De l’interprétation des mélodies qui vous viennent à l’esprit

Je marche dans la rue et je me demande s’il y a aussi des associations de sons (sons qui vous viennent à l’esprit) qui ne soient pas déterminées par le contenu des mots. Je me dis : jusqu’alors j’ai toujours pu trouver le sens des paroles d’une mélodie qui me venait à l’esprit.

Quelques secondes après, je me surprends à fredonner une chanson. Il ne me vient rien à ce propos ! Qu’est-ce donc ? Oui, bien sûr— c’est l’une des Mélodies sans Paroles de Mendelssohn. Cette idée subite est tout simplement la continuation de mes spéculations — une contradiction venue du préconscient. Mais oui, il y a aussi des Mélodies sans paroles (c’est-à-dire des mélodies sans texte, qui me viennent à l’esprit, symphonies, sonates, etc.). Comment vas-tu les expliquer, celles-là ?

Dans le même temps cependant je me dis que, tout comme dans le cas des « Mélodies sans Paroles », dans d’autres cas aussi on peut trouver un sens à cette idée subite, soit comme ici dans le titre, soit dans une quelconque association temporelle, spatiale ou causale de la mélodie sans texte avec quelque chose qui est chargé de sens ou avec quelque chose de concret.

Mais je ne nierai pas la possibilité qu’il y ait aussi des associations purement musicales. Si je fredonne une mélodie, il m’en vient bientôt une autre à l’esprit — par pure analogie —, à peu près comme dans le pot-pourri des fanfares militaires. J’ai le sens de la musique, mais hélas je ne suis pas du tout musicien. C’est un musicien de formation psychanalytique qui doit créer les lois de l’association musicale. Vraisemblablement, le rythme correspondant à l’humeur du moment suffit souvent pour qu’il se fasse qu’une mélodie sans paroles vous vienne à l’esprit. Parfois (dans mon cas personnel), une valse pleine d’entrain signifie : « j’aimerais danser, tant je suis gai » (hélas, cela n’arrive pas bien souvent). Le rythme de la mélodie qui me vient à l’esprit correspond le plus souvent exactement au degré de ma gaieté ou de ma tristesse.

À l’époque préanalytique déjà, je me suis forgé une théorie sur la surprenante palette tonale des opéras de Wagner. Voilà l’idée que je m’en faisais : chaque concept, chaque mot, chaque situation (par exemple sur la scène) éveille en l’être humain un certain sentiment ; à ce sentiment, pensais-je, doit correspondre un processus neuro-physique (vibration) composé de rapports quantitatifs déterminés (longueurs d’onde, superposition d’ondes en systèmes compliqués, rythmes, etc.). La musique doit donc être en mesure de représenter des formations acoustiques par des combinaisons de sons et leur enchaînement de suites tonales avec les mêmes rapports quantitatifs que ceux des vibrations nerveuses. C’est pourquoi l’humeur et le concept s’associent à la musique, et d’autre part la musique au concept, à l’humeur. La musique ne serait en fait qu’un produit du sentiment ; l’être humain modula les sons jusqu’à ce qu’ils correspondent à son humeur. Un instrument de musique naturel (l’organe de Corti) et ses liaisons avec le système nerveux central sont, pensais-je, les régulateurs de la production musicale.

Depuis la psychanalyse et la lecture de l’œuvre de Kleinpaul, j’ai laissé tomber toute cette élucubration. Je tiens maintenant pour vraisemblable que la musique (tout comme la parole) n’est qu’une représentation ou imitation directe ou indirecte de sons naturels (organiques ou inorganiques) et de bruits — mais, comme telle, est manifestement en mesure d’éveiller de semblables humeurs et idées, tout comme ces sons naturels eux-mêmes.

Quand une mélodie vous vient à l’esprit, il y a donc le plus souvent deux choses en jeu :

1) une association avec une atmosphère purement musicale,

2) parmi les mélodies pouvant être associées selon l’humeur (rythme, hauteur tonale, composition), aura la préférence celle qui offre en plus des points de liaison avec le contenu.