I. Nomenclature

Nous essayerons d’exposer le plus brièvement et le plus dairement possible le sens de certaines expressions.

Quel est le sens de l’expression « complexe de castration » autour de quoi va s’articuler tout notre exposé ?

Un complexe est une liaison indissociable entre :

—    d’une part des pulsions, à buts différents, parfois contradictoires, dont chacune prétend à gouverner,

—    et d’autre part des interdictions, d’ordre culturel, s’opposant à la réalisation de certaines de ces pulsions.

Les pulsions (« poussée ») sont des élans premiers, de source physiologique, vers un but ; elles demandent un assouvissement.

Certaines pulsions se heurtent à des interdictions.

Ces pulsions et ces interdictions étant inconscientes, leur liaison — le complexe — est inconsciente.

Mais les réactions engendrées par cette situation conflictuelle inconsciente se manifestent dans le comportement. Le sujet pense et agit alors suivant des mobiles découlant à son insu de déterminations inconscientes, tandis que son besoin de logique réussit toujours à le justifier à ses propres yeux. Il peut encore assister, tout aussi impuissant à les modifier, à des manifestations somatiques découlant elles aussi de déterminations inconscientes, le système nerveux végétatif servant de truchement pour extérioriser des états affectifs inconscients, comme il extériorise bien des états conscients, par exemple dans les larmes, la rougeur de la peau, la chair de poule.

Castration signifie, dans le langage courant, « destruction »

des glandes génitales, suppression des besoins sexuels et du comportement concomitant ; mais pour Freud et les psychanalystes, le terme « sexuel » ne désigne pas uniquement les manifestations en rapport avec l’acte génital de la procréation ; il englobe tout ce qui a trait à l’activité hédonique, c’est-à-dire tout ce qui a trait a la recherche du plaisir.

Castration, au sens psychanalytique, signifie alors « frustration de possibilités hédoniques », frustration de possibilités de recherche du plaisir.

Nous verrons que l’hédonisme n’est pas centré sur les mêmes zones corporelles aux différents stades du développement et c’est à l’exposé de cette évolution que sera consacré le chapitre n.

Le présent chapitre est consacré, à l’exposé, si l’on nous passe l’expression, du mécanisme et des rouages du psychisme adulte.

Malgré notre désir d’employer le moins de termes scientifiques possible, il en est que nous ne pouvons éviter, à moins d’alourdir notre texte jusqu’à le rendre incompréhensible en répétant continuellement des périphrases. J’ajoute que, personnellement, j’emploie souvent des expressions qui ne sont pas classiques, mais qui me semblent utiles pour compléter le sens des expressions habituelles, qu’elles éclairent sans les supprimer.

Les instances de la personnalité selon la psychanalyse freudienne

lité, mais n’oublions

et commode pour l’étude, et gardons-nous de voir des compartiments étanches et des entités réelles.

On distingue le Ça, le Moi et le Sur-Moi.

— Le Ça. Source des pulsions, force libidinale aveugle

qui, à la manière d’un fleuve, doit trouver à s’écouler. La bbido étant à la sexualité ce que la faim est à la nutrition.

—    Le Moi. Siège des satisfactions et des malaises conscients. Noyau limité, organisé, cohérent et lucide de la personnalité. C’est par son intermédiaire que le Ça entre en contact avec le monde extérieur. Tampon entre le Ça et le monde extérieur d’abord, puis, à partir de 6-7 ans, entre le Ça et le Sur-Moi.

—    Le Sur-Moi. Sorte de mentor formé par l’intégration des expériences, permises et défendues, comme elles ont été vécues dans les premières années. Siège d’une force inhibi-trice qui joue aveuglément elle aussi, le Sur-Moi est incapable d’évoluer sensiblement de lui-même après 8 ans, même si les circonstances de la vie modifient totalement les exigences du monde extérieur.

Quand nous disons que le Ça et le Sur-Moi sont le siège de forces aveugles, nous voulons dire que leur fonctionnement est inconscient. Le Moi n’est d’ailleurs qu’en partie conscient3.

Conscient, inconscient, préconscient

L’ensemble des idées que nous nous représentons à un moment donné, constitue le conscient. De toutes celles qui sont à ce moment hors de notre champ conscient, on dit qu’elles sont inconscientes. Mais, dans ce lot, il faut distinguer celles que nous pourrons évoquer à volonté — (préconscient) — et d’autre part l’inconscient proprement dit, qui restera toujours pratiquement inconnu.

