibition à rêver, imaginer, fantasmer est assez fréquente, même si elle ne représente pas un motif fréquent de consultation. Elle s’accompagne habituellement de petits traits obsessionnels. Il s’agit d’enfants jouant peu, ou alors à des jeux très conformistes, préférant recopier des dessins plutôt que d’en inventer, raturant et gommant beaucoup avec un graphisme mal assuré, parfois même tremblant, aimant les activités de manipulation qui ont toujours un aspect répétitif. Cette inhibition à fantasmer peut paradoxalement faciliter l’insertion sociale grâce à une attitude conformiste. Au maximum on peut décrire le tableau de la niaiserie névrotique, enfants qui paraissent, malgré leurs bons résultats scolaires, « bêtasses », ne comprenant pas la plaisanterie, facilement exploités par les autres.

L’inhibition intellectuelle, contrairement à la précédente, gêne l’école et les parents qui consultent. L’échec scolaire grave est rare en réalité, car les enfants se maintiennent juste à la limite. Ils paraissent entravés dans leur capacité de penser, toujour en retrait, interviennent peu dans les activités scolaires, craignent d’être interrogés. Confrontés à une question surtout si elle est orale, mais parfois aussi écrite, ces enfants expriment leur crainte extrême de se tromper, crainte qui peut aller jusqu’à un sentiment de « blanc » ou de « vide » dans la tête, illustration caricaturale du refoulement massif. Parfois on note un échec scolaire en secteur (orthographe ou calcul, ou langue vivante, etc.). Malgré un niveau intellectuel satisfaisant, ces enfants ont une allure de pseudo débilité névrotique qui représente dans la sphère cognitive l’équivalent du tableau de la niaiserie dans la sphère affective. Si dans la scolarité primaire, l’enfant ne rencontre habituellement pas de difficulté majeure, arrivé dans le secondaire, cette inhibition peut aboutir à un échec scolaire au moment où il est demandé une participation plus active et plus personnelle à l’enfant. Un nombre important de difficultés scolaires en 6e et 5e s’expliquent de cette sorte.

Certaines inhibitions s’accompagnent toutefois d’une diminution plus ou moins importante de l’efficience intellectuelle objectivable aux tests intellectuels. Nous renvoyons sur ce point le lecteur au chapitre consacré à la psychopathologie des fonctions intellectuelles (v. p. 165).

3°) Psychopathologie de l’inhibition

Dans Inhibition, Symptôme et Angoisse, S. Freud montre que l’inhibition est l’expression d’une limitation fonctionnelle du Moi dont le but est d’éviter un conflit avec le Ça, c’est-à-dire d’éviter la confrontation aux pulsions libidinales ou agressives. Le symptôme, en revanche, représente un compromis qui permet une satisfaction pulsionnelle au moins partielle. D’un point de vue économique et dynamique, l’inhibition se place donc en deçà du symptôme. C’est d’ailleurs une constatation clinique et psychothérapeutique fréquente : l’inhibition, lorsqu’elle s’atténue, laisse transparaître d’autres conduites symptomatiques phobiques, obsessionnelles ou agressives par exemple. Chez un grand nombre d’enfants inhibés, une expression fantasmatique parfois très riche succède à la phase d’inhibition du début de la thérapie, accompagnée ou non de changements de comportement : enfant qui devient turbulent ou agressif, qui n’a plus la sagesse ancienne. On comprend la nécessité d’une étroite collaboration avec les parents pour qu’ils accèdent à une compréhension positive de ces changements.

D’une manière générale les pulsions libidinales mais surtout agressives sont souvent vives et vécues comme angoissantes et source de culpabilité par l’enfant inhibé. Le refoulement massif de ces pulsions représente la seule possibilité, en raison d’un Moi trop fragile ou de contraintes éducatives et parentales trop rigoureuses. Lorsque l’inhibition domine dans son versant socialisé, les tests projectifs peuvent révéler directement la richesse et l’intensité pulsionnelle sous-jacente. L’abord thérapeutique est en général assez facile.

