Trace mnésique

= D. : Erinnerungsspur ou Erinnerungsrest. – En. : mnemic-trace ou memory trace. – Es. : huella mnémica. – I. : traccia mnemonica. – P. : traço ou vestigio mnèmico.

● Terme utilisé par Freud tout au long de son œuvre pour désigner la façon dont les événements s’inscrivent dans la mémoire. Les traces mnésiques sont déposées, selon Freud, dans différents systèmes ; elles subsistent de façon permanente mais ne sont réactivées qu’une fois investies.

◼ Le concept psychophysiologique de trace mnésique, d’un usage constant dans les textes métapsychologiques, implique une conception de la mémoire que Freud n’a jamais exposée dans son ensemble. Elle prête par là même à des interprétations erronées : un terme comme celui de trace mnésique ne serait que l’héritier d’une pensée neurophysiologique périmée. Sans prétendre exposer ici une théorie freudienne de la mémoire, nous rappellerons les exigences de principe sous-jacentes à l’emprunt par Freud du terme de trace mnésique : Freud entend situer la mémoire selon une topique* et donner une explication de son fonctionnement en termes économiques.

1) La nécessité de définir tout système psychique par une fonction et de faire de la Perception-Conscience la fonction d’un système particulier (voir : Conscience) conduit au postulat d’une incompatibilité entre la conscience et la mémoire : « Il ne nous est pas facile de croire que des traces durables de l’excitation soient laissées aussi dans le système Perception-Conscience. Si elles restaient toujours conscientes, elles limiteraient bientôt la capacité du système à recevoir de nouvelles excitations ; mais si, à l’inverse, elles devenaient inconscientes, elles nous mettraient dans l’obligation d’expliquer l’existence de processus inconscients dans un système dont le fonctionnement s’accompagne, d’autre part, du phénomène de la conscience. Nous n’aurions, pour ainsi dire, rien changé et rien gagné avec notre hypothèse qui cantonne le fait de devenir conscient dans un système particulier » (1). C’est là une idée qui remonte aux origines de la psychanalyse. Breuer l’exprime pour la première fois dans les Études sur l’hystérie (Studien über Hysterie, 1895) : « Il est impossible pour un seul et unique organe de remplir ces deux conditions contradictoires. Le miroir d’un télescope à réflexion ne peut pas en même temps être une plaque photographique » (2). Freud a cherché à illustrer cette conception topique par comparaison avec le fonctionnement d’un « bloc-notes magique » (3).

2) Dans la mémoire elle-même, Freud introduit des distinctions topiques. Un événement donné s’inscrit dans différents « systèmes mnésiques ». Freud a proposé plusieurs modèles plus ou moins imagés de cette stratification de la mémoire en systèmes. Dans les Études sur l’hystérie, il compare l’organisation de la mémoire à des archives complexes où les souvenirs se rangent selon différents modes de classification ordre chronologique, liaison en chaînes associatives, degré d’accessibilité à la conscience (4). Dans la lettre à W. Fliess du 6-12-96 et dans le chapitre VII de L’interprétation du rêve (Die Traumdeutung, 1900), cette conception d’une succession ordonnée d’inscriptions dans des systèmes mnésiques est reprise de façon plus doctrinale : la distinction entre préconscient et inconscient est assimilée à une distinction entre deux systèmes mnésiques. Tous les systèmes mnésiques sont inconscients au sens « descriptif » mais les traces de système les sont incapables de parvenir telles quelles à la conscience tandis que les souvenirs préconscients (la mémoire, au sens courant du terme) peuvent être, dans telle ou telle conduite, actualisés.

3) La conception freudienne de l’amnésie infantile* peut éclairer la théorie métapsychologique des traces mnésiques. On sait que, pour Freud, si nous ne nous souvenons pas des événements des premières années, ce n’est pas du fait d’un défaut de fixation mais en raison du refoulement. D’une façon générale, tous les souvenirs seraient en droit inscrits mais leur évocation dépend de la façon dont ils sont investis, désinvestis, contre-investis. Cette conception s’appuie sur la distinction, mise en évidence par la clinique, entre la représentation et le quantum d’affect* : « Dans les fonctions psychiques, il y a lieu de différencier quelque chose (quantum d’affect, comme d’excitation) […] qui peut être augmenté, diminué, déplacé, déchargé et s’étale sur les traces mnésiques des représentations un peu comme une charge électrique à la surface des corps » (5).

On voit que la conception freudienne de la trace mnésique diffère nettement d’une conception empiriste de l’engramme défini comme empreinte ressemblant à la réalité. En effet :

1° La trace mnésique est toujours inscrite dans des systèmes, en relation avec d’autres traces. Freud a même tenté de distinguer les différents systèmes où un même objet vient inscrire ses traces, selon des types d’associations (par simultanéité, causalité, etc.) (6, 7 a). Au niveau de l’évocation, un souvenir peut être réactualisé dans un certain contexte associatif, alors que, pris dans un autre contexte, il sera inaccessible à la conscience (voir : Complexe).

2° Freud tend même à dénier aux traces mnésiques toute qualité sensorielle : « Quand les souvenirs redeviennent conscients, ils ne comportent pas de qualité sensorielle ou très peu par comparaison aux perceptions » (7 b).

C’est dans le Projet de psychologie scientifique (Entwurf einer Psychologie, 1895), dont l’orientation neurophysiologique justifierait le mieux en apparence une assimilation de la trace mnésique à l’image « simulacre », que l’on trouverait le meilleur accès à ce qui constitue l’originalité de la théorie freudienne de la mémoire. Freud y tente en effet de rendre compte de l’inscription du souvenir dans l’appareil neuronique sans faire appel à une ressemblance entre les traces et les objets. La trace mnésique n’est qu’un arrangement particulier de frayage* de sorte que telle voie est empruntée de préférence à une autre. On pourrait rapprocher un tel fonctionnement de la mémoire de ce qu’on appelle « mémoire » dans la théorie des machines cybernétiques, construites sur le principe d’oppositions binaires, de même que l’appareil neuronique selon Freud se définit par des bifurcations successives.

Il convient cependant de noter que la façon dont Freud, dans ses écrits ultérieurs, invoque les traces mnésiques – utilisant aussi souvent comme synonyme « image mnésique » – montre qu’il est amené, quand il n’envisage pas le processus de leur constitution, à en parler comme de reproductions des choses au sens où l’entend une psychologie empiriste.

(1) Freud (S.). Jenseits des Lustprinzips, 1920. G.W. XIII, 24 ; S.E., XVIII, 25 ; Fr., 27.

(2) Breuer (J.). Theoretisches, 1895. AU., 164, n. ; S.E., II, 188-9, n. ; Fr., 149-50, n.

(3) Cf. Freud (S.). Noliz über den « Wunderblock », 1925. G.W., XIV, 3-8 ; S.E., XIX, 227-32.

(4) Cf. Freud (S.). Zur Psychotherapie der Hysterie, 1895. G.W., I, 295 sqq. ; S.E., II, 291 sqq. ; Fr., 235 sqq.

(5) Freud (S.). Die Abwehr-Neuropsychosen, 1894. G.W., I, 74 ; S.E., III, 60.

(6) Cf. Freud (S.). Aus den Anfängen der Psychoanalyse, 1887-1902. Ail., 186 ; Angl., 174 ; Fr., 154-5.

(7) Freud (S.). Die Traumdeulung, 1900. – a) Cf. G.W., II-III, 544 ; S.E., V, 538-9 ; Fr., 442-3. – b) G.W., II-III, 545 ; S.E., V, 540 ; Fr., 543-4.