Mais l’inconscient n’est pas un réceptacle obscur de représentations psychiques inutiles et muettes.

Par l’étude du phénomène des actes post-hypnotiques observés chez Bernheim, Freud constatait qu’un acte ordonné

sous hypnose s’imposait à la conscience, tandis que ni l’ordre reçu du médecin, ni le souvenir de l’hypnose ne revenaient à la mémoire. Et qui plus est, si on demandait au sujet qui exécutait un ordre absurde, la raison de son acte, il invoquait toujours une justification suffisante à ses yeux, alors qu’elle allait souvent contre toute logique4 : l’idée de l’acte à faire est passée de l’inconscient dans le conscient, chargée de l’incitation à agir ; mais l’idée de l’ordre reçu n’est pas passée dans le conscient, et c’est pourtant elle qui a été efficiente.

Un phénomène psychique peut donc être inconscient et efficient

L’observation des hystériques devait amener Freud à la conclusion que la suggestion extérieure de l’hypnotisme et la suggestion intérieure de l’hystérie sont des phénomènes à peu près identiques.

Dans les autres formes de névrose, et même dans la psychologie de l’homme sain, la psychanalyse montre le rôle prédominant des idées actives inconscientes ; on nomme rationalisations les mobiles que l’individu allègue pour justifier les actes dont le véritable motif lui reste inconnu.

Cependant une différence est à remarquer : l’acte commandé sous hypnose, une fois réalisé, ne joue plus aucun rôle dans l’inconscient du sujet ; alors que la poussée inconsciente émanant du sujet lui-même tend à se répéter indéfiniment, suivant un rythme variant avec chaque individu. C’est le motif pour lequel la névrose n’est pas extinguible spontanément.

Freud émet l’hypothèse que tout phénomène psychique tend à devenir conscient

Il ne s’arrête en chemin que s’il se heurte à des résistances, et ce n’est pas un jeu de passe-passe, c’est un jeu de jorces.

Mais le processus une fois déclenché, la charge affective

3ui le soutient doit trouver une utilisation ; elle fait partie es manifestations d’une libido qui, pas plus que la « vie », ne peut s’escamoter. Nous pouvons modifier les manifestations de la vie ; mais une fois déclenchée, la vie ne s’arrête que par la mort, c’est-à-dire par la destruction de l’intégrité du vivant. De même, la libido ne se laisse ni annuler ni amoindrir dans sa quantité dynamique.

S’il arrive que dès son apparition la poussée libidinale trouve des interdictions dans le monde extérieur, la représentation est réprimée ; mais la charge affective qui la soutenait demeure ; elle devient de l’angoisse.

L’angoisse, malaise ineffable, -voit son intensité dépendre de deux facteurs : d’une part, l’importance de la charge affective détachée de son support originel ; d’autre part le degré, plus ou moins total, plus ou moins catégorique, de l’entrave imposée à la pulsion.

Si la charge affective trouve à se greffer sur une autre idée, mieux tolérée par le monde extérieur, c’est la formation d’un symptôme : utilisation méconnaissable de la pulsion réprimée. Cette apparition du symptôme délivre le sujet de son angoisse et donne un sentiment immédiat de bien-être.

Mais ce n’est que dans les premières années de la vie que les pulsions se heurtent au monde extérieur ; les interdictions auxquelles elles se heurteront au bout des premières expériences auront vite fait d’envahir la personnalité même du sujet (le Sur-Moi).

Une comparaison classique nous fera comprendre la formation du Sur-Moi. On met des poissons dans un bocal et l’on sépare un jour le bocal en deux par une plaque de verre transparente. Les poissons enfermés dans chacun des deux compartiments du bocal tentent vainement de traverser le mur transparent, et s’y heurtent, sans cesse ; jusqu’au jour où ils agissent « comme s’ils n’avaient plus envie » de sortir du compartiment qui leur est réservé. Ils ne se heurtent jamais plus alors à la cloison de verre et si, au bout de quelques semaines, on retire la cloison, on constate que les poissons continuent à se comporter « comme si elle existait toujours » ; l’interdiction est devenue « intérieure », elle fait partie de « la personnalité » de ces poissons.

C’est ainsi qu’agit le Sur-Moi. Il assimile les interdictions du monde extérieur, afin d’éviter les déconvenues ; mais une fois formé, le Sur-Moi est rigide. Grâce à lui les pulsions sont entravées spontanément, avant même d’être conscientes, dès qu’elles suscitent une résonance associative de celles qui, lors des premières expériences de l’enfant, avaient entraîné de la part du monde extérieur une répression suivie d’angoisse. Voilà le mécanisme inhibiteur auquel on donne le nom de refoulement. On voit que c’est un processus intérieur.