Lorsque l’inhibition envahit les conduites mentalisées elles-mêmes, les tests s’avèrent en général pauvres, purement adaptatifs, ne faisant qu’objectiver un refoulement massif portant sur l’ensemble du psychisme. S’il n’existe pas dans un secteur un retour du refoulé sous forme d’un symptôme, l’abord thérapeutique est très difficile car l’enfant nie toute difficulté : il s’adapte de façon conformiste et soumise, tant à l’école qu’à sa psychothérapie.

Dans certains cas, l’inhibition paraît tellement massive, semble entraver à un point tel les capacités d’autonomisation de l’enfant, qu’une pathologie plus lourde, de type psychotique n’est pas à exclure : c’est ce qu’on observe dans certains mutismes extrafamiliaux graves et prolongés.

II. – La névrose chez l’enfant

Dans la première partie de ce chapitre, nous avons évité le terme de névrose, nous limitant de façon intentionnelle à l’étude des conduites névrotiques. L’existence d’une névrose en tant qu’organisation structurée chez l’enfant n’a pas toujours été acceptée sans réserve, et reste d’ailleurs une question débattue : pour certains, on ne peut parler de névrose sans intériorisations suffisantes des relations d’objet et surtout une différenciation topique entre les instances surmoïque et moïque qui permettent l’aménagement d’un conflit dit névrotique (stade phallique-œdipien). Pour de nombreux auteurs, ces conditions excluent du champ des névroses la pathologie du petit enfant (avant 4-5 ans) et expliquent aussi la fluidité de la symptomatologie en fonction de la maturation de l’enfant. Au cours de la croissance, en effet, les capacités adaptatives du Moi de l’enfant, les pulsions auxquelles il doit faire face, l’intériorisation de la loi parentale, d’abord personnalisée puis de plus en plus abstraite et socialisée, sont à l’origine d’un équilibre sans cesse rompu et retrouvé sur de nouvelles bases. Ces réaménagements dynamiques et économiques permanents rendent compte de la variabilité sémiologique. Ainsi, contrairement à l’adulte, il n’existe pas chez l’enfant, sauf exception, une névrose phobique, hystérique ou obsessionnelle qui témoignerait de modes d’interactions relativement stabilisés. Les organisations névrotiques de l’enfant, dans la mesure où elles existent, doivent par conséquent répondre à deux critères :

— une variabilité sémiologique dans le temps conjointe aux réaménagements pulsionnels caractéristiques de chaque stade maturatif ;

— le maintien dans un cadre de développement grossièrement satisfaisant.

Ces critères avaient été parfaitement exposés par A. Freud dès 1945 dans Le traitement psychanalytique des enfants. Pour rester au plus près de la clinique, cette variabilité nous impose une étude diachronique des névroses de l’enfant et non un abord structurel.

A. – Aspects cliniques de la névrose de l’enfant selon l’âge

1°) À la période œdipienne (5-7 ans)

Quelques enfants paraissent brutalement figés dans une émergence symptomatique bruyante. Nous ne rappellerons pas ici le cas du petit Hans, sinon pour montrer la prévalence des conduites phobiques à cet âge. Il n’est pas rare que d’autres manifestations, troubles du sommeil, difficultés alimentaires, instabilité s’y associent. L’apparition de rituels marque une étape évolutive, et témoigne des tentatives de contrôle par le Moi de l’enfant. L’élément essentiel d’évaluation est représenté par la possibilité ou non d’élaboration secondaire de l’angoisse : les symptômes ont-ils une capacité de liaison suffisante pour permettre la poursuite du développement ? Dans le cas contraire, malgré la multiplicité des symptômes, l’angoisse de l’enfant toujours plus vive aboutit à un retour à des positions prégénitales (voir organisation prépsychotique) et risque d’entrainer une fixation symptomatique.

La majorité de ces états aigus évolue vers une diminution progressive des conduites les plus bruyantes (en particulier phobiques) ; souvent persistent à partir de 7-8 ans quelques traits obsessionnels et ce qu’on appelle un « terrain anxieux ».

