Économique (adj.)

= D. : Okonomisch. – En. : economic. – Es. : econômico. – I. : economico. – P. : econômico.

● Qualifie tout ce qui se rapporte à l’hypothèse selon laquelle les processus psychiques consistent en la circulation et la répartition d’une énergie quantifiable (énergie pulsionnelle), c’est-à-dire susceptible d’augmentation, de diminution, d’équivalences.

◼ 1) On parle généralement en psychanalyse de « point de vue économique ». C’est ainsi que Freud définit la métapsychologie* par la synthèse de trois points de vue : dynamique, topique et économique ; il entend par ce dernier « … la tentative de suivre le destin des quantités d’excitation et de parvenir au moins à quelque estimation relative de leur grandeur » (1). Le point de vue économique consiste à prendre en considération les investissements* dans leur mobilité, les variations de leur intensité, les oppositions qui s’établissent entre eux (notion de contre-investissement), etc. Tout au long de l’œuvre de Freud, des considérations économiques sont présentes ; il ne saurait y avoir pour lui de description complète d’un processus psychique tant que l’économie des investissements ne peut être appréciée.

Cette exigence de la pensée freudienne trouve son motif d’une part dans un esprit scientifique et un outillage conceptuel tout imprégnés de notions énergétiques, d’autre part dans l’expérience clinique qui impose d’emblée à Freud un certain nombre de données dont seul un langage économique lui paraît pouvoir rendre compte. Par exemple : caractère irrépressible du symptôme névrotique (souvent traduit dans le langage du malade par une expression comme : « c’est plus fort que moi »), déclenchement de troubles d’allure névrotique consécutifs à des perturbations de la décharge sexuelle (névroses actuelles*) ; inversement, soulagement et liquidation des troubles lorsque le sujet peut, lors de la cure, se libérer (catharsis*) des affects « coincés » en lui (abréaction*) ; séparation, effectivement constatée dans le symptôme et au cours du traitement, de la représentation et de l’affect qui était originellement lié à celle-ci (conversion*, refoulement*, etc.) ; découverte de chaînes d’associations entre telle représentation qui ne provoque que peu ou pas de réaction affective et telle autre apparemment anodine mais qui, elle, en provoque : ce dernier fait suggère l’hypothèse d’une véritable charge affective qui se déplace d’un élément à un autre le long d’une voie conductrice.

De telles données sont au point de départ des premiers modèles élaborés par Breuer dans ses Considérations théoriques (Études sur l’hystérie [Studien über Hysterie], 1895) et par Freud (Projet de psychologie scientifique [Entwurf einer Psychologie], 1895, tout entier construit sur la notion d’une quantité d’excitation se déplaçant le long de chaînes neuroniques ; chapitre VII de L’interprétation du rêve [Die Traumdeutung], 1900).

Ultérieurement, toute une série d’autres constatations cliniques et thérapeutiques ne feront que renforcer l’hypothèse économique, soit par exemple :

a) Étude d’états comme le deuil ou les névroses narcissiques* imposant l’idée d’une véritable balance énergétique entre les différents investissements du sujet, le détachement à l’égard du monde extérieur étant corrélatif d’un accroissement de l’investissement attaché aux formations intra-psychiques (voir : Narcissisme, Libido du moi – libido d’objet, Travail du deuil) ;

b) Intérêt porté aux névroses de guerre et généralement aux névroses traumatiques* où les troubles paraissent provoqués par un choc trop intense, un afflux d’excitation excessif eu égard à la tolérance du sujet ;

c) Limites de l’efficacité de l’interprétation et plus généralement de l’action thérapeutique dans certains cas rebelles, qui font invoquer la force respective des instances* en présence, notamment la force, constitutionnelle ou actuelle, des pulsions.

2) L’hypothèse économique est constamment présente dans la théorie freudienne où elle se traduit par tout un outillage conceptuel : l’idée princeps paraît être celle d’un appareil (d’abord qualifié de neuronique puis ultérieurement et définitivement de psychique) dont la fonction est de maintenir au niveau le plus bas possible l’énergie qui y circule (voir : Principe de constance, Principe de plaisir). Cet appareil accomplit un certain travail décrit par Freud de différentes façons : transformation de l’énergie libre en énergie liée*, ajournement de la décharge, élaboration psychique des excitations, etc. Cette élaboration suppose la distinction entre représentation et quantum d’affect* ou somme d’excitation, celle-ci étant susceptible de circuler le long de chaînes associatives, d’investir telle représentation ou tel complexe représentatif, etc. D’où l’aspect d’emblée économique que revêtent les notions de déplacement* et de condensation*.

L’appareil psychique reçoit des excitations d’origine externe ou interne, ces dernières ou pulsions* exerçant une poussée constante qui constitue une « exigence de travail ». D’une façon générale tout le fonctionnement de l’appareil peut être décrit en termes économiques comme jeu d’investissements, désinvestissements, contre-investissements, surinvestissements.

L’hypothèse économique est dans un étroit rapport avec les deux autres points de vue de la métapsychologie : topique* et dynamique*. Freud définit en effet chacune des instances de l’appareil par une modalité spécifique de circulation de l’énergie : ainsi, dans le cadre de la première théorie de l’appareil psychique, énergie libre du système Ics, énergie liée du système Pcs, énergie mobile de surinvestissement* pour la conscience.

De même la notion dynamique de conflit psychique implique, selon Freud, que soient pris en considération les rapports des forces en présence (force des pulsions, du moi, du surmoi). L’importance du « facteur quantitatif » dans l’étiologie de la maladie comme dans l’issue thérapeutique est soulignée avec une netteté particulière dans Analyse finie et infinie (Die endliche und die unendliche Analyse, 1937).

Le point de vue économique est souvent considéré comme l’aspect le plus hypothétique de la métapsychologie freudienne : qu’est-ce donc que cette énergie sans cesse invoquée par les psychanalystes ? On fera à ce sujet quelques remarques :

1) Les sciences physiques elles-mêmes ne se prononcent pas sur la nature dernière des grandeurs dont elles étudient les variations, les transformations, les équivalences. Elles se contentent de les définir par leurs effets (par exemple, la force est ce qui produit un certain travail), et de les comparer entre elles (une force est mesurée par une autre ou plutôt leurs effets sont comparés entre eux). A cet égard, la position de Freud ne fait pas exception : il définit la poussée de la pulsion comme « … la quantité d’exigence de travail imposée au psychisme » (2), et reconnaît volontiers « … que nous ne savons rien sur la nature du processus d’excitation dans les éléments des systèmes psychiques et que nous ne nous sentons pas autorisés à faire à ce sujet une hypothèse quelconque. Nous opérons donc toujours avec un grand X que nous reportons dans chaque nouvelle formule » (3).

2) Aussi bien Freud n’invoque-t-il une énergie que comme un substrat des transformations que de nombreux faits d’expérience lui semblent attester. La libido, ou énergie des pulsions sexuelles, l’intéresse en tant qu’elle peut rendre compte des changements du désir sexuel quant à l’objet, quant au but, quant à la source de l’excitation. Ainsi un symptôme mobilise une certaine quantité d’énergie, ce qui a pour contrepartie un appauvrissement au niveau d’autres activités, le narcissisme ou investissement libidinal du moi se renforce aux dépens de l’investissement des objets, etc.

Freud allait jusqu’à penser que cette grandeur quantitative pouvait être, en droit, l’objet de mesures et le serait peut-être, en fait, dans l’avenir.

3) Si l’on cherche à préciser l’ordre des faits que le point de vue économique entend expliquer, on peut penser que ce que Freud interprète en un langage physicaliste, c’est ce que, dans une perspective moins distante de l’expérience, on peut décrire comme le monde des « valeurs ». D. Lagache insiste sur l’idée, inspirée notamment de la phénoménologie, selon laquelle l’organisme structure son entourage, et sa perception même des objets, en fonction de ses intérêts vitaux, valorisant dans son milieu tel objet, tel champ, telle différence perceptive (notion d’Umwelt) ; pour tout organisme la dimension axiologique est présente, à condition de ne pas limiter la notion de valeur aux domaines moral, esthétique, logique où les valeurs se définissent par leur irréductibilité à l’ordre du fait, leur universalité de droit, leur exigence catégorique d’accomplissement, etc. C’est ainsi que l’objet investi par la pulsion orale est visé comme devant-être-absorbé, comme valeur-nourriture. L’objet phobique n’est pas simplement fui, il est un « devant-être-évité » autour duquel s’organise une certaine structure spatio-temporelle.

Il convient cependant de noter qu’une telle perspective ne saurait reprendre à son compte tout le contenu de l’hypothèse économique, qu’à la condition de concevoir les « valeurs » en cause comme susceptibles de s’échanger les unes contre les autres, de se déplacer, de s’équivaloir à l’intérieur d’un système où la « quantité de valeur » à la disposition du sujet est limitée. On sera sensible au fait que Freud envisage moins l’économie dans le domaine des pulsions d’auto-conservation – où les intérêts, les appétits, les objets-valeurs sont pourtant manifestes – que dans celui des pulsions sexuelles susceptibles de trouver leur satisfaction dans des objets fort distants de l’objet naturel. Ce que Freud entend par économie libidinale, c’est précisément la circulation de valeur qui s’opère à l’intérieur de l’appareil psychique, le plus souvent dans une méconnaissance qui interdit au sujet de percevoir la satisfaction sexuelle dans la souffrance du symptôme.

(1) Freud (S.). Das Unbewusste, 1915. G.W., X, 280 ; S.E., XIV, 181 ; Fr., 121.

(2) Freud (S.). Triebe und Triebschicksale, 1915. G.W., X, 214 ; S.E., XIV, 122 ; Fr., 33.

(3) Freud (S.). Jenseits des Lustprinzips, 1920. G.W., XIII, 30-1 ; S.E., XVIII, 30-1 ; Fr., 34.