1. De la méthode psychanalytique et de ses règles dans les situations de groupe2

Psychanalyse générale et psychanalyse appliquée

L’inconscient produit partout et toujours des effets contre lesquels les hommes ne cessent de se défendre, ou qu’ils interprètent faussement, ou encore qu’ils cherchent à manipuler par des voies obscures pour un profit supposé. La condition pour que ces effets deviennent scientifiquement traitables réside dans l’instauration d’une situation, régie par des règles précises, où leur production soit transférée et leur interprétation exacte assurée. Dans cette situation, deux êtres homologues par leur appareil psychique, le psychanalyste et le sujet, occupent des positions dissemblables. Certaines règles leur sont communes : la règle d’abstinence, en leur interdisant tout rapport personnel « réel » dans la situation ou au dehors, les voue à n’avoir ensemble que des rapports fantasmatiques et symboliques ainsi que les rapports sociaux courants. D’autres règles sont spécifiques de chacune des deux positions. La tâche du sujet est d’exprimer tout ce qu’il pense, imagine, ressent dans la situation, c’est-à-dire de « symboliser » les effets que celle-ci exerce sur lui. La tâche de l’analyste est de comprendre comme transfert, ou comme résistance au transfert, tout ce que le sujet cherche à signifier dans cette situation et de n’intervenir, notamment par des interprétations, que pour lui en faire entendre le sens. De là proviennent les effets que le psychanalyste exerce, de l’intérieur de celle-ci, sur la situation.

Des règles complémentaires précisent les positions respectives du corps dans l’espace au cours des séances, la fréquence et la durée de celles-ci, la nature de la tâche symbolique requise du sujet (parler, dessiner, jouer avec un certain matériel, se relaxer, effectuer gestes, mimiques, postures ou y réagir, entrer en contacts corporels, improviser un rôle, produire ou interpréter un certain type de document), enfin l’effort financier à fournir. Mais, nous entrons déjà dans le domaine de la psychanalyse appliquée.

En effet, la méthode définie plus haut, longtemps confondue avec la cure individuelle des névrosés qui a constitué le champ originaire de sa découverte et sa première application, relève d’une discipline qui mérite l’appellation de « psychanalyse générale ». Par opposition, la « psychanalyse appliquée » se définit comme l’ensemble ouvert et toujours en devenir des pratiques concrètes de cette méthode générale. La tâche, déjà très avancée, de la psychanalyse générale est d’élaborer la théorie de l’appareil psychique (sa genèse, son fonctionnement, ses changements) à partir des observations que les psychanalystes, Freud le premier, ont été et sont encore amenés à faire avec cette méthode. La tâche de la psychanalyse appliquée est de découvrir les effets spécifiques de l’inconscient dans un champ donné et les transpositions de la méthode générale spécifiquement requises dans ce champ, en fonction par exemple de la nature des sujets analysants (« normaux », névrosés, narcissiques, psychotiques ou cas psychosomatiques ; adultes, adolescents ou enfants ; individus, groupes ou institutions) ou de la nature du but visé par le travail analytique (diagnostic, thérapie, formation, intervention en milieu naturel).

Il n’existe pour le moment aucune autre méthode générale que la psychanalytique qui soit utilisable pour la production et le traitement des effets de l’inconscient dans des conditions scientifiques. « Traitement » s’entend ici au sens le plus général, comme dans l’expression « traitement de l’information », et peut prendre dans certains secteurs d’application le sens de « cure ». Il n’y a en principe aucun champ de manifestation des effets de l’inconscient auquel ne soit applicable la méthode psychanalytique, même si, par suite d’une résistance inconsciente chez les psychanalystes eux-mêmes les modalités spécifiques de production et de traitement de ces effets n’y ont point encore été trouvées.

Mises à part ces spécificités, les conditions générales d’un travail psychanalytique dans un champ quelconque sont les suivantes :

—  le psychanalyste opérant dans un champ de la psychanalyse appliquée ne peut le faire qu’en référence à une pratique personnelle indispensable de la cure individuelle de patients adultes ;

—  les règles instaurant une situation de type psychanalytique ont, non seulement à être énoncées au départ par celui qui a le statut d’interprétant, mais à être observées en premier lieu par lui-même pour remplir pleinement leur fonction régulatrice (si le psychanalyste s’exempte de la loi qu’il s’impose au sujet, il induit une relation inanalysable de type sadomasochiste ou pervers) ;

—  comme tous les autres éléments de la situation psychanalytique, les règles sont l’objet d’investissements fantasmatiques et de contre-investissements défensifs, qu’il y a lieu d’interpréter ;

—  une fois énoncées les règles dont le psychanalyste se fait le garant, celui-ci a non pas à veiller en censeur à leur application par le ou par les sujets, mais à chercher à comprendre et à interpréter les manquements à ces règles, ou les difficultés de leur mise en pratique ;

—  la situation prend fin quand le psychanalyste, n’étant plus traité comme objet de transfert, est reconnu par le ou les sujets comme être humain homologue, quand le caractère opératoire des règles est assimilé par eux, quand la résistance à terminer a été analysée et quand le terme a été énoncé en tant que tel.