2°) À la période de latence (8-12 ans)

Deux types d’organisation se rencontrent de façon privilégiée. Sans revenir sur les remaniements propres à cette période, nous rappellerons simplement qu’elle se caractérise par un repli pulsionnel (souvent très relatif) en même temps que le Moi de l’enfant se tourne de façon privilégiée vers les investissements externes et socialisés. Les deux versants névrotiques en concordance avec le stade maturatif sont donc représentés soit par l’inhibition qui traduit, comme nous l’avons vu, le renoncement partiel d’un Moi encore adapté face à ses pulsions, soit par les conduites obsessionnelles qui illustrent la tentative de domination de ce Moi.

Comme le souligne Lébovici la vraie névrose de l’enfant en période de latence est ainsi illustrée par l’inhibition, en particulier intellectuelle. Il est fréquent que cette inhibition s’accompagne de discrets symptômes, non pas dans le champ des conduites mentalisées mais dans le domaine du comportement, ou d’un échec scolaire. La dimension de souffrance névrotique est en général totalement ignorée par l’enfant et projetée sur l’extérieur ce qui protège les possibilités adaptatives de son Moi.

L’autre type de configuration névrotique se caractérise par la prévalence des conduites obsessionnelles. Habituellement, il s’agit de petits rituels persistants et de traits de caractère là encore parfaitement syntone au Moi de l’enfant. Dans de rares cas cependant, on a décrit l’existence à cette période de symptômes obsessionnels plus francs : leur rigidité, leur massivité doit faire poser la question de leur fonction défensive par rapport à une éventuelle organisation prégénitale sous-jacente.

B. – Aspects théoriques de la névrose chez l’enfant

1°) Le modèle de la névrose infantile

Freud a défini, soit à partir d’observation sur l’enfant lui-même (le petit Hans), soit à partir de reconstruction chez les adultes névrosés (l’Homme aux rats, l’Homme aux loups) la névrose infantile. Citons à titre d’exemple le passage suivant :

« La vie sexuelle infantile consiste en une activité auto-érotique des composantes sexuelles prédominantes, dans des traces d’amour objectai et dans la formation de ce complexe qu’on serait en droit d’appeler le complexe nodal des névroses. Ce dernier comprend les premiers émois de tendresse ou d’hostilité envers les parents, frères et sœurs, le plus souvent après que la curiosité de l’enfant a été éveillée par la naissance d’un frère ou d’une sœur. Le fait que l’on forme généralement les mêmes fantasmes concernant sa propre enfance, indépendamment de ce que la vie réelle y apporte, s’explique par l’uniformité des tendances contenues dans ce complexe et par la constance avec laquelle apparaissent ultérieurement les influences modificatrices. Il appartient ainsi au complexe nodal de l’enfance que le père y assume le rôle de l’ennemi dans le domaine sexuel, de celui qui gêne l’activité sexuelle auto-érotique, et dans la grande majorité des cas, la réalité contribue largement à la réalité de cette situation affective. » (Freud : « L’homme aux rats », in : Cinq psychanalyses, p. 234-235 note 2).

Pour Freud la névrose infantile est ainsi un « complexe nodal » où s’organise la vie pulsionnelle de l’enfant. Nous ne reviendrons pas ici sur l’évolution libidinale de l’enfant (v. p. 15) sinon pour rappeler que les diverses pulsions partielles (orale, anale, phallique) doivent au moment de l’œdipe s’unifier sous le primat des pulsions génitales. Mais le refoulement vient dans un premier temps effacer cette préforme d’organisation névrotique ; seule la reconstruction après coup par l’adolescent puis l’adulte du vécu fantasmatique de la petite enfance viendra donner la signification habituellement traumatique que le névrosé adulte attribue à certains événements de son enfance.

