Règle fondamentale

= D. : Grundregel. – En. : fundamental rule. – Es. ; régla fundamental. – I. : regola fondamentale. – P. : regra fundamental.

● Règle qui structure la situation analytique : l’analysé est invité à dire ce qu’il pense et ressent sans rien choisir et sans rien omettre de ce qui lui vient à l’esprit, même si cela lui paraît désagréable à communiquer, ridicule, dénué d’intérêt ou hors de propos.

◼ La règle fondamentale pose au principe du traitement psychanalytique la méthode de la libre association*. Freud a souvent retracé le chemin qui l’a mené de l’hypnose puis de la suggestion à l’institution de cette règle. Il tenta de « … pousser des malades, même non hypnotisés, à communiquer des associations pour trouver par ce matériel la voie vers ce que le patient avait oublié ou ce dont il se défendait. Plus tard il remarqua qu’une telle pression n’était pas nécessaire et que chez le patient émergeait presque toujours un grand nombre d’idées (Einfälle) que celui-ci maintenait hors de la communication et même hors de la conscience en fonction de certaines objections qu’il se faisait à lui-même. On devait alors s’attendre […] à ce que toutes les idées qui venaient au patient (alles, was dem Palienten einfiele) sur un certain point de départ dussent être dans une relation interne avec celui-ci ; de là la technique d’éduquer le patient à renoncer à toutes ses attitudes critiques et d’utiliser le matériel d’idées (Einfälle) ainsi mis à jour pour découvrir les relations recherchées » (1).

On notera, à propos de ce texte l’emploi par Freud du terme Einfall (littéralement : ce qui tombe dans l’esprit, ce qui vient à l’esprit, traduit ici par « idée », faute d’un meilleur terme), qu’il convient de différencier de celui d’Assoziation. En effet, le terme association se réfère à des éléments pris dans une chaîne, chaîne du discours logique ou chaîne des associations dites libres et qui n’en sont pas moins déterminées. Einfall désigne toutes les idées qui viennent au sujet dans le cours des séances même si la liaison associative qui les supporte n’est pas apparente et même si elles se présentent subjectivement comme non liées au contexte.

La règle fondamentale n’a pas pour effet de donner libre cours au processus primaire tel quel et de fournir ainsi un accès immédiat aux chaînes associatives inconscientes ; elle favorise seulement l’émergence d’un type de communication où le déterminisme inconscient est plus accessible par la mise à jour de nouvelles connexions ou de lacunes significatives dans le discours.

Ce n’est que progressivement que la règle de libre association est apparue à Freud comme fondamentale. C’est ainsi que dans La psychanalyse (Über Psychoanalyse, 1909) Freud reconnaît trois voies d’accès à l’inconscient et semble les placer sur le même plan : l’élaboration des idées du sujet qui se soumet à la règle principale (Hauptregel), l’interprétation des rêves, et celle des actes manqués (2). La règle paraît ici conçue comme destinée à favoriser l’éclosion de productions inconscientes en fournissant un matériel significatif parmi d’autres.

La règle fondamentale entraîne un certain nombre de conséquences :

1° Le sujet, invité à l’appliquer, s’engage, plus il s’y soumet, dans la voie de tout dire et seulement de dire ; ses émois, ses impressions corporelles, ses idées, ses souvenirs sont canalisés dans le langage. La règle a donc pour corollaire implicite de faire apparaître comme acting out* un certain champ de l’activité du sujet ;

2° L’observance de la règle met en évidence la façon dont dérivent les associations et les « points nodaux » où elles s’entrecroisent ;

3° Comme on l’a souvent noté, la règle est aussi révélatrice dans les difficultés mêmes que le sujet a à l’appliquer : réticences conscientes, résistances inconscientes à la règle et par la règle, c’est-à-dire dans l’usage même qui est fait de celle-ci (par exemple certains analysés recourent systématiquement au coq-à-l’âne ou se servent de la règle principalement pour montrer que son application rigoureuse est impossible ou absurde) (α).

En prolongeant ces remarques, on accentuerait l’idée que la règle est plus qu’une technique d’investigation et qu’elle structure l’ensemble de la relation analytique ; c’est en ce sens qu’elle peut être qualifiée de fondamentale, bien qu’elle ne soit pas seule à constituer une situation où d’autres conditions, singulièrement la neutralité* de l’analyste, ont un rôle déterminant. Bornons-nous à souligner, à la suite de J. Lacan, que la règle fondamentale contribue à instaurer la relation intersubjective de l’analyste et de l’analysé comme un rapport de langage (3). La règle de tout dire ne doit pas être comprise comme une simple méthode parmi d’autres d’accéder à l’inconscient, méthode dont on pourrait faire éventuellement l’économie (hypnose, narco-analyse, etc.). Elle est destinée à faire apparaître dans le discours de l’analysé la dimension de demande adressée à un autre. Combinée avec le non-agir de l’analyste, elle conduit l’analysé à formuler ses demandes sous divers modes qui ont pris pour lui, en certains stades, valeur de langage (voir : Régression).

▲ (α) Il est clair que la règle psychanalytique invite non à tenir des propos systématiquement incohérents, mais à ne pas faire de la cohérence un critère de sélection.

(1) Freud (S.). « Psychoanalyse » und « Libidotheorie », 1923. G.W., XIII, 214 ; S.E., XVIII, 238.

(2) Cf. Freud (S.). G.W., VIII, 31 ; S.E., XI, 33 ; Fr., 147.

(3) Cf. surtout : Lacan (J.). La direction de la cure et les principes de son pouvoir, Communication faite au Colloque international de Royaumont en 1958, in La Psychanalyse, P.U.F., Paris, 1961, VI, 149-206.