Désaliénisme ? Désaliéner – Verbe actif

« Vérité pratique » ? Le sens de « désaliéner » est fondé sur une recherche d’émancipation de l’esprit, et de fertilisation des rapports humains, dans l’ouverture du regard sur JE et AUTRE, beaucoup plus éclairée qu’on n’accepte ordinairement de le reconnaître par le mouvement surréaliste. Cette perspective va beaucoup plus loin qu’inspirer le travail sur et dans le monde de l'« aliénisme », mais elle le concerne fortement. Elle sert à désenfermer le regard sur cet ensemble aliéné/aliénant constitué, avec les secours de la science de l'« aliénation » – au sens « médical » jadis certifié dans les textes scientistes et officiels sur « la folie » – dans un ordre conforme aux principes et usages d’un ordre social exclueur de ce qui le dérange. Cette critique et ses actions sont beaucoup plus inspirées qu’on n’accepte ordinairement de le reconnaître par le vécu de l’extermination « dure » en Allemagne nazie, « douce » chez nous, des « aliénés ». Cette insoumission à cette inhumanité ouvre la recherche d’un « désaliénisme » visant à changer le système ségrégatif institué, pour l’humaniser.

Par des voies convergentes :

À la fois, travailler dans et avec le système relationnel sur-aliénant, aliéniste ou asilaire, qui a été fabriqué dans cet ordre du rejet ; faire ce travail pour y détruire les systèmes institués de gestion de la ségrégation et bâtir leur contraire. D’où la perspective dite : « Psychiatrie, ou psychothérapie, institutionnelles ».

À la fois, travailler dans et avec le système aliénant dit, dans la tradition aliéniste : « monde extérieur » ; y faire ce travail pour détruire les systèmes exclueurs, dans les mentalités et les procédures, et bâtir leur contraire. D’où la perspective dite : « Psychiatrie de secteur ».

D’où les propositions originelles : « Détruire le système aliéniste ou asilaire et bâtir son contraire sur ses ruines ».

Et : « Le désaliéniste est celui qui, ayant jeté aux orties le froc de l’aliéniste, se présente sur la place publique et dit : “Qui a-t-il pour votre service ? ».

Ou bien : « Le désaliéniste est celui qui prend le contre-pied des attitudes encore dominantes selon lesquelles le principe et la dominante du discours et de l’action ne sont pas l’autre, le besoin, la demande ou l’usager, mais soi-même et les systèmes idéologiques et institutionnels dans lesquels on est investi. Par un travail extensif dans les organes de la société qui ne sont pas sous sa propre responsabilité, il contribue à réduire l’intolérance de la société à l’égard du “mauvais objet” qu’elle contient. Il tend donc à réduire la charge des institutions dont il a la responsabilité propre ».

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Au regard critique contemporain, il est intéressant de considérer le sort des vocabulaires : « désaliéner », « désaliénant », « désaliénation », spécialement dans le champ psychiatrique. Il paraît très significatif, au regard de qui y « lança » naguère ce vocabulaire, que « désaliénisme » y ait été, en gros, épargné par le sort commun des vocables signifiant quelque ensemble de principes et développements cherchant cohérence, et se trouvant donc, dans le traitement ordinairement doctrinaire et dogmatique des aspirations à la cohérence, voués à subir la tyrannie des passions réductrices.

Et le mot « désaliénisme » n’a guère encore été fétichisé.

« Psychiatrie, ou psychothérapie, institutionnelles », ou « de secteur », continuent de poursuivre aventures et mésaventures restant bons objets d’études pour les explorateurs des chemins de la découverte, et des mécanismes de fétichisation. Par contre, si le concept de « désaliénisme » a été très épargné par ce genre de traitements, c’est sans doute parce qu’il était, et demeure, plutôt rebelle à ces types de manipulations.

L’auteur pense que ce n’est pas là le moindre de ses mérites. Mais, puisque les orientations les plus dérangeantes sont fatalement les plus soumises aux fétichisations et disputes les plus stérilisantes, il est bon d’éveiller la lucidité sur la menace. Les facteurs de résistance aux fétichisations et disputes doctrinaires et dogmatiques conformes aux us et coutumes ne sauraient jamais s’avérer inébranlables. Il n’y a pas de protection assurée contre les mésaventures ixistes menaçant le « désaliénisme » en question.

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La cocasserie anti-inventive qui n’a pas fini de se manifester dans la perception séparative, sectaire et antinomique, de l'« extra » et l'« intra » « hospitalier » ou « institutionnel », comme on dit dans les néo-asiles, faute d’« extra » convenablement institué, reste un sous-produit significatif du néo-aliénisme contemporain. En pratique, cette incohérence contribue beaucoup à limiter les effets impliqués par une position désaliéniste : effets « quantitatifs », réducteurs de la charge des institutions dont on assume la propre responsabilité, avec leurs conséquences « qualitatives », améliorantes, sur le travail de « prise en charge à pleines journées », comme sur le travail « ambulatoire » en systèmes moins enclavés, plus coopérants avec autrui, que ne le sont communément les « lieux sectoriels » ordinaires.