Après ces considérations générales, nous pouvons examiner un champ concret, celui de la psychanalyse appliquée aux situations de groupe, en particulier aux groupes de formation. Nous tenterons de préciser trois sortes de règles : celles qui fondent une démarche de pensée psychanalytique devant les phénomènes de groupe, celles qui permettent d’instaurer un processus psychanalytique dans une situation de groupe, celles qui commandent l’interprétation psychanalytique dans cette situation.

La démarche psychanalytique à l’égard des groupes

Une démarche psychanalytique est d’abord une démarche de pensée scientifique. Quel que soit le domaine où il applique la psychanalyse, le psychanalyste soumet ses hypothèses sur les processus inconscients spécifiques de ce champ à trois critères :

—  à tout type de fait clinique observé doit correspondre une hypothèse qui en rende compte et toute hypothèse doit s’appuyer sur un matériel clinique significatif et précis ; par exemple le silence obstiné que gardent certains participants dans les groupes de discussion non-directive s’explique par une représentation fantasmatique du groupe comme bouche et comme sein dévorants. L’existence de cette représentation a été confirmée par des entretiens individuels ultérieurs avec les intéressés, son interprétation opportune dans le groupe peut modifier l’attitude de ceux-ci (cf. p. 90).

—  toute hypothèse doit pouvoir entrer dans un corps cohérent d’hypothèses propres à ce champ, ainsi que pouvoir se rattacher ou se déduire d’hypothèses déjà établies en psychanalyse générale ; par exemple l’hypothèse émise par R. Kaës, qu’une production idéologique survient dans un groupe comme dénégation défensive d’un fantasme originaire constitue une extension au groupe du processus de production mis à jour par la psychanalyse individuelle en ce qui concerne les théories sexuelles infantiles (R. Kaës, 1971 b, 1973 b, 1974 b : R. Gori, 1973 b).

— toute hypothèse enfin a à confirmer sa vérité par sa fécondité dans un autre domaine que celui sur lequel elle a été établie ; par exemple l’hypothèse que la situation de groupe « large » non directif (30 à 60 personnes) suscite le clivage du transfert et intensifie le transfert négatif aide à comprendre, d’un point de vue économique, le recours fréquent à des expressions archaïques violentes de l’agressivité (par exemple la guerre) dans les grands groupes sociaux réels, composés de plusieurs milliers de personnes.

La démarche psychanalytique appliquée aux phénomènes de groupe obéit également à des critères plus spécifiquement psychanalytiques. Le premier d’entre eux concerne le vocabulaire. Le psychanalyste effectuant un travail de recherche sur les groupes ne peut recourir dans ses énoncés théoriques qu’au seul vocabulaire psychanalytique (par contre, dans la pratique de l’interprétation, il s’exprime le plus possible en langage courant). En effet, si toute description des faits est foisonnante, diversifiée, polyphasique, l’explication scientifique est monophasique. Par vocabulaire psychanalytique, il convient d’entendre non seulement les concepts dûs à Freud mais tous les apports notionnels de ses successeurs dont la validité s’est imposée dans un secteur quelconque de la psychanalyse.

L’analogie du groupe et du rêve que nous-même avons soutenue dans un article de 1966 reproduit au chapitre 3 (le groupe, comme le rêve, est accomplissement imaginaire d’un désir refoulé) se référait à la théorie freudienne commençante, c’est-à-dire à la première topique. Depuis, la théorie psychanalytique des groupes a progressé par le recours systématique à la seconde topique. C’est là d’ailleurs un juste retour des choses car cette dernière a été découverte par Freud à partir d’un double rapprochement entre l’hypnose et la foule et entre l’ambivalence envers l’imago paternelle et la psychologie collective des organisations. La seconde topique conçoit les conflits, intérêt intrasystématiques, par analogie avec les tensions interindividuelles au sein d’un groupe, l’appareil psychique individuel s’expliquant alors par l’intériorisation d’un modèle groupai. Mais l’analogie est réversible : il existe un appareil psychique groupai (R. Kaës, 1976 d) doté des mêmes instances que l’individuel, mais non des mêmes principes de fonctionnement : appareils homologues et non isomorphes. A. Missenard (1971, 1972, 1976) a montré que le principal effet de formation des méthodes de groupe réside dans la destruction de certaines identifications imaginaires chez les participants et dans la mise en place progressive d’abord d’identifications narcissiques stabilisatrices, puis d’identifications symboliques novatrices

L’apport des continuateurs de Freud s’est avéré tout aussi riche. L’école kleinienne anglaise a depuis 1950 identifié le niveau d’angoisse dans les groupes comme psychotique et constaté que les angoisses persécutive et dépressive s’y trouvent accentuées par la non directivité. Plus près de nous

Angélo Béjarano, s’inspirant également de M. Klein, a découvert dès 1968 que la situation de séminaire, où les participants travaillent alternativement en petits groupes et en réunions plénières, déclenche le clivage du transfert : le transfert positif se concentre généralement sur le petit groupe et le transfert négatif sur le groupe large (A. Béjarano, 1971, 1982).