Ainsi pour Freud lui-même la névrose infantile fonctionne plus comme un modèle explicatif de la névrose d’un adulte que comme une réalité de la clinique infantile. Il convient cependant de dire que le cas du petit Hans, présenté à la fois comme exemple de névrose infantile, comme cas clinique et comme prototype de développement quasi normal, est venu brouiller profondément les cartes. Smimolf a souligné l’ambiguïté inhérente au fait d’utiliser le même terme de « névrose infantile » pour parler d’un état morbide et pour évoquer un moment fécond et structurant de l’organisation psychique de l’enfant. La même ambiguïté se retrouve dans l’utilisation du terme « position dépressive » (v. p. 324). Pour notre part, à la suite de Lebovici, il nous paraît préférable de réserver strictement le terme « névrose infantile » à la notion d’un modèle métapsychologique caractéristique d’un stade du développement normal de l’enfant et d’y opposer le terme de « névrose chez l’enfant » pour parler de la réalité clinique.

La question se pose alors de la place de cette névrose chez l’enfant en fonction, comme nous l’avons plusieurs fois répété, des étapes de la maturation de l’enfant et de son environnement.

2°) Abord psychopathologique de la névrose de l’enfant

Nous rappellerons d’abord les positions théoriques des principaux auteurs qui se sont penchés sur les manifestations cliniques de la névrose chez l’enfant.

Anna Freud cherche à évaluer les critères d’organisation d’une névrose. Selon elle, si l’on décèle dans l’organisation libidinale une mobilité et une tendance à la progression qui contre-balancent la fixation névrotique on reste dans un cadre maturatif normal ; en revanche, lorsque l’aménagement pulsionnel et défensif paraît rigide, non mobilisable par le simple mouvement maturatif, une névrose est à craindre. Dans ses critères d’appréciation, A. Freud fait intervenir des facteurs quantitatifs et qualitatifs. Les facteurs quantitatifs se réfèrent à la force du Moi et à sa capacité à faire face de façon adaptée ou non aux exigences pulsionnelles variables. Les facteurs qualitatifs prennent en compte la nature des mécanismes de défense utilisés (refoulement, négation, formation réactionnelle, retournement en son contraire, projection, fuite dans le fantasme, etc.) en sachant que ce qui est pathologique n’est pas le fait d’utiliser un mécanisme de défense (c’est au contraire l’attitude normale), mais l’utilisation intensive, durable et souvent monomorphe d’un ou de quelques mécanismes de défense. Cette rigidité signe l’organisation pathologique et appauvrit en même temps le Moi de l’enfant.

Reprenant et poursuivant les formulations d’A. Freud, H. Nagera quant à lui distingue :

— les immixtions dans le développement, c’est-à-dire tout ce qui perturbe l’évolution normale du développement (d’origine culturelle,

éducative ou individuelle). L’exemple en est l’exigence prématurée de la propreté sphinctérienne chez le bébé à un âge où il ne peut intégrer cette demande. Il s’agit dans la majorité des ras de conflits qui opposent les pulsions de l’enfant à son environnement. Si des symptômes passagers peuvent apparaître, ils sont en général transitoires, et cessent lorsque cesse la pression inadaptée de l’environnement ;

— les conflits de développement, inhérents à l’expérience vécue de chaque enfant : ils sont propres à un stade particulier et de nature transitoire. Ainsi en est-il des conflits internes inhérents au stade phallique-œdipien ;

— le conflit névrotique qui est lui, un conflit intériorisé. Il représente souvent des points de fixation d’un conflit de développement qu’il maintient et pérennise (angoisse de castration) ;

— la névrose proprement dite enfin. Elle est le témoin de conflits intériorisés survenant sur une organisation de la personnalité suffisamment différenciée. Elle se caractérise cependant à la fois par la dépendance de l’enfant à l’égard du monde extérieur dont les événements peuvent encore bouleverser l’organisation névrotique et par le maintien d’une fluidité symptomatique minimale.

Pour M. Klein l’intérêt de la névrose de l’enfant est d’être la forme d’évolution naturelle et positive du stade psychotique (schizoparanoïde) normal de l’enfant : il « guérit » de sa position psychotique en organisant une névrose à laquelle M. Klein ne s’intéresse pas outre mesure. Toutes ses descriptions portent en fait sur des organisations prégénitales avec les mécanismes défensifs qui les accompagnent (clivages, projection, etc.).