Un signe hautement révélateur se révèle dans les « jugements », genre procès, issus des visions fabriquées dans le système ségrégatif, sur les effets des expériences italiennes. Le modèle mental en question n’est pas en mesure de tirer les conclusions de réalités aveuglantes : que l’intention désaliéniste, là où elle a imposé sa « LOI » en l’absence de pratiques extensives, désenclavées, très et bien développées, a laissé surgir d’inquiétants effets de carences de soins, en contraste avec les résultats observables là où on a plus compté sur la pratique que sur la LOI.

Pratique ? Mais il n’y a de pratique qu’infirme sans travail théorique, comme de théorie infirme sans recours à la pratique. S’agissant d’élaborer des pratiques protégeant les citoyens contre la vie sous excès de tutelle, tout champ de recherche est bon à traiter, sans discrimination.

Il est historiquement fondé, et il demeure, que toute recherche désaliénante (désaliéner – verbe actif) s’approvisionne autant que faire se peut et que le temps le permet de réflexions aussi approfondies que possible sur et dans le champ propre de l'« aliénisme » ou de la « psychiatrie ». Et il est absurde de sous-estimer l’importance du travail fait dans l’héritage des asiles d’aliénés pour changer le monstre asilaire.

Mais iI est plus absurde encore de sous-estimer que, si aliéner est bien un verbe actif, la sur-aliénation asilaire est seconde par rapport aux conduites en usage dans un monde aliénant, et qu’œuvrer dans et avec ce « monde extérieur » est devoir primordial.

Au rang le plus éminent des découvertes mettant en cause les idées reçues, quant aux aventures et mésaventures des rapports humains, il convient de donner sa juste place à la leçon freudienne. Elle est née dans une recherche théorique travaillée dans la pratique hospitalière (dans un champ peuplé de « non-aliénés » officiels, ou « non-psychotiques » dans le vocabulaire médico-psychologique, mais fournissant, avec l'« hystérie », un comble des perturbations du JE comme AUTRE). Elle ne s’y est pas enclavée, elle s’est constituée et a porté bien au-delà du champ thérapeutique. Si au-delà qu’il a même fallu des efforts très novateurs pour lui donner droit de cité dans le traitement des « psychoses », et dans celui des ensembles constitués dans les institutions de sujets rassemblés, à l’enseigne de soins ou de pédagogie. Il a fallu déjouer divers pièges : la tendance à sa réduction dans le champ de la relation duelle avec sujets ouvertement demandeurs, très indépendamment des soins médicaux ou des vertus pédagogiques ; l’utilisation de cette très réelle indépendance pour « oublier » que toute activité soignante ou pédagogique demeure infirme sans son aide ; et aussi les dérives dans les prétentions dominatrices à n’être point au service du monde, entre autres visions, mais à régenter ses affaires.

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Il fallut lutter contre les pressions tendant à justifier les « thérapies collectives » en tant que substitut à des thérapies individuelles « économiquement » présumées ruineuses, donc non généralisables ; comme si relation duelle et travail dans et avec les systèmes relationnels institués n’avaient pas, chacun, leur justification. De même, il n’y a pas lieu de reculer devant la proposition que : demeurer pris, en position enclavée, dans le travail « intra-psy », est une position mal-désaliénante. Si fertiles que soient les découvertes résultant de l’exploration de « la folie » comme objet défini dans et par son aspect à part de la problématique du commun des mortels, l’enclavement de la pensée « psy » dans les seuls débats internes de ses institutions et cénacles reste facteur de pensée aliénée / aliéniste / aliénante, en tant qu’elle reste enfermée dans le champ de l’exclusion. Il faut y travailler, mais il faut aussi résister aux maléfices de la clôture en se postant au service de tout sujet ou toute instance soumis à la tendance à rejeter le semblable, au nom de sa différence, ou à ne le « prendre en charge » qu’en tutelle dominatrice. Autrement dit, il convient de se situer au service de tout un chacun, pour aider à l’éveil des potentiels désaliénants contenus en lui, et non de se borner à la gestion des seuls déjà exclus.

Le travail de désaliénation concerne donc principalement ce qu’on nomme « monde extérieur » dans le monde de la ségrégation. Autant que « désaliénation » concerne très hautement les institutions psychiatriques, il n’y a pas de place dans les doctrines « intra-psychiatriques » pour un « désaliénisme » ; celui-ci ne saurait faire autre école que buissonnière, puisque l'« objet » de la psychiatrie, est-il dit au début de ces études, n’est pas une indéfinissable « folie », mais « est un acte », concernant les rapports entre tous sujets humains, sans exclusion et contre toutes exclusions.