Les psychanalystes qui s’intéressent aux méthodes de formation en groupe n’ont jusqu’ici ni procédé suffisamment à la critique du vocabulaire psychosociologique de Lewin, de Rogers et de leurs disciples, ni énoncé avec assez de clarté et de fermeté le fait que le recours à ce vocabulaire par les moniteurs des groupes de formation survient essentiellement pour des raisons contre-transférentielles. Les concepts psychosociologiques en matière de dynamique des groupes relèvent en effet d’une attitude défensive envers les processus groupaux inconscients. La psychosociologie a par exemple privilégié le leadership au point d’en faire un processus clef dans le fonctionnement et la progression d’un groupe. La compréhension psychanalytique des groupes conduit à une conclusion bien différente, que Béjarano (1972) a énoncée : les phénomènes de leadership constituent, avec ceux du clivage en sous-groupes, la forme spécifique de la résistance dans les situations de groupes de formation non directifs ; le leader spontané est le porte-parole de la résistance inconsciente du groupe à un moment donné et si l’interprétation pertinente n’est pas donnée au groupe (ou si celui-ci ne la trouve pas lui-même), sa fantasmatique sous-jacente reste refoulée et son évolution bloquée.

Nous-mêmes, en nous appuyant sur le concept winnicottien d’« illusion », nous avons, en 1971, donné un sens plus précis à l’hypothèse, pressentie antérieurement, de l’illusion groupale (cf. le chapitre 4). La notion schilderienne d’image du corps a permis à mes collègues et à moi-même de nous apercevoir, au cours de discussions d’équipe, que la situation de groupe « large » induit un désir d’exploration fantasmatique de l’intérieur du corps de la mère, et les angoisses corrélatives.

Un second critère d’ordre plus spécifiquement psychanalytique concerne non plus le vocabulaire mais la conception du – déterminisme. L’explication psychanalytique est en effet pluridimensionnelle. Tout processus inconscient mis en évidence dans un champ donné a à être expliqué dans plusieurs perspectives : dynamique, économique, topique, génétique, fantasmatique. Prenons pour exemple un des phénomènes que nous venons de citer, celui de l’illusion groupale, qui désigne certains moments d’euphorie fusionnelle où tous les membres du groupe se sentent bien ensemble et se réjouissent de faire un bon groupe. Du point de vue dynamique, l’illusion groupale apporte une tentative de solution au conflit entre un désir de sécurité et d’unité d’une part, une angoisse de morcellement du corps et de menace de perte de l’identité personnelle dans la situation de groupe d’autre part. Du point de vue économique, elle représente un cas particulier du clivage du transfert : le transfert positif est concentré sur le groupe comme objet libidinal. Du point de vue topique, elle montre l’existence d’un Moi idéal groupai. Du point de vue fantasmatique, elle requiert l’introjection du bon sein comme objet partiel et l’identification narcissique à celui-ci, afin de réparer les dommages causés par un fantasme destructeur spécifiquement mobilisé par la situation de petit groupe, celui d’enfants qui s’entre-déchirent dans le sein de la mauvaise mère. Du point de vue génétique, l’illusion est, on le sait depuis Winnicott (1953), une étape nécessaire dans la constitution, par l’enfant, du monde extérieur, étape où celui-ci est représenté comme extension de la toute-puissance maternelle ; l’illusion groupale permet la constitution de l’être du groupe comme objet transitionnel.

Une troisième règle de nature psychanalytique concerne l’interaction de l’inconscient des sujets et de l’inconscient du ou des interprétants (dans la mesure où la situation de séminaire requiert une pluralité de psychanalystes constitués en équipe interprétante). Un des aspects sous lequel se particularise cette règle est le suivant : à tout effet inconscient tendant à se manifester dans un champ quelconque correspond une résistance s’opposant à cette manifestation. Il ne saurait y avoir une explication psychanalytique d’un phénomène groupai sans que cette explication ne rende en même temps compte de la résistance épistémologique inconsciente à ce phénomène.

Ainsi, l’équipe de psychanalystes avec laquelle nous-même avons travaillé pendant quinze ans à la réalisation de séminaires de formation a mis longtemps avant d’admettre que les règles du « petit groupe » (groupe de diagnostic, T-Group) étaient intégralement transposables à la « réunion plénière ». Nous n’avons ensemble cessé au fil des années d’essayer d’ « organiser » ces réunions, en leur assignant d’avance un thème, en employant des méthodes d’animation directives ou semi-directives (exposé suivi de débat, apologue initial et terminal, exercice pratique collectif, table ronde, panel, Phillips 66), en instaurant une journée de rappel, en distribuant des comptes rendus des séances aux participants, jusqu’à ce qu’un processus interne de perlaboration collective nous amène à reconnaître le caractère défensif de ces tentatives d’organisation. Mécanisme de défense contre quel danger pulsionnel ? Contre le danger de se trouver exposé à l’intensité particulière que prend la pulsion de mort dans le groupe « large », intensité résultant du clivage du transfert. La levée de la défense (l’« organisation » des réunions) et la reconnaissance de la forme et de la force de la pulsion réprimée (le transfert négatif clivé) ont été corrélatifs. Toute connaissance d’une interaction spécifique entre une défense et une pulsion ouvre la possibilité d’applications pratiques scientifiquement fondées. Par exemple, si l’on veut permettre à un groupe de contrôler en son sein la pulsion destructrice, il faut l’aider à s’organiser ; si l’on veut libérer cette pulsion, par exemple en vue d’un processus thérapeutique ou formatif, il est nécessaire de placer le groupe dans une situation régie par les règles de non-omission et d’abstinence et suspensive de toute autre organisation.