En revanche, en France, les psychiatres et psychanalystes d’enfants se sont plusieurs fois penchés sur le statut de la névrose chez l’enfant. Parmi ceux-ci les travaux de Lébovici occupent une place importante. Cet auteur distingue nettement la névrose infantile élevée au rang d’un modèle psychopathologique, et la névrose chez l’enfant, réalité clinique indiscutable : dans ce dernier cas, les symptômes névrotiques de l’enfant ne sont pas emportés par le refoulement secondaire (contrairement à ce qu’on observe dans le modèle de la névrose infantile), tout en étant cependant réélaborés dans l’entre-deux, ménagé par la période de latence. Cette réélaboration dans l’entre-deux distingue la névrose des organisations prégénitales et explique aussi la relative discontinuité symptomatique entre névrose de l’enfant et névrose de l’adulte. Cette mise en perspective conduit toutefois l’auteur à s’interroger sur la signification des symptômes névrotiques avant la période de latence : ils témoigneraient en réalité à la fois de « l’en deçà » de la névrose infantile marquée par les conflits prégénitaux (de ce point de vue structurel, le terme de prénévrose proposé par les auteurs tels que Lang est pleinement justifié), puis de l’histoire des remaniements toujours possibles dus aux interactions de l’enfant avec son entourage familial. La névrose de l’adulte et sa réactualisation dans la névrose de transfert trouve son origine dans l’enregistrement des traces mnésiques, l’organisation de fantasmes inconscients et surtout la mise en latence que recouvre le travail de la mémoire, tantôt marqué du refoulement, tantôt marqué du retour du refoulé. La névrose de l’enfant de son côté se caractérise par la « proximité de son histoire organisatrice », et l’actualité sinon la mise en acte de ses relations imaginaires. La réalité dans laquelle vit l’enfant peut ainsi être à la fois plus traumatisante et plus thérapeutique que chez l’adulte.

Pour résumer très succinctement ces positions, on pourrait dire que chez l’adolescent, l’après-coup et la réélaboration fantasmatique permettent pleinement la mise en place d’une organisation névrotique, alors qu’à la période de latence le filigrane de cette même organisation névrotique se laisse percevoir avant tout, in statu nascendi dans le poids de l’inhibition et qu’enfin, à la période oedipienne, en dehors de la névrose infantile modèle théorique, les manifestations névrotiques témoignent plutôt d’une conflictualisation prégénitale. Dans ce dernier cas les termes de prénévrose (point de vue structurel : Lang) ou de prépsychose (point de vue évolutif et dynamique : Diatkine) paraissent plusjudicieux (v. p. 358).

C. – Théories non psychanalytiques de la névrose

Nous rappellerons simplement pour mémoire les premiers modèles expérimentaux de ce qu’on appelle « la névrose » chez l’animal (expérience de Pavlov) lorsqu’on place celui-ci devant un choix impossible : les manifestations d’angoisse, de stress physiologiques, voire de pathologie somatique n’ont que de lointains rapports avec la névrose humaine.

Plus proches de la clinique sont les hypothèses théoriques fondées sur les concepts d’apprentissage chez l’enfant. Pour Eysenck : les « symptômes névrotiques sont des modèles de conduites appris qui, pour une raison ou une autre, sont inadaptés ». La névrose n’a pas de réalité en soi en dehors du symptôme. Il est vrai, comme nous l’avons démontré à propos des phobies, que l’entourage et l’apprentissage qui en résulte peuvent moduler en grande partie l’état affectif qui accompagne une expérience. Expérience vécue et environnement peuvent fonctionner comme un conditionnement opérant négatif (Skinner) et entraîner ainsi l’enfant, puis l’adulte dans une habitude névrotique persistante inadaptée.

Toutefois, si de tels modèles proposent une explication satisfaisante de la persistance de cette habitude, voire de son renforcement, ils n’expliquent pas l’origine, le pourquoi (Régnault) de la conduite. L’efficience des thérapies de déconditionnement, tant chez l’enfant que chez l’adulte, montre cependant qu’un symptôme peut par sa seule présence entraîner de profondes perturbations psychiques, et que sa levée peut aussi s’accompagner de réaménagements salutaires y compris dans le registre des conflits inconscients.

Bibliographie

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