Le refoulement ne porte que sur les idées

Les charges affectives qui les soutenaient (et qui, nous l’avons dit, ne peuvent être détruites) provoquent dans le conscient, par accumulation de force nerveuse inassouvie, une angoisse dont le sujet souffre et dont il ignore la cause. On réserve le nom d’angoisse primaire à la souffrance résultant d’un conflit entre les pulsions libidinales et les interdictions extérieures au sujet. A celle qui résulte d’un conflit entre le Sur-Moi et le Ça à l’intérieur même de la personnalité du sujet, on donne le nom d’angoisse secondaire.

L’angoisse cherche à se libérer dans un symptôme, qui en permet la décharge affective (la charge affective se lie à une autre idée). Cette traduction peut être tolérée ou non par le monde extérieur ou la partie consciente du sujet. En cas de répression, l’apaisement instinctuel ne pourra aboutir, d’où nouvelle angoisse, déterminant un autre symptôme, toujours animé de la même charge libidinale déliée de la première idée refoulée. On peut ainsi arriver à une intrication menant le symptôme si loin de son point de départ originel qu’il faut un travail lent « d’analyse » pour en retrouver la cause.

Cela fait comprendre comment une psychothérapie psychanalytique peut agir chez l’enfant, dont le Sur-Moi, s’il commence à se former à 7-8 ans, n’atteint sa rigidité définitive qu’à la fin de la puberté, tandis qu’il sera nécessaire de recourir à la thérapeutique longue que représente une « vraie psychanalyse » dès qu’il s’agira d’un adulte, avec sa double difficulté d’un Sur-Moi plus rigide et d’une plus longue histoire.

Nous pouvons comparer la libido à l’eau d’une source. Elle doit s’écouler ; qu’on l’empêche de sourdre à son émergence, elle fera irruption en un autre point.

A son apparition, l’eau s’appelle source ; elle n’a pas fait quelques mètres qu’elle s’appelle ruisseau.

Si l’on veut arrêter le cours du ruisseau, on dresse un barrage ; mais il doit être renforcé au fur et à mesure que la poussée augmente, et si vaste soit-il, si puissantes soient ses parois, il ne fera obstacle que pendant un certain temps, au-delà duquel il sera submergé, à moins que des brèches n’en laissent écouler le trop-plein ou qu’on n’y ait aménagé une issue par laquelle le réservoir se déversera en alimentant par exemple une usine électrique.

C’est le rôle du Sur-Moi de favoriser les « sublimations » : utilisations de la libido dans des activités sociales tolérées ou stimulées par le monde extérieur.

Mais si le débit d’écoulement n’est pas en rapport avec celui de la source, l’eau doit trouver des brèches supplémentaires : tel est le rôle des symptômes ; et ces brèches se font aux points de moindre résistance.

Ainsi en va-t-il quand des pulsions qui ne peuvent atteindre le conscient, vont réveiller ou renforcer des manifestations correspondant à une période antérieure du développement, et qui à cette époque avaient été tolérées. La libido est tentée de reprendre un ancien chemin, de procéder à tel ou tel réinvestissement autour de « points de fixation » dépendant d’un ensemble de conditions qui avaient fait mettre un accent particulier sur telle ou telle manifestation, lors de son apparition normale.

Ainsi, pour reprendre la comparaison, sous la poussée d’une masse en crue, l’eau du réservoir enfoncera d’abord les écluses fermant l’accès à des plages où l’eau avait pu temporairement séjourner du temps où le barrage et l’usine électrique n’étaient pas encore achevés.

La grande différence, entre ce qui se passe pour l’eau à la surface de la terre et ce qui se passe pour la libido dans un individu, c’est que la force inhibitrice, qui s’oppose aux manifestations des pulsions, émane, en ce dermer cas, de l’individu lui-même.

L'élément dynamique du Ça, c’est la libido, et l’élément dynamique du Sur-Moi est encore la même libido.

Car grâce au Sur-Moi une extraordinaire économie de travail est procurée au Moi qui évite ainsi un fastidieux travail de choix et de renoncements constants. Les poissons rouges sont à l’aise dans le bocal qui au début les gênait.