Un autre type d’interaction, également important au triple point de vue épistémologique, technique et pratique, est celle de l’activité fantasmatique des sujets en situation de groupe et de l’activité fantasmatique des interprétants constitués en équipe. La première, celle des sujets, ne peut être connue que dans la mesure où elle déclenche la seconde, celle des psychanalystes, et où ceux-ci en prennent conscience entre eux. Dans le cas, rapporté par M. Biffe et J.-Y. Martin (1971), d’un groupe « psychotique », l’activité fantasmatique fomentée chez les participants par une situation à la fois psychanalytique et de groupe n’a vraisemblablement pas « résonné » chez les deux interprétants, préoccupés de régler leurs différends théoriques et techniques, c’est-à-dire leur propre désaccord fantasmatique, à l’occasion de ce groupe. Un autre cas est celui où des moniteurs de groupe, ayant généralement une formation psychosociologique, mais non psychanalytique, se laissent capter par l’activité fantasmatique des sujets et « fusionnent » affectivement avec leur groupe, par exemple en partageant l’illusion groupale au lieu de l’interpréter. Un troisième cas a été décrit mais non expliqué par l’école lewinienne sous l’expression de résistance au changement : l’expérience du travail psychanalytique dans les groupes nous a montré que dans un séminaire où les participants viennent pour « changer », la résistance au changement est une réponse de leur part à un fantasme non dit qui circule au niveau inconscient dans l’équipe d’interprétants, le fantasme de « casse » (cf. l’observation rapportée sous ce titre au chapitre 6).

La situation psychanalytique de groupe

Toute situation psychanalytique, individuelle ou groupale, thérapeutique ou formative, se fonde sur les deux règles fondamentales de non-omission et d’abstinence. Ces règles demandent évidemment à être aménagées en fonction des particularités du champ d’application.

La règle de non-omission ne saurait inviter, sous peine de cacophonie, chaque membre d’un groupe à dire en permanence tout ce qui se présente à son esprit. Dans un groupe, elle se présente sous trois volets. Elle est d’abord une règle de libre parole : les participants parlent entre eux de ce qu’ils veulent. Cette invitation à une liberté illimitée ravive dans l’inconscient de chacun à la fois les désirs refoulés et l’angoisse de transgresser l’interdit en les formulant ; d’où les équivalents collectifs du rêve nocturne que forgent les membres d’un groupe ; d’où, au début surtout, les inhibitions, la paralysie, le silence. La règle de liberté de parole est aussi une règle d’obligation de parler : participants et moniteurs ont à parler ensemble de ce qu’ils ont à dire dans la situation et ils n’ont pas autre chose à faire qu’à le dire (ce qui est déjà la règle d’abstinence). Enfin cette règle comporte l’opportunité pour les membres du groupe de faire part, en séance, des échanges qu’ils ont pu avoir entre eux (et qu’ils ne manquent pas d’avoir) en dehors des séances, lorsque ces échanges concernent le groupe dans son ensemble (règle implicite de restitution à ne pas formuler à l’avance).

Les trois volets conviennent surtout au petit groupe de discussion non directive. Les groupes de psychodrame, de relaxation, d’expression corporelle, le groupe large non directif appellent des consignes en partie différentes, en raison de la nature de la tâche ou de la dimension numérique des participants.

Par exemple, dans le groupe large, les consignes invitent à :

— exprimer ce qui est ressenti ici et maintenant ;

— parler à l’ensemble des participants de ce qui concerne le séminaire

dans son ensemble ; par contre ce qui concerne les petits groupes de diagnostic ou de psychodrame a à être traité dans ces groupes respectifs.

En effet, la situation de séminaire requiert la différenciation de trois ordres de réalités, chaque problème ayant à être rapporté à son niveau correspondant :

— celui du petit groupe de participants (groupe de diagnostic, de psychodrame, d’exercices corporels, de relaxation, etc.) ;

— celui du groupe large (réunion plénière des participants et des moniteurs) ;

— celui du groupe des moniteurs.

Dans chaque situation, la règle est au départ énoncée avec ses modalités particulières par celui qui y assure l’interprétation. Le moniteur interprétant fait connaître de tous son statut en même temps qu’il formule les consignes. Il s’abstient jusqu’à la fin de toute autre conduite que de garantir les règles, de permettre au transfert de se développer sur lui et sur le groupe et de communiquer à tous ce qu’il a compris. Mais nous sommes déjà là dans la règle d’abstinence.

La règle d’abstinence est souvent omise, voire transgressée, par des moniteurs sans formation psychanalytique. C’est la raison pour laquelle il arrive à de tels moniteurs de se laisser gagner par l’illusion groupale et même d’assigner à l’expérience de formation le but de constituer un groupe fusionnel chaleureux ou d’y faire des rencontres nouvelles. Ils trouvent alors leur bonheur à partager avec les participants non pas tant la compréhension de l’inconscient groupai que l’euphorie de repas ou de distractions communes, voire de relations amoureuses ou sexuelles imprévues. Pour le psychanalyste, tous ces comportements sont des acting out contre-transférentiels. L’absence de rapports personnels réels entre le moniteur et les participants au cours et en dehors des séances pendant toute la durée de la session est une condition sine qua non d’instauration d’un transfert interprétable. La règle d’abstinence comporte plusieurs volets : le moniteur ne participe pas aux échanges verbaux qui ont lieu dans le groupe quand ceux-ci se rapportent à autre chose qu’à l’expérience vécue actuellement ensemble ; il s’abstient de parler de cette expérience avec des participants pris à part en dehors des séances (sauf dans le cas où il est nécessaire qu’il ait un entretien personnel à but psychothérapique avec l’un d’eux). A plus forte raison, il s’abstient de tous actes sexuels ou agressifs avec les participants pendant la durée de la session ; mais l’abstinence n’implique pas la rigidité et n’exclut ni les rapports sociaux courants et spontanés ni les contacts corporels requis par certains types d’activités de groupe. De leur côté, les participants sont invités à observer la discrétion en ce qui concerne le contenu des séances auprès des personnes étrangères à l’expérience.

Les règles d’un travail psychanalytique dans un champ plus complexe que celui du groupe, par exemple à l’intérieur d’un organisme médicosocial, voire d’une entreprise économique, ne sont pas encore dégagées avec certitude. Mais il est clair que certaines formes de pédagogie ou de psychothérapie institutionnelles qui instaurent des expériences de groupe, en y supprimant tout ce qui équivaudrait à une règle fondamentale et en refusant d’y définir à l’avance un rôle d’interprétant, mènent au mieux à des versions collectives de la psychanalyse sauvage et au pire à des manipulations perverses des processus inconscients.

La situation de groupe de formation requiert par ailleurs des dispositifs complémentaires, dont les plus importants ont été réunis sous le vocable, emprunté aux théoriciens de la tragédie classique, de règle des trois unités :

— Unité de temps : les séances commencent et finissent à l’heure fixée ; elles sont d’une durée régulière ; elles requièrent l’assiduité ; leur nombre est arrêté à l’avance.

— Unité de lieu : les séances se déroulent dans la salle qui leur est affectée : chaque type de séance (groupe de diagnostic, psychodrame et exercices corporels, réunion plénière, etc.) dispose d’un lieu propre et détermine une relation particulière du corps à l’espace du lieu ; personne n’est propriétaire d’aucune place et le moniteur donne lui-même l’exemple en changeant occasionnellement de place d’une séance à l’autre.

— Unité d’action : une tâche précise est assignée aux participants pour chaque type de groupe : échanges verbaux, improvisation dramatique, relaxation, etc. ; cette tâche est leur unique activité pendant les séances.

Ces trois règles valent pour les moniteurs aussi bien que pour les stagiaires. Ceux-ci ne font aucune difficulté majeure pour s’y conformer s’il leur apparaît que ceux-là donnent à ces règles valeur de loi pour eux-mêmes dans leur conduite. Les consignes et le programme (les horaires, les locaux, le nombre moyen de participants possibles par groupe et par séminaire, les éventuels cartons portant les prénoms de chacun) constituent un système opératoire, doté d’une cohérence interne et apte à susciter des effets formateurs de changement chez les participants. Ce système opère en tant qu’institution symbolique. C’est lui qui exerce dans les groupes de formation la fonction instituante, et c’est en se référant explicitement ou implicitement à lui que le moniteur assume sa part de cette fonction.

Trois remarques sont à faire concernant l’opérativité de ce système. Premièrement, les participants peuvent se laisser aller à l’inquiétante expérience du processus psychique primaire parce qu’ils sentent que l’expérience est garantie par le système symbolique qui la fonde. L’activité symbolique ne peut d’ailleurs être opérante au cours de la formation sous la forme dia-chronique de l’interprétation que parce qu’elle est présente dès le départ sous la forme synchronique d’une organisation instituante.

Deuxièmement, la prévention des décompensations psycho-pathologiques chez les participants tire également de ce système son fondement théorique et pratique, comme A. Missenard (1971, 1972) l’a développé en détail. Si, faute de percevoir clairement cette organisation symbolique ou faute de la respecter lui-même, le moniteur encourage le déclenchement d’effets inconscients en dehors des conditions permettant de les comprendre et de les traiter, alors les participants s’affolent, au sens strict du terme qui évoque la possibilité de la folie. Le délire, la tentative de suicide, l’accident, le délit finissent en effet par constituer les seules issues pratiques quand, les mécanismes habituels de défense ayant été levés, un sens pressant se met à circuler sans être reconnu et verbalisé. L’observation clinique confirme que ces éventualités se produisent quand des moniteurs travaillant ensemble sont séparés par des divergences profondes ou quand un moniteur travaillant seul attend d’un groupe la satisfaction réelle d’une demande pulsionnelle personnelle, alors que ces éventualités ne se produisent pas, ou d’une façon très vite récupérable, dans le cas d’une paire ou d’un groupe de moniteurs travaillant en cohérence au niveau symbolique.

En troisième lieu, la référence de la part du moniteur à un garant symbolique est double. C’est la référence à une équipe à laquelle il appartient et qui lui fournit l’occasion d’activités pratiques et de discussions scientifiques ; c’est aussi la référence à une expérience clinique fondée sur une méthode – ici en l’occurrence la psychanalyse – dont il a éprouvé sur lui-même et sur d’autres, individuellement et en groupe, la validité, référence qui lui permet, par analogie avec cette confiance dans le processus psychanalytique que Freud, dès les Etudes sur l’Hystérie (1895), assigne au psychothérapeute, d’avoir la certitude de l’intelligibilité des processus inconscients lorsqu’ils se déroulent dans une situation du type psychanalytique.

Le système symbolique requiert-il d’autres règles que celles énoncées ci-dessus ? Nous avons abandonné la règle du tutoiement après nous être rendu compte qu’elle facilitait l’illusion groupale. La règle invitant à s’appeler par son prénom semble fondée, car elle apporte une aide instrumentale aux communications entre une pluralité de personnes et respecte l’anonymat des noms de famille, mais elle n’a pas à être imposée.

Toute autre règle, consigne ou recommandation que la règle fondamentale et ses variantes découlant des variables spécifiques de la situation sont des instruments de défense contre le transfert, instruments mis au service aussi bien des participants que des moniteurs.

Le travail psychanalytique dans les groupes

Dans une situation instituée selon un modèle psychanalytique par des moniteurs familiers avec la démarche de pensée psychanalytique peut s’effectuer chez les participants comme chez les moniteurs un travail de nature psychanalytique.

D’un côté, les participants engagés dans un processus inconscient de transfert, arrivent à l’élaborer par un travail de symbolisation. De l’autre côté, les moniteurs se dégagent de leur contre-transfert inconscient par un travail d’inter-analyse, et ils saisissent et communiquent le sens du transfert par un travail d’interprétation.

La différence entre le travail psychanalytique dans les groupes et dans les cures individuelles découle des deux particularités essentielles du transfert en situation groupale. La première, la tendance au clivage, a été décrite plus haut. La seconde a été pressentie, dès 1963,- par Pontalis dans son article des Temps Modernes sur « Le petit groupe comme objet » : en plus du transfert central des participants sur l’interprétant et de leurs transferts latéraux les uns sur les autres, la situation psychanalytique groupale suscite un « transfert » sur le « groupe » pris inconsciemment par eux comme objet d’investissement pulsionnel et fantasmatique. La formation psychanalytique individuelle est une condition nécessaire mais non suffisante pour élucider ces deux aspects du transfert. La vie agitée des Sociétés de psychanalyse a montré depuis longtemps la propension des psychanalystes, quand ils se réunissent, à cliver le bon et le mauvais objet et à déplacer, sur la relation au groupe et aux autres, la part inconsciente de leurs propres relations objectales qu’ils s’abstiennent de déployer dans leur conduite des cures. Cette propension n’a d’égale que leur résistance à analyser entre eux ces mécanismes : aussi un psychanalyste chevronné comme Martin Grotjahn (1974) en est-il venu à penser que l’expérience d’un groupe psychanalytiquement mené serait nécessaire à tout psychanalyste en formation. C’est là où l’expérience du groupe « large > (c’est-à-dire de la réunion plénière menée comme un groupe non directif) s’avère indispensable aux participants aussi bien qu’aux interprétants. En effet, les petits groupes, parce qu’ils sont conduits par un ou deux interprétants et plus exposés à l’illusion groupale, parviennent mal à élucider ces formes de transfert, tandis que l’équipe des interprétants, présente en entier dans le groupe large, offre la surface projective appropriée au déploiement et au déchiffrement du transfert négatif clivé et des représentations fantasmatique-ment investies sur l’objet-groupe. Ainsi les moniteurs deviennent l’objet du transfert parce qu’ils sont supposés non seulement être analystes mais former un groupe. Nous avons nous-même apporté la contribution complémentaire suivante au déchiffrement du transfert groupai : la rivalité qui s’observe toujours à un moment donné dans la réunion plénière entre les membres des différents petits groupes se joue par rapport à l’équipe organisatrice et interprétante et demande à être interprétée comme rivalité des frères pour obtenir l’amour et la préférence des parents.

Si les deux formes propres au transfert groupai sont acceptées et entendues des moniteurs, les participants s’engagent dans un travail collectif de symbolisation. R. Kaës (1971 b) a vu le premier que les deux modes spécifiques, dans une situation de groupe, d’élaboration secondaire d’un matériel fantasmatique latent sont le mythe et l’idéologie. Nous-même, nous avons remarqué que dans un groupe l’émergence du processus de symbolisation se reconnaît à ce que le discours collectif commence à contenir des figurations symboliques de la situation hic et nunc (cf. les thèmes de l’auberge espagnole, de Huis Clos, de la Cène, du tribunal révolutionnaire, etc.). Nous avons également constaté que l’interprétation ne devient recevable par les participants que si leurs échanges verbaux ont accédé à cette symbolisation.

Le progrès de la symbolisation s’effectue en deux étapes chez l’enfant. En transposant sur le plan d’un échange symbolique la relation primitive, fusionnelle et charnelle avec la mère, la première étape conditionne l’acquisition de la parole. La seconde étape, marquée par l’affrontement à la problématique œdipienne, permet l’accès à un autre type d’organisation symbolique, celui qui fonde les lois naturelles et sociales. Les participants retirent une formation d’une expérience de groupe si le travail collectif de symbolisation a porté sur ces deux niveaux : le premier correspond à la sublimation réparatrice des positions persécutive et dépressive envers l’imago maternelle, c’est-à-dire au dépassement de l’angoisse, que tout groupe traverse nécessairement, de la perte de la mère ou de la destruction de soi. L’autre niveau, œdipien, s’exprime dans les groupes par la thématique du meurtre collectif du père et par les thématiques annexes de la chasse aux usurpateurs et du tabou de l’inceste.

La conduite psychanalytique des groupes de formation permet d’éclairer sur bien des points la façon dont les processus psychiques inconscients interviennent dans les groupes réels, et d’envisager la possibilité d’interventions véritablement psychanalytiques (et non pas seulement psychosociologiques ou psychothérapiques) dans les groupes réels et les institutions. Bion (1961), qui a été le premier à s’engager dans cette voie, a vite constaté qu’un ensemble d’individus n’arrive à se comporter en « groupe de travail » que si les « présupposés de base » inconscients qui captent l’énergie psychique de ses membres ont été levés. C’est là où, selon nous, le travail de la symbolisation à ses deux niveaux est capital. Si ce travail s’effectue de lui-même, s’il est réenclenché spontanément par une crise intérieure ou induit par une intervention de type psychanalytique, un groupe naturel peut faire plus qu’élaborer en mythes et en idéologies ou que décharger dans des agirs les scénarios fantasmatiques qui circulent entre ses membres. Il peut parvenir à des perceptions plus exactes non seulement du secteur de la réalité extérieure, physique et sociale, qui le concerne, mais aussi de sa propre réalité interne ; il peut faire reconnaître de ses membres les règles auxquelles leurs actions et leurs pensées ont à se soumettre pour accomplir l’œuvre qu’ils veulent réaliser en commun ; il peut différencier les rôles, les statuts et les fonctions parmi eux ; il peut, s’étant dégagé du temps circulaire de la répétition inconsciente, s’engager dans la durée irréversible du temps postœdipien, qui est aussi celui de l’histoire ; il peut se donner des buts qui ne se réduisent pas à la satisfaction des désirs et à la réalisation des possibilités de ses membres, mais qui, en plus, visent à certaine utilité sociale ou contribuent à la protection de l’être ou au mieux-être d’autres individus.

Examinons, pour terminer, le travail psychanalytique des moniteurs. La perlaboration du contre-transfert est une tâche capitale, car le moniteur interprétant risque de développer, dans la situation groupale, tout comme les participants, une relation d’objet inconsciente au groupe. Pour amener à verbalisation cette relation d’objet inconsciente, la perlaboration requiert des discussions avec un tiers sur la façon dont le moniteur vit l’expérience qu’il a instaurée, sur ses réactions manifestes ou réprimées, sur ses attentes et ses craintes à l’égard du groupe qu’il conduit. H est préférable que ce tiers soit lui-même psychanalyste, formé aux méthodes de groupe et qu’il assiste à la session. Une telle discussion ne ressemble pas à une supervision psychanalytique, où un débutant vient rendre compte de la conduite d’une cure à un confrère chevronné. Elle s’apparente plutôt à un contrôle réciproque entre des interprétants engagés dans la même expérience (le moniteur et l’observateur non participant dans un groupe de diagnostic, le couple de psychodramatistes, l’équipe organisatrice d’un séminaire). La présence d’un interlocuteur pendant toute la durée d’une session de groupe est une nécessité régulatrice pour l’interprétant. De plus, pour la formation d’un futur moniteur, la façon dont il assume ce rôle d’interlocuteur représente une étape décisive.

Dans un séminaire, c’est le groupe entier des moniteurs qui a à effectuer sur lui-même ce travail, que, dès 1970, René Kaës (1982) a appelé dans ce cas 1’ « analyse intertransférentielle ». Il s’agit d’une élucidation en commun de la résonance fantasmatique – autrement dit des contrecoups – que le transfert collectif portant sur les moniteurs en tant que constitués en groupe exerce sur leur groupe même. Dans un séminaire, l’équipe des moniteurs est là pour « réaliser », en les intériorisant dans son propre vécu groupai, les fantasmes mobilisés chez les stagiaires par la situation de formation en groupe. Cette « réalisation » symbolique, au sens où le rêve nocturne réalise les désirs latents du rêveur, fournit le moyen terme indispensable, la médiation épistémologique nécessaire pour amener l’objet présent (les processus groupaux inconscients) à devenir l’objet d’un savoir concret.

La prise de conscience de la résonance transférentielle requiert que les moniteurs la différencient de deux autres phénomènes avec lesquels elle se trouve confondue dans leur vécu groupai et qui sont :

— les résistances individuelles et la résistance groupale des moniteurs au transfert collectif des participants ;

— les désirs inconscients que les moniteurs cherchent à réaliser dans les activités de formation et dans leurs relations d’objet à l’égard de leur propre groupe.

Tant que persiste la confusion des trois éléments, un travail sérieux d’interprétation reste impossible. Leur différenciation ne va pas pas sans résistance ni crise entre les interprétants. L’homogénéité de leurs formations personnelles, leurs complémentarités fantasmatiques, leur expérience de l’auto-analyse collective, les références à une histoire commune, l’amitié silencieuse ou explicite qu’ils se portent, sont autant d’adjuvants pour surmonter les difficultés de la perlaboration du contre-transfert en situation de groupe.

Cette tâche préliminaire étant remplie, le travail d’interprétation proprement dit peut s’accomplir. Comme en psychanalyse individuelle, il arrive que l’interprétation correcte et opportune soit trouvée et communiquée par le moniteur dans le mouvement même d’une séance : c’est l’interprétation-surprise. Le reste du temps, elle est préparée, voire mise à jour, par l’analyse inter-transférentielle : c’est l’interprétation-construction. Dans le cas du couple de psychodramatistes ou de l’équipe organisatrice d’un séminaire, le maniement de l’interprétation-construction (qui la formulera en séance ? à quel moment ? sous quelle forme ?) fait l’objet d’une délibération et d’une entente préalables.

Ezriel (1950, 1966) a formulé deux règles qui commanderaient le travail d’interprétation en situation de groupe thérapeutique ou formatif :

— à la différence de l’interprétation « mutative » propre à la cure individuelle et qui fait toucher du doigt dans un conflit actuel la répétition d’une situation infantile, l’interprétation groupale est anhistorique : elle énonce les angoisses, les défenses et les désirs inconscients actuels, c’est-à-dire qu’elle porte exclusivement sur 1’ « ici et le maintenant » du groupe ;

— l’interprétation n’est pas donnée individuellement à un participant ; elle est adressée collectivement à l’ensemble (mais il convient selon nous d’ajouter que le démontage des rôles joués par des individus dans un processus d’ensemble est tout aussi nécessaire, notamment quand il s’agit d’un cas de leadership).

L’expérience nous a enseigné depuis quelques règles annexes que nous avons développées dans le chapitre « Le moniteur et sa fonction interprétante » (1972), du recueil collectif, Le travail psychanalytique dans les groupes (tome 1), et dont nous résumons ici les plus importantes :

— Interprétation du transfert : dans les premières séances d’une session, le transfert est à chercher du côté de ce qui n’est pas dit dans le discours collectif des participants : dans les dernières séances, il s’exprime d’une façons littérale dans les toutes premières phrases prononcées, souvent sur un ton d’aparté, au moment où commence la séance, ou même dites comme si la séance n’était pas encore commencée.

— Interprétation du silence : des silences collectifs, durables ou répétés, expriment généralement une angoisse persécutive devant la situation de groupe vécue comme mauvaise mère ; l’interprétation porte alors sur la présence inavouée dans l’esprit des participants d’une crainte de la « casse » que de telles méthodes de formation sont censées risquer de provoquer chez eux (cf. le chapitre 6 consacré aux fantasmes de « casse »).

— Interprétation des acting-out : tout acting-out pendant une séance ne doit être ni réprouvé ni passé sous silence ; il a à être compris dans le transfert et interprété le plus tôt possible. Par exemple, à la dernière séance d’une session, un participant boit ostensiblement à une bouteille en suçotant le goulot ; les commentaires qu’il suscite dans le groupe montrent qu’il a exprimé là un désir collectif, que les autres participants n’ont pas encore pu dire dans leurs discours, et que le moniteur a à verbaliser : le désir de s’incorporer la bonne parole ou le bon lait du moniteur avant la proche séparation finale. Autre exemple : une déclaration d’amour pendant une séance entre un participant et une participante signifie dans leur rapport entre eux un désir de transgression de l’interdit de l’inceste et dans leur rapport au groupe une fuite de la situation de groupe dans le couplage ; il convient donc de faire de ces deux processus l’objet de l’interprétation.

Groupe thérapeutique, groupe formatif, groupe naturel

Nous venons de traiter de la méthode psychanalytique appliquée à certains types de groupes de formation, isolés ou intégrés dans un séminaire résidentiel. Il conviendrait, à partir des principes généraux que nous avons exposés, de dégager d’une façon analogue les règles spécifiques qui président à la conduite, dans une perspective psychanalytique, d’autres groupes de formation ou de ces mêmes groupes orientés vers un but thérapeutique.

Le même problème de transposition et de généralisation se pose à l’égard de l’intervention de type psychanalytique dans les groupes sociaux réels : quelles sont ses conditions de possibilité ? Quelles sont ses règles d’opérativité ? Nous avons dû nous contenter de faire pour le moment allusion à quelques éléments de réponse. Nous voulons exprimer ici, pour conclure, une certitude et une confiance. La certitude que les processus inconscients spécifiques des situations groupales sont les mêmes dans les groupes de formation, dans les groupes thérapeutiques et dans les groupes sociaux réels. La confiance qu’au prix des aménagements adéquats qui restent à trouver, le modèle ci-dessus présenté sera opératoire pour la compréhension psychanalytique des groupes sociaux réels et pour des interventions fondées sur une telle compréhension.


2 Ce texte reprend en partie et développe quelques-unes des thèses du CEFFRAP sur le travail psychanalytique dans les séminaires de formation (Cf. Anzieu, Bejarano, Kaës, Missenard, 1974) élaborées en octobre 1970. Il a paru primitivement dans « Perspectives psychiatiruqes, 1971, n°33, pp. 5-14.