Si les sublimations utilisent à plein le dynamisme des pulsions refoulées, et si le Sur-Moi laisse encore au Ça une marge assez grande pour des satisfactions directes, tout va bien, le refoulement est silencieux et sans angoisse.

Mais si les possibilités de sublimation sont insuffisantes, ou si le Ça est très violent, très riche, une tension s’ensuit ; le Sur-Moi doit se montrer extrêmement sévère et on assiste à des formations réactionnelles soit en accord avec le Moi — perversions — soit sans son accord — névroses caractérisées.

D’autre part, si les poussées vitales du Ça accaparent en permanence une vigilance impérieuse du Sur-Moi, il peut en résulter un blocage plus ou moins total de la libido, utilisée contre elle-même. Cette force immobilisée alors dans des mécanismes inconscients, est autant de non-disponible pour le Moi, c’est-à-dire pour les activités conscientes du sujet.

On pourrait croire dès lors que le sujet serait soulagé si on lui restituait un peu de son énergie bloquée. On se tromperait. Une sorte de déviation métabolique conduirait l’énergie nouvellement libérée dans un tout autre sens que celui recherché5. Elle s’en retournerait en effet en partage égal aux deux fractions antagonistes de l’inconscient (Ça et Sur-Moi), et ne ferait qu’aggraver l’état de conflit.

Et ce fut l’erreur des premières années de la méthode psychanalytique 6, où, naïvement, l’on croyait bien faire de communiquer tout bonnement aux malades le sens de leurs symptômes.

En effet, alors même que le Moi du sujet désire, de bonne foi, se soumettre au traitement et aider le médecin de sa meilleure volonté, dès que la psychanalyse tente de dissocier le couple des forces antagonistes, le sujet déploie inconsciemment une opposition sourde, comme s'il organisait une défense.

On donne à ce phénomène le nom de résistance.

Le même mécanisme qui avait produit le refoulement, entre en action dès que les interprétations analytiques laissent entrevoir une possible relaxation d’idées et de souvenirs refoulés ; à ce signal, la vigilance du Sur-Moi se renforce de plus belle.

Ce mécanisme, si gênant soit-il au cours de nos traitements, et même pour la pénétration des idées psychanalytiques, a néanmoins son utilité : il conserve l’équilibre de la personnalité.

Il suffit de penser à la décharge de force libidinale qui se volatilise, par exemple, dans une crise de manie aiguë au registre de la motricité, pour comprendre l’utilité que les

fmisions du Ça ne soient pas trop libéralement soustraites à a sévère gouverne du Sur-Moi.

Conséquences pour la technique psychanalytique

Voilà pourquoi la méthode psychanalytique vise à circonvenir le refoulant et non le refoulé.

le traitement psychanalytique est fondé sur l’analyse des résistances7. Ce n’est pas une interprétation intellectuelle que le médecin donnerait à son malade comme la clef d’un rébus.

Le traitement se fait dans le « transfert », c’est-à-dire le déploiement de la part du malade d’une situation affective vis-à-vis du médecin ; positive, négative, le plus souvent mixte.

Transfert il y a dans toute relation humaine ; seulement, dans la vie courante, l’attitude réciproque de deux individus dépend de nombreux facteurs ; comprendre avec juste précision ce qui revient à l’attitude subjective de chacun d’eux, aux circonstances extérieures, aux influences intercurrentes d’autres individus se mêlant à leur relation, est chose impossible.

L’originalité de la méthode psychanalytique c’est de permettre 1 observation la plus objective qui soit du comportement d’un individu. Celui-ci n’a avec le médecin que des rapports fictifs ; il ne connaît pas l’homme ; il ignore ses réactions personnelles ; il n’entendra jamais de lui le moindre jugement de valeur.

L’expérience montre que, dès les premières séances, tel sujet « voit » son psychanalyste de telle manière, et réagit à son égard comme s’il était vraiment tel qu’il l’imagine. Un autre « verra » le même psychanalyste d’une tout autre façon. Le psychanalyste pourra donc « analyser » le pourquoi des réactions du sujet, le pourquoi de la personnalité que le psychanalysé lui prête.

C’est dire s’il faut que le médecin se connaisse bien — et cela par sa propre psychanalyse achevée — pour n’utiliser comme matériel d’analyse que les réactions ae son malade non conformes à la réalité, et ne pas réagir, en outre, par l’amour ou la haine, c’est-à-dire affectivement, quand son malade lui fera compliment ou reproche d’une de ses caractéristiques